27 mars 2014

Saint Philippe - IV- 3ème rencontre : L'attention aux plus pauvres


A - La Fiche

Prière d'ouverture

Parabole de Lazare et du riche (Lc 16, 19-31)

19 « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. 20 Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. 21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
22 Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. 23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui. 24 Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. 25 – Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. 26 Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”

27 Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. 28 En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !” 29 Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! 30 – Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.” 31 Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »

L'option préférentielle pour les pauvres

Les disciples du Christ sont appelés à renouveler toujours mieux en eux-mêmes la conscience de ceci: on ne peut séparer la vérité sur Dieu qui sauve, sur Dieu qui est source de tout don, de la manifestation de son amour préférentiel pour les pauvres et les humbles. Dans toute l'Écriture, l'amour préférentiel de Dieu pour les pauvres est affirmé:

"Certes, le malheureux ne disparaîtra pas de ce pays. Aussi je te donne ce commandement : tu ouvriras tout grand ta main pour ton frère quand il est, dans ton pays, pauvre et malheureux."
(Dt 15, 11)

"Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci :
faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug,
rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ?
N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim,
accueillir chez toi les pauvres sans abri,
couvrir celui que tu verras sans vêtement,
ne pas te dérober à ton semblable ?
Si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires,
et si tu combles les désirs du malheureux,
ta lumière se lèvera dans les ténèbres
et ton obscurité sera lumière de midi."
(Isaïe 58, 6-7.10)

"L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles,
guérir ceux qui ont le cœur brisé,
proclamer aux captifs leur délivrance,
aux prisonniers leur libération."
(Isaïe 61, 1)

"Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides."
(Lc 1, 50-53)

Destination universelle des biens et option préférentielle pour les pauvres
CDSE 182
Le principe de la destination universelle des biens requiert d'accorder une sollicitude particulière aux pauvres, à ceux qui se trouvent dans des situations de marginalité et, en tout cas, aux personnes dont les conditions de vie entravent une croissance appropriée. À ce propos il faut réaffirmer, dans toute sa force, l'option préférentielle pour les pauvres (a) :
« C'est là une option, ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l'Église. Elle concerne la vie de chaque chrétien, en tant qu'il imite la vie du Christ, mais elle s'applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l'usage des biens.
Mais aujourd'hui, étant donné la dimension mondiale qu'a prise la question sociale, cet amour préférentiel, de même que les décisions qu'il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans espérance d'un avenir meilleur ». (b)

(a) Jean-Paul II, Discours à la IIIème Conférence Générale de l'Épiscopat latino-américain, Puebla (1979)
(b) Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, 42, qui continue ainsi:
On ne peut pas ne pas prendre acte de l'existence de ces réalités. Les ignorer reviendrait à s'identifier au «riche bon vivant» qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail.
Et il ne faudra pas négliger, dans l'engagement pour les pauvres, la forme spéciale de pauvreté qu'est la privation des droits fondamentaux de la personne, en particulier du droit à la liberté religieuse, et, par ailleurs, du droit à l'initiative économique.

CDSE 183
La misère humaine est le signe évident de la condition de faiblesse de l'homme et de son besoin de salut (CEC 2448). Le Christ Sauveur a eu pitié d'elle, lui qui s'est identifié à ceux qu'il appelait les « plus petits de mes frères »:
Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”
(Mt 25, 40.45)
Jésus dit: "Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours." (Jn 12, 8) non pas pour opposer au service des pauvres l'attention qui lui est accordée. Si, d'une part, le réalisme chrétien apprécie les efforts louables faits pour vaincre la pauvreté, de l'autre il met en garde contre les positions idéologiques et contre les messianismes qui alimentent l'illusion d'éliminer totalement de ce monde le problème de la pauvreté. Cela n'adviendra qu'au retour du Christ, quand il sera de nouveau avec nous pour toujours. Entre-temps, les pauvres nous sont confiés et c'est sur cette responsabilité que nous serons jugés à la fin : « Notre Seigneur nous avertit que nous serons séparés de lui si nous omettons de rencontrer les besoins graves des pauvres et des petits qui sont ses frères » (CEC 1034 L'enfer).

CDSE 184
L'amour de l'Église pour les pauvres s'inspire de l'Évangile des béatitudes, de la pauvreté de Jésus et de son attention envers les pauvres. Cet amour concerne la pauvreté matérielle aussi bien que les nombreuses formes de pauvreté culturelle et religieuse (CEC 2444).
… S'inspirant du précepte évangélique « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8), l'Église enseigne à secourir le prochain selon ses divers besoins et accomplit largement dans la communauté humaine d'innombrables œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles: « Parmi ces gestes, l'aumône faite aux pauvres est un des principaux témoignages de la charité fraternelle: elle est aussi une pratique de justice qui plaît à Dieu », même si la pratique de la charité ne se réduit pas à l'aumône, mais implique l'attention à la dimension sociale et politique du problème de la pauvreté. L'enseignement de l'Église revient constamment sur le rapport entre charité et justice: « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Plus qu'accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice » (st Grégoire le Grand). Les Pères conciliaires recommandent fortement d'accomplir ce devoir « de peur que l'on n'offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice ». L'amour pour les pauvres est certainement « incompatible avec l'amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste » (CEC 2445).

La coopération internationale pour le développement : dont la lutte contre la pauvreté
CDSE 449
… La pauvreté pose un dramatique problème de justice: la pauvreté, sous ses différentes formes et conséquences, se caractérise par une croissance inégale et ne reconnaît pas à chaque peuple « le même droit à “s'asseoir à la table du festin” ». Cette pauvreté rend impossible la réalisation de l'humanisme plénier que l'Église souhaite et poursuit, afin que les personnes et les peuples puissent « être plus » et vivre dans « des conditions plus humaines ». La lutte contre la pauvreté trouve une forte motivation dans l'option - ou amour préférentiel - de l'Église pour les pauvres … Le principe de la solidarité, notamment dans la lutte contre la pauvreté, doit toujours être opportunément associé à celui de la subsidiarité, grâce auquel il est possible de stimuler l'esprit d'initiative, base fondamentale de tout développement socio-économique, dans les pays pauvres eux-mêmes: il faut porter attention aux pauvres « non comme à un problème, mais comme à des personnes qui peuvent devenir sujets et protagonistes d'un avenir nouveau et plus humain pour tous ».

Pistes pour les échanges

- Mon regard sur la pauvreté s’inscrit dans ma nature d’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Ce qui m’inspire, ce n’est pas de la compassion, ou de la commisération, ou une morale culpabilisante plus ou moins bien digérée; c'est le fait que le Seigneur s’est fait extrêmement pauvre pour que je puis ressentir un peu de l’amour qu’Il me porte en étant invité à porter sur celui qui dépend de moi, le même regard d’amour.

- Le pauvre est une personne, c’est quelqu’un. Ce n’est pas « un pauvre », ni « la pauvreté ». C’est une personne dont l’accès aux conditions d’épanouissement, au bien commun, peut dépendre de moi; c’est une personne qui, d’une façon ou d’une autre, est dépendante des actes que, moi, je poserai (ou non).

- Choisir son pauvre c’est échapper à la banalité abstraite des bons sentiments pour donner un nom à celui-là, cette personne-là. C’est prendre conscience que les pauvretés sont multiples. Celui que j'ai choisi n’a que faire de mes discours : il me faut agir parce que j’ai choisi celui-ci ou celle-ci comme pauvre frère ou sœur pauvre, qui existe et qui m’attend. Choisir ce pauvre avec son nom, c’est faire un acte engageant, et c’est se sentir de même nommé et choisi par Dieu.
Un fioretti de St Vincent de Paul : « Comme St Vincent se plaignait de ne pas en faire assez pour les pauvres, il s’entendit dire : « Vincent, je ne te demande pas de t’occuper des pauvres, je te demande de t’occuper des pauvres que je te donne » ».

- Le complexe de la parabole du jeune homme riche: "comme je ne suis pas capable de suivre Jésus en vendant tout et en donnant aux pauvres, je ne serai jamais un « vrai » chrétien." Dans le plan de Dieu, l’immense majorité de chrétiens ne sont pas appelés à tout quitter pour suivre Jésus et pourtant, ils sont appelés à suivre Jésus et devenir des saints. Comment répondre à cet appel de Jésus de devenir des saints sans qu’Il nous demande de tout quitter pour Le suivre ?

B - Compte rendu


P., diacre permanent à SPDR nous présente le texte qu’il a préparé, issu notamment
du Compendium de la Doctrine Sociale de l'Église (C-DSE1) et du Catéchisme de
l'Église Catholique (CEC). Il précise qu’il faudrait ajouter les écrits récents du Pape,
notamment dans Evangelii Gaudium*.
On s’interroge ensuite sur la notion de pauvreté qui n’est pas qu’une pauvreté
matérielle. Une participante évoque les pauvretés psychologiques et psychiques et cite
notamment un ouvrage de Jean Vanier et ce qu’il dit plus généralement sur le fait de
considérer les êtres handicapés comme une personne. On parle aussi du risque de juger
les autres, de ces pauvretés et de ces souffrances que l’on cache « encore dans certaines
familles de ces enfants issus de couples en difficulté qui n’osent pas dire leurs
pauvretés. On évoque ensuite la question fondamentale : « qui est notre prochain ? ». En
quoi et comment pouvons-nous trouver notre prochain, celui dont le visage nous
interpelle comme le dit Lévinas. Patrice évoque ces pauvres que Dieu place « là où nous
sommes, le plus souvent autour de nous » : et qui en premier lieu peuvent être notre
conjoint, notre collègue...
Une réflexion s’ouvre ensuite sur l’attitude à adopter, et sur la dialectique du don et de
la dette. Ce ne peut être de la condescendance (une pièce que l’on donne d’en haut),
mais bien une recherche de l’autre dans sa réalité, comme quelqu’un de qui l’on peut
recevoir. Claude évoque alors le schéma des tours. Du haut de la tour, la rencontre n’est
pas possible. Il faut accepter de descendre, de se mettre sous une tente légère, la tente de
la rencontre (cf. Ex. 33) qui est celle où l’on peut aussi se reconnaître fragile. La
personne et sa pauvreté sont à nouveau placés au centre de la discussion. La rencontre
où l’on se reconnaît soi-même pauvre et fragile, n’est-elle pas le lieu de la rencontre et
de l’attention véritables ?. En cela, l’être handicapé, par son sourire nous apporte la joie
de communier avec nous, et F. souligne combien dans les familles où ils naissent,
ils éduquent souvent le cœur de leurs proches et les ouvrent à une vraie générosité («
heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière » disait non sans humour un slogan
de l’Arche). Elle insiste sur l'importance d'être attentif à manifester au plus pauvre ce
qu'il nous apporte et s'en émerveiller afin d'éviter qu'il ne se sente une dette de
reconnaissance à notre égard.
Loin d’une culpabilité stérile, l’interrogation sur l’option préférentielle des pauvres est
une invitation à discerner comment exercer une véritable charité. Pendant le carême, on
insiste notamment sur l’importance de trois efforts : le jeûne, la prière et la charité.
Claude évoque ce point et souligne que le premier des trois n’est certainement pas le
jeûne ou la prière, mais bien la charité qui ouvre nos cœurs à l’autre, et de fait à la
1- qui rassemble les principales encycliques sur la DSE depuis celle de Léon XIII
sincérité de notre prière et de notre jeûne).
On réévoque la question de tout quitter. Un participant rappelle la rencontre du Christ
avec le jeune homme riche, un passage qui l’interpelle directement : « vends ce que tu
as, et suis-moi ». Comme il est difficile pour tous les « riches » que nous sommes de se
déposséder de leurs biens !. Une voix semble possible, néanmoins, dans la double
tension qui s’inscrit entre la contemplation qu’il n’y a de biens que l’on n’ait reçus du
Père et qu’une distanciation - par rapport à cet avoir peut nous permettre de partager
nos richesses (avoirs matériels comme talents reçus que l’on est appelé à tourner vers
les autres).
Finalement, le Christ n’est-il pas ce mendiant qui frappe à notre porte ? Plusieurs
participants évoquent l’attitude du Christ, qui se fait « mendiant » de nous. Il demande à
boire à la Samaritaine (Jn 4), il invite Zachée à descendre pour « demeurer chez lui ». Il
se fait petit et renonce au rang qui l’égalait à Dieu (et que les Pères de l'Église nomment
la kénose du Christ = se vider, s’humilier, cf. Philippiens 3) pour aller à la rencontre de
l’homme. Sœur Térésa a entendu une parole du Christ qui lui disait :« J’ai soif de toi ! ».
Et elle s’est mise en chemin. Si Dieu a soif de nous, de notre humanité, ce n’est pas
pour nous faire entrer dans la culpabilité, mais bien pour nous conduire plus loin, dans
une fragilité reconnue et contagieuse qui pousse chacun à se faire participant d’une
communion « en Christo » (en Christ).
Note :
* § 199 : « Le pauvre, quand il est aimé, « est estimé d’un grand prix », et ceci
différencie l’authentique option pour les pauvres d’une quelconque idéologie, d’une
quelconque intention d’utiliser les pauvres au service d’intérêts personnels ou
politiques. C’est seulement à partir de cette proximité réelle et cordiale que nous
pouvons les accompagner comme il convient sur leur chemin de libération. C’est
seulement cela qui rendra possible que « dans toutes les communautés chrétiennes, les
pauvres se sentent “chez eux”. Ce style ne serait-il pas la présentation la plus grande et
la plus efficace de la Bonne Nouvelle du Royaume ? » Sans l’option préférentielle pour
les plus pauvres « l’annonce de l’Évangile, qui demeure la première des charités, risque
d’être incomprise ou de se noyer dans un flot de paroles auquel la société actuelle de la
communication nous expose quotidiennement ».
Pape François, Evangelii Gaudium (La joie de l’Évangile)

Notes du 10 avril... : Ce cycle de 5 réunions est maintenant achevé. Si vous désirez avoir la suite des Fiches et des compte-rendus, écrivez à l'auteur de ce blog.

20 mars 2014

Saint Phillipe III - La propriété – La destination universelle des biens


2éme rencontre : La propriété – La destination universelle des biens
Suite à la demande de certains, je continue à vous livrer les fiches de nos réunions, et nos compte-rendus

A - La Fiche de préparation

1- La Propriété
Notre relation à la Propriété reflète notre relation à Dieu
Texte : Prière d'ouverture : Luc 12,13-34
12,13 Quelqu'un de la foule dit à Jésus :"Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage."
12,14 Il lui dit :" Homme, qui m'a établi pour être votre juge ou régler vos partages ?"
12,15 Puis il leur dit :"Attention ! gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même de l'abondance, la vie d'un homme n'est pas assurée par ses biens."
12,16 Il leur dit alors une parabole :"Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté.
12,17 Et il se demandait en lui-même :"Que vais-je faire ? car je n'ai pas où recueillir ma récolte. "
12,18 Puis il se dit :"Voici ce que je vais faire : j'abattrai mes greniers, j'en construirai de plus grands, j'y recueillerai tout mon blé et mes biens,
12,19 et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années ; repose-toi, mange, bois, fais la fête."
12,20 Mais Dieu lui dit :"Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l'aura ?"
12,21 Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même, au lieu de s'enrichir en vue de Dieu."

Un apophtegme des Pères du désert :
St Athanase, reclus dans une grotte au désert, voit apparaître un ange à qui il demande :
« Montre-moi un vrai pauvre . »
Il se trouve alors transporté dans un palais à Alexandrie où ruisselait l'or et les richesses et au milieu , se tenait un homme magnifiquement vêtu, riche propriétaire des lieux .
Se retrouvant dans sa grotte, il dit à l'ange :
« Je ne comprends pas : tu viens de me montrer un homme très, très riche ? »
« Cet homme, lui répond l'ange tient moins à ses richesses que toi à ton écuelle et à ta cruche d'eau ... »

«Dans ma famille, nous sommes convaincus que rien ne nous appartient . Au contraire de l'esprit de propriété, nous avons l'esprit de responsabilité . » (La Croix 1/02/2014 : témoignage de Blandine Mulliez de la Fondation Entreprendre )

Questions :
  • Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?
  • Ai-je d'abord le souci de conserver ce que je possède ? - ou est-ce que je cherche à le faire fructifier – ou à l'utiliser en vue de l'intérêt général ?
  • Posséder un bien : est-ce pour moi un privilège ou une responsabilité ?


2 - La destination universelle des biens –
Un principe fort de la Bible : les biens sont donnés pour le bien de tous .


Matthieu
6,19 "Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent.
6,20 Mais amassez-vous des trésors dans le ciel : là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent.
6,21 Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur.
6,22 "La lampe du corps, c'est l'œil. Si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera lumineux.
6,23 Mais si ton œil est malade, ton corps tout entier sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres !
6,24 "Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent.
6,25 "Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?

Tiré d'une allocution du Pape François :
«  Posons-nous une question : à qui appartient cette Maison ? (ou tout autre bien ) Qui en est le Patron – ou le Propriétaire ? N'est-elle pas pour tous ceux qui peuvent y faire l'expérience de l'hospitalité, de la chaleur familiale et d'un soutien pour leur vie . Le véritable maitre de maison, c'est le Seigneur, de qui nous sommes tous disciples, serviteurs de son Evangile . Cela exige que nous cultivions un dialogue constant dans la prière, que nous grandissions dans l'amitié et l'intimité avec Lui, et que nous témoignions de Son amour miséricordieux envers tous . »

1 Cor,13,3 : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien . »

Exécuté dans cet esprit de service, notre « propriété » ou notre « bien » peuvent devenir des occasions de communiquer la joie de faire partie de l'Eglise universelle, telle que Jésus l'a voulue . »...

Questions :

  • La vraie misère dans nos grandes villes n'est-elle pas
    • la solitude – l'absence de relations amicales vraies ? « Suis-je attentif et à l'écoute de ceux qui m'entourent ou que je rencontre ? »
    • la misère spirituelle
« le savoir ne suffit pas à rendre capable de communiquer » : le chrétien à l'image du Christ, c'est « l'homme intégral » : il voit et agit, il est vraiment libre des classifications sociales (ami/ennemi), des stéréotypes . « prendre soin de l'autre, c'est pratiquer le « plus » de la gratuité, être disposé à donner tout ce qu'on possède » - et notamment donner de son temps, dans ce monde où il nous faut faire le choix entre : « le temps, c'est de l'argent ou le temps c'est de l'amour . » ?


Texte tiré du Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise

III. LA DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS
a) Origine et signification
171 Parmi les multiples implications du bien commun, le principe de la destination universelle des
biens revêt une importance immédiate: « Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité
».360 Ce principe se base sur le fait que « la première origine de tout bien est l'acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l'homme, et qui a donné la terre à l'homme pour qu'il la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (cf. Gn 1, 28-29). Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C'est là l'origine de la destination universelle des biens de la terre. En raison de sa fécondité même et de ses possibilités de satisfaire les besoins de l'homme, la terre est le premier don de Dieu pour la subsistance humaine
...
172 Le principe de la destination universelle des biens de la terre est à la base du droit universel à
l'usage des biens. ... Il s'agit avant tout d'un droit naturel, inscrit dans la nature de l'homme, et non pas simplement d'un droit positif, lié à la contingence historique ...

173 La mise en oeuvre concrète du principe de la destination universelle des biens, selon les
différents contextes culturels et sociaux, implique une définition précise des modes, des limites et
des objets. Destination et usage universel ne signifient pas que tout soit à la disposition de chacun
ou de tous, ni même que la même chose serve ou appartienne à chacun ou à tous. S'il est vrai que tous naissent avec le droit à l'usage des biens, il est tout aussi vrai que, pour en assurer un exercice équitable et ordonné, des interventions réglementées sont nécessaires, fruits d'accords nationaux et internationaux, ainsi qu'un ordre juridique qui détermine et spécifie cet exercice.
174 Le principe de la destination universelle des biens invite à cultiver une vision de l'économie
inspirée des valeurs morales qui permettent de ne jamais perdre de vue ni l'origine, ni la finalité de
ces biens, de façon à réaliser un monde juste et solidaire, où la formation de la richesse puisse
revêtir une fonction positive. ...
175 La destination universelle des biens comporte un effort commun visant à obtenir pour chaque personne et pour tous les peuples les conditions nécessaires au développement intégral, de sorte que tous puissent contribuer à la promotion d'un monde plus humain, « où
chacun puisse donner et recevoir, et où le progrès des uns ne sera pas un obstacle au
développement des autres, ni un prétexte à leur asservissement ».367 Ce principe correspond à
l'appel adressé incessamment par l'Évangile aux personnes et aux sociétés de tous les temps,
toujours exposées aux tentations de la soif de possession, auxquelles le Seigneur a voulu se
soumettre (cf. Mc 1, 12-13; Mt 4, 1- 11; Lc 4, 1-13) afin de nous enseigner le chemin pour les
surmonter avec sa grâce.
b) Destination universelle des biens et propriété privée
176 Par le travail, l'homme, utilisant son intelligence, parvient à dominer la terre et à en faire sa
digne demeure: « Il s'approprie ainsi une partie de la terre, celle qu'il s'est acquise par son travail.
C'est là l'origine de la propriété individuelle ».
... La doctrine sociale exige que la propriété des biens soit équitablement accessible à tous,
371
177 La tradition chrétienne n'a jamais reconnu le droit à la propriété privée comme absolu ni intouchable: « Au contraire, elle l'a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création entière: le droit à la propriété privée est
subordonné à celui de l'usage commun, à la destination universelle des biens ».372 Le principe de la destination universelle des biens affirme à la fois la seigneurie pleine et entière de Dieu sur toute réalité et l'exigence que les biens de la création demeurent finalisés et destinés au développement de tout l'homme et de l'humanité tout entière.373 Ce principe ne s'oppose pas au droit de propriété,374 mais indique la nécessité de le réglementer.
...
178 L'enseignement social de l'Église exhorte à reconnaître la fonction sociale de toute forme de possession privée,376 avec une référence claire aux exigences incontournables du bien commun.377 L'homme « ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme n'appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes: en ce sens qu'elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres ».378 La destination universelle des biens comporte, pour leur usage, des obligations de la part de leurs propriétaires légitimes. L'individu ne peut pas agir sans tenir compte des effets de l'usage de ses ressources, mais il doit agir de façon à poursuivre aussi, au-delà de son avantage personnel et familial, le bien commun. Il s'ensuit un devoir de la part des propriétaires de ne pas laisser improductifs les biens possédés, mais de les destiner à l'activité productive, notamment en les confiant à ceux qui ont le désir et les capacités de
les faire fructifier.
179 En mettant à la disposition de la société des biens nouveaux, tout à fait inconnus jusqu'à une
époque récente, la phase historique actuelle impose une relecture du principe de la destination
universelle des biens de la terre, en en rendant nécessaire une extension qui comprenne aussi les
fruits du récent progrès économique et technologique. La propriété des nouveaux biens, issus de la
connaissance, de la technique et du savoir, devient toujours plus décisive, car « la richesse des pays
industrialisés se fonde bien plus sur ce type de propriété que sur celui des ressources naturelles
».379
Les nouvelles connaissances techniques et scientifiques doivent être mises au service des besoins primordiaux de l'homme, afin que le patrimoine commun de l'humanité puisse progressivement s'accroître. La pleine mise en pratique du principe de la destination universelle des biens requiert par conséquent des actions au niveau international et des initiatives programmées par tous les pays:
...
180 Si, dans le processus économique et social, des formes de propriété inconnues par le passé
acquièrent une importance notoire, il ne faut pas oublier pour autant les formes traditionnelles de
propriété. La propriété individuelle n'est pas la seule forme légitime de possession. L'ancienne
forme de propriété communautaire revêt également une importance particulière; bien que présente
aussi dans les pays économiquement avancés, elle caractérise particulièrement la structure sociale
de nombreux peuples indigènes. C'est une forme de propriété qui a une incidence si profonde sur la
vie économique, culturelle et politique de ces peuples qu'elle constitue un élément fondamental de
leur survie et de leur bien-être. La défense et la mise en valeur de la propriété communautaire ne
doivent cependant pas exclure la conscience du fait que ce type de propriété est lui aussi destiné à
évoluer. Agir de façon à ne garantir que sa conservation signifierait courir le risque de la lier au
passé et ainsi de la compromettre.381
...
181 Une série d'avantages objectifs dérive de la propriété pour le sujet propriétaire, qu'il s'agisse
d'un individu ou d'une communauté: conditions de vie meilleure, sécurité pour l'avenir, plus vastes
opportunités de choix. Par ailleurs, une série de promesses illusoires et tentatrices peut aussi
provenir de la propriété. L'homme ou la société qui arrivent au point de lui attribuer un rôle absolu
finissent par faire l'expérience de l'esclavage le plus radical. Aucune possession, en effet, ne peut
être considérée comme indifférente à cause de l'influence qu'elle a aussi bien sur les individus que
sur les institutions: le propriétaire imprudent qui idolâtre ses biens (cf. Mt 6, 24; 19, 21-26; Lc 16,
13) vient à en être possédé et asservi plus que jamais.383 Ce n'est qu'en reconnaissant leur
dépendance vis-à-vis du Dieu Créateur et en les finalisant par conséquent au bien commun qu'il est possible de conférer aux biens matériels la fonction d'instruments utiles à la croissance des hommes et des peuples.


B - Le compte rendu

De la propriété et de la destination universelle des biens - 19 mars 2014
Le groupe se réunit pour la deuxième fois, aussi nombreux que la semaine
dernière, comptant près d’une dizaine de nouveaux venus. Claude accueille
chacun et invite à un bref tour de table. Les sandwichs et les mandarines
couvrent les tables autour desquelles le groupe se rassemble. On lit la prière
d’ouverture : « Attention ! Gardez-vous de toute cupidité, car au sein même de
l’abondance, la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens » (Luc 12 ,13-3).
Florence présente le sujet en soulignant la perspective : notre relation à la
propriété reflète notre relation à Dieu. Elle met en exergue cette phrase de
Blandine Mulliez de la Fondation Entreprendre : « Dans ma famille, nous sommes
convaincus que rien ne nous appartient ; au contraire de l’esprit de propriété,
nous avons l’esprit de responsabilité. »
La discussion s’ouvre sur le respect des biens – et de leur origine – ainsi que sur
la responsabilité inhérente à leur détention. Quel usage fait-on des biens que l’on
a gagnés ou dont on a hérités? La question de l’usage des biens semble en effet
au cœur de la préoccupation de l’Eglise. Il s’agit pour chacun de s’interroger sur
la façon dont il use de ses richesses : les garde-t-on pour soi, y mettons- nous
notre confiance et notre repos – comme le riche de la parabole - dans une
attitude d’avarice, sans référence à Dieu, en usons-nous comme les adolescents
pour exister et se différencier, se comparer, envier, dans une attitude d’« être par
l’avoir » ? Ou bien, savons-nous user de détachement par rapport à nos biens,
les partager avec d’autres, les faire fructifier, les mettre au service d’autrui ?
L’apophtegme cité où st Athanase demande à un ange de lui montrer un vrai
pauvre renvoie à cet attachement malade que le Christ vient soigner : « Je ne
comprends pas, dit-il à l’ange. Tu viens de me montrer un homme très, très
riche ! Mais l’ange lui répondit : Cet homme, tient moins à ses richesses que toi à
ton écuelle et à ta cruche d’eau... »
Ce détachement peut se décliner au niveau les plus simples des vêtements ou
des livres que l’on possède ou plus largement des propriétés héritées ou de
grands biens gérés. Deux participantes font état de la philanthropie et du
détachement dont témoignent certains de leurs clients dont elles gèrent le
patrimoine ou la transmission. Faire fructifier ses biens, en pleine foi et
conscience de la responsabilité qu’ils nous donnent vis-à-vis des autres est
fortement souligné par l’ensemble des participants. Ces remarques font écho aux
articles du Compendium : « 178 - L’enseignement social de l’Eglise exhorte à
reconnaître la fonction sociale de toute forme de possession privée, 376 - avec
une référence claire aux exigences incontournables du bien commun.377-
L’homme ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme
n’appartenant qu’à lui, mais les regarder comme communes : en ce sens qu’elles
puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres. » (Compendium de
la Doctrine Sociale de l’Eglise)
Une participante s’interroge cependant sur le sens de la propriété privée : ne
faut-il pas tout donner pour suivre le Christ, comme il nous y invite ? Et qu’est-ce
que le respect de ses biens quand on en a peu ? Ou qu’ils sont le résultat d’un
enrichissement au détriment des autres ?
Après divers échanges sur la question, il semble que ces questions renvoient
d’abord à la vocation personnelle de chacun et à son appel possible à une vie
communautaire, laïque ou monastique. D’autre part, elle soulève la question de
l’usage équitable des biens (et par association d'idée au commerce équitable) et
de la dimension politique de la propriété.
En somme, la propriété privée est-elle légitime aux yeux de l’Eglise ? Ce débat
est ancien, et le contexte historique de l’encyclique Rerum Novarum au début du
siècle l’a réactualisé comme l’explique l’article du Ceras (1):« C’est bien dans le
contexte polémique d’une argumentation contre la proposition socialiste de
supprimer la propriété privée que Léon XIII évoque le « fait que Dieu a donné la
terre au genre humain pour qu’il l’utilise et en jouisse » (Rerum novarum, 7,1).
L’article du Ceras poursuit : « La suite du texte confirme bien qu’il s’agit d’un
débat entre propriété privée et propriété collective : ‘Si l’on dit que Dieu a donné
la terre en commun aux hommes, cela signifie non pas qu’ils doivent la posséder
confusément, mais que Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier. Il
a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux
institutions des peuples’. »
Une participante souligne que la Doctrine sociale de l’Eglise invite en fait tout
chrétien à considérer la propriété matérielle dans une perspective universelle
supérieure : « la destination universelle des biens doit prévaloir sur le droit de
propriété » (Populorum Progressio, PP 22-23). Le Magistère formule
progressivement ce principe fondateur qui s’enracine dans la plus ancienne
tradition de l’Eglise - et s’appuie sur St Ambroise de Milan, qui l’exprimait ainsi au
IVe siècle: « Ce n’est pas de ton bien que tu fais largesse au pauvre ; tu lui rends
ce qui lui appartient. Car ce qui est donné en commun pour l’usage de tous, voilà
ce que tu t’arroges. La terre est donnée à tout le monde, et pas seulement aux
riches. »
La propriété privée est donc un droit reconnu et estimé par l’Eglise dans la limite
de « l’obligation fondamentale d’accorder une propriété privée autant que
possible à tous » (Radio message du 24 décembre 1942). Le droit à la propriété
est ainsi soumis au principe de « destination universelle des biens ». Jean-Paul
II le réaffirme à la suite des papes qui l’ont précédé: « La tradition chrétienne n’a
jamais soutenu ce droit de propriété comme un droit absolu et intangible. Au
contraire, elle l’a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun
de tous à utiliser les biens de la création entière : le droit à la propriété privée est
subordonné à celui de l’usage commun, à la destination universelle des biens. »
(Laborem exercens, LE 14)
Claude remarque que ce principe éclaire aujourd’hui le jugement de l’Eglise sur
des réalités économiques et sociales comme les latifundia en Amérique latine.
Elle a permis à Vatican II de rappeler la nécessité des réformes sociales et
agraires dans certains pays pauvres où il existe « des domaines ruraux étendus
et même immenses, médiocrement cultivés ou mis en réserve à des fins de
spéculation ». (Gaudium et spes, GS 71,6). Une participante lui fait écho en
évoquant la situation inédite – et difficilement supportable - d’aujourd’hui où l’on
assiste, impuissants, à l’accaparement privé des semences de la terre par les
grandes industries semencières de la planète et à une législation européenne en
leur faveur...
Cependant, les biens que l’on possède peuvent aussi être immatériels, comme le
temps dont on dispose, les talents reçus (formation, valeurs,...). B. évoque
un monde de solitude dans les grandes villes contemporaines. F. invoque
st Paul : « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais
mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. » (1 Cor, 13-3)
Comment usons-nous de notre temps ? L’utilisons-nous à des fins d’argent ou au
service du prochain- un prochain qui peut être une personne isolée, un indigent,
malade, collaborateur ou dirigeant en souffrance ? L’Eglise invite finalement
chacun à s’interroger sur lui-même et à trouver le chemin de l’amour et de la
justice. Un amour qui sait se faire inventif et œuvrer humblement où il se trouve.
Et, se laissant saisir, apprend, comme le disait merveilleusement Olivier Clément,
à réouvrir à Dieu sa Création.
Notes



18 mars 2014

Banquet de la Parole - II - A propos du lavement des pieds

Au sujet du lavement des pieds, je vous redonne un petit extrait qui me semble bien illustrer l'enjeu :

"On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n’était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les 4 recensions n’ont pu déroger à une lecture semblable . Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n’est raconté que par Jean et remplace le récit de l’institution de l’eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées
dans ce cadre.
Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d’une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité
dans l’amour.
Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique . Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l’amour de Dieu et de l’amour des
hommes au sein d’une communauté vivante.
Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l’attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s’identifie ici.
On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l’absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n’avaient pas
le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.
Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d’attacher de l’importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l’eucharistie : une double tension vers Dieu
et vers autrui...

Pour compléter cette approche centrée sur l’Évangile selon saint Jean, il convient de chercher d’autres références dans les textes du Nouveau Testament.
Le « lavement des pieds » a, chez les Synoptiques, une autre dimension. Chez Luc, c’est une femme pécheresse qui vient laver les pieds de Jésus de ses larmes (Lc 7, 35). Cette mise en perspective confirme notre intuition. À partir de ce geste du pécheur pardonné, Jean nous conduit progressivement sur une autre voie. Il attribue ce geste à Marie de Béthanie puis à Jésus. Cette progression et l’inversion qu’elle sous-entend renforcent l’aspect révolutionnaire de ce geste.
Pour ce qui est de la tension maître-serviteur, elle n’est pas unique à l’Évangile selon Jean. On trouve déjà une allusion au maître qui se fait serviteur dans l’inversion surprenante de la parabole de Luc 12, 37 « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, les fera mettre à table et passera pour les servir ». Nous sommes là dans une continuité avec l’esprit des Synoptiques , à la différence près que Jésus passe aux actes. Il ne s’agit plus d’un discours, mais de gestes.
Enfin, on ne peut ignorer que Luc a mis dans les paroles de Jésus, ce qu’il aurait accompli selon Jean : 1 « Vous, (ne faites) pas ainsi ; mais que le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Qui, en effet, est le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, au milieu de vous, je suis comme celui qui
sert. » Lc 22, 26-27
De même, Paul, dans son hymne aux Philippiens insiste sur la kénose du Fils : « il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est vidé de lui-même, prenant la condition de
serviteur, jusqu’à la mort sur une croix » (Ph 2). Ce que nous avons souligné chez Jean demeure au cœur même de la pédagogie de Dieu.
Le lavement des pieds n’est donc pas un épisode anodin dans la révélation du Fils. L’agenouillement de Jésus devant les hommes s’inscrit sur le chemin où le Fils de Dieu va jusqu’au silence de la croix, au cri d’amour lancé à l’humanité tout entière.
Chez les Synoptiques, d’autres textes feront écho à cette faiblesse de Dieu devant l’homme. On en trouvera la trace dans l’attitude de Jésus devant Zachée (Lc 19). « Il est descendu à Jéricho », a souligné le texte. Pour les Pères de l'Église, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, cette seule introduction dit tout de l’attitude de Jésus. Jéricho, c’est le domaine des hommes à la différence de la cité de Dieu : Jérusalem. On descend vers l’humanité quand on va vers Jéricho, on monte vers Dieu quand on se dirige vers Jérusalem. Que Jésus veuille habiter dans la maison
du collecteur d’impôts, au cœur même de Jéricho, n’est pas en contradiction avec le lavement des pieds. Bien au contraire, il semble important de souligner là cette pédagogie spéciale du
Christ vers les « brebis perdues ».
Au terme de cette mise en perspective, une autre intuition se confirme. Si Dieu s’agenouille devant l’homme, s’il demande à boire à la Samaritaine, s’il s’invite chez Zachée, alors le « j’ai soif » de Jn 19 pourrait ne pas sonner uniquement comme une évocation du Psaume 22, comme le cri d’un homme assoiffé sur une croix. Il prend une dimension plus vaste plus essentielle.
C’est le cri de Dieu qui résonne encore, depuis l’« Où es-tu » du jardin (Gn 3). Le cri du Christ en Croix peut dépasser chez Jean la seule dimension charnelle de l’homme abandonné qu’il a surtout dans les autres Évangiles, pour résonner aussi de l’appel que Dieu fait à tout homme. Comme nous l’avons esquissé à propos de Judas, c’est un « J’ai soif de toi »"

Extrait de mon essai : "A genoux devant l'homme", p. 52ss


Notes :
Cf. Dodd, , La tradition historique du IV° Evangile, Lectio Divina n° 128, Éditions du
Cerf, 1987, trad° Maurice et Simone Montabrut, Éd. Originale : Historical Tradition in the
Fourth Gospel, Cambridge Press, 1963, p. 38
On parle déjà de la fraction du pain en Act 20, 7

Cf. aussi Mc 9, 35 et 10, 43-45, Mt 20, de Jésus, cf. aussi C.H. Dodd, ibid. p. 89ss
26-27 Sur la tradition pré-paulinienne de l’humilité

15 mars 2014

Saint Philippe - II, Le bien commun, in "Eglise et Société", Doctrine sociale de l'Eglise

Tant qu'à évoquer la vie de la "Paroisse de midi" à Saint-Philippe du Roule, autant citer aussi le projet en cours qui travaille sur le thème "Eglise et Société".

A - Extrait du programme

Comme les années précédentes, ce temps de partage hebdomadaire est proposé pendant le Carême,
chacun des cinq mercredis suivant le Mercredi des Cendres, de 12h30 à 13h30,
c'est-à-dire les 12, 19, 26
mars, 2 et 9 avril.

Cette année, le thème retenu est :
ÉGLISE ET SOCIÉTÉ ? TOUS CONCERNÉS !
Nous réfléchirons sur ces valeurs et principes très actuels que sont :

  1. Le bien commun (le 12/3/14)
  2. La propriété et la destination universelle des biens (le 19/3)
  3. L'attention aux plus pauvres (le 26/3)
  4. La subsidiarité (le 2/4)
  5. L'engagement dans la vie publique et dans la vie associative (9/4)


Où ?
À la salle Baltard de l’église Saint-Philippe du Roule (au fond à
gauche) ou à défaut, à l'ancienne sacristie, au fond à droite de l'église.

Comment ?
Un temps de discussion conviviale suivi d’un temps de prière libre à partir d'un document, envoyé au préalable
et dont vous trouverez en PJ le premier chapitre. Après inscription, des sandwichs seront proposés pour la deuxième séance.

Accès ?
Libre, mais vous pouvez vous inscrire à saintphilippepros@hotmail.fr pour recevoir les chapitres suivants.


B - Extrait révisé du Compte-rendu de la première séance


Un participant lit le texte des Actes des Apôtres, 4.31-37 en guise de prière.
La discussion s’ouvre. Elle aborde le bien commun sous différents angles, hésite, balbutie :  qu’est-ce au juste  que le bien commun ? Est-ce en référence à la propriété ? aux talents de chacun ? Est-ce lié au respect de la personne ? à la responsabilité personnelle ?

Un conflit semble exister entre les textes du Nouveau Testament (Talents, Mise en commun, voir C). On parle d'une tension théologique...

L’entreprise et ses problématiques de licenciement sont abordées. La notion de bien commun est rapprochée du bien de certains groupes :
- la famille,
- les membres d’une entreprise versus la société.

Une jeune femme évoque sa difficulté à voir l’entreprise rechercher le bien de ses salariés. Pour elle, l’entreprise recherche avant tout son profit, la croissance de son chiffre d’affaire et de ses revenus sans égard pour ses salariés.

Pourtant, certaines personnes trouvent dans leur fonction – qui peut-être humble -  un accomplissement personnel de par le rayonnement qui en résulte, ainsi une femme qui participe à la constitution des dossiers de mécénat d’une entreprise.

Le bien commun est-il du même ordre que l’intérêt général? L’intérêt général recherche le bien du plus grand nombre, non celui de chaque personne. Au moment du nazisme, les personnes handicapées étaient perçues comme inutiles et massacrées sous prétexte qu'elles portaient préjudice à l’intérêt général…
Ce n'est pas le bien commun...

Si l’entreprise est porteuse d’un bien commun, directement fondé sur l’épanouissement de chaque personne qui la constitue, pourrait-on faire une analogie entre l’entreprise et le monastère ?

Une encyclique de 1961 évoque le bien commun comme « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre  mieux et plus facilement son plein épanouissement » (Mater et Magistra, 1961). L’entreprise pourrait-elle s’inscrire pleinement dans cette perspective, son projet viser aussi l’épanouissement de chacun de ses membres dans ses talents particuliers ? La phrase de St Basile est à nouveau évoquée : « le charisme propre de chacun devient le bien commun de l’ensemble…de sorte que dans la vie commune, la force du Saint-Esprit donne à l’un devient nécessairement celle de tous » (St Basile, Grande Règle, 7).  Les talents de l’un appartiennent à tous et sont la richesse de la communauté. Si l’entreprise parvenait à développer les talents de ses membres, ceux-ci ne s’avéreraient-ils pas un surcroît de valeur, d’engagement, et de fidélité à son actif ?

Cela semble idéaliste. Et pourtant, nombre d’entreprise cherchent à développer les critères ESG pour attirer des talents (cf. aussi l'article sur ce sujet dans la Croix du 12 mars). C’est un premier pas, peut-être un facteur bénéfique pour l’entreprise. Mais qu’en est-il du projet commun ?

Un participant évoque l’entreprise qui est la sienne et sa direction exemplaire : le dirigeant fondateur a toujours vu son entreprise comme une communauté de personnes, et il a associé le développement économique de sa société à celui des hommes qui la constituait. L’entreprise ne doit pas trop s’écarter de cette visée, sous peine de toutes sortes de déviations et d’errements, la première étant la recherche effrénée de la croissance pour elle-même…

Un autre évoque un groupe qui met en place, en son sein, un groupe de réflexion éthique. Les salariés peuvent alors évoquer un point qui gène leur éthique personnelle. Cela conduit à l'évolution d'une charte interne de déontologie.

Finalement, la société elle-même semble en carence de toute idée de bien – ou de projet -  commun, comme les entreprises. Pourtant le secret d’un vrai succès – d’une véritable cohésion sociale -  ne se cacherait-il pas dans la redécouverte de cette dimension sociale et spirituelle d’un bien commun – d’une richesse commune -  compris comme la recherche de l’épanouissement de chacun de ses membres ? Au niveau de la famille, de l’entreprise, de la société, de l'Église et au-delà…


C  - Support de la réunion


Texte/Prière d'ouverture Actes 4, 31-37

31 Quand ils eurent fini de prier, le lieu où ils étaient réunis se mit à trembler, ils furent tous remplis du Saint-Esprit et ils disaient la parole de Dieu avec assurance.
32 La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ; et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun.
33 C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous.
34 Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient,
35 et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun.
36 Il y avait un lévite originaire de Chypre, Joseph, surnommé Barnabé par les Apôtres, ce qui se traduit : « homme du réconfort ».
37 Il vendit un champ qu’il possédait et en apporta l’argent qu’il déposa aux pieds des Apôtres.

Le bien commun - Autres textes du Nouveau Testament

Mat 25 : 20 Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.”
21 Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”

Actes 5 : 1-4 1 Un homme du nom d’Ananie, avec son épouse Saphira, vendit une propriété ;
2 il détourna pour lui une partie du montant de la vente, de connivence avec sa femme, et il apporta le reste pour le déposer aux pieds des Apôtres. 3 Pierre lui dit : « Ananie, comment se fait-il que Satan a envahi ton cœur, pour que tu mentes à l’Esprit, l’Esprit Saint, et que tu détournes pour toi une partie du montant du domaine ? 4 Tant que tu le possédais, il était bien à toi, et après la vente, tu pouvais disposer de la somme, n’est-ce pas ? Alors, pourquoi ce projet a-t-il germé dans ton cœur ? Tu n’as pas menti aux hommes, mais à Dieu. »


§ 164 De la dignité, de l'unité et de l'égalité de toutes les personnes découle avant tout le principe du bien commun, […] par bien commun on entend: « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée ».


Le bien commun - Compendium


Le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social. Étant à tous et à chacun, il est et demeure commun, car indivisible et parce qu'il n'est possible qu'ensemble de l'atteindre, de l'accroître et de le conserver, notamment en vue de l'avenir. Comme l'agir moral de l'individu se réalise en faisant le bien, de même l'agir social parvient à sa plénitude en accomplissant le bien commun. De fait, le bien commun peut être compris comme la dimension sociale et communautaire du bien moral.

§ 165 Une société qui, à tous les niveaux, désire véritablement demeurer au service de l'être humain, est celle qui se fixe le bien commun pour objectif prioritaire, dans la mesure où c'est un bien appartenant à tous les hommes et à tout l'homme. La personne ne peut pas trouver sa propre réalisation uniquement en elle-même, c'est-à-dire indépendamment de son être « avec » et « pour » les autres. Cette vérité lui impose non pas une simple vie en commun aux différents niveaux de la vie sociale et relationnelle, mais la recherche sans trêve du bien sous forme pratique et pas seulement idéale, c'est-à-dire du sens et de la vérité qui se trouvent dans les formes de vie sociale existantes. [...]
166 Les exigences du bien commun [...] concernent avant tout l'engagement pour la paix, l'organisation des pouvoirs de l'État, un ordre juridique solide, la sauvegarde de l'environnement, la prestation des services essentiels aux personnes, et dont certains sont en même temps des droits de l'homme: alimentation, logement, travail, éducation et accès à la culture, transport, santé, libre circulation des informations et tutelle de la liberté religieuse.[...]
167 Le bien commun engage tous les membres de la société: aucun n'est exempté de collaborer, selon ses propres capacités, à la réalisation et au développement de ce bien. Le bien commun exige d'être servi pleinement, non pas selon des visions réductrices subordonnées aux avantages partisans que l'on peut en retirer, mais à partir d'une logique visant à prendre les responsabilités aussi largement que possible. Le bien commun découle des inclinations les plus élevées de l'homme, mais c'est un bien difficile à atteindre, car il requiert la capacité de réaliser le bien des autres comme si c'était le sien et de le rechercher constamment.
Tous ont aussi le droit de bénéficier des conditions de vie sociale qui résultent de la recherche du bien commun. L'enseignement de Pie XI demeure très actuel: « Il importe donc d'attribuer à chacun ce qui lui revient et de ramener aux exigences du bien commun ou aux normes de la justice sociale la distribution des ressources de ce monde, dont le flagrant contraste entre une poignée de riches et une multitude d'indigents atteste de nos jours, aux yeux de l'homme de cœur, les graves dérèglements »*.

Patristique

Si tu cherches un exemple de mépris pour les biens terrestres, tu n'as qu'à suivre celui qui est le Roi des rois [...]  ; sur la croix, il est nu, tourné en dérision, couvert de crachats, frappé, couronné d'épines, enfin abreuvé de fiel et de vinaigre.  Ne sois donc pas attaché aux vêtements et aux richesses, car ils se sont partagé mes habits ; ni aux honneurs, car j'ai subi les moqueries et les coups ; ni aux dignités car, tressant une couronne d'épines, ils l'ont enfoncée sur ma tête ; ni aux plaisirs car, dans ma soif, ils m'ont abreuvé de vinaigre.
Conférence de Saint Thomas à ses étudiants sur le credo

Le charisme propre de chacun devient le bien commun de l’ensemble… de sorte que, dans la vie commune, la force du Saint-Esprit donnée à l’un devient nécessairement celle de tous.
Saint Basile, Grande Règle, 7

« Celui qui a recevra encore ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a »
Heureux le serviteur qui fait hommage de tout bien au Seigneur. Celui au contraire qui en revendique une part pour lui-même, celui-là cache au fond de lui-même l’argent du Seigneur Dieu, et ce qu’il croyait posséder en propre lui sera enlevé (Mt 25,18.28).
Saint François, Admonitions, 19-22.28 (trad. Desbonnets et Vorreux, Documents, p. 50s)

Pistes pour les échanges

  • On n'a rien qui ne nous ait été donné par Dieu. L'échange sacramentel du mariage le dit à sa manière. Il ne parle pas de donner puis de recevoir mais de recevoir avant de donner. Une distinction qui donne à penser.
  • Ce don du meilleur de Dieu, s’exprime enfin dans cette source jaillissante du cœur du Christ, qui traduit l’immensité du don, mais aussi son humilité, puisque le donateur s’efface dans la mort. Comme le souligne Jean-Luc Marion, « il se donne d’autant mieux qu’il disparaît (inconnu, mort) aux yeux de son éventuel donataire1 ».
  • Le bien commun en entreprise qu'est-ce que c'est ? L'entreprise elle-même ? Notre capacité à la maintenir vivante et porteuse de sens, d'humanité. Ses hommes ? Ses résultats ?
  • Est-ce un rêve ou quelque chose d'accessible ?

Pour aller plus loin :

1 Jean-Luc Marion, Jean Luc Marion, La conscience du don, in Jean-Noël Dumont et Jean Luc Marion, Le Don, Colloque interdisciplinaire, Novembre 2001, Le Collège supérieur, Lyon, p. 66sq.

13 mars 2014

Saint Philippe I - Un banquet de la parole sur les lavements des pieds

J'aimerais vous rendre compte de la joie de ce petit exercice de lectio divina en groupe, mardi, dans ma paroisse de semaine : Saint Philippe du Roule. Après une mise en condition (bougie) et une prière d'introduction, nous avons lu successivement trois textes, selon la méthode ignatienne (se mettre en condition en imaginant la scène, se faire petit serviteur..., lecture commune, puis silencieuse, puis échange en n'utilisant que des seules phrases du texte) avant une mise en perspective finale. L'originalité de ce jour a été de faire un "banquet de la Parole"* en mettant en lien 3 textes :


Une manière de sentir comment Dieu veut danser avec nous. Étonnante mise en perspective de ces textes où l'on retrouve trois Simon (dont Judas, fils de Simon), trois résistances...
On aurait pu aller plus loin et ajouter Jean 8 : une autre femme adultère.
Il y a une étonnante parenté dans ces trois textes, au point que l'on peut se demander si le lavement des pieds de Jésus par les femmes n'a pas inspiré notre Seigneur quand il se met à genoux devant les apôtres.

Prochaine réunion, ancienne sacristie, prévue pour le 8 avril, à 12h30. Nous continuerons la lecture de Jean 13.

* La lecture synoptique ne m'était pas inconnue. J'ai par contre découvert l'expression lors d'une retraite au Chemin neuf...



11 mars 2014

Avoir, Valoir, Pouvoir - Les trois tentations

Quelqu'un m'a dit un jour que l'on pouvait résumer les trois tentations du Christ au désert à ces trois mots. Je dois reconnaître, depuis, que cette interprétation résume bien les trois écueils de nos vies, au sein duquel nous ne cessons (moi le premier) d'être attiré.
En méditant encore une fois cela, j'ai aussi découvert, ce qui n'est pas une surprise, que Dieu peut se définir à l'inverse de ces trois termes. On parlera alors de kénose, d'humilité et de faiblesse, trois thèmes que je n'ai cessé d'explorer dans ce blog ou ailleurs (1).
En pastorale, dimanche, alors que le récit des tentations résonnaient dans nos églises, j'ai eu l'inspiration (on peut toujours s'interroger d'où elle vient, celle là :-) de dire à ces fiancés qui se préparaient au mariage que tout ce qu'ils venaient de dire sur la fécondité (inverse de l'avoir), la fidélité et la liberté (inverses du pouvoir et du valoir) pouvait aussi se dire de Dieu (sans parler de cette indissolubilité que le prêtre qui m'accompagnait à souligné comme la "marque de Dieu".
Alors qu'ils essayaient à dire la place de Dieu dans leur vie, je leur ai alors suggéré que toutes ces valeurs humaines qu'ils avaient développées le matin même sur les piliers du mariage, n'étaient autres que celles de Dieu même. En voulant tendre vers la fidélité, la fécondité et la liberté véritable, ils s'éloignaient de l'avoir, du pouvoir et du valoir et se rapprochaient de Dieu...

Une maïeutique qui m'a semblé pertinente et que je voulais vous partager.

Finalement, n'y a-t-il pas là un chemin à creuser pour nous mêmes et pour comprendre Dieu ? C'est bien sûr réducteur de définir Dieu par trois négations. L'indicible nous dépassera toujours... Mais cette "voie de contemplation" ne cesse de m'habiter.

(1) cf. mes 3 petits essais : "Retire tes sandales", "A genoux devant l'homme", "Dieu de faiblesse",...
NB : Crédit photo : voyage en terre sainte, 2009, Le mont de la tentation

04 mars 2014

Devenir sacramentel - II

Poussons plus loin le raisonnement. J'avance dans le vide d'une recherche sans frontière. On a parlé du mariage à étape. En charge d'une pastorale du seuil depuis plus de 20 ans, je me suis toujours demandé comment faire pour proposer à ceux que je rencontre, de plus en plus éloignés de l'Eglise mais quand même intéressés par le mariage (pour des raisons qui vont de l'esthétique du porche de l'église à l'attrait du sacré ou à la présence d'une flamme inconnue en eux), un chemin qui respecte leurs hésitations et les engage sur un chemin qui ne force pas.
Peut-on proposer un mariage qui soit indissoluble par désir* (sinon on ouvre la porte au mariage jetable), mais qui ne soit pas encore sacramentel ? Charge à eux, de découvrir à terme, que leur engagement est à parfaire, que le travail de la grâce non sacramentelle reçue dans le cadre d'une simple prière de bénédiction (au seuil de l'église par exemple) peut être confirmée ensuite, comme un baptême d'enfant devient confirmé par la confirmation d'un adolescent ou jeune adulte. C'est respecter le chemin et ne pas surcharger de sens.
On me dira, et j'entends, voir je partage, que le sacrement agit en l'homme au delà de son désir. C'est vrai. Mais peut-être qu'il existe un entre-deux à trouver.
Il y a parfois la projection du célébrant sur une réalité qui demande encore à être épurée...
Il y a souvent une maturité à construire. Moi-même, pécheur pardonné, je dois l'admettre, n'ai pris conscience de mon engagement que deux ans après mon mariage...

Quel sera le statut de ce premier passage ? Pourra-t-on le rompre et quel conséquence sur les intéressés ? Cela pose bien sûr de nombreuses questions. Je pense que l'on pourrait concevoir, en regard, que ces bénédictions du seuil peuvent faire l'objet d'une reconnaissance de nullité, de manière plus automatique que le mariage sacramentel. On le voit... Ces propos décousus posent des problèmes. Il mérite pourtant que l'on y réfléchisse.

* J'entends qu'il s'engage à cette indissolubilité même s'ils sont conscients de la fragilité de cet engagement.