29 avril 2021

Homélie du 5eme dimanche de Pâques - année b

Projet 9
Quand Jésus prononce-t-il ces phrases [du chapitre 15] que je viens de lire ? Pour Jean, ce passage est placé entre le lavement des pieds et la croix et représente une sorte de testament spirituel et d'exhortation.

Qui dit testament dit don et cela me fait toujours penser à la question que l’on peut se poser, qu’est-ce qu’a pensé le père du fils prodigue au moment où il a partagé ses biens ? Quels étaient ses dons ? 
Une réponse se trouve peut-être ici.
En effet, si l’on trouve dans la Bible nombreuses allusions à la vigne et notamment dans la parabole de la vigne et des vignerons, chez Jean, le « Je suis la vigne » (1) nous fait faire un bon (2) puisque Jésus s’identifie à elle et devient en somme la révélation de l’amour de Dieu en actes. Il est don de Dieu en vérité... la mort du Fils signant comme le don ultime du Père [avant le don de l’Esprit qui nous « relie » à celle du Fils par la magie de cette danse trinitaire que je ne cesse d’évoquer]. 
Aujourd'hui nous découvrons également ce beau lien entre la vigne et les sarments. Avec de nombreuses insistances sur le mot demeurer et donc sur le lien entre les sarments et la vigne, qu'est-ce que ça veut dire pour nous aujourd'hui ? 
Sommes-nous véritablement attachés à cette vigne ? 
Qu’est ce que la vigne pour nous ? La parole, le pain, ou plus profondément Dieu en nous ? 
Dieu vient-il demeurer en nous ? 
Nous laissons nous la place ?
Je suis d’ailleurs frappé par certaines manières de communier. Le beau sens de la main tendue pour recevoir le corps du Christ exprime notre réceptivité fragile de ce don. N’hésitons pas à nous faire temple rien que dans ce « mime » symbolique...
Mais le fond du mystère est dans ce demeurer... qui résonne avec le « où demeures tu ? » des disciples des les premiers chapitres, le «  je veux demeurer chez toi » dis à Zachée, mais aussi avec l’où es-tu originel. 
La vigne -elle la source de notre vie, est-elle le but ultime ?

Cette question, il faut l'avoir en tête quand nous lisons avec attention la deuxième lecture ou saint Jean nous propose d'aimer « en actes et en vérité ».

Car cette question de la vérité de nos actes est finalement la question des « beaux fruits » évoqués dans l’Evangile...

Il est a priori assez simple de savoir si nous aimons en actes mais c'est peut-être plus compliqué de savoir si nous aimons en vérité. Laissons cette question raisonner avec notre lien avec la vigne. Sommes-nous rattachés à cette vigne ? Est-elle la source, la sève, le point central qui vient nourrir nos actes ?
Est-elle aussi communion, danse entre nous et avec notre Dieu ?

Aimer en actes et en vérité.
Quand je parle à ceux qui préparent leurs mariages, j'aime souvent les interroger sur leur amour [avec le triple prisme de saint Augustin] : aimez-vous aimer pour la simple joie d'aimer ou d'être aimés où êtes-vous dans l'amour don, (dans l’agapè) ?

Est-ce que vous offrez des fleurs à l'autre pour avoir un retour ou par don... ? Il est peut-être plus vrai de déposer un bouquet devant la porte de la vieille voisine sans mettre un mot qui rattache ce bouquet à vous... que d'offrir des fleurs à son épouse - je ne suis pas très bon sur ce point....

Ce qui compte le plus, n'est-ce pas en effet de parvenir au don gratuit, un don où le donateur s'efface (3) Ce type d'amour est par essence celui de l'amour divin, un amour qui est par essence gratuité... c’est d’ailleurs ce que nous contemplons depuis Emmaüs, un Dieu qui se retire après la fraction du pain, c’est à dire qui donne sa vie et se retire dans le silence pour préparer la venue en nous de l’Esprit,

Ce Paul, dont nous parle la première lecture, est celui qui en parlera le mieux : "L'amour prend patience, il ne cherche pas son intérêt." (cf . 1 Co 13..)
Si nous sommes unis à la vigne, à cette vigne même que constitue le Christ qui a donné sa vie pour nous, alors notre don ne sera vrai, il prendra patience, ne cherchera pas son intérêt et sera comme le Christ un don total, alors nous aimerons en actes et en vérité, à la suite du Christ, rattachés à sa vigne.
Alors nous entrerons dans cette danse...


L’enjeu, comme le suggère une amie est bien dans ce « Demeurez en moi comme je demeure en vous », qui revient huit fois dans ce passage pour bien insister sur l’importance de ce trait d’union, cette danse, qui nous rend participant à la lumière et l’espérance qui pointe chez Jesus au delà de la trahison qui va suivre. Il est « la lumière (...) venue dans le monde pour que celui qui croit en [lui] ne demeure pas dans les ténèbres » Jn 12 (44-50).

Dieu connaît nos limites. Il nous invite à cette danse tout en sachant que nous ne savons pas danser, alors son message devient un cri à entendre dans la lignée de tous les cris et de tous les agenouillements de Dieu. C’est le cri de l’ amour du père du fils prodigue (Luc 15) : même si vous quittez la vigne, n’oubliez pas mon amour, le pain et le vin versés pour vous, ce fruit de mon amour/ de ma vigne qui vous redonnera le sens profond de l’amour...
Demeurez en moi comme je cherche à genoux, à demeurer en vous...
Le Christ parle à des disciples qui vont le quitter, le trahir...
Il vient de leur laver les pieds et il va mourir pour eux —- et pour nous —- ces paroles sont comme le cri non prononcé du père du fils prodigue.... va, vis ta vie, mais n’oublie que je t’aime en parole et en vérité...
Laissons demeurer en nous ce souvenir, faisons le habiter en nous...
Car nos vies ne porteront fruits, ne seront en vérité que si Dieu demeure en nous. Pas par un rite, un bref passage dominical à l’Église pour nous rassurer mais parce que Dieu aura SA place en nous, habitera chacun de nos actes....
Ouvrons nos mains, mes surtout nos cœurs à ce Dieu qui se donne...

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(1) cf. Zumstein tome 2 p. 98
(2) Zumstein évoque une hypertextualité et une métaphore qui danse pour moi avec les métaphores vives de Ricoeur.
PS :  Lire jean 15 ne peut se faire qu’à la lumière de cet agenouillement extraordinaire de Jean 13... son discours est loin d’être anodin, car il est encadré par un pont théologique entre l’agenouillement et la croix, le premier étant, comme je le rappelle à la suite de XLD. (4) qu’un mime de cette vigne à venir, coupée de ses sarments les plus chers et versant, au prix le plus fort, un vin nouveau qui devient fleuve au sens d’Ezechiel 47...
Il faut donc entendre derrière le cri...






(3) cf. sur ce thème les travaux de Mauss ou Jean Luc Marion, Étant -donné, op, cit.
(4) cf. Xavier Léon Dufour et son commentaire de Jean tome 2
PS : merci à l’amie fidèle, qui par ses suggestions donne du relief à ces essais d’homélies et en font un travail « collégial »

27 avril 2021

Lectures pastorales - livres en téléchargement libre


Comme annoncé je bascule progressivement toutes mes « lectures pastorales » en téléchargement gratuit sur kobo (cf.lien) et  sur Fnac.com.

Sont déjà disponibles plus de 5000 pages en dix-huit volumes très différents :
  1. La réédition de « danse trinitaire », un petit essai d’une cinquantaine de pages publié il y a 10 ans et que je ne cesse de considérer comme central dans une réconciliation entre théologie et pastorale - dire avec des mots simples l'indicible des mouvements de Dieu...
  2. « Retire tes sandales", une petite contemplation (93 pages) rédigée à la suite de ma lecture des 18 tomes de la trilogie d’ Hans Urs von Balthasar
  3. Dieu dépouillé - la compilation de Pédagogie divine et Chemins d'Évangile (1886 pages selon le calcul de Kobo) qui reprend en un volume le coeur de ma contemplation de la dynamique de la révélation qui va jusqu’à « l'agenouillement » de Dieu devant l'homme.(Jn 13 et Ph 2) et intègre notamment les livres publiés sous les titres  « Le rideau déchiré », « Dieu de miséricorde » , « À genoux devant l’homme »
  4.  Serviteur de l’homme - kénose et diaconie, la suite directe de Dieu dépouillé qui poursuit la lectio divina du nouveau Testament et nous conduit au travers des actes des apôtres jusque dans une lecture chronologique des lettres de Paul (dans l’ordre présumé de leur parution) nous permettant de suivre la progression pastorale de l’auteur.
  5. Chemins de miséricorde - une lecture cursive et pastorale de l’évangile de Luc
  6. "KénoseHumilité et miséricorde", Une version en un seul volume (1093 pages) de ma trilogie parue il y a trois ans.
  7. La dynamique sacramentelle, un document présynodal sur l’ouverture de la notion de sacrement à la vie des baptisés 
  8. Le chemin du désert, lecture spirituelle qui accompagne le lecteur sur le chemin ardu d’un dépouillement intérieur à la suite de Luc et Matthieu 4 et des grands mystiques.
  9. Aimer pour la vie, un chemin de spiritualité conjugale, un des premiers écrits de l’auteur sur le thème où il est le plus qualifié (Ancien représentant permanent pour la France de la FICPM), mais aussi le plus démuni - avec 33 ans de vie conjugale au compteur)
  10. Quelle espérance pour l’homme souffrant ? Le mémoire revisité de sa licence de théologie - un travail qui reste fragile tant l’est la question...
  11. L’amphore et le fleuve, un recueil qui développe les thèmes de la liberté de l’homme devant l’amour divin, à la suite de Retire tes sandales et danse trinitaire.
  12. Où es-tu mon Dieu ? - une méditation sur la souffrance 
  13. Dieu n’est pas violent  - une relecture spirituelle des textes de violence dans la Bible
  14. Cette Église que je cherche à aimer - un texte publié il y a quelques années sur les grandeurs et faiblesses de l’Église 
  15. À genoux devant l’homme, la troisième édition de notre lecture de l’évangile selon saint Jean
  16. Pastorale du Seuil, le texte d’une série de conférences données de Beauvais à Gap. 
  17. Pédagogie divine - une relecture pastorale des pas de Dieu dans l’Ancien Testament 
  18. Silo le berger - un conte de Noël écrit pour mon neveu, sur la base de chemins de miséricorde 



Progressivement, l'ensemble de mes lectures pastorales seront mises en ligne gratuitement par ce biais.
A suivre.

Et bien sûr mes romans plus accessibles et notamment, également en téléchargement libre : 
  1. « D’une perle à l’autre (2 tomes) et « le mendiant et la brise » (80 pages au centre des 800)
  2. Le collier de Blanche - un pseudo roman historique à fort contenu théologique...
  3. La danse des anges
  4. Une dernière valse - mon best seller, petite nouvelle de 30 pages... 
  5. etc.







20 avril 2021

Danse avec la nouvelle Ève - 50


«Marie, était fiancée à Joseph; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint.» Matthieu‬ ‭1:18‬ ‭‬

Le commentaire de François Cassingena-Trévedy  soulève chez moi plusieurs vagues contemplatives. Écoutons-le d’abord : « Inventa est un utero habens de Spiritu Sancto » - l’homme découvrit que la femme avait quelque chose dans le ventre. Au milieu de sa province la plus familière, l’homme découvrit que la femme était une terre habitée. Et lui, l’homme du petit pays, il découvrait que la femme était habitée par l’étranger, par l’inconnu. La femme tenait du Saint-Esprit. La femme était toute chose. La femme depuis quelques temps avec quelque chose d’étrange. Quelque chose d’autre. Quelque chose. Et l’homme, un instant égaré dans le sous-bois de la femme, ne savait pas encore que cet indéfini était l’Infini même. (1)


La profondeur de ces textes suscite souvent des résonances. Ici, j’ai été un pas plus loin puisque cela rime avec d’autres échanges que je vous partage ce soir.

 

1er pas de danse

C’est peut-être ce cri de l’homme devant la femme au jardin d’Eden, cet autre, ce vis à vis(2), à la fois différente et fait de la même chair, qui nous conduit à percevoir à la fois l’altérité et notre vulnérabilité (3).

Il y a pour nous les « terreux », quelque chose à méditer qui vient fissurer nos désirs de puissance, de pouvoir et d’autorité. Elle est là, fragile parfois, vulnérable souvent, elle interpelle notre moi profond par sa différence et sa sensibilité, souvent plus intérieure, qui réveille chez nous notre propre sensibilité, ce qui peut être féminin en nous et que nous n’osons voir... premier pas d’une symphonie à construire.

 

2eme pas de danse

C’est peut-être, plus loin encore que la première Ève, cette Marie qui porte en elle l’Infini de Dieu. Première inhabitée qui interpellera toujours nos propres tressaillements intérieurs. Sans idolâtrer la « première en chemin », il faut considérer combien elle trace une route pour nous, dans cette capacité à recevoir Celui qui veut demeurer chez nous, Celui qui descends de Jérusalem à Jéricho, aux plus profond de nos sous-bois, pour dire comme à Zachée : je veux habiter chez toi. Comment recevons-nous le Verbe qui s’invite dans nos rendez-vous espacés pour danser avec nous la triple valse du croire, de l’espérance et de l’amour. Ève nouvelle qui va porter dans sa chair, le glaive d‘une présence jusqu’aux « jointures de l’âme » (Heb 4,12) et la double Pâques de l’enfantement et de la mort du Fils. Chemin qui précède notre capacité à traverser la souffrance ? (4).

 

3eme pas de danse

Peut-être cet hommage aux femmes délaissées, ignorées, méprisées par une Église qui ne cesse de croire que Jésus ne se conjugue qu’au masculin sans percevoir combien la communion et la collégialité polyédrique passe par le relèvement du féminin pour qu’enfin nos Églises retrouvent la dimension première qu’elle a perdue depuis Hippolyte de Rome (5)

 

4eme pas de danse

C’est peut-être contempler, à la suite de l’invitation du pape François, l’humilité de Joseph, silence qui permet la naissance de l’Infini chez l’autre

 

5eme pas de danse

Voir en l’autre la flamme fragile de l’Esprit qui couve doucement au cœur du silence les graines délicates semées par le Verbe, pour que le dit murmuré par Dieu devienne un Dire au sens lévinassien (6)

 

6eme pas de danse

C’est plus essentiellement la contemplation de cette danse trinitaire qui se prépare. « Les mouvements en Dieu, le simple amour du Père et du Fils ne produit qu’une « binité » (Binität). Ce qui manque, ajoute Hans Urs von Balthasar, c’est « le miracle de la fécondité, du cadeau qui dépasse l’un et l’autre ». (7) On ne peut s’empêcher de penser, quand on a la joie d’être père, à ce « toujours plus » que constitue l’enfant. Car c’est bien de la même « image et ressemblance » qu’il s’agit. Le conjugal s’épuise quand il est tourné sur soi-même et qu’il n’intègre pas le don, ce débordement que constitue toute fécondité, dont l’enfant naturel n’est que la face la plus visible.

À partir du don de l’enfant se prépare celui de l’Esprit que la liturgie nous prépare lentement à recevoir, cet Esprit envoyé au monde, invitation non contraignante à un retour. Rêve de Dieu (8) ? que l’homme réponde par sa danse à l’invitation que lui fait la danse trinitaire (9).


7eme pas de danse... suggéré dans le cadre d’une autre discussion avec Marie-Odile Dervin  qui avait « une pensée pour les couples qui ne connaissent pas la joie de donner la vie. Quand le sacrement de mariage donné l’un à l’autre se vit sous le regard de Dieu, la relation devient fécondité. »


Une belle remarque que celle-là ! Pour avoir souffert de cette non fécondité charnelle avec mon épouse - je danse avec cette idée... La fécondité est un concept large qui dépasse de loin celle de la naissance d’un enfant et en même temps elle est déchirement et vulnérabilité, soit parce que l’enfant ne vient pas (ou ne vient plus, c’était notre cas, Dieu nous ayant fait deux beaux cadeaux), soit parce que l’enfant qui naît est différent de notre rêve et nous fait grandir en grandissant...

Dieu élargit toujours notre regard, lui qui est source de nos fécondités...

Il faut néanmoins souligner combien la stérilité est d’abord souffrance. Comme toute souffrance elle passe d’abord par une saine révolte, un cri, une nécessaire conversion intérieure avant de trouver en soi l’embryon d’une réponse, souvent délicate à articuler avant de devenir chemin d’espérance. Là Dieu devient aidant.


L’enjeu de ce septième pas serait alors de trouver une fécondité commune - par l’enfant, mais plus largement par tous les fruits que Dieu nous confie et qui deviennent par nos mains une co-création...


Huitième pas de danse qui reprend celui de toute la valse (proposée par Sylvaine Landrivon, suite également à un bel échange) :

« Mouvement de danse qui commence, en effet, par la stupeur du masculin se reconnaissant autonome face à celle qui se tient devant lui, à la fois semblable et autre, issue de la même chair du premier humain. Tellement proche et pourtant si différente que cet humain, devenant « il » en vis-à-vis de celle qui naît à l’être « elle », ne sait comment entrer en dialogue ni comment s’en dissocier autrement qu’en se l’appropriant par une série de dangereux possessifs « os de mes os, chair de ma chair »

Est-ce que le masculin n’est  pas souvent  en train de lutter contre cette emprise inaugurale, sauf dans l’union des corps où se lâche sa crainte d’être privé d’autrui? 

Il ne pourra sortir de la solitude délétère qui l’enferme et n’apprendra à danser qu’en apprivoisant le rythme de la création jusqu’à ce que murmure en lui l’appel d’une valse nouvelle. Il parviendra enfin à ce à quoi ils sont tous deux appelés : une valse à trois temps, symphonie réorchestrée par les valeurs théologales que sont l’amour, la  foi et l’espérance.

 

Dieu est bel et bien le musicien dont parle Saint Irénée. La « mélodie harmonieuse »  (A.H. IV, 20, 7) que Dieu compose est nécessaire à la réalisation de l’œuvre, et n’a d’autre but que de faire danser la vie jusqu’à la divinisation de ses créatures humaines. Il nous envoie son Fils pour nous emporter dans les ondes de l’Esprit. Et la valse commence.

Au premier temps de la valse, se dit l’amour de Dieu qui, dans la création nouvelle, vient s’incarner dans le corps consentant de Marie. Femme puissante porteuse du poids (kavôd = pesant et sacré) du Dieu Unique, elle porte le Verbe qui irradie dans l’intimité de sa toute faiblesse humaine. Il vient révéler la dimension trinitaire et universelle  du Don.

Au deuxième temps de la valse, Joseph unit ses pas aux siens et sa foi virevolte dans la lumière de la bonne Nouvelle, conjuguant les charismes du masculin et du féminin pour assurer l’harmonie qui vibre dans l’inouï du don offert. Au troisième temps de la valse, la promesse de joie éternelle par le salut à jamais donné, enlace la communauté d’amour dans l’espérance apaisante.

« Rêve de valse » ou « Apothéose de la danse », il faut savoir danser sa foi comme Claude Hériard nous y invite, car la danse est la plus belle des métaphores pour exalter la beauté des harmoniques masculines et féminines au service de la gloire de Dieu.(10) ».


À méditer...


Le 9eme pas de danse que suggère ce 8ème pas est peut-être ce à quoi nous conduit tout cela, ce double agenouillement du Fils et de sa mère, « pas de danse » kénotiques où l’un et l’autre s’effacent devant l’infini de Dieu à venir, entrent dans le vrai silence, celui de l’intime et en cela dans un « fiat » à deux voix, un « tout est accompli », avant de s’effacer comme à Emmaüs et nous conduire, en « Galilée », au bout d’un long chemin, à entrer aussi dans cette kénose tant attendue de l’Église qui seule rend possible une véritable harmonie entre l’homme et Dieu...


10eme pas de danse qui nous ramène à François Cassingena-Trévedy qui fait écho au premier texte d’où est partie cette valse, de Jésus qui « dans sa mort, les yeux ouverts et loin de chercher à rentrer, à régresser dans sa mère, nous la donne [au contraire], mais incomparablement plus large » (11). Que veut-il nous dire ? Peut-être que cette matrice nouvelle est dans l’oxymore de l’effacement et de la proximité, un royaume « ouvert », un Corps, une cathédrale fragile dont nous sommes les pierres vivantes, chacune utiles, chères aux yeux de Dieu, comme nous le rappelle le pape Francois dans son insistance sur le polyèdre...


« En confiant l’un à l’autre le Bien-aimé et Marie, Jésus sur la croix offre l’universalité au peuple d’Israel que symbolise sa mère. Il donne ses fondations à notre Église précisément là... et annonce ce qu’il dira ensuite à la Magdaléenne : Son Père devient Notre Père parce que, par le lien nouveau créé à la croix, nous sommes tous devenus les frères et sœurs du Christ » (10).


Je ne trouve pas encore de 11 eme pas de danse..., à vous de l’écrire 😉

 


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III, op.cit. p.101

(2) cf. Sylvaine Landrivon, La femme remodelée

(3) voir mes échanges récents avec Isabelle Laurent et son mémoire « Vulnérabilité et unité de la personne

Une lecture des tentations du Christ au désert » Mémoire de licence canonique de théologie, Septembre 2017

(4) cf. mon « Quelle espérance pour l’homme souffrant ? »

(5) cf. sur ce point Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018.

(6) Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Poche, 1975?

(7) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, III – L’Esprit de Vérité p. 39

(8) j’emprunte cette belle image du rêve de Dieu à François, in Un temps pour changer

(9) cf. mon livre éponyme

(10) Sylvaine Landrivon, inédit 🙂

(11) Étincelles p. 109

15 avril 2021

Homélie du troisième dimanche de Pâques


Que se passe t il ce soir de Pâques ?
Jésus est ressuscité disent les pèlerins d’Emmaüs, mais les disciples sont encore frileux, peureux, enfermés dans le passé. 
Ils n’ont pas été accompagnés dans leur marche jusqu’à la fraction du pain, n’ont pas encore reçu cet Esprit qui les rendra libres...
Une petite image personnelle si vous le voulez bien.
Le jour de Pâques trois belles tulipes ont jailli de mon jardin, mais le froid est revenu et les voilà couchées à nouveau sous la neige ou le froid. 



Et tous les matins je les retrouve couchées et tremblantes.
Le printemps tarde à venir.
Qui va gagner, l'hiver ou le printemps...? 

Et nous, où en sommes-nous dans nos vies ?
Nous sommes encore, parfois, comme les disciples, dans l'entre-deux.
Christ est ressuscité mais l'est-il pour autant en nous ?
Les textes de ce dimanche traduisent cette opposition. Pierre dans les Actes évoque le reniement des chrétiens, Jean dans sa première lettre évoque le péché qui nous éloigne. L'Evangile reprend le doute des Apôtres.
De quel côté sommes-nous ?
Jean donne une piste qu'il ne faut pas négliger : garder la Parole en nous. Se laisser habiter...
La laisser creuser en nous la place essentielle, première, ranimer en nous l'étincelle qui rallume en nous l'espérance que Dieu a mis en nous par la grâce de notre baptême...

Laissons germer en nous les paroles de Jean, comme une éternelle interpellation :

En celui qui garde sa Parole, Dieu ouvre l'intelligence de l'Ecriture.

En celui qui garde sa Parole, Dieu mettra la force de croire...

En celui qui garde sa Parole, l'amour de Dieu atteint sa perfection...

Le but du chemin c'est Jésus, vrai homme et vrai Dieu.
Vrai homme comme Jésus lui même le souligne dans l'Evangile. Mettez le doigt dans mon côté, laissez moi manger avec vous, partagez votre vie.
Vrai Dieu parce qu'il reste en même temps divin, au delà de nos adhérences au mal, charité espérance sur notre chemin.

Laissons germer en nous les paroles de Jean, comme une éternelle interpellation :

En celui qui garde sa Parole, Dieu ouvre l'intelligence de l'Ecriture. Que faisons nous de cette Parole ? Reste-y-elle sur nos lèvres où vient-elle bousculer notre vie ?

En celui qui garde sa Parole, Dieu mettra la force de croire.
Manquons nous à notre devoir d’espérance ? Laissons nous Dieu relever nos âmes frigorifiées par le froid du monde comme mes tulipes transies chaque matin, ? Où sommes-nous vraiment porteurs de cette petite espérance dont Dieu nous comble ? 

En celui qui garde sa Parole, l'amour de Dieu atteint sa perfection... comment laissons nous l’amour prendre le dessus ? Est que la Parole est l’engrais de nos actes. 

Levons nous, marchons, soyons témoins ! 
Dieu n’a pas besoin de nous disent les théologiens...
J’ose aujourd’hui aller un pas plus loin. Dieu peut se suffire à lui même mais il ne rêve que d’une chose, c’est que nous entrions dans sa danse. 
Dans cinq minutes vous allez avancer vers l’autel, comme nous le faisons maintenant depuis près d’un an. Que cette marche ne soit pas un geste banal, mais qu’il exprime votre désir d’avancer, de choisir de croire, de choisir d’aimer... de choisir d’espérer....
Il est ressuscité !
Creusons en nous cette place pour Dieu, que sa présence réelle, que notre ouvre aux Écritures, nous rendent capables d’accueillir l’Esprit....



Quelle Église pour le XXIe siècle? - 46.2

Nous sommes nombreux à s’interroger sur l’avenir de notre Église. J’évoquais déjà l’ecclésiologie du « Reste » avec ses limites que l’on trouve déjà dans 1 Rois 19, dans mon billet 46 (et notamment l’illusion fréquente d’être seuls gardiens d’une vérité). Je vous signale dans La Croix de jeudi dernier, le bel article d’Elodie Maurot sur le livre d’Hans Joas et notamment sa conclusion qui articule « quatre enjeux pour le christianisme : 

1. développer une éthique universaliste de l’amour capable de répondre aux différentes formes d’individualisme ; 

2. défendre la personne contre le retour d’une vision scientifique naturaliste et réductrice de l’humain ; 

3. maintenir une spiritualité à forte dimension communautaire où l’Église est une « communauté qui rend possible l’individualité » ;

4. rappeler l’idée de transcendance contre tous les phénomènes d’auto-sacralisation totalitaires. »(1)

Un chemin qui va s’avérer difficile si l’on en juge les clivages actuels.

Je suis personnellement sensible aux points un et trois ... et preneurs de vos commentaires.


En attendant je poursuis mes citations de ce journal : « Soit l’Église est communion et exprime donc la paternité qui la garantit, soit elle risque de devenir une simple force sociale ou politique, ou bien une organisation de philanthropie », écrit le cardinal de Bologne dans le même journal. Il martèle : « L’Évangile, j’insiste, désamorce la haine à la racine. »(2)

Doit on désespérer ? Attendre le salut d’ailleurs.

Je crois personnellement au retour aux sources :


En suivant l’intuition de Joseph Moingt, dans notre désert rural, une maison d’Evangile où l’on ne partage pas le pain mais un bon gâteau et l’Evangile redonne du souffle et notre Église reprend goût à partager. Le souffle de l’Esprit ne viendra pas forcément de l’étranger.. c’est à nous de le faire revivre... 😉 théologie du Reste ? 

C’est en tout cas l’intuition de Moingt ou de Theobald dans la Creuse, le chemin tracé dans le diocèse d’Arras avec leurs fiches de lectures. Ne baissons pas les bras !

(1) Dans le vif du christianisme, Élodie Maurot, La Croix du 8 avril à propos de « La foi comme option. Possibilités d’avenir du christianisme » de Hans Joas, Salvator.

(2) cardinal Matteo Zuppi, Tu haïras ton prochain. La fraternité n’est pas négociable Salvator, cité également dans La Croix du 8/4/21 


PS : voir aussi dans le journal de vendredi l’article sur le diocèse de Versailles et ses contrastes - et l’excellente initiative lancée là bas par l’ESE...

12 avril 2021

Transfiguration et résurrection - danse 49.4

Pourquoi ont ils fuit ?

Aurions nous fait mieux ?

Au delà d’une interpellation personnelle, en ce dimanche de la miséricorde, Il faut plutôt se plonger dans l’histoire de la révélation, dans le jeu subtile et délicat des théophanies pour percevoir la lente pédagogie divine qui bouscule les frontières du déductible, démonte les stèles antiques, les dieux vengeurs ou ceux qui exigent des sacrifices (Gn 22), les dieux sacrificiels qu’évoquent le Ps 50 ou Os 6, les dieux triomphants du début de l’Exode 16 et 22, pour aboutir à la contemplation de dos d’Ex 34 ou le chant des anges, murmure léger d’un fin silence d’1 Rois 19, antichambres du mystère entrevu lors de la transfiguration où sont conviés les deux héritages, avant de réaliser que d’un galiléen venu de nulle part est seule et parfaite image et ressemblance du vrai Dieu. Que de chemins, que de déceptions chez Judas mais aussi chez Pierre avant de parvenir à concevoir que le Dieu dépouillé, déchiré est ce que nous cachait Dieu derrières les dorures, les diamants ou le rideau du Temple. Au lieu des ors, c’est un Dieu à genoux que nous révèle la Croix. 

Agenouillement, écartèlements d’un Dieu qui accepte de rompre Son Pain et verser Son Corps pour la multitude. 

Ici la multiplication des pains et le lavement des pieds dansent ensemble une symphonie légère, loin des rites trop chargés et des paroles figées pour nous conduire à l’essentiel. Dieu déchire de haut en bas le voile car tout est dit dans ce corps transpercé, que Thomas peut toucher du doigt car l’ouverture est totale, non refermable. De lui coulera toujours ce torrent joyeux (Ez 46) et ce souffle nouveau qui prépare une flamme encore légère mais bientôt radieuse - celle de l’Esprit répandu pour nous, afin que nos âmes assoiffées se brûlent en lumière et amour... 

Vœux pieux ? Poétique stérile ?

Cela ne dépend plus de Lui. Tout est donné car dans l’effacement du Verbe se glisse l’appel ténu d’une flûte qui continue son chant imperceptible et appelle à la danse. 

Si tu veux... Ego eimi  (Je suis) donné pour faire de toi un porte-Christ, le nouveau temple d’un Dieu dépouillé (2), pierre vivante d’un anti-royaume, appel du visage, et fruit du silence...



11 avril 2021

Frémissements intérieurs - danse du Verbe 49.3

Apparitions fragiles du ressuscité, progression notée dans le nombre des témoins, comme si Dieu n’osait pas s’affirmer dans sa gloire de transfiguré...

La brise légère des théophanies se poursuit de peur de forcer notre liberté toujours première.

Au cœur des visitations de la Parole en l’homme, de frémissements en tressaillements*, se creuse au sein de l’être une place sublime et fragile, celle du Corps qui sème en nos cœurs ces déchirements nécessaires où Dieu peut se glisser pour féconder nos terres encore vierges.

C’est quand nous acceptons d’être vulnérables, quand nous reconnaissons nos fragilités que Dieu se glisse, courant d’air (1) fragile pénétrant silencieusement au cœur de notre intérieur délaissé.

Ruminations, manducations...

Buissons stériles qui d’un seul coup deviendront ardents quand le feu envahira sans détruire. 

Joies d’abord fugaces de ces rencontres, où la distance est de mise (« ne me touche pas ») pour préparer la véritable communion du Verbe avec l’âme impatiente...

Les pas de Dieu sont toujours fragiles, comme les traits tracés sur le sable en Jn 8, loins du doigt de Dieu de l’AT qui gravait les tables de Pierre. Quel est l’enjeu ?

Comme une vague douce vient fissurer la roche de nos falaises hautaines, Dieu cherche la faille.

« Tu étais là et je ne le savais pas. » découvre Augustin...au bout du voyage (2).


Le corps se fait Corps quand nous percevons, essentiellement, la symphonie à laquelle Dieu nous convie.


De même, la Parole qui n’est pas échangée se meurt. 

Partagée elle devient vie, prend chair, s’enrichît, s’éclaire et éclate en Exultet pascals...

Nous ne pouvons l’enfermer dans nos exégèses, la faire entrer dans nos « cases » sans risquer d’en abîmer la profondeur et pourtant il nous semble essentiel d’en faire résonner les accents et les facettes multiples.

Henri de Lubac, dans son exégèse médiévale, comme Hans Urs von Balthasar dans sa trilogie avaient raison d’insister sur la polyphonie et la symphonie des Écritures. Le plus grand crime est pour moi de croire qu’il n’existe qu’une version littérale quand le Verbe reste Dire... loin du Dit, réduit et réducteur (3) Lévinas soulignait aussi cela, jusqu’à oser dire que la vérité serait accessible quand les chrétiens arrêteraient de monopoliser le feu (4). Une affirmation qui ne cesse d’interpeller.

Le Verbe n’appartient à personne, se joue de nos cadres, souffle où il veut... les semences du Verbe et de l’Esprit sont comme les graines livrées à la brise légère du Printemps... Don du grand Donateur qui s’efface dans le silence mais continue de semer discrètement sans atteindre notre liberté...

Il est chemin, vérité et vie quand le monde ne cesse d’en découvrir l’immensité.

Dans « L’Amphore et le fleuve »(5)  je prolongeait Ez 46 et Bonaventure pour décrire l’homme debout cherchant à recueillir dans ses mains fragiles le don immense jailli d’un cœur ouvert et jaillissant d’eau vive et de sang versé, mélange sublime de vie et d’amour, d’Esprit et de feu versé comme la lave infinie d’un volcan éternel...


« Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. Vois ! Je mets aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. 

Ce que je te commande aujourd’hui, c’est d’aimer le Seigneur ton Dieu, de marcher dans ses chemins, de garder ses commandements, ses décrets et ses ordonnances. Alors, tu vivras et te multiplieras ; le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays dont tu vas prendre possession. » Dt 30, 14-16


Venez le repas est servi... la table est prête...(6)


(1) expression que j’emprunte à François Cassingena-Trévedy dans son excellent livre de « Pour toi quand tu pries »

(2) confessions, ch. VIII

(3) Emmanuel Lévinas, autrement qu’être ou au delà de l’essence

(4) Éthique et infini

(5) cf. Kobo / Fnac

(6) j’en profite pour rappeler l’expérience fragile sur FB de cette Maison d’Evangile - La Parole partagée que j’anime depuis quelques mois et qui compte maintenant près de deux cent participants : https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/


*sur les tressaillements voir mon billet n.20 et ma longue web série sur mon blog


Rappel : mes billets forment un tout en construction encore fragile - éternel quête ou danse à laquelle je vous invite, conscient d’être loin de « l’avoir saisi » (Ph 3)





09 avril 2021

La kénose de Pierre - danse 49.2

L’évangile d’aujourd’hui, bien que triste saucisson du chapitre 21 de Jean nous conduit bien loin.

Simon-Pierre veut pêcher tout seul ou entre amis, mais les poissons ne sont pas là. N'est-ce pas la leçon de Dieu face à nos ambitions humaines. « Cette nuit-là, ils ne prirent rien » (Jn 21, 3). 

Dans une lettre à Louise Brunot, Madeleine Delbrêl insiste sur l’importance de mourir à nous-mêmes afin que nous puissions renaître dans le sens développé par Jean 3, 5-7. Pour elle notre naissance se fait « à proportion » de notre mort. C'est-à-dire que tout abandon, de l'obéissance à notre père spirituel  jusqu'au renoncement à « obéir au métro qu'on rate », est à la fois obéissance au monde, renoncement à « sa volonté propre » et de ce fait abandon de notre autonomie pour se couler dans le vouloir de Dieu sur nous. Plus qu'un regard mystique sur le monde, c'est aussi une hygiène de vie, un retour au centre. « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux » (Luc 22,42 // Matt 26,42). Leçon d’humilité qui nous rend réceptifs à la miséricorde.

Pourquoi évoquer tout cela à propos de la pêche miraculeuse ? À la question de Jésus sur le rivage : « Enfants, n'avez-vous rien à manger ? », ils doivent reconnaître l'échec de leurs volontés humaines. Ce n'est finalement qu'en obéissant à l'ordre du Christ que se révèle les dons de Dieu. Une leçon intérieure qui se poursuivra pour Pierre, comme on le verra, jusqu'à sa fin : « tu étendras la main et c'est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira jusqu'ou tu ne voudras pas ». (v. 18)

Il nous faut passer au-delà de l’illusion de se croire capable seul de réussir, ébaucher une démarche de pardon, de mise à nu. Comme il est dur, souvent de consentir, alors que l'illusion de notre valoir nous semble justifier nos actes. Et pourtant nous ne sommes que des serviteurs, instruments fragiles d'un plan de Dieu qui nous dépassera toujours.

9. Quand ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson mis dessus, et du pain. 10. Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » 11. Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. 12. Jésus leur dit : « Venez et mangez. » Et aucun des disciples n'osait lui demander : « Qui êtes-vous ? » parce qu'ils savaient qu'il était le Seigneur.

13. Jésus s'approcha, et prenant le pain, il leur en donna; il fit de même du poisson.

14. C'était déjà la troisième fois que Jésus apparaissait à ses disciples, depuis qu'il avait ressuscité des morts.

Notons, en passant, que John P. Meier considère que la version de Jean de la pêche miraculeuse est probablement plus plausible que celle placée par Luc avant la mort de Jésus, même si Jean a instillé dans le texte, comme en Jn 11, un important ajout théologique et symbolique que nous commentons plus loin.


La contemplation du Dialogue avec Pierre Jean 21, 15-25 nous conduit plus loin. 

Il est dangereux de couper le chapitre alors que l’ensemble du récit à sa structure propre. Rappelons le contexte. Il y a d’abord l’opposition nuit/jour que nous avions déjà notée entre Nicodème et la Samaritaine. Ici, comme nous l’avons vu, la nuit du pêcheur a été stérile et c’est à l’appel du Christ que la pêche devient féconde.

Il y a ensuite la symbolique du vêtement. Pierre est à nu (v. 8). Il ne se cache plus derrière son assurance. Depuis son reniement, il est probablement couvert de honte. C’est à ce moment-là que Jésus choisit l’ultime appel. Le dernier « où es-tu ? » vient le relever. Il passe un vêtement, mais est-ce suffisant ? Il lui faut plonger dans la mer pour accéder au repas. Est-ce une allusion au baptême de l'Église ?

Le questionnement montre qu’il a encore du chemin à parcourir jusqu’au décentrement final où l’amour pourra être un amour d’agapè et d’une certaine manière, un « lavement des pieds » au sens où il devient imitation de « l’amour-serviteur » de Jésus :

« Quand tu deviendras vieux, un autre te ceindra et t’entraînera, là où tu ne veux pas aller ». Jn 21, 18.

Ramenée à l'Église, cette dernière arche fait résonner ce que nous avons découvert, dans cette longue traversée de la Passion. Au pas de Dieu qui s’agenouille devant l’homme doit répondre ceux de l’homme vers Dieu. Il ne peut en tirer gloire, puisque Dieu seul emplit les filets. Mais au bout du chemin sera la pêche abondante, le repas partagé et la gloire de voir Dieu…

Pierre, lors du lavement des pieds, n’avait pas saisi l’enjeu du geste. Il restait crispé sur l’apparence. Ce que nous fait découvrir l’ensemble du récit, c’est que l’invitation du Christ n’est pas rituelle, mais totale. Ce qui est demandé à l’homme, par l’agenouillement de Dieu, est d’entrer dans une réciprocité totale, une participation à la danse trinitaire qui va jusqu’à l’amour total, sans limites, et peut conduire à la croix, non comme un autosacrifice, mais comme la conséquence d’un dépouillement, d’un décentrement de l’homme, jusqu’à l’extrême, en Dieu.

Au bout de cette traversée, nous retrouvons un schéma qui traverse l’ensemble de nos recherches, celle de la « descente de tours », ce lieu où l’homme, en quittant toutes ses certitudes, y compris pour Pierre, l’illusion de tenir dans l’adversité, parvient à la nudité d’une rencontre, « sous la tente légère ». En rencontrant Jésus lui-même dépouillé de sa toute-puissance, il parvient à l’entre-vue véritable, celle d’un Dieu aimant.

C’est ainsi que ce dernier pont peut nous apparaître, comme une révélation finale :

Décentrement                            Réception

Ils étaient nus Gn 2                Don du Jardin

Où es-tu ? Gn 3                Don de la vie

Retire tes sandales Ex 3                     Je suis

 Retire tes vêtements Ex 33     Tente de la rencontre

Il retira son vêtement Jn 13 Il lave les pieds

Ils lui enlevèrent sa tunique Jn 19

J’ai soif

        Tout est accompli

     Jaillissement du cœur

     Tombeau vide Jn 20

       Don de l’Esprit Jn 20


Le Seigneur ne demande pas plus que ce que nous pouvons porter. Il considère chacun comme s'il était la perle unique en qui il avait mis tout son amour.  Contemplons le dialogue sublime qui réunit Pierre avec Jésus au bord du lac de Tibériade. Le dialogue commence par une subtilité des deux verbes grecs utilisés par Jésus dans son questionnement.  Il demande d'abord si Pierre l'aime d'amour (agapas me) avant d'utiliser le verbe qu'utilise Pierre à chaque fois pour lui répondre. Philo te ! Je t'aime d'amitié.  

On sait que Pierre sort de son reniement,  qu'il doit avoir la honte du fils prodigue, qu’il a plongé nu dans la mer – un geste à la forte symbolique baptismale – pour se présenter devant le Seigneur et pourtant Jésus se remet à genoux devant lui, en le rejoignant dans ses mots mêmes. Et lui dit "paix mes brebis".

Écoutons ce commentaire de saint Augustin : « Le Seigneur demande à Pierre s'il l'aime, ce qu'il savait très bien ; et il le lui demande non pas une fois, mais deux et même trois fois. Et chaque fois Pierre répond qu'il l'aime, et chaque fois Jésus lui confie le soin de faire paître ses brebis. À son triple reniement répond une triple affirmation d'amour. Il faut que sa langue serve son amour, comme elle a servi sa peur ; il faut que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'elle l'a été devant la menace de la mort. Il faut qu'il donne une preuve de son amour en s'occupant du troupeau du Seigneur, comme il a donné une preuve de sa timidité en reniant le Pasteur. »

N'est-ce pas nos tentations pastorales,  qui ne sont autres que celles que Mat 4 décrit au désert.  L'avoir, le pouvoir, le valoir.

Saint Augustin poursuit : « Ceux qui s'occupent des brebis du Christ avec l'intention d'en faire leurs brebis plutôt que celles du Christ se montrent coupables de s'aimer eux-mêmes au lieu d'aimer le Christ. Ils sont conduits par le désir de la gloire, de la domination ou du profit, et non le désir aimant d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Cette parole trois fois répétée par le Christ condamne ceux que l'apôtre Paul gémit de voir chercher leurs intérêts plutôt que ceux de Jésus Christ (Ph 2,21). »

Prenons le temps de relire  ce texte de Philippiens 2, dans son contexte, c'est-à-dire depuis l'évocation de la kénose du Christ (qui n’est autre qu’une illustration théologique du lavement des pieds évoqué en Jn 13).

« Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé (en grec : ekenosen) lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. (...) Agissez en tout sans murmures ni hésitations, afin que vous soyez sans reproche, simples, enfants de Dieu irrépréhensibles au milieu de ce peuple pervers et corrompu, dans le sein duquel vous brillez comme des flambeaux dans le monde, étant en possession de la parole de vie; et ainsi je pourrai me glorifier, au jour du Christ, de n'avoir pas couru en vain, ni travaillé en vain. (...) Car je n'ai personne [hormis Timothée] qui me soit tant uni de sentiments, pour prendre sincèrement à cœur ce qui vous concerne; tous, en effet, ont en vue leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (Ph2, 5-8, 14-16, 20-21) ».

C'est dans l'esprit kénotique de Paul et sous l'éclairage de la triple tentation (Mt 4 / Lc 4) que l'on peut entendre l'évêque d'Hiponne. « Que signifient, en effet, ces paroles : « M'aimes-tu ? Pais mes brebis » ? C'est comme s'il disait : « Si tu m'aimes, ne t'occupe pas de ta propre pâture, mais de celle de mes brebis ; regarde-les non comme les tiennes, mais comme les miennes. En elles, cherche ma gloire, et non la tienne ; mon pouvoir, et non le tien ; mes intérêts, et non les tiens »... Ne nous préoccupons donc pas de nous-mêmes : aimons le Seigneur et, en conduisant ses brebis vers leur pâturage, recherchons l'intérêt du Seigneur sans nous inquiéter du nôtre. »

À nous les pécheurs pardonnés, Jésus nous met l'anneau,  nous revêt du manteau du pardon (Luc 15) et nous comble de sa grâce. Louange et gloire à notre Dieu.

06 avril 2021

Danse fragile, nudité et rencontre - 49

Un article d’Elodie Maurot dans La Croix du 18 mars sur un livre récent de Tiziano Ferraroni sj (1) fait écho pour moi à des travaux entrepris et abandonnés faute de temps sur la fragilité.(2)

Il y aurait bcp à dire sur ce thème de la fragilité, comme source de rencontre spirituelle. J’ai un peu creusé ce sujet suite à Osée 2 dans mon « Chemins du désert ».

Ferraroni l’étudie chez Ignace de Loyola avec ce commentaire admirable aux accents lévinassien que je vous laisse découvrir : 

. « La vulnérabilité étant l’exposition radicale à l’autre, à l’impondérable, à l’imprévisible, elle garde toujours un côté surprenant, voire menaçant, précise le théologien. On peut néanmoins réaliser un chemin qui permet de ne pas lui résister a priori, de ne pas en avoir peur, de ne pas se barricader ; en somme on peut rester ouvert à ce qui arrive, en sachant que cela demandera, à chaque nouvelle manifestation, de faire un nouveau travail d’intégration. » (3)


Cela résonne pour moi avec l’interpellation du visage dans « Autrement qu’être » (4) mais aussi à ce que le fondateur de l’Arche disait fort bien sur la fragilité. Dommage que son passé bien triste efface ce qu’il disait magnifiquement sur ce thème.

Quel est l’enjeu ?

 Se laisser surprendre comme Jacob lors de son passage du gué, à un instant clé et délicat de sa vie (avant sa rencontre d’Esaü) (5) par l’inattendu qui vient briser nos tours humaines et nous conduit à tomber à genoux.

Retirer nos sandales (6) ou nos vêtements comme nous y invite Ex 33, 5 puis Jn 13...

Etty Hillesum traduit bien cela dans ses écrits (7). La danse fragile d’un Dieu fragile, l’agenouillement de Dieu sera toujours un lieu de rencontre si nous acceptons de prendre conscience de nos fragilités...


Dans « Aimer pour la vie - essai de spiritualité conjugale » (8) je poursuis cette quête en contemplation de Gn 2, 25. 

Pourquoi la Genèse parle-t-elle d’une nudité qui n’a pas de honte, si ce n’est pour nous introduire à ce que la vulnérabilité partagée des époux peut générer d’harmonie et de symphonie, loin de toute puissance et de violence... ? 

Rêve d’une rencontre inaccessible ? 

« Le mythe donne à penser » glissait avec justesse Paul Ricoeur dans son Conflit des interprétations.

Cette nudité que nous cachons bien vite est peut-être un chemin de conversion et d’humilité.

Si Pierre rechigne à dévoiler ses pieds à Jésus, est-ce que parce qu’il n’est pas prêt encore à l’agenouillement et à l’humble nudité qu’il n’atteindra qu’en Jean 21 ? (9)

Est-ce que Marc y parvient avant lui à Gethsémani ?

C’est souvent l’interprétation que l’on fait de cet épisode saugrenu de Mc 14, 52 (10)

À creuser...


(1) La Brèche intérieure de Tiziano Ferraroni

Facultés jésuites de Paris, 358 p., 30 €, citée par Elodie Maurot.

(2) voir mon roman « Léa » 

(3) La Croix du 18/3, ibid.

(4) Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Poche

(5) cf. mon analyse dans Pédagogie divine

(6) voir Ex 3 et mon livre éponyme 

(7) Etty Hillesum, une vie bouleversée 

(8) cf. version téléchargeable sur Kobo

(9) cf. mon « A genoux devant l’homme »

(10) cf. Le rideau déchiré 


Photo de mon jardin ce matin

03 avril 2021

Homélie du dimanche de Pâques

Projet 4

 La première lecture donne le ton avec 4 fois le mot témoigner et une fois le mot annoncer. Annoncer, témoigner de quoi ?

« Il est ressuscité... » Êtes-vous prêts ?

Nous devrions sauter de joie, alors que nous sortons des zones sombres que nous venons de traverser... 

Cessons de voir du noir, la lumière est là, toute proche. Elle ne demande qu’à jaillir...

A défaut, ceux qui nous croiseront diront, non sans raison : « Où est-il votre ressuscité ? »


Mais j’anticipe... —- que nous dit en effet l’Evangile...?


Le chapitre 20 de Jean mérite un long détour avec trois questions.

Quand, où, comment la résurrection se manifeste-t-elle ?


Quand...

Nous sommes encore dans les ténèbres. Les disciples sont partis, presque en courant. Il ne reste que les femmes. Celles qui ont accompagné le corps de Jésus au tombeau. Cette Marie-Madeleine, dont on ne connaît pas grand-chose, qui vient, perdue parce que son Seigneur est mort sur une croix. Voilà le contexte. Peu d’espoir, la solitude d’une femme. Et pourtant, c’est à elle, bien avant les deux apôtres que la révélation se fait...méditons cela...


Où ? 

Nous sommes au jardin... pas le jardin d’Eden, pas celui où règne l’arbre interdit... enfin presque, parce que le seul tronc qui demeure, tout près est celui de la Croix, nue, signe de la violence des hommes...

On pourrait penser qu’il s’agit d’un nouveau clin d’œil de Dieu... alors que la tradition accuse la femme à Éden, c’est bien à cette femme seule que sera donné le signe... à méditer...là encore..


Comment ?

Le texte que nous donne à lire la liturgie est court... nous n’avons pas les anges, la rencontre, l’envoi... juste la première partie... une disparition... une femme qui cherche... il nous faut faire avec ( je vous invite néanmoins à aller plus loin... car le récit ne s’arrête pas là...) lire la suite et le rôle d’apôtre que lui donne Jesus. Sa quête n’est pas restée sans réponse...

Restons cependant à contempler ce qui nous est donné... un vide, un creux, un manque...

Jean est discret, il ne laisse qu’une trace, un doute, une absence... le corps n’est plus là... il manque... il nous manque.

Il manque à Pierre qui reste sur son échec.. il manque à Jean qui se sent lui aussi bien seul après le dernier échange entre lui et Jésus mourant...

Si nous avions pris le texte du dimanche soir, nous aurions eu un peu plus... un Christ qui rejoint,  accompagne, explique aux pèlerins d’Emmaus...

Mais aussi un Christ qui disparaît... pourquoi ?

Laissons résonner la question...

Pourquoi la résurrection est-elle un manque...  ?

Deux embryons de réponse :

  1. Elle nous échappe... Dieu reste inaccessible, manque, désir 
  2. Dieu a besoin de nous...

Nous n’avons pas grand chose à contempler personnellement de la résurrection... juste une brûlure intérieure qui nous habite... une brûlure et un manque. 

En fait nous ne sommes témoins de la résurrection que par nos vies... par cet amour qui a germé en nous, cette foi et cette espérance qui nous fait vivre...

Si le monde vous demande encore où est notre Ressuscité c’est que notre foi n’est pas encore pleine et entière, que notre amour n’est pas rayonnant, que notre espérance n’est pas vive....

Alors laissons le Christ nous habiter vraiment, rayonnons de l’amour et de la joie qui nous habite et nous pourrons crier, comme Marie Madeleine : il est ressuscité. 

Il est là... en nous, il vit, il agit...

C’est notre espérance, c’est notre joie...

Ce n’est pas une joie encore pleine et entière mais les premiers frémissements d’une joie à venir, celle de la danse des anges...



Écoutons les pas du Jardinier qui vient semer en nous de nouvelles graines, laissons sa Présence toucher nos cœurs et faire renaître en nous ce qu’Il a déposé dans le silence et par tendresse..


La résurrection est un feu qui ne demande qu’à brûler. 

Hier Vital nous parlait de tout ce que nous devons abandonner... il est temps maintenant d’accueillir, de laisser nos vieux sarments desséchés s’embraser par la joie de Pâques. L’amour est plus fort que la mort... 

ce que découvre les trois premiers témoins est la plus belle des révélations. Au delà de nos morts, la vie est là. Elle nous attend, tout au fond de nous, prête à embraser nos cœurs. Laissons jaillir en nous l’amour, laissons jaillir en nous la joie...

Christ est ressuscité, Alléluia...



PS : Quand on connaît un peu le contexte de rédaction de Jean 20 et 21, on peu douter de l’historicité de l’épisode entre Jean et Pierre. Le rédacteur du chapitre semble sous entendre que Jean a mieux compris que Pierre... est-ce le reste d’un conflit entre deux écoles ? À creuser...


Bapteme - homélie

Projet 2

Il y a un rêve : les verts pâturages dont nous parle le psaume que vous avez choisi...

« Sur des prés d'herbes fraîches, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre »
Qu'est ce que ce rêve. A quoi rêvons nous tous ?

Il y a une réalité : le petit Paul, neveu d'une amie proche, mort la semaine dernière en son sixième mois..., il y a la Covid, la violence qui habite nos quartiers...

Il y a un chemin, unique et fragile... dont nous parle aussi le psaume et sur lequel la première lecture insiste avec délicatesse
« Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles,  je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau.
 J'ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair.
 Je mettrai en vous mon esprit »

Purifier nos cœurs, de quoi s'agit-il ?
Ce n'est pas un geste chasse mouche, un signe de croix rapide...
Purifier son cœur, c'est choisir de quitter la haine, la violence et prononcer un je t'aime qui engage, qu'il faut vivre chaque jour.
C'est le chemin que vous allez choisir aujourd'hui pour Tess...
Lui apprendre à dire je t'aime et surtout à le vivre jour après jour..
Et en ce faisant vous suivez le Christ qui a vécu toute sa vie dans l'amour
Un amour fou, jusqu'au pardon, même de ceux qui lui ont fait violence, même sur la Croix ..suivre le Fils bien aimé...c'est désirer marcher sur ce chemin....
La liturgie du baptême ne consiste pas à prononcer des phrases à la légère. Elles ne vous engagent pas pour aujourd'hui seulement, mais pour la vie...
Tess aura besoin de vous, parrain, marraine, papa, maman, mais aussi de vous tous pour trouver dans votre façon d’aimer un chemin vers l’amour...






Lecture du livre du prophète Ezékiel
 
Ainsi parle le Seigneur :
 « Je vous prendrai du milieu des nations, je vous rassemblerai de tous les pays, je vous conduirai dans votre terre.
 Je répandrai sur vous une eau pure, e t vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles,  je vous purifierai.
 Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau.
 J'ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair.
 Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles.
 Vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères : vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu. »
 
 
Psaume N°23 
 
Refrain : Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer.
 
 Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
 Sur des prés d'herbes fraîches, il me fait reposer.
 
Refrain
 
 Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me  conduit par le juste chemin pour l'honneur de son nom.
 
Refrain
 
 Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
 Tu prépares la table pour moi devant mes ennemies ; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
 
Refrain
 
 Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie;  j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de me jours.
 

Evangile de Jésus-Christ selon Saint Marc (1, 9-11)
 
 En ces jours -là, Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée, et il fut baptisé par Jean dans le Jourdain.
 Et aussitôt, en remontant de l'eau, il vit les cieux se déchire et l'Esprit descendre sur lui comme une colombe.
Il y eut une voix venant des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi je trouve ma joie. »
 

Le vide et le silence - 48.1


Dans mes recherches, la rencontre des écrits de Joseph Moingt m’a conduit, en effet, à un déplacement conséquent. Je ne peux plus écrire et lire sans être influencé par les écrits de ce théologien. Moingt insiste plus que d’autres (et notamment Kasper) sur le vide qui a suivi la mort du Fils. Un temps incertain où des hommes qui avaient suivi Jésus se retrouvent dans le noir et la désespérance. Ils avaient cru trouver chez lui le Messie, le libérateur et voilà qu’il est mort, qu’il a disparu sous les coups conjugués des Romains et de certains pharisiens. Ce temps de la désespérance passe par l’expérience du vide.

On voudrait passer au récit de la résurrection trop vite (c’était le cas de mes premiers essais sur ce sujet). Ce serait oublier ce temps essentiel qui est celui que nous vivons et que vivent surtout tous ceux que la lumière du ressuscité n’a pas encore éclairés…

En effet, ce vide premier et constitutif est celui de l’absence de Dieu. À notre époque, après Auschwitz, le retrait de Dieu, sa mort, ne sont pas anodins, ils emplissent notre temps. « Où est-il ton Dieu ? », nous crient certains à la figure, alors que le mal et la souffrance leur éclatent au visage et les conduisent au désespoir. Le vide du Samedi saint est le temps d’arrêt dans la symphonie de Dieu, un temps de silence où nous sommes interpellés au plus profond de notre foi et de notre croyance. Va-t-on demeurer à cette place, devant le silence, où va-t-on faire le pas du croire… ?

Jean passe trop vite sur ce temps. Et il nous faut peut-être alors quitter cette lecture cursive pour un vaste retour aux autres Évangiles…

Avant le saut de la foi, Luc nous conduit par exemple dans ce temps de silence intérieur. C’est le chemin des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-25). Ils n’avaient rien compris, ces marcheurs en perdition. Celui qui « s'étant approché, se mit à faire route avec eux » sans qu’ils le reconnaissent, leur explique l’Écriture. Il retrace et développe ce qui, depuis les temps anciens, était la musique de Dieu, combien ce temps de silence et de vide était déjà précédé par la symphonie des instruments de la révélation. Lente et humble pédagogie de Dieu qui se révèle dans le passé…

Et pourtant, celui qui les accompagne, que le lecteur a reconnu, mais que leurs yeux ne voient pas comme avant, reste en retrait. Cette troublante discrétion de Dieu dans sa pédagogie amplifie le sentiment de vide. Il est là dans le silence, il parle, mais ne se révèle pas entièrement. Peut-être qu’il y a, dans ce Christ déjà ressuscité, une autre facette du Jésus terrestre. Avant sa mort, il pouvait être Fils, mais ils ne le savaient pas. Ils n’avaient pas reconnu Dieu en Lui. S’ils l’avaient fait, ils ne seraient pas partis en courant lors de son arrestation.

Des deux côtés de la mort, transparaît donc déjà quelque chose de Dieu que nous traduisions par l’entre-deux, un Dieu qui reste faible, pauvre, silencieux, pour ne pas forcer notre liberté, mais nous accompagner sur le chemin, nous conduire, pas à pas, vers la révélation de ce qui est au plus intérieur de notre cœur, ce sentiment de Dieu, déposé en nous dès l’origine, cherché à l’extérieur, alors qu’il brûle, en-nous, sans relâche.

L’expérience du vide, c’est ce temps où nous pouvons crier, rester incrédules, outrés et bouleversés par la souffrance et la mort. À l’image de ces deux pèlerins, dépourvus d’espérance, ne sommes-nous pas souvent dans le temps de l’incertain ? Quand le monde nous semble marqué par la mort et la désespérance, quand les justes semblent punis à côté des pécheurs, à l’heure où les pauvres sont plus pauvres, où la mort rôde et frappe sans discernement, ne sommes-nous pas aussi désemparés, comme ces pèlerins ?

La première urgence n’est-elle pas alors de crier ? Crier : « pourquoi ? » C’est le premier temps du récit. Jésus accueille d’ailleurs ce désespoir. Il ne redit pas le « me voici » de Jean, mais demeure caché. Pourquoi ? Parce qu’il respecte notre chemin. Ce chemin intérieur qui passe du cri, de la révolte, à la compréhension, est, par excellence, le lieu de notre liberté. Le vide et le silence de Dieu sont probablement ce qui manifeste le plus son respect de l’homme.

À la mère qui souffre le départ d’un enfant, à l’homme qui vient de perdre son épouse, à l’enfant qui souffre du mal, à celui qui est touché par la maladie, les mots n’ont pas de place. Dieu respecte ce temps. Face à cela, il n’a qu’une réponse, troublante, interpellante, celle du vide…

Et ce vide n’est-il pas, à sa manière, une autre façon de percevoir l’humilité de Dieu ?

Aujourd’hui, plus qu’ailleurs, nous en sentons l’importance. Dans le silence des camps de la mort, dans le désespoir de ceux oubliés par la richesse, le silence de Dieu est la première réponse. Elle n’implique pas le fait que Dieu est absent. Elle dit juste quelque chose de son respect de l’homme… Ce n’est qu’en méditant ce silence, que l’on peut sentir qu’il est pourtant là. Dans le silence de la croix, dans la nuit de l’agonie, Jésus n’a-t-il pas fait, lui aussi, cette expérience, jusqu’au doute, jusqu’au sentiment d’abandon qui va jusqu’au cri « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ce silence, apparent, pesant, révoltant parfois, est le premier pas de Dieu. Il masque une présence autre, qui ne se révèle pas tout de suite, qui laisse à l’homme le temps de l’humain…

En cela, il n’est pas loin de nous, mais comme l’affirme en chœur certains théologiens, depuis Luther, Barth, Moltmann, Hans Urs von Balthasar ou Moingt : « Il est solidaire de notre souffrance »… Ce qui se révèle dans le vide et dans le cri partagé de l’homme et de Dieu, c’est un Christ qui n’est pas loin de nous, mais solidaire, marcheur à nos côtés, souffrant plus, voire autant que nous… Homme, pleinement homme !

Une rumeur

Mais voilà, au bout de quelque temps, une rumeur est née. Elle apparaît selon les trois premiers évangélistes dès le troisième jour. Au vide du cœur de l’homme répond un autre creux. Ce n’est pas encore la pleine manifestation du ressuscité, mais l’incertain qui fait résonner le manque. Au lieu de répondre tout de suite à la quête, Dieu respecte encore nos incertitudes. Il ne nous impose pas un ressuscité palpable et visible pour l’éternité. L’expérience de la puissance de Dieu après la mort commence par une brise légère. Est-ce la voix d’un fin silence qui fait écho à ce qu’Élie a pu percevoir sur la montagne. À la fois silence impalpable et, en même temps, voix insaisissable, chant ou musique d’un Dieu qui laisse résonner quelques notes dans un cœur avide de sens.

Cette tendresse dans la manifestation est aussi celle décrite par Luc sur le chemin d’Emmaüs. Alors qu’il se dévoile dans la fraction du pain, Jésus disparaît du regard pour que résonnent encore les notes du tombeau vide…

C’est peut-être le deuxième temps de la manifestation après le silence. D’abord le creux, puis une première note, si ténue que l’on sent le souffle sur son visage, caresse éphémère d’un Dieu qui manifeste sa présence, sans s’imposer, feu follet d’un sourire perçu chez l’autre qui éveille notre curiosité, nous fait demander s’il est possible, qu’au-delà du gouffre, du désespoir, chante, ailleurs, la voix du bien-aimé. Fleur fragile qui révèle que tout n’est pas mort.

« J’ai ouvert la porte et il n’était déjà plus là », nous dit en substance ce beau chant d’amour du Cantique des Cantiques. Dieu ne ponctue le silence que de signes fragiles, d’une rumeur, d’un souffle ténu qui nous fait tourner la tête, rend possible un espoir et nous appelle ailleurs.

La rumeur du tombeau vide fait courir Pierre et Jean. Elle pousse Marie Madeleine à interroger le jardinier. « Où as-tu mis mon Seigneur ? » Bizarrement cette note fragile entre encore en écho avec une autre voix, celle qui résonnait dans le premier jardin. On se souvient, qu’après la chute, l’homme a découvert sa nudité, sa fragilité et qu’il se cache. Dans la souffrance ou dans la faute, il a lui aussi pris conscience du vide, d’un « tombeau vide ». Alors, comme nous l’avons déjà noté, a résonné une rumeur, une Shékinah dit le Targum, présence indéfinissable dans le jardin qui dit l’« Où es-tu ? » de Dieu (cf. Gn 3).

Ici, au jardin où reposait le Christ, Marie Madeleine cherche son Dieu. Parallèle saisissant entre ces deux hommes et cette femme qui cherchent Dieu et Dieu qui n’a cessé de chercher l’humain. Au creux de cette quête, le tombeau vide nous joue une note toute nouvelle de la symphonie trinitaire. Dans ce creux qui répond au vide du cœur de l’homme, Dieu relance sa première musique, il fait vibrer ses instruments.

Les évangélistes auront, ensuite, plusieurs façons d’évoquer le ressuscité. Ici, cette polyphonie des voies postpascales traduit la réception différente des communautés au fait le plus extraordinaire de Pâques. Au tombeau vide succède une deuxième rumeur. « Il est ressuscité ! » Fait incroyable qui heurte encore notre conscience d’homme moderne. Comment est-ce possible ? Notre raison refuse le message. Elle accepte ou rejette la réalité de la puissance de Dieu. Et de fait, cela n’est plus de l’ordre du raisonnable. La vie après la mort, plus que toute autre affirmation, est l’incroyable de Dieu. On ne peut se résigner à faire le pas du croire sans abandonner toutes les certitudes palpables de la vie. Pourquoi laissera-t-on cours à cette légende, à ce mythe qui n’a plus de prise avec ce que l’on peut palper, sentir ? Cela heurte le cri qui résonne encore à nos oreilles. Pourquoi serait-il vivant alors que Jacques, François, Michel et tant d’autres sont morts ?

Sommes-nous prêts à faire le pas de la foi, à nous abandonner à l’acte de croire que Dieu peut être plus fort que la mort, qu’il peut mettre un terme à cette inéluctable fin qui nous guette et emporte ceux qui nous sont chers ? Pourquoi serait-il ressuscité, alors qu’en dépit de nos cris et de nos prières, l’enfant, le père, la sœur sont partis vers le vide ?

Peut-il y avoir quelque chose après ? Il s’agit bien d’une rumeur… Quelle rumeur ! Au cours normal du temps, Dieu pourrait mettre un terme et dévoiler ainsi qu’il est Autre au monde ? Non. Ce n’est pas sa voix ! Nous l’avons vu à Emmaüs, marcheur à nos côtés, il laisse se répandre une rumeur qui révèle encore une infime partie de l’indicible.

Que dire, face à ces interrogations ? Nous le sentons bien, au-delà de la certitude historique de la mort, la certitude de la résurrection est d’un autre ordre… Et pourtant.

Et pourtant, la rumeur s’est amplifiée, elle a bouleversé Jean, Pierre puis Paul au point de les pousser à une conversion du cœur. Des peureux qu’ils étaient, malgré leur trahison et leurs doutes, ils sont devenus forts d’une certitude. C’est peut-être là que la symphonie trinitaire a réveillé sa musique. Alors que nous avions atteint le silence, que seul le cri d’un homme mourant sur la croix retentissait avant le grand silence, une musique nouvelle est née. Elle emplit le cœur d’une communauté. Des pêcheurs sans instruction, faibles et incroyants a jailli un extraordinaire souffle. Le feu de Dieu résonne dans leur cœur et nous devons reconnaître, à défaut de pouvoir prouver la résurrection, que ce feu jaillit encore, au cœur même d’une communauté d’un milliard d’êtres humains. Certes, ce feu est fragile, il est masqué par les ombres et lumières de notre Église et pourtant, c’est quelque part, dans le sourire ou le geste d’un frère qu’a jailli, en nous, une lueur d’espérance. Si nous ne pouvons avoir foi en la résurrection, nous pouvons encore en sentir le souffle de renouveau qui a ébranlé une petite communauté et qui jaillit maintenant, dans une Église plus grande encore. C’est là où la rumeur apparaît comme force nouvelle.

Elle n’est pas vérité palpable qui nous force à croire. Elle nous invite seulement à la danse de Dieu…

Pédagogie évangélique

Quand on médite sur le passage entre le tombeau vide et la création de l'Église, on ne peut que reconnaître que quelque chose s’est passé. Les Évangiles nous donnent des images balbutiantes et parfois contradictoires des manifestations du ressuscité. Mais ce temps intermédiaire reste de l’ordre de l’indicible. Comment décrire le sentiment d’une présence nouvelle ? Comment raconter ce qui ne peut être croyable ? Il était mort et il est vivant… Ce qui a résulté de ces récits et qui est certitude pour nous, c’est la création de plusieurs communautés qui ont dépassé leur peur et commencé à rayonner d’une espérance.

La force de l’Esprit, déposée au cœur de chacun d’eux, les a conduits à rechercher qui était l’homme Jésus. C’est dans la méditation de sa vie qu’ils ont construit un discours. Chacun des auteurs a tracé un chemin, une pédagogie pour dire l’incroyable nouvelle. Les évangélistes ont parlé de l’homme Jésus, de sa vie et de sa mort. Paul a fait l’économie du récit de la vie et a surtout cherché à interpréter le sens de la mort… Ses textes sont historiquement plus anciens. Nous avons donc là plusieurs approches qui se complètent et cherchent à dire l’incroyable mystère d’un homme que Dieu aurait réveillé des morts.

Face à cela, qu’elle peut être notre chemin, deux mille ans plus tard ? Nous ne pourrons jamais savoir qu’elle a été la vie réelle de Jésus, encore moins sa vie nouvelle. Ce qui demeure, c’est néanmoins une trace et une contemplation. Dans le Jésus terrestre décrit par chacun des Évangiles, à sa manière, se révèle quelque chose de l’homme, de son humanité véritable, mais également de cette proximité particulière entre Jésus et celui qu’il a osé appeler Père. C’est en méditant à notre tour cette histoire que nous pouvons faire nôtre la conversion du cœur qui a conduit ces hommes à croire en la résurrection.


Extrait de mon « Dieu dépouillé », pour critique et discussion

Silence et danse - 48


Ce qui vient d’être vécu mérite un arrêt sur image, tellement la densité liturgique du triduum pascal nous a conduit à un feu d’artifice symbolique sans nous laisser de temps pour manduquer ce qui nous est livré...

Il faudra 40 jours pour que les apôtres soient prêts à danser dans le feu de l’Esprit...


Je voudrais en profiter pour revenir sur deux points qui dansent ensemble et encadrent la révélation fragile du Ressuscité.

Ce qui se passe de la croix à Pâque mérite que l’on respecte l’indicible d’une révélation qui parle d’elle-même.


1. Samedi Saint

Joseph Moingt, sj., insiste beaucoup sur ce temps de silence qui précède la résurrection, comme ce lieu où, d’une certaine manière, se concentre nos doutes, nos peurs et nos incompréhensions. Contempler le silence du jardin, c’est prendre conscience de tous ces lieux où le vide et la question nous envahissent. C’est le lieu où nous pouvons rejoindre ceux qui ont encore du mal à croire. C’est aussi le lien où nous entendons plus qu’ailleurs le cri des souffrants...

« Quiconque contemple en Jésus l'humanité victime de ses manipulations du divin au point de s'entretuer, se sentant solidairement coupable de cet état de choses et impuissant à s'en libérer, est invité à y écouter le silence du Dieu qui parle en Jésus et à y découvrir l'inconnu d'un Dieu tout différent de ses images, plein d'amour et de respect pour les hommes, qui les appelle à l'aimer et à le respecter par le respect et l'amour les uns des autres, à exister pour les autres comme pour Dieu même. »(1)


Écouter et faire résonner en nous le silence de Dieu... 


2. Le soir de Pâques 

L’autre versant (mais est-il bien différent ?) est ce chemin d’Emmaus qui encadre aussi l’éclat lumineux et fugace des théophanies pascales.


« Il leur expliquait les écritures... » nous dit Luc.

Contemplons un instant ce compagnon de route qui sait s’effacer ensuite, « pour laisser advenir, en ceux (...) qui le suivent, sa propre relation à son Père »[2].

Pour C. Théobald « ceux qui ont commencé par le suivre avec leurs pieds doivent comprendre où il demeure (Jn 1, 38) s'ils veulent aller au bout de leur désir pour passer ainsi à une relation symétrique de compagnonnage ou d'amitié avec lui ».[2] »

Le risque de toute pastorale, renchérît à sa manière Michel Rondet (dans un texte souvent cité ici) est de proposer « des réponses là où l’on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes ».(4)


Magie du chemin de Jésus à Emmaus qui accompagne sans se révéler pleinement. 

À sa suite, osons partager nos quêtes intérieures et laissons Celui qui nous habite, au Nom de qui nous sommes réunis, transformer notre pain de froment en pain de vie, notre sueur en vin de noces en espérant intérieurement que Dieu, qui est là, au cœur de ces rencontres, fera jaillir une source.

L’enjeu révèlé à Emmaüs est un accompagnement, une marche où l’on cherche à plusieurs, on danse, non dans la position du savant, mais plutôt dans celle du marcheur comme Jésus sur le chemin.

« ils causaient entre eux de tous ces événements. Tandis qu'ils causaient et discutaient, Jésus lui-même, s'étant approché, se mit à faire route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : " De quoi vous entretenez-vous ainsi en marchant ? " Et ils s'arrêtèrent tout tristes. L'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit : " Tu es bien le seul qui, de passage à Jérusalem, ne sache pas ce qui s'y est passé ces jours-ci !  » Luc 24


L’approche discrète de Jésus est à contempler en soi tant elle diffère de tout étalage de certitudes.


Son questionnement est un éveil, un réveil qui permet de sentir, en toute liberté, que Son chemin n'est pas étranger à leur propre recherche, qu'il rejoint leur chemin d'humanité. Sans révéler sa présence, le Christ marche et donne du sens à leur route. « Et ils le reconnurent à la fraction du pain » (Luc 24, 31), c’est-à-dire que sans qu'il y ait eu besoin d'en dire plus, dans la démarche ouverte, accueillante et respectueuse, insistante sur la liberté de chacun, Il est venu entre-ouvrir la porte du mystère. 


Pastorale d’engendrement...


 La catéchèse de Jésus complète et éclaire un bon millénaire de pédagogie divine, et fait prendre conscience au lecteur de Luc ce que la parabole du vigneron (Luc 20, 9-18) résumait si bien : la mort du fils s’inscrit dans une histoire. Elle est le point final de l’histoire d’un peuple. Au bout de ce chemin, à la suite des pèlerins d’Emmaüs, un seul signe se révèle, celui du pain rompu.

Qu’est-ce que le pain rompu ? Une communion véritable, comme celle que nous sommes appelés à vivre à sa suite ? Un corps brisé et broyé qui se révèle ? Un Dieu qui se donne et se tait. Les trois et plus encore, très certainement.

Il nous faut peut-être entrer à nouveau dans le silence pour percevoir les harmoniques qui se déploient ici. La révélation est loin des trompettes sonores des premières théophanies de l’Exode(5). Dieu se dit et se tait. Et le pain rompu à Emmaüs n’est pas encore un rituel. Il est mystère, mime au sens donné par Léon Dufour(6), d’un Dieu brisé, nu, dépouillé (7) et offert et qui en même temps disparaît, s’efface pour nous appeler à poursuivre ensemble le chemin, dans nos gallilées et nos périphéries.


La fraction du pain est danse fragile, kénose trinitaire...invitation sublime au banquet à venir...(8)

Peut-être doit on à nouveau retrouver ce sens eucharistique premier, loin d’un automatisme rituel. 

Double et lente manducation aux deux tables de la Parole et du Pain. Musique de Dieu(9)


(1) Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, 1995, Ed° de 2002, Cogitatio Fidéi n° 176, p.546ss

(2) Une Nouvelle Chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, publié sous la direction de P. Bacq et Christoph Théobald en 2004 chez Lumen Vitae/Novalis/Editions de l'Atelier, p.70 »

(3) Christoph Théobald , in La Révélation, Editions de l'Atelier, Paris 2001, p. 79

(4) Michel RONDET s.j., La Baume-les-Aix, Études Fév 97

(5) voir Pédagogie divine

(6) voir son commentaire de Jean déjà cité 

(7) cf. Dieu nu d’Arnold ou mon Dieu dépouillé 

(8) voir ma « danse trinitaire »

(9) sans vouloir rétablir le latin massacré d’antan, je dois avouer que la liturgie grégorienne a ainsi une harmonie particulière dans le chant pascal « Cognoverunt eum in fractione panis » que j’ai découvert il y a 30 ans dans un vieux monastère et qui danse encore dans ma mémoire. 


PS : je reprends, expose à vos critiques et fusionne ici quelques réflexions croisées dans mes livres « Pastorale du Seuil » et « Chemins de miséricorde » (cf. Kobo). 

PS2 : comme déjà précisé Il y a quelques jours, l’expression très imagée de danse que je développe beaucoup vient d’une expression des pères de l’Église : la perichorèse des personnes divines ou circumincession, que je traduis « danse trinitaire » car il s’agit d’un « jeu » entre les personnes divines unies et tournées l’une vers l’autre, comme l’exprime bien le prologue de Jean. 

Cette harmonie entre les trois personnes jusque dans l’abaissement est à la fois lieu de contemplation et invitation. Il ne s’agit pas de fusion mais d’une distance au sens donné par Jean Luc Marion dans l’idole et la distance...

Je développe longuement les implications d’une telle lecture  dans mon livre « danse trinitaire »téléchargeable gratuitement sur Kobo qui résume la thèse d’Emmanuel Durand sur la perichorèse, moins accessible.


C’est à cette danse que Dieu nous invite. J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. Bien sûr la danse peut avoir d’autres acceptions mais elle me semble plus facile à percevoir en pastorale que perichorèse 


Illustration : Arcabas