15 mars 2016

Le côté du Christ - soumission ou amour

Nous pouvons lire la création d'Éve comme une soumission à Adam, de même que nous pouvons buter sur la prétendue soumission de la femme à l'homme dans Éphésiens 5. Mais il peut en être autrement quand nous entendons véritablement ce que demande Paul, quand nous réalisons qu'il demande à l'homme d'aimer sa femme comme le Christ a aimé l'Église.  Alors ce que dit saint Jean Chrysostome sur la création d'Éve prend aussi du sens :

"Aussi saint Paul dit-il : Nous sommes de sa chair et de ses os, désignant par là le côté du Seigneur. De même en effet que le Seigneur a pris de la chair dans le côté d'Adam pour former la femme, ainsi le Christ nous a donné le sang et l'eau de son côté pour former l'Église. Et de même qu'alors il a pris de la chair du côté d'Adam, pendant l'extase de son sommeil, ainsi maintenant nous a-t-il donné le sang et l'eau après sa mort. 

Vous avez vu comment le Christ s'est uni son épouse ? Vous avez vu quel aliment il nous donne à tous ? C'est de ce même aliment que nous sommes nés et que nous sommes nourris. Ainsi que la femme nourrît de son propre sang et de son lait celui qu'elle a enfanté, de même le Christ nourrit constamment de son sang ceux qu'il a engendrés." (1)

Sous cet angle, l'enjeu n'est plus soumission mais amour.

(1) Saint Jean Chrysostome,  catéchèse baptismale, source AELF

14 mars 2016

Création et pastorale

Dans une lecture cursive ‎et pastorale de la Genèse et en particulier de Gn 1 (1), il est intéressant de creuser le crédit à donner à ce texte, 2.500 ans plus tard. Je ne parle pas de sa profondeur scientifique mais d'une vision moderne de l'exégèse, à la lumière des travaux de P. Beauchamp sur le travail mêlé de l'homme et de Dieu dans cette écriture sainte. Peut-on dire, qu'il s'agit encore d'un balbutiement de révélation auquel le prologue de Jean apportera une touche complémentaire, comme j'ai tendance à le démontrer dans mon étude de Jean 1(2) ? 
Dans ce cadre, on peut contemplerque ce que Gn 1 dit de l'Esprit et du Verbe puisse introduire ce que Jn 1 dit de l'interaction des personnes divines. Cela va en effet dans le sens de la circumincession des Personnes divines, telles que contemplées par les Pères de l'Église telle que mise en valeur par E. Durand.(3)

(1) à paraître 
(2) Sur les pas de Jean
(3) ‎Emmanuel Durand, La Périchorèse des Personnes divines, Paris, Cerf , 1993


Peuple de frères

‎Une méditation cursive des deux premiers chapitre d'Osée montre les conditions de basculement de l'état de "non-peuple" à l'état de "peuple" (1). C'est dans la même lancée que, à la suite de Pierre, nous sommes invités à devenir le peuple saint, au sens donné par Ex. 19,5 s et Isaïe 43, 20-21. Notre vocation royale, prophétique et sacerdotale s'est nourrie, pour Balthasar(2), des archétypes de la première et de la deuxième alliance, jusqu'à la figure déjà commentée de Marie, puis celle des Apôtres. Quelle est l'enjeu de ce mouvement ? N'est-ce pas une dynamique sacramentelle(3) au sens d'une succession de figures positives ou négatives qui nous accompagnent dans notre propre quête, reflètent nos propres hésitations des reniements de Pierre au sommeil de Jean, lors du grand soir. Tous ces balbutiements nous accompagnent dans un chemin d'Emmaüs qui trouve son terme dans une humble fraction du pain où Dieu, à la fois, se révèle et disparaît dans ce qui caractérise son humilité la plus flagrante.

‎(1) cf notre Commentaire de l'Ancien Testament, tome 1, à paraître 
(2) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 299
(3) cf notre recherche éponyme

13 mars 2016

Maternité mariale

A la suite de Grégoire de Nysse et Diadoque de Photicé, Balthasar contemple la grossesse mariale, cette "sensation corporelle d'une présence", comme "une imitation du mystère  trinitaire au sein de l'économie" divine, mais aussi comme la première et plus étroite imitation du "mystère des deux natures dans l'unique Personne". Marie doit s'ouvrir par la foi en une expérience qui est elle-même et l'autre, ce "germe" du Verbe qui paraît "d'abord croître dans le je maternel, jusqu'à ce qu'il apparaisse, par la croissance elle-même, que c'est l'inverse et que ce je est contenu dans le Verbe de Dieu" (1)

On peut à sa suite contempler dans le récit de la visitation l'enjeu de ce tressaillement de Jean à la rencontre du Verbe jusqu'à percevoir en quoi le don de Dieu dans l'incarnation nous introduit à notre tour dans l'économie divine et nous fait jaillir hors d'un je qui s'enroule sur lui-même pour entrer dans la danse de Dieu.(2)

Balthasar poursuit en contemplant la kénose virginale jusqu'à ce renoncement de plus en plus déchirant "en faveur de ‎l'Église, à tout ce qui intéresse sa vie personnelle [pour] demeurer finalement, tel un arbre depouillé, la foi nue" (3) et le coeur transpercé d'un glaive.

En contemplant cela, jailit en nous ce qui constitue l'essence de notre dévotion mariale, la prise de conscience qu'elle a ouvert pour nous le chemin d'une kénose à laquelle nous sommes à notre tour convié.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 286
(2) voir In Utero, le roman initial, à paraître chez Createspace / Amazon.
(3) Balthasar, ibid p. 287-288


12 mars 2016

Vallée d'Achor - 3


A la suite du post précédent qui évoque les vignes de la vallée d'Achor, on peut contempler le Psaume 142 : 

Délivre-moi de mes ennemis, Seigneur :
j’ai un abri auprès de toi.
10Apprends-moi à faire ta volonté,
car tu es mon Dieu.
Ton souffle est bienfaisant :
qu’il me guide en un pays de plaines.
"

L'office des Laudes nous emmène ensuite vers Isaïe 66 :

"10A vous, l'allégresse de Jérusalem ! +
Exultez en elle, vous tous qui l'aimez ! *
Réjouissez-vous de sa joie,
vous qui la pleuriez !

11Alors, vous serez nourris de son lait,
rassasiés de ses consolations ; *
alors, vous goûterez avec délices
à l'abondance de sa gloire.

12Car le Seigneur le déclare : +
« Voici que je dirige vers elle
la paix comme un fleuve *
et, comme un torrent qui déborde,
la gloire des nations. »


PS : Traduction AELF
L'Avre en Juin :

11 mars 2016

La vallée d'Achor - 2

Dans la foulée des posts précédents,  relisons Ézékiel 47, 8-12 : « Cette eau coule vers la région de l'orient, elle descend dans la vallée du Jourdain, et se déverse dans la mer Morte, dont elle assainit les eaux. En tout lieu où parviendra le torrent, tous les animaux pourront vivre et foisonner. Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu'elle pénètre, et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent. Au bord du torrent, sur les deux rives, toutes sortes d'arbres fruitiers pousseront ; leur feuillage ne se flétrira pas et leurs fruits ne manqueront pas. Chaque mois ils porteront des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Les fruits seront une nourriture, et les feuilles un remède. »

10 mars 2016

Les innocentes, Film d'Anne Fontaine

Il m'a fallu du temps pour percevoir l'ampleur du message théologique d'Anne Fontaine,  dans ce film dramatique quii évoque le viol de religieuses par des soldats russes à la libération. 

Ce qui en ressort après huit jours de "digestion" du drame, c'est que l'on est porté par ce film dans le mystère même de l'incarnation. 

Le contraste entre ces chants de moniales et l'horreur est révélé au coeur de ce qui se prépare : des enfants à naître qui sont autant de Christs innocents,  plongés dans le "sang de l'agneau" ( Ap 7.14) et vainqueurs de toutes haines,  parce que "figures d'espérance".

A contempler...

Ce sang qui nous lave

On connaît cette affirmation de l'apocalypse : "ils ont lavé leurs vêtements dans le sang de l'agneau" (Ap. 7, 14). Je découvre cette phrase de Léon le Grand,  "le sang sacré du Christ a éteint ce glaive de feu qui interdisait d'entrer dans le domaine de la vie. Devant la vraie lumière, l'obscurité de la nuit ancienne a disparu. Le peuple chrétien est invité à posséder les richesses du paradis, et l'accès à la patrie perdue s'offre à tous ceux qui ont reçu le sacrement de la nouvelle naissance, pourvu que personne ne se fasse fermer ce chemin qui a pu s'ouvrir devant la foi d'un malfaiteur." (1)

Ce texte résonne aussi avec cette vallée d'Achor, patrie perdue, promise dans Osée 2 et Isaïe 65, 8

(1) Saint Léon le Grand,  Sermon sur la Passion,  Source AELF

09 mars 2016

Mort et mission

On connaît probablement l'interprétation de Bernard Sesboué sur la conscience progressive du Christ. J'apprécie ce que dit Balthasar sur le même thème, car il rejoint mes travaux en cours sur l'humilité de Dieu : "L'homme Jésus se comprend lui-même (...) comme ce qu'il est : La Parole du Père adressée au monde, dont la mission comporte le destin du grain de froment : mourir pour le monde et par là porter du fruit. Par là même il fait l'expérience de Dieu, non dans une vision objective, séparée de sa propre réalité, mais dans une humilité qui ne réfléchit pas sur elle-même (...) mais laisse en soi toute la place à Dieu et éprouve en sa propre réalité fonctionnelle la réalité du Dieu qui l'envoie, dispose de lui et l'engendre  éternellement. (...) la transparence de son humilité est expression de son assomption" (1)

On retrouve là l'accent de Ph. 2, 7, mais aussi cette idée de décentrement propre à Jean 15 et 16, où le Fils se love dans le projet du Père. 

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Apparition,  tome 1, Cerf,  Ddb, 1965-1990, p. 275 (GC1)


08 mars 2016

Refus de la chair - 2


Dans la lignée du post précédent,  on peut contempler ce que nous dit Augustin d'Hippone, à propos du texte d'hier sur Jn 5, 1-15 :"Les miracles du Christ sont des symboles des différentes circonstances de notre salut éternel... ; cette piscine est le symbole du don précieux que nous fait le Verbe du Seigneur. En peu de mots, cette eau, c'est le peuple juif ; les cinq portiques, c'est la Loi écrite par Moïse en cinq livres. Cette eau était donc entourée par cinq portiques, comme le peuple par la Loi qui le contenait. L'eau qui s'agitait et se troublait, c'est la Passion du Sauveur au milieu de ce peuple. Celui qui descendait dans cette eau était guéri, mais un seul, pour figurer l'unité. Ceux qui ne peuvent pas supporter qu'on leur parle de la Passion du Christ sont des orgueilleux ; ils ne veulent pas descendre et ne sont pas guéris. « Quoi, dit cet homme hautain, croire qu'un Dieu s'est incarné, qu'un Dieu est né d'une femme, qu'un Dieu a été crucifié, flagellé, qu'il a été couvert de plaies, qu'il est mort et a été enseveli ? Non, jamais je ne croirais à ces humiliations d'un Dieu, elles sont indignes de lui ». Laissez parler ici votre cœur plutôt que votre tête. Les humiliations d'un Dieu paraissent indignes aux arrogants, c'est pourquoi ils sont bien éloignés de la guérison. Gardez-vous donc de cet orgueil ; si vous désirez votre guérison, acceptez de descendre. Il y aurait de quoi s'alarmer, si on vous disait que le Christ a subi quelque changement en s'incarnant. Mais non... votre Dieu reste ce qu'il était, n'ayez aucune crainte ; il ne périt pas et il vous empêche vous-même de périr. Oui, il demeure ce qu'il est ; il naît d'une femme, mais c'est selon la chair... C'est comme homme qu'il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d'outrages, enfin crucifié et mis à mort. Pourquoi vous effrayer ? Le Verbe du Seigneur demeure éternellement. Celui qui repousse ces humiliations d'un Dieu ne veut pas être guéri de l'enflure mortelle de son orgueil. Par son incarnation, notre Seigneur Jésus Christ a donc rendu l'espérance à notre chair. Il a pris les fruits trop connus et si communs de cette terre, la naissance et la mort. La naissance et la mort, voilà, en effet, des biens que la terre possédait en abondance ; mais on n'y trouvait ni la résurrection, ni la vie éternelle. Il a trouvé ici les fruits malheureux de cette terre ingrate, et il nous a donné en échange les biens de son royaume céleste."

( 1) Saint Augustin,  Sermon 124, source AELF

Refus de la chair

"De Valentin à Bultmann on a cherché à spiritualiser et à démythiser la chair et le sang (...) jusqu'à un Dieu qui est et reste‎ invisible" (1) nous rappelle Balthasar. Mais cette quête ne conduit-elle pas à s'éloigner du réel, rendre Dieu étranger à l'homme en contradiction même avec le projet de l'incarnation
 N'est ce pas déjà ce qui a conduit au temps de Jésus à la grande séparation entre ceux qui suivaient une idée de Jésus et les apôtres attachés à sa personne. C'est dans la crise de Jean 6, 66 que nous comprenons l'enjeu. "Qui mange ma chair et boit mon sang..." intolérable affirmation pour certains, coeur de notre foi pourtant. Mais l'enjeu n'est il pas dans notre proximité au monde, à ses souffrances et à son réel. "Mets ta main dans mon côté" dit-il à Thomas. Je ne suis pas un pur esprit. J'ai souffert et je souffre pour le monde.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Apparition, 1 (GC1) p. 265

06 mars 2016

Danse trinitaire - de Macaire à Loyola

Il faudrait lire tout le chapitre de Balthasar pour saisir correctement ce qu'il cherche à nous demontrer dans ces pages. Ce que je retiens à partir de ce que je citais de Diadoque de Photicé, Macaire et ce qu'il note chez Augustin, Guillaume d'Auvergne et chez Thomas d'Aquin, c'est qu'en complément du don de la grâce, l'homme doit mettre en oeuvre sa raison et sa volonté pour entrer dans la danse trinitaire. Ce ne sont pas les termes mêmes de Balthasar, mais bien une traduction moderne de l'enseignement de la grande scolastique. Quel est l'enjeu ? Il se situe probablement aux confins des positions catholiques et protestantes sur la justification.
A la connaissance expérimentale de l'Esprit et de la bonté divine, se développe une "théorie de l'expérience chrétienne" (1) qui se poursuivra jusqu'à ce qu'Ignace de Loyola présente des règles structurées de discernement qui n'efface pas le goût de Dieu et développe une "sensibilité chrétienne" (2) et le don des larmes, si caractéristiques de cette danse en Dieu.

L'enjeu n'est-il pas d'atteindre "une certaine ressemblance entre l'union des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l'amour. Cette ressemblance (...) [conduira alors] l'homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, [à se trouver dans] le don désintéressé de lui-même" (3). 

(1) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 249
(2) p. 251
(3) Gaudium et Spes,  24

04 mars 2016

Dynamique sacramentelle - 2

Poursuivons la lecture de Diadoque de Photicé, chez Hans Urs von Balthasar. A la différence de Macaire, Balthasar nous montre que l'accès à la grâce n'est pas faite depuis la "dissimilitude" à Jérusalem, mais bien par cette inhabitation que l'on pourrait qualifier de rahnérienne, où où grâce s'est installée par le baptême en l'homme et y fait naitre le désir. Pour reprendre mon image précédente, l'homme serait comme dans un bain de grâce qui l'envelopperait de l'intérieur jusqu'à ce qu'il en sente le goût.‎ Mais "bain" n'est pas le bon terme puisqu'il s'agit plutôt d'une source où d'une flamme intérieure : "Des profondeurs‎ mêmes de notre coeur, nous sentons comme sourdre le désir de l'amour divin"
Comment faire jaillir cette source ? Celui qui garde pure dans la prière la profondeur du coeur peut aussi "consumer, dans un sentiment intense", tout ce qui recouvre cette grâce.

(1) Diadoque de Photicé, chap.79, cité par Hans Urs von Balthasar, op. Cit, GC1 p.‎ 234

03 mars 2016

Dynamique sacramentelle chez Diadoque de Photicé

Dans la foulée macarienne‎, on trouve chez un autre père au Vème siècle, Diadoque de Photicé, une belle illustration de ce que j'ai appelé la dynamique sacramentelle : pour lui, au moment du baptême, "la grâce se cache au fin fond de l'intellect en dissimulant sa présence même au sens intérieur" jusqu'à ce que l'âme progressant, "le don divin manifeste ainsi sa bonté à l'esprit" (1).

On pourrait la mettre en résonance avec cette image que j'apprécie chez Bonaventure(2) : cette grâce vue comme un fleuve où l'homme se tient avec une pauvre amphore.

En conjuguant les deux on ne réduit ni la grâce, ni la chance qu'à l'homme de s'en abreuver. Tout dépend finalement de sa position par rapport au courant.

(1) Diadoque de Photicé, chap.77, cité par Hans Urs von Balthasar, op. Cit, GC1 p. 233

(2) cf GC2

02 mars 2016

Macaire et Grégoire de Nysse

Balthasar voit également une continuité entre Grégoire de Nysse et Macaire dans cette course infinie que nous avons déjà longuement commentée chez le cappadocien. Pour Macaire, "l'effort absolu de l'homme pour correspondre à la grâce" nous donne accès, "par la pleine liberté de Dieu, et sans qu'une proportion visible existe ‎[à ] la réponse qui élève l'homme" et donne "un goût anticipé de Dieu" qui ne protège pas pour autant de l'Adversaire. L'alternance "de consolation et de désolation" étant part intégrante de "la pédagogie de Dieu" (1)

(1) Hans Urs von Balthasar , GC1 p. 231