14 octobre 2018

Au fil de Marc 10, 32ss - Annonce de la Passion

 «Ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Les disciples étaient effrayés, et ceux qui suivaient avaient peur. Il prit encore les Douze auprès de lui, et se mit à leur dire ce qui allait lui arriver: Nous montons à Jérusalem; le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes. Ils le condamneront à mort, le livreront aux non-Juifs, se moqueront de lui, lui cracheront dessus, le fouetteront et le tueront; et trois jours après il se relèvera.» (Marc‬ ‭10:32-34‬ ‭NBS‬‬)

Il n’est pas anodin, compte tenu de ce que nous avons développé entre le jeune homme riche et Bartimée de trouver, enchâssé entre les deux récits cette évocation de la Passion. Elle montre le génie littéraire de Marc qui développe une invitation à tout homme en mettant, au centre, la révélation de la Croix.

Au fil de Marc, 10 - Du jeune homme riche à Bartimée

"En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n'est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : 'Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d'adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère.' »
L'homme répondit : « Maître, tout cela, je l'ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l'aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s'en alla tout triste, car il avait de grands biens. Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d'entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. Marc 10, 17-30 (1)

Commentaire de saint Jean Chrysostome : Pour l'attirer Jésus lui montre une récompense de grande valeur et il remet le tout à son jugement. Ce qui pourrait sembler pénible, il le laisse dans l'ombre. Avant de parler de combats et d'efforts, il lui montre la récompense : « Si tu veux être parfait » dit-il : voilà la gloire, voilà le bonheur ! ... « Tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi » : voilà la récompense, la récompense superbe de marcher à la suite du Christ, d'être son compagnon et son ami ! Ce jeune homme estimait les richesses de la terre ; le Christ le conseille de s'en dépouiller, non pas pour s'appauvrir dans le dénuement mais pour l'enrichir davantage (2)

Commentaire 2 : On pourrait s'en tenir là, mais une lecture cursive nous conduit plus loin. En Marc 10, 47-52, nous rencontrerons Bartimée, l'aveugle, délaissé par les hommes, rejeté «  sur le bord du chemin ». Lui va voir, au delà de l'ombre et laisser même son manteau, son seul bien, pour suivre Jésus. « L'aveugle jeta son manteau,bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L'aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé. » Aussitôt l'homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin. » Le contraste est saisissant. Mais l'histoire va plus loin. En Marc 14, 51, le soir de la Passion, un jeune homme suit Jésus, « vêtu seulement d'un drap. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu.». Pour certains commentateurs, il s'agit du même jeune homme riche, et plus encore de Marc l'évangéliste. Quel chemin ? Que faire, que penser de tout cela ? (3)

Ébauche d'une homélie (commentaires bienvenus) :
Il y a toujours un risque, quand on lit un évangile, c’est d’oublier le contexte, l’enchaînement voulu par l’auteur. Et dans ce cas précis, le risque est réel, tant le chapitre 10 tout entier est essentiel dans la compréhension de ce que Marc veut nous dire. La seule lecture de l’histoire de Bartimée n’est finalement qu’un épisode du projet de l’évangéliste. Il n'est pas neutre de voir que Marc place au chapitre 10 les deux récits du jeune homme riche et celui de Bartimée et surtout entre les deux une première allusion à la Passion.
Il y a là une “tension” fondamentale qui se joue ici entre ce qui peut, dans nos richesses nous aveugler et nous éloigner de Dieu, le récit du jeune homme riche, qui refuse de tout quitter et de suivre Jésus et le geste de Bartimée, qui abandonne même son manteau pour courir derrière Jésus. Et entre les deux, une allusion à la Croix.
Heureux les pauvres : ils ont accès au mystère, semble dire ici Marc [Il n'y a pas de béatitudes chez Marc]. Commençons par nous rappeler l’évangile, lu il y a quinze jours. Le jeune homme riche voyait avec les yeux de l’intelligence. Il croyait qu’il suffisait de suivre les commandements pour atteindre Dieu. Bartimèe, celui qui pourtant restait au bord du chemin, qui ne connaissait et ne pratiquait pas tout ça, a vu, au delà de l'ombre de ses yeux de chair, ce que les voyants ne voient pas. Il en laisse son manteau, son seul bien, pour suivre Jésus.



«Prenant la parole, Jésus lui dit alors : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L'aveugle lui dit :  « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé. » Aussitôt l'homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur  le chemin. » Le contraste est saisissant.
D'un côté, le « voyant » qui a vu de ses yeux de chair, mais n’a pas pu aller à l’essentiel.
De l'autre, Bartimée, l’aveugle qui ne voit pas mais qui croit et quitte tout…



A dire vrai, l'histoire de Marc ne s’arrête pas là. En Marc 14, 51, le soir de la Passion, un jeune homme suit Jésus, « vêtu seulement d'un drap. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu.». Pour certains commentateurs, il s'agit du même jeune homme riche, et plus encore, il s’agirait de Marc l'évangéliste lui-même. Quel chemin ? Que faire, que penser de  tout cela ?

Suivre Marc, c'est découvrir les yeux du coeur. Jésus est notre chemin. Il est la vérité et la vie. Ce que l’aveugle voit, à nous de le découvrir, au-delà de ce qui cache l’essentiel.
Un petit détail au début, dans l'histoire de Bartimée que nous venons de lire, mérite une autre petite explication. Jésus sort de Jéricho. Pour les pères de l'Eglise, l'allusion à Jéricho n'est pas anodine. Elle indique une descente de Jésus dans le monde dans sa réalité la plus banale. Quand Jésus vient à Jéricho, il vient vers nous. il veut habiter chez nous. Prenons alors le temps de nous mettre dans la peau des hommes de Jéricho, d’un Zachée, d’un Bartimée et de ressentir ce que nous ne pouvons voir de nos yeux.

La première chose à faire, c'est peut-être de se retourner vers le passé et contempler les dons de Dieu. Il faut pour cela fermer les yeux. Masquer ses yeux de chair pour voir l’essentiel. Je vous invite à le faire, maintenant. A repenser à un moment de bonheur, même s'il est loin, même s'il a été fugace. Un moment de joie pure, une rencontre, pour certains, leur mariage, la naissance d’un enfant… Et de voir combien tout cela a été don de Dieu.
Quand on fait l'exercice au plus profond de son cœur, revient souvent un moment de grande émotion, un moment de joie peut-être. Qu’est-ce qui se passe, dans ce regard. On regarde avec les yeux du coeur ?

Au sourire intérieur que l'on pourrait lire sur certains de vos visages peut faire place une hésitation, un regret. Saint Augustin le dit dans ses
Confessions: "tu étais là et je ne le savais pas". On peut ajouter, à sa suite, je ne le sentais pas, je ne t'ai pas dit merci., Seigneur, pour le don que tu m’as fait ce jour là...
Ne nous en voulons pas. C'est le propre de Dieu de donner et de s'effacer. D'aimer à en mourir.
Ce que nous n'avons pas vu, ce que nous n'avons pas dit reste encore possible. Donne nous Seigneur les yeux de la foi. Permet que sur le chemin de nos vies nous ne doutions plus de ta Présence. Ouvre nos yeux à ce qui est ta Vérité.
Alors nous pourrons, comme Bartimée courir derrière toi et dire "fait que je vois".

Quand on se tourne vers l'intérieur, quand on goûte à la présence de Dieu, on peut s'écrier, comme dans la 1ère lecture, à la suite du prophète Jérémie: "rassemble des confins de la terre  (...) tous ensemble, l'aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c'est une grande assemblée qui revient (...) je les mène, je les conduis vers les cours d'eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas". (Jérémie 31, 8-9)

Pourquoi cette espérance. Par Bartimée, Jésus nous a ouvert le chemin du cœur. Et le chemin du coeur est un chemin de guérison, il ouvre nos yeux à l'essentiel. Nous voyons trop par les yeux du corps ou par les yeux de l’intelligence.
Les yeux du coeur nous ouvre à autre chose. Il nous transforme, y compris dans le regard porté à nos frères.

Je n'ai pas encore évoqué la dernière phrase de la deuxième lecture (Hébreux 5, 6). Elle est comme un sommet, elle nous conduit de Jéricho à Jérusalem. Au bout du chemin que va suivre Bartimée à la suite de Jésus, en quittant le monde des aveugles vers la vie, il y a le Golgotha, le lieu où le grand prêtre éternel (le fameux Melchisédek de la 2eme lecture) va donner le sacrifice unique : sa vie. Saint Marc y fait déjà une allusion, comme je l’ai dit entre le récit du jeune homme riche et celui de Bartimée. Il aura plus loin une image très parlante de cette route prise par Jésus.
Que cherche-t-il à dire ?
Pour Marc, le peuple juif ne voyait pas l'amour de Dieu. Il était derrière un voile. Au Golgotha, nous dit Marc, Dieu va déchirer le voile du haut en bas. Nos aveuglements vont laisser place à la lumière. Et qu’est-ce qui se révèle : Un Christ qui se donne. Ce que nous refusons de voir se dévoile sur la Croix. Dieu est don. Dieu est amour. Alors ouvrons les yeux sur l'essentiel.
Le chemin de Bartimée, c’est regarder avec les yeux du coeur, voir l’essentiel, voire que l’amour est don. C’est le chemin de Marc. Il avait des biens, il se retrouve nu, le jour de la Passion. Il est nu, mais il voit...




(1) source AELF 
(2) Saint Jean Chrysostome, Homélie 63 sur St Matthieu ; PG 58,603 (trad. cf. Marc commenté, DDB 1986, p. 104)
(3) cf. Sur les pas de Marc

13 octobre 2018

Erri de Luca - Au nom de la mère

Surprenante interprétation de l’incarnation du Verbe au sein de la Vierge. Par un roman aux accents poétiques, le romancier italien nous plonge dans la culture juive du premier siècle. Marie y est décrite comme rejetée par les siens, à Nazareth. Fille mère ! Et pourtant fille habitée par une Parole, admiratrice d’un Joseph qui prend sa défense et dérangée par une présence toute intérieure, interactive. « Le Verbe qui dort en nous provoque des tressaillements. C’est la trace d’un Dieu fragile qui se réveille sans bousculer notre liberté. Écoutons le ». (2)
J’ai toujours un peu de mal avec une interprétation des sentiments intérieurs d’une figure aussi iconique que la Vierge. Pourtant cette mise en situation (ce que les exégètes appellent un « sitz in Leben ») nous fait goûter à l’indicible.

(1) Erri de Luca - Au nom de la mère Gallimard, édition folio, 2008. La traduction n’étant pas à la hauteur du texte italien.
(2) cf. post précédent 
(3) voir aussi mon essai plus fidèle au texte biblique : Silo, le berger, un conte de Palestine

Homélie de Baptême - 1 - Au fil de Marc 9, 39

Regardez ce petit enfant, dans sa fragilité, dans sa quiétude relative.
Qu'est-ce qui vous frappe ?
Pourquoi Jésus le met au centre dans cet Évangile (Mc 9, 30-37) que nous avons lu, une seconde fois ?
Prenons le temps, un instant de nous poser la question.

Pourquoi Jésus met l'enfant au centre dans cet Évangile ?

Je vous propose une réponse, fragile. Car je suis, moi aussi un petit enfant « diacre », tout juste sortie du grand berceau de la cathédrale de Chartres, mystérieusement réceptacle d'un don particulier dont je n'ai pas encore mesuré l'importance.

Ce don est le même, d'une certaine manière, que celui reçu par X. Il est donné par « le grand donateur qui s'efface » . Un grand donateur qui va jusqu'à nous donner son Fils et se taire. Pourquoi ce silence ? Pourquoi se tait-il ?

Le silence de Dieu, qui nous interpelle tous, un jour ou un autre, est sa marque de fabrique. Il donne et se tait.
Qu'a-t-il donné ?

Je vous propose une réponse, en tout cas la plus essentielle : Il nous donne la Foi, l'Espérance et la Charité.

X a confiance en sa maman, et même foi dans sa maman. Quand il la regarde, il sait qu'elle le comblera. Enfant, il n'en doute pas encore.
Et nous, doutons-nous de Dieu ?
Redevenons comme un enfant nous dit Jésus.

X vit dans l'espérance. Il sait que même si sa maman s'est absentée, elle reviendra.
Nous avons plus de mal à espérer…
Surtout quand la souffrance nous tombe dessus.

Notre vie entière, même embourbée dans le marécage de nos addictions, devrait être, pourtant, comme lui, dans l'attente de cette branche d'olivier rapportée par la colombe le jour du déluge (Gn 7). Un jour il reviendra. « Il est ressuscité » nous disent les 4 Évangiles.

X a, en lui, une réelle capacité d’Amour et de Charité. Il l’a reçu de Dieu, Elle dort en lui et ne demande qu'à’ “servir”.
Il va y travailler ! Il va recevoir, comme nous, l’Esprit de charité dans le silence de son baptême. Nous aussi, nous pouvons, comme lui, en faire usage.

C'est pour moi ma première mission de diacre et je me trouve, comme X très démuni.

Pourtant, il y a, autour de moi, des parrains dans la foi, qui m'aideront à me libérer de mes adhérences au mal’.

C’est cette sortie des eaux de la mort que nous allons exprimer tout à l’heure.

Mes parrains dans la foi vont m’aider à traverser encore et toujours les tentations qui m’embournent pour me conduire et m’accompagner au désert (Os 3), celui de l'attente, du silence, de la prière.

Parrain, marraine, et nous tous autour de lui, c'est notre premier rôle. Faire découvrir chez X, que seul l'amour véritable vaut la peine d'être vécu.
« Si vous n'avez pas la charité », X ne l'aura pas. Si elle n'est chez nous « qu'une cymbale qui sonne creux »(1 Co 13), X devra la trouver tout seul, et traverser le désert bien démuni.

Il aura soif (Jn 4, Jn 19) et c'est à vous de lui apporter l'eau. Cette eau vive (Jn 4) qui guérit et vivifie.

Si vous ne savez plus où se trouve cette source, penchez vous à nouveau vers la Croix. C'est de la Croix qu'elle jaillit. C'est le don de Dieu. Le seul, l'unique : la charité vient de Lui, elle se ressource en Lui, elle se contemple dans la Croix.

Je vais vous confier un secret. A chaque eucharistie, je contemple la Croix. (...)

Pourquoi je lève la tête? Parce que le pain offert et consacré n'est rien, s'il n'est compris comme le don total, immense, d'un amour qui se donne et s'efface. Et c’est ce que j’ai besoin de contempler.

Le seul amour est celui qui se donne et s’efface ensuite.
C’est celui de cette maman et de ce papa qui nous apportent X.
C’est celui auquel nous sommes appelés, chacun à notre manière.
C’est celui de ce Christ, reçu il y a quelques instants dans notre coeur.

Il nous faut prendre le temps de nous disposer à l'accueillir. Lui laisser une place.
Et pour cela, laisser l’Esprit creuser en nous un espace, un temple (1 Co 3), pour que Dieu laisse fasse en nous jaillir sa source, pour que nous puissions y puiser, et agir.

Au fil de Luc 11, 27-28, les manducateurs du Verbe


« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t'a porté en elle, et dont les seins t'ont nourri ! »
Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Luc 11,27-28

Surprenant passage qui comme dans Jean 2 (Cana) pourrait penser que Jésus méprise sa mère. Saint Augustin corrige cette impression avec délicatesse : « Marie était bienheureuse, parce que, avant même d'enfanter le Maître, elle l'a porté dans son sein.
Voyez si ce que je dis n'est pas vrai. Comme le Seigneur passait, suivi par les foules et accomplissant des miracles divins, une femme se mit à dire : « Heureux, bienheureux, le sein qui t'a porté ! » Et qu'est-ce que le Seigneur a répliqué, pour éviter qu'on ne place le bonheur dans la chair ? « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ! » Donc, Marie est bienheureuse aussi parce qu'elle a entendu la parole de Dieu et l'a gardée : son âme a gardé la vérité plus que son sein n'a gardé la chair. La Vérité, c'est le Christ ; la chair, c'est le Christ. La vérité, c'est le Christ dans l'âme de Marie ; la chair, c'est le Christ [en] Marie. Ce qui est dans l'âme est davantage que ce qui est dans le sein. Sainte Marie, heureuse Marie !.. Mais vous, mes très chers, regardez vous-mêmes : vous êtes les membres du Christ, et vous êtes le corps du Christ (1Co 12,27)... « Celui qui entend, celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère »... Car il n'y a qu'un seul héritage. C'est pourquoi le Christ, alors qu'il était le Fils unique, n'a pas voulu être seul ; dans sa miséricorde, il a voulu que nous soyons héritiers du Père, que nous soyons héritiers avec lui (Rm 8,17).(1)

Il nous reste un chemin, plus profond que celui de la chair (entendez par là le monde et ses attractions temporelles) celui d'une lente manducation de la Parole. Erri de Luca, dans « Au nom de la mère » nous y conduit à sa façon (2). Le Verbe qui dort en nous provoque des tressaillements subtils. C'est la trace d'un Dieu fragile qui se réveille sans bousculer notre liberté. Écoutons le.

(1) Saint Augustin, Sermon sur l'évangile de Matthieu, n° 25, 7-8 ; PL 46, 937 (trad. bréviaire 21/11), source Evangile au quotidien 
(2) Gallimard, édition folio, 2008. La traduction n'étant pas à la hauteur du texte italien.

12 octobre 2018

La tentation cléricale - 2

« Évoquer le saint peuple fidèle de Dieu revient à évoquer l'horizon vers lequel nous sommes invités à regarder et à partir duquel réfléchir. C'est le saint peuple de Dieu que, en tant que pasteurs, nous sommes appelés à regarder, protéger, accompagner, soutenir et servir. Un père ne se conçoit pas lui-même sans ses enfants. Il peut être un excellent travailleur, professionnel, mari, ami, mais ce qui fait de lui le père a un visage : ce sont ses enfants. Il en est de même pour nous, nous sommes pasteurs. Un pasteur ne se conçoit pas sans un troupeau, qu'il est appelé à servir. Le pasteur est pasteur d'un peuple, et c'est de l'intérieur que l'on sert le peuple. Bien souvent, l'on avance en ouvrant la route, d'autres fois, l'on revient sur nos pas afin que personne ne demeure en arrière, et souvent l'on se trouve au milieu pour bien sentir le pouls des gens. 
Regarder le saint peuple fidèle de Dieu et sentir que nous en faisons partie intégrante nous positionne dans la vie, et par conséquent, dans les thèmes qui nous occupent, de manière différente. Cela nous aide à ne pas sombrer dans des réflexions qui peuvent, en soi, être très bonnes, mais qui finissent par homologuer la vie de notre peuple et par théoriser au point que la spéculation finit par tuer l'action. Regarder continuellement le peuple de Dieu nous sauve de certains nominalismes déclarationnistes (slogans) qui sont de jolies phrases, mais qui ne parviennent pas à soutenir la vie de nos communautés. (...)
Regarder le peuple de Dieu signifie rappeler que nous faisons tous notre entrée dans l'Église en tant que laïcs. Le premier sacrement, celui qui scelle pour toujours notre identité et dont nous devrions toujours êtres fiers, est le baptême. À travers lui et avec l'onction de l'Esprit Saint, (les fidèles) « sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint » (Lumen gentium, n. 10). Notre consécration première et fondamentale prend ses racines dans notre baptême. Personne n'a été baptisé prêtre ni évêque. Ils nous ont baptisés laïcs et c'est le signe indélébile que personne ne pourra jamais effacer. Cela nous fait du bien de nous rappeler que l'Église n'est pas une élite de prêtres, de personnes consacrées, d'évêques, mais que nous formons tous le saint peuple fidèle de Dieu. Oublier cela comporte plusieurs risques et déformations dans notre expérience, à la fois personnelle et communautaire, du ministère que l'Église nous a confié. Nous sommes, comme le souligne bien le Concile Vatican II, le peuple de Dieu, dont l'identité est « la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur desquels demeure l'Esprit Saint, comme dans un temple » (Lumen gentium, n. 9). Le saint peuple fidèle de Dieu est oint par la grâce de l'Esprit Saint, et c'est pour cela qu'au moment de réfléchir, de penser, d'évaluer, de discerner, nous devons être très attentifs à cette onction.(1)
La tentation, poursuit notre pape, est de « sous-évaluer la grâce baptismale que l'Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple »
(1)  cf. Pape François, lettre au Cardinal Ouellet, Du Vatican, le 19 mars 2016

Source : http://m.vatican.va/content/francescomobile/fr/letters/2016/documents/papa-francesco_20160319_pont-comm-america-latina.html

La tentation cléricale

L'Esprit de Dieu ne nous appartiens pas. Il n'est pas nécessairement transmis par voie hiérarchique, auto-attribué aux clercs par un sacrement. Plus foncièrement, il continue de « souffler où il veut ». (Jn 3). L'ordre n'est pas une distinction mais une imitation et une responsabilité. La tentation qu'exploite bien le Malin est de laisser croire qu'on est des purs. Notre purification n'est qu'illusion. La véritable pureté est dans la kénose. Un long et difficile chemin pour celui qui reçoit le sacrement de l'ordre.
La tentation du cléricalisme n'est-elle pas d'oublier que l'Esprit souffle autant chez les laïcs, que le sensum fidei (1) est une réalité de l'Église.

(1) relire à ce sujet la lettre de notre pape François au cardinal Ouellet (voir post 2 ou lien )

http://m.vatican.va/content/francescomobile/fr/letters/2016/documents/papa-francesco_20160319_pont-comm-america-latina.html

Au fil de Luc 11,15-26. - Le doigt de Dieu


« Mais si c'est par Béelzéboul que moi, je les expulse, vos disciples, par qui les expulsent-ils ? Dès lors, ils seront eux-mêmes vos juges. En revanche, si c'est par le doigt de Dieu que j'expulse les démons, c'est donc que le règne de Dieu est venu jusqu'à vous. Quand l'homme fort, et bien armé, garde son palais, tout ce qui lui appartient est en sécurité. Mais si un plus fort survient et triomphe de lui, il lui enlève son armement auquel il se fiait, et il distribue tout ce dont il l'a dépouillé. Celui qui n'est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse. » Quand l'esprit impur est sorti de l'homme, il parcourt des lieux arides en cherchant où se reposer. Et il ne trouve pas. Alors il se dit : "Je vais retourner dans ma maison, d'où je suis sorti." En arrivant, il la trouve balayée et bien rangée. Alors il s'en va, et il prend d'autres esprits encore plus mauvais que lui, au nombre de sept ; ils entrent et s'y installent. Ainsi, l'état de cet homme-là est pire à la fin qu'au début. » (Luc, 11, 20-26)

Qu'est-ce que le doigt de Dieu ? Dans l'Ancien testament, c'est celui qui trace les tables de la loi (cf. Ex 31, 18). N'est-ce pas finalement Celui qui trace au plus intime de l'homme la Parole du Verbe dans sa Chair. L'Esprit de Dieu ne nous appartiens pas. Il n'est pas nécessairement transmis par voie hiérarchique, auto-attribué aux clercs par un sacrement. Plus foncièrement, il continue de « souffler où il veut ». (Jn 3). L'ordre n'est pas une distinction mais une imitation et une responsabilité. La tentation qu'exploite bien le Malin est de laisser croire qu'on est des purs. Notre purification n'est qu'illusion. La véritable pureté est dans la kénose. Un long et difficile chemin pour celui qui reçoit le sacrement de l'ordre.(1)

Dieu caché,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que ce fruit nouveau-né
Dans la nuit qui t'engendre à la terre ;
Tu dis seulement
Le nom d'un enfant :
Le lieu où tu enfouis ta semence.

℟Explique-toi par ce lieu-dit :
Que l'Esprit parle à notre esprit
Dans le silence !

Dieu livré,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que ce corps partagé
Dans le pain qui te porte à nos lèvres ;
Tu dis seulement :
La coupe du sang
Versé pour la nouvelle confiance. ℟

Dieu blessé,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que cet homme humilié
Sur le bois qui t'expose au calvaire !
Tu dis seulement :
L'appel déchirant
D'un Dieu qui apprendrait la souffrance. ℟(2)

Peut on entre dire ce que nous dit l'auteur de la lettre de Timothée ?
« Si quelqu'un donne un enseignement différent, et n'en vient pas aux paroles solides, celles de notre Seigneur Jésus Christ, et à l'enseignement qui est en accord avec la piété, un tel homme est aveuglé par l'orgueil, il ne sait rien, c'est un malade de la discussion et des querelles de mots. De tout cela, il ne sort que jalousie, rivalité, blasphèmes, soupçons malveillants, disputes interminables de gens à l'intelligence corrompue, qui sont coupés de la vérité et ne voient dans la religion qu'une source de profit.Certes, il y a un grand profit dans la religion si l'on se contente de ce que l'on a. De même que nous n'avons rien apporté dans ce monde, nous n'en pourrons rien emporter. Si nous avons de quoi manger et nous habiller, sachons nous en contenter. Ceux qui veulent s'enrichir tombent dans le piège de la tentation, dans une foule de convoitises absurdes et dangereuses, qui plongent les gens dans la ruine et la perdition. » (1 Tm 6, 3-9)
« un véritable progrès dans la foi, (...) [n'est-ce pas finalement prendre conscience que la véritable sagesse] du vieillard a d'abord été en germe chez l'enfant ? Il n'y a donc aucun doute : la règle de tout progrès légitime et la norme précise de toute croissance harmonieuse, c'est que le nombre des années révèle chez les plus grands la forme des membres que la sagesse du Créateur avait ébauchée lorsqu'ils étaient enfants. (...) Ainsi, lorsque le grain des semailles a poussé avec le temps et se réjouit maintenant de mûrir rien cependant ne change des caractères propres du germe.(3)
Notre Sagesse ne vient que de Dieu.
« Tout est grâce »(4)
(1) cf. mon prochain post sur « La tentation cléricale »
(2) Hymne, source AELF 
(3) Saint Vincent de LÉRINS, Commonitorium, source AELF 
(4) pour reprendre l'expression célèbre de Bernanos 

11 octobre 2018

Une argile dans la main de Dieu

« Une argile dans la main de Dieu ». Cette expression d'Hans Urs von Balthasar (1) me laisse rêveur. Son propos vient d'une médiation de l'œuvre de la Parole en nous et de cette interaction salvatrice du Verbe qui nous empêche toujours de sombrer dans l'autosuffisance.
Elle est en nous et n'est pas nous. Plus intérieure que notre raison et nos émotions, plus essentielle et libre aussi. Elle réveille en nous le coeur, frappe à notre porte dans le silence, courant d'air disait François Cassingena-Trévédy. Nous ne pouvons l'enfermer dans nos concepts. Et en même temps elle nous modèle, nous malaxe à la mesure de notre manducation.

(1) in La prière contemplative, op. cit. p. 35

Au fil de Luc 11,5-13 - Les trois pains

Une lecture spirituelle du texte nous est donnée par Saint Bonaventure. Elle nous conduit très loin dans la contemplation : « Si l'un d'entre vous ayant un ami s'en va le trouver au milieu de la nuit pour lui dire : "Mon ami, prête-moi trois pains, car l'un de mes amis est arrivé de voyage et je n'ai rien à lui offrir" » : Selon l'intelligence spirituelle, par cet ami, on entend le Christ. « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis » (Cf. Jn 15, 15). Il faut aller vers cet ami, de nuit, c'est-à-dire dans le silence de la nuit, comme vint Nicodème au sujet duquel il est dit « qu'il vint trouver Jésus de nuit » (Cf. Jn 3,2). Et en premier lieu parce que dans le silence secret de la nuit, il faut frapper par la prière, selon Isaïe : « La nuit, mon âme te désire » (Is 26,9). Ou bien dans la nuit, c'est-à-dire dans la tribulation, selon Osée : « Dans leurs tribulations, ils se lèveront dès le matin » (Os 5,15 Septante).
En effet, l'ami qui arrive de voyage, c'est notre esprit qui revient à nous aussi souvent qu'il s'est éloigné par les biens temporels. Le plaisir fait s'éloigner cet ami, mais la tribulation le ramène, comme il est dit plus loin, en Luc , au sujet du fils prodigue qui s'est éloigné à cause de la luxure et qui est revenu à cause de la misère (Cf Lc 15,11-32). Celui qui revient rentre en lui-même, mais il se trouve vide de la consolation des nourritures spirituelles.
Pour cet ami affamé, il faut donc demander à l'ami véritable trois pains, c'est-à-dire l'intelligence de la Trinité, soit le nom des trois personnes, afin qu'il trouve sa nourriture dans la connaissance du Dieu unique. Ou bien ces trois pains sont la foi, l'espérance et la charité, par lesquelles est nommée une triple vertu dans l'âme. À leur sujet, au livre des Rois, [on lit] : « Quand tu arriveras au chêne de Tabor, tu y rencontreras trois hommes montant vers Dieu à Béthel, l'un portant trois chevreaux, l'autre trois miches de pain et le dernier portant une outre de vin » (1R 10,3 Septante =1S 10,3), afin qu'en cela soient comprises l'unité de la grâce et la trinité des vertus par lesquelles l'image de Dieu est formée dans l'âme. »(1)

(1) Saint Bonaventure, Commentaire de l'Évangile selon S. Luc, (trad. André Ménard, Études Franciscaines 2008, p.44, rev.), source Evangile au quotidien


10 octobre 2018

A la suite de Marie - l’amour est en toi 19

« Marie est l'archétype de l'Église, parce qu'elle est originellement les deux choses en même temps : lieu de l'habitation réelle et corporelle du Verbe jusqu'à l'intimité de l'unique chair de la mère et de l'enfant, mais ceci [à] partir de la condition spirituelle de servante de toute sa personne corporelle et psychique (...) parce qu'elle est vierge, c'est à dire auditrice exclusive de la Parole, elle devient mère, lieu de l'incarnation du Verbe (...) toute contemplation doit prendre Marie comme modèle pour se prémunir d'un double danger : considérer la Parole comme quelque chose d'extérieur, au lieu de la considérer comme le plus profond mystère au centre de nous-mêmes, comme ce en quoi nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Et considérer la Parole comme une parole si intérieure que nous la confondons finalement avec notre propre être, avec une sagesse disponible à notre gré et nous ayant été donnée en partage une fois pour toutes » (1)

(1) Hans Urs von Balthasar, La prière contemplative, Parole et Silence, 2002, 2018, p. 23

09 octobre 2018

Diaconat 3 - Imitateur de Dieu - Saint Ignace d’Antioche

« J'ai glorifié Dieu puisque j'avais trouvé en vous, je le savais, des imitateurs de Dieu.
Car, lorsque vous êtes soumis à l'évêque comme à Jésus Christ, je vois que vous ne vivez pas selon les hommes, mais selon Jésus Christ qui est mort pour vous afin que, croyant en sa mort, vous échappiez à la mort. Il est donc nécessaire, comme vous le faites, de ne jamais agir sans l'évêque mais d'être soumis aussi au presbyterium comme aux Apôtres de Jésus Christ, notre espérance. C'est en lui que nous serons, si nous vivons ainsi.
Il faut aussi que les diacres, qui sont les serviteurs des mystères de Jésus Christ, soient agréés de tous en toute chose. Car ce n'est pas de nourriture et de boisson qu'ils sont les diacres : ils sont les serviteurs de l'Église de Dieu. Il faut donc qu'ils évitent comme le feu tout motif de reproche.(1). »
(1) Saint Ignace d'Antioche, Lettre aux Tralliens, source AELF




L’amour est en toi - 18 - Sainte Élisabeth de la Trinité


« Pour que rien ne me sorte du beau silence du dedans, [je garderai] toujours la même condition, le même isolement, la même séparation, le même dépouillement. Si mes désirs, mes craintes, mes joies ou mes douleurs... ne sont pas parfaitement ordonnés à Dieu, je ne serai pas solitaire, il y aura du bruit en moi ; il faut donc l'apaisement, le « sommeil des puissances », l'unité de l'être. « Écoute, ma fille, prête l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père, et le Roi sera épris de ta beauté » (Ps 44,11-12)... « Oublier son peuple » c'est difficile, il me semble ; car ce peuple c'est tout ce monde qui fait pour ainsi dire partie de nous-mêmes : c'est la sensibilité, les souvenirs, les impressions, etc. ... Quand l'âme a fait cette rupture, quand elle est libre de tout cela, le Roi est épris de sa beauté...
Le Créateur, en voyant le beau silence qui règne en sa créature, en la considérant toute recueillie..., la fait passer en cette solitude immense, infinie, en ce « lieu spacieux » chanté par le prophète (Ps 17,20) et qui n'est autre que lui-même... « Je la conduirai dans la solitude et je lui parlerai au cœur. » (Os 2,16) La voici, cette âme entrée en cette vaste solitude où Dieu va se faire entendre ! « Sa parole, dit saint Paul, est vivante et efficace, et plus pénétrante qu'aucun glaive à deux tranchants : elle atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, jusque dans les jointures et dans les mœlles. » (He 4,12) C'est donc elle directement qui achèvera le travail du dépouillement dans l'âme...
Mais ce n'est pas tout de l'entendre, cette parole, il faut la garder ! (Jn 14,23) Et c'est en la gardant que l'âme sera « sanctifiée dans la vérité » (Jn 17,17) ; c'est là le désir du Maître... À celui qui garde sa parole, n'a-t-il pas fait cette promesse : « Mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure » ? (Jn 14,23) C'est toute la Trinité qui habite dans l'âme qui l'aime en vérité, c'est-à-dire en gardant sa parole.(1) »

(1) Sainte Élisabeth de la Trinité, Dernière Retraite, 10e – 11e  jours (in OC, Cerf 1991, p.173s, source Evangelizo 

03 octobre 2018

Théologie du corps - L’amour est en toi 17

C’est peut-être dans la première lettre aux Corinthiens que se dévoile le mieux la théologie chrétienne du corps. D’abord dans les premiers chapitres où Paul parle de notre corps comme temple de l’Esprit et met de fait tout notre rapport au monde en tension avec notre ouverture au divin.
«Ne le savez-vous pas? Votre corps est le sanctuaire de l’Esprit saint qui est en vous et que vous tenez de Dieu; vous ne vous appartenez pas à vous-mêmes, car vous avez été achetés à un prix. Glorifiez donc Dieu dans votre corps.»
‭ (1 Co ‭6:19-20‬)
Cette théologie est héritage du premier Testament. L’hébreu est lui-même objet d’interprétation puisque le mot « basar » est en grec traduit soit par sarx (chair) ou soma (corps) alors que cette chair est habitée par nephesh (le souffle de vie) et ruah (relation disposée vers Dieu)
Bien sûr, on peut passer aux côtés de cette théologie, mais c’est faire impasse sur Gn 2, don du souffle et appel à faire une seule chair.
Il y a dans le don du corps à l’homme à la fois une infinie liberté et une invitation : être signe d’une danse symphonique entre l’homme et Dieu dans la « chair même » d’une danse des corps.
Saint Jean Paul Il l’a bien compris dans ses catéchèses, « l’union conjugale peut être liturgie » dit-il.
Si nos corps à corps deviennent symphonie, c’est qu’en portant du fruit, ils participent à la création du monde. J’entends cela au sens le plus large du mot fécondité.
Et c’est là où les chapitres 12 et 13 de Corinthiens entrent en compte. Si je n’ai pas l’amour je ne suis rien. « L’amour prend patience, ne cherche pas son intérêt », est don total (agape) qui s’oublie dans une fécondité sans retour, qu’elle soit dans une autre chair ou d’un autre ordre.
Alors pouvons-nous comprendre Ephesiens 5 : «Maris, aimez votre femme comme le Christ a aimé l’Eglise: il s’est livré lui-même pour elle,»
‭‭(Eph. 5:25‬),
L’amour humain est tremplin vers l’agape. S’en priver n’a de sens que s’il est don renouvelé de soi. S’y consacrer à l’inverse n’est pas chemin de perdition. Il est don pour une même diaconie : l’amour conjugal devient sacrement dans l’effacement de la chair qui devient temple de la vie reçue et donnée (1)

  1. en résonance avec un cours d’Eric Morin aux Bernardins sur 1 Co 7 (https://www.collegedesbernardins.fr/content/saint-paul-la-premiere-lettre-aux-corinthiens-2017) et mes travaux publiés sous le titre de Aimer pour la vie, essai de spiritualité conjugale



01 octobre 2018

Ma vocation c’est l’amour - sainte Thérèse de Lisieux

« Considérant le corps mystique de l'Église, je ne m'étais reconnue dans aucun des membres décrits par S. Paul, ou plutôt je voulais me reconnaître en tous... La charité me donna la clé de ma vocation. Je compris que si l'Église avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas ; je compris que l'Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d'amour. Je compris que l'Amour seul faisait agir les membres de l'Église, que si l'Amour venait à s'éteindre, les Apôtres n'annonceraient plus l'Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que l'amour renfermait toutes les vocations, que l'amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux... ; en un mot, qu'il est éternel !...
Alors, dans l'excès de ma joie délirante, je me suis écriée : Ô Jésus, mon Amour... ma vocation, enfin je l'ai trouvée, ma vocation, c'est l'amour !...
Oui, j'ai trouvé ma place dans l'Église et cette place, ô mon Dieu, c'est vous qui me l'avez donnée... dans le Cœur de l'Église, ma Mère, je serai l'Amour... ainsi, je serai tout... ainsi mon rêve sera réalisé !!!... » (1)
(1) Sainte Thérèse de l'enfant Jésus et de la Sainte Face, lettre à sœur Marie du Sacré Cœur, 22/9/1896