Affichage des articles dont le libellé est Osée 2. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Osée 2. Afficher tous les articles

04 août 2022

En chemin vers la Galilée - 2

Chapitre 1.1 Le désert

Le chemin de notre liberté passe par le désert. Première invitation, ardue, s’il en est, à s’extraire de notre course souvent futile pour entendre l’essentiel. Ce n’est pas dans un bruit incessant que Dieu pourra toucher notre cœur. Il nous conduit au désert dès les livres les plus anciens de la Bible. C’est en effet dans l’un des plus vieux ouvrages, au chapitre 2 d’Osée qu’en retentit le premier appel. 

Qu’est-ce que ce désert ? En quoi est-il le premier pas, nécessaire, incontournable, vers Dieu ? Pourquoi, est-ce par là, d’ailleurs, que le Christ commence, dès le début de sa mission de jeune baptisé ? 

Dieu nous invite, sur la base d’une trame conjugale entre le prophète Osée et Gomer, sa femme perdue : 

« C'est pourquoi, voici que moi je l'attirerai, et la conduirai au désert, et je lui parlerai au cœur » Osée 2,16.


Ici l’on sent une tension, un paradoxe. Comment attirer quelqu’un en l’emmenant au désert ? On perçoit bien que le sens propre ouvre vers autre chose, ce qu’on appelle une métaphore. Ici, l’enjeu est de sauver un peuple qui s’est égaré. L’idée derrière « je l’attirerai » met en valeur les efforts et le charme déployés par Dieu pour reconquérir le cœur de son peuple.

Il y a là les accents dramatiques d’un mari qui a vu sa femme lui échapper et qui cherche à la ramener sur ses sentiers. 


Pourquoi le désert‍ ? 

Probablement parce que la tradition en fait le lieu fondateur : c’est dans le désert que les anciens esclaves de l’Égypte sont devenus un peuple libre. C’est dans le désert que Moïse a trouvé sa voie et a conduit ensuite le peuple,

derrière la nuée, autre analogie, vers la terre promise.

Le désert est dépouillement, mise à nu, fragilité qui nous fait perdre nos fausses certitudes.

Le désert et la soif qui sont, dans d’autres textes, le chemin pris par Dieu pour affiner le cœur de l’homme, ont chez Osée un aspect plus dramatique. Conduire au désert est plus qu’une épreuve physique, un lieu de conversion.

C’est au désert que naît notre soif de l’essentiel. 

Quel est le sens de cette invitation ? 

Une épreuve ? 

Le chemin du désert est-il un chemin de mort‍ ? Une invitation au renoncement ? Probablement, sans pour autant qu’il soit de l’ordre de l’obligation. Je ne veux pas de sacrifices affirme le psaume, mais un cœur brisé.

Les mots sont forts. Une brisure…

D’autres images viennent l’expliquer. Celui qui résiste, qui fait le fier, l’orgueilleux qui pense tout maîtriser lui-même, a perdu la souplesse du roseau qui ploie et se couche sous le souffle du vent…

Le désert est dépouillement d’une carapace inutile. Il est “chemin de nudité”. “Enlève tes vêtements”, dira un des premiers versets d’Exode 33, juste après l’épisode du veau d’or…

Ta parure humaine, ta carapace extérieure ne te permets pas de trouver ton Dieu. 

“Je la mettrai à nu” crie plusieurs prophéties à propos du peuple, dont Osée lui-même.

Nudité où l’homme se sent fragile, quitte toute certitudes ? Est-ce là la voie du désert ? 


Nous touchons là à un point très délicat de toute expérience chrétienne. Le désert n’est pas un parcours forcé, mais bien une invitation. Un franchissement nécessaire, une étape, un passage, un choix.


Dieu cherche à nous séduire…

« Le mot hébreu mə-pat-te-ha est unique dans la bible. La traduction latine de saint Jérôme introduit, par contre, un double sens : en latin "lactabo" peut signifier allaiter ou séduire. C’est ce premier concept qui inspire saint Antoine : « Je l'allaiterai, dit-il, et la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur » (cf. Os 2,14 Vg.). [Pour lui], les trois expressions allaiter, conduire au désert, parler à son cœur désignent les trois étapes de la vie spirituelle : le début, le progrès, la perfection. Le Seigneur allaite le débutant lorsqu'il l'éclaire de sa grâce, pour qu'il grandisse et progresse de vertu en vertu. Il le conduit ensuite à l'écart du vacarme (..) du désordre des pensées, dans le repos de l'esprit ; enfin, une fois amené à la perfection, il parle à son cœur. L'âme éprouve alors la douceur de l'inspiration divine et peut se

livrer totalement à la joie de l'esprit. »


Se laisser conduire au désert implique une démarche personnelle, intérieure, un quitter. Nous reviendrons sur ce point. Il faut peut-être se laisser le temps de suivre ce mouvement, de partir nous aussi au désert pour y trouver l’essentiel. C’est ce que découvrent ceux qui s’avancent vers Compostelle… Le chemin, la marche a cette vertu de travailler notre cœur, par les pieds…


N’est-ce pas aussi le chemin du Christ, poussé par l’Esprit, dès son baptême ? C’est ce que note à l’unisson Luc et Matthieu.

L’idée de Dieu, suggérée par d’autres lectures, comme Proverbes 8, est de changer, séduire celui qu’il appelle, pour l’éloigner du futile, vers l’essentiel. Le Christ lui-même y fait allusion : « J’ai joué de la flute et vous n’avez pas dansé » (Lc 7, 32). La séduction de Dieu pour nous conduire sur ses chemins fait partie de cette pastorale particulière qui permet à l’homme de quitter ses calculs rationnels. Depuis les charmes de la création jusqu’aux élans mystiques, le Dieu de l’Ancien Testament nous prépare à une danse particulière qui sera celle des anges. Il déploie ici, dès les premiers chapitres, une « pédagogie » qui n’a pour but que la séduction respectueuse de l’homme libre.

Séduction parce que Dieu ne s’impose pas. L’homme reste libre. Dieu ne force pas, il appelle. Le chemin auquel nous introduit Osée est un chemin original, fait d’exhortation comme de tendresse. Si l’on y sent parfois la tristesse et la révolte face à l’homme qui s’égare, il transparaît un désir, celui que l’homme change son cœur de pierre en cœur de chair, se convertisse vers son Dieu. Pour cela, Dieu va “déchirer ses entrailles” (Osée 11), comme une mère déchirée de voir son enfant lui échapper. Le désert est la première contemplation d’un Dieu qui se penche vers l’homme, pour le relever et en faire un homme libre.

L’attraction au désert, loin des repères traditionnels, contribue à creuser un désir. En travaillant l’humilité de l’homme, mis à nu devant le « rien », il le met en condition « pour entrer dans sa danse ». C’est dans le désert que l’on retrouve son Dieu. Jésus lui-même y invite ses disciples : « Venez à l’écart, dans un lieu désert » (Mc 6, 31). 

C’est au désert que l’oreille s’affine, se fait écoutante, sensible à la musique de Dieu.

Un des plus beaux passages de la Bible sur le désert est probablement celui qui conduit Élie vers la révélation de Dieu. 

Prenons le temps de suivre ses pas…


Comme indiqué, voici le début du premier chapitre, dans sa version brute de coffrage et déjà je m’aperçois de deux choses : 

1. je retravaille des chemins déjà parcourus. (Ici mon livre, le chemin du désert, publié il y a une dizaine d’années, disponible gratuitement sur Kobo/Fnac cf. https://www.kobo.com/fr/fr/search?query=claude%20j%20heriard). Peut-être parce que l’on n’a jamais fini de manduquer cette parole qui nous dérange…

2. il est dur d’être simple quand la tête se met à penser…

Mais j’élague et cela rend les choses peut-être plus accessibles. À vous de me dire 🙂

12 août 2021

Un dixième pas de danse ?

Alors que nous nous préparons à fêter le 15/8, il y a peut-être deux premiers fils rouges à trouver : 

1. Le premier est probablement à percevoir entre nos lectures récentes du livre d’Osée dans la liturgie et la place particulière que donne ce prophète aux « entrailles » de Dieu (cf. Osée 11) et à cette sollicitude maternelle de Dieu, reprise dans la première lecture du 15/8 dans l’apocalypse où l’on voit Dieu conduire au désert et prendre soin de la femme « en lui réservant une place particulière », qui n’est pas non plus sans faire écho à Osée 2 et cette fiancée conduite  « à nouveau » au désert (1). C’est toute la sollicitude de Dieu qui est ici évoquée par Jean… entre les lignes. 


2. Dans la même trame, un deuxième fil est à trouver dans les nombreuses allusions à l’arche d’alliance, que l’on retrouve en lisant en mode cursif les lectures de cette semaine et celle de samedi soir et l’apocalypse dimanche, on conçoit le lien particulier entre l’arche d’alliance et Marie présentée là aussi par Jean comme nouvelle arche d’alliance. 


Ces deux fils rouges sont peut-être ce que nous avons à contempler pour aborder l’histoire même de Marie. 

Au regard de la tente de la rencontre (cf. notamment Ex 33-34) et toute l’histoire de l’arche d’alliance et du saint des saints qui abritait Dieu… (2) Marie apparaît soudain à nos yeux comme ce réceptacle de chair particulier, choisi par Dieu pour être le signe de l’amour divin…


Mais le désir d’un « Dieu qui vient à l’homme »(3) avait besoin d’une réponse et cette réponse est celle fragile, si bien illustrée par Fra angelico d’une jeune fille surprise par cette sollicitude et qui ose répondre oui mais mieux encore « fiat » sur le bout des lèvres dans le creuset d’un village perdu de Nazareth.


Il faut mettre peut-être ici aussi en perspective cet « où es-tu ? » de Dieu lancé à Adam ET Ève dans le jardin (4) pour contempler que c’est une petite bergère de Nazareth qui a répondu la première et totalement à cet appel de Dieu.


Le chemin de Marie ne sera pas un long fleuve tranquille. Avant peut-être de vénérer celle qui a dit oui, il nous faut contempler dans le silence ce chemin.


Que célébrons nous aujourd’hui finalement ?

Plus que l’assomption de la vierge Marie, c’est l’ensemble du mystère de la venue du Christ sur terre qui est à contempler.

Marie est l’écrin fragile de notre salut.

Mais qui est-elle véritablement ? Entre la jeune fille fragile que nous idéalisons et la femme-disciple que nous présente Jean à Cana, il existe une tension à maintenir.

Marie n’a pas été dès le début nimbée de lumière et de grâce mais a suivi un sentier qui nous interpelle. 

Marie est en effet au cœur de notre humanité celle qui répond probablement le mieux à l’appel de Dieu, celle qui comprend EN sa chair toute humaine, l’enjeu de la venue du Christ, marche à sa suite et répond à cet appel originel de Dieu(Gn 3,5), évoquée plus tôt. Elle devient en cela chemin pour nous. 

Ce que nous font découvrir les textes de ce dimanche n’est-il pas finalement que, dans le mystère de cette naissance, de cette femme habitée par la grâce divine, bouleversée par la venue du Christ EN son humanité (5) et dans le jusqu’au bout de son Amour, c’est la vocation de tout baptisé qui est surtout à contempler.

Dans la liturgie de la veille au soir du 15 août l’évangile interpelle notre propre manière de recevoir le Christ : L’Évangile de Luc ( 11, 28) insiste même dans le sens de tout ceux qui comme moi souvent rejette une idéalisation excessive. Relisons bien ce texte qui surprend la veille du 15/8 :

« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »

 Jésus déclare alors : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Ces propos sont choquants a priori. 


Jésus « n’efface » pas sa mère mais insiste bien sur ce basculement entre la figure mariale et l’appel renouvelé à notre vocation. 


L’assomption n’est pas seulement en effet la fête de Marie. 

Elle ouvre une espérance particulière pour l’humanité que le magnificat vient amplifier, en faisant vibrer à nouveau l’espérance du peuple de Dieu, de tout ce que portait l’AT. 


« Mon âme exulte le Seigneur car ce dernier disperse les superbes et vient élever les humbles, combler de biens les affamés, renvoyer les riches les mains vides, relever Israël son serviteur ». 


Le cri de Marie est notre joie : « Dieu se souvient de son amour ».


Dans le tressaillement d’Elisabeth que nous donne à contempler Luc se retrouve à sa manière cette espérance du peuple en marche et donc notre propre espérance. 


Oui Dieu vient nous visiter…

À chaque fois que la Parole prend chair en nous, qu’elle fait en nous sa demeure, l’assomption prend sens, quand nous tressaillons, à la suite du Baptiste, de la joie du don de Dieu qui veut nous habiter.(6)

Le rêve de Dieu devient notre danse… 


« Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »


Le mystère de l’assomption c’est que Dieu veut habiter TOUT homme. 


Le mystère c’est que Dieu souhaite prendre chair EN nous et que sa victoire sur la mort ne viendra que lorsque nous serons un, femmes et hommes, dans la contemplation du Verbe de Dieu, de cette Parole qui prend chair dans notre chair, nous transforme… 


Il y a peut-être ensuite un parallèle théologique à faire entre Philippiens 2 (et notamment le « c’est pourquoi » du verset 9 qui souligne que Jésus est relevé car il s’est vidé de lui même) et le dogme de l’assomption. Au delà du chemin intérieur de Marie, à rapprocher peut-être de la conversion même du Christ dont parle Sesboué dans sa « pédagogie du Christ (7), le chemin intérieur de Marie est aussi marqué par une forme de kénose. Or ce dessaisissement de soi qui s’exprime notamment dans son fiat, si bien traduit par Fra angelico, peut justifier que l’Église ai souhaité lui donner une place particulière que la tradition a cristallisé dans un dogme. Sans valider les excès d’une mariolatrie excessive si bien dénoncée par Congar(8), on peut néanmoins s’interroger sur la distance qui demeure entre le chemin vectoriel (c’est-à-dire qui nous pousse à grandir (cf. 7) et kénotique de la vierge Marie et notre propre chemin et en tirer une forme d’interpellation, d’humilité à défaut d’une vénération…


Il y enfin un thème que l’on peut également contempler dans le « en Christo » paulinien(9), c’est finalement la danse mariale particulière de celle qui a été habitée par le Verbe et est donc devenue contenant de l’insaisissable, ce qui pour reprendre la théologie de Karl Rahner donne à la vierge, un autre chemin vectoriel pour nos eucharisties et fait résonner nos tressaillements intérieurs avec ceux de toutes les mères à commencer par Elisabeth.(10)

Être en Christ et recevoir en soi celui qui nous invite à faire Corps…


(1) voir mon essai « Pédagogie divine »

(2) voir mes billets précédents (danses 4 à 9)

(3) pour reprendre et évoquer la somme de Joseph Moingt

(5) au sens de l’ « en christo » souligné par Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique 

(6) voir mes écrits divers sur le thème du tressaillement et notamment mon roman « le vieil homme et la brise »

(7) Sesboué y soutient que le Christ n’a qu’une conscience progressive de son rôle, une idée que j’ai toujours trouvée intéressante pour percevoir l’interaction entre humanité et divinité

(8) je pense notamment à son deuxième tome du journal du concile

(9) cf. note 5

(10) J’ai longuement développé ce point dans « danse trinitaire » puis dans « A genoux devant l’homme »

26 juin 2020

Pierre Grelot - Pédagogie divine et salut - 28

Dans l'axe de mes propres essais sur la pédagogie divine il faut peut-être rappeler cette admirable analyse de Pierre Grelot que j'ose citer assez largement en invitation à lire plus l'ouvrage. « Dans le chapitre 3 de la Genèse (...), nous avons [un] péché-type, le péché par excellence, dont l'évocation révèle le mieux la nature même du péché : rendus par Dieu capables de libre choix, les protoplastes ([premiers humains]) tentent de se rendre maîtres du Bien et du Mal (c'est le sens de l'arbre symbolique de la Connaissance), afin de « devenir comme des dieux » en usurpant un privilège divin et en violant le précepte fondamental qui leur a été donné.
D'autre part, la place du récit montre que, pour son auteur, le péché a fait son entrée dans l'histoire par suite d'une décision libre de l'homme, et cela dès l'origine. C'est pour cette raison que [selon ce texte] la destinée de toutes les générations humaines porte les marques de la « colère » de Dieu : les conséquences normales du péché — souffrance et mort — pèsent sur la race entière ; nous en faisons nous-mêmes la tragique expérience. L'histoire sainte montrera Dieu aux prises avec cette humanité pécheresse, qu'il devra châtier trop souvent, mais qu'il a l'intention de sauver finalement du péché et de ses conséquences. Sur tous ces points, les religions anciennes n'ont rien d'analogue à nous offrir. (...) Des recueils prophétiques, (...) derrière l'histoire de la période royale, qui aboutit au désastre national de 586 et à l'exil, se découvre en effet l'expérience spirituelle des péchés d'Israël. Péchés individuels, dont la prédication prophétique nous donne une peinture dénuée d'artifice ; péché des rois, qui ont pour conséquence d'entraîner la nation entière dans les voies du mal ; péchés collectifs du peuple de l'alliance, qui viole le serment ancestral en se rebellant contre la Loi de Dieu. D'une littérature considérable aux formes très variées, nous devons faire ressortir ici les traits caractéristiques qui mettent en évidence la conception biblique du péché. En fait, il n'y a pas d'innovation doctrinale essentielle : les auteurs sacrés ne font qu'accentuer les traits spécifiques déjà décelés dans les textes de l'âge précédent, les dégageant mieux encore du vieux fond oriental dont j'ai marqué les survivances. Sur un point cependant leur message apporte un développement considérable, en annonçant le triomphe eschatologique de Dieu sur le péché humain. (...) Un grand nombre de discours prophétiques a pour thème la dénonciation des péchés d'Israël. La référence explicite à la Loi y est rare (cf. Os 8, 12), contrairement aux discours sacerdotaux du Deutéronome qui ont pour objet essentiel d'exhorter le peuple à pratiquer la Torah. Mais l'énumération des fautes d'Israël, accomplies en violation de la volonté de Dieu, suppose connue cette Loi dont les principaux commandements sont tour à tour évoqués. D'un prophète à l'autre, il y a bien des nuances. Ézéchiel, marqué par le milieu sacerdotal auquel il appartient, paraît mettre sur le même plan les fautes contre la morale sociale (comme l'injustice et le meurtre), les manquements aux préceptes religieux fondamentaux (comme l'idolâtrie ou l'inobservation du sabbat), les violations du droit positif (...) La hiérarchie des valeurs apparaît mal dans cette morale qui véhicule encore des éléments archaïques. Mais généralement, l'accent est mis sur les exigences religieuses et morales les plus hautes, soit celles du Décalogue (par ex. Os 4, 2), soit celles qui ont pour but d'instaurer dans la société une justice et une solidarité effectives (Is 1, 16-17 ; Am 5, 7-12 ; Jr 9, 1-8 ; Is 58, 6-7 ז) et de plier les individus aux vertus les plus nécessaires : fidélité, miséricorde, etc... En prolongement des textes juridiques anciens s'affirme ainsi chez les prophètes un affinement de la conscience, une vue plus lucide de ce que Dieu attend des hommes, une compréhension plus exacte de ce qui est « matière grave ».
Sans mettre pour autant dans l'ombre l'urgence des préceptes cultuels, cet approfondissement de la théologie morale s'attaque directement au ritualisme superficiel qui, en milieu cananéen
ou mésopotamien, constituait l'essentiel des exigences divines (par exemple Is 1, 11-17 ; Am 5, 21-24 ; Is 58, 1-8).
Parallèlement à cette réflexion sur la Loi, les prophètes insistent sur la responsabilité des pécheurs. C'est pour cela que, d'une part, ils annoncent le châtiment des hommes coupables
et finalement d'Israël entier, tandis que, d'autre part, ils appellent à la conversion intérieure, au retournement du cœur : « Lavez-vous, purifiez-vous... (c'est-à-dire : ) cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien» (Is 1, 16-17). Il s'agit de conversion morale, parce que les péchés commis sont d'ordre moral. Mais plus profondément encore, il s'agit de conversion religieuse, parce que les fautes morales elles-mêmes sont des infidélités à Dieu et des rébellions contre lui. A l'arrière-plan de cette intelligence du péché se trouve évidemment le thème de l'alliance. Pécher, c'est pour Israël manquer à la foi jurée, quelle que soit la nature du péché commis. A plus forte raison si le péché en cause est l'idolâtrie, cette tentation permanente du peuple de Dieu vivant au contact des païens. Sous ce rapport l'assimilation métaphorique de l'alliance à certaines relations humaines, comme les rapports entre père et enfants, entre époux et épouse, permet de mettre mieux en évidence la nature profonde et la malice du péché : rébellion d'enfants ingrats qui se révoltent contre leur Père (Os 11, 1-6 ; Is 1, 2-4) ; trahison d'une épouse infidèle qui a méprisé l'amour de son époux (Os 2 ; Jr 2, 20-25 ; 3, 20 ; Ez 16, 15-34). En tant qu'infidélité au Dieu unique, le péché — surtout celui d'idolâtrie — est une prostitution : l'image parle d'elle-même. Plus clairement encore que dans les anciens textes, le péché apparaît ainsi comme se situant au plan spirituel : il introduit le drame dans les rapports entre Dieu et les hommes.

Le récit du péché des origines ne joue aucun rôle dans la prédication prophétique, ce qui ne manque pas d'étonner quelque peu. C'est que l'attention des prophètes se porte moins sur l'origine du péché dans l'histoire que sur sa réalité actuelle.
Or de ce point de vue, ils approfondissent l'ancienne doctrine qui voyait déjà dans le péché plus qu'un acte passager des hommes : un mystère de mal présent au fond de leur cœur.
Le monde que les prophètes ont sous les yeux leur présente l'image d'une corruption universelle : « Il n'y a ni sincérité, ni amour, ni connaissance de Dieu dans le pays » (Os 4, 2). « Parcourez les rues de Jérusalem... Si vous découvrez un homme, un seul, qui observe le droit et recherche la vérité, alors je pardonnerai à cette ville » (Jr 5, 1 ; cf. 9, 1 8 ־ ; Is 59, 1-8). La vieille histoire de Sodome, cette cité perverse où il n'y avait pas dix justes (Gn 18, 22-33), se renouvelle donc pour le peuple de Dieu lui-même. Dieu l'avait choisi pour en faire son peuple de choix, un peuple saint (Ex 19, 6 ; Dt 7, 6). Mais la présence active du mystère du mal a été la plus forte. Malgré tous les dons de Dieu (l'alliance, la Loi, la terre promise, etc.), Israël s'est livré volontairement à ce mal. Il n'est que têtes dures et cœurs endurcis (Ez 2, 7). Il ne veut pas écouter Yahveh qui parle par ses prophètes. Cet endurcissement dans le péché est assurément l'élément le plus tragique du drame. Même les appels à la conversion n'y pourront rien : « Un Éthiopien peut-il changer de peau, une panthère de pelage? Et vous, pouvez-vous bien agir, vous qui êtes accoutumés au mal? » (Jr 13, 23). La doctrine prophétique confine ici au paradoxe. D'une part, elle atteste la responsabilité des pécheurs, que Dieu appelle à la conversion volontaire. Mais d'autre part, elle en vient à tenir la conversion
pour impossible, car la dureté des cœurs humains est inguérissable par les seules forces humaines. Comment donc le drame ouvert ici-bas par la présence du péché pourrait-il se dénouer? Humainement parlant, il ne le peut pas. Il y faudra un miracle de la grâce. (...)
C'est ici que l'eschatologie prophétique trouve son sens. On a souvent tendance à n'en retenir que les promesses de bonheur humain faites au peuple de Dieu pour les « derniers temps »,comme si le mythe du Paradis retrouvé en constituait l'essentiel.
En réalité, cet aspect de l'eschatologie ne s'entend bien que dans un cadre plus vaste : le drame du péché humain. De même que les évocations bibliques de l'histoire sainte insistent sur les
aspects tragiques de la condition humaine en y montrant les conséquences du péché, de même les évocations de l'eschaton (dénouement de l'histoire sainte) décrivent une transformation de la condition humaine, en conséquence du triomphe de Dieu sur le péché. Mais ce triomphe est évidemment la condition de tout le reste.
Il ne s'agit pas, notons-le, d'un triomphe moral de l'homme laissé à lui-même sur les penchants mauvais de sa nature. C'est Dieu, disent les prophètes, qui donnera à l'homme comme une
grâce ce que l'homme n'avait pu réaliser par ses seules forces. Cette grâce de rédemption est présentée, suivant les cas, de façons diverses. Quelques textes émergent parmi lesquels il faut
citer Os 2, 16-22 ; Jr 31, 31-34 et Ez 36, 25-28. Dans les trois cas, le contexte est celui d'une alliance nouvelle, instaurant entre Dieu et les hommes un rapport religieux que l'alliance
sinaïtique avait été impuissante à établir de façon stable. Dans cette alliance, en effet, la Loi divine restait extérieure à l'homme inscrite seulement sur des tables de pierre ; c'est pourquoi l'homme l'a violée et rendue caduque, manifestant en clair la corruption profonde de son être (cf. Os 2, 1-10 ; Jr 31, 32 ; Ez 36, 16). Mais dans l'alliance nouvelle, Dieu va donner aux hommes la justice, l'amour, la fidélité qu'il exige d'eux (Os 2, 21-22) ; il va inscrire la Loi dans les cœurs (Jr 31, 33) ; il va purifier les cœurs, y mettre son Esprit, faire qu'on observe ses préceptes (Ez 36, 25-27) : alors « ils seront son peuple et lui sera leur Dieu » (Jr 31, 33 ; Ez 36, 28). Cela suppose un pardon des péchés commis (Jr 31,34) et une conversion effective des pécheurs (Os 2, 9b).
Mais cela implique surtout une transformation profonde de l'être, que Dieu seul peut opérer.
Cette théologie anticipée de la rédemption projette donc sur le mystère du péché humain une lumière qui en révèle les dimensions véritables. En toute vérité, il serait impossible à l'homme d'échapper à l'emprise du mal : son cœur même en est prisonnier. Mais il n'est pas impossible à Dieu de l'en délivrer gratuitement, par pure miséricorde. Et c'est en cela que consistera justement le don eschatologique du salut. Alors, libéré de ses chaînes spirituelles, l'homme pourra bénéficier du bonheur que Dieu lui réserve depuis l'origine. Un texte précise à quelles
conditions ce salut pourra être accordé. Dans les chants du Serviteur de Yahveh, le mystérieux personnage qui est présenté comme l'artisan du salut et le médiateur de la nouvelle alliance
(Is 42, 6-7) doit subir, quoique innocent, les conséquences du péché humain. Participant à la condition humaine jusqu'à la souffrance et la mort, il accomplira par là l'expiation qui purifiera les hommes de leurs fautes (Is 53, 10-11). En lui, le seul Juste,
la condition humaine prendra donc un nouveau sens : marquée jusque-là par les stigmates du péché, elle deviendra le moyen de la rédemption. La théologie du salut et celle du péché sont
ici corrélatives ; c'est pourquoi leur approfondissement va de pair. » (1)

Ce qui est finalement passionnant dans cette approche de Grelot c'est finalement ce paradoxe propre à Matthieu 19. Nous voyons à la fois l'impossibilité que nous avons de sortir de notre tendance au mal et ce rendu possible, par la médiation du Christ. L'Ancien Testament révèle cette pédagogie divine particulière qui déchire le voile et transparaît en Christ.

«Jésus les regarda et leur dit: «C'est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu
‭‭Matthieu‬ ‭19:26‬ ‭

A méditer.

(1) Pierre Grelot, De la mort à la vie éternelle, chapitre 1, Cerf 1971

11 février 2020

Allaitement - pédagogie phase 1 - Osée 2

« Venez à l'écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » (Mc 6,31)

« Si tu veux venir vers moi et me trouver, suis-moi, cherche-moi à part. Marc dit en effet : « Venez à l'écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et l'on n'avait même pas le temps de manger. » (Mc 6,31)

« Hélas ! Les passions de la chair, le tumulte des pensées qui vont et qui viennent dans notre cœur sont tels, que nous n'avons pas le temps de manger la nourriture de la douceur éternelle ; de percevoir la saveur de la contemplation intérieure. C'est pourquoi notre Maître dit : « Venez à l'écart » de la foule bruyante ; « dans un lieu désert », dans la solitude de l'esprit et du cœur, « et reposez-vous un peu. » Vraiment un tout petit peu, car, dit-il dans l'Apocalypse : « Il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure » (Ap 8,1) ; et dans le psaume : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, que je m'envole et me pose ? » (Ps 54,7 LXX)
Mais écoutons ce que dit le prophète Osée : « Je l'allaiterai*, dit-il, et la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur » (cf. Os 2,14 Vg.). Les trois expressions allaiter, conduire au désert, parler à son cœur désignent les trois étapes de la vie spirituelle : le début, le progrès, la perfection. Le Seigneur allaite le débutant lorsqu'il l'éclaire de sa grâce, pour qu'il grandisse et progresse de vertu en vertu. Il le conduit ensuite à l'écart du vacarme des vices et du désordre des pensées, dans le repos de l'esprit ; enfin, une fois amené à la perfection, il parle à son cœur. L'âme éprouve alors la douceur de l'inspiration divine et peut se livrer totalement à la joie de l'esprit.
Quelle profondeur de dévotion, d'émerveillement et de bonheur dans son cœur ! Par la dévotion, il s'élève au-dessus de lui-même ; par l'émerveillement, il est conduit au-dessus de lui-même ; par le bonheur, il est transporté hors de lui-même.(1)

(1) Saint Antoine de Padoue, Sermon pour la fête de saint Jean évangéliste (Une Parole évangélique, trad. V. Trappazzon, éd. Franciscaines, 1995, p. 143-145 ; rev.), source : l'Évangile au Quotidien

(*) "Je l'allaiterai" : "lactabo" le verbe latin peut signifier allaiter ou séduire.


07 avril 2016

Danse sur le toit du monde - 2

Notre société puritaine pourrait mettre des bémols sur une vision de la Sagesse, qui "danse et charme (...) par la force de son attraction érotique, [et] à laquelle ses amants doivent s'abandonner, au-delà de toute tentative de maîtrise et d'objectivation" (1) si "ce rôle médiateur de la Sagesse entre Dieu et l’homme" n'était pas à la fois sous-tendu par Pr 8, 30-31, mais également par Osée 2 et 3.
"Je la conduirai au désert" nous dit ‎Osée 2. Il y a bien un effort de séduction qu'on peut lire jusque dans les paroles du Christ "nous avons joué de la flûte et vous n'avez pas dansé" (Luc 7, 24). On notera plus loin dans la même page cette allusion à cette Sagesse insaisissable, proximité qui se dérobe et se fait désir, qui me rappelle un beau texte de Teilhard sur la custode et les considérations de Jean Luc Marion dans L'idole et la distance. Le chemin pastoral qui se trace là est à contempler. C'est celui d'un Dieu tout tourné vers l'homme et qui cherche à le faire entrer dans sa danse.

(1) C. Gripon, op. Cit p. 79ss‎

20 septembre 2015

Solitude 2

Pour Madeleine, dans la solitude, "Dieu nous fait comprendre que, soustraction faite de ses dons, de ses impulsions, (...)  il ne reste plus qu'une pâte commune faite d'un même néant (...) sur cette boue uniforme les seules distinctions discernables sont les volontés rédemptrices et créatrices‎ de Dieu qui appellent nos enthousiasmes et nos amours."(1)

Plus loin, paraphrasant Osée 2, elle ajoute "Je te conduirai dans la solitude et je parlerai à ton cœur" (2)

On retrouve un peu ce "tout est rien" de sainte Thérèse d'Avila (cf. mes développements in "Chemin de désert", mais son originalité est de développer sur cette solitude intérieure un sentier au coeur de nos vies urbaines. 

En cette veille de saint Matthieu,  contemplons l'appel du Christ qui balaye l'intérêt d'une vie en disant "viens,  suis-moi".


(1 et 2) Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, p. 76 et  p.77

17 septembre 2015

Théologie des signes - cohérence 7

La théologie des signes commentée plus haut chez Jean par Balthasar,  trouve ce matin, dans la contemplation d'Ézéchiel 12, 11 un ancêtre parlant. "Dis: Je suis pour vous un signe. Ce que j’ai fait, c’est ce qui leur sera fait: Ils iront en exil, en captivité." Elle rappelle la mission donnée par Dieu à Osée.  "Va épouse Gomer, celle qui se prostitue".
Dieu non content de nous laisser des traces dans la nature, nous parle aussi par signes et par figures...

15 août 2015

Mettre à nu

Dans Bonheur dans le couple, tome 2, je développe le thème de cette nudité dont "ils n'avaient pas honte" de Gn 2, 25, comme le lieu de la vérité et de la difficile transparence.  Je reviens sur ce thème dans "l'amphore et le fleuve" à propos d'Exode 33 où Yahwhé invite à quitter ses vêtements de fête un peuple qui vient de se corrompre avec le veau d'or.
Après mon travail sur le "chemin du désert", je tombe sur ce verset d'Osée 2, 5 qui entre en correspondance : "de peur que je ne la déshabille à nu, et que je ne la mette telle qu'au jour de sa naissance, que je ne la rende pareille au désert, faisant d'elle une terre desséchée, et que je ne la fasse mourir de soif."
Quel est ce chemin où Dieu nous conduit.  Est-ce celui de l'effacement, du décentrement,  de la soif, qui seul conduit au désir de Dieu ?

La suite du texte trace un chemin à contempler : "C'est pourquoi voici que je vais fermer ton chemin avec des ronces ; j'élèverai un mur, et elle ne trouvera plus ses sentiers.  Elle poursuivra ses amants et ne les atteindra pas ; elle les cherchera et ne les trouvera pas. Puis elle dira : " J'irai et je retournerai vers mon premier mari, car j'étais plus heureuse alors que maintenant. "  Elle n'a pas reconnu que c'est moi qui lui ai donné le froment, le vin nouveau et l'huile, qui lui ai multiplié l'argent et l'or, qu'ils ont employés pour Baal.  C'est pourquoi je reprendrai mon froment en son temps, et mon vin nouveau dans sa saison, et je retirerai ma laine et mon lin, qui servent à couvrir sa nudité.  Et maintenant je découvrirai sa honte, aux yeux de ses amants, et personne ne la dégagera de ma main.  Je ferai cesser toutes ses réjouissances, ses fêtes, ses nouvelles lunes, ses sabbats et toutes ses solennités." (1)

On notera l'allusion à la fête qui entre en correspondance avec Ex 33. La suite trace néanmoins un chemin d'espérance : 

 "C'est pourquoi, voici que moi je l'attirerai, et la conduirai au désert, et je lui parlerai au coeur ;  et de là je lui donnerai ses vignes, et la vallée d'Achor comme une porte d'espérance ; et elle répondra là comme aux jours de sa jeunesse, et comme au jour où elle monta hors du pays d'Egypte.  En ce jour-là,-oracle de Yahweh, tu m'appelleras : " Mon mari ", et tu ne m'appelleras plus : " Mon Baal ".  J'ôterai de sa bouche les noms des Baals, et ils ne seront plus mentionnés par leur nom.  Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai à moi! dans la justice et le jugement, dans la grâce et la tendresse ;  je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras Yahweh.  Et il arrivera en ce jour je répondrai, - oracle de Yahweh, je répondrai aux cieux, et eux répondront ,"  la terre ; la terre répondra au froment, au vin nouveau et à l'huile, et eux répondront à Jezrahel.  J'ensemencerai pour moi Israël dans le pays, et je ferai miséricorde à Lô-Ruchama ; je dirai à Lô-Ammi : " Tu es mon peuple ! " et il dira : " Mon Dieu ! " (2)

(1) Osée 2:8-13, 16-19
(2) Osée 2:21-25 Traduction Crampon 1923