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16 août 2022

En route vers la Galilée - 9 - Marie à Cana


Sur le chemin fragile que nous avons entamé depuis quelques semaines, la contemplation de Jean 2, 1-12 – Les noces de Cana interpelle alors que le crépuscule du 15 août s’efface dans la nuit tragique qui s’annonce.


« 1. Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana en Galilée; et la mère de Jésus y était. 2. Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. 3. Le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n'ont plus de vin. » 4. Jésus lui répondit : « Femme, qu'est-ce que cela pour moi et pour vous ? Mon heure n'est pas encore venue. » 5. Sa mère dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira. » 6. Or, il y avait là six urnes de pierre destinées aux ablutions des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. 7. Jésus leur dit : « Remplissez d'eau ces urnes. » Et ils les remplirent jusqu'au haut. 8. Et il leur dit : « Puisez maintenant, et portez-en au maître du festin; et ils en portèrent.

9. Dès que le maître du festin eut goûté l'eau changée en vin (il ne savait pas d'où venait ce vin, mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau le savaient), il interpella l'époux et lui dit: 10. "Tout homme sert d'abord le bon vin, et après qu'on a bu abondamment, le moins bon; mais toi, tu as gardé le bon jusqu'à ce moment. » 11. Tel fut, à Cana de Galilée, le premier des miracles que fit Jésus, et il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. 12. Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n'y demeurèrent que peu de jours. »


À Cana, le signe et la gloire qui en découle ne sont pas voulus par le Christ : « Femme, que me veux-tu ? ». Son heure n'est pas venue... Et pourtant, sur l'insistance de sa mère, sans révéler au maître du repas l'origine du vin, il change nos hésitations en boisson de joie... La lecture du récit nous donne un nouvel aperçu du couple « mort et résurrection », que l’allusion au « fruit de la vigne » vient souligner. 

À Nathanaël, il avait promis « le ciel ouvert » (1, 31), dès le chapitre 2, il « manifeste sa gloire » (2, 11). Comment cette gloire a-t-elle affleuré ? Il n’y a pas eu de trompettes. Ce que l’on a senti, entre les lignes, si l’on prend le temps d’entrer dans le récit, c’est un geste discret, humble que seuls quelques serviteurs peuvent décrypter alors que le maître du repas et les convives s'interrogent encore. Et c’est là où la gloire affleure. Non pas dans la trompette et les cors, mais dans cette invitation à porter nos eaux dans les jarres, un autre « où es-tu ? », un « que fais-tu des dons reçus ? » qui par l’action discrète de Dieu se transforme en vin capiteux.

Quel est l'enjeu ? N'y a-t-il pas ici toute la tendresse de Dieu qui se manifeste dans cette révélation, dans ce jeu entre le visible et l'invisible, en laissant croire ceux qui veulent croire et sans forcer ceux qui refusent de le faire... 

« Ils n’ont plus de vin » : Entre les lignes, cette tendresse maternelle de celle qui a porté notre Sauveur et qui déjà lui échappe devient par cette phrase, le porte-voix d’un Dieu qui entend la souffrance d’un peuple, qui écoute le cri des souffrants. On peut ici entrer en résonnance avec des textes plus anciens, jusqu’à ce verset d’Exode 3,7 croisé plus haut : « J’ai entendu le cri de mon peuple (...) je connais ses douleurs », qui feront dire à certains commentateurs que l’agonie du Christ commence à Cana…

Prenons un peu de recul sur ces deux récits. Certes, le prologue a clamé au lecteur que Dieu était là, que le Verbe se rendait présent. Pourtant, les gestes de Jésus sont plus humbles. Il ne surajoute pas à l’affirmation du rédacteur, mais trace, au-delà des mots, les conditions d’une rencontre. Nous ne pouvons rester seulement sur les affirmations et les exhortations d’un évangéliste qui affirme le tout de Dieu. Voyons aussi, entre les lignes, les attitudes, les gestes, l’humilité, car cette tension est plus féconde que la seule affirmation « d’en haut » d’un « Verbe de Dieu ». Au cœur de cette tension, se traduit un double discours qui affirme conjointement humilité et gloire. Ce discours chez Jean est plus visible que chez d’autres évangélistes. Marc par exemple n’affirme la divinité du Christ qu’au tout dernier chapitre. Jean ne porte donc pas uniquement une théologie « de haut en bas ». La symphonie de l’Écriture joue aussi, dans cet Évangile, un jeu à facettes multiples. Les couleurs correspondent, tracent une mosaïque plus complexe et plus intense. Sachons en distinguer tous les tons…


Méditation :

Plus qu’ailleurs la contemplation ignacienne de ce texte nous révèle notre propre chemin : remplir les jarres de « purification », les offrir à Dieu pour qu’il vienne faire de notre humanité un vin capiteux, « diviniser ce que nous essayons d’humaniser » dira F. Varillon. La scène de Cana est la convocation de nos efforts d’homme à rejoindre le plan de Dieu. En suivant les serviteurs qui peinent à remplir et présenter les jarres, nous progressons dans la dynamique sacramentelle propre qui s’est éveillée à Cana.


Revenons aussi sur le rôle de Marie. Elle n’est plus ici le seul réceptacle fragile du Verbe, mais l’on sent déjà que son humilité a laissé place à une danse à la fois tragique et humble entre l’humanité blessée et le Dieu de tendresse. Marie, par cette phrase discrète (« ils n’ont plus de vin ») entre déjà dans le déchirement fécond de cette kénose que nous évoquions plus haut. Elle danse déjà sur les pas de Dieu, avant le déchirement final qui fera d’elle vraiment une « figure » et un chemin pour nous.


Car cette remarque de Cana n’est pas anecdotique. Elle se fait écho d’une clameur plus profonde, celle du peuple au désert, de la soif de l’humanité altérée en quête d’un Dieu qui s’est retiré dans le silence. A sa suite nous contemplons ici déjà ce que Jean signale comme un troisième jour, la transformation de l’eau en vin, dans ce torrent promis par Ezechiel qui jaillira du cœur transpercé du Fils. Moïse a frappé le rocher et un fin filet d’eau abreuve le peuple. Par la voix d’une femme discrète s’ouvre déjà les prémices d’une eau vive et jaillissante ?


Photo 1 : Cana, vitrail de saint Lubin des Joncherets (28)

Photo 2 : fresque dans l’église prieurale de Lanville (16) XIIeme siècle

04 février 2022

La danse du Verbe 2.28 [v2]

Il faut souvent reculer d’un pas pour comprendre les enchaînements et les effacements silencieux de l’Ecriture qui réveillent en nous des correspondances subtiles entre les événements de la vie du Christ et leurs interprétations par les évangélistes. 

Comment l’insaisissable (1) se laisse-t-il trouver ?

Nous contemplions dimanche dernier chez l’un des synoptiques, l’agenouillement du Verbe de Dieu dans l’eau du Jourdain et cette invitation à la danse humble et particulière de celui qui vient rejoindre et « épouser » notre humanité. Voici qu’il nous faut maintenant contempler les eaux usées de notre baptême et remplir à nouveaux de lourdes jarres de pierre (Jn 2) pour entrer dans l’espérance que le Verbe transforme cela en vin nouveau ou dans cette eau vive et légère que Jésus évoquera à la Samaritaine (Jn 4) à l’ombre d’un puis mythique où les patriarches rencontraient leurs épouses.

Danse subtile du Verbe qui cherche à nous rejoindre dans ce qu’il y a de plus intime et de plus fragile en nous.

Invitation toute intérieure, dans le silence de nos nuits, à poursuivre vers l’essentiel, à faire de notre agir une danse amoureuse…

Chemin d’humilité, cet inaccessible que nous tentons d’atteindre, et que Dieu seul peut transformer (transsubstantier ?).


J’ai clôturé temporairement mon livre « Danse avec ton Dieu », (2) mais comme souvent, j’en sens déjà ses limites, car l’écriture comme la tradition ne peut être statique et figée. Elle n’est, comme le dit, Paul que balayure par rapport à notre course infinie pour tâcher de la saisir et d’être saisi par lui…(Ph 3)


(1) merci à Geneviève de nous avoir rediriger vers cet entretien sublime de Maurice Bellet qui en parle si bien https://youtu.be/imRjTSNT4iY


(2) voir la version gratuite sur Kobo ou Fnac.com ou la version papier à prix coûtant ici : https://www.amazon.fr/dp/B09PQ9FJRR

05 septembre 2019

Au fil de Jean 2, 13-25 - Le Corps et le Temple - Origène

« Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai ». (Jn 2).

Écoutons Origène sur ce thème : « Les hommes charnels et amis des réalités sensibles me semblent désignés ici à travers les Juifs. Ceux-ci sont irrités parce que Jésus a chassé ceux qui, par leur activité, faisaient de la maison de son Père une maison de trafic, et ils lui réclament un signe. Mais par ce signe on verra que le Verbe, qu'ils refusent d'accueillir, a raison d'agir ainsi. Le Sauveur va unir en une seule parole ce qui concerne le Temple et ce qui concerne son propre corps. Lorsqu'ils lui demandent Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là, il répond : Détruisez ce Temple, et moi trois jours je le relèverai.
(...) Mais, selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de « Temple ».

Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement.

Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier.

De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute : Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. »

Cette interprétation est plein d'espérance. Il faut probablement la mettre en résonance avec ce que nous dit Paul : « «Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit, cet Esprit qui est en vous et que Dieu vous a donné? Vous ne vous appartenez pas » 1 Corinthiens‬ ‭6:19‬

A méditer

(1) Origène, Commentaires sur l'Evangile de Jean, source office des lectures du 4/9, AELF



09 mars 2019

Dégringoler avec le Christ - Martin Steffens - kénose n. 146

J'abuse ici un peu de mon droit de citation, mais ce billet de Martin Steffens résume bien à mon avis toute ma théologie, largement développée dans ce blog (déjà 145 billets) et dans une dizaine de mes ouvrages(1). « Aux prises avec les catastrophes du XXe siècle, les théologiens ont redécouvert ce que, à partir de la Lettre de saint Paul aux Philippiens, on appelle « la kénose » : le libre dessaisissement, par Dieu, de sa propre divinité. Le Christ, dit Paul, n'a pas été jaloux de son rang, il s'est abaissé [vidé - ekenosen en grec] jusqu'à devenir homme, et homme crucifié (Philippiens 2,7). (...) 
La kénose découvre un Dieu dont la faiblesse est de s'arrêter au seuil de notre liberté, (...) , quand enfin nous comprenons que Dieu a besoin de nous pour ne pas mourir de nos vaines puissances. Le mouvement kénotique commence dans la mangeoire, (...) se poursuit-elle dans la promesse déçue au Golgotha, dans le crucifiement du Christ. Elle s'achève (...) dans l'eucharistie, dans l'humble présence, (...) .
Est-ce tout ? À cause de ses petitesses et de ses divisions internes, il m'est arrivé de voir dans l'Église l'ultime moment du mouvement kénotique. En elle, plus qu'ailleurs, Dieu se fait discret, silencieux, attendant patiemment que son nom soit sanctifié. L'Église est un laboratoire de charité où vivre, avec nos contemporains, ce que le Christ endure pour chacun : le pardon des péchés, d'autant plus douloureux et d'autant plus offert que ceux-ci scandalisent le cœur. Être fidèle à l'Église, en ces temps obscurs, c'est avoir part au mouvement de l'amour qui est, de toujours, un mouvement descendant. Une kénose (2).

A l'heure où nos clercs les plus emblématiques sont condamnés par la justice ou dénoncés par la presse, résonne à nouveau la phrase de Marie à Cana : « ils n'ont plus de vin ». (Jn2) Faut-il cesser de croire ? Le silence d'un Dieu crucifié est la seule réponse valide à ce déferlement du mal qui ronge notre barque commune. 

La compassion et l'humilité sauvera l'église. 

(1) voir lien
(2) Martin Steffens Dégringoler avec le Christ, La Croix du 9/3/19


27 février 2019

Nuit obscure - 2 - François Marxer

Nouvelle méditation à la suite de l'excellent ouvrage de François Marxer, Au péril de la Nuit.

L'auteur nous conduit à une traversée profonde de nos nuits spirituelles à la suite des grandes mystiques du XXeme siècle à commencer par la petite Thérèse qui veut rejoindre le Christ dans sa joie simple et se trouve plongée dans les profondeurs de l'obscurité. Un chemin intérieur qui traverse l'orant au delà des réflexions et des sagesses du monde jusque dans la kénose du Fils.

"L'effacement de Jésus complete sa propre image : il se fait, devant les tout-petits, plus infime, s'il est possible, qu'eux tous, en disparaissant dans la louange dont ils sont le contenu. Il occupe ainsi sa véritable place. Cette extase est complète à la croix(1)"

L'humilité n'est pas dans la négation de soi même ou une fausse modestie, mais dans l'agenouillement devant celui qui s'est anéanti pour nous redonner vie.

«Amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.»
‭(Jean‬ ‭12:24‬ ‭NBS‬‬)

Il nous faut "naître à nouveau" (cf. Jean 3).

Notre agenouillement devant Dieu nous porte, à sa suite, "à genoux devant l'homme" (2) pour voir en lui la trace de ce que Dieu a semé de bon et de grand.
L’effacement (..) ce n’est pas ambitionner la nudité de l’être (...) mais aimer à perte de vue” (3)
Je suis parti pour évangéliser la périphérie et c'est la périphérie qui me convertit, comme ce jeune pompier volontaire, rencontré samedi qui me donne une leçon de dévouement et d'abnégation. Même s'il ne confesse pas le Christ il est semence du Verbe.

Quel est l’enjeu du voyage ? Peut-être cette “vertu d’humilité (...) qui creuse en elle la profondeur de Dieu fait homme” qui cache l’éclat de sa divinité - ténèbre - dans cette pauvreté de l’humain que par amour il aura voulu devenir: laquelle profondeur est si grande que (...) la raison defaille, obscurité. (4)

(1) Paul Beauchamp, Le récit, La lettre et le Corps, Essais bibliques, Paris, Cerf, 1982, p. 99, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017
(2) cf. mon livre éponyme.
(3) F. Marxer, ibid. p. 68.
(4) p. 69

20 janvier 2019

Au fil de Jean 2 - Cana ou La construction de Dieu

« Tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant » (Jean 2, 10)
La remarque du maître du repas, le troisième jour, à Cana, n'est pas anodine. Elle traduit une double contemplation symbolique de Jean.

C'est en effet le troisième jour, que Dieu relèvera l'innocence qui a versé son sang pour nous. Et c'est du cœur transpercé que le sang et l'eau jaillissent. C'est dans les épousailles de Dieu et de l'humanité que se révèle le plan de Dieu pour l'homme.

Que la révélation de l'amour divin soit une fête n'est pas anodine. Que Marie y participe à sa manière n'est pas anecdotique, que l'heure soit évoquée par Jésus n'est pas un détail. Tout participe à l'harmonie. 



C'est à nous de chanter cette gloire. 

« Il convient que vous rendiez gloire de toutes façons à Jésus Christ, lui qui vous a glorifiés, afin d'être rassemblés dans une même [unité] (...) Ainsi, dans la concorde de vos sentiments et l'harmonie de votre charité, vous [pouvez] chantez Jésus Christ. Chacun de vous, devenez un chœur de chant, afin que, dans l'harmonie de votre concorde, adoptant la mélodie de Dieu dans l'unité, vous chantiez pour le Père, d'une seule voix, par Jésus Christ. Alors le Père vous écoutera et reconnaîtra en vous, grâce à vos bonnes actions, les membres de son Fils. Il est donc utile pour vous que vous soyez dans une irréprochable unité, pour être toujours participants de Dieu.
[Notre unité et notre fidélité à] l'Église et à Jésus Christ et de Jésus Christ au Père, (...) tout [doit] s'harmoniser dans l'unité » (1)
 Le Seigneur cherche à rassembler ses enfants dispersés, il en fera une seule nation,
et un seul roi régnera sur eux.
L'harmonie que vise notre Dieu se fait en Jésus-Christ.
Il est la pierre d'angle du grand architecte, de notre Dieu...

Et il n'est pas anodin enfin que le mot grec de « Maitre du repas » soit architriklinos dont nous tirons le mot architecte. Car le grand ordonnateur de cette construction c'est notre Dieu.

(1) Saint Ignace d'Antioche, lettre aux Éphésiens

16 janvier 2019

Au fil de Marc 1,29-39 - la mère de Simon

« La belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s'approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait. »

Quels sont les causes de nos faiblesses ? 
Pourquoi restons-nous sans force, malgré les dons de Dieu ? 
Notre maladie n'est-elle pas souvent tout intérieure ?
Dans son livre «  Je ne juge personne », Lytta Basset décrit bien cette culpabilité qui nous empêche d'avancer.
Il nous faut peu pour arrêter notre course. 
Laissons nous relever par le Christ.

Écoutons dans la même veine les mots de saint Jérôme : « Le médecin miséricordieux s'approche lui-même du lit. Celui qui avait porté une brebis malade sur ses épaules (Lc 15,5) s'avance à présent vers ce lit... Il approche toujours plus afin de guérir encore davantage. Remarquez bien ce qui est écrit ici... « Tu aurais dû sans aucun doute venir à ma rencontre, tu aurais dû venir m'accueillir au seuil de ta maison ; mais alors ta guérison résulterait non pas tant de ma miséricorde que de ta volonté. Puisqu'une fièvre si forte t'accable et t'empêche de te lever, je viens moi-même. »
« Et il la fit lever ». Comme elle ne pouvait pas se redresser d'elle-même, c'est le Seigneur qui la relève. « Il la prit par la main et il la fit lever. » Quand Pierre était en péril en mer, au moment où il allait se noyer, lui aussi a été saisi par la main, et il se releva... Quelle belle marque d'amitié et d'affection pour cette malade ! Il la relève en la tenant par la main ; sa main guérit la main de la malade. Il saisit cette main comme l'aurait fait un médecin, prend le pouls et évalue l'importance de la fièvre, lui qui est à la fois médecin et remède. Jésus la touche, et la fièvre disparaît.
Souhaitons qu'il touche notre main afin qu'ainsi nos actes soient purifiés. Qu'il entre dans notre maison : levons-nous enfin de notre lit, ne restons pas couchés. Jésus se tient à notre chevet et nous restons couchés ? Allons, debout ! ... « Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas » (Jn 1,26) ; « le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (Lc 17,21). Ayons la foi, et nous verrons Jésus présent au milieu de nous » (1)

Le Christ est notre salut. Confions lui notre vie...
Écoutons la Vierge qui nous montre la voie : « Faites tout ce qu'il vous dira » (Jn 2)



Chœur de la basilique d’Issoudun

«Il s’agit maintenant de le connaître, lui, ainsi que la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en étant configurés à lui dans la mort, pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu tout cela ni que je sois déjà parvenu à l’accomplissement; mais je le poursuis, tâchant de le saisir, pour autant que moi-même j’ai été saisi par Jésus-Christ. En ce qui me concerne, mes frères, je n’estime pas moi-même l’avoir déjà saisi; mais une seule chose compte: oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour obtenir le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ. Si donc nous sommes des gens « accomplis », tenons-nous-en à cette pensée; et si sur quelque point vous pensez différemment, Dieu vous révélera aussi ce qu’il en est. Seulement, au point où nous sommes parvenus, avançons ensemble.»
‭‭Lettre aux Philippiens‬ ‭3:10-16‬ 

(1) Saint Jérôme, Commentaire sur l'évangile de Marc, 2 ; PLS 2, 125s (trad. DDB 1986, p. 52), source Évangile au quotidien 


12 janvier 2019

Au fil de Jean 3,22-30, tressaillement et décentrement - Cana et Nicodème

*En ce temps-là, Jésus se rendit en Judée, ainsi que ses disciples ; il y séjourna avec eux, et il baptisait.
Jean, quant à lui, baptisait à Aïnone, près de Salim, où l'eau était abondante. On venait là pour se faire baptiser.
En effet, Jean n'avait pas encore été mis en prison.
Or, il y eut une discussion entre les disciples de Jean et un Juif au sujet des bains de purification.
Ils allèrent trouver Jean et lui dirent : « Rabbi, celui qui était avec toi de l'autre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous vont à lui ! »
Jean répondit : « Un homme ne peut rien s'attribuer, sinon ce qui lui est donné du Ciel.
Vous-mêmes pouvez témoigner que j'ai dit : Moi, je ne suis pas le Christ, mais j'ai été envoyé devant lui.
Celui à qui l'épouse appartient, c'est l'époux ; quant à l'ami de l'époux, il se tient là, il entend la voix de l'époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite.
Lui, il faut qu'il grandisse ; et moi, que je diminue*. Jean 3,22-30 (1)

Ce petit épisode où l'on voit Jésus baptiser en « concurrence » avec Jean est très particulier. Pour l'exégète John Meyer il traduit et prépare à la coexistence de deux écoles différentes, celle des disciples de Jean qui perdurera encore après la mort du Christ. Et c'est justement au sein de cette école que l'évangéliste Jean va tenter deux déplacements et une tentative de réconciliation. Augustin nous y conforte en apportant deux exhortations : « le tressaillement » et le « décentrement » deux concepts déjà largement commentés dans nos pages.
*Écoutez, enfants de la lumière, vous qui avez été adoptés en vue du Royaume de Dieu ; écoutez, frères très chers ; écoutez et tressaillez de joie dans le Seigneur, vous les justes, puisqu' « à vos cœurs droits, la louange va bien » (Ps 33,1). Écoutez ce que vous savez déjà, méditez ce que vous avez entendu, aimez ce que vous croyez, proclamez ce que vous aimez ! ...
Le Christ est né, Dieu par son Père, homme par sa mère ; il est né de l'immortalité de son Père et de la virginité de sa mère. De son Père, sans le concours d'une mère ; de sa mère, sans celui d'un père. De son Père, sans le temps ; de sa mère, sans la semence. De son Père, il est principe de vie ; de sa mère, la fin de la mort. De son Père, il est né pour régler l'ordre des jours ; de sa mère, pour consacrer ce jour-ci.
Devant lui il a envoyé Jean Baptiste, qu'il a fait naître lorsque les jours se mettent à décroître, et lui-même est né lorsque les jours commencent à rallonger, préfigurant ainsi les paroles de ce même Jean : « Lui, il faut qu'il grandisse ; et moi, que je diminue ». En effet, la vie humaine doit s'affaiblir en elle-même et s'augmenter en Jésus Christ, « afin que les vivants n'aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux » (2Co 5,15). Et afin que chacun de nous puisse répéter ces paroles de l'apôtre Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20).(2)

Cette première place du Christ ne nie pas notre existence, elle constitue le lieu de notre déplacement. Diminuer pour qu'en nous (en Christo) nous devenions passeur de Dieu, Christophore, porte-Christ.

La phrase de Galates citée par Augustin résume tout.

Quelles sont les conditions de cette transformation en nous ? 
Elle se lit entre les lignes dans un autre passage des mêmes chapitres de Jean et rejoins notre commentaire de 1 Jn 4. 
« Le troisième jour, il y eut des noces. Que sont ces noces, sinon les vœux et les joies de l'humanité sauvée, célébrées le troisième jour, dans le mystère de ce chiffre qui désigne soit la confession de la Trinité, soit la foi en la résurrection.

Car, dans un autre passage de l'Évangile, c'est avec la musique et les danses et la robe des noces que l'on accueille le retour du fils cadet, c'est-à-dire la conversion du peuple païen.

Aussi, tel un époux sortant de la chambre nuptiale, le Verbe descend jusqu'à la terre, jusqu'à l'Église qui doit rassembler les nations ; en assumant l'incarnation, il va s'unir à celle qu'il a gratifiée d'un contrat de mariage et d'une dot. Un contrat, quand Dieu s'est uni à l'homme ; une dot, quand il a été immolé pour le salut de l'homme. Le contrat, c'est la rédemption présente ; par la dot, nous entendons la vie éternelle. ~ Aussi était-ce des miracles pour ceux qui voyaient, des mystères pour ceux qui comprenaient. C'est pourquoi, si nous regardons bien, on découvre d'une certaine manière, dans les eaux elles-mêmes, une ressemblance avec le baptême et la nouvelle naissance. En effet, lorsqu'une chose se transforme intérieurement en une autre, lorsque la créature inférieure, par un changement invisible, se transmue en une nature meilleure, le mystère de la seconde naissance s'accomplit. Les eaux, tout à coup, sont changées, elles qui plus tard doivent changer les hommes. ~

Par l'action du Christ en Galilée, voici du vin. C'est-à-dire que la loi touche à sa fin et la grâce lui succède : le reflet est écarté, la vérité est rendue présente ; les réalités charnelles conduisent aux spirituelles, l'observance ancienne se transforme en la Nouvelle alliance. Comme dit l'Apôtre : Ce qui est ancien a passé, voici que du nouveau est advenu. De même que l'eau contenue dans les cuves ne perd rien de ce qu'elle était, mais reçoit alors une existence qu'elle ne possédait pas auparavant, ainsi la loi ne disparaît pas, mais se perfectionne par l'avènement du Christ. ~

Le vin venant à manquer, un autre vin est procuré ; le vin de l'Ancienne alliance était bon, mais celui de la Nouvelle est meilleur. L'Ancienne alliance, celle que les Juifs observent, s'évapore dans la lettre. La Nouvelle alliance, celle qui nous concerne, restitue le goût de la vie en donnant la grâce.

Le bon vin, c'est-à-dire le bon commandement, est celui de la loi, lorsque tu entends : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais le vin de l'Évangile est meilleur et plus fort, lorsque tu entends : Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. » (3)

De Cana à Nicodème, Jean nous mène un pas plus loin

(1) Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
(2) Saint Augustin, Sermon 194, onzième sermon sur la Nativité du Seigneur (trad. coll. Icthus, t.8, p. 98 rev.), source Evangile au quotidien 
(3) Fauste de Riez, Sermon sur l'eucharistie, source AELF


30 décembre 2018

Au fil de Luc 2 - Sainte famille, homélie, version n.10

Où est le centre de nos vies ? Nos proches sont-ils l’essentiel ? Où est notre trésor ?
La réponse pourrait être matérielle, elle peut-être de citer votre conjoint, vos enfants ou petits-enfants et vous n’auriez pas vraiment tort en le disant, mais l’Ecriture nous invite un pas plus loin. Un grand pas…. Car notre trésor à tous est ailleurs, il repose au fond de nos cœurs. Le trésor, c'est la présence de Dieu qui veut demeurer en nous (2e lecture). C’est le don le plus intime et le plus intérieur. C’est ce qu’a compris Marie. Pourtant, comme nous, elle a pris du temps…
Je vous propose de contempler cela avant de méditer sur ce que cela nous dit, pour nous...

  1. Contemplation
Prenons de la distance et contemplons Marie, la première en chemin. Le mystère de Marie Vierge et mère se contemple toujours dans la dynamique des textes de Luc.
Depuis la visite de l’ange, elle ne fait que se confronter à l’inattendu de Dieu. Très vite pourtant elle passe du ravissement au déchirement. Elle a porté en elle un trésor. Elle l’a maintenant mis au monde, et voilà déjà que Jésus lui échappe. La liturgie de l’octave de Noël (c’est à dire les 8 Jours qui suivent le 25) nous permettent de contempler samedi 29/12 la présentation au Temple; À cette occasion, si vous vous souvenez du texte, c’est l’annonce par le vieux Siméon d’un glaive dans le cœur de Marie.
Nous savons par Jean, combien son chemin sera douleur. Triste réalité maternelle ?

Oui et non… car entre Marie dans les premières pages de l’Evangile de Luc et celle que nous découvrons à Cana chez l'Évangéliste Jean, où la Vierge demande à son Fils d’agir s’est fait un basculement. Elle s’est fait don.
Marie nous montre comment la parole prend chair en elle, l'émerveille et l'a fait aller là où elle ne veut pas aller.
Qu’est-ce à dire pour nous ? On croit que nos enfants nous appartiennent et ils nous échappent bien vite, car ils ne sont pas à nous, mais dons de Dieu. On croit pouvoir porter et retenir le don de Dieu et voilà qu’il s’éloigne, grandit, nous surprend et devient plus grand que nous.
Ce Verbe qui s’est fait chair en nous doit porter du fruit.
La mise en résonance de la première lecture peut accroître encore notre contemplation. Anne, la mère de Samuel a compris que ce qui lui est donné est pour le Seigneur. Marie, le sent, elle aussi au fond d’elle-même, dans cet épisode du Temple.

Ce que nous recevons nous fait grandir et appelle au don.
En ce jour de la Sainte Famille vous pouviez vous attendre à une homélie sur les relations intra-familiales. Marie nous conduit plus loin, sur la source même de l’amour sans qui rien n’est possible.



2. Méditation
Il y a, à ce sujet, dans la 2eme lecture et l’Évangile un mot en commun : garder.
  1. Garder les commandements de Dieu
  2. « Marie gardait tout cela dans son cœur »
Qu’est ce à dire ?
Même si les deux mots grecs d’origine sont différents, il me semble que cette notion peut-être source de méditation pour aller plus loin.
Garder la Parole de Dieu au fond de son cœur ne consiste pas à l’enfouir pour le cacher, comme on le ferait d’un magot. Bien au contraire, « il s’agit de Le saisir et de se laisser saisir » par Dieu (cf. Ph. 3), de le contempler ET se laisser déranger par lui.

La Parole n’est pas là pour être oubliée, mais bien pour nous creuser en nous de l'intérieur, refondre et recentrer notre vie. Elle est tranchante et exigeante cette Parole.

Ce que Marie voulait garder pour elle lui échappe déjà. L’enfant Jésus n’est déjà plus sous la coupe maternelle. Il est déjà emplit du Verbe. En lui brûle Dieu en actes et il est prêt à discuter avec des docteurs de la loi.

Que faisons-nous de la Parole ? Le plus facile est de l’oublier, de la laisser à la porte de l’église en sortant, comme la feuille de messe qui la contient d’ailleurs. Si nous ne nous laissons pas travailler par l'Écriture disait un grand théologien (1) c’est parce qu’elle est trop exigeante. Notre erreur, notre tentation c’est de ne pas l’entendre, de la laisser de côté, y compris dans l’aujourd’hui de nos vies.

« La Parole exige l'amour de Dieu et du prochain » (1) et donc une cohérence.
Elle est le cri tout intérieur qui se fait écho du cri du prochain. Si Dieu pose sur nous son regard c’est pour que nous ne soyons pas indifférent à l’irruption du « visage d'autrui qui nous appelle » (2).

Le risque est de l'ignorer, de l’écouter sans l’entendre. Notre trésor ne doit pas rester enfoui.

A nous de percevoir, à notre tour, que ce qui nous est donné, notre trésor, vient de Dieu et loin d’être mis sous le boisseau, il doit être redonné à son tour.
Notre mission est de passer de la réception au don le plus total...

(1) Hans Urs von Balthasar, La prière contemplative, op. cit. p. 196-7
(2) Emmanuel Lévinas, cf. Autrement qu’être

09 novembre 2018

Au fil de Jean 2, 21 - Le temple des pierres vivantes - Augustin d’Hippone


« Le Temple dont il parlait, c'était son corps » Jn 2, 21

La fête de la basilique du Latran nous interpelle. Car l'enjeu n'est pas de contempler des pierres, mais l'Église. Et qu'est-ce que l'Église si ce n'est d'abord le Christ et à sa suite les pierres vivantes que nous sommes ?
L’Église n’est pas résumée par sa hiérarchie. Elle a, dans son essence, une dimension polyèdrique, faite d’hommes et de femmes, joyeux et souffrants, serviteurs et pècheurs.
Comme le souligne Augustin toute œuvre humaine est fragile et nous ne cessons d'en voir les limites.
« Le vrai temple, le corps du Seigneur, est tombé aussi, mais il s'est relevé, et si bien relevé qu'il ne pourra jamais plus tomber…
Et nos corps à nous ? Ils sont membres du Christ. Écoutez saint Paul : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ? » (1 Co 6,15) Lorsqu'il dit : « Vos corps sont les membres du Christ », qu'est-ce à dire, sinon que nos corps, joints à notre tête qui est le Christ (Col 1,18), font ensemble un temple unique, le temple de Dieu ? Avec le corps du Christ, nos corps sont ce temple… Laissez-vous construire dans l'unité, pour ne pas tomber en ruine en restant séparés ». (1)
Quelle est cette unité si ce n'est de se tourner à nouveau vers la source ?
A nous d'écouter le fleuve, cette eau silencieuse qui coule au milieu du brouhaha de nos vies. Qu'arrive-t-il alors, sinon le tressaillement ultime de l'homme qui a creusé en lui un lit pour la Parole, qui a transformé son coeur en amphore spirituelle, en éponge ou anémone qui vivre à la danse de Dieu et de son fleuve d'amour (2).
À nous d'effectuer cette plongée sous-marine dans les profondeurs secrètes de l'amour divin. Et nos pierres mortes tressailliront dans l'intase (3) d'un Dieu dont nous sommes temple.
« Chaque mois ils porteront des fruits nouveaux,
car cette eau vient du sanctuaire.
Les fruits seront une nourriture,
et les feuilles un remède. » Ez 47, 12
L’intase dont nous parle le cappadocien est cet inhabitation de Dieu en nous, ce courant d’air dont nous sommes la demeure fugace.
Laissons le entrer en nous, illuminer nos temples, comme les bougies de nos églises.



(1) Saint Augustin, Sermon Morin n°3, 4 ; PLS 2, 664 (trad. Solesmes, Lectionnaire, t. 3, p. 916 rev.)
(2) cf. François Cassingena-Trévédy, Pour toi quand tu pries, p. 188ss, mais aussi ma "danse trinitaire" in l'Amphore et le fleuve.
(3) Cf. Grégoire de Nysse ou la course infinie, op. cit.


13 octobre 2018

Au fil de Luc 11, 27-28, les manducateurs du Verbe


« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t'a porté en elle, et dont les seins t'ont nourri ! »
Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Luc 11,27-28

Surprenant passage qui comme dans Jean 2 (Cana) pourrait penser que Jésus méprise sa mère. Saint Augustin corrige cette impression avec délicatesse : « Marie était bienheureuse, parce que, avant même d'enfanter le Maître, elle l'a porté dans son sein.
Voyez si ce que je dis n'est pas vrai. Comme le Seigneur passait, suivi par les foules et accomplissant des miracles divins, une femme se mit à dire : « Heureux, bienheureux, le sein qui t'a porté ! » Et qu'est-ce que le Seigneur a répliqué, pour éviter qu'on ne place le bonheur dans la chair ? « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ! » Donc, Marie est bienheureuse aussi parce qu'elle a entendu la parole de Dieu et l'a gardée : son âme a gardé la vérité plus que son sein n'a gardé la chair. La Vérité, c'est le Christ ; la chair, c'est le Christ. La vérité, c'est le Christ dans l'âme de Marie ; la chair, c'est le Christ [en] Marie. Ce qui est dans l'âme est davantage que ce qui est dans le sein. Sainte Marie, heureuse Marie !.. Mais vous, mes très chers, regardez vous-mêmes : vous êtes les membres du Christ, et vous êtes le corps du Christ (1Co 12,27)... « Celui qui entend, celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère »... Car il n'y a qu'un seul héritage. C'est pourquoi le Christ, alors qu'il était le Fils unique, n'a pas voulu être seul ; dans sa miséricorde, il a voulu que nous soyons héritiers du Père, que nous soyons héritiers avec lui (Rm 8,17).(1)

Il nous reste un chemin, plus profond que celui de la chair (entendez par là le monde et ses attractions temporelles) celui d'une lente manducation de la Parole. Erri de Luca, dans « Au nom de la mère » nous y conduit à sa façon (2). Le Verbe qui dort en nous provoque des tressaillements subtils. C'est la trace d'un Dieu fragile qui se réveille sans bousculer notre liberté. Écoutons le.

(1) Saint Augustin, Sermon sur l'évangile de Matthieu, n° 25, 7-8 ; PL 46, 937 (trad. bréviaire 21/11), source Evangile au quotidien 
(2) Gallimard, édition folio, 2008. La traduction n'étant pas à la hauteur du texte italien.

09 novembre 2017

"L'amour de ta maison" et les Marchands du temple - Jean 2

Le texte de Jn 2 que nous donne à contempler la liturgie d'aujourd'hui (les marchands du temple) en cette fête de la dédicace du Latran doit se contempler à l'aune de la Passion qui habite ce texte dès les premiers versets de la péricope précédente (Cana). Nous sommes au "troisième jour" et la Croix est là,  bien présente dans cette eau qui va devenir le vin des noces. (1)
L'époux est là et l'heure de ses noces approchent. Il monte déjà charnellement et spirituellement à Jérusalem.  Le bon vin, servi en dernier se prépare,  après un long effort de Dieu vers l'homme.  Le mendiant d'amour va tout donner (cf. plus haut) même son Fils.
La mère est là, au pied de la Croix et il crie d'angoisse.  "Femme que me veux tu ?"
Est-ce déjà l'heure ?
Non, pas encore, mais "que ta volonté soit faite".

Allez, amis serviteurs, au puits de la rencontre, puisez l'eau vive ! (cf. Jn 4).
Remplissez les jarres, car la source est prête.


Dans cet axe, le zèle du Christ est à entendre à l'aune du psaume 68 (69) tout entier cité par Jean 2, 17. [Père], l'amour de ta maison est mon tourment. Outre le verset 10 cité c'est tout le psaume qui jaillit comme un cri. Face à cette plainte, la colère du Christ sur le traitement fait à la "maison du Père" semble bien légère. 
Écoutons et méditons en effet le psaume,  l'allusion au vinaigre,  entendons le cri du Crucifié.
02 Sauve-moi, mon Dieu : les eaux montent jusqu'à ma gorge ! 
03 J'enfonce dans la vase du gouffre, rien qui me retienne ; 
* je descends dans l'abîme des eaux, le flot m'engloutit. 
04 Je m'épuise à crier, ma gorge brûle.
* Mes yeux se sont usés d'attendre mon Dieu.
05 Plus abondants que les cheveux de ma tête, ceux qui m'en veulent sans raison ; 
* ils sont nombreux, mes détracteurs, à me haïr injustement. 
Moi qui n'ai rien volé, que devrai-je rendre ? 
* 06 Dieu, tu connais ma folie, mes fautes sont à nu devant toi.
07 Qu'ils n'aient pas honte pour moi, 
ceux qui t'espèrent, Seigneur, Dieu de l'univers ;
* qu'ils ne rougissent pas de moi, ceux qui te cherchent, Dieu d'Israël ! 
08 C'est pour toi que j'endure l'insulte, que la honte me couvre le visage :
09 je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère. 
10 L'amour de ta maison m'a perdu ; on t'insulte, et l'insulte retombe sur moi.
11 Si je pleure et m'impose un jeûne, je reçois des insultes ; 
12 si je revêts un habit de pénitence, 
je deviens la fable des gens : 
13 on parle de moi sur les places, les buveurs de vin me chansonnent.
14 Et moi, je te prie, Seigneur : c'est l'heure de ta grâce ; 
* dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi. 
15 Tire-moi de la boue, sinon je m'enfonce : 
* que j'échappe à ceux qui me haïssent, à l'abîme des eaux.
16 Que les flots ne me submergent pas, que le gouffre ne m'avale, 
* que la gueule du puits ne se ferme pas sur moi. 
17 Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; 
* dans ta grande tendresse, regarde-moi.
18 Ne cache pas ton visage à ton serviteur ; je suffoque : vite, réponds-moi. 
* 19 Sois proche de moi, rachète-moi, paie ma rançon à l'ennemi.
20 Toi, tu le sais, on m'insulte : je suis bafoué, déshonoré ; 
* tous mes oppresseurs sont là, devant toi.
21 L'insulte m'a broyé le coeur, le mal est incurable ; 
* j'espérais un secours, mais en vain, des consolateurs, je n'en ai pas trouvé.
22 A mon pain, ils ont mêlé du poison ; quand j'avais soif, ils m'ont donné du vinaigre. (...)
30 Et moi, humilié, meurtri, que ton salut, Dieu, me redresse. 
31 Et je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce.
32 Cela plaît au Seigneur plus qu'un taureau, plus qu'une bête ayant cornes et sabots. 
33 Les pauvres l'ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
34 Car le Seigneur écoute les humbles, il n'oublie pas les siens emprisonnés. 
35 Que le ciel et la terre le célèbrent, les mers et tout leur peuplement !
36 Car Dieu viendra sauver Sion et rebâtir les villes de Juda. 
Il en fera une habitation, un héritage : 
* 37 patrimoine pour les descendants de ses serviteurs, demeure pour ceux qui aiment son nom.

Alors la point du texte jaillit  comme un chant d'espérance : " Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » 

Percez son sein et "et aussitôt, il en sorti[ra] du sang et de l’eau." (Jn 19, 34).
Dans cet axe les deux lectures du jour paraissent évidentes : 

« J’ai vu l’eau qui jaillissait du Temple,
et tous ceux que cette eau atteignait étaient sauvés » (Antienne Vidi aquam)

« En ces jours-là, au cours d’une vision reçue du Seigneur,l’homme me fit revenir à l’entrée de la Maison, et voici : sous le seuil de la Maison,de l’eau jaillissait vers l’orient,puisque la façade de la Maison était du côté de l’orient.L’eau descendait de dessous le côté droit de la Maison, au sud de l’autel. L’homme me fit sortir par la porte du nord et me fit faire le tour par l’extérieur, jusqu’à la porte qui fait face à l’orient,et là encore l’eau coulait du côté droit. Il me dit :« Cette eau coule vers la région de l’orient, elle descend dans la vallée du Jourdain,et se déverse dans la mer Morte,dont elle assainit les eaux.En tout lieu où parviendra le torrent,tous les animaux pourront vivre et foisonner. Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre,et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent. Au bord du torrent, sur les deux rives,toutes sortes d’arbres fruitiers pousseront ;
leur feuillage ne se flétrira pas et leurs fruits ne manqueront pas.Chaque mois ils porteront des fruits nouveaux,car cette eau vient du sanctuaire.Les fruits seront une nourriture,et les feuilles un remède. » Ez 47, 1-2.8-9.12

"Frères,vous êtes une maison que Dieu construit.Selon la grâce que Dieu m’a donnée,moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation.Un autre construit dessus.Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction.La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ. Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu,et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu,cet homme, Dieu le détruira,car le sanctuaire de Dieu est saint,et ce sanctuaire, c’est vous.– Parole du Seigneur.
(1 Co 3, 9c-11.16-17) (2)

(1) cf. mon commentaire dans "sur les pas de Jean".
(2) Source AELF

13 septembre 2015

Signes et miracles - Cohérence 2


"Pour le croyant qui se tient au centre (1), les miracles du Christ ne sont pas d'abord ce qui rend subjectivement la foi plus facile (car il en a à peine besoin), mais le rayonnement, sur le domaine sensible, de la gloire divine déjà vue spirituellement" (2).

Là encore la finesse de l'analyse de Balthasar nous conduit dans l'axe de ce que nous contemplons dans ce qu'il appelle (à la suite de nombreux exégètes) la "théologie des signes" chez Jean.

Depuis Cana, la guérison du fils, le relèvement (même mot grec que résurrection) du malade de Bethesda , Jean nous conduit en effet à la contemplation de la Passion et de la résurrection...

Toute la vie de Jésus est alors symboliquement organisée vers la révélation du Père. On retrouve ce que je notais plus haut à propos de la cohérence sacramentelle...

Saint Augustin l'exprimait ainsi : "ce que notre Seigneur a fait corporellement, il voulait le savoir compris spirituellement. Il n'acomplissait‎ pas de miracles pour le plaisir d'en faire, mais afin que le fait accompli apparaisse à ceux qui le voyait comme merveilleux, à ceux qui le comprenaient comme vrai. (....) celui qui ne sait pas lire (...) admire la beauté des lettres, mais ce que les lettres veulent dire, il ne sait pas. (...) un autre, au contraire, célèbre l'oeuvre d'art et en comprend le sens (...) c'est de tels disciples que nous devons être à l'école du Christ (3)

On perçoit, à la différence des balbutiements de l'analyse historico-critique que nous avons commenté chez John P. Meier (4), qu'il y a là ce que Jean de Lubac appelle véritablement une lecture spirituelle (5)‎ rejoignant l'esthétique de la gloire que cherche à démontrer Balthasar.

‎(1) cf. le livre éponyme de Balthasar : retour au centre
(2) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 172
(3) Serm. 98, 3 (PL. 38. 592), cité ibid
(4) cf par ailleurs nos travaux sur John P. Meier, Un certain juif...
(5) Henri de Lubac, Exégèse Médiévale, Les quatre sens de l'Écriture. 1, Cerf, DDB, 1993, p. 110ss



02 septembre 2015

Unité de l'Église

Je relisais hier soir les premiers chapitres du "Contre les hérésies" d'Irénée '1) et sa grande insistance sur la Tradition. Il en rayonne une profonde recherche d'unité qui réveillait en moi ce que j'écrivais sur la tunique unique du Christ. 
Triple unité à rechercher donc :
1) unité dans le temps (Tradition) que j'aime concevoir comme un processus dynamique dans le vent de l'Esprit.
2) unité de coeur,  qui commence par une attitude intérieure,  une quête transcendante qui rejoint l'unité intradivine, la circumincession des Trois personnes,
3) unité dans la charité qui rayonne d'une quête attentive des besoins d'autrui,  de la paix plus grande que toute tentation de violence,  de cette primauté de l'unité qui nous fait contempler la souffrance de la séparation.
Cela rebondit avec ce que je trouve dans ce commentaire de l'évangile de Jean 2 par Origène, cité dans l'office des lectures(2) : "Selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de « Temple ».Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement. Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier. De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute : Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. "
Contemplons cette unité et tâchons ensemble de la faire vivre.

(1) Irénée de Lyon, Contre les hérésies (1, 10, 1-2), Paris, Cerf, 1984
(2) Origène, Commentaire de l'évangile de Jean, Source Bréviaire AELF