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21 décembre 2021

Stérilité et agenouillement - 2-20

Quel avenir pour notre Église ?

Le tressaillement de Jean au sein de l’ancienne femme stérile nous ramène bien loin et nous projette bien haut. Quelle va être notre fécondité ? Sommes nous encore dans l’espérance ?

« Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. »

Si l’on oublie les premiers mythes d’Ecriture tardive et nous concentrons sur celui que l’on considère comme le premier « croyant », il nous faut peut-être contempler, comme le fait Heb 11, les gestes d’Abram et de Sara, voir le père des nations  à genoux à Mambré devant cette triple danse de feu (cf. billet 2.17.6 ), partir de l’origine pour retrouver LA direction.

À l’origine tout commence par un acte de charité.

Tradition culturelle d'hospitalité, le lavement des pieds proposé par Abraham, n'est certes pas à la hauteur du lavement des pieds proposé par Jésus en Jean 13. 

Et pourtant... 

Il devient lieu intérieur de conversion.

Il s'inscrit dans cette dynamique même de dépouillement en dépouillement, d'agenouillement en et agenouillement qui conduira Jésus à prendre la place, à la suite des femmes de Galilée, de celle qui revient à l'esclave, pour nous montrer la voie de l'amour humble de Dieu. 

C'est ce que nous avons peut-être à méditer dans le silence et dans l'attente d'Abram au chêne de Mambré. 

Sur le sable fragile d'un homme et d'une femme, stériles malgré leur union, Dieu veux construire un peuple, une descendance. 

Que dire, de la même façon, de cette leçon d'humilité, s'il en est, que cette stérilité de Sarah qui va jusqu'à rire du projet de Dieu et découvrir pourtant en sa chair que Dieu peut faire germer une graine sur un terrain aride. 

Dieu a besoin de nous ! De nos mains…

Si nous prêtons nos corps stériles et voués à la ruine, nos églises désertées, à la construction d'un Corps, nous devenons participants, malgré notre indignité à l'édification du Temple. 

Il ne s'agit pas cette fois d'une Babel éphémère si notre dépouillement reste entier. Il faut accepter de mourir à nos rêves humains de puissance, à nos prosélytismes moralisateurs, pour que le grain prenne enfin  corps. C'est dans l'argile de nos échecs que le Seigneur dessine un chemin amoureux... 



C'est dans le terreau de nos erreurs que Dieu fait jaillir le grain du Verbe. 

C'est sur le reniement d'Abram que jaillira la descendance. 

C'est sur le reniement de Pierre que se construit l'Église. 

Nous ne sommes que des pécheurs pardonnés. 

De nos échecs Dieu fera des victoires. 

Du cri des victimes jaillira-t-il enfin l’espérance…?

Du jamais plus, combien de fois répété, peut germer un nouvel élan.

Sur la boue des « terreux », sur l'argile du potier, Dieu modèle des amphores. 

De la quête attentive de l'homme, de l'accueil humble d'autrui, jaillit le signe ultime, l'agenouillement de Dieu devant l'homme qui crie que l'amour est possible. 

Si tu veux... 

Laissons Dieu agir. 

Laissons-nous nous dépouiller de nos désirs humains, de nos quêtes de pouvoir, pour qu'au fond d'un vase brisé, d'un rideau déchiré, d'un corps mutilé, d'un rêve cassé, d'un cœur transpercé, jaillisse une source nouvelle...

Laissons le nous laver les pieds, s’agenouiller devant l’homme, percevoir que ce Dieu à genoux est sommet, don, unique geste, mime fécond, car il nous conduit à terre et veut de nos cœurs stériles, de nos églises malades, faire germer la semence.

02 avril 2021

Lavement des pieds 47.1

 Lavement des pieds - danse 47


Le début de Jean 13 s’inscrit dans un cadre très large qui prend racine dans la multiplication des pains et s’étend jusqu’à la Passion. On peut même affirmer qu’il s’agit d’un « pont » central entre la vie de Jésus avant Pâques, marqué par toutes ces premières humilités que avons relevées dans le texte et cette humilité finale que sera la croix. Le geste du lavement des pieds vient alors comme une invitation à imiter Jésus. « Comme je vous aimés les uns les autres » 13, 34 vise à la fois :

- le lavement des pieds : « les uns les autres (...) comme » de Jn 13, 14-15,

- le repas partagé

- et s’étend jusqu’à la Croix : « Ceci est mon commandement, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Jn 15, 12-13.

C’est donc l’ensemble de la Passion qui habite l’invitation à l’humilité donnée par le geste de Jésus, en dépit des ruptures de lieux, de temps et de styles. Le lien est d’ailleurs à nouveau souligné en Jn 15, 15 et au verset 20.

C’est en ce sens que la visée de Jean peut s’entendre, dans son acception la plus large.

La première partie du texte, au sein même du dialogue entre Jésus et Pierre (Jn 13, 6-10) nous invite à nous laisser purifier par le Christ et donc à recevoir le pardon de Dieu, avec un sommet donné dans le verset 8 : « Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras point part avec moi".

L’analyse textuelle sur la base des répétitions observées dans le texte grec fait apparaître une petite forme concentrique qui se résume comme suit :

A Le dessein de le livrer

B Prendre le linge et se ceindre

C Laver les pieds

B’ Prendre le linge et le ceindre

A’  allait le livrer

Rappelons que l’on appelle forme ou structure concentrique cette répétition de phrases qui encadrent l’affirmation centrale. Ainsi la forme ABCB’C’ est une manière d’insister sur le C, verset central, ici le « lavement des pieds ». Par le biais de ces répétitions, l’auteur prévient le lecteur familier à l’époque de ces formes. Il s’agit là d’un message central.

À cette structure, s’ajoute une structure en parallèle qui fait rebondir le quiproquo entre Pierre et Jésus, dans la répétition entre laver et non laver, propre à l’échange entre le Christ et l’apôtre. Elle reprend le style « ironique » propre à Jean qui, en soulignant l’incrédulité de l’apôtre, fait résonner chez le lecteur une compréhension plus large. Le lecteur n’est pas appelé à trouver dans le geste une invitation au rite de purification des juifs, mais à dépasser la symbolique pour trouver son sens spirituel plein. C’est à l’intérieur même de l’homme, dans sa purification spirituelle que se joue le nœud du problème. Car le lavement des pieds ne purifie pas le cœur. On aura beau laver le corps entier, cela ne suffira pas à nettoyer le cœur du projet de livrer Jésus(1)

Et pourtant, c’est là la réponse de Jésus au problème de Judas. Il aurait pu aller plus loin, lui faire savoir qu’il n’était pas dupe, essayer de le détourner de sa voie mauvaise. Non. La réponse du maître est dans l’agenouillement. Sa kénose ne heurte pas frontalement le mal en lui faisant violence. La réponse du Christ reste dans la faiblesse d’un « Si tu veux » donné à l’homme : Je suis à genoux devant toi, dans ma faiblesse. Si cette descente ne te convertit pas, rien ne pourra le faire !


[...]


« Les Pères de l'Église, précise Cantalamessa, (2) utilisaient, à ce sujet, le terme « condescendance » (synkatabasis) qui indique deux choses : le fait que Dieu s’abaisse, qu’il descend et, en même temps, le motif qui le pousse à le faire : son amour pour l’homme. (...) Si Dieu sort de lui-même et agit en dehors de la Trinité, ce ne peut être qu’en s’abaissant et en se faisant petit… »

Cantalamessa retrouve cela chez saint François : « Regardez, frères, l’humilité de Dieu ! », s’écriait dans l’étonnement saint François d’Assise. « Chaque jour, il s’humilie, exactement comme à l’heure où, (...) il s’est incarné dans le sein de la Vierge ». Dans les Louanges du Dieu Très-Haut (...) il ajoute « Tu es humilité ! » (...) Dieu est vraiment humilité. Dieu seul est vraiment humble ».

Dans la même lignée, F. Varillon (3) affirme qu’en voyant Jésus « laver avec humilité des pieds d’homme, je « vois » donc (...) Dieu même éternellement mystérieusement Serviteur avec humilité au plus profond de sa Gloire. » Il va jusqu’à ajouter que l’humiliation du Christ n’est pas un avatar exceptionnel de sa gloire. Elle manifeste dans le temps que l’humilité est au cœur de la gloire ». C’est dit-il, « un paradoxe si fort que la raison vacille, décontenancée, et comme découragée d’avance (...). Si pourtant, abandonnant les concepts à leur apparente opposition, on choisit de se référer, sans plus attendre, à l’expérience toute simple qu’on a de l’amour, même mêlée de péché, un rai de lumière filtre déjà (...) Si Dieu est Amour, Dieu est humble… »

La conclusion est simple : si l’on veut être aimant, seule l’humilité est chemin, sans être pourtant « devoir ».

« On t’a fait savoir, homme ce qui est bien, ce qui Yahvé réclame de toi : rien d’autre que l’accomplir la justice, d’aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu. » (Michée 6, 8).

Pourtant, cette humilité, « on ne peut même pas la recommander », dit Varillon, elle est « dépassement radical de l’ordre de la moralité » (...) « elle est divine ».

Doit-on comprendre, au-delà de l’exhortation du prophète qu’elle reste « inaccessible à l’homme » et donc « possible à/en Dieu » au sens de Mt 19,26 ?

Probablement, car, nous pouvons, en même temps, reconnaître que l’immensité de l’Amour passe par une humilité immense. « C’est alors, précise Varillon, que l’humilité de l’homme reconnaît son échec. Ce n’est qu’au terme de son itinéraire, (...) qu’il sera capable d’aimer comme Dieu aime, d’être humble comme Dieu est humble. Tant que nous sommes sur le chemin terrestre, l’humilité, toujours visée comme nécessaire, doit être tenue pour une limite inaccessible. » Pourquoi ? C’est J. L. Marion, dans Étant-Donné, qui nous donne une explication possible. Elle tient au fait que jamais nous n’atteindrons la gratuité ultime de celui qui s’efface dans le don au point de rester anonyme. Un exemple développé dans un autre ouvrage, m’a permis de découvrir cela. Quand j’offre une fleur à ma femme, mon geste ne peut être véritablement gratuit. Il attend toujours un retour. L’humilité véritable serait de lui transmettre la fleur sans qu’elle sache que cela vient de moi. Pourrais-je y arriver un jour ? Le vrai donateur, dit Marion est celui qui s’efface et disparaît.

C’est peut-être dans cet axe que l’on peut également comprendre l’étendue du paradoxe et de la tension qui affleurait dès le départ de notre analyse de l’Évangile selon saint Jean entre « humilité et gloire ». Varillon ira jusqu’à dire, quelques pages plus loin que « C’est la Toute-Impuissance du Calvaire qui révèle la vraie nature de la Toute-Puissance de l’Être infini (...) Dieu est Puissance illimitée d’effacement de soi ».

Avant de comprendre ce que cet attribut de Dieu peut signifier pour nous, il nous faut donc aller plus loin et méditer plus avant l’humilité de Jésus dans Jean 13.


Excursus : Livrer

Une autre récurrence mérite, en effet, d’être notée, c’est l’allusion au fait que le Fils va être livré. Le mot ‘livrer’ apparaît en Jn 13, 2 et sera repris au verset 11 puis au futur en Jn 13, 21. Le « lavement des pieds » apparaît donc au cœur même de l’intention de Judas de livrer Jésus. Tout porte à croire que le Christ en prend conscience en Jn 13, 21, le narrateur soulignant son bouleversement : « il fut bouleversé (...) l’un d’entre-vous me livrera ». Cela pourrait en effet indiquer qu’il ne le savait pas. Cela serait ignorer qu’il en faisait déjà mention au verset 11, comme un fait. De plus, cette prescience de Jésus semble être un point déjà souligné par le rédacteur du texte. C’est donc une thèse de l’auteur que l’on ne peut ignorer d’autant qu’on en trouve déjà mention en Jn 6, 62 :

« Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point. » Car Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui était celui qui le trahirait ».

On peut penser qu’on est au cœur même du combat avec le mal, dans cet épisode ultime où Jésus s’affronte à ceux qui veulent sa mort. Jusqu’au sein même des apôtres, des douze choisis et désignés, le mal s’est incrusté et lance sa pique ultime. C’est en cela que l’attitude d’agenouillement du Fils est poussée à l’extrême et demeure, en cela, indépassable par l’homme. Il pourrait sortir par le haut, identifier le coupable, le confondre et le faire changer de direction. Comme nous l’avons vu lors de l’épisode de la femme adultère, qu’il faudrait lire en parallèle avec ce texte, ce n’est pas la voie choisie par Jésus, comme le confirme le fait que Judas sera le « premier communiant » en Jn 13, 26.

L’attitude du Christ n’exclut pas Judas. Bien au contraire, il est l’un des personnages les plus présents. Même si le lavement des pieds de Judas n’est pas précisé, on peut affirmer que l’abaissement du Christ devant l’homme pécheur est au cœur du symbole. Elle a dû marquer le geste d’une manière toute particulière. Puisque le rédacteur insiste pour nous dire qu’il savait déjà, on peut contempler cette attitude particulière du Christ devant Judas, à genoux devant lui, et cherchant, une dernière fois, à lui transmettre le cœur du mystère : la faiblesse d’un Dieu à genoux devant l’homme. Nous avons noté que le nom de Judas est aussi celui de la tribu principale d’Israël. On peut donc contempler l’ampleur du geste qui rejoins ce que Luc dira dans son « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).

Alors résonne une phrase que nous n’avons cessé de noter depuis le début de nos recherches. « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » Ez 18, 21. Quel est le message du Christ devant Judas ? Est-il différent de celui qu’il a eu devant la femme aux six maris, la Samaritaine ? « Donne-moi à boire », lui avait-il dit (Jn 4, 8).

L’opposition est saisissante. Peut-être est-ce justement dans ce contraste que se trouve la clé de lecture. À celle à qui il a demandé à boire, il lui parlera d’eau vive. Plus loin, il insistera à nouveau : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive. (Jn 7, 38) »

Malgré l’affirmation prégnante de la gloire du Christ, subsiste donc une insistance toujours discrète, mais toujours présente chez le rédacteur qui y souligne l’humilité du Fils.

Rappelons-le, lorsque, devant la femme adultère, les pharisiens s’adressent à lui comme un Maître, son premier geste reste celui de l’abaissement : « Mais Jésus, s'étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt. » Jn 8, 6.

À cette affirmation des trois abaissements du Christ devant Judas (lavement des pieds, partage du pain, acceptation du baiser – chez les synoptiques – dont il n’a pas l’initiative), certains répondent que Judas est condamné. C’est en effet ce que l’on peut lire dans l’affirmation sèche du rédacteur : « Judas, ayant pris le morceau de pain, se hâta de sortir. Il était nuit. » Jn 13, 30

Chez Judas, on le voit non sans tristesse, l’abaissement de Jésus marque pour lui la fin d’un rêve. Il voulait un Dieu de puissance et il ne cesse de se heurter à l’humilité du Fils. Déjà, comme nous l’avons vu en Jn 12, il n’avait pu supporter le lavement des pieds de Marie de Béthanie. Quel a été l’impact sur lui de ce second geste ?

Pour Nicodème (cf. Jn 3, 2), la nuit marquait l’incompréhension totale du message de Jésus. Il est probable que Judas soit sorti dans cette nuit-là. Il nous semble cependant plausible de noter que ce n’est pas faute d’avoir tout tenté.

Et peut-être que justement, cet abaissement ultime, souligne plus qu’ailleurs, le jusqu’au bout de Dieu. Citons là encore Varillon et Nabert : « Il faut (...) appeler « divin » l’amour qui est assez fort pour ne pas exiger la réciprocité comme condition de sa constance. Parce qu’il est enveloppé d’humilité, il demeure égal à lui-même en dépit des « oscillations » de la réponse de l’aimé (...). Dieu, s’il existe, est cet être qui prononce un "je t’aime" inconditionnel ». Quelle meilleure illustration que cet agenouillement du Christ devant Judas… Geste qu’aucun homme ne sera probablement capable d’imiter. C’est en cela que Mt 19, 26, déjà cité, traduit l’impossibilité humaine : « Aux hommes c’est impossible, mais c’est possible à Dieu »


[1]  On peut aussi ajouter à la suite de B. Arminjon que « Pierre dans le lavement des pieds résistait à la "déstabilisation". [En Jn 21, ] l'heure [viendra où il lui faudra] passer derrière, suivre le Christ, d'accepter son appel.... » in Nous voudrions voir Jésus Avec saint Jean 12-21, ibid., p. 185ss.

[2]  Cantalamessa,     La vie dans la Seigneurie du Christ, Cerf, Paris - Médiaspaul, Montréal, 2010.

La vision de Cantalamessa peut cependant être tempérée, si l’on conçoit l’humilité opérative comme recherchée. Varillon est plus délicat quand il affirme, sur le même thème, que Dieu est humble, sans se forcer… « Il faut se méfier », dit ce dernier « d’un esthétisme de l’humilité. (...) Certains hommes se complaisent dans la faiblesse comme d’autres dans la force. Il en est qui cultivent l’échec. Il faut balayer, quand on pense à Dieu, ces pharisiens suspects ». op. cit. ci-dessous p. 67. Une nuance délicate.

[3]  François Varillon, L’humilité de Dieu, Centurion, Paris, 1974, p. 59.



Extrait de mon livre « À genoux devant l’homme » dont l’intégralité est téléchargeable gratuitement sur Kobo ou disponible en pdf sur demande par MP. 

02 septembre 2020

Communion et liturgie

L'Esprit nous conduit et nous assemble. Cette communion est appelée à dépasser les frontières, elle s'étend à tous les hommes de bonne volonté. L'Église peut en être le phare, quand elle s'agenouille pour rejoindre l'homme et l'inviter à son ultime « danse ».
L'unité de l'Église reste cependant « toujours à faire[535] ». Si, comme l'affirme Lumen Gentium 8 : « L'Église est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain. », l'unité de l'Église complète Congar, « ne se termine pas à elle-même, elle vise l'unité du genre humain… (...) [À la suite du] Verbe, en sa kénose de serviteur souffrant (...) [ l'Église est] grâce au don de l'Esprit, le pauvre signe et l'humble médiatrice du salut acquis dans le Christ[536] ».
Si Lubac insistait à ce sujet sur l'importance de la communion eucharistique, plusieurs dizaines d'années plus tard, mon expérience pastorale me fait mettre un bémol sur cette cristallisation sur la liturgie. Non que le sens du sacrifice eucharistique doive être limité, mais parce qu'avant d'arriver à ce niveau de communion, il nous reste à privilégier autre chose. Dans un sens, l'eucharistie n'est souvent vue que selon le prisme des trois Synoptiques en oubliant que Jean a présenté une autre vision de l'eucharistie en substituant à ce récit celui du lavement des pieds. Mon insistance portera là-dessus. L'Église ne peut vivre sa liturgie pleinement que lorsqu'elle aura rétabli d'une manière au moins égalitaire les deux aspects de sa théologie de communion et laissé au lavement des pieds (je ne parle pas du rite mais de l'attitude) une place aussi importante qu'au culte. Cette ouverture du cœur, préliminaire et essentiel constituera alors le sens profond du « faites ceci en mémoire de moi ».
L'Église, comme le souligne Maurice Vidal, est née de la Passion et de la résurrection. Avant d'être la mise en pratique d'un culte et d'un repas communautaire, elle passe par un vide qui est celui de l'humilité et de la distance : « on ne passe pas de plain-pied du ministère public de Jésus à l'Église, bien « que ce soit, au départ, approximativement le même groupe. Entre les deux, il y a un vide, créé par la condamnation et la mort de Jésus, pendant lequel ni les disciples, ni même les Douze n'assurent la continuité[537] ». Ce n'est pas précise Vidal plus loin « une défection de l'amitié — ce qu'elle n'a pas été —, mais comme un fléchissement, un trébuchement[538] ». Ce temps est celui de tout homme, pécheur et loin de « ressembler au Christ ». Un temps de vide où l'humanité entière qui doute peut être néanmoins rejoint par un Christ à genou devant l'homme, qui espère en sa conversion et se donne pour sa guérison (cf Jn 13 – Lavement des Pieds) ou qui « marche à ses côtés et explique la parole avant de se retirer au moment de la fraction du Pain (Lc 21 – Pèlerins d'Emmaüs).
Ce temps est celui de l'invitation trinitaire des hommes à la danse, qui constitue et justifie l'existence de l'Église. Ignorer ce temps, qui se renouvelle pour tous dans notre adhésion libre et consciente à l'Église, conversion qui se cristallise ensuite dans notre baptême et dans les sacrements, font de la communauté rassemblée, le lieu d'une Église à construire. C'est pour moi le sens et l'insistance donnée par les deux premiers chapitres de Lumen Gentium, qui précèdent ses développements sur la « nécessaire réalité d'une Église apostolique instituée et nécessairement hiérarchisée. Ce moment et cet ordre doivent être conservés pour donner du sens à sa manifestation liturgique [539]. Car l'unité, la sainteté, la catholicité de l'Église se fondent sur cela. Elle n'est pas imposée, mais une dynamique en perpétuel renouvellement, celle d'un peuple en marche vers la « ressemblance » et en cela vers la véritable sainteté dont Dieu seul rayonne.
Au cœur de cet appel, la proximité de Dieu, dans sa triple kénose se manifeste dans une « présence à fleur de peau »… Une présence délicate qui peut comprendre un retrait. « Il y a dans la fondation de l'Église par Jésus quelque chose d'analogue à la création du monde, dont Claudel disait que Dieu la fait exister comme la mer fait apparaître le continent, en se retirant[540] ». Écoutons, là encore Vidal sur ce point : « Le Royaume est là, comme quelqu'un qui est déjà à la porte (pour l'image, cf. Mc 13, 29), de sorte qu'il n'y a plus de délai pour rester neutre, ni pour se croire digne ou indigne de cette venue. Il n'est pourtant pas encore là, puisqu'il est seulement « tout proche », et cet intervalle définit le temps de la mission, de la prédication, de la conversion. »

[535] Y. M. Congar, L'Église une sainte, catholique et apostolique, in Mysterium Salutis n° 15, Dogmatique de l'histoire du Salut, Tome IV – L'Église communauté de l'homme-Dieu, Cerf, 1970, p. 60-61 : « Principe personnel et vivant (...) qui unit les Églises en une seule (...) et est principe de la sainteté de toutes créatures »
[535] P. 62
[536] P. 63
[537] Maurice Vidal, L'Église, peuple de Dieu dans l'Histoire des hommes, Centurion 1975, p. 42
[538] Ibid. p. 53
[539] Cette « circumincession » des notes de l'Église dont parle Congar, Cf. plus haut
[540] Cité par Vidal, op. cit. p. 54 »

Je teste ici un extrait de ma conclusion de « À genoux devant l'homme ».

14 août 2020

Dépouillement final - Jn 13 sq

Dépouillement final - Jn 13 sq
Déposer son vêtement pour le lavement des pieds c'est aussi, pour le Christ, commencer le dépouillement final.
On pourrait faire une lecture spirituelle qui voit le dénuement du Christ suivi de son action de verser l'eau dans le bassin puis de s'agenouiller devant l'homme comme une symbolique de la soumission finale et du sang versé.
C'est comme on le verra plus loin sous la plume de Xavier Léon-Dufour (1), comme un premier « mime symbolique » de la croix qui se déroule ici.
Il y a alors dans cet axe de lecture une dimension que Pierre ne comprend pas encore, faute d'en avoir la clé ultime. Le lavement des pieds, c'est déjà la Passion, le don final, le sang versé, c'est le jusqu'au bout de l'amour...
Le refus de Pierre prend alors une autre ampleur : au delà du refus de la kénose c'est le refus de la souffrance et de la mort qui est en jeu.

La deuxième piste à méditer est peut-être celle du signe, du sacrement et de la distance qui peut se créer entre le rite et l'agir.
Le rite du jeudi saint n'est rien s'il demeure un mime, un discours en geste au lieu d'être un amour en actes...
On dit que le lavement des pieds n'est pas un sacrement parce que la vie et la mission de l'Église doit être un éternel lavement des pieds... cela reste à prouver dans l'aujourd'hui de nos vies, de nos agir...
À méditer


(1) Xavier Léon-Dufour, Évangile selon saint Jean, tome 3, p. 26 & 60.

11 août 2020

Le premier lavement des pieds - Gen 18, 4

Tradition culturelle d'hospitalité, le lavement des pieds proposé par Abraham, n'est pas à la hauteur du lavement des pieds proposé par Jésus en Jean 13.
Pourtant...
Pourtant il s'inscrit dans cette dynamique même de dépouillement en dépouillement, d'agenouillement en et agenouillement qui conduira Jésus à prendre la place, à la suite des femmes de Galilée à celle qui revient à l'esclave, pour nous montrer la voie de l'amour humble de Dieu.
C'est ce que nous avons peut-être à méditer dans le silence et dans l'attente d'Abram au chêne de Mambré.
Sur le sable fragile d'un homme et d'une femme stérile malgré leur union, Dieu veux construire un peuple, une descendance.
Leçon d'humilité s'il en est que cette stérilité de Sarah qui va jusqu'à rire du projet de Dieu et découvrir pourtant en sa chair que Dieu peut faire germer une graine sur un terrain aride.
Dieu a besoin de nous.
Si nous prêtons nos corps stériles et voués à la ruine à la construction d'un Corps, nous devenons participants, malgré notre indignité à l'édification du Temple.
Il ne s'agit pas d'une Babel éphémère si notre dépouillement reste entier. Il faut accepter de mourir à nos rêves humains pour que le grain prenne corps. C'est dans l'argile de nos échecs que le Seigneur dessine un chemin amoureux...
C'est dans le terreau de nos échecs que Dieu fait jaillir le grain du Verbe.
C'est sur le reniement d'Abram que jaillira la descendance.
C'est sur le reniement de Pierre que se construit l'Église.
Nous ne sommes que des pêcheurs pardonnés.
De nos échecs Dieu fera des victoires.
Sur l'argile du potier, Dieu modèle des amphores.
De la quête attentive de l'homme, de l'accueil humble d'autrui jaillit le signe ultime, l'agenouillement de Dieu devant l'homme qui crie que l'amour est possible.
Si tu veux...
Laisse Dieu agir.
Laisse le te dépouiller de tes désirs humains, de ta quête de pouvoir, pour qu'au fond d'un vase brisé, d'un rideau déchiré, d'un corps mutilé, d'un rêve cassé, d'un cœur transpercé, jaillisse une source nouvelle...

22 juillet 2020

Dépouillement 27 - Détachement et nudité (18eme Dimanche - Année C revisité)

Quel est notre attachement aux biens de ce monde ?

L'insistance de la Parole est presque abusive. Elle est comme un cri de Dieu lancé dans le désert et qui retentit depuis le premier cri de Dieu au jardin.

Où es-tu ? Que cherches -tu ? Où es-ta priorité ?

On peut passer à côté, refuser de l'entendre.

Mais c'est se détourner de l'essentiel. Se détourner de la croix qui crie encore ce « Que cherches -tu ? »

Le matin de Pâques les disciples entendront encore ce qui cherchez-vous qui nous ramène à notre quête.

L'essentiel n'est pas dans l'avoir, la vanité ou la puissance. Il est dans le dépouillement, la nudité, le don...

L'inversion à laquelle nous conduit ce texte c'est le don....

Chez Marc, au jeune homme riche, Jésus redit, comme il le fait à sa manière viens et suis moi.
Donne...
Donne sans compter
Donne sans attendre de retour
Donne jusqu'au bout

Donne jusqu'au bout de ta vie
Car donner c'est aimer.

Le mariage, dis-je souvent à ce que je marie est signe de ce don.
Je me donne à toi..... et je ne le reprendrai pas.
Il est signe seulement de l'indicible don qui jaillit du cœur du Christ et continue de se donner à chaque eucharistie...

L'amour est don
L'amour est dépouillement
L'amour ne cherche pas son intérêt
L'amour prend patience
L'amour c'est donner sans retour

Dieu est amour.

Paul nous fait aller, comme souvent, un pas de plus...
« vous vous êtes revêtus de l'homme nouveau
qui, pour se conformer à l'image de son Créateur,
se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance"
.
Tout est rien, pourrait il dire comme l'a fait la grande Thérèse tout est rien, tout est vanité
« mais il y a le Christ :  il est tout, et en tous. »

Quand nous communions avec lui, il ne s'agit pas de recevoir, mais d'entrer dans la dynamique de Dieu, dans le don...

Porter le Christ c'est être nu, à genoux devant l'homme et donner le meilleur de soi-même. Le dépouillement du Christ qui enlève ses vêtements en Jn 13 pour s'agenouiller devant l'homme et laver les pieds devient le signe du don ultime, du dépouillement d'un Dieu nu, exposé sur la Croix. C'est là où Dieu se révèle, c'est là où Dieu apparaît derrière le déchirement du voile...

09 avril 2020

Au fil de Jean 13 - contempler le Christ à genoux - Homélie du jeudi…

Projet 1 à critiquer / commenter

Voyons nous vraiment avec les yeux du cœur ?

Si nous avions le regard plus attentif, au lieu de chercher Dieu dans les étoiles ou dans les manifestations de puissance, nous pourrions saisir qu'il est là, devant nous, à genoux, comme Marie (Jn 11) ou la femme pécheresse, comme l'esclave qui faisait le geste à son époque.
Le voici à genoux devant Pierre comme devant Judas.
Le voici à genoux devant l’homme*, devant nous, en train de prendre nos pieds avec délicatesse et d'apaiser la fatigue de nos marches, affermir nos hésitations et, surtout pleurer sur le fait que nous ignorons son geste.

Comme le fils qui oublie la peine de sa mère pendant de longues années, comme l'ingrat qui ignore les dons reçus et les considèrent comme propres, nous avons à contempler cet abaissement divin, comme le sommet de toute révélation. C'est devant ce geste de faiblesse, cet agneau immolé, élevé  suite sur la croix, que nous sommes appelés à prendre de la distance par rapport à ce qui nous éloigne de l'essentiel.

Dieu n'est pas dans le tonnerre ou le feu ( cf. 1Rois 19) il est dans ce repas partagé évoqué par Paul (1 Co 6), dans ce geste d'humilité retracé en Jean 13, dans le jusqu'au bout qui donne sens à une vie...

« Ceci est mon corps, qui est pour vous.
Faites cela en mémoire de moi. »



En ce temps de jeûne eucharistique, prenons le temps de contempler que ce n'est pas tant la consommation physique du Corps qui est l'essentiel mais ce Christ qui se donne et se répand comme un fleuve spirituel immense (Jn 19, Ez 47) et à la fois comme la brise légère et insaisissable qui pénètre notre être au delà de toute corporéité. Le Christ se répand de manière plus essentielle que l'eucharistie dans cette réception toute intérieure qui se joue au delà de la présence réelle dans l'intimité d'un cœur à cœur. La liturgie est au service de la révélation, écrin sublime et fragile d'une réalité insaisissable. C'est pourquoi ceux qui ne peuvent communier ne sont pas privés de l'essentiel. Car l'essentiel est ailleurs, il est dans ce désir immense qu’à Dieu de nous habiter et de nous convertir à l'amour. Le moyen est au delà du geste, du lavement des pieds, du pain, de l'eucharistie et du rite, il ne vise que notre réceptivité toute intérieure et fragile de quelque chose qui nous dépasse et nous transcende...

« Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
(...) Vous m'appelez "Maître" et "Seigneur",
et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître,
je vous ai lavé les pieds,
vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C'est un exemple que je vous ai donné
afin que vous fassiez, vous aussi,
comme j'ai fait pour vous. » (Jn 13)

L'interpellation est plus vaste que mon discours, que tout discours.

« Faites ceci en mémoire de moi » n'est-ce pas plus que le geste qui est en jeu. La dynamique sacramentelle (*) dépasse le sacrement.

L'enjeu c'est l'agenouillement, l'enjeu c'est le don...
Ne sacralisons pas l'accessoire.
En nous privant du rite, réalisons que l'essentiel est l'acte d'aimer...

Et contemplons celui qui est là à genoux quand nous courrons vers l’inutile.
« Marthe tu t’agites... » ta sœur a perçu l’essentiel : l’humilité, l’agenouillement, l’amour du faible et du pécheur.

* cf mes essais éponymes.

06 mars 2020

Au fil de Jean 13 – lavement des pieds – plus qu’un sacrement - pédagogie 20

« L'Église a fait de l'eucharistie le sommet des sacrements dont elle vit. Pourquoi le lavement des pieds n'est-il pas devenu à son tour un sacrement de l'Église ? Jésus y a posé le geste, a donné la parole et indiqué le devoir de le répéter. Ce cas est infiniment plus clair que ceux de plusieurs autres sacrements. Après quelques hésitations dans la tradition, la répétition liturgique s'est bornée au geste, devenu formel, accompli par l'évêque ou le prêtre le Jeudi saint. La réponse à cette question est dans la nature du geste lui-même : l'eucharistie est un symbole vrai du sacrifice du Christ. Ici nous sommes pas dans le symbole, mais dans la chose elle-même. Jésus ne demande pas de célébrer mais de réaliser tous les jours, comme il l'a fait lui-même [tout au long de sa vie], le service fraternel. Ce geste accompli le commandement de l'amour que Jésus ne cessera de redire aux siens (cf. Jn 14-17). (...). Ce geste est plus qu'un sacrement : il révèle Jésus (...). Et nous donne en même temps l'exemple et la tâche de servir tous les jours nos frères. Comme la croix, le lavement des pieds est la matrice de tous nos sacrements. Dans cette scène volontairement humble Jésus se révèle tout entier »(1)

On a là le sommet de la pédagogie de Jésus : nous conduire presque sans mots et avant le grand silence de la croix à l'essentiel. Et cette dynamique sacramentelle (2) est plus large que ce l'Église cristallise dans les sacrements : elle devient l'axe même de notre vie, de l'amour...

Jeune diacre je regrettais de ne pas avoir à agir le jeudi saint... L'enjeu n'est pas là, comme je le découvre en lisant Sesboué : le jeudi saint n'est qu'un rappel. La tâche du diacre est un perpétuel lavement des pieds...

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 335
(2) cf. mon essai éponyme

28 février 2020

Pédagogie du Christ - 17

En support au thème de mon livre en préparation, je découvre chez Sesboué la même idée (je n'ai rien inventé) qui nous décrit dans un long chapitre 12 la pédagogie du Christ face au pécheurs. Après l'évocation de Zachée je retiendrais l'épisode chez Simon le pharisien (Mc 14, Lc 7,36sq, Jn 12) où une femme pécheresse vient laver les pieds de Jésus - un geste qui pourrait avoir suscité l'épisode du lavement des pieds ? Plutôt qu'un enseignement moralisateur c'est par une parabole que Jésus travaille le cœur de Simon. «  la pédagogie de [Jésus passe par] une parole qui témoigne de sa même tendresse que vit à vis de la femme »(1)

Le terme de tendresse est bien trouvé. C'est l'amour de Dieu pour l'homme qui se manifeste là et va trouver son apogée dans le lavement des pieds et dans la croix. Suivre cela c'est percevoir tout le chemin et la pédagogie divine qui se manifeste depuis la genèse jusqu'à nous.

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 317

05 juillet 2015

Lavement des pieds - Angelo Roncali

‎Voilà ce que le séminariste de 20 ans, futur pape Jean XXIII, écrivait en décembre 1902 plus de 50 ans avant d'initier le Concile Vatican II : "Jésus se penche pour laver les pieds des douze malheureux pêcheurs... Voilà la véritable démocratie, dont nous devons, nous ecclésiastiques, présenter au peuple l'image éloquente" (1)


Sans commentaires

‎(1) Angelo Roncali - Jean XXIII , journal de l'âme, Paris, Cerf, 1964, p. 181


05 juin 2015

Kasper - Serviteur de la joie

‎Nous devons être ambassadeur du Christ, nous dit Kasper, reprenant les termes de Paul. A ce sujet il précise que "le service du prêtre doit être marqué dans son ensemble par son origine christologique (...) correspondre au Christ et (...) ne pas exercer leurs charismes de manière orgueilleuse et dominatrice, mais (...) en termes de service pour la construction de la communauté (...) non pas seigneurs de la foi, mais "serviteur de la joie". (2 Cor 1, 24).
Sans surprise, il évoque alors le lavement des pieds...

Je retrouve là des accents de "Cette église que je cherche à aimer" et de "Serviteur de l'homme. Kénose et diaconie", mes deux études sur la place du ministre et des laïcs dans l'Eglise.

(1) Serviteur de la joie, op. Cit p. 67

19 octobre 2014

Le serviteur - Initiation de recherche - Rendez à César ce qui est à César

Hier soir, à l'occasion de la première communion de mon filleul, j'ai entendu une homélie bien belle sur le "rendez à César", J'ai apprécié particulièrement cette remarque du prêtre que je traduis de mémoire : "L'Église a toujours souffert de s'allier au pouvoir, parce que la politique a toujours détourné l’Évangile à son profit". Et le prêtre a illustré avec justesse ses propos par le dramatique "Gott mitt uns" du Reich. Mais on pourrait citer d'autres tristes appropriation de la Parole.

Quelle est la dérive ? Si l'on revient sur la triple tentation telle qu'elle se révèle dans les tentations au désert (Avoir, Pouvoir et Valoir), un chemin ecclésial serait à trouver ailleurs. Or, sur le vitrail de l'église de Saint Jacques à Cognac où je me tenais, était inscrit : "Ego sum via, veritas, vita" : "Je suis le chemin, la vérité et la vie". En quoi est-il chemin ? Quel a été son apport ?

Ce matin, je me réveille en méditant cela. On dit souvent que l'eucharistie est le sommet des sacrements, mais a t-on lu jusqu'au bout le message ? Oui si l'on ne lit que les synoptiques. Une lecture symphonique qui englobe Jean apporte un petit détail sur le "faites ceci en mémoire de moi" : le lavement des pieds. J'ai déjà rapporté dans "A genoux devant l'homme", combien ce qui aurait pu être un sacrement n'a pas été retenu comme tel, parce qu'il était au centre du message. Une vision de la kénose (humilité) et de la diaconie qui s'est plus tard effritée par le jeu du pouvoir.

Dans la tradition juive, le maître du repas partageait d'abord à ses invités le plat et attendait que tout le monde soit servi pour manger. C'est probablement comme cela que s'est vécu le dernier repas du Christ avec ses disciples. Jean nous apporte, quant à lui, un autre détail sur le jusqu'au bout du Christ serviteur. La logique d'un Christ serviteur apportée par le quatrième évangéliste, qui va jusqu'au lavement des pieds de Judas, serait de faire de nos eucharisties un signe efficace de cette diaconie du Christ et de son Église. Cela a des implications sur la manière de voir la messe : non pas comme un sacrement exécuté par celui qui détient le pouvoir, mais comme :

  • le lieu où le prêtre se fait serviteur de la communion de son Église (1), 
  • comme un lieu où l'on ôte ses sandales devant l'autre (2), tous les baptisés et ceux qui ne le sont que dans leur coeur (quels que soient leurs états de vie apparents)  parce qu'ils sont aussi signes de l'amour du Christ, semences du Verbe.
  • comme un lieu où chacun est invité à humaniser sa vie (3), entrer dans une danse (4) diaconique (5) pour atteindre cette vérité où se conjugue nos fragilités.
L'Arche a bien compris cela en faisant de ses lavements des pieds un sacrement communautaire, où chacun lave les pieds de son voisin, par groupe de 12. 
Nous oublions trop souvent ce que veut dire "communier". Dans une conférence donnée à Nice, j'avais souligné l'importance de rendre chacun actif (6). Quand nos eucharisties restent passives, nous oublions que nous sommes tous égaux, en tant que baptisés (et donc prêtre, prophète et roi) de la nouvelle alliance, donc de ce "faire mémoire". 
Nous passons trop vite sur le dialogue avec le prêtre qui lui donne le droit, au début de la consécration, d'agir en notre nom à tous...
Au cours de la messe d'hier, j'ai aimé accompagner le petit Timothée dans la quête. Alors que son grand/petit frère, allait communier au pain de vie, il était aussi acteur, par son geste, de la communion qui se jouait, du haut de ses 6 ans...Nos eucharisties, trop souvent figées dans le rite, perd parfois cet élan de communion et d'amour qui devrait nous habiter.


(1) Voir les dérives rapportées par Paul sur les pratiques des premiers chrétiens, où les esclaves arrivant les derniers au repas ne trouvaient que des miettes...
(2) cf. le texte sur le constat à mi-parcours du Synode sur la famille.
(3) Cf. Varillon, Joie de vivre, joie de croire
(4) Cf. La danse trinitaire
(5) cf. mes propos rapportés plus tôt sur la diaconie
(6) cf. Réflexions sur l'engagement


NB : Une lumière matinale que vous me verrez probablement creuser dans ce blog et qui donnera peut-être naissance à un nouveau petit opus (encore un, me direz vous !) que j'appellerai peut-être Le serviteur, kénose et danse diaconique...Il reprendra les premiers éléments déjà intégrés dans la deuxième version de Chemins d'Eglise ou j'ai rajouté à mes propos sur la diaconie, une lecture cursive des premières lettres de Paul) - en téléchargement libre, cf. post précédent.


06 juin 2014

Saint Philippe -V, Heureux les artisans de paix - La guerre juste ? Doctrine sociale de l'Eglise


Je vous confie le CR d'une réunion à Saint-Philippe :

Lecture-prière :
« La foule l'interrogeait, disant: Que devons-nous donc faire?
Il leur répondit: Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a point, et que celui qui a de quoi manger agisse de même.
Il vint aussi des publicains pour être baptisés, et ils lui dirent: Maître, que devons-nous faire?
Il leur répondit: N'exigez rien au delà de ce qui vous a été ordonnéDes soldats aussi lui demandèrent: Et nous, que devons-nous faire? Il leur répondit: Ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde.» Luc 3, 11-14

Après une lecture de Luc 3, un participant interroge le groupe sur la méthodologie. Doit-on privilégier raisonnement ou témoignage ?
Réponse unanime des autres participants : Il serait bon de conserver les deux, pour ne pas rester dans les « grandes idées » et tenir compte de nos diversités et des apports de notre vie.

La lecture du chapitre 8 de notre livret ne portait pas uniquement sur le droit de faire la guerre mais était double. Outre la question de la juste guerre, on peut aussi parler de la violence y compris dans notre environnement et de notre capacité d'y répondre.

Un participant souligne que la réponse du Christ à la violence est le lavements des pieds de Judas et la mort sur la Croix. Un chemin qui fait signe pour discerner notre manière de répondre à l'agression ?

Mais, dit un autre participant, le Christ n'a pas été tendre avec les changeurs et les vendeurs de colombes du Temple.

Marc 11 : « Ils arrivèrent à Jérusalem, et Jésus entra dans le temple. Il se mit à chasser ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons ; et il ne laissait personne transporter aucun objet à travers le temple.
Et il enseignait et disait: N'est-il pas écrit: Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. »

Etait-ce une sainte colère ? D'autres précisent que le Christ a renversé les tables mais n'a pas ouvert les cages. S'il est en colère, c'est parce que l'on a fait du Temple un lieu de marchandages.

A propos de la guerre juste que dit le Catéchisme ?

Extrait cité :
2307 Le cinquième commandement interdit la destruction volontaire de la vie humaine. A cause des maux et des injustices qu’entraîne toute guerre, l’Église presse instamment chacun de prier et d’agir pour que la Bonté divine nous libère de l’antique servitude de la guerre (cf. GS 81, § 4).
2308 Chacun des citoyens et des gouvernants est tenu d’œuvrer pour éviter les guerres.
Aussi longtemps cependant " que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifiques, le droit de légitime défense " (GS 79, § 4).
2309 Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois :
Que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain.
Que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces.
Que soient réunies les conditions sérieuses de succès.
Que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition.
Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la " guerre juste ".
L’appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun. (...)

Il faut donc des moyens adéquats qui savent s'arrêter !
Questions posées : Quel but, comment on s'arrête ?
Tout est centré sur les éléments déjà évoqués de bien commun (cf. post précédent)

Un discernement est à opérer dans ces choix, en particulier sur les éléments qui conduisent en nous à la violence.

Le chemin évangélique est plutôt celui de l'humilité et de la fragilité.
On revient sur les thèmes déjà évoqués de « Tentation de pouvoir » à opposer à « un Dieu de faiblesse » dont le message central reste la croix.

Tendre la joue gauche ?
Cela est, de fait, différent de retendre la joue droite (ce qui serait du masochisme) mais regarder, comme le dit Lévinas, le visage de l'autre, l'interpeller, sans juger la personne, peut-être en l'interpellant sur les actes.

Doit-on lutter contre l'immoralité ?
Y a-t-il une réponse binaire ? Non, dit F., la réponse est trinitaire, elle est de l'ordre de l'expérience de toute vie qui accueille en son cœur la présence de Dieu comme interlocuteur privilégié.

On évoque aussi la question du dolorisme, du sacrifice, des chrétiens qui étant dans le sacrifice oublie la joie...

Oui, mais un participant souligne que notre « attitude catho » conduit à être mis au banc de la société. On rappelle à ce sujet le discours de Jn 15 :

« Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres. Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui; mais parce que vous n'êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait.
Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite: Le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. Mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé. »

Pharisaïsme et extrémismes sont à éviter...
Le terrorisme est une notion vague souligne quelqu'un. Certes, et pourtant toute forme d'extrémisme est violence...

A propos du Génocide voir aussi ce que dit la DSE au n°506 :

« Les tentatives d'élimination des groupes entiers, nationaux, ethniques, religieux ou linguistiques, sont des délits contre Dieu et contre l'humanité elle-même et les responsables de ces crimes doivent être appelés à en répondre face à la justice. Le XXème siècle a été tragiquement marqué par différents génocides: du génocide arménien à celui des Ukrainiens, du génocide des Cambodgiens à ceux perpétrés en Afrique et dans les Balkans. Parmi eux celui du peuple juif, la Shoah, prend un relief particulier: « Les jours de la Shoah ont marqué une vraie nuit dans l'histoire, enregistrant des crimes inouïs contre Dieu et contre l'homme ».

La Communauté internationale dans son ensemble a l'obligation morale d'intervenir en faveur des groupes dont la survie même est menacée ou dont les droits fondamentaux sont massivement violés. Les États, en tant que faisant partie d'une Communauté internationale, ne peuvent pas demeurer indifférents: au contraire, si tous les autres moyens à disposition devaient se révéler inefficaces, il est « légitime, et c'est même un devoir, de recourir à des initiatives concrètes pour désarmer l'agresseur ». Le principe de souveraineté nationale ne peut pas être invoqué comme motif pour empêcher une intervention visant à défendre les victimes. Les mesures adoptées doivent être mises en œuvre dans le plein respect du droit international et du principe fondamental de l'égalité entre les États.

La Communauté internationale s'est également dotée d'une Cour Pénale Internationale pour punir les responsables d'actes particulièrement graves: crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et d'agression. Le Magistère n'a pas manqué d'encourager à maintes reprises cette initiative. »

Un participant dénonce l'attitude américaine au Kosowo. D'autres parlent des guerres entre croates et serbes. Un lieu où l'homme se laisse aller à la violence. Là aussi, l'Église a été marquée par l'action en sein du péché des hommes, même si elle demeure en chemin vers la sainteté.

Le royaume est à venir et il est aussi, par des endroits, déjà présent parmi nous.
L'amour est plus fort que la mort. Telle est notre espérance...

V. a le mot de la fin : « Heureux les artisans de paix ».

Prochaine réunion, le 2 juillet, pour préparer l'année prochaine.
Parmi les propositions : Lecture cursive et dynamique d'Evangelii Gaudium », Exhortation apostolique du Pape François, 24 novembre 2013.
Lieu : le premier mercredi de chaque mois à Saint-Philippe du Roule, Paris 8° 12h30 (salle Baltard) 


Pour aller plus loin :

A – Textes de référence

B – Autres apports

18 mars 2014

Banquet de la Parole - II - A propos du lavement des pieds

Au sujet du lavement des pieds, je vous redonne un petit extrait qui me semble bien illustrer l'enjeu :

"On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n’était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les 4 recensions n’ont pu déroger à une lecture semblable . Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n’est raconté que par Jean et remplace le récit de l’institution de l’eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées
dans ce cadre.
Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d’une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité
dans l’amour.
Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique . Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l’amour de Dieu et de l’amour des
hommes au sein d’une communauté vivante.
Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l’attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s’identifie ici.
On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l’absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n’avaient pas
le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.
Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d’attacher de l’importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l’eucharistie : une double tension vers Dieu
et vers autrui...

Pour compléter cette approche centrée sur l’Évangile selon saint Jean, il convient de chercher d’autres références dans les textes du Nouveau Testament.
Le « lavement des pieds » a, chez les Synoptiques, une autre dimension. Chez Luc, c’est une femme pécheresse qui vient laver les pieds de Jésus de ses larmes (Lc 7, 35). Cette mise en perspective confirme notre intuition. À partir de ce geste du pécheur pardonné, Jean nous conduit progressivement sur une autre voie. Il attribue ce geste à Marie de Béthanie puis à Jésus. Cette progression et l’inversion qu’elle sous-entend renforcent l’aspect révolutionnaire de ce geste.
Pour ce qui est de la tension maître-serviteur, elle n’est pas unique à l’Évangile selon Jean. On trouve déjà une allusion au maître qui se fait serviteur dans l’inversion surprenante de la parabole de Luc 12, 37 « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, les fera mettre à table et passera pour les servir ». Nous sommes là dans une continuité avec l’esprit des Synoptiques , à la différence près que Jésus passe aux actes. Il ne s’agit plus d’un discours, mais de gestes.
Enfin, on ne peut ignorer que Luc a mis dans les paroles de Jésus, ce qu’il aurait accompli selon Jean : 1 « Vous, (ne faites) pas ainsi ; mais que le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Qui, en effet, est le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, au milieu de vous, je suis comme celui qui
sert. » Lc 22, 26-27
De même, Paul, dans son hymne aux Philippiens insiste sur la kénose du Fils : « il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est vidé de lui-même, prenant la condition de
serviteur, jusqu’à la mort sur une croix » (Ph 2). Ce que nous avons souligné chez Jean demeure au cœur même de la pédagogie de Dieu.
Le lavement des pieds n’est donc pas un épisode anodin dans la révélation du Fils. L’agenouillement de Jésus devant les hommes s’inscrit sur le chemin où le Fils de Dieu va jusqu’au silence de la croix, au cri d’amour lancé à l’humanité tout entière.
Chez les Synoptiques, d’autres textes feront écho à cette faiblesse de Dieu devant l’homme. On en trouvera la trace dans l’attitude de Jésus devant Zachée (Lc 19). « Il est descendu à Jéricho », a souligné le texte. Pour les Pères de l'Église, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, cette seule introduction dit tout de l’attitude de Jésus. Jéricho, c’est le domaine des hommes à la différence de la cité de Dieu : Jérusalem. On descend vers l’humanité quand on va vers Jéricho, on monte vers Dieu quand on se dirige vers Jérusalem. Que Jésus veuille habiter dans la maison
du collecteur d’impôts, au cœur même de Jéricho, n’est pas en contradiction avec le lavement des pieds. Bien au contraire, il semble important de souligner là cette pédagogie spéciale du
Christ vers les « brebis perdues ».
Au terme de cette mise en perspective, une autre intuition se confirme. Si Dieu s’agenouille devant l’homme, s’il demande à boire à la Samaritaine, s’il s’invite chez Zachée, alors le « j’ai soif » de Jn 19 pourrait ne pas sonner uniquement comme une évocation du Psaume 22, comme le cri d’un homme assoiffé sur une croix. Il prend une dimension plus vaste plus essentielle.
C’est le cri de Dieu qui résonne encore, depuis l’« Où es-tu » du jardin (Gn 3). Le cri du Christ en Croix peut dépasser chez Jean la seule dimension charnelle de l’homme abandonné qu’il a surtout dans les autres Évangiles, pour résonner aussi de l’appel que Dieu fait à tout homme. Comme nous l’avons esquissé à propos de Judas, c’est un « J’ai soif de toi »"

Extrait de mon essai : "A genoux devant l'homme", p. 52ss


Notes :
Cf. Dodd, , La tradition historique du IV° Evangile, Lectio Divina n° 128, Éditions du
Cerf, 1987, trad° Maurice et Simone Montabrut, Éd. Originale : Historical Tradition in the
Fourth Gospel, Cambridge Press, 1963, p. 38
On parle déjà de la fraction du pain en Act 20, 7

Cf. aussi Mc 9, 35 et 10, 43-45, Mt 20, de Jésus, cf. aussi C.H. Dodd, ibid. p. 89ss
26-27 Sur la tradition pré-paulinienne de l’humilité

05 décembre 2009

Le Dernier Pont


Voici le fruit d'une longue méditation sur la Passion chez Jean. "Le Dernier Pont" est celui tracé par l'Evangéliste entre le lavement des pieds et la croix, une invitation à l'homme qui révèle, au delà de l'élévation, l'amour infini de Dieu pour l'homme. Ce livre, qui reprend les méthodes de lecture narrative de l'exégèse moderne, intègre aussi notre dernière méditation "Dieu de Faiblesse" et en annexe l'intégralité du blog de Lectio Divina - Selon Saint Jean avec la plupart de ses commentaires. Ce blog, créé avec quelques amis de 2006 à 2007 avait pour objet de méditer l'Evangile, au jour le jour.

Le dernier pont est un livre à offrir à ceux qui veulent partir sur les pas de l'évangéliste et méditer sur la mélodie de l'auteur au sein de la symphonie pastorale des 4 évangiles.

Publié au profit d'une oeuvre d'évangélisation, Le Dernier Pont est la 6ème contemplation publiée par Claude Hériard.

11 novembre 2009

Dieu de faiblesse



Je l'ai présenté entre les lignes dans les posts précédents...
Dieu de faiblesse est la cinquième contemplation de l'amphore et le Fleuve.
A la différence des quatre premières et dans la lignée de cette réflexion sur la réception, elle est disponible gratuitement en téléchargement au lecteur. Comment oser d'ailleurs vous demander de payer ce que j'ai reçu d'ailleurs. Si mes autres publications étaient au profit des associations que je soutiens, ces quelques pages sont un cadeau aux chercheurs fidèles qui soutiennent cet essai de lecture. Issu de la contemplation de Varone (Ce Dieu que je cherche à comprendre), Jürgen Moltmann (Le Dieu crucifié, Théologie de l'Espérance) et Joseph Moingt (L'homme qui venait de Dieu, Dieu qui vient à l'homme), Dieu de faiblesse est un petit résumé de ce qui semble être l'axe le plus novateur de la théologie moderne, la contemplation que le "bien connu' de Dieu est mort (un Dieu tout puissant et immuable, fruit de nos projections et de nos philosophies) et que seul un Dieu faible sauvera l'humanité, parce qu'à genoux devant Judas pour lui laver les pieds (cf. Jn 13 et post précédent), Dieu répète encore le cri de l'"où es tu "lancé dans le jardin... (Gn 3).

Comme tous ces travaux de recherche publié chez Lulu, c'est aussi une invitation au dialogue. N'hésitez pas après lecture à partager vos impressions, soit sous ce post, soit dans la page commentaire de http://www.lulu.com/content/7669266, idéalement dans les deux...

Lavement des pieds... quatrième relecture

Une première lecture d'un des sommets de la théologie johannique passe par la double contemplation qui résulte de la structure même du récit en narrativité. La première partie du texte, au sein même du dialogue entre Jésus et Pierre (Jn 13, 6-10) nous invite à nous laisser purifier par le Christ et donc à recevoir le pardon de Dieu, avec une pointe donnée dans le verset 8 : "Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras point part avec moi" (*). La deuxième, donnée par la deuxième partie (12-20) est une invitation à l'amour communautaire et réciproque. Mais au sein même de l'ensemble de l'attitude de Jésus, nous entrons également en résonance avec le propre chemin de Dieu vers l'homme, cet abaissement de Dieu qui depuis la Shékinah (Gloire du Verbe) qui cherche l'homme dans le jardin (Targum de Gn 3) ne va cesser d'exprimer le "j'ai soif" crié par Dieu à l'humanité... Ce cri trinitaire ne cesse de se conjuguer dans l'Ecriture. On le trouvera dans l'entre-deux de la visite à Mambré, entre-les lignes de l'échange entre Moïse et Dieu en Ex 33, dans la voix d'un fin silence où la tendresse de Dieu vient chercher l'homme juste et lui fait entendre le chant des autres chercheurs de Dieu, le coeur des 7000 (cf. 1 R 19). Dans l'Evangile de Jean, nous l'avons déjà entendu dans le "donne moi à boire" prononcé à la Samaritaine (Jn 4), il sera interprété dans la danse du Fils, au pied de la femme adultère et résonnera dans le cri final prononcé sur la Croix. Au j'ai soif de ton humanité, viendra répondre, comme en écho, la symphonie du don trinitaire, jaillissement infini du fleuve d'amour, face auquel notre amphore reste bien petite...

Plus je médite ce texte plus sa portée, ce sommet théologique, ressemble à cette échelle de médiation présentée en Jn 1,51 où le Christ apparaît à la fois comme l'échelle et le nouveau Jacob (**)... L'échelle est accrochée au sommet du ciel. Ce Dieu de faiblesse révélée dans la kénose du Fils, résonnera chez Paul dans l'affirmation "Dieu lui a donné le nom" (Ph 2)... Jésus est le Christ... (***)


* cf. Y-M Blanchard, Saint Jean, Edit° de l'Atelier, p. 27
** cf. Targum néofiti de Gn 28
*** cf. W. Kasper, Jésus le Christ, Edit° du Cerf...