24 mars 2018

Une lecture kénotique des Rameaux - Saint André de Crête

"Il vient donc, en faisant route vers Jérusalem, lui qui est venu du ciel pour nous, alors que nous étions gisants au plus bas, afin de nous élever avec lui, comme l'explique l'Écriture, au-dessus de toutes les puissances et de toutes les forces qui nous dominent, quel que soit leur nom.

Et il vient sans ostentation et sans faste. Car, dit le prophète, il ne protestera pas, il ne criera pas, on n'entendra pas sa voix. Il sera doux et humble, il fera modestement son entrée. ~

Alors, courons avec lui qui se hâte vers sa passion, imitons ceux qui allèrent au-devant de lui. Non pas pour répandre sur son chemin, comme ils l'ont fait, des rameaux d'olivier, des vêtements ou des palmes. C'est nous-mêmes qu'il faut abaisser devant lui, autant que nous le pouvons, l'humilité du cœur et la droiture de l'esprit afin d'accueillir le Verbe qui vient, afin que Dieu trouve place en nous, lui que rien ne peut contenir.

Car il se réjouit de s'être ainsi montré à nous dans toute sa douceur, lui qui est doux, lui qui monte au dessus du couchant, c'est-à-dire au-dessus de notre condition dégradée. Il est venu pour devenir notre compagnon, nous élever et nous ramener vers lui par la parole qui nous unit à Dieu.

Bien que, dans cette offrande de notre nature humaine, il soit monté au sommet des cieux, à l'orient, comme dit le psaume, j'estime qu'il l'a fait en vertu de la gloire et de la divinité qui lui appartiennent. En effet, il ne devait pas y renoncer, à cause de son amour pour l'humanité, afin d'élever la nature humaine au-dessus de la terre, de gloire en gloire, et de l'emporter avec lui dans les hauteurs.

C'est ainsi que nous préparerons le chemin au Christ : nous n'étendrons pas des vêtements ou des rameaux inanimés, des branches d'arbres qui vont bientôt se faner, et qui ne réjouissent le regard que peu de temps. Notre vêtement, c'est sa grâce, ou plutôt c'est lui tout entier que nous avons revêtu : Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ. C'est nous-mêmes que nous devons, en guise de vêtements, déployer sous ses pas.

Par notre péché, nous étions d'abord rouges comme la pourpre, mais le baptême de salut nous a nettoyés et nous sommes devenus ensuite blancs comme la laine. Au lieu de branches de palmier, il nous faut donc apporter les trophées de la victoire à celui qui a triomphé de la mort.

Nous aussi, en ce jour, disons avec les enfants, en agitant les rameaux qui symbolisent notre vie : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d'lsraël" (1)

(1) Saint André de Crête,  Homélie pour le dimanche des rameaux, source AELF

22 mars 2018

Christ mystère - Albert Rouet

A partir de l'expression de Heb 2,2 : "Christ mystère" écoutons le commentaire de Mgr Rouet  ; "Le mystère désigne donc l'inépuisable générosité de Dieu, ce fleuve surabondant qui, du Père et à travers le cœur transpercé du Fils vivifie l'humanité. L'Église vit de cette eau. Elle la reçoit pour la répandre. Elle est ainsi dépassée, en amont par la largesse de Dieu qui se donne, l'infini de son amour ; en aval vers l'indéfini de l'humanité toujours multiple, nouvelle et ancienne, repliée et novatrice" (1)

Un écho à mon livre éponyme " l'amphore et le fleuve". Mais plus encore un hymne à la réalité du Dieu amour... Il nous abreuve et nous inonde de sa grâce. À contempler.

(1) Mgr Albert Rouet, Diacres une Église en tenue de service, Paris, Mediaspaul, 2016, p. 56-7

Tendresse blessée - Péguy

"Nul chemin ne conduit le chrétien au Domaine qui ne passe au carrefour de la Croix. La joie ne lui est pas retirée : elle est le son même de sa vie. Mais le bonheur tranquille n'est pas la joie. La joie dans les larmes, ou pendant le bon temps, une joie ardente et voilée, voilà l'état naturel du chrétien. Péguy disait que la tendresse, à cause de cela est la moelle du catholicisme. Une tendresse blessée...(1)

Un écho à mon "Dieu de faiblesse" éponyme?

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 175

16 mars 2018

Piétisme et fadeur

« Si le chrétien donne si souvent l'impression dans ses homélies sociales de ne pas avoir prise sur la réalité vivante (...) c'est bien souvent que l'énergie chrétienne qui lui donnerait le mordant (...) s'est affadie en lui dans un piétisme sans âme et sans accent : si bien qu'aux meilleures mêmes l'âpreté et l'indignation apparaissent comme une faute, l'affirmation des déterminismes, des contradictions provisoirement insolubles, des nécessités comme une impiété. » Mounier nous invite ainsi à « l'ascèse des contradictions et des expériences directement débattues »(1).
Qu'est-ce à dire ? Sombrons nous encore aujourd'hui dans un laisser faire au nom d'une miséricorde trop vite accordée. Ses propos sont durs et interpellent. Dans le contexte de 1934 sont ils plus pertinents qu'aujourd'hui ?
Personnellement j'ai peut-être cette fadeur du miséricordieux et le manque de mordant d'une piété exacerbée. Mais je sais qu'un jugement hâtif n'est pas non plus chrétien.
Notons seulement que Mounier dénonce aussitôt le risque de sombrer dans un discours moral, « responsable de la médiocrité de l’action ».
À méditer

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 153

15 mars 2018

La discrétion de Dieu

Une belle évocation chez Mounier qui entre en écho avec « la voix d'un fin silence », mon livre éponyme : « Saint Irénée évoquait la pédagogie divine ; on a parlé depuis de la discrétion de Dieu. Un immense silence qui dure toute l'histoire ; une inspiration par touches intimes qui laissent le champ libre à tout appareil humain ; la patience de tous les détours qui séparent l'inspiration de l'effet : telles apparaissent ces voies qui ne sont pas nos voies ». (1)

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 116

13 mars 2018

L'eau qui purifie -Jn 5 - lecture spirituelle de Grégoire de Nysse

A propos de Jn 5 et de la piscine de Bethesda, prenons nous le temps de considérer que nous pouvons être cet homme englué dans nos adhérences au mal. 
Écoutons sur ce point Grégoire de Nysse : "Tout homme qui entend le récit de la traversée de la Mer Rouge comprend quel est ce mystère de l'eau, dans laquelle on descend avec toute l'armée des ennemis et de laquelle on émerge seul, laissant l'armée des ennemis engloutie dans l'abîme. Qui ne voit que cette armée des Égyptiens..., ce sont les diverses passions de l'âme auxquelles l'homme est asservi : sentiments de colère, impulsions diverses de plaisir, de tristesse ou d'avarice ?... Toutes ces choses et toutes celles qui sont à leur origine, avec le chef qui mène l'attaque haineuse, se précipitent dans l'eau à la suite de l'Israélite. Mais l'eau, par la force du bâton de la foi et la puissance de la nuée lumineuse (Ex 14,16.19), devient source de vie pour ceux qui y cherchent un refuge — et source de mort pour ceux qui les poursuivent... Cela signifie, si l'on en dégage le sens caché, que tous ceux qui passent par l'eau sacramentelle du baptême doivent faire mourir dans l'eau toutes les inclinations mauvaises qui leur font la guerre — l'avarice, les désirs impurs, l'esprit de rapine, les sentiments de vanité et d'orgueil, les élans de colère, la rancune, l'envie, la jalousie... (...) De même on doit engloutir toute l'armée égyptienne, c'est à dire toute forme de péché, dans le bain du salut comme dans l'abîme de la mer et en émerger seul, sans rien qui nous soit étranger.(1)

(1) Saint Grégoire de Nysse, La Vie de Moïse, II, 121s ; SC 1 (trad. SC p. 181 rev.)

12 mars 2018

Dynamique 16 - diaconie de l’Église

« Ou bien [l'Église] se pense comme une société religieuse qui a des œuvres envers les « autres » démunis ou incroyants, ou bien la présence des autres la transperce en son cœur. » (1)

L'enjeu est là souligne Mgr Albert Rouet. Qu'elle est la différence ? Elle est une question de hauteur. Soit l'autre est contemplé de haut, soit il devient le centre : « c'est à moi que vous l'avez fait » (Mat 25). Non pas par devoir, mais comme nous l'avons souligné sur les pas de Mounier parce que l'autre doit devenir premier, sens, centre de nos vies.

« Pour avoir des œuvres, point besoin de diacres. Mais si ces « autres » pénètrent le centre et pour qu'ils y arrivent, des diacres deviennent nécessaires. C'est toute la différence entre assistanat et présence » (2)
La diaconie se joue là. Dans cette inversion qui dépasse la simple pitié pour devenir kénose, à la suite du Christ, c'est à dire pour entrer dans la prise de conscience que l'Eglise est Corps où chacun devient essentiel. Ce n'est pas mon salut que je vise, mais la construction eschatologique du grand Corps, du Royaume.

La fonction du diacre ne peut être cléricale. Elle est bien au contraire une chance de remettre la kénose au centre de sa dynamique sacramentelle. Le diacre est le signe que la diaconie est centrale, essentielle et constitutive de la dimension kénotique de l'Eglise tout entière, il devient le bras visible de cette dimension particulière.

(1) Mgr Albert Rouet, diacres une Église en tenue de service, Paris, Mediaspaul, 2016, p. 49
(2) ibid.


Foi et espérance

Peut-on définir le chrétien comme « « pessimiste actif ». Non répond Emmanuel Mounier qui préfère l'expression « d'optimiste tragique » (1). La différence tient aux trois vertus théologales. La foi et l'espérance nous interdisent tout pessimisme, même si le réalisme nous force à considérer le tragique de l'existence.
À méditer

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 110

Dynamique 15 - visibilité ou enfouissement

Il semblerait que les balancements actuels entre visibilité et enfouissement ne datent pas d'aujourd'hui. Entendre Mounier évoquer en 1948 qu'il y a 20 ans « le grand souci des jeunes chrétiens était de se manifester et de conquérir (« Vous êtes chrétiens et cela doit se voir ») » interroge. Je préfère personnellement sa deuxième version, plus inductive : « Vous êtes chrétiens, ça doit se percevoir, mais ça ne doit pas se voir (...) Être chrétien, c'est peut-être s'effacer sous une certaine transparence plus que s'efforcer à trop d'évidence. Se prêter difficilement à laisser agir en soi un Être plus qu'en ses nom et place »(1)

On est là bien sûr au cœur d'un conflit très profond digne de celui de Jn 8 entre les défenseurs de la loi gravée sur le roc et les traits dans le sable de Jésus. Pharisaïsme ou Présence intérieure ? Drapeaux et étendards ou contagion de l'amour ?
La foi ne s'impose pas. Elle est don de Dieu.

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 98

08 mars 2018

Dynamique 14 - engagement en tension

« L'homme n'est homme que par l'engagement. Mais si l'homme n'était que ses engagements, il serait esclave, surtout dans un monde où le réseau collectif se fait de plus en plus serré. (...) il faut [alors] qu'un drame intérieur anime l'engagement. Ce drame atteint son maximum d'intensité et de fécondité quand il résulte de la tension, dans l'impromptu de l'expérience, entre l'exigence inflexible de l'Absolu et l'exigence pressante de la réalisation. La situation d'insécurité et de hardiesse où elle nous introduit est le climat des grandes entreprises » (1)

Sans commentaire

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 96-97

07 mars 2018

Dynamique 13 - engagement

Où nous conduit l'adsum evoqué plus haut. Pour Mounier le chrétien est celui qui s'engage... « non pas seulement ici ou là, mais tout entier dans chaque acte, si bien que chacun de ses actes (...) devrait être comme le ramassement de toute sa vie (...) unité (...). [Être qui ] toujours dit je en pensant moi le moins souvent possible ; car ce je qui s'engage et qui s'affirme (...) s'efface d'un effacement cette fois supérieur, comme un médiateur, un répondant qui serait tout entier sa réponse (...) une parole unique dans un don unique : « cette goutte de sang que j'ai versé pour toi »(1)
Ici on sent l'accent christique du discours, mais n'est-ce pas notre chemin.

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 86

06 mars 2018

Dynamique 12 - Adsum

Après une contemplation de l'événement qui n'est pas sans écho avec « l'irruption du regard » dont parle Emmanuel Lévinas, Emmanuel Mounier nous invite à un pas de plus dans la dynamique sacramentelle : « adsum, dit le jeune diacre qui reçoit les ordres : ´je suis ici et je suis tel' ; j'ai lutté contre le pharisaïsme, les illusions de l'amour propre, les plus subtiles lâchetés ; si je n'ai accepté le compromis, je n'ai pas refusé mes données ; peut-être puis-je commencer à offrir un être consistant au mystère du Christ » (1)

Pas fragile de celui qui médite l'appel de Dieu et ne saisit pas encore où cela va le mener...

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 85


Dynamique 11 - L’engagement chez Mounier

« L'engagement est toujours nécessaire, il est toujours en porte-à-faux. Il oscille entre la répétition éthique et le secret religieux entre le temps qui le nourrit et l'éternité qui l'inspire. Il est dans le monde, sans être jamais tout à fait de ce monde »(1)

C'est dans l'agir chrétien que se vérifie et rayonne le fruit de la grâce reçue dans le sacrement. La dynamique sacramentelle se joue dans cette continuité.

Et sur ce chemin que seul le Christ a parcouru jusqu'au bout nous nous trouvons petit, car nos œuvres sont vaines si elles ne viennent pas de Dieu.

(1) Emmanuel Mounier, L'engagement de la foi, Paris, Parole et silence, 2017, p. 81


26 février 2018

Dynamique 10 - la grâce reçue du Christ -Saint Jean Chrysostome

"Tu as vu le Christ dans sa gloire. Et Paul s'écrie : Nous, à visage découvert, nous reflétons, comme dans un miroir, la gloire du Seigneur. (...) vous, ce n'est pas seulement par la grâce du nouveau Moïse mais par votre obéissance.(...) nous avons, nous, un autre Moïse, Dieu lui-même, qui nous guide et nous commande.Quelle était, en effet, la caractéristique de ce Moïse ? Moïse, dit l'Écriture, était le plus doux de tous les hommes qui sont sur la terre. On peut sans erreur en dire autant de notre Moïse. En effet, il est assisté de l'Esprit très doux, qui lui est intimement consubstantiel. Alors Moïse a levé les mains vers le ciel et en a fait descendre le pain des anges, la manne ; notre Moïse lève les mains vers le ciel et nous apporte la nourriture éternelle. Celui-là frappa la pierre et fit couler des fleuves d'eau ; celui-ci touche la table, frappe la table spirituelle et fait jaillir les sources de l'Esprit. C'est pourquoi, comme une source, la table de l'autel est placée au milieu de l'église afin que, de toutes parts, les troupeaux des fidèles affluent à la source pour s'abreuver à ses flots qui nous sauvent.Puisque nous avons là une telle source, une telle vie, que la table regorge de mille bienfaits et que, de toutes parts, elle nous comble de dons spirituels, approchons avec un cœur sincère et une conscience pure pour obtenir grâce et miséricorde et recevoir du secours en temps voulu."(1)

(1) Saint Jean Chrysostome,  catéchèse baptismale,  source AELF,  office des lectures,  lundi semaine 1

Dynamique 9 - pauvreté - Mère Térésa

"Je suis habitée par le sentiment que sans cesse, partout, est revécue la Passion du Christ. Sommes-nous prêts à participer à cette Passion ? Sommes-nous prêts à partager les souffrances des autres, non seulement là où domine la pauvreté mais aussi partout sur la terre ? Il me semble que la grande misère et la souffrance sont plus difficiles à résoudre en Occident. En ramassant quelqu'un d'affamé dans la rue, en lui offrant un bol de riz ou une tranche de pain, je peux apaiser sa faim. Mais celui qui a été battu, qui ne se sent pas désiré, aimé, qui vit dans la crainte, qui se sait rejeté par la société, celui-là éprouve une forme de pauvreté bien plus profonde et douloureuse. Et il est bien plus difficile d'y trouver un remède. Les gens ont faim de Dieu. Les gens sont avides d'amour. En avons-nous conscience ? Le savons-nous ? Le voyons-nous ? Avons-nous des yeux pour le voir ? Si souvent, notre regard se promène sans se poser. Comme si nous ne faisions que traverser ce monde. Nous devons ouvrir nos yeux, et voir." (1)

A méditer

(1) Sainte Teresa de Calcutta, No Greater Love (trad. Il n'y a pas de plus grand amour, Lattès 1997, p. 65)