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14 juillet 2021

La danse de la brise

 La danse de la brise - 3

Qui est Dieu ? 

Comment se dévoile t-il progressivement à l’homme avant la déchirure du voile de Marc 15, 38  ? 

Il y aurait beaucoup à dire sur le chapitre 19 du premier livre des Rois et les commentaires ne manquent pas. Je ne peux évoquer le cycle dElie (cf. mes deux posts précédents) sans relever deux grandes découvertes dans la manducation de ce texte, central à bien des égards dans la pédagogie divine.

On vient ici de loin après les interrogations levées par Gn 2 à 4, 22sq, voire les théophanies progressives du livre de l’Exode (notamment 19 et 33-34).


Après l’erreur d’Elie qui massacre les prêtres et sa fuite (40 jours au désert) jusqu’à une presqu’agonie où le malak ( l’ange de toutes les théophanies de l’AT) le soutient, voici le prophète à bout. Et c’est là que Dieu choisit de faire signe, non dans le tonnerre mais dans ce que certains traduisent par « le bruit d’un fin silence ».


Le centre de la théophanie est encadré par une répétition longue, un peu surprenante pour certains commentateurs, plus classique pour d’autres. On pourrait éventuellement considérer qu’il s’agit d’une structure littéraire qu’on appelle concentrique (ou chiasme de type ABCBA) autour d’un C central constituant LA  révélation avec une répétition presque exacte de l’échange d’un long dialogue entre la « voix de Yhwh » et Élie. Relisons la traduction littérale de l’hébreu : 


A « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre » aux versets 9 et 10 

  B- Sors et tu te tiendras dans la montagne (v11) (…)

     C  Après le feu une voix de silence ténu

  B’ -  il sortit et il se tint à l’entrée (v 13)

A’ « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre ». (v13 et

14)


L’enjeu du texte se concentre dans les modes de révélation de Dieu et cette « métaphore vive » qui décrit une expérience par analogie (Dieu est comparé à une brise), tout en maintenant une tension. L’indicible est ici au « service » du lecteur, le conduisant progressivement à un décentrement de sa propre vision de Dieu. On est là au cœur même du projet de révélation de Dieu au monde, qui ne raye pas d’un trait toutes les impressions et révélations antérieures, mais vient corriger par petites touches et avec tendresse, ce que l’homme perçoit de l’imperceptible.


1 - La question difficile posée par la répétition des v.9-10 au v.13-14


La question « Quoi pour toi ici Élie ? »

interpelle. Est-ce Dieu qui veut la présence d’Élie

ou Élie qui cherche Dieu ? 


Il me semble qu’il ne faut pas répondre trop vite, mais plutôt maintenir cette tension. Il y a, rappelons-le, l’état dépressif du prophète qui le pousse dans sa quête, mais également, très vite, l’accompagnement du messager. On peut dire que le désir de Dieu est au cœur d’Élie, mais qu’il est aussi, d’une certaine manière, conduit et accompagné au désert… La main de Dieu reste sur lui, pourrait-on dire, en écho au chapitre 18.

On peut y voir à l’inverse une certaine forme d’ironie, qui semble remettre en cause sa raison d’être et la réalité de sa mission de prophète. Pour rebondir sur l’interrogation soulevée par A. Wénin sur l’auto-proclamation d’Élie en « superbaal », (cf. mon billet 2) on peut se demander si Dieu ne joue pas sur une mise en distance entre les prétentions prophétiques de l’homme et la réalité même de Dieu. Cette thèse pourrait expliquer que la mission principale qui lui sera confiée à la fin du chapitre soit celle d’oindre un successeur.

Certains commentateurs notent même que la répétition des versets 13 et 14 semblerait dire qu’Élie n’est pas affecté par la révélation. Qu’il passe à côté de l’essentiel.

Il reste insensible à ce qu’il voit. Cela renforcerait

l’idée qu’il n’est pas digne de sa tâche. Mais cela contraste avec les égards qui lui sont donnés au chapitresuivant (enlèvement, transfiguration). Il semble donc difficile de se prononcer dans un sens ou dans l’autre. (…) l’apparition divine n’est pas de son ressort, mais tient-elle uniquement de la liberté de Dieu… ?


C’est une question qu’il faudrait aussi poser à propos du

chapitre précédent, mais plus généralement dès que nous avons le sentiment de maîtriser Dieu.

N’est-ce pas en effet LA question que nous avons soulevée tout au long de ce parcours. L’homme a-t-il une influence sur Dieu, ou Dieu choisit-il d’apparaître  que lorsqu’on consent à accueillir humblement sa venue, ou comme le suggère Marion dans son dernier livre vient il inattendu d’ailleurs ? 

« Retire tes sandales » nous semble dire à nouveau ce

texte ? (1)


2- quelle révélation ? 


Ce qui ressort de mon long travail sur ce point (2) est que nous n’aurions pas là une seule « définition de

Dieu », mais comme souvent dans l’Ancien Testament,

plusieurs concepts en concurrence. Et nous restons bien dans cette tension, même si le texte introduit une faille que beaucoup ont exploitée, non sans raison, à la lumière du Nouveau Testament pour décrire la tendresse de Dieu.


On peut citer quelques points communs fréquents dans ce type de rencontre à toutes les révélations divines : un lieu à part, une rencontre privée, une mission donnée, une reconnaissance, qui marquent un style littéraire propre à toutes les théophanies de l’AT.


À chaque situation où la violence semble la solution, l’humilité du chercheur y trouve une autre voix, fragile, ténue, celle où Dieu se révèle entre les lignes.

Et c’est ici probablement que l’on peut considérer un sommet dans ce mouvement de dévoilement.


Il n’est pas anodin de souligner que les quarante

jours au désert font écho aux quarante ans de l’exode, mais aussi à la tentation du Christ. 


L’agonie du prophète peut aussi servir de toile de fond à la tentation du Christ au désert et à son agonie sur le Mont des Oliviers, comme le souligne C. H.Roquet


Ce qui ce joue ici, reste une nuit obscure, une insoutenable agonie du juste, qui doit faire le deuil de son orgueil ultime pour être disponible à la vraie rencontre.(...) 


Il serait vain de traduire ce que trois mille ans d’interprétation ont pu produire sur un texte aussi travaillé que celui-ci.


Notons cependant quelques interprétations qui paraissent originales. Parmi celles-ci, on peut noter celle de Grégoire le Grand qui préfigure, il me semble, ce qui pourra être repris par une théologie rahnérienne sur l’inhabitation de Dieu en l’homme.

 « L’homme dit Grégoire le Grand, n’est plus tout entier à l’intérieur de sa caverne, parce que le souci de la chair

ne l’importe plus, et il se tient à la porte, parce

qu’il médite de sortir hors des étroites limites

de la condition mortelle… Tendre l’oreille et se voiler

le visage, c’est écouter par l’esprit la voix de

l’Être au-dedans, et en même temps détourner

les yeux du cœur de toute forme corporelle, de peur d’imaginer quoi ce soit de matériel dans cet Être qui est partout tout entier et sans limites ».

On pourrait aussi citer Irénée ou Augustin (2) assez classiques dans leurs interprétations bien résumées chez François de Sales  « Dieu n'est ni au vent fort, ni en l'agitation, ni en ces feux, mais en cette douce et tranquille portée d'un vent presque imperceptible ».


Il nous faut, cependant, garder dans ce contexte une grande prudence sur ce qui est révélé de Dieu, même si le contraste avec les premières théophanies est saisissant. Beauchamp insiste à sa manière sur ce point en soulignant que la conversion vient de Dieu et non pas de nous. « Cela n’a pas pour but de nous faire admirer l’homme, mais de nous faire admirer l’action que Dieu exerce en transformant l’homme. Il faut donc que rien de l’homme ne soit caché. Le but est de montrer que nous sommes imparfaits ».

Car ce n’est qu’en percevant nos imperfections répétées que nous prenons conscience que les « publicains et les prostituées nous précèdent dans le royaume » (Mat. 21, 28-32), que Dieu se révèle aux simples et que notre propre conversion ne peut que se faire dans l’humilité.


C’est peut-être en effet dans la transformation du cœur d’Élie que se révèle le mystère, avec, comme par effet boomerang, ce qu’il conduit à révéler en nous. Car le piège, ajoute Beauchamp, serait de nous considérer comme supérieurs aux juifs, exempts de cette violence et proche du vrai Dieu. Notre chemin reste à parfaire et c’est en cela que le texte nous interpelle. 


Ce qui m’a le plus frappé dans ma recherche c’est qu’au lieu de réduire « la voix d’un fin silence » à une simple révélation d’un Dieu du silence s’ajoute plusieurs facettes et interprétations - j’en compte une dizaine (2) - jusqu’à celle qui suggère que ce qu’entend Élie est finalement une simple prière ou le chant des anges, ce qui renforce ce sentiment de petitesse.

Cette dernière montrerait ainsi que Dieu n’est pas plus présent qu’en Exode 34 où Dieu ne révèle que son dos…

Se pourrait-il qu’Élie découvre au bout de sa quête qu’il y a, au-devant de lui, plus près encore de lui, une assemblée de priants qui se tient là. Il se croyait seul, et il oublie « le reste » des hommes évoqués à la fin du chapitre.


Il n’est pas le seul ! 


À l’ultime tentation de se croire unique dépositaire de la vérité se heurte la prise de conscience qu’on ne peut rien sans Dieu et les autres.


Cela ne peut que renforcer notre propre petitesse, dans cette quête.

Nous ne trouverons pas Dieu tout seuls, mais c’est dans la communauté des priants qu’il se révélerait…

Cette vision fait écho à celle de Qumrân et de la liturgie des anges, clairement identifiée à ce texte du livre des Rois.

On pourrait conforter alors la thèse de ceux qui affirment qu’Élie n’a en fait rien vu de la réalité de Dieu, que la vision de Dieu lui a été refusée en partie.

Cessons alors d’affirmer que l’on sait mieux que les autres qui est Dieu et laissons Le continuer à nous déranger 😉 


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir Pédagogie divine en téléchargement libre sur le site de la Fnac pour le développement complet de cette analyse qui n’est ici que résumée.


À suivre  - quelques notes en regard sur le dernier livre de Marion qui interpelle à sa manière cette révélation venue d’ailleurs