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27 mars 2021

La Croix 12.0 - danse finale ? (Billet n.45)


Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

 1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :

 • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.

 • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)

 • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)

 2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 

 3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)

 4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...

 5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.

 6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)

 7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 

 8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).

 9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)

 10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 

 11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précèdes en Galilée 

 12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter 😉. On n’épuisa jamais la révélation dans un billet sur FB ni d’ailleurs dans les milliers de pages citées ci-dessous.


Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »

07 janvier 2021

Danse avec tout homme - 26

« Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. » La méditation liturgique de la première lettre de Jean nous ramène à l’essentiel, à ces béatitudes qui contemple en chaque homme, cette capacité théophorique, d’être porteur de Dieu. 


Μακάριοι ο πτωχο τ πνεύματι - bienheureux les pauvres en Esprit. La distinction de Mt 5,3 interpelle.


Ce n’est pas rien de contempler dans la kénose du Fils l’appel continu de Dieu à révéler ce qu’il a mis en nous.

L’agenouillement du Fils qui veut demeurer chez Zachée, crie son « j’ai soif » à la Samaritaine ou se laisse toucher en Marc 7 par cette femme étrangère qui lui réclame des miettes est contemplation, d’une certaine manière de ce Dieu en « manque » de l’homme déjà mentionné par Arnold en « danse n. 9 et n.10 », non qu’il soit dépourvu d’infinité, mais parce que l’amour même est « extase »(Fratelli Tutti, ch. 3), tout tourné vers autrui, vers le « visage » d’autrui au sens Lévinassien.


La contemplation de cet foi des petits enfants, de cette amour sans faille, de cette confiance aveugle est toujours pour l’homme lieu de danse et s’inscrit bien dans la symphonie kénotique de l’homme et de Dieu.


C’est à l’Arche que l’on découvre que la foi des touts petits est lumière qui fait éclater nos incertitudes et nos de-espérance. C’est dans le chant et la prière de mes quatre petits enfants que je vibre le plus avec l’amour reçu et partagé. Dieu donne nous l’amour des « simples », ceux qui ne s’encombrent pas des rites et des dogmes, mais demeurent en toi comme tu demeurent en eux. 





On est bien là au cœur de cet agenouillement qui fait le centre de ma trilogie trop souvent citée.

17 novembre 2020

Incarnation et danse trinitaire - 10

L'évangile d'aujourd'hui (Zachée, Luc 19, 1-10) est aussi une belle image de l'incarnation. Comme le soulignent les Pères de l'Églis, le fait de descendre à Jéricho, qui se situe au-dessous du niveau de la mer et géographiquement très en dessous de Jérusalem, évoque un mouvement de Dieu vers l'homme, à l'inverse de la montée à Jérusalem. Non seulement Jésus descend à Jéricho, mais il invite Zachée à descendre lui aussi de son arbre (sa tour) pour se rendre chez « lui, au cœur de lui-même, dans sa maison et en vérité avec lui-même, dans le don de ses biens…

L'incarnation prend ici son sens plein, sa dynamique, à l'instar de cet « où es-tu ? » de Gn 3 où ce « J'ai soif » à lire entre les lignes en Jean 4 (la Samaritaine) où Jésus se met en attitude de demande.

Son « donne-moi à boire » résonne chez Jean, comme chez Luc dans un « j'ai soif de votre humanité» et rejoindra, ainsi le cri du Christ en croix, prononcé avant que ne jaillisse (encore chez Jean) de son sein le fleuve d'eau et de sang, comme un geyser d'amour qui inonde le monde.

Le verbe s'est fait chair, il désire d'un grand désir habiter parmi nous.

L'incarnation se conjugue en plusieurs couleurs dans le NT avec toujours cette dimension de descente et d'humilité si bien décrite par Paul en Ph. 2.

«Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus: bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers » Philippiens‬ ‭2:5-10‬ ‭

Cette descente de Dieu vers l'homme que l'on appelle kénose est aussi illustrée physiquement par l'agenouillement du Christ devant ses apôtres (Jean 13) tout en s'inscrivant en réponse à une série d'agenouillements que l'on peut contempler depuis Exode 3 - Retires tes sandales, jusqu'à la femme adultère au pied de Jésus, un Christ qui demande à boire ou s'abaisse en Jn 8 pour écrire sur le sol, mais aussi en pas de danse avec tous nos agenouillements jusqu'à celui de Marie de Bethanie à genoux aux pieds de Jésus en Jn 12, où celui sublime, d'Etty Hillesum.(1)

C'est pour moi au cœur de ce que j'appelle la danse trinitaire, une danse qui part de Dieu le Père et remonte à lui... une danse où Dieu nous invite.

C'est pour moi au cœur de ce que j'appelle la danse trinitaire, une danse qui part de Dieu le Père et remonte à lui... une danse où Dieu nous invite.

Simon Pierre Arnold le dit aussi magnifiquement à sa manière : « l'abaissement trinitaire du Père dans le Fils et du Fils dans le monde par l'Esprit : tel est le sens absolu éternellement inachevé de l'Incarnation »(2). Et son commentaire d'un Dieu en manque de l'homme résonne avec cette dynamique trinitaire qui nous invite à sa danse (3).


Commentaire 2 :

« Notre Seigneur s'est hâté de lui faire quitter ce figuier desséché, son ancienne manière d'être, afin qu'il ne reste pas sourd. Pendant que flambait en lui l'amour de notre Seigneur, il a consumé en lui l'homme ancien pour façonner en lui un homme nouveau. » (4)

(1) Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Journal Intime 1941-1943 et autres lettres de Westerborck, Paris, Seuil 1995. Une vie bouleversée, Journal Intime 1941-1943 et autres lettres de Westerbrock Seuil 1995.
(2) Dieu est nu - Hymne à la divine fragilité, op. cit. dans mon billet 9
(3) cf. aussi mes nombreuses balises « agenouillement » et « danse trinitaire » in http://chemin.blogspot.com

Pour aller plus loin, mes références préférées sur ce thème :
- Varillon François, L'humilité de Dieu, Centurion, Paris, octobre 1991
- Moingt, Joseph, L'homme qui venait de Dieu, Paris, Cerf, Cogitatio Fidei, 1993-2002 (et autres recueils)
- Urs von Balthasar, Hans Dramatique Divine, Namur, Éditions Culture et Vérité, série «Ouvertures »
- Brown, David, La tradition kénotique dans la théologie britannique, Paris, Mame Desclée, 2010
- Durand, Emmanuel, La Périchorèse des personnes divines. 4) saint Ephrem, Commentaire de l'Évangile concordant, 15, 20-21 ; SC 121 (trad. Louis Leloir; Éd. du Cerf 1966; p. 277-278), source : l'Évangile au Quotidien

17 avril 2019

Au fil de Jean 18-19 - Homélie du vendredi saint, La passion de notre seigneur selon saint Jean.

Cinquième ébauche...

Frères sœur entendons-nous le cri de Dieu vers l’homme ?
Entrons dans le silence. Entendons-nous son « J’ai soif »
Son « j’ai soif de toi », crié à l’humanité ?

Je vous propose de regarder d'abord un détail du texte lu ce soir avant de prendre un peu de recul.


Il y a entre les lignes, dans l'Évangile une triple affirmation de Jésus : « Je suis ». Il l'a redit trois fois dans le jardin ! Si vous ne l’avez pas entendu, prenez le temps ce soir de le relire.
Je suis… Comme nous l’expliquait Vital dernièrement, le « Moi Je suis » est l’affirmation propre de Dieu. On l’entend dans le récit du buisson ardent : Moi je Suis… (Ex 3). Le Christ nous révèle son Je suis, car il ne renie pas sa place. Si Dieu se tait sur la Croix c'est après avoir affirmé qu'il était Dieu. 
Face à ce "Je suis", devant qui tous tombent à terre, Pierre lance trois fois son « Je ne suis pas »… En grec, cela sonne très proche « ego eimi / ouk eimi » Je suis / Je ne suis pas…

Et nous, frère et sœurs… Qu'aurions nous répondu ? 
La question est difficile...  « Je suis avec toi ? Où, je ne suis pas… Il serait prétentieux d’affirmer que nous sommes plus forts que Pierre. Nous le savons, trop souvent nous fuyons.

Il nous faut maintenant prendre un peu de recul au delà de ce récit. 
S’il y a en effet un mouvement que cette triple affirmation et négation révèle et que l’on peut observer dans la nuit du vendredi Saint, c’est celui d'un grand V… Et je vous invite à le voir se dessiner dans votre cœur, en fermant les yeux...

Ce signe a commencé à être tracé par le Verbe de Dieu, dès le commencement du monde. C’est le signe de l’amour de Dieu qui sépare le ciel et la terre et nous donne déjà son amour par la finesse inouïe de sa Création.
C’est le signe donné à l’homme dans le jardin d’Eden, en plantant en son milieu un arbre fragile, que l’homme ne va pas voir…
Après ces merveilles qui font écho avec les dons que Dieu nous fait, résonne une question, qui amorce la descente de Dieu... Le mouvement du V se trace alors vers le bas. Alors qu'Adam cherche à monter, Dieu descend, se fait "plus bas"...

Où es-tu ? Demande Dieu à Adam… (cf. Gn 3, 9)
Cet où es-tu ? nous l’avons entendu tout au long de l'Évangile de Jean. Je vous l’ai déjà évoqué lors du récit de la Samaritaine, dans son « Donne moi à boire ». Il s’est entendu aussi, très discrètement hier dans le récit du lavement des pieds, quand Jésus se met à genoux devant l’homme et lui demande son amour.
Où es-tu homme ?

Le V trouve aujourd’hui son point bas, sur une Croix…
J’ai soif… (1) J'ai soif de toi...
Nous entrons maintenant dans le silence qui suit ce point bas… Dieu semble se taire...
Quand nous souffrons, nous avons du mal à l'entendre...
Et pourtant déjà Jean nous donne un signe que Dieu nous relève, dans ce cœur transpercé. Ce qui jaillit du coeur du Christ transpercé nous arrose de ses biens et nous introduit à la lumière éternelle de Dieu. Pour saint Jean en effet, l'eau et le sang, jaillissant du cœur du Christ est le signe d'un amour débordant, de ce grand fleuve que nous annonçait déjà Ezéchiel. 

Nous allons vite remonter vers l’autre face du V, vers la Résurrection. Mais ne remontons pas trop vite. Méditons d'abord ce V de Dieu vers l’homme, son agenouillement et son cri. « J’ai soif de toi ». A ce cri, dans le silence de la nuit répond le cri de l’homme souffrant. Jésus en allant jusqu’au bout de « Me voici » en répondant Oui à l’appel de Dieu dans le jardin, nous conduit jusqu’à l’heure où à notre tour nous ne répondrons plus, comme Pierre au jardin "je ne suis pas"… Disons dans notre cœur, devant un Dieu à genoux, ce « Me voici » qu’il attend depuis toute éternité. 

Le vendredi saint nous fait entrer dans le grand silence intérieur qui se poursuit jusqu'à Pâques. C’est d’abord le silence abasourdi de contempler ce qui a conduit l’homme Dieu à la Croix. Il peut ensuite devenir “silence habité de la Parole divine, laissant celle-ci agir et donner son fruit de louange et d‘action”(2).

Ce silence, nous le partageons avec tous les hommes. La grâce de Dieu qui nous habite nous permet peut-être de répondre à l’"où es-tu ?" Elle devient grâce de liberté(3), agir, réponse libre aux cris de l’homme. Écoutons ce soir, dans le silence, cet où es-tu de Dieu. C'est dans le silence que nous trouverons la force qui faisait défaut à Pierre. Nous avons reçu ce qu'il n'avait pas encore. Au fond de nous, la force de l'Esprit, au fond de notre cœur, nous appelle sans cesse à répondre, en toute liberté à l'appel. Alors, dans le silence, glissons un "Me voici, Seigneur"...

Écoutons sur ce point Edith Stein : "Auparavant, c'était le silence de la mort. À sa place succède un sentiment d'intime sécurité, de délivrance de tout ce qui est souci, obligation et responsabilité par rapport à l'agir. Et tandis que je m'abandonne à ce sentiment, voici qu'une vie nouvelle commence peu à peu à me combler et - sans aucune tension de ma volonté – à me pousser vers de nouvelles réalisations. Cet afflux vital semble venir d'une Activité et d'une Force qui n'est pas la mienne et qui, sans violence, devient active en moi" (4)

Ce détachement, ce décentrement est peut-être ce que Jean Duchesne décrit comme la grâce de la liberté. Il se nourrit de cette quête intérieure, est souffle au sein de la chambre haute, travail de l'Esprit, communion avec cette Activité et cette Force dont parle Edith Stein en utilisant des majuscules.

 Amen…

(2) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 267
(3) cf. Jean Duchesne, Chrétiens, la grâce d’être libres, Paris, Artege, p. 9
(4) Edith Stein, La causalité psychique, article de 1922, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 268

23 mars 2019

2eme Scrutin, Homélie du troisième dimanche de carême, année A - La samaritaine

De quoi avons nous soif ? 
Quel est le point commun entre ces textes que nous venons d’entendre ?  On y parle beaucoup de soif et de désert, d’eau et de source, pourtant le cœur de ces textes est ailleurs ? Quel est le centre, la pointe commune à ces trois textes ? 

Les mots du texte nous conduisent à une contemplation, puis à une interpellation 

Les Hébreux sont conduits par Dieu au désert, comme nous à ce temps de carême. Quel est finalement l’enjeu si ce n’est de nous amener à l’essentiel ?

De quoi avons nous soif ?

Qu’est-ce que cherche la femme de Samarie, la femme aux  6 maris. 
De quoi avons nous soif ? D’aimer, d’être aimé, d’argent, de pouvoir, de reconnaissance ? Ces soifs du monde qui deviennent des addictions ?


La Samaritaine vient au puits à l’heure la plus chaude, probablement pour éviter de rencontrer les femmes bien de son village. Et pourtant c’est là où elle rencontre Jésus. Ce qui est le plus surprenant, ce n’est pas son discours, mais la manière dont il l’aborde.  Lui le juif qui ne devait pas, selon sa loi, parler à un étranger, une impure, au risque de se rendre impure...

Quels sont ses mots ?  Donne moi à boire. Pour Mère Teresa qui a beaucoup médité ce texte, c’est un « j’ai soif » qu’il faut entendre. Un j’ai soif de ton humanité. Jésus est au bord du puits, là où la tradition nous décrit les fiançailles des patriarches. Il est là et il cherche à rencontrer l’humain de cette femme. Un peu comme le cri de Dieu au jardin d’Eden, après qu’il ait mangé le fruit interdit. Où es-tu  ? Où es-tu Adam ? Où es-tu Ève ? Où es-tu Samaritaine au 5 maris plus un (7 étant le chiffre de la plénitude, le 6 est le manque absolu) donne moi à boire, où es-tu ? Que cherches-tu vraiment ?

Peut-être doit on entendre nous aussi ce cri de Dieu, dans le silence, dans le désert où nous conduit notre marche du carême.  Alors nos soifs trouverons ce que notre cœur désir. L’amour véritable, un Dieu qui nous aime.  Quel est en effet le centre, la pointe commune à ces trois textes ? C’est le Rocher d’où coule l’eau qui apaise notre soif, c’est l’eau vive qui comble nos cœurs en quête d’amour?

Écoutons à nouveau l’échange pour comprendre leur liens. Dans la première lecture, Moïse entend la soif du peuple il frappe le rocher de son bâton faisant jaillir l’eau tant attendu par les hébreux. La Samaritaine elle parle à Jésus de la montagne que ses frères vénèrent comme étant le centre de la religion. Pourtant le centre est ailleurs, le centre est en Jésus-Christ. Il est le centre parce qu’il nous aime. Le J’ai soif qu’il dit-il entre les lignes, ce j’ai soif de toi, d’un amour en vérité, il le redira à la Croix juste avant d’être transpercé du glaive d’où sortira, comme pour le rocher frappé par Moise, la source immense d’un Dieu immense, l’eau vive, celle qui comble toute soif.

Le désert conduit à l’amour et le plus grand amour c’est Dieu cloué sur une croix, un Dieu qui se fait faible pour nous laisser, pour nous transmettre l’esprit, l’amour, source de vie, au delà de la mort...

Quelle activation pratique ? Au bout de cette quête n’oublions pas l’essentiel. Cet eau qui comble nos soifs ne nous appartiens pas. Comme la Samaritaine il nous faut courir au village et répandre la bonne nouvelle. Comme le dit le Cantique des Cantiques il nous reste à crier au monde : «  j’ai trouvé celui que mon cœur aime »....

23 août 2018

J'ai soif - Sainte Thérèse de Lisieux

Une des contemplations de Thérèse mérite un arrêt sur image tant elle est charnière de sa vocation :
"Je fus frappée par le sang qui tombait de ses mains Divines (...) et je me résolus de me tenir en esprit au pied de la Croix pour recevoir la Divine Rosée,  comprenant qu'il me faudrait ensuite la répandre sur les âmes.  Le cri de Jésus retentissait aussi continuellement dans mon coeur.... "J'ai soif !" (Jn 19, 28). Ces paroles allumaient en moi une ardeur inconnue et très vive... Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes". (1)

Il y a la chez Thérèse une contemplation qui rejoint l'axe de lecture de Jn 4 à 19 (2) alliant la soif de la Samaritaine à celle de Jésus.

On retrouve ce thème dans le début du manuscrit B : "Il n'a pas craint de mendier un peu d'eau à la Samaritaine.  Il avait soif... Mais en disant "donne moi à boire" c'était l'amour de sa pauvre créature que l'univers réclamait. Il avait soif d'amour. Ah je le sens plus que jamais,  Jésus est Altéré" (3)

(1) Manuscrit A,  46 recto, ibid p. 143
(2) cf. "Sur les pas de Jean"
(3) Thérèse de Lisieux,  Manuscrit B, 1v, ibid. p. 221

18 mars 2014

Banquet de la Parole - II - A propos du lavement des pieds

Au sujet du lavement des pieds, je vous redonne un petit extrait qui me semble bien illustrer l'enjeu :

"On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n’était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les 4 recensions n’ont pu déroger à une lecture semblable . Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n’est raconté que par Jean et remplace le récit de l’institution de l’eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées
dans ce cadre.
Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d’une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité
dans l’amour.
Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique . Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l’amour de Dieu et de l’amour des
hommes au sein d’une communauté vivante.
Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l’attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s’identifie ici.
On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l’absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n’avaient pas
le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.
Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d’attacher de l’importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l’eucharistie : une double tension vers Dieu
et vers autrui...

Pour compléter cette approche centrée sur l’Évangile selon saint Jean, il convient de chercher d’autres références dans les textes du Nouveau Testament.
Le « lavement des pieds » a, chez les Synoptiques, une autre dimension. Chez Luc, c’est une femme pécheresse qui vient laver les pieds de Jésus de ses larmes (Lc 7, 35). Cette mise en perspective confirme notre intuition. À partir de ce geste du pécheur pardonné, Jean nous conduit progressivement sur une autre voie. Il attribue ce geste à Marie de Béthanie puis à Jésus. Cette progression et l’inversion qu’elle sous-entend renforcent l’aspect révolutionnaire de ce geste.
Pour ce qui est de la tension maître-serviteur, elle n’est pas unique à l’Évangile selon Jean. On trouve déjà une allusion au maître qui se fait serviteur dans l’inversion surprenante de la parabole de Luc 12, 37 « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, les fera mettre à table et passera pour les servir ». Nous sommes là dans une continuité avec l’esprit des Synoptiques , à la différence près que Jésus passe aux actes. Il ne s’agit plus d’un discours, mais de gestes.
Enfin, on ne peut ignorer que Luc a mis dans les paroles de Jésus, ce qu’il aurait accompli selon Jean : 1 « Vous, (ne faites) pas ainsi ; mais que le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Qui, en effet, est le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, au milieu de vous, je suis comme celui qui
sert. » Lc 22, 26-27
De même, Paul, dans son hymne aux Philippiens insiste sur la kénose du Fils : « il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est vidé de lui-même, prenant la condition de
serviteur, jusqu’à la mort sur une croix » (Ph 2). Ce que nous avons souligné chez Jean demeure au cœur même de la pédagogie de Dieu.
Le lavement des pieds n’est donc pas un épisode anodin dans la révélation du Fils. L’agenouillement de Jésus devant les hommes s’inscrit sur le chemin où le Fils de Dieu va jusqu’au silence de la croix, au cri d’amour lancé à l’humanité tout entière.
Chez les Synoptiques, d’autres textes feront écho à cette faiblesse de Dieu devant l’homme. On en trouvera la trace dans l’attitude de Jésus devant Zachée (Lc 19). « Il est descendu à Jéricho », a souligné le texte. Pour les Pères de l'Église, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, cette seule introduction dit tout de l’attitude de Jésus. Jéricho, c’est le domaine des hommes à la différence de la cité de Dieu : Jérusalem. On descend vers l’humanité quand on va vers Jéricho, on monte vers Dieu quand on se dirige vers Jérusalem. Que Jésus veuille habiter dans la maison
du collecteur d’impôts, au cœur même de Jéricho, n’est pas en contradiction avec le lavement des pieds. Bien au contraire, il semble important de souligner là cette pédagogie spéciale du
Christ vers les « brebis perdues ».
Au terme de cette mise en perspective, une autre intuition se confirme. Si Dieu s’agenouille devant l’homme, s’il demande à boire à la Samaritaine, s’il s’invite chez Zachée, alors le « j’ai soif » de Jn 19 pourrait ne pas sonner uniquement comme une évocation du Psaume 22, comme le cri d’un homme assoiffé sur une croix. Il prend une dimension plus vaste plus essentielle.
C’est le cri de Dieu qui résonne encore, depuis l’« Où es-tu » du jardin (Gn 3). Le cri du Christ en Croix peut dépasser chez Jean la seule dimension charnelle de l’homme abandonné qu’il a surtout dans les autres Évangiles, pour résonner aussi de l’appel que Dieu fait à tout homme. Comme nous l’avons esquissé à propos de Judas, c’est un « J’ai soif de toi »"

Extrait de mon essai : "A genoux devant l'homme", p. 52ss


Notes :
Cf. Dodd, , La tradition historique du IV° Evangile, Lectio Divina n° 128, Éditions du
Cerf, 1987, trad° Maurice et Simone Montabrut, Éd. Originale : Historical Tradition in the
Fourth Gospel, Cambridge Press, 1963, p. 38
On parle déjà de la fraction du pain en Act 20, 7

Cf. aussi Mc 9, 35 et 10, 43-45, Mt 20, de Jésus, cf. aussi C.H. Dodd, ibid. p. 89ss
26-27 Sur la tradition pré-paulinienne de l’humilité