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29 octobre 2021

Balbutiements pour la Toussaint

Qui sont les saints d’aujourd’hui ?

Notre pape François parle des saints ordinaires, ceux dont on ne parle pas. Après le rapport de la CIASE, on ne peut ignorer la multitude des personnes touchées par la violence sexuelle des hommes, surtout dans nos églises, victimes souvent d’une bien fausse sainteté, celle de l’apparence extérieure. 

Ne regardons pas avec nos yeux de chair, ne nous laissons pas troubler par les ors et les dentelles, les ornements et les distinctions apparentes qu’elles soient des soutanes bien noires, ou des aubes trop blanches, comme celle que je porte aujourd’hui car si le cœur de l’homme peut être capable du meilleur, il peut, derrière cette apparence, rester fourbe, vil, violent et peut conduire au pire comme nous venons de le découvrir dans le document de la CIASE qui brûle encore nos yeux abasourdis.

Faut-il répéter seulement les paroles de Paul pour trouver un chemin intérieur d’humilité ? «Je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas.» Rom. 7:19‬. 

Au-delà d’une nécessaire introspection intérieure, ne nous laissons pas, pour autant, tenter par ceux qui cherchent à diviser l’Élan qui nous pousse au désert pour réaliser combien les tentations d’avoir et de pouvoir/ ou de valoir nous empêchent d’avancer.

Ne passons pas à côté, n’oublions surtout pas ceux qui souffrent… Car leurs cris serait alors inutiles…


Dans l'évangile d'aujourd'hui, celui des Béatitudes, on entend encore résonner le cri de Jésus « Heureux , les souffrants ». 


C’est du bout des lèvres que nous pouvons espérer qu’ils soient heureux, enfin, ceux que l’on a souvent ignorés, les migrants, les délaissés, les enfants maltraités, meurtris, éliminés. Jésus l’affirme  : ils sont tout aimés de Dieu…


Pouvons nous aujourd'hui entendre cette béatitude sans céder à la colère et à la honte devant tant de vies brisées? 

Le rapport de la CIASE nous  interpelle, chacun à notre niveau, membres d'une même Eglise, Notre Église,  le nous ecclésial prend là tout son sens pour réfléchir à son  fonctionnement actuel,  ses habitudes, de ses petites lâchetés à son silence parfois abyssal... Ne restons pas des  spectateurs muets ou pire, des détracteurs qui divisent sans agir ! 


Notre Église a besoin de nous tous, femmes et hommes, baptisés, laïcs, et clercs  pour se  reconstruire, se guérir des fausses apparences, et rebâtir sur le roc. Dieu a besoin de nos mains, répétait Etty Hillesum… il ne fera pas le travail tout seul…


Relisons la première lecture sous ce prisme : 

« Ne faites pas de mal à la terre,(...)

(...)  voici une foule immense,

que nul ne pouvait dénombrer,

une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.

Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,

vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.

    Et ils s’écriaient d’une voix forte :

« Le salut appartient à notre Dieu

qui siège sur le Trône

et à l’Agneau ! »

    (...) 

    L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :

« Ces gens vêtus de robes blanches,

qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? »

    Je lui répondis :

« Mon seigneur, toi, tu le sais. »

Il me dit :

« Ceux-là viennent de la grande épreuve ;

ils ont lavé leurs robes,

ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »


Si notre société vit sur l’apparence,

Dieu  seul regarde le cœur de l’homme.

Dieu seul sait où est l’essentiel.

Dieu seul est amour.


Un grand espoir se lève pour répondre présents à l’appel du pape de lancer un synode sur la synodalité ou, pour parler plus clair, pour apprendre à marcher ensemble vers la véritable et inaccessible sainteté, celle qui transpire, fragile, du quotidien, de ces femmes et de ces hommes, réunis  dans une assemblée vivante où tous les chrétiens, décidés à discerner comment doit s'amorcer ce changement. Il nous faut chercher ensemble, afin que cela ne reste pas l’affaire de « sachants », mais celle d'une véritable assemblée de « pierres vivantes », de priants, d’aimants en actes et en vérité. L’Église a besoin d’un profond renouveau, de cet « aggiornamento » véritable qui a conduit déjà à Vatican II. Elle a besoin de vous, de nous.…


Dans notre diocèse, des groupes vont se créer pour vivre le synode en vérité. Ne passez pas à côté de l’appel. Par la foi qui vous habite, par l’espérance que Dieu a mis en vous, peut jaillir l’Église dont rêve le Christ, ce royaume dont il parle, non une réalité déjà là, mais toujours en devenir, toujours en marche. 


La sainteté de l’Église n’est pas une succession de saints passés, mais sa capacité à se laisser toujours à nouveau saisir par le Christ. 


Saint Paul le disait à sa manière, le passé est « balayure », ce qui compte c’est se laisser toujours, à nouveau, traverser par la Parole, « se laisser saisir par Lui, le Christ (Ph. 3), le seul prêtre sans tâche, celui qui marche au devant de la multitude. 


Ne baissons pas les bras, l’Esprit est là, il ne cesse d’être là pour nous relever, nous faire grandir. Il a besoin de chacun de nous. 


* Merci à ma femme et l’amie de la première heure qui m’ont aidé à affiner ma pensée. Libre à vous, amis, de réagir.

07 octobre 2021

Souffrance et Crucifixion - 8

Où es-tu mon Dieu ?

Une question d’actualité à propos de ce rapport affligeant où les mots nous manquent.

Au delà de la désespérance et de la honte et après un temps de silence, il nous faut chercher la lumière, la seule, celle du Christ nu et exposé qui démonte tous les masques et les volontés de puissance.

Parce que nous restons sans voix, il faut peut-être refaire le chemin de nos pères, comme celui de Jurgen Moltmann, l’auteur du « Dieu crucifié » : « Est-ce que beaucoup ont perdu leur confiance en Dieu après ce crime et le silence du ciel ? » demandait Moltmann dans une conférence à Paris il y’a quelques années à propos d’Auschwitz. Sa réponse est édifiante. 

« Je trouvai de l’aide dans le livre d’Élie Wiesel sur ses expériences à Auschwitz, intitulé Nuit ». Relisons le texte : « Trois condamnés enchainés – et parmi eux, le petit serviteur [pipel], l’ange aux yeux tristes. [...] Tous les yeux étaient fixés sur l’enfant. Il était livide, presque calme, se mordant les lèvres. L’ombre de la potence le recouvrait. [...] Les trois cous furent introduits en même temps dans les nœuds coulants. Vive la liberté ! crièrent les deux adultes. Le petit, lui, se taisait.

Où est le Bon Dieu, où est-il ? demande quelqu’un derrière moi. Sur un signe du chef de camp, les trois chaises basculèrent. [...] Les deux adultes ne vivaient plus. Leur langue pendait, grossie, bleutée. Mais la troisième corde n’était pas immobile : si léger, l’enfant vivait encore. [...] Derrière moi, j’entendis le même homme demander : « Où donc est Dieu ? Et je sentais en moi une voix qui lui répondait : Où il est ? Le voici – il est pendu ici, à cette potence .... »


Moltmann reprend ainsi : « Est-ce que c’est une réponse ? Dieu souffrit-il avec les victimes d’Auschwitz ? Est-ce que Dieu n’était pas […] présent dans les chambres à gaz ? Est-ce que Dieu était pendu là au gibet ? J’eus l’impression que toute autre réponse serait hors de propos. Il ne peut pas y avoir d’autres réponses. Parler à ce moment-là d’un Dieu incapable de souffrir, cela ferait de Dieu un démon. Parler d’un Dieu indifférent nous rendrait indifférents, nous aussi. Renier Dieu et se tourner vers l’athéisme réduirait au silence le cri des victimes. On priait le Shema d’Israël et le Notre Père à Auschwitz, on peut donc prier Dieu après Auschwitz. Dieu était dans leurs prières(1).  »


On peut déboulonner les statues, mais ne déboulonnons pas notre espérance.


Dans ma thèse sur l’incompréhensible souffrance humaine (2) je cherche à tracer un chemin fragile. Peut-on en trouver un aujourd’hui quand la souffrance de 5 millions de victimes d’abus est évoquée ? Et surtout quand plus de 330.000 le sont par ceux qui ont fait voeux d’imiter le Christ ?


Le rapport de la CIASE met en haut d’une perche le mal humain dans son horreur la plus rude. Il nous faut voir ce que disait Jean 3 à propos de cet épisode au désert de Nb 11. :


« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.

Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »


Notre seule espérance c’est de croire que Dieu n’est pas dans le for externe d’une toute puissance affichée, mais dans la toute faiblesse d’un enfant abusé. 


Notre seule espérance est que Dieu est amour…


Dieu souffre triplement disait, à sa manière Hans Urs von Balthasar, comme un Père qui voit souffrir son Fils, comme un Fils déchiré sur le bois, et comme l’Esprit qui pleure de nos refus d’aimer (3)


À la suite d’une conférence donnée à Zagreb un ami m’a conduit dans une Église dont j’ignore le nom. Sur un mur figure des milliers de victimes de leur guerre fratricide et un peu en hauteur, une barque traversée en son milieu par une ligne blanche. Cette barque représente notre Église disait mon ami. Le mal est dans notre barque. Nous venons ici pour nous rappeler que nous sommes tous embarqués dans cette triste galère.


Seigneur pardon…

Tu es là.

Qu’ai-je fait ? 


(1) Elie Wiesel, Nuit, Paris, Éditions de Minuit, 1957, cité par J. Moltmann dans sa conférence de Mars 2010 à l'Église américaine de Paris, texte inédit.

Cf. Aussi Emmanuel Lévinas, « Transcendance et Mal », Dieu qui vient à l’idée, Paris, Vrin, 1982, texte repris dans Philippe Nemo, op. cit. Job et l’excès du mal, Paris, Albin

(2) Quelle espérance pour l'homme souffrant. https://www.fnac.com/livre-numerique/a14819046/Claude-J-Heriard-Quelle-esperance-pour-l-homme-souffrant

(3) Hans Urs von Balthasar, Théologique II, Namur, Éditions Culture et Vérité, 1996, série «Ouvertures», p. 156. Voir aussi J-M. Garrigues, op. cit. p. 107 citant Osée 11, 8 »