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19 juillet 2022

La danse du feu 2.74

 

« Que Dieu nous éclaire par la lumière de son visage »

Il faut tracer, là encore, un chemin fragile, pour relier la quête de Moïse en Exode 33 et 34 jusqu’à sa descente du mont Sinaï, tout illuminé de la vision de Dieu, jusqu’à celle des trois disciples lors de la Transfiguration, puis celle des disciples d’Emmaüs quand le Verbe disparaît dans une fraction du pain.


Que brille en nous l’éclat de ton souvenir…


Est-ce cette trace fragile que réveille en nos cœurs la contemplation d’une flamme fragile sous la brise ténue de l’Esprit ?


Le Christ est-il le buisson ardent d’Exode 3, qui EST et SERA, présence et absence, aujourd’hui et espérance d’un peuple en marche ?


C’est en tout cas ce que m’inspire cette magnifique contemplation d’Ambroise…


« Pourquoi détournes-tu ton visage ? Nous croyons que Dieu détourne son visage quand nous sommes dans l'affliction au point que les ténèbres recouvrent notre cœur et empêchent nos yeux de recevoir l'éclat de la vérité ! En effet, si Dieu veille sur notre intelligence et daigne visiter notre esprit, nous sommes certains que rien ne pourra nous plonger dans l'obscurité. Car le visage de l'homme est plus lumineux que les autres membres de son corps ; et, lorsque nous regardons quelqu'un, nous le découvrons s'il est inconnu, et nous le reconnaissons s'il est connu, parce qu'il ne peut échapper à notre regard. Or, combien plus le visage de Dieu éclaire-t-il celui qu'il regarde ?


La belle parole de l'Apôtre, qui est vraiment l'interprète du Christ, concerne cela comme le reste, pour éclairer vos esprits par une pensée et une sentence appropriées. Il affirme en effet : Dieu a dit : Que la lumière brille au milieu des ténèbres. Et c'est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire qui rayonne sur le visage du Christ. Nous venons d'apprendre quel endroit de notre être reçoit la lumière du Christ. Il est en effet le rayon éternel des cœurs, et le Père l'a envoyé sur la terre pour que nous soyons éclairés par son visage. C'est ainsi que nous pouvons contempler les réalités éternelles et célestes, alors que nous étions auparavant captifs de l'obscurité terrestre.


Pourquoi parler du Christ, alors que l'Apôtre Pierre a dit à l'homme boiteux de naissance : Regarde-nous ? Il regarda Pierre et fut éclairé par la grâce de la foi. Car il n'aurait pas été guéri s'il n'avait pas cru.


Par conséquent, alors qu'il y avait une telle gloire chez les Apôtres, quand Zachée apprit le passage du Seigneur Jésus, il monta sur un arbre, parce que sa petite taille l'empêchait de le voir au milieu de la foule. Il vit le Christ et il trouva la lumière, il le vit, et lui, qui auparavant dérobait l'argent des autres, apporta le sien. ~


Pourquoi détournes-tu ton visage ? C'est-à-dire : Bien que tu détournes de nous ton visage, cependant, la lumière de ton visage, Seigneur, est imprimée en nous. Nous le gardons en nous et il resplendit dans notre cœur, car personne ne pourrait survivre si tu détournais ton visage. » (1)


Saint Ambroise, commentaire sur le psaume 43, source Office des lectures d’aujourd’hui (Ce commentaire fut le dernier travail d'Ambroise, quelques semaines avant sa mort.)

30 juillet 2021

Lumière et danse - 8

La suite d’Exode 33 que la liturgie découpe en tranches fines et éparses nous a permis avant hier de contempler rapidement l’effet de la Révélation sur un Moïse en quête d’absolu.

Avant qu’elle nous propulse trop vite au chapitre 40, dans une construction symbolique et hors contexte du temple idéal, elle nous fait contempler en Ex 34 le retour de la montagne, ce que Moïse a découvert de lumineux dans le « dos de Dieu ».

Cette danse particulière touche à ce que Marion appelle le « paradoxe »(1) que je traduirais plus théologiquement par tension ou aporie.


Moïse est illuminé par la rencontre au point qu’il doit porter un voile pour que sa lumière intérieure ne trouble pas le peuple. 

Souci de pédagogie divine ou préparation à l’enfermement cultuel de l’inaccessible derrière le voile du saint des saints que certaines liturgies excluantes réservent encore à une élite, alors que Dieu a pourtant déchiré ce voile en Marc 15, de haut en bas (2) ?


Ne cachons pas l’homme Dieu même si la lumière encore aperçue par Moïse et Élie au mont Thabor a révélé sa divinité, notre chemin à nous, n’est pas toujours lumineux mais souvent une nuit obscure et parfois douloureuse(3).

Le covid fait apparaître en creux le silence de Dieu, alors que la mort est pourtant exposée sur le bois de la croix depuis 2000 ans.


Le paradoxe c’est que Dieu s’est révélé non dans la lumière mais dans la nuit et que Moïse illuminé n’est peut-être qu’une figure fragile ou une idole temporaire. Il n’aura même pas accès à la terre promise.


Attention donc à nos ors et nos patènes rutilantes. Le réel est ailleurs, dans une lumière toute intérieure qui nous échappe bien vite de peur qu’elle nous aveugle ?


La lumière divine s’éteint dès qu’elle se révèle et les pèlerins d’Emmaüs en font vite les frais. Dieu s’est approché, a donné et repris aussitôt, de peur qu’en le réduisant au pain rompu on l’utilise et le réduise à ce qu’il n’est pas…


Ce qu’il reste est un tressaillement, une Révélation fugace qui nous fait courir vers nos frères… sans briser notre liberté…

Et en même temps, peut-être, au bout du chemin, un soupçon d’espérance…


Quel Dieu ! 


Dieu caché, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce fruit nouveau-né

Dans la nuit qui t'engendre à la terre ;

Tu dis seulement 

Le nom d'un enfant : 

Le lieu où tu enfouis ta semence.


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence !


Dieu livré, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce corps partagé

Dans le pain qui te porte à nos lèvres ;

Tu dis seulement : 

La coupe du sang 

Versé pour la nouvelle confiance. ℟


Dieu blessé, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que cet homme humilié

Sur le bois qui t'expose au calvaire !

Tu dis seulement : 

L'appel déchirant 

D'un Dieu qui apprendrait la souffrance. ℟


Dieu vaincu, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ces corps décharnés

Où la soif a tari la prière ;

Tu dis seulement : 

Je suis l'innocent,

A qui tous les bourreaux font violence. ℟


Dieu sans voix, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce signe levé,

Edifié sur ta pierre angulaire !

Tu dis seulement : 

Mon peuple est vivant, 

Debout, il signifie ma présence. ℟


Dieu secret, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce livre scellé

D'où l'Agneau fait jaillir ta lumière.

Tu dis seulement 

Ces mots fulgurants : 

Je viens! J'étonnerai vos patiences ! 


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence ! (4)


(1) D’ailleurs la Révélation, op cit. p. 49 sq

(2) cf. mon « Rideau déchiré »

(3) voir l’excellent livre de François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) office des lectures

28 juillet 2021

Du cléricalisme à la danse ? - 7

Si l’on contemple la première lecture donnée hier dans son contexte complet (Exode 33),  il faut peut-être méditer sur quatre  points. 

 1. Ce texte suit l’épisode du veau d’or, un rite stérile 

 2. Il commence par une invitation à se dépouiller de nos vêtements d’apparat (Ex 33,5)

 3. Moïse ne verra pas Dieu mais son dos

 4. La rencontre de Dieu ne peut se faire qu’en abandonnant ses certitudes, quittant ses tours d’ivoire pour aller à la rencontre de Dieu sous une tente légère. Et c’est cette « tente de la rencontre » qui préfigure la direction à prendre, est un lieu ouvert à l’Esprit et non fermé sur lui même. La tente n’est pas d’ailleurs dans le camp, donc dans les murs établis, au sein même du savoir, des certitudes humaines, mais hors du camp. 

Ce mouvement est d’ailleurs souligné par l’attitude du peuple dans les déplacements de Moïse vers la tente. Il doit regarder, se prosterner, sans pouvoir participer. Il n’est donc plus au centre du récit, mais accompagne cependant, par le regard et donc la pensée, le mouvement de médiation.(1)


Cette « réduction » au sens donné par Jean-Luc Marion (2), ce « décentrement » est à la fois un appel et un risque. 


Il y a en effet un travers dans ce mouvement qu’on note déjà chez Cyrille de Jérusalem dans une vieille catéchèse : « le Seigneur ordonne dans le Lévitique : Convoque toute la communauté à l'entrée de la Tente du Témoignage. Il est à noter que le mot « convoque » (ekklèsiason) est employé ici pour la première fois dans l'Écriture, lorsque le Seigneur établit Aaron dans la charge de grand prêtre. Et dans le Deutéronome, Dieu dit à Moïse : Convoque devant moi le peuple, et qu'ils entendent mes paroles pour apprendre à me craindre. Il fait encore mention de ce nom d'Église, quand il dit au sujet des tables de la Loi : Sur elles étaient écrites toutes les paroles que le Seigneur vous a dites sur la montagne, au jour de l'Ekklèsia (de la convocation), ce qui revient à dire, plus explicitement : « Au jour où vous vous êtes réunis sur la convocation du Seigneur ». Le Psalmiste dit aussi : Je te rendrai grâce dans la grande assemblée (ekklèsia), dans un peuple nombreux je te louerai. (...)  Mais, dans la suite, le Sauveur institua, à partir des nations païennes, une seconde assemblée : notre sainte Église, celle des chrétiens, celle dont il a dit à Pierre : Et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. (...) Lorsque la seule « Église » qui était en Judée a été rejetée, les Églises du Christ se sont multipliées par toute la terre.

(...) C'est de la même Église sainte et catholique que Paul écrit à Timothée : Tu dois savoir comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité. »(3)


Un travers possible dans la lecture de Cyrille est probablement celui de toute institution : se prendre pour le Christ qui est le seul médiateur (cf. Heb), le Corps, la seule assemblée. 

De même que le peuple juif a institutionnalisé la fonction de médiation en donnant des successeurs à Moïse, de même l’Église peut faire des successeurs de Pierre des substituts à la Personne du Christ.


La question centrale est peut-être de se poser pour comprendre que le « faites ceci en mémoire de moi », n’est pas l’institution rituelle du geste mais de ce qu’il représente : le don total du corps sur une croix.

Jean en déplaçant en Jean 6 le rituel vient mettre une faille dans le parallélisme synoptique. Il décrit aussi un Christ qui enlève ses vêtements (Jn 13,1), mais surtout substitue le lavement des pieds à l’eucharistie pour déplacer le risque institutionnel (4)…


En méditant cela, nous déplaçons le sacré ailleurs que dans le rite pour le placer dans l’imitation du don christique par excellence dont la Croix est le signe ultime, indépassable et non reproductible car il n’y a qu’un seul sacrifice, l’unique, celui du Christ qui ne souhaite pas être dépassé mais qui indique la direction vectorielle de l’amour. 


En disant cela je ne nie pas le sommet eucharistique mais je tente d’en dépasser la cristallisation rituelle vers autre chose que le célébrant, vers un ailleurs qui n’est pas dans le rite, la manière ou la personne, mais dans l’essentiel, la direction, la visée : la présence réelle n’est pas contenue dans le pain et le vin, elle devient chemin commun, assemblée, corps, insaisissable, fragile, extase éphémère, danse, buisson ardent, que nous ne pouvons contenir, conserver, enfermer, car déjà Il nous échappe alors même qu’Il danse avec nous… (5).


(1) cf. Dieu dépouillé 

(2) Ailleurs la révélation 

(3) cf. Saint Cyrille de Jérusalem, catéchèse pré-baptismale, Office des lectures d’aujourd’hui 

(4) voir mon « A genoux devant l’homme » en téléchargement gratuit à la Fnac

(5) Dans un certain monastère on ne conserve pas d’hostie, car le Christ n’est pas enfermable…comme le dit si bien Teilhard dans son « Custode », il nous échappe si l’on veut le retenir…

12 août 2020

De dépouillement en dépouillement - à genoux devant l’homme

Il y a une danse presqu'éternelle entre l'homme et Dieu. Elle commence par le don et l'appel d'un « où es-tu ? » (Gn 3, 9) où Dieu cherche l'homme en dépit de sa faute. Y répond les pas de l'homme vers son Dieu qui l'appelle. On les entr'aperçoit dans le « quitter » et l'agenouillement qu'entreprend Abraham (cf. Gn 12 et Gn 18)
Dans ce mouvement, c'est à la fois Dieu qui se penche vers l'homme et demande son amour en dépit de ses fuites et du mal qui l'habite, mais aussi l'homme qui retire ses sandales (Ex 3) ou son vêtement (Ex 33) pour s'agenouiller devant son Dieu.
En premier, nous avons, comme le souligne sainte Catherine « cet amour incompréhensible qui t'a poussé à créer l'homme à ton image et ressemblance. ~ Quel motif avais-tu d'établir l'homme dans une telle dignité ? Certainement, c'est uniquement l'amour incompréhensible par lequel tu as considéré ta créature en toi-même et tu t'en es épris.(1) »
Mais l'amour infini de Dieu n'est pas resté sans réponse, sa pédagogie et son dépouillement (2) ne cesse de briser le cœur fier de l'homme.
La dynamique est bien double.
L'agenouillement de l'homme est plus habituel. On l'aperçoit dans chacune des théophanies. Celui de Dieu est plus discret dans l'Ancien Testament, on le sent pourtant entre les lignes. Il se révèle dans cette miséricorde qui affleure déjà chez les prophètes (3), devient plus visible dans cet agenouillement de l'ange devant la Vierge qui dans l'émerveillement d'un « fiat »(c'est en tout cas l'interprétation de Fra Angelica ou d'Arcabas - cf. Luc 1, 26-38) esquisse un mouvement vers le sol. Ce n'est que lorsque le voile de la kénose se déchire que Dieu pudique laisse apparaître enfin Jésus à genoux devant Pierre ou Judas.



On retient souvent l'agenouillement des Maries de Béthanie ou d'ailleurs... on ignore trop souvent que l'humilité de Dieu et son dépouillement est esquissé bien avant la Croix, dans cette alliance improbable et presqu'incompréhensible qu'il tente avec l'homme en dépit de tous ses reniements depuis David jusqu'à Pierre, depuis Abraham jusqu'à Judas...
Contempler l'agenouillement de Dieu, c'est prendre conscience de son amour infini. Le livre que je viens de mettre en ligne gratuitement n'est qu'une fenêtre sur un mystère qui nous dépasse, ce Dieu « à genoux devant l'homme » (4) qui nous demande de l'aimer comme il nous aime.
Il constitue l'essence de ma foi...

(1) sainte Catherine de Sienne, dialogue sur la providence, source office des lectures du 9/8.
(2) cf. Pédagogie divine in Dieu dépouillé
(3) cf. Osée 11sq. Voir aussi lire « lire l'ancien testament, tome 1 »
(4) voir le lien ou sur le site de la Fnac

17 juillet 2020

Nudité ultime - Dépouillement 21

Il y a un verset du chapitre 33 d'Exode que je ne cesse te contempler et méditer. Il suit Ex 32, et l'épisode du veau d'or et prépare Ex 34 et la révélation lumineuse du Dieu de tendresse à Moïse, dernière marche des épiphanies avant la Transfiguration.
Ce verset invite à « enlever ses vêtements de fête » (Ex 33,5) (1).
Qu'est-ce à dire ? Si ce n'est entrer dans ce dépouillement qui permet d'aller jusqu'à la vision de Dieu. Quel est le point ultime de ce mouvement, si ce n'est contempler la nudité du Christ dans son premier dépouillement, celui de l'enfant donné, dans le vêtement retiré du laveur de pieds, jusqu'à son dernier dépouillement, un Christ défiguré de l'amour versé, un Christ transpercé par nos violences et nos abandons, un Christ révélé derrière le rideau déchiré du Temple, un Christ lumineux de la grâce jaillissante d'un cœur brisé ?

Le dépouillement de Dieu est le prélude musical de la kénose de l'Église qui ne fait que commencer.
Il s'inscrit dans la dynamique même de la « séparation » entre ciel et terre de Gn 1 ou du « quitter » de Gn 2 où l'homme quitte père et mère pour ne faire qu'une seule chair avec l'aimé(e), et parvenir à cette nudité sans honte de l'être dépouillé qui danse avec autrui et y découvre une autre danse plus essentielle, celle qui le fait parvenir à l'en Christo(2), l'en Christ où le don danse avec son Donateur et devient co-createur de l'amour, passeur, engendrement de l'autre (3) à qui il insuffle l'amour reçu d'ailleurs et qu'il ne peut conserver sans perdre. La manne ne dure pas. Le pain reçu ne persiste que partagé...
La dynamique sacramentelle part de l'aride liturgie pour nous propulser de dépouillement en dépouillement jusqu'au don de soi, l'ultime diaconie...

La danse nuptiale du Christ et de son Église va de dépouillement en dépouillement(4).



(1) cf. L'amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar développe abondamment ce thème dans la deuxième partie de sa trilogie.
(3) au sens charnel mais surtout au sens spirituel donné par P. Bacq et C. Théobald dans leur Pastorale de l'engendrement...
(4) « Dépouillement » est la web série qui complète la publication récente de « Dieu dépouillé », une exclusivité gratuite de 1200 pages sur fnac.com

07 juillet 2020

Le cri du cœur...

Concevoir les homélies comme autant de « rencontre[s], de relation[s], d'entretien[s] familier[s]», nous rappelle François Cassingena-Trévédy (1), j'ajouterai d'interactions entre la Parole inaccessible et l'intériorité inatteignable de l'homme, tel est l'enjeu du ministre, à qui revient la charge, combien délicate de commenter le « dit » de Dieu...

Dans Autrement qu'être, Emmanuel Lévinas distingue fort bien le dire et le dit. Au dire inaccessible le dit reste réduction, déformation, oxymore.

Qui sommes-nous pour oser ajouter un iota à la Révélation ?

La Parole agit en nous par bien des manières et il serait prétentieux de la réduire à un commentaire. 

C'est toujours difficile d'écrire alors qu'il faudrait entrer dans le silence ou prononcer à peine quelques phrases pour réveiller chez l'autre quelque chose de plus grand. 

N'approche pas d'ici, « retire ses sandales »...(Ex 3) La Parole te dépasse, la Parole est plus grande que toi. Il faudrait rester à la « lisière du silence (1)», rester silencieux et pourtant on s'essaye, on ose, parce que la Parole manduquée appelle à être partagée. Elle bouillonne en toi et te dépasse. L'exercice partagé sur mon blog (2) en temps réel avec ses versions successives est osé. Il est un éternel appel à réaction, non pas parole assénée mais quête, recherche, dynamique et dépouillement...

Agenouillement aussi.
Agenouillement devant ce texte qui nous parle.
Agenouillement devant l'homme (3), cet auditeur anonyme que l'on ne saurait juger, tant il peut être lui-même traversé au plus intime de lui-même par le courant d'air, le bruit d'un fin silence (1 Rois 19)qui vient révéler en lui une présence secrète et aimante, douce et miséricordieuse, fragile et pourtant interpellante.

Retire tes sandales ô lecteur.
Derrière l'orgueil toujours trop présent du prêcheur se cache, ténu, le frisson intérieur qui l'a conduit à murmurer un chant, à esquisser un pas de danse avec ce Dieu qui vient nous visiter...

Si, depuis des années, je danse discrètement avec d’autres ou seul sur ce vecteur fragile, une valse légère nos contacts quotidien avec la Parole génère en nous des mouvements intérieurs qu'il est impossible de laisser sous le boisseau.

Pardon si l’on dérange, mais le dit ne cesse de frapper à la porte et nous appelle à crier : « Écoute ! Dieu te parle. Arrête de courir, entre au fond de toi (...)  déchire « ton vêtement de fête » (Ex 33). Dieu veut te parler dans le silence bruyant d'un livre inachevé, en dépit du rideau déchiré (4) qui a pourtant révélé sur la Croix le cri d'un où es-tu ? (Gn 3)

Dieu est là en toi, plus présent que tu ne l’espères, présence fugace, insaisissable. Il affleure le discours, se révèle en dépit de l’orateur n’est qu’un indigne passeur d’une Parole qui t’appelles à aimer.

Fais que tressaille son silence
Sous ton Esprit ;
Dieu, fais en nous ce que tu dis,
Et les aveugles de naissance
Verront enfin le jour promis
Depuis la mort de ta semence.(5)

(1) François Cassingena-Trévédy, La voix contagieuse, Editions Tallandier, 2017, p. 9sq.
(2) cf. http://chemin.blogspot.com
(3) voir mon livre éponyme téléchargeable sur Fnac.com
(4) idem.
(5) hymne de l’office des lectures


13 octobre 2019

Le chemin de Pierre - Au fil de Jean 13 à 21

Nous sommes un peuple d’êtres raisonnables qui bloquons de plus en plus souvent nos émotions au nom de l’intelligence des choses, de la maîtrise des événements. En fait, du fait de nos expériences de la souffrance, de la dureté du monde, nous construisons des tours de protection intérieure qui ne laisse plus de place à Dieu pour nous atteindre. 
La médiation du chemin de Pierre nous enseigne quelque chose de différent. Pierre refuse le lavement des pieds (Jn 13) parce qu’il est un combattant. Il veut dominer les choses et projette sur Jésus son propre désir de pouvoir (rappelons nous son épée en Jn 18). 

La phrase de Jésus en Jn 13, 8 le conduit à accepter le lavement des pieds, mais ne le change pas pour autant. « Pierre lui dit: Non, jamais tu ne me laveras les pieds. Jésus lui répondit: Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi. Simon Pierre lui dit: Alors, Seigneur, pas seulement mes pieds, mais aussi mes mains et ma tête!» Jean‬ ‭13:8-9‬ ‭

Il faut qu’il aille jusqu’au triple reniement « je ne suis pas » (1) qui fait écho en négatif à la triple affirmation des « je suis » du Christ (Jn 18) pour que son obstination soit chemin de conversion. Alors se révèle en lui son entêtement et Dieu lui fait le don des larmes... (cf. Lc 22,62 - Jean ne le dit pas...)

C’est là où sa tour intérieure s’effondre et où Dieu peut venir en lui véritablement. 
Les larmes sont rares dans l’Ecriture. On trouve en Isaïe 22 une belle tour qui s’effondre : 
« Pourquoi donc es-tu montée avec tout ton peuple sur les toits en terrasse, (...) Tes capitaines, tous ensemble, prennent la fuite; (...)  C’est pourquoi je dis: Détournez de moi les regards, laissez-moi pleurer amèrement; ne me pressez pas de me consoler du ravage de la belle, de mon peuple.»
‭‭Isaïe‬ ‭22:1-4‬ 

L’expérience de Pierre est à contempler. Elle est en soi la première expérience ignatienne. Ce qu’Ignace nous fait découvrir n’est rien d’autre. Cessons de nous opposer à l’amour de Dieu. 

Laissons le s’agenouiller devant nous et nous toucher au coeur. Laissons le nous laver les pieds...

Pierre n’a pas compris tout cela du premier coup. En Jean 21 il est redevenu le maître de pêche. Il tourne en rond. Il veut encore maîtriser son destin. Et voici qu’à nouveau il pêche toute une nuit en vain. Nuit des hommes...

Alors quand le Seigneur lui donne à nouveau une leçon d’humilité en lui montrant le bon côté où il faut pêcher, il se rend compte de sa nudité devant Dieu (2). 

Vient enfin la triple et douloureuse question de Dieu. Le texte est discret et là encore le grec beaucoup plus riche (1), mais l’on peut s’imaginer les larmes de Pierre quand par trois fois il va crier du fond de son cœur : « Seigneur tu sais bien que je t’aime... ». Pierre est alors prêt à porter l’Eglise jusqu’à accepter qu’on lui attache la ceinture du martyr.
Ce n’est pas sur une pierre solide que Jésus a bâti son Eglise, mais sur une pierre fissurée à travers laquelle passe le Dieu d’amour, fleuve immense jailli du coeur transpercé.
L’expérience ignatienne est au cœur de ces mouvements. il faut aller jusqu’à cette dépossession de nous mêmes pour que notre faiblesse devienne la fêlure où Dieu va entrera dans notre intimité la plus intime.



C’est cela l’expérience de la fragilité dont Jean Vanier c’est fait l’apôtre. 
(1) Le grec est très expressif sur ce thème. Je développe tout cela dans mon livre « À genoux devant l’homme »
(2) Sur la nudité de l’homme voir aussi Gn 3, 7, Ex 33, 4, Marc 14, 52

12 août 2019

Nuit, colère et silence - 4

Tension théologique plus que solution...
Nous aimerions tout expliquer comme cette colère qui nous dérange ou cette nuit qui nous effraie.

Vouloir comprendre et expliquer alors que dans la nuit et le doute seule notre foi vacillante et fragile laisse une place à la venue d’un Dieu discret.

Il faut peut-être contempler le passage d’Exode 32 à 34 pour saisir où la colère de Dieu se transforme en nuée puis en lumière avant de méditer Gethsémani...
La grande nuit où nous précède l’unique médiateur...

“La tentation est grande pour la théologie d'atténuer voir de dissoudre cette contradiction, d’en désosser les composantes, pour revenir aux saines vertu d'une dialectique acceptable, histoire de congédié la brûlure du désir ou de réduire l'insolence inapprivoisable  de la volonté (celle de Dieu comme la nôtre tout aussi bien). (...) la nuit est révélation de Dieu (...) nous sommes livrés à la nuit, à la contingence et à l’obscurité et c’est là qu’est fait appel à notre liberté (1).

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 583sq

25 juillet 2019

Solitude et absence du Père - De Speyr à Teresa - 8

Il faut revenir à l'analyse d'Adrienne von Speyr sur la place du « non-voir » qu'évoque le dialogue entre Moïse et Dieu en Exode 33 pour comprendre ce qu'elle contemple en Christ face à l'expérience de la déréliction. « Le non-voir est la condition même de la contemplation de la croix, de ce Dieu dont aucune image ne peut être donnée (1) ». La privation du voir est vision sur le mode de la non vision. Le refus du visage, la solitude est le chemin du mystère... La nuit contemporaine résiste à toute assimilation.
Elle conduit à la foi véritable évoqué à Thomas : « heureux qui croit sans avoir vu ». N'est-ce pas le chemin de nos solitudes...?

« il s'en est allé, l'amour pour quoi que ce soit, pour quiconque ; et, malgré cela, je brûle jalousement de désir pour Dieu, à L'en aimer de chaque atome de vie en moi. Je veux L'aimer d'un amour profondément personnel. Je ne peux pas dire que j'en suis distraite, car mon esprit, mon cœur sont ordinairement avec Dieu. Tout cela vous paraît délirant devant tant de contradictions ! »(2)
Et pourtant il y a l'essence de la déréliction speyrienne.

(1) Adrienne von Speyr, le visage du Père, p. 68-69, cité par Hans Urs von Balthasar et François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 438

(2) ibid p. 439

21 juillet 2019

Grâce et Gloire 4 - Exode 33

Nous évoquions Exode 33, au sujet de la nudité. C'est au début du chapitre que Dieu invite l'homme à enlever ses habits de fête pour se (re)mettre à nu devant lui..

Il n'est pas inintéressant d'entendre Urs von Balthazar développer tout le thème de la gloire dans la fin du même chapitre. « Moïse ayant prié Dieu de lui faire voir sa gloire, Dieu le cacha dans la fente du rocher et passa devant lui en criant : « Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse (rahum, du mot rèhèm) et de pitié (hanumm, de hun, hén), lent à la colère, riche en grâce (hèsèd) et en fidélité (emet).
Faisant cette expérience Moïse obtint de voir la gloire de Dieu de dos (Ex 33,23) à son passage devant l'homme. Toute la révélation de Dieu fait de lui-même est grâce ; la formule « lent à la colère » exprime que la grâce n'est pas un côté d'une révélation à deux faces, mais plutôt que la colère est fonction de la grâce » (1)

Voilà un thème à creuser.
La colère (même si j'ai du mal à l'entendre, croyant, à la suite de Varillon que Dieu n'est qu'amour), la colère donc serait fonction de la grâce. Est-ce à dire que plus Dieu nous fait grâce plus il devient exigeant ? Une remarque qui ne doit pas devenir morale pour les autres, mais interpellation toute intérieure.
Si l'on résume, en se mettant à nu, c'est-à-dire en vérité devant le Seigneur on peut se laisser appeler à le contempler. Mais voir Dieu, c'est-à-dire participer à sa gloire nous engage plus qu'avant à répondre à son appel, faute de subir sa « colère », qui est d'abord sa peine, sa tristesse (puisqu'il est « lent à la colère ».
Cette interpellation est datée et masque une partie de la miséricorde (même si on la trouve déjà en Exode et Osée (2). Il faut attendre le Christ et un texte comme le fils prodigue (Luc 15) pour percevoir que ce que la colère du Premier Testament cache, c'est le dévoilement d'un Dieu qui va jusqu'à mourir pour l'homme...

(1) Hans Urs von Balthasar, ibid. p. 131
(2) cf. notamment mon livre « Dieu n'est pas violent »

30 mai 2019

Nudité et silence - Adrienne von Speyr - Kénose 161 (et déréliction)

Version 2 :
A la nudité à laquelle nous appelle Dieu au début d'Exode 33, Adrienne von Speyr semble, si l'on suit F. Marxer (1) percevoir au bout de la déréliction la « nudité sans recours du Fils abandonné, dont la nuit spirituelle revêtira l'âme de nos mystiques (...) la seule parole qui puisse se déployer est le silence, le silence partagé par le Père et le Fils (...) il est devenu le Verbe muet du Père (...) la chair se meurt, le Père se tait pour ne faire qu'un avec le Fils qui se tait (...) silence de la mort du Fils et silence de la réponse du Père ».

Pourquoi ? veux-t-on crier...
« Adrienne précise et explicite les raisons de cette nuit qui refuse au Fils tout soulagement. Le Père ne persécute pas le Fils selon quelque sadique inclination, mais en accord parfait avec la volonté salvifique du Fils qui n'a pas d'autre choix (...) l'Agapè, par sa seule force, sans aide ni répit quelconque [doit] venir à bout des ténèbres »(1)

C'est, précise F. Marxer, aussi le chemin de Marie de la Trinité et Mère Teresa. C'est aussi l'impasse apparente de tout homme face à la souffrance. Sans explication, sans autre présence que le Silence, l'appel intérieur qui nous conduit à continuer d'aimer, d'espérer et de croire alors que tout nous pousse à fuir. Je citais au début Exode 33. Comme je l'ai longuement montré, ce passage où Moïse cherche Dieu après le veau d'or est clé, il passe par l'échec et la nudité, le quiproquo et l'erreur pour aboutir à la vision...

La nuit qu'évoque Adrienne et qu’il faudrait reprendre plus longuement
n’est qu’une facette de la nuit du combat des ténèbres où le Christ avance seul, première victime innocente de ce qui au XXème siècle deviendra le chaos sans nom du crime organisé. En cela le Silence de Dieu est le prélude d’un grand silence qui dure. De ce silence que dire ? Seule la croix éclaire fragile la violence inouïe des hommes dont nous sommes tous un peu responsables, dès que nous tournons le dos à l’amour.

La croix est le signe inouï de Dieu, Père et Fils. Signe incompris, méprisé, bafoué et pourtant lueur de ce qui est notre Salut...

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 318-9

30 mars 2019

Au fil de Jean 9, Troisième dimanche de carême, Année A - Aveugle né - Homélie du 31/3/19

Sommes-nous aveugles nous aussi ?
Est-ce que ce que nous voyons, nous nous le voyons vraiment ?

Il y a une correspondance intéressante entre les trois textes. Je vous propose de les contempler dans un premier temps, avant de voir ce qu'ils nous disent sur notre chemin.

L'Histoire de Samuel nous introduit à la différence entre l'apparence et la réalité. Samuel se fie sur l'apparence, mais Dieu l'aide à voir, derrière, la véritable beauté du cœur.

Celui que Dieu aime est un petit jeune homme fragile. Certes, il deviendra roi, et son pouvoir ne sera pas dénué d'erreurs et de péchés. Pourtant Dieu l'a choisi pour sa pureté du cœur, des capacités qu'il développera pendant la phase qui précède son accession au royaume. Rappelons nous l'histoire de Saül et de David, l'épisode de la lance et de la gourde, où il refuse la violence. David a, au fond de lui, ce qui fait que Dieu a posé sur lui ce regard. 

Il en est de même aussi de l'aveugle, celui que tout le monde méprise dans une société où la maladie était considérée comme une malédiction de Dieu. C'est cet aveugle en apparence sur lequel Jésus porte son regard. À la différence d'autres malades, cet aveugle n'a rien demandé. Il est sur le chemin de Jésus. Ce qui interpelle Jésus n'est pas l'apparence, mais cette pureté du cœur que l'on retrouve dans tout le reste du récit. L'aveugle n'a pas besoin de grandes phrases, de grandes théories, il est guéri, il croit quand il comprend enfin que c'est Jésus qui lui a donné la vie.

Et nous ?
Que croyons-nous ? Sommes-nous attentif à la lumière, à cette lumière qui nous vient de Dieu ? Pouvons-nous voir, chez l'autre, la lumière intérieure, qui dépasse toute lumière.

Cherchons-nous la lumière, la lumière plus que tout, la lumière au-delà des ténèbres, cette lumière qui vient de Dieu et qui nous conduit à Dieu ?

Comme Moïse au désert, en ce temps de carême, grimpons sur la Montagne, par nos efforts, nos dépouillements, pour dépasser les zones d'ombre et chercher la lumière. 

Moïse est monté sur la montagne et quand il a vu le Seigneur, il est redescendu tout tout illuminé. Il avait vu la lumière de Dieu. Son visage devait être aussi lumineux que celui de l'aveugle né. Il était né à une vie nouvelle, comme le serons nos catéchumènes au jour de Pâques, au bout de leur quête. 

Relisons ce texte : « Lorsque Moïse descendit de la montagne du Sinaï, ayant en mains les deux tables du Témoignage, il ne savait pas que son visage rayonnait de lumière depuis qu'il avait parlé avec le Seigneur. Aaron et tous les fils d'Israël virent arriver Moïse : son visage rayonnait.
Comme ils n'osaient pas s'approcher, Moïse les appela. Aaron et tous les chefs de la communauté vinrent alors vers lui, et il leur adressa la parole.
Ensuite, tous les fils d'Israël s'approchèrent, et il leur transmit tous les ordres que le Seigneur lui avait donnés sur la montagne du Sinaï.
Quand il eut fini de leur parler, il mit un voile sur son visage.
Et, lorsqu'il se présentait devant le Seigneur pour parler avec lui, il enlevait son voile jusqu'à ce qu'il soit sorti. Alors, il transmettait aux fils d'Israël les ordres qu'il avait reçus, et les fils d'Israël voyaient rayonner son visage. Puis il remettait le voile sur son visage jusqu'à ce qu'il rentre pour parler avec le Seigneur. » (Exode 34, 35)

Prenons le temps de méditer, en ce temps de carême, ce qui nous conduit à la lumière et ce qui nous emmène dans les ténèbres. Voyons, en vérité, ce qui au-delà des apparences trompeuses est le vrai chemin.

Regardons la Croix, élevée au-dessus du monde, cette croix qui nous introduit à la lumière de la résurrection. Que nous dit-elle ?

« Dieu est amour ». 

Si nous vivons dans l'amour de Dieu, nous sommes dans la lumière. Si nous sommes d'amour, nous serons aimés de Dieu.

Relisons la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, autrefois, vous étiez ténèbres ;
maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ;
conduisez-vous comme des enfants de lumière   – la lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité – (...) 
Réveille-toi, ô toi qui dors,
relève-toi d'entre les morts,
et le Christ t'illuminera.


« Si tu me dis : Montre-moi ton Dieu, je pourrais te répondre : Montre-moi l'homme que tu es, et moi je te montrerai mon Dieu. Montre donc comment les yeux de ton âme regardent, et comment les oreilles de ton cœur écoutent.

Ceux qui voient avec les yeux du corps observent ce qui se passe dans la vie et sur la terre ; ils discernent la différence entre la lumière et l'obscurité, le blanc et le noir, le laid et le beau ; entre ce qui est harmonieux, bien proportionné, et ce qui manque de rythme et de proportion ; entre ce qui est démesuré et ce qui est tronqué ; il en est de même pour ce qui tombe sous le sens de l'ouïe : sons aigus, ou graves, ou agréables. On pourrait, de la même façon, dire des oreilles du cœur et des yeux de l'âme qu'il leur est possible de saisir Dieu.

Dieu, en effet, est perçu par ceux qui peuvent le voir, après que les yeux de leur âme se sont ouverts. Tous ont des yeux, mais certains ne les ont que voilés et ne voient pas la lumière du soleil. Si les aveugles ne voient pas, ce n'est pas parce que la lumière du soleil ne brille pas. C'est à eux-mêmes, et à leurs yeux, que les aveugles doivent s'en prendre. De même toi : les yeux de ton âme sont voilés par tes fautes et tes actions mauvaises.

L'homme doit avoir une âme pure, comme un miroir brillant. S'il y a de la rouille sur le miroir, l'homme ne peut plus y voir son visage. Ainsi, lorsqu'il y a une faute dans l'homme, cet homme ne peut plus voir Dieu. ~

Mais, si tu le veux, tu peux guérir. Confie-toi au médecin et il opérera les yeux de ton âme et de ton cœur. Qui est ce médecin ? C'est Dieu, qui guérit et vivifie par le Verbe et la Sagesse. C'est par son Verbe et sa Sagesse que Dieu a fait toutes choses. Comme dit le Psaume : Le Seigneur a établi les cieux par sa Parole, et leur puissance par le Souffle de sa bouche. Cette Sagesse est souveraine. En effet : Dieu a fondé la terre par sa Sagesse ; il a disposé les cieux par son intelligence ; c'est par sa science que furent creusés les abîmes, que les nuées ont distillé la rosée.

Si tu comprends cela et si ta vie est pure, pieuse et juste, tu peux voir Dieu. Avant tout, que la foi et la crainte de Dieu entrent les premières dans ton cœur, et alors tu comprendras cela. Quand tu auras dépouillé la condition mortelle et revêtu l'immortalité, alors tu verras Dieu selon ton mérite. C'est ce Dieu qui ressuscitera ta chair immortelle, en même temps que ton âme. Et alors, devenu immortel, tu verras le Dieu immortel, à condition d'avoir cru en lui maintenant. » (1)

(1) saint Théophile d'Antioche, lettre à Autolycus 

22 novembre 2018

Parvenir à toucher Dieu ?

La contemplation ne doit pas rester intellectuelle. La science enfle mais le coeur édifie. L'enjeu nous dit Ignace est de « parvenir au toucher (1 Jn 2, 2), au contact avec Dieu (Exercices n. 20), il faut être saisi par ce que les Divines Personnes font (Ex 108). » (1)

Cette quête est d'abord contemplative et méditative avons nous souligné déjà plus haut à la suite d'Hans Urs von Balthasar.

Le risque constant de tout discours est de se complaire dans les mots et le discours et d'oublier d'agir.

« Assurément la flamme de l'amour jaillira normalement du bois de la connaissance, et souvent elle jaillira d'autant plus fortement que la connaissance sera plus existentielle. Mais il ne faut pas sous ce prétexte, s'attarder si longtemps dans l'intellectualité que l'amour n'ait plus sa place et que même l'attitude foncière d'adoration s'évanouisse, parce qu'on est tombé dans les subtilités et dans les fumées de la science » (2)

Pouvons nous toucher Dieu ? La contemplation d'Exode 33 et 34 nous montre qu'on ne peut le voir que de dos. Pour le toucher, il faudrait que notre agir, poussé par l'Esprit et la grâce se transforme en graines et que, dans le coeur de Dieu, elles germent alors sur les rives du grand fleuve amoureux.

(1) cité par Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, op. cit. p. 119
(2) Hans Urs von Balthasar, ibid.

07 novembre 2018

Au fil de Luc 14,27, 33 - suivre Jésus


Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. (...) Ainsi donc, celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »(1)

On peut toujours arguer et fuir devant l'exigence du Verbe. Et n'est-ce pas souvent notre cas ? Pourtant nos aînés dans la foi nous montre un chemin plus radical qui ne peut que nous interpeler. 
« Le père de François voulait le faire comparaître devant l'évêque pour qu'il renonce à tous ses droits d'héritier et lui restitue tout ce qu'il possédait encore. François, en véritable amant de la pauvreté, se prête volontiers à la cérémonie, se présente au tribunal de l'évêque et, sans attendre un moment ni hésiter en quoi que ce soit, sans attendre un ordre ni demander une explication, enlève aussitôt tous ses habits et les rend à son père... Rempli de ferveur, emporté par l'ivresse spirituelle, il quitte jusqu'à ses chausses et, complètement nu devant toute l'assistance, déclare à son père : « Jusqu'ici je t'ai appelé père sur la terre ; désormais, je puis dire avec assurance : 'Notre Père qui es aux cieux', puisque c'est à lui que j'ai confié mon trésor et donné ma foi. » L'évêque, un homme saint et très digne, pleurait d'admiration à voir les excès où le portait son amour de Dieu ; il s'est levé, a attiré le jeune homme dans ses bras, l'a couvert de son manteau et a fait apporter de quoi l'habiller. On lui a donné le pauvre manteau de bure d'un fermier au service de l'évêque. François l'a reçu avec reconnaissance et, ramassant ensuite sur le chemin un morceau de gypse, y a tracé une croix ; ce vêtement signifiait bien cet homme crucifié, ce pauvre à moitié nu. C'est ainsi que le serviteur du Grand Roi a été laissé nu pour marcher à la suite de son Seigneur attaché nu à la croix. » (2)

Hier nous écoutions l'hymne aux Philippiens qui a très probablement inspiré ce geste : méditons le : « lui qui était vraiment divin, il ne s'est pas prévalu d'un rang d'égalité avec Dieu, mais il s'est vidé de lui-même en se faisant vraiment esclave, en devenant semblable aux humains; reconnu à son aspect comme humain, il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à la mort – la mort sur la croix.» (3)

Il nous faut à notre tour « quitter nos vêtements » (cf. Ex 33, 5) pour retrouver la nudité originelle (Gn 2, 25)

1) Traduction Liturgique de la Bible - source AELF
(2) Saint Bonaventure, La Vie de saint François, Legenda major, ch. 2 (trad. Vorreux et Desbonnets, Documents, Eds. Franciscaines 1968, p. 576 rev.), source Evangelizo 
(3) Philippiens 2:6-8 NBS

18 décembre 2016

Moise et la captation de Dieu

Intéressant commentaire de Hans Urs von Balthasar sur Exode 19 à 34 qui rejoint mes travaux sur "Dieu n'est pas violent"(1) Les couches rédactionnelles de ces passages suggèrent des ajouts successifs, à partir d'une histoire originale où "le pasteur Moïse était conduit à la montagne de Dieu" (2), il y recevait l'ordre d'amener le peuple, puis congédié, il réclame plus...(3)
Ce que je commente dans mon livre à la suite de certains exégètes sur le quiproquo d'Exode 33, aboutit finalement, à la lecture de Hans Urs von Balthasar, à une question : Comment peut-on parler de Dieu ? Tout cela n'est-il pas une mise en exergue de nos propres désirs de mettre Dieu en bouteille, c'est-à-dire de le faire entrer dans nos cases, comme le judaïsme a pu le faire jusqu'au déchirement du voile de Marc 15,38 et ce que nous ne cessons de faire à notre tour. Comment peut-on parler de Dieu ? Lui seul est maître de sa révélation. Et tous nos propos ne peuvent être que de la théologie négative : Dieu n'est pas....
Seul le Fils et l’Esprit dévoilent le Père...
À méditer
(1) Lectures pastorales, tome 8
(2) La Gloire et La Croix, Théologie, Ancienne Alliance, p. 46
(3) ibid.

06 octobre 2016

Exode 34 et l'indicible

Deux remarques sur ce sommet théologique. Au delà de la tension humaine entre Ex 32 (veau d'or), Exode 33 (tente de la rencontre) et Exode 34 (tables), un écrin liturgique a été construit par le rédacteur dans la description et la mise en place de la demeure et du voile. Mais la finale du chapitre 34 ne dit rien de la dernière conversation. On nous rapporte que l'épisode du visage de Moise, rayonnant de la gloire divine aperçue. Sur ce point le Pseudo Denys peut nous éclairer : "plus haut nous nous élevons (...) et plus nos paroles deviennent concises (...) nous sommes au-delà de l'intelligible (...) muets et pleinement unis à l'ineffable(1)" au point que la parole qui s'adresse au dehors doit, pour être vraie, contenir en soi le Silence divin (...) et la liturgie uniquement contemplative (2), mais aussi "plus secrète, plus simple, et plus unificatrice" (...) en "honorant par son silence le secret qui le dépasse" (3)

(1) Mth, 3 (1033 BC), œuvres p. 182, cité en GC2 p. 159
(2) GC2, ibid.
(3) Hier. cel. p. 191, GC2 ibid.

30 juin 2016

La figure de David 2

Étonnante, cette histoire de 1 Sam 6 que la liturgie des heures nous propose.  On y voit David danser devant son Dieu et s'exposer ainsi, dans la nudité et l'humilité. Cela évoque la nudité d'Adam qui n'a pas honte (Gn 2, 25), mais aussi l'humilité de ceux qui enlèvent leurs vêtements de fête (Ex 33).
Visiblement cela ne plaît pas à son épouse,  Michol, la fille de Saul.
A contempler

Il faut peut être aussi entendre la question d'Isaïe :"
 Quelle est donc la maison que vous bâtiriez pour moi ? Quel serait l’emplacement de mon lieu de repos ? De plus, tous ces êtres, c’est ma main qui les a faits et ils sont à moi, tous ces êtres – oracle du Seigneur –, c’est vers celui-ci que je regarde : vers l’humilié, celui qui a l’esprit abattu, et qui tremble à ma parole." (Isaïe 66, 1-2)

Puis entendre celle de Zacharie : "Et toi, petit enfant, tu seras appeléprophète du Très-Haut : *tu marcheras devant, à la face du Seigneur,et tu prépareras ses chemins" (Lc 1, 76)