22 février 2007

Parole et hyperbole

Pour Enzo Bianchi, la racine juive du mot Parole : Miqra indique aussi bien la lecture qu'une convocation. Ainsi la parole lue, proclamée est un appel à sortir de, à aller vers. (1). Pourrait-on dire à sa suite, mais en reprenant les notions développées par Ricoeur et Beauchamp, qu'il s'agit donc par construction d'un langage hyperbolique, un appel au toujours plus. On rejoindrait ainsi le sens même de la nature de Dieu, tel que nous l'avons vu chez Hans Urs von Balthasar dernièrement. La parole n'est pas le sommet de la révélation, elle est expression partielle du Dire, et pour reprendre les termes de Lévinas, le dit n'épuise pas le Dire (2)… mais invite à un au-htpp://delà et d'une certaine manière une conversion (métanoia) véritable.

(1) Enzo Bianchi, Ecouter la parole, Les enjeux de la Lectio Divina, Lessuis 2006, p. 70ss

(2) cf. Autrement qu'être et au-delà de l'essence.

PS : Nous réduirons volontairement l'activité de se blog pour se concentrer sur notre proposition de lecture commune de la Parole...

21 février 2007

Lire l'Ecriture et voir le visage de Dieu...

"Dans le Nouveau Testament, tu vois l'Ancien Testament révélé et dans l'Ancien Testament tu vois le Nouveau Testament voilé" (1)
Pour Vatican II (DV 18), l'Evangile possède une supériorité méritée, en tant qu'ils constituent le témoignage par excellence sur la vie et l'enseignement du Verbe incarné, notre Sauveur". Ainsi pour E. Bianchi, toute lecture de l'Écriture doit être une écoute intégrale de l'Écriture, c'est-à-dire une "recherche du visage du Christ". Ainsi chaque pierre devenant des pierres de construction de la cathédrale du Verbe (2)

(1) Augustin, Enarr. in Ps CV 36 62
(2) Enzo Bianchi, ibid. p. 63

PS : Reprise aujourd"hui, Mercerdi des Cendres, de notre "Lectio Divina". N'hésitez pas à participer par vos commentaires, dans la lignée de ceux de l'an dernier.

Nécessaire distance

Pour Balthasar, plus les personnes se différencient, plus grande est leur Vérité (comme la dualité des sexes) (1). La distance est le secret de l'autonomie, de la liberté mais aussi de cette respiration qui permet une mutuelle kénose. Ce qui est vrai de Dieu est vrai de toute relation humaine. Elle est pour moi au cœur de la notion de chasteté.

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 81

Expérience de la vie en soi

Tout chemin pastoral devrait permettre de développer son intériorité, travailler sur soi et "découvrir ses propres voies d'intériorité (…) partir vers soi et vers Dieu en soi" (1)

(1) Pierrette Daviau, Spiritualité d'engendrement et praxis pastorale, in Une nouvelle chance pour l'Evangile, p. 142

20 février 2007

Illumination réciproque

Pour Enzo Bianchi, il existe une sorte d'illumination réciproque de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament. Pour lui l'événement pascal est la clé herméneutique qui permet de comprendre les Écritures. (1)

Il rejoint ainsi ce qu'il citait à propos de la métaphore d'Origène sur la Maison-Bible. J'ajouterais que l'Écriture permet en retour de trouver un sens à la Passion. La kénose du Christ éclaire celle tracée depuis deux mille ans dans l'Écriture, et en soulevant délicatement le voile, fait transparaître les traces de Dieu dans l'histoire. Quand on se dit qu'en lisant l'Écriture on lit sa propre histoire, on boucle d'une certaine façon la révélation. Dans notre histoire, un long regard en arrière permet de percevoir la trace de Dieu, même s'il nous échappe dans le présent de nos vies, de peur de forcer notre liberté de croire.

(1) Enzo Bianchi, Ecouter la parole, Les enjeux de la Lectio Divina, Lessuis 2006, p. 62

Véritable filiation

C'est peut-être sous cet angle que l'on doit comprendre que le Christ lui-même personne se reçoit du Père alors même qu'il est Verbe. Il est constamment tourné vers le sein du Père (Jn 1, 18) en vue de l'accomplissement "d'une attente, un toujours plus qui rythme de l'intérieur l'actualisation de l'événement " (1)

En soi, la distance n'est pas opposition mais permet de maintenir l'originalité de l'être et l'agir de chaque personne "pour fournir le fondement, à l'intérieur de la Trinité, de ce qui sera dans l'économie du salut l'établissement d'une distance pouvant aller jusqu'à la déréliction de la croix" (2)

Je compare cela à la notion de chasteté entre deux personnes, cette distance essentielle qui laisse l'autre être, au delà de l'amour que l'on porte...

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 79

(2) ibid p. 81

Balises : distance, Balthasar

Une nouvelle voie

"La pastorale de l'engendrement implique de passer de la pastorale du reproche à celle de l'approche, du dialogue dialectique au dialogue dialogal". En privilégiant le dialogue dialectique, ils se trompent de terrain : "les rites de passage déclenchent sur le plan psychosocial, des ressorts archaïques d'autant plus puissants que davantage latents" (1). Pour Sophie Tremblay, parce qu'il se "cantonne au jeu des arguments rationnels, le dialogue dialectique ne fait qu'affleurer la pointe de cet iceberg" (2). Pour elle, la présence de l'institution écclésiale induit une dissymétrie. La pastorale d'engendrement doit conduire à "abandonner toutes les formes de coercition, même les plus subtiles". Citant Olivier Le Gendre, in Les masques de Dieu, elle rappelle que "ceux qui croient pouvoir imposer [Dieu] grâce à leur détermination, leur conviction, et même leur enthousiasme, voire leur simple volonté, ne portent qu'une cause vide, désertée par Dieu". Cela n'implique pas pour autant qu'il faille se taire mais cela implique que la liberté soit toujours respectée, première dans la relation. L'autorité n'est pas là pour imposer sa vérité mais pour aider le travail de la conscience intérieure.

Rappelons à ce sujet, Gaudium & Spes (§17) : La dignité de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d'une contrainte extérieure. (…) Ce n'est toutefois que par le secours de la grâce divine que la liberté humaine, blessée par le péché, peut s'ordonner à Dieu d'une manière effective et intégrale". En cela, on ne peut discerner pour eux mais avec eux…

(1) Louis-Marie Chauvet, cité par Sophie Tremblay, in le dialogue pastoral revisité , Une nouvelle chance pour l'Evangile, p. 130

(2) Sophie Tremblay, ibid, p. 130

19 février 2007

Parole - Sacrement

Pour Enzo Bianchi, "Il reste malheureusement encore dans la réception post-conciliaire, la séparation entre Sacrement et Parole, la conception que le sacrement donne la grâce, tandis que la Parole biblique donne la doctrine, que le sacrement est efficace tandis que la Parole ne peut que préparer le sacrement et enseigner. Néanmoins si la Parole de Dieu n'est pas vécue dans l'économie sacramentelle jusqu'à être accueillie comme sacrement (…) elle restera toujours parole sur Dieu et ne sera jamais qu'un prélude à la célébration du sacrement." (1)

Je souscrit à cette analyse et insisterait peut-être, dans l'actualité pastorale d'aujourd'hui sur cette mésinterprétation. Si nous donnions plus de place à la lecture communautaire de la Parole, nous permettrions à tous, laïcs comme prêtres de donner un sens véritable à l'Eucharistie, au sens visé par Ruppert de Deutz.

L'Écriture, continue-t-il est donc "sacrement, signe doté d'un élément sensible qui contient et manifeste le mystère du Christ, lieu d'une rencontre véritable (…) l'Écriture réalise ainsi cette dynamique de 1) l'écoute, 2) la connaissance et 3) l'amour". (2)

Pour lui, la structure sacramentelle de l'Écriture est inséparable de la structure sacramentelle de l'Eucharistie. D'une certaine façon, l'Écriture est une réalité liturgique et prophétique, elle est annonce (kérygme) avant d'être livre, le témoignage de l'Esprit Saint sur la venue du Christ dont le moment privilégié est la liturgie eucharistique. (3) Il souligne qu'une authentique expérience de communion avec le Christ peut avoir lieu dans la lectio divina personnelle (et à plus forte raison communautaire), nous en faisons l'expérience à travers toutes ces expériences où nous écoutons le Verbe de vie.

(1) Enzo Bianchi, Ecouter la parole, Les enjeux de la Lectio Divina, Lessuis 2006, p. 49

(2) ibid. p. 50 (3) p. 52

Amour trinitaire

Pour Balthasar, le Père le demande le premier. Il supplie le Fils de lui faire cette joie d'accorder ce qu'il demande. Avant que le Fils ne lui propose, le Père l'a déjà précédé. "Mais c'est l'Esprit, auquel appartient tout particulièrement la liberté du choix et de la décision puisqu'il est volonté divine absolue qu'incarne, pour ainsi dire, le discernement commun de ce qu'il faut accorder. De cette manière la décision trinitairement une est toujours une décision prise en commun, avec toute fois, à chacune de ces étapes, un "divin toujours plus", un accroissement et une surprenante nouveauté, une exubérance grandissante. L'unité de la décision est unité d'amour vivant (…) un accomplissement".

On est loin là encore de la notion d'obéissance servile. C'est peut-être d'ailleurs à cette communion où nous invite le Fils : "je ne vous appelle pas serviteurs (doulous) mais amis (philous)" (Jean 15,15).

Ainsi pour Balthasar, l'accomplissement actif et l'acquiescement passif sont à eux deux, les fondements de l'unité de Dieu dès l'origine, comme ils les sont de toute action et contemplation. Pour lui, cela est vrai aussi bien au sein de l'essence divine que dans le monde créé : "c'est la distance toujours plus grande et pourtant toujours surmontée, entre les Personne qui fonde la contemplation mais cette distance est à son tour fondée sur elle". (2)

Relire à ce sujet l'excellent livre de Jean-Luc Marion : "L'idôle et la distance" qui m'avait beaucoup éclairé en son temps sur le paradoxe de la distance et de la proximité.

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 75-76

(2) ibid p. 77

Le dialogue pastoral

"Le dialogue pastoral (…) ne signifie pas que l'on renonce à la pastorale de proposition suggérée par les évêques en France mais elle situe cette pastorale dans un cadre plus large, où il s'agit autant de recevoir que de donner". Pour Malvaux, ce cheminer ensemble est susceptible de produire des fruits inattendus. Il n'est pas impossible, par exemple, "qu'au terme d'un dialogue, il apparaisse aux deux parties qu'un geste non-sacramentel est possible" (1)

Il me semble que cette piste n'est pas à ignorer, non que l'on pense que la grâce du sacrement n'est pas efficiente, mais dans la mesure où la liberté de la démarche prime sur tout, afin de mettre en condition au travail de la grâce, celui qui nous échappe, parce qu'il vient de Dieu...

(1) Benoît Malvaux, Plaidoyer pour pratiquer l'ouverture sans brader. Pour une approche positive de la diversité, Une nouvelle chance pour l'Evangile, p. 123

18 février 2007

Le pain des Écritures

Ruppert de Deutz nous dit ainsi dans son commentaire de saint Jean : "Jésus pris le livre et l'ouvrit, c'est à dire qu'il reçut de la puissance de Dieu toute la Sainte Écriture pour l'accomplir lui-même (…) le Seigneur Jésus prit donc le pain des Écritures dans ses mains quand, incarné selon les Écritures, il subit la Passion et ressuscita ; il pris alors le pain dans ses mains et rendit grâce quand, accomplissant les Écritures, il s'offrit lui-même au Père en sacrifice de grâce et de vérité."

(1) Ruppert de Deutz : Commentaire de saint Jean, VI cité par Enzo Bianchi, Ecouter la parole, Les enjeux de la Lectio Divina, Lessuis 2006, p. 48

Kénose trinitaire

Pour Hans Urs von Balthasar, "cet abandon de soi auquel le Fils et le Saint-Esprit participe par leur réponse signifie une sorte de "mort", une kénose radicale". (1) Cela rejoint ce que nous soulevions plus haut sur la triple kénose. L'amour du Père qui s'abandonne éternellement au Fils n'est que l'origine de cette attitude du Fils. Pour Bonaventure déjà, il y a dans le Fils "une puissance passive de génération en tant qu'aptitude à être engendré" (2) et pour moi cette passivité n'est autre que la constatation du don. Sur la croix, nos espérances humaines se sont tues, comme je le signalais précédemment et il ne nous reste peut-être, à l'image du Fils, que ce que Lévinas appelait la "passivité plus que passive".

Dans la distance de la génération passive se trouve déjà la possibilité du retour vers le Père. Je trouve que cette théologie trinitaire a des couleurs d'une esthétique, d'une poétique qui est au-delà de l'apparente utopie de l'amour qui se semble se dessiner aux yeux des hommes. Il y a la les germes d'une interpellation, d'une hyperbole qui nous pousse au-delà de nous-mêmes.

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 71 à 73

(2) Bonaventure, Sentences, dist. 7, dubium 7 (I145s)

Le semeur

Pour Odile Ribadeau Dumas, le vrai semeur n'a pas le désir "de maîtriser l'action pastorale, il perd la maîtrise dans un mouvement de non violence totale ; il œuvre dans la foi, sûr que malgré ses échecs, ses semailles porteront à 30, 60 ou 100 pour 1." (1)

Dans une société marquée par la rentabilité, la productivité, cette approche nous interpelle sur notre façon d'agir. Souhaitons nous gagner des âmes à notre cause où laisser le Christ agir, à sa manière, à sa vitesse, dans le respect de chaque personne humaine, avec la tendresse de Dieu...
Encore un décentrement.

(1) d'après Odile Ribadeau Dumas et Philippe Bacq, Une nouvelle chance pour l'Evangile, ibid p. 106

Rappel :
- Pour recevoir par mail les billets de chemins de lecture, cliquez ici
- Reprise de notre lectio divina sur l'Evangile de Jean, le 21 février...

17 février 2007

Manger la Parole

Saint Jérôme, suivant Origène déclare : "Je considère l'Évangile comme le corps de Jésus (…) et quand il dit : celui qui mange ma chair (…) bien que cela puisse aussi s'entendre du sacrement, c'est cependant le corps et le sang du Christ en un sens plus exact, qui est la Parole de l'Écriture (1)

Peut-être que la réalité sacramentelle sera plus vivement perçue quand nous aurons donné le goût à la chair/parole par l'intelligence de la foi et sous la conduite de l'Esprit.

(1) In Ps CXL VII

Le don – V, Florilèges

Saint Grégoire le Grand : "Ne peut être agapé que s'il s'oriente vers l'autre"

Richard de Saint Victor : "En Dieu, l'unité et la distance ne sont pas contraires."

Hans Urs von Balthasar : "Si Dieu est défini comme amour, il est en soit don parfait de lui-même" (1)

Sans commentaires

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 69-70