21 mai 2014

"L'espérance du cardinal" - III

Que dire sur "L'espérance du cardinal" en quelques mots. J'ai noté quelques citations qui, à elle seule, mériteraient un temps de silence et de contemplation. C'est un peu ce que je vous propose dans cette brève recension :

Le cardinal parle notamment de "ces pharisiens qui ferment les portes du royaume (...) à des gens de bonne volonté en quête de sens ou d'espérance" (p. 69) un propos qui fait réfléchir, à la suite des posts précédents sur la bonne tension à trouver entre morale et pastorale...

Comme pour le premier opus (Confessions du cardinal), on sent une recherche kénotique (qui vise l'humilité), que ce blog n'a cessé de promouvoir. On retrouve cela notamment page 164, quand il parle de "s'abaisser à la même hauteur", conditions nécessaires à toute rencontre.
Pas de surprise, donc de le voir citer une association qui me tient à coeur (L'Arche), mais aussi San'Edigio.
C'est surtout ce qu'il appelle le principe de Poo, du nom de l'attitude que le cardinal et l'auteur ont eu vis à vis d'un malade en fin de vie, qu'ils ont accompagné ensemble. C'est dans ce sens aussi et j'aime l'entendre, qu'il parle de "rendre sa dignité et ouvrir à l'espérance" (p. 182).
Mais le plus bouleversant est peut être cette affirmation qui laisse pantois et intervelle nous tous les "nantis" : "Seuls les pauvres ont une espérance !" (p. 184). Il faut bien sûr lire le texte pour en comprendre toutes les finesses. Cela rejoint en un sens mes propos sur le décentrement, ce renoncement à tout ce qui nous empêche d'atteindre Dieu...

Or conclue-t-il, "c'est l'espérance des gens qui ouvrent les portes de la foi" (p. 263), après avoir cité une phrase de Jean d'Ormesson : "Les athées, assis à la droite d'un Dieu auxquels ils en croient pas...".

Dans notre France, malade d'espérance, ce livre nous conduit à l'essentiel. Pour paraphraser le titre d'un livre d'Urs von Balthasar", c'est un "retour au centre"...

Source :  "L'espérance du cardinal", Olivier Le Gendre

17 mai 2014

"Fragiles témoins d'une foi fragile"

Je reprends l'expression page 295 de "L'espérance du cardinal" (voir post précédent) que je viens de finir. Elle résume ‎bien l'enjeu de cette délicate transmission de la foi que certains appellent, improprement à mon avis, la nouvelle évangélisation. A la fin de la lecture de ce deuxième tome, on ne peut que comprendre que tout ce qui touche à l'église est complexe et fragile. 
Je rentre d'un congrès à Valence sur cette nouvelle évangélisation. Finalement, ce que j'ai mal écrit en 2016 sous le titre de Pastorale du seuil reste d actualité, au point que j'en ai refait une édition chez Amazon a la demande de lecteurs.
A discuter. 

30 avril 2014

L'espérance du cardinal - Olivier Le Gendre - I

Après ma lecture des "confessions d'un cardinal" (cf. post de décembre 2013), me voici explorant avec joie, le deuxième tome : "L'espérance d'un cardinal" d'Olivier Le Gendre. Je continue à apprécier la pertinence de l'analyse de ce texte à deux voix qui me semble bien répondre à ce souci du primat de la tendresse (cf. posts précédents).

Le cardinal évoque la tenue de conciles régionaux, comme moyen d'ajuster les défis pastoraux à une réalité qui n'est pas univoque. Je ne peux que souscrire à cette idée.

Là encore, j'aimerai faire partager à ces deux co-auteurs, mes premiers balbutiements auto-publiés sous le titre "Cette église que je cherche à aimer".

La Marie-Jeanne, Pourquoi j'ai mal - III

Après mes essais romanesques sur le thème de la souffrance (La barque de Solwenn*), en lien avec mon mémoire de licence de théologie, je vous signale la parution d'une suite, intitulée "La Marie-Jeanne", qui continue à creuser cette histoire de pêcheurs à l'aube du XXème siècle.

Version epub disponible sur demande pour les amis.

* La version brochée inclut maintenant ce tome 4

16 avril 2014

Les écueils de l'évangélisation - II - Divorcés remariés

Dans le premier post sur ce sujet, j'évoquais parmi les écueils, la difficile question d'une pastorale des divorcés remariés, mais aussi des homosexuels, deux chemins sur lesquels j'ai déjà commencé des travaux de recherche à travers "Le vieil homme et la perle" (tome 1 à 3) puis tome 4.

J'ai eu la chance de diner la semaine dernière avec trois théologiens dont l'un des plus grands théologiens moralistes actifs et nous avons évoqué ce sujet, cette faille pastorale comme un des enjeux majeurs de notre Eglise. Bien sûr, je ne suis qu'un petit chercheur sur ce chemin. J'aimerai avoir leur science. La mienne n'est qu'une intuition pastorale.

Il y a actuellement deux courants dans l'Eglise qui se croise et une "tension théologique" qui se précise entre les partisans d'une morale autoritaire et ceux qui ont le souci d'une pastorale "de la faiblesse". Ceux qui connaissent mes écrits sur le Dieu de faiblesse (1), savent vers quel côté je penche. On ne peut qu'espérer que les conclusions du synode en cours n'oublieront pas qu'au delà des débats théologiques, il y a une faille qui s'écarte progressivement entre les "biens pensants" et le monde. Certes le sujet est délicat et il convient de travailler les nuances. Mais la contemplation de Jean 8 doit continuer à nous interpeller. Les pharisiens, dans ce récit, sont debout. Jésus, quant à lui, effectue une "danse", celle qui s'abaisse vers la femme, trace des traits qui s'effacent, et en se relevant, relève la femme blessée et l'invite à marcher (2).

A cet égard, je suis touché, par le commentaire d'une lectrice, marquée par son divorce et son remariage : "Le rite du lavement des pieds tel qu'il est raconté par Claude dans son livre "Le vieil homme et la perle" est éblouissant de signification et tire les larmes du corps, ou de l'âme ..." Espérons que ce chemin soit un jour utile à d'autre...

(1) Cf. "A genoux devant l'homme"
(2) voir aussi mon commentaire dans le même ouvrage

10 avril 2014

Banquet de la Parole - III - Le Père est en moi (Jean 14)

Nous avons poursuivi notre lecture de Jean. Mardi, nous avons mis en perspective Jean 14 et la fin du chapitre 6. Une méditation sur les liens intra-trinitaires et la kénose. Deux thèmes chers à l'auteur de ce blog.

Florilège :

14.6
Jésus lui dit: Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi.
14.7
Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Et dès maintenant vous le connaissez, et vous l'avez vu.
14.10
Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même; et le Père qui demeure en moi, c'est lui qui fait les oeuvres.
14.11
Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi; croyez du moins à cause de ces oeuvres.

14.16
Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu'il demeure éternellement avec vous,
14.17
l'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit point et ne le connaît point; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il sera en vous.
14.18
Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous.
14.26
Mais le consolateur, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.
14.28
Vous avez entendu que je vous ai dit: Je m'en vais, et je reviens vers vous. Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père; car le Père est plus grand que moi.


6.46
C'est que nul n'a vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu; celui-là a vu le Père.
6.47
En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle.
6.48
Je suis le pain de vie.
6.51
Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que je donnerai, c'est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde.
6.54
Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle; et je le ressusciterai au dernier jour.
6.55
Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage.
6.56
Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui.
6.57
Comme le Père qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi.

27 mars 2014

Saint Philippe - IV- 3ème rencontre : L'attention aux plus pauvres


A - La Fiche

Prière d'ouverture

Parabole de Lazare et du riche (Lc 16, 19-31)

19 « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. 20 Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. 21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
22 Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. 23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui. 24 Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. 25 – Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. 26 Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”

27 Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. 28 En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !” 29 Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! 30 – Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.” 31 Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »

L'option préférentielle pour les pauvres

Les disciples du Christ sont appelés à renouveler toujours mieux en eux-mêmes la conscience de ceci: on ne peut séparer la vérité sur Dieu qui sauve, sur Dieu qui est source de tout don, de la manifestation de son amour préférentiel pour les pauvres et les humbles. Dans toute l'Écriture, l'amour préférentiel de Dieu pour les pauvres est affirmé:

"Certes, le malheureux ne disparaîtra pas de ce pays. Aussi je te donne ce commandement : tu ouvriras tout grand ta main pour ton frère quand il est, dans ton pays, pauvre et malheureux."
(Dt 15, 11)

"Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci :
faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug,
rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ?
N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim,
accueillir chez toi les pauvres sans abri,
couvrir celui que tu verras sans vêtement,
ne pas te dérober à ton semblable ?
Si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires,
et si tu combles les désirs du malheureux,
ta lumière se lèvera dans les ténèbres
et ton obscurité sera lumière de midi."
(Isaïe 58, 6-7.10)

"L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles,
guérir ceux qui ont le cœur brisé,
proclamer aux captifs leur délivrance,
aux prisonniers leur libération."
(Isaïe 61, 1)

"Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides."
(Lc 1, 50-53)

Destination universelle des biens et option préférentielle pour les pauvres
CDSE 182
Le principe de la destination universelle des biens requiert d'accorder une sollicitude particulière aux pauvres, à ceux qui se trouvent dans des situations de marginalité et, en tout cas, aux personnes dont les conditions de vie entravent une croissance appropriée. À ce propos il faut réaffirmer, dans toute sa force, l'option préférentielle pour les pauvres (a) :
« C'est là une option, ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l'Église. Elle concerne la vie de chaque chrétien, en tant qu'il imite la vie du Christ, mais elle s'applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l'usage des biens.
Mais aujourd'hui, étant donné la dimension mondiale qu'a prise la question sociale, cet amour préférentiel, de même que les décisions qu'il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans espérance d'un avenir meilleur ». (b)

(a) Jean-Paul II, Discours à la IIIème Conférence Générale de l'Épiscopat latino-américain, Puebla (1979)
(b) Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, 42, qui continue ainsi:
On ne peut pas ne pas prendre acte de l'existence de ces réalités. Les ignorer reviendrait à s'identifier au «riche bon vivant» qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail.
Et il ne faudra pas négliger, dans l'engagement pour les pauvres, la forme spéciale de pauvreté qu'est la privation des droits fondamentaux de la personne, en particulier du droit à la liberté religieuse, et, par ailleurs, du droit à l'initiative économique.

CDSE 183
La misère humaine est le signe évident de la condition de faiblesse de l'homme et de son besoin de salut (CEC 2448). Le Christ Sauveur a eu pitié d'elle, lui qui s'est identifié à ceux qu'il appelait les « plus petits de mes frères »:
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
(Mt 25, 40.45)
Jésus dit: "Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours." (Jn 12, 8) non pas pour opposer au service des pauvres l'attention qui lui est accordée. Si, d'une part, le réalisme chrétien apprécie les efforts louables faits pour vaincre la pauvreté, de l'autre il met en garde contre les positions idéologiques et contre les messianismes qui alimentent l'illusion d'éliminer totalement de ce monde le problème de la pauvreté. Cela n'adviendra qu'au retour du Christ, quand il sera de nouveau avec nous pour toujours. Entre-temps, les pauvres nous sont confiés et c'est sur cette responsabilité que nous serons jugés à la fin : « Notre Seigneur nous avertit que nous serons séparés de lui si nous omettons de rencontrer les besoins graves des pauvres et des petits qui sont ses frères » (CEC 1034 L'enfer).

CDSE 184
L'amour de l'Église pour les pauvres s'inspire de l'Évangile des béatitudes, de la pauvreté de Jésus et de son attention envers les pauvres. Cet amour concerne la pauvreté matérielle aussi bien que les nombreuses formes de pauvreté culturelle et religieuse (CEC 2444).
… S'inspirant du précepte évangélique « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8), l'Église enseigne à secourir le prochain selon ses divers besoins et accomplit largement dans la communauté humaine d'innombrables œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles: « Parmi ces gestes, l'aumône faite aux pauvres est un des principaux témoignages de la charité fraternelle: elle est aussi une pratique de justice qui plaît à Dieu », même si la pratique de la charité ne se réduit pas à l'aumône, mais implique l'attention à la dimension sociale et politique du problème de la pauvreté. L'enseignement de l'Église revient constamment sur le rapport entre charité et justice: « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Plus qu'accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice » (st Grégoire le Grand). Les Pères conciliaires recommandent fortement d'accomplir ce devoir « de peur que l'on n'offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice ». L'amour pour les pauvres est certainement « incompatible avec l'amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste » (CEC 2445).

La coopération internationale pour le développement : dont la lutte contre la pauvreté
CDSE 449
… La pauvreté pose un dramatique problème de justice: la pauvreté, sous ses différentes formes et conséquences, se caractérise par une croissance inégale et ne reconnaît pas à chaque peuple « le même droit à “s'asseoir à la table du festin” ». Cette pauvreté rend impossible la réalisation de l'humanisme plénier que l'Église souhaite et poursuit, afin que les personnes et les peuples puissent « être plus » et vivre dans « des conditions plus humaines ». La lutte contre la pauvreté trouve une forte motivation dans l'option - ou amour préférentiel - de l'Église pour les pauvres … Le principe de la solidarité, notamment dans la lutte contre la pauvreté, doit toujours être opportunément associé à celui de la subsidiarité, grâce auquel il est possible de stimuler l'esprit d'initiative, base fondamentale de tout développement socio-économique, dans les pays pauvres eux-mêmes: il faut porter attention aux pauvres « non comme à un problème, mais comme à des personnes qui peuvent devenir sujets et protagonistes d'un avenir nouveau et plus humain pour tous ».

Pistes pour les échanges

- Mon regard sur la pauvreté s’inscrit dans ma nature d’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Ce qui m’inspire, ce n’est pas de la compassion, ou de la commisération, ou une morale culpabilisante plus ou moins bien digérée; c'est le fait que le Seigneur s’est fait extrêmement pauvre pour que je puis ressentir un peu de l’amour qu’Il me porte en étant invité à porter sur celui qui dépend de moi, le même regard d’amour.

- Le pauvre est une personne, c’est quelqu’un. Ce n’est pas « un pauvre », ni « la pauvreté ». C’est une personne dont l’accès aux conditions d’épanouissement, au bien commun, peut dépendre de moi; c’est une personne qui, d’une façon ou d’une autre, est dépendante des actes que, moi, je poserai (ou non).

- Choisir son pauvre c’est échapper à la banalité abstraite des bons sentiments pour donner un nom à celui-là, cette personne-là. C’est prendre conscience que les pauvretés sont multiples. Celui que j'ai choisi n’a que faire de mes discours : il me faut agir parce que j’ai choisi celui-ci ou celle-ci comme pauvre frère ou sœur pauvre, qui existe et qui m’attend. Choisir ce pauvre avec son nom, c’est faire un acte engageant, et c’est se sentir de même nommé et choisi par Dieu.
Un fioretti de St Vincent de Paul : « Comme St Vincent se plaignait de ne pas en faire assez pour les pauvres, il s’entendit dire : « Vincent, je ne te demande pas de t’occuper des pauvres, je te demande de t’occuper des pauvres que je te donne » ».

- Le complexe de la parabole du jeune homme riche: "comme je ne suis pas capable de suivre Jésus en vendant tout et en donnant aux pauvres, je ne serai jamais un « vrai » chrétien." Dans le plan de Dieu, l’immense majorité de chrétiens ne sont pas appelés à tout quitter pour suivre Jésus et pourtant, ils sont appelés à suivre Jésus et devenir des saints. Comment répondre à cet appel de Jésus de devenir des saints sans qu’Il nous demande de tout quitter pour Le suivre ?

B - Compte rendu


P., diacre permanent à SPDR nous présente le texte qu’il a préparé, issu notamment
du Compendium de la Doctrine Sociale de l'Église (C-DSE1) et du Catéchisme de
l'Église Catholique (CEC). Il précise qu’il faudrait ajouter les écrits récents du Pape,
notamment dans Evangelii Gaudium*.
On s’interroge ensuite sur la notion de pauvreté qui n’est pas qu’une pauvreté
matérielle. Une participante évoque les pauvretés psychologiques et psychiques et cite
notamment un ouvrage de Jean Vanier et ce qu’il dit plus généralement sur le fait de
considérer les êtres handicapés comme une personne. On parle aussi du risque de juger
les autres, de ces pauvretés et de ces souffrances que l’on cache « encore dans certaines
familles de ces enfants issus de couples en difficulté qui n’osent pas dire leurs
pauvretés. On évoque ensuite la question fondamentale : « qui est notre prochain ? ». En
quoi et comment pouvons-nous trouver notre prochain, celui dont le visage nous
interpelle comme le dit Lévinas. Patrice évoque ces pauvres que Dieu place « là où nous
sommes, le plus souvent autour de nous » : et qui en premier lieu peuvent être notre
conjoint, notre collègue...
Une réflexion s’ouvre ensuite sur l’attitude à adopter, et sur la dialectique du don et de
la dette. Ce ne peut être de la condescendance (une pièce que l’on donne d’en haut),
mais bien une recherche de l’autre dans sa réalité, comme quelqu’un de qui l’on peut
recevoir. Claude évoque alors le schéma des tours. Du haut de la tour, la rencontre n’est
pas possible. Il faut accepter de descendre, de se mettre sous une tente légère, la tente de
la rencontre (cf. Ex. 33) qui est celle où l’on peut aussi se reconnaître fragile. La
personne et sa pauvreté sont à nouveau placés au centre de la discussion. La rencontre
où l’on se reconnaît soi-même pauvre et fragile, n’est-elle pas le lieu de la rencontre et
de l’attention véritables ?. En cela, l’être handicapé, par son sourire nous apporte la joie
de communier avec nous, et F. souligne combien dans les familles où ils naissent,
ils éduquent souvent le cœur de leurs proches et les ouvrent à une vraie générosité («
heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière » disait non sans humour un slogan
de l’Arche). Elle insiste sur l'importance d'être attentif à manifester au plus pauvre ce
qu'il nous apporte et s'en émerveiller afin d'éviter qu'il ne se sente une dette de
reconnaissance à notre égard.
Loin d’une culpabilité stérile, l’interrogation sur l’option préférentielle des pauvres est
une invitation à discerner comment exercer une véritable charité. Pendant le carême, on
insiste notamment sur l’importance de trois efforts : le jeûne, la prière et la charité.
Claude évoque ce point et souligne que le premier des trois n’est certainement pas le
jeûne ou la prière, mais bien la charité qui ouvre nos cœurs à l’autre, et de fait à la
1- qui rassemble les principales encycliques sur la DSE depuis celle de Léon XIII
sincérité de notre prière et de notre jeûne).
On réévoque la question de tout quitter. Un participant rappelle la rencontre du Christ
avec le jeune homme riche, un passage qui l’interpelle directement : « vends ce que tu
as, et suis-moi ». Comme il est difficile pour tous les « riches » que nous sommes de se
déposséder de leurs biens !. Une voix semble possible, néanmoins, dans la double
tension qui s’inscrit entre la contemplation qu’il n’y a de biens que l’on n’ait reçus du
Père et qu’une distanciation - par rapport à cet avoir peut nous permettre de partager
nos richesses (avoirs matériels comme talents reçus que l’on est appelé à tourner vers
les autres).
Finalement, le Christ n’est-il pas ce mendiant qui frappe à notre porte ? Plusieurs
participants évoquent l’attitude du Christ, qui se fait « mendiant » de nous. Il demande à
boire à la Samaritaine (Jn 4), il invite Zachée à descendre pour « demeurer chez lui ». Il
se fait petit et renonce au rang qui l’égalait à Dieu (et que les Pères de l'Église nomment
la kénose du Christ = se vider, s’humilier, cf. Philippiens 3) pour aller à la rencontre de
l’homme. Sœur Térésa a entendu une parole du Christ qui lui disait :« J’ai soif de toi ! ».
Et elle s’est mise en chemin. Si Dieu a soif de nous, de notre humanité, ce n’est pas
pour nous faire entrer dans la culpabilité, mais bien pour nous conduire plus loin, dans
une fragilité reconnue et contagieuse qui pousse chacun à se faire participant d’une
communion « en Christo » (en Christ).
Note :
* § 199 : « Le pauvre, quand il est aimé, « est estimé d’un grand prix », et ceci
différencie l’authentique option pour les pauvres d’une quelconque idéologie, d’une
quelconque intention d’utiliser les pauvres au service d’intérêts personnels ou
politiques. C’est seulement à partir de cette proximité réelle et cordiale que nous
pouvons les accompagner comme il convient sur leur chemin de libération. C’est
seulement cela qui rendra possible que « dans toutes les communautés chrétiennes, les
pauvres se sentent “chez eux”. Ce style ne serait-il pas la présentation la plus grande et
la plus efficace de la Bonne Nouvelle du Royaume ? » Sans l’option préférentielle pour
les plus pauvres « l’annonce de l’Évangile, qui demeure la première des charités, risque
d’être incomprise ou de se noyer dans un flot de paroles auquel la société actuelle de la
communication nous expose quotidiennement ».
Pape François, Evangelii Gaudium (La joie de l’Évangile)

Notes du 10 avril... : Ce cycle de 5 réunions est maintenant achevé. Si vous désirez avoir la suite des Fiches et des compte-rendus, écrivez à l'auteur de ce blog.

20 mars 2014

Saint Phillipe III - La propriété – La destination universelle des biens


2éme rencontre : La propriété – La destination universelle des biens
Suite à la demande de certains, je continue à vous livrer les fiches de nos réunions, et nos compte-rendus

A - La Fiche de préparation

1- La Propriété
Notre relation à la Propriété reflète notre relation à Dieu
Texte : Prière d'ouverture : Luc 12,13-34
12,13 Quelqu'un de la foule dit à Jésus :"Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage."
12,14 Il lui dit :" Homme, qui m'a établi pour être votre juge ou régler vos partages ?"
12,15 Puis il leur dit :"Attention ! gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même de l'abondance, la vie d'un homme n'est pas assurée par ses biens."
12,16 Il leur dit alors une parabole :"Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté.
12,17 Et il se demandait en lui-même :"Que vais-je faire ? car je n'ai pas où recueillir ma récolte. "
12,18 Puis il se dit :"Voici ce que je vais faire : j'abattrai mes greniers, j'en construirai de plus grands, j'y recueillerai tout mon blé et mes biens,
12,19 et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années ; repose-toi, mange, bois, fais la fête."
12,20 Mais Dieu lui dit :"Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l'aura ?"
12,21 Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même, au lieu de s'enrichir en vue de Dieu."

Un apophtegme des Pères du désert :
St Athanase, reclus dans une grotte au désert, voit apparaître un ange à qui il demande :
« Montre-moi un vrai pauvre . »
Il se trouve alors transporté dans un palais à Alexandrie où ruisselait l'or et les richesses et au milieu , se tenait un homme magnifiquement vêtu, riche propriétaire des lieux .
Se retrouvant dans sa grotte, il dit à l'ange :
« Je ne comprends pas : tu viens de me montrer un homme très, très riche ? »
« Cet homme, lui répond l'ange tient moins à ses richesses que toi à ton écuelle et à ta cruche d'eau ... »

«Dans ma famille, nous sommes convaincus que rien ne nous appartient . Au contraire de l'esprit de propriété, nous avons l'esprit de responsabilité . » (La Croix 1/02/2014 : témoignage de Blandine Mulliez de la Fondation Entreprendre )

Questions :
  • Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?
  • Ai-je d'abord le souci de conserver ce que je possède ? - ou est-ce que je cherche à le faire fructifier – ou à l'utiliser en vue de l'intérêt général ?
  • Posséder un bien : est-ce pour moi un privilège ou une responsabilité ?


2 - La destination universelle des biens –
Un principe fort de la Bible : les biens sont donnés pour le bien de tous .


Matthieu
6,19 "Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent.
6,20 Mais amassez-vous des trésors dans le ciel : là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent.
6,21 Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur.
6,22 "La lampe du corps, c'est l'œil. Si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera lumineux.
6,23 Mais si ton œil est malade, ton corps tout entier sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres !
6,24 "Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent.
6,25 "Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?

Tiré d'une allocution du Pape François :
«  Posons-nous une question : à qui appartient cette Maison ? (ou tout autre bien ) Qui en est le Patron – ou le Propriétaire ? N'est-elle pas pour tous ceux qui peuvent y faire l'expérience de l'hospitalité, de la chaleur familiale et d'un soutien pour leur vie . Le véritable maitre de maison, c'est le Seigneur, de qui nous sommes tous disciples, serviteurs de son Evangile . Cela exige que nous cultivions un dialogue constant dans la prière, que nous grandissions dans l'amitié et l'intimité avec Lui, et que nous témoignions de Son amour miséricordieux envers tous . »

1 Cor,13,3 : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien . »

Exécuté dans cet esprit de service, notre « propriété » ou notre « bien » peuvent devenir des occasions de communiquer la joie de faire partie de l'Eglise universelle, telle que Jésus l'a voulue . »...

Questions :

  • La vraie misère dans nos grandes villes n'est-elle pas
    • la solitude – l'absence de relations amicales vraies ? « Suis-je attentif et à l'écoute de ceux qui m'entourent ou que je rencontre ? »
    • la misère spirituelle
« le savoir ne suffit pas à rendre capable de communiquer » : le chrétien à l'image du Christ, c'est « l'homme intégral » : il voit et agit, il est vraiment libre des classifications sociales (ami/ennemi), des stéréotypes . « prendre soin de l'autre, c'est pratiquer le « plus » de la gratuité, être disposé à donner tout ce qu'on possède » - et notamment donner de son temps, dans ce monde où il nous faut faire le choix entre : « le temps, c'est de l'argent ou le temps c'est de l'amour . » ?


Texte tiré du Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise

III. LA DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS
a) Origine et signification
171 Parmi les multiples implications du bien commun, le principe de la destination universelle des
biens revêt une importance immédiate: « Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité
».360 Ce principe se base sur le fait que « la première origine de tout bien est l'acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l'homme, et qui a donné la terre à l'homme pour qu'il la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (cf. Gn 1, 28-29). Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C'est là l'origine de la destination universelle des biens de la terre. En raison de sa fécondité même et de ses possibilités de satisfaire les besoins de l'homme, la terre est le premier don de Dieu pour la subsistance humaine
...
172 Le principe de la destination universelle des biens de la terre est à la base du droit universel à
l'usage des biens. ... Il s'agit avant tout d'un droit naturel, inscrit dans la nature de l'homme, et non pas simplement d'un droit positif, lié à la contingence historique ...

173 La mise en oeuvre concrète du principe de la destination universelle des biens, selon les
différents contextes culturels et sociaux, implique une définition précise des modes, des limites et
des objets. Destination et usage universel ne signifient pas que tout soit à la disposition de chacun
ou de tous, ni même que la même chose serve ou appartienne à chacun ou à tous. S'il est vrai que tous naissent avec le droit à l'usage des biens, il est tout aussi vrai que, pour en assurer un exercice équitable et ordonné, des interventions réglementées sont nécessaires, fruits d'accords nationaux et internationaux, ainsi qu'un ordre juridique qui détermine et spécifie cet exercice.
174 Le principe de la destination universelle des biens invite à cultiver une vision de l'économie
inspirée des valeurs morales qui permettent de ne jamais perdre de vue ni l'origine, ni la finalité de
ces biens, de façon à réaliser un monde juste et solidaire, où la formation de la richesse puisse
revêtir une fonction positive. ...
175 La destination universelle des biens comporte un effort commun visant à obtenir pour chaque personne et pour tous les peuples les conditions nécessaires au développement intégral, de sorte que tous puissent contribuer à la promotion d'un monde plus humain, « où
chacun puisse donner et recevoir, et où le progrès des uns ne sera pas un obstacle au
développement des autres, ni un prétexte à leur asservissement ».367 Ce principe correspond à
l'appel adressé incessamment par l'Évangile aux personnes et aux sociétés de tous les temps,
toujours exposées aux tentations de la soif de possession, auxquelles le Seigneur a voulu se
soumettre (cf. Mc 1, 12-13; Mt 4, 1- 11; Lc 4, 1-13) afin de nous enseigner le chemin pour les
surmonter avec sa grâce.
b) Destination universelle des biens et propriété privée
176 Par le travail, l'homme, utilisant son intelligence, parvient à dominer la terre et à en faire sa
digne demeure: « Il s'approprie ainsi une partie de la terre, celle qu'il s'est acquise par son travail.
C'est là l'origine de la propriété individuelle ».
... La doctrine sociale exige que la propriété des biens soit équitablement accessible à tous,
371
177 La tradition chrétienne n'a jamais reconnu le droit à la propriété privée comme absolu ni intouchable: « Au contraire, elle l'a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création entière: le droit à la propriété privée est
subordonné à celui de l'usage commun, à la destination universelle des biens ».372 Le principe de la destination universelle des biens affirme à la fois la seigneurie pleine et entière de Dieu sur toute réalité et l'exigence que les biens de la création demeurent finalisés et destinés au développement de tout l'homme et de l'humanité tout entière.373 Ce principe ne s'oppose pas au droit de propriété,374 mais indique la nécessité de le réglementer.
...
178 L'enseignement social de l'Église exhorte à reconnaître la fonction sociale de toute forme de possession privée,376 avec une référence claire aux exigences incontournables du bien commun.377 L'homme « ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme n'appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes: en ce sens qu'elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres ».378 La destination universelle des biens comporte, pour leur usage, des obligations de la part de leurs propriétaires légitimes. L'individu ne peut pas agir sans tenir compte des effets de l'usage de ses ressources, mais il doit agir de façon à poursuivre aussi, au-delà de son avantage personnel et familial, le bien commun. Il s'ensuit un devoir de la part des propriétaires de ne pas laisser improductifs les biens possédés, mais de les destiner à l'activité productive, notamment en les confiant à ceux qui ont le désir et les capacités de
les faire fructifier.
179 En mettant à la disposition de la société des biens nouveaux, tout à fait inconnus jusqu'à une
époque récente, la phase historique actuelle impose une relecture du principe de la destination
universelle des biens de la terre, en en rendant nécessaire une extension qui comprenne aussi les
fruits du récent progrès économique et technologique. La propriété des nouveaux biens, issus de la
connaissance, de la technique et du savoir, devient toujours plus décisive, car « la richesse des pays
industrialisés se fonde bien plus sur ce type de propriété que sur celui des ressources naturelles
».379
Les nouvelles connaissances techniques et scientifiques doivent être mises au service des besoins primordiaux de l'homme, afin que le patrimoine commun de l'humanité puisse progressivement s'accroître. La pleine mise en pratique du principe de la destination universelle des biens requiert par conséquent des actions au niveau international et des initiatives programmées par tous les pays:
...
180 Si, dans le processus économique et social, des formes de propriété inconnues par le passé
acquièrent une importance notoire, il ne faut pas oublier pour autant les formes traditionnelles de
propriété. La propriété individuelle n'est pas la seule forme légitime de possession. L'ancienne
forme de propriété communautaire revêt également une importance particulière; bien que présente
aussi dans les pays économiquement avancés, elle caractérise particulièrement la structure sociale
de nombreux peuples indigènes. C'est une forme de propriété qui a une incidence si profonde sur la
vie économique, culturelle et politique de ces peuples qu'elle constitue un élément fondamental de
leur survie et de leur bien-être. La défense et la mise en valeur de la propriété communautaire ne
doivent cependant pas exclure la conscience du fait que ce type de propriété est lui aussi destiné à
évoluer. Agir de façon à ne garantir que sa conservation signifierait courir le risque de la lier au
passé et ainsi de la compromettre.381
...
181 Une série d'avantages objectifs dérive de la propriété pour le sujet propriétaire, qu'il s'agisse
d'un individu ou d'une communauté: conditions de vie meilleure, sécurité pour l'avenir, plus vastes
opportunités de choix. Par ailleurs, une série de promesses illusoires et tentatrices peut aussi
provenir de la propriété. L'homme ou la société qui arrivent au point de lui attribuer un rôle absolu
finissent par faire l'expérience de l'esclavage le plus radical. Aucune possession, en effet, ne peut
être considérée comme indifférente à cause de l'influence qu'elle a aussi bien sur les individus que
sur les institutions: le propriétaire imprudent qui idolâtre ses biens (cf. Mt 6, 24; 19, 21-26; Lc 16,
13) vient à en être possédé et asservi plus que jamais.383 Ce n'est qu'en reconnaissant leur
dépendance vis-à-vis du Dieu Créateur et en les finalisant par conséquent au bien commun qu'il est possible de conférer aux biens matériels la fonction d'instruments utiles à la croissance des hommes et des peuples.


B - Le compte rendu

De la propriété et de la destination universelle des biens - 19 mars 2014
Le groupe se réunit pour la deuxième fois, aussi nombreux que la semaine
dernière, comptant près d’une dizaine de nouveaux venus. Claude accueille
chacun et invite à un bref tour de table. Les sandwichs et les mandarines
couvrent les tables autour desquelles le groupe se rassemble. On lit la prière
d’ouverture : « Attention ! Gardez-vous de toute cupidité, car au sein même de
l’abondance, la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens » (Luc 12 ,13-3).
Florence présente le sujet en soulignant la perspective : notre relation à la
propriété reflète notre relation à Dieu. Elle met en exergue cette phrase de
Blandine Mulliez de la Fondation Entreprendre : « Dans ma famille, nous sommes
convaincus que rien ne nous appartient ; au contraire de l’esprit de propriété,
nous avons l’esprit de responsabilité. »
La discussion s’ouvre sur le respect des biens – et de leur origine – ainsi que sur
la responsabilité inhérente à leur détention. Quel usage fait-on des biens que l’on
a gagnés ou dont on a hérités? La question de l’usage des biens semble en effet
au cœur de la préoccupation de l’Eglise. Il s’agit pour chacun de s’interroger sur
la façon dont il use de ses richesses : les garde-t-on pour soi, y mettons- nous
notre confiance et notre repos – comme le riche de la parabole - dans une
attitude d’avarice, sans référence à Dieu, en usons-nous comme les adolescents
pour exister et se différencier, se comparer, envier, dans une attitude d’« être par
l’avoir » ? Ou bien, savons-nous user de détachement par rapport à nos biens,
les partager avec d’autres, les faire fructifier, les mettre au service d’autrui ?
L’apophtegme cité où st Athanase demande à un ange de lui montrer un vrai
pauvre renvoie à cet attachement malade que le Christ vient soigner : « Je ne
comprends pas, dit-il à l’ange. Tu viens de me montrer un homme très, très
riche ! Mais l’ange lui répondit : Cet homme, tient moins à ses richesses que toi à
ton écuelle et à ta cruche d’eau... »
Ce détachement peut se décliner au niveau les plus simples des vêtements ou
des livres que l’on possède ou plus largement des propriétés héritées ou de
grands biens gérés. Deux participantes font état de la philanthropie et du
détachement dont témoignent certains de leurs clients dont elles gèrent le
patrimoine ou la transmission. Faire fructifier ses biens, en pleine foi et
conscience de la responsabilité qu’ils nous donnent vis-à-vis des autres est
fortement souligné par l’ensemble des participants. Ces remarques font écho aux
articles du Compendium : « 178 - L’enseignement social de l’Eglise exhorte à
reconnaître la fonction sociale de toute forme de possession privée, 376 - avec
une référence claire aux exigences incontournables du bien commun.377-
L’homme ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme
n’appartenant qu’à lui, mais les regarder comme communes : en ce sens qu’elles
puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres. » (Compendium de
la Doctrine Sociale de l’Eglise)
Une participante s’interroge cependant sur le sens de la propriété privée : ne
faut-il pas tout donner pour suivre le Christ, comme il nous y invite ? Et qu’est-ce
que le respect de ses biens quand on en a peu ? Ou qu’ils sont le résultat d’un
enrichissement au détriment des autres ?
Après divers échanges sur la question, il semble que ces questions renvoient
d’abord à la vocation personnelle de chacun et à son appel possible à une vie
communautaire, laïque ou monastique. D’autre part, elle soulève la question de
l’usage équitable des biens (et par association d'idée au commerce équitable) et
de la dimension politique de la propriété.
En somme, la propriété privée est-elle légitime aux yeux de l’Eglise ? Ce débat
est ancien, et le contexte historique de l’encyclique Rerum Novarum au début du
siècle l’a réactualisé comme l’explique l’article du Ceras (1):« C’est bien dans le
contexte polémique d’une argumentation contre la proposition socialiste de
supprimer la propriété privée que Léon XIII évoque le « fait que Dieu a donné la
terre au genre humain pour qu’il l’utilise et en jouisse » (Rerum novarum, 7,1).
L’article du Ceras poursuit : « La suite du texte confirme bien qu’il s’agit d’un
débat entre propriété privée et propriété collective : ‘Si l’on dit que Dieu a donné
la terre en commun aux hommes, cela signifie non pas qu’ils doivent la posséder
confusément, mais que Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier. Il
a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux
institutions des peuples’. »
Une participante souligne que la Doctrine sociale de l’Eglise invite en fait tout
chrétien à considérer la propriété matérielle dans une perspective universelle
supérieure : « la destination universelle des biens doit prévaloir sur le droit de
propriété » (Populorum Progressio, PP 22-23). Le Magistère formule
progressivement ce principe fondateur qui s’enracine dans la plus ancienne
tradition de l’Eglise - et s’appuie sur St Ambroise de Milan, qui l’exprimait ainsi au
IVe siècle: « Ce n’est pas de ton bien que tu fais largesse au pauvre ; tu lui rends
ce qui lui appartient. Car ce qui est donné en commun pour l’usage de tous, voilà
ce que tu t’arroges. La terre est donnée à tout le monde, et pas seulement aux
riches. »
La propriété privée est donc un droit reconnu et estimé par l’Eglise dans la limite
de « l’obligation fondamentale d’accorder une propriété privée autant que
possible à tous » (Radio message du 24 décembre 1942). Le droit à la propriété
est ainsi soumis au principe de « destination universelle des biens ». Jean-Paul
II le réaffirme à la suite des papes qui l’ont précédé: « La tradition chrétienne n’a
jamais soutenu ce droit de propriété comme un droit absolu et intangible. Au
contraire, elle l’a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun
de tous à utiliser les biens de la création entière : le droit à la propriété privée est
subordonné à celui de l’usage commun, à la destination universelle des biens. »
(Laborem exercens, LE 14)
Claude remarque que ce principe éclaire aujourd’hui le jugement de l’Eglise sur
des réalités économiques et sociales comme les latifundia en Amérique latine.
Elle a permis à Vatican II de rappeler la nécessité des réformes sociales et
agraires dans certains pays pauvres où il existe « des domaines ruraux étendus
et même immenses, médiocrement cultivés ou mis en réserve à des fins de
spéculation ». (Gaudium et spes, GS 71,6). Une participante lui fait écho en
évoquant la situation inédite – et difficilement supportable - d’aujourd’hui où l’on
assiste, impuissants, à l’accaparement privé des semences de la terre par les
grandes industries semencières de la planète et à une législation européenne en
leur faveur...
Cependant, les biens que l’on possède peuvent aussi être immatériels, comme le
temps dont on dispose, les talents reçus (formation, valeurs,...). B. évoque
un monde de solitude dans les grandes villes contemporaines. F. invoque
st Paul : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais
mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » (1 Cor, 13-3)
Comment usons-nous de notre temps ? L’utilisons-nous à des fins d’argent ou au
service du prochain- un prochain qui peut être une personne isolée, un indigent,
malade, collaborateur ou dirigeant en souffrance ? L’Eglise invite finalement
chacun à s’interroger sur lui-même et à trouver le chemin de l’amour et de la
justice. Un amour qui sait se faire inventif et œuvrer humblement où il se trouve.
Et, se laissant saisir, apprend, comme le disait merveilleusement Olivier Clément,
à réouvrir à Dieu sa Création.
Notes