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10 juin 2022

Danse trinitaire ? 2.64

 Paul dans la deuxième lecture de ce dimanche évoque notre détresse, bien présente aujourd’hui. Il nous introduit pourtant à la persévérance puis à l’espérance… (Rom 5) 

Pouvons nous voir la lumière ?

Peut-être en écoutant ce que nous glisse Jésus, à la veille même de sa mort…

Vous ne pouvez pas encore porter tout cela…

Mais…

Mais « quand il viendra (...) l’Esprit vous conduira à la Vérité toute entière » Jn 16 

Le mot conduire n’est il pas à entendre dans cette discrétion particulière de Dieu, qui ne s’impose pas, mais nous accompagne sur ses chemins de liberté… ? 


Le livre des Proverbes nous donne la clé de cette tendresse discrète de Dieu. 

« je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes (...) , j’étais là, (...) je grandissais à ses côtés »


La sainte Trinité que nous fêtons dimanche nous est présentée par Jésus comme le point ultime de la révélation au terme de son grand discours du chapitre 16 de Jean.


Révélation mais sommet aussi de cette lente pédagogie d’un Dieu qui nous fait goûter cette danse (1) discrète d’une Trinité qui se penche amoureusement vers l’homme.


Depuis cette danse originelle du souffle sur les eaux, que nous chante à sa manière le livre des Proverbes, jusqu’à la triple humilité, au delà des nos détresses évoquées par Paul se révèle la triple humilité / miséricorde de Dieu.

 1. Ce Père qui se retire devant l’amour du Fils jusqu’à cette « gloire » fragile évoquée par Jésus qui ne sera qu’un homme nu, signe de l’amour, dressé sur le bois de la Croix. 

 2. Nudité qui révèle cette humilité du Fils qui s’efface maintenant pour concéder, à son tour que la vérité viendra en nous par l’Esprit

 3. Esprit, enfin, souffle fragile que la Pentecôte rend à peine visible dans des langues de feu avant de s’effacer dans nos profondeurs intérieures. Esprit qui demeure en nous comme une flamme légère, avant de s’embraser à nouveau quand, ouvrant notre cœur, se réveille le feu joyeux de l’Amour.

C’est bien d’une danse qu’il s’agit…

Danse humble, des trois personnes [triple humilité/kénose (3)] qui s’efface tour à tour devant l’autre et que le prologue grec de Jean résume dans un petit mot « pros ». Tourné vers. (2).

Le Fils tout tourné vers le Père dont il reçoit et transmet l’amour…


Amour et dessaisissement. Ce que nous fait goûter l’évangile se perçoit si bien dans le regard croisé de la belle icône de Roublev qui nous fait percevoir que chacun s’efface tour à tour pour laisser l’autre devenir.




N’est-ce pas cela l’amour d’agapè qui est effacement, qui « ne cherche pas son intérêt mais prend patience, endure tout, excuse tout ».(1 Co 13).


Tourbillon(4), danse ? 

C’est dans cette symphonie du retrait réciproque que l’amour se révéle et nous entraîne loin de nos détresses.

Amour, Inaccessible rêve ? (5)

Non !

Dieu est là. À nos côtés. Il est le chemin…

Et l’Esprit, enfin révélé dans cette révélation finale, qui nous conduit de la persévérance à l’espérance est la force qui nous conduit, par la danse fragile en nos cœurs blessés à dépasser nos insuffisances bien humaines…pour devenir les mains fragiles de l’amour donné.


(1) cf. la thèse d’Emmanuel Durand Emmanuel Durand, La Périchorèse des Personnes divines, Cerf, Collection Cogitatio Fidei - N° 243. 416 pages - mars 2005. https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/1993/la-perichorese-des-personnes-divines qui m’a bcp inspiré dans ce sens.


(2) voir sur Kobo Fnac mes essais Dieu dépouillé et À genoux devant l’homme https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/pedagogie-divine-3


(3) cf. la 3eme partie de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar 


(4) Ce mystère trinitaire que les pères de l’Église appelaient d’un mot double évoquant cercle et intériorité (circumincession) un ami l’évoque sous le beau concept de tourbillon.


(5) révélation pour moi dans cette belle interprétation de Monteverdi, lamentatio de la Ninja https://youtu.be/zsL4MGFh6QI

18 avril 2022

Kénose

 Tout perdre, y compris celui que son cœur aime.

Avancer dans la nuit et le vide.

Ne plus se laisser distraire

Entrer au service 

Se mettre à genoux

Panser les plaies.

Se dépouiller

Kénose 

Impossible chemin ?

Quête inaccessible à l’homme ?

Rejoindre Celui qui nous précède ?

Tâcher de Le saisir et finalement se laisser saisir ?


Écoutons Simon…:


« Femme, qui cherches-tu ? » (Jn 20,15)


Ne te relâche pas, mon âme, dans la poursuite du Maître,

mais comme une âme qui s’est une bonne fois livrée d’elle-même à la mort,

ne tâtonne pas à la recherche de tes aises, ne poursuis pas la gloire,

ni la jouissance du corps, ni l’affection de tes proches,

ne jette pas un coup d’œil à droite, pas un coup d’œil à gauche,

mais, comme tu as commencé, et même de plus belle, cours,

hâte-toi sans répit pour atteindre, pour saisir le Maître !

Quand bien même il disparaîtrait dix mille fois et dix mille fois t’apparaîtrait,

et qu’ainsi l’insaisissable serait pour toi saisissable,

dix mille fois, ou plutôt tant que tu respires,

redouble d’ardeur à sa poursuite et cours vers lui !

Car il ne t’abandonnera pas, il ne t’oubliera pas,

peu à peu, au contraire, de mieux en mieux il se montrera,

plus fréquente se fera pour toi, mon âme, la présence du Maître

et, après t’avoir parfaitement purifié par l’éclat de sa lumière,

lui-même tout entier viendra en toi, lui-même habitera en toi,

lui-même sera avec toi, lui l’auteur du monde,

et tu posséderas la richesse véritable que le monde ne possède pas,

que seuls possèdent le ciel et ceux qui sont inscrits dans les cieux. (…)

Celui qui a fait le ciel, le Maître de la terre

et de tout ce qui est dans le Ciel et de tout ce qui est dans le monde,

le Créateur, lui le seul Juge, lui le seul Roi,

c’est lui qui habite en toi, c’est lui qui se montre en toi,

qui tout entier t’éclaire de sa lumière et te fait voir la beauté

de son visage, qui t’accorde de le voir en personne

plus distinctement, qui te donne part à sa propre gloire.

Dis-moi, qu’existe-t-il de plus grand que cela ? (1)


(1) Syméon le Nouveau Théologien (v. 949-1022)

moine grec

Hymnes 48, SC 196 (Hymnes III ; trad. J. Paramelle et L. Neyrand, éd du Cerf, 2003 ; p. 141-143 ; rev.)

10 avril 2022

La passion selon saint Luc - Petite méditation fragile

 Qu’est ce qui distingue la lecture de Luc des autres synoptiques ?  Quelques clés de lecture.

1. Un Dieu à genoux

Sans aller jusqu’au lavement des pieds, Luc insiste sur le renversement de la vision du messie attendu : « Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. »

Cette petite phrase est à contempler à la double lumière d’un Dieu à genoux devant ses disciples y compris Judas (1) et d’un Dieu qui tombera à genoux en « présentant son dos aux outrages » (Isaïe 50).

Kénose, c’est à dire humilité extrême nous dira Paul en Ph 2. Le messie que vous attendez se révèle dans son agenouillement…



 2. Agonie extrême 

« Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. »

Déjà dans la prière, il va jusqu’à prévoir ce qui l’attend. Devons nous entendre, pouvons nous entendre, comme le fera une mystique (2) que Jésus perçoit que son geste à venir ne servira pas à convertir l’homme, à changer nos cœurs de pierre ?

Sentons nous aussi qu’il va, comme le suggérera A. Von Spyer (3) jusqu’à faire l’expérience du silence du père, ce silence que connaît les grands souffrants et qui est l’extrême de notre condition humaine. Dieu à genoux, à nos côtés, jusqu’au bout…


 3. Le grand silence

« J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas dansé » (Luc 7, 32). Si nous contemplons les gestes de la Passion ce qui surprend chez Luc c’est le quasi silence. Plus de grandes affirmations, mais juste une série de renvois «  C’est toi-même qui le dis ». Renvoie à la conscience intérieure.


 4. Miséricorde

« Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »

C’est le Luc du chapitre 15, celui qui nous a donné la parabole du fils prodigue qui rejaillit ici. Christ est ici à l’extrême de son message. Après le silence qui renvoie à nous mêmes vient l’espérance du pardon… :

« Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »


 5. Le rideau du temple 

« Le rideau du Sanctuaire se déchira par le milieu. »

Ce qui était caché de l’indicible se dévoile. Dieu est là. Luc déchire le rideau du centre, quand Marc le fait de haut en bas… (4) mais le signe est le même, moins spectaculaire que chez Matthieu (5), mais qui vise le cœur. Dieu ne se cache plus, il est là, nu, dépouillé, fragile.


 6. Le dernier cri

« Père, entre tes mains je remets mon esprit. »

Ultime abandon, humilité extrême. Ici pas de cri au Père, pas de Ps 21 murmuré dans l’agonie finale, mais un message de soumission à la tendresse paternelle « entre tes mains », dans ta tendresse, je m’abandonne à toi…

   

 7. Le centurion

À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : « Celui-ci était réellement un homme juste. »

Marc en fait le sommet de la révélation et met dans la bouche du centurion la révélation qu’il est «  Fils de Dieu ». Luc est plus discret, renvoie au chemin intérieur de chacun, dans cette pédagogie qui culminera sur le chemin d’Emmaus puis ds le livre des Actes. Il rejoint cette invitation à un « rentrant en lui même » du fils prodigue (Luc 15).


 8. Conversion intérieure 

« Et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine ».


Mea culpa…

À la suite de cette lecture, Luc nous invite à retourner en nous mêmes.  À quoi m’invites tu Seigneur pour que ta croix ne soit pas vaine…? 


Parmi la symphonie des évangiles, Luc a sa mélodie particulière…(6)


(1) cf. « À genoux devant l’homme »

(2) Anne-Catherine Emmerich

(3) voir notamment l’excellent commentaire chez Hans Urs von Balthasar dans ses tomes de Dramatique divine

(4) voir aussi chez Kobo / Fnac « Le rideau déchiré »

(5) cf. Chemins d’Evangile

(6) voir « chemins de miséricorde »

27 septembre 2021

Révélation et don - 5

Pourquoi les français ne croient-ils plus ? 

On peut facilement sombrer dans le désespoir quand on sent la fragilité et les échecs de nos pastorales, il nous faut peut-être prendre de la hauteur pour saisir que nous n’avons pas pour tâche de convertir mais de labourer une terre qui puisse s’ouvrir à la foi. Creuser un sillon fragile, non par des mots mais par des signes et des actes, des questions et des sourires, loin des certitudes imposées ? 


La foi reste un don, une grâce, un surgissement non programmable d’une rencontre entre Dieu et l’homme…

La foi d’autrui nous échappe. Elle est réservée aux moissonneurs, quand nos semailles seront achevées en dépit des larmes de nos efforts souvent stériles..


Comment l’insaisissable se donne-t-il à voir alors que sa lente pédagogie échoue à le rendre visible et qu’un voile demeure en dépit de la lumière des signes successifs que l’Exode met notamment en scène.

Le visage rayonnant de Moïse d’Ex 34 n’est probablement qu’un conte du 6eme siècle avant Jésus-Christ même s’il nous prépare à des épiphanies plus rayonnantes. 

Et la Transfiguration ou la résurrection ?

Esquisses mais inaccessibles et réservées à des privilégiés…


Nos perceptions fragiles de l’invisible, sont peut-être que des signes avant coureurs qui nous préparent à l’incroyable ?

Les signes ou « miracles » comme tous les phénomènes non saturés, nos tressaillements intérieurs sont peut être à compter dans les faibles étincelles qui précèdent et complètent le feu ardent, le don total, inouï d’un Père qui laisse son Fils mourir pour révéler la danse trinitaire et tragique.  Le grand Donateur s’efface sur une croix et jusque dans les profondeurs de l’humain, « terreux » souvent inconscient de ce qui lui est offert.


Pourquoi l’homme passe t il à côté ?


Tout est du vent s’il ne se concentre sur l’essentiel, sur ce qui n’est finalement visible que dans le déchirement du voile. La Croix est le seul signe élevé comme un nouveau serpent, nouvel Adam si différent de l’ancien qu’il devient figure de guérison et de conversion pour un centurion inculte. « Vraiment cet homme était fils de Dieu » révèle Marc au bout d’un long chemin.


Semences….

Agapè

Don


Trois mots qui révèlent à eux seuls l’inouï divin et cette invitation fragile d’un Dieu à genoux.


Kénose…

Triple kénose.


En poursuivant la lecture de Marion (1) je ne fais que danser une fois encore avec cette triple kénose qu’il cite chez Hans Urs von Balthasar et qui ne cesse de me faire tressaillir depuis que je me suis plongé dans sa trilogie.


De Bultmann à Barth, de Pannenberg à Rahner(2), la théologie bute sur des oxymores quand Dieu se joue de nos hésitations et de nos théories pour se concentrer sur une seule chose, simple et subtil : « tout est don ». 

Si l’Evangile de dimanche se résumait à une chose, ce n’était peut-être que dans une invitation presque anodine, « un verre d’eau » qui est en fait la première marche de l’agapè…


Dieu n’est qu’amour, disait le bon François Varillon sur la pointe des pieds.


(1) Jean-Luc Marion, d’ailleurs la Révélation, p. 164-186…

(2) ibid.


PS: pour aller plus loin sur ce thème voir : 

1. Le beau texte publié par A. Fossion, cf. supra 

et les réflexions de Michel Rondet 

2. mes essais fragiles  : Pédagogie divine, Le rideau déchiré, A genoux devant l’homme et Danse trinitaire tous rassemblés dans « Dieu dépouillé » disponible gratuitement sur Fnac.com mais aussi Pastorale du Seuil, qui pourraient avoir pour sous titre, échecs et humilité.

3. Mon billet 48 sur danse et silence https://www.facebook.com/100003508573620/posts/3669493763177540/

23 mai 2021

Méditation sur la Pentecôte - danse 50.3

C’est peut-être à partir du Buisson Ardent (1) que l’on peut considérer l’ensemble de la pédagogie divine(1) sur la Pentecôte. Le but ultime de notre réconciliation « en Christo »  est de rejoindre ce grand feu lumineux, qui nous purifie sans nous détruire, qu’est finalement la danse en Christ, dont on fait l’expérience les disciples au mont Thabor…

N’allons pas trop vite. Revisitons d’abord nos premiers pas, nos « Chemins du désert » (1) où nous cherchons à tâtons la lumière. 

« Poussé par l’Esprit au désert » où nous suivons le Christ, il nous faut d’abord subir la grande épreuve de la nuit, épreuve difficile que souligne depuis des siècles les mystiques de puis la nuit obscure de saint Jean de La Croix, jusqu’à celle de nos doutes confinés, comme ces nuits des mystiques que nous traduit magnifiquement François Marxer, « Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017 ».

Rappelons nous aussi nos pas encore fragiles, dans cette fausse nuit pré couvre feu 2021. 

Comme dans toutes les  Pâques, nous avons cherché à contempler ce feu béni hors de nos églises au bout de notre nuit spirituelle très symbolique des 40 jours de Carême. C’est alors une bien fragile lumière qui pénètre symboliquement dans l’église encore sombre,  brandie par le diacre en une triple évocation : « Lumière du Christ »avant qu’il n’entonne l’exultet. 

Qu’est ce à dire ?

Jésus est lumière et notre capacité à la contempler dans sa vraie clarté, n’est finalement possible qu’au bout du chemin. 

Il nous faut encore 40 jours de crainte, de doutes et d’hésitation. 

La liturgie nous a encore fait manduquer les hésitations de Pierre en Jean 21 ces derniers jours, derniers soubresauts d’une Église en devenir avant ces flammes de feu qui rendent tout lumineux.

« M’aimes-tu ? » demande trois fois Jésus à Pierre dans un decrescendo kénotique qui le fait passer en grec d’un « agapas me » à un « phileis me »…(2). M’aimes-tu d’agapé ou as tu seulement de l’affection pour moi… ? triple questionnement que l’école johannique inflige symboliquement à Pierre au terme du chemin qui prépare pour eux et symbolise sa réintégration dans la mission ecclésiale qui l’attend…(2) après la démarche à la fois kénotique et miséricordieuse qu’est finalement cette triple interpellation qui fait écho à son triple reniement… (3)


N’est-ce pas finalement le chemin de tout baptisé qui reçoit un cierge alors qu’il est encore tout endormi de ses nuits obscures et qu’il n’a pas encore fini son chemin ?

Les sacrements d’initiation vont devoir encore lui faire franchir de sacrés pas avant qu’il puisse confirmer de lui-même sa foi…

Il lui faudra percevoir comme Pierre, d’abord son insuffisance et son incapacité à aimer, percevoir qu’il nous faut retirer ses sandales(1), pour découvrir que le feu intérieur qui brûle déjà en nous par le sacrement du baptême n’est pas encore lumière dans nos vies et qu’il nous faut le souffle de l’Esprit pour que nos sarments intérieurs trop souvent desséchés (4) prennent feu en Dieu. Alors pourrons nous percevons que Dieu ne cesse de nous appeler à choisir la lumière face à la nuit…


« Esprit de Dieu, tu es le feu,

Patiente braise dans la cendre,

A tout moment prête à surprendre

Le moindre souffle et à sauter

Comme un éclair vif et joyeux

Pour consumer en nous la paille,

Eprouver l'or aux grandes flammes

Du brasier de ta charité.


Esprit de Dieu, tu es le vent,

Où prends-tu souffle, à quel rivage?

Élie se cache le visage

A ton silence frémissant

Aux temps nouveaux tu es donné,

Soupir du monde en espérance,

Partout présent comme une danse,

Eclosion de ta liberté.


Esprit de Dieu, tu es rosée

De joie, de force et de tendresse,

Tu es la pluie de la promesse

Sur une terre abandonnée.

Jaillie du Fils ressuscité,

Tu nous animes, source claire,

Et nous ramènes vers le Père,

Au rocher de la vérité. »(5)




(1) cf. mon « Retire tes sandales » - une contemplation de la trilogie des 21 volumes d’Hans Urs von Balthasar et « Pédagogie divine »

(2) voir plus d’explication dans « A genoux devant l’homme »

(3) on peut reprocher à Zumstein de faire l’impasse là dessus dans son commentaire pourtant très exhaustif.

(4) cf. Ez 37 que nous contemplons la veille au soir

(5) hymne de l’office des lectures du dimanche de Pentecôte 

02 avril 2021

Homélie du vendredi saint... - La Croix 12.0 - la danse finale (n.45)

Projet 2

Qu’est-ce que nous contemplons ce soir ?

Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

  1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :
    • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.
    • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)
    • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)
  2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 
  3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)
  4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...
  5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.
  6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)
  7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 
  8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).
  9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)
  10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 
  11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précède en Galilée 
  12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter ;-). On n’épuisa jamais la révélation de la Croix. 


Jean nous conduit aussi à une interrogation particulière. Nous l’avons vu, quand Jésus, au jardin, affirme par trois fois Je suis, c’est à la fois une révélation du mystère même de l’homme Dieu et un écho aux trois « je ne suis pas » de Pierre. 

Ego eimi / ouk eimi


Et nous qu’allons nous dire. Je suis ? Je te suis ? Ou je ne suis pas, je ne te suis pas.


Laissons la question résonner dans le silence. Est-ce que Jésus est mort en vain... est-ce que notre marche vers Pâques est stérile ou sommes-nous prêts à avancer, à répondre enfin à l’où es-tu de Dieu, aidé par la contemplation de la croix et sa miséricorde ? 



Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »


Lavement des pieds 47.1

 Lavement des pieds - danse 47


Le début de Jean 13 s’inscrit dans un cadre très large qui prend racine dans la multiplication des pains et s’étend jusqu’à la Passion. On peut même affirmer qu’il s’agit d’un « pont » central entre la vie de Jésus avant Pâques, marqué par toutes ces premières humilités que avons relevées dans le texte et cette humilité finale que sera la croix. Le geste du lavement des pieds vient alors comme une invitation à imiter Jésus. « Comme je vous aimés les uns les autres » 13, 34 vise à la fois :

- le lavement des pieds : « les uns les autres (...) comme » de Jn 13, 14-15,

- le repas partagé

- et s’étend jusqu’à la Croix : « Ceci est mon commandement, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Jn 15, 12-13.

C’est donc l’ensemble de la Passion qui habite l’invitation à l’humilité donnée par le geste de Jésus, en dépit des ruptures de lieux, de temps et de styles. Le lien est d’ailleurs à nouveau souligné en Jn 15, 15 et au verset 20.

C’est en ce sens que la visée de Jean peut s’entendre, dans son acception la plus large.

La première partie du texte, au sein même du dialogue entre Jésus et Pierre (Jn 13, 6-10) nous invite à nous laisser purifier par le Christ et donc à recevoir le pardon de Dieu, avec un sommet donné dans le verset 8 : « Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras point part avec moi".

L’analyse textuelle sur la base des répétitions observées dans le texte grec fait apparaître une petite forme concentrique qui se résume comme suit :

A Le dessein de le livrer

B Prendre le linge et se ceindre

C Laver les pieds

B’ Prendre le linge et le ceindre

A’  allait le livrer

Rappelons que l’on appelle forme ou structure concentrique cette répétition de phrases qui encadrent l’affirmation centrale. Ainsi la forme ABCB’C’ est une manière d’insister sur le C, verset central, ici le « lavement des pieds ». Par le biais de ces répétitions, l’auteur prévient le lecteur familier à l’époque de ces formes. Il s’agit là d’un message central.

À cette structure, s’ajoute une structure en parallèle qui fait rebondir le quiproquo entre Pierre et Jésus, dans la répétition entre laver et non laver, propre à l’échange entre le Christ et l’apôtre. Elle reprend le style « ironique » propre à Jean qui, en soulignant l’incrédulité de l’apôtre, fait résonner chez le lecteur une compréhension plus large. Le lecteur n’est pas appelé à trouver dans le geste une invitation au rite de purification des juifs, mais à dépasser la symbolique pour trouver son sens spirituel plein. C’est à l’intérieur même de l’homme, dans sa purification spirituelle que se joue le nœud du problème. Car le lavement des pieds ne purifie pas le cœur. On aura beau laver le corps entier, cela ne suffira pas à nettoyer le cœur du projet de livrer Jésus(1)

Et pourtant, c’est là la réponse de Jésus au problème de Judas. Il aurait pu aller plus loin, lui faire savoir qu’il n’était pas dupe, essayer de le détourner de sa voie mauvaise. Non. La réponse du maître est dans l’agenouillement. Sa kénose ne heurte pas frontalement le mal en lui faisant violence. La réponse du Christ reste dans la faiblesse d’un « Si tu veux » donné à l’homme : Je suis à genoux devant toi, dans ma faiblesse. Si cette descente ne te convertit pas, rien ne pourra le faire !


[...]


« Les Pères de l'Église, précise Cantalamessa, (2) utilisaient, à ce sujet, le terme « condescendance » (synkatabasis) qui indique deux choses : le fait que Dieu s’abaisse, qu’il descend et, en même temps, le motif qui le pousse à le faire : son amour pour l’homme. (...) Si Dieu sort de lui-même et agit en dehors de la Trinité, ce ne peut être qu’en s’abaissant et en se faisant petit… »

Cantalamessa retrouve cela chez saint François : « Regardez, frères, l’humilité de Dieu ! », s’écriait dans l’étonnement saint François d’Assise. « Chaque jour, il s’humilie, exactement comme à l’heure où, (...) il s’est incarné dans le sein de la Vierge ». Dans les Louanges du Dieu Très-Haut (...) il ajoute « Tu es humilité ! » (...) Dieu est vraiment humilité. Dieu seul est vraiment humble ».

Dans la même lignée, F. Varillon (3) affirme qu’en voyant Jésus « laver avec humilité des pieds d’homme, je « vois » donc (...) Dieu même éternellement mystérieusement Serviteur avec humilité au plus profond de sa Gloire. » Il va jusqu’à ajouter que l’humiliation du Christ n’est pas un avatar exceptionnel de sa gloire. Elle manifeste dans le temps que l’humilité est au cœur de la gloire ». C’est dit-il, « un paradoxe si fort que la raison vacille, décontenancée, et comme découragée d’avance (...). Si pourtant, abandonnant les concepts à leur apparente opposition, on choisit de se référer, sans plus attendre, à l’expérience toute simple qu’on a de l’amour, même mêlée de péché, un rai de lumière filtre déjà (...) Si Dieu est Amour, Dieu est humble… »

La conclusion est simple : si l’on veut être aimant, seule l’humilité est chemin, sans être pourtant « devoir ».

« On t’a fait savoir, homme ce qui est bien, ce qui Yahvé réclame de toi : rien d’autre que l’accomplir la justice, d’aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu. » (Michée 6, 8).

Pourtant, cette humilité, « on ne peut même pas la recommander », dit Varillon, elle est « dépassement radical de l’ordre de la moralité » (...) « elle est divine ».

Doit-on comprendre, au-delà de l’exhortation du prophète qu’elle reste « inaccessible à l’homme » et donc « possible à/en Dieu » au sens de Mt 19,26 ?

Probablement, car, nous pouvons, en même temps, reconnaître que l’immensité de l’Amour passe par une humilité immense. « C’est alors, précise Varillon, que l’humilité de l’homme reconnaît son échec. Ce n’est qu’au terme de son itinéraire, (...) qu’il sera capable d’aimer comme Dieu aime, d’être humble comme Dieu est humble. Tant que nous sommes sur le chemin terrestre, l’humilité, toujours visée comme nécessaire, doit être tenue pour une limite inaccessible. » Pourquoi ? C’est J. L. Marion, dans Étant-Donné, qui nous donne une explication possible. Elle tient au fait que jamais nous n’atteindrons la gratuité ultime de celui qui s’efface dans le don au point de rester anonyme. Un exemple développé dans un autre ouvrage, m’a permis de découvrir cela. Quand j’offre une fleur à ma femme, mon geste ne peut être véritablement gratuit. Il attend toujours un retour. L’humilité véritable serait de lui transmettre la fleur sans qu’elle sache que cela vient de moi. Pourrais-je y arriver un jour ? Le vrai donateur, dit Marion est celui qui s’efface et disparaît.

C’est peut-être dans cet axe que l’on peut également comprendre l’étendue du paradoxe et de la tension qui affleurait dès le départ de notre analyse de l’Évangile selon saint Jean entre « humilité et gloire ». Varillon ira jusqu’à dire, quelques pages plus loin que « C’est la Toute-Impuissance du Calvaire qui révèle la vraie nature de la Toute-Puissance de l’Être infini (...) Dieu est Puissance illimitée d’effacement de soi ».

Avant de comprendre ce que cet attribut de Dieu peut signifier pour nous, il nous faut donc aller plus loin et méditer plus avant l’humilité de Jésus dans Jean 13.


Excursus : Livrer

Une autre récurrence mérite, en effet, d’être notée, c’est l’allusion au fait que le Fils va être livré. Le mot ‘livrer’ apparaît en Jn 13, 2 et sera repris au verset 11 puis au futur en Jn 13, 21. Le « lavement des pieds » apparaît donc au cœur même de l’intention de Judas de livrer Jésus. Tout porte à croire que le Christ en prend conscience en Jn 13, 21, le narrateur soulignant son bouleversement : « il fut bouleversé (...) l’un d’entre-vous me livrera ». Cela pourrait en effet indiquer qu’il ne le savait pas. Cela serait ignorer qu’il en faisait déjà mention au verset 11, comme un fait. De plus, cette prescience de Jésus semble être un point déjà souligné par le rédacteur du texte. C’est donc une thèse de l’auteur que l’on ne peut ignorer d’autant qu’on en trouve déjà mention en Jn 6, 62 :

« Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point. » Car Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui était celui qui le trahirait ».

On peut penser qu’on est au cœur même du combat avec le mal, dans cet épisode ultime où Jésus s’affronte à ceux qui veulent sa mort. Jusqu’au sein même des apôtres, des douze choisis et désignés, le mal s’est incrusté et lance sa pique ultime. C’est en cela que l’attitude d’agenouillement du Fils est poussée à l’extrême et demeure, en cela, indépassable par l’homme. Il pourrait sortir par le haut, identifier le coupable, le confondre et le faire changer de direction. Comme nous l’avons vu lors de l’épisode de la femme adultère, qu’il faudrait lire en parallèle avec ce texte, ce n’est pas la voie choisie par Jésus, comme le confirme le fait que Judas sera le « premier communiant » en Jn 13, 26.

L’attitude du Christ n’exclut pas Judas. Bien au contraire, il est l’un des personnages les plus présents. Même si le lavement des pieds de Judas n’est pas précisé, on peut affirmer que l’abaissement du Christ devant l’homme pécheur est au cœur du symbole. Elle a dû marquer le geste d’une manière toute particulière. Puisque le rédacteur insiste pour nous dire qu’il savait déjà, on peut contempler cette attitude particulière du Christ devant Judas, à genoux devant lui, et cherchant, une dernière fois, à lui transmettre le cœur du mystère : la faiblesse d’un Dieu à genoux devant l’homme. Nous avons noté que le nom de Judas est aussi celui de la tribu principale d’Israël. On peut donc contempler l’ampleur du geste qui rejoins ce que Luc dira dans son « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).

Alors résonne une phrase que nous n’avons cessé de noter depuis le début de nos recherches. « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » Ez 18, 21. Quel est le message du Christ devant Judas ? Est-il différent de celui qu’il a eu devant la femme aux six maris, la Samaritaine ? « Donne-moi à boire », lui avait-il dit (Jn 4, 8).

L’opposition est saisissante. Peut-être est-ce justement dans ce contraste que se trouve la clé de lecture. À celle à qui il a demandé à boire, il lui parlera d’eau vive. Plus loin, il insistera à nouveau : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive. (Jn 7, 38) »

Malgré l’affirmation prégnante de la gloire du Christ, subsiste donc une insistance toujours discrète, mais toujours présente chez le rédacteur qui y souligne l’humilité du Fils.

Rappelons-le, lorsque, devant la femme adultère, les pharisiens s’adressent à lui comme un Maître, son premier geste reste celui de l’abaissement : « Mais Jésus, s'étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt. » Jn 8, 6.

À cette affirmation des trois abaissements du Christ devant Judas (lavement des pieds, partage du pain, acceptation du baiser – chez les synoptiques – dont il n’a pas l’initiative), certains répondent que Judas est condamné. C’est en effet ce que l’on peut lire dans l’affirmation sèche du rédacteur : « Judas, ayant pris le morceau de pain, se hâta de sortir. Il était nuit. » Jn 13, 30

Chez Judas, on le voit non sans tristesse, l’abaissement de Jésus marque pour lui la fin d’un rêve. Il voulait un Dieu de puissance et il ne cesse de se heurter à l’humilité du Fils. Déjà, comme nous l’avons vu en Jn 12, il n’avait pu supporter le lavement des pieds de Marie de Béthanie. Quel a été l’impact sur lui de ce second geste ?

Pour Nicodème (cf. Jn 3, 2), la nuit marquait l’incompréhension totale du message de Jésus. Il est probable que Judas soit sorti dans cette nuit-là. Il nous semble cependant plausible de noter que ce n’est pas faute d’avoir tout tenté.

Et peut-être que justement, cet abaissement ultime, souligne plus qu’ailleurs, le jusqu’au bout de Dieu. Citons là encore Varillon et Nabert : « Il faut (...) appeler « divin » l’amour qui est assez fort pour ne pas exiger la réciprocité comme condition de sa constance. Parce qu’il est enveloppé d’humilité, il demeure égal à lui-même en dépit des « oscillations » de la réponse de l’aimé (...). Dieu, s’il existe, est cet être qui prononce un "je t’aime" inconditionnel ». Quelle meilleure illustration que cet agenouillement du Christ devant Judas… Geste qu’aucun homme ne sera probablement capable d’imiter. C’est en cela que Mt 19, 26, déjà cité, traduit l’impossibilité humaine : « Aux hommes c’est impossible, mais c’est possible à Dieu »


[1]  On peut aussi ajouter à la suite de B. Arminjon que « Pierre dans le lavement des pieds résistait à la "déstabilisation". [En Jn 21, ] l'heure [viendra où il lui faudra] passer derrière, suivre le Christ, d'accepter son appel.... » in Nous voudrions voir Jésus Avec saint Jean 12-21, ibid., p. 185ss.

[2]  Cantalamessa,     La vie dans la Seigneurie du Christ, Cerf, Paris - Médiaspaul, Montréal, 2010.

La vision de Cantalamessa peut cependant être tempérée, si l’on conçoit l’humilité opérative comme recherchée. Varillon est plus délicat quand il affirme, sur le même thème, que Dieu est humble, sans se forcer… « Il faut se méfier », dit ce dernier « d’un esthétisme de l’humilité. (...) Certains hommes se complaisent dans la faiblesse comme d’autres dans la force. Il en est qui cultivent l’échec. Il faut balayer, quand on pense à Dieu, ces pharisiens suspects ». op. cit. ci-dessous p. 67. Une nuance délicate.

[3]  François Varillon, L’humilité de Dieu, Centurion, Paris, 1974, p. 59.



Extrait de mon livre « À genoux devant l’homme » dont l’intégralité est téléchargeable gratuitement sur Kobo ou disponible en pdf sur demande par MP. 

15 février 2021

La voie royale ? - une danse kénotique 33.6

Je reviendrais sur la nudité et la chute qui forment une agrafe entre Gn 2 et Gn 3. En complément de mon billet 33.5 je voudrais aller plus loin sur le terme de la « chair de la chair » et en intersection et résonance avec le texte de la liturgie d’aujourd’hui sur une des facettes de l’expression, le « donner naissance ».

Il y a dans le mystère très intime de l’accouchement dans la douleur que défend avec brio Sylvaine Landrivon dans son dernier livre (1) une piste de lecture spirituelle qui reste à poursuivre et à tracer plus en détail.

La « voie différente » des femmes qu’elle souligne, à la suite de Caroll Gilligan, est sa manière une voix très intérieure. Cela commence par un tressaillement (2) et va jusqu’à un combat - à la manière de Jacob (3)-, un renoncement et une délivrance, nous avons là aussi une Pâque mais aussi une danse kénotique particulière qui transforme la jeune fille en mère, qui ouvre à son tour non plus comme l’homme son « côté » à la manière anesthésiée (4) de Gn 2, mais laisse place, bien au contraire, non sans douleurs, à autrui, au visage d’autrui, au Fils, comme un Père très maternel dont les entrailles se retournent (Osée 11) pour révéler l’amour...

Lent accouchement intérieur qui rejoint à sa manière ma web série sur les tressaillements(5), moi qui ne suit qu’un terreux, indigne de connaître cette voie royale faute de ne pouvoir être femme, je perçois ici un chemin de contemplation particulier du mystère des mères (6), de leur aptitude non violente à se donner pour autrui dans le « cadre » appris douloureusement par cette voie royale. Je renverrai aussi volontiers à ce dernier opus qui trace pour moi une voie particulière de combat pour celles qui passent parfois bien difficilement à cette occasion du statut de « fille de » à « mère ». Un décentrement qui est là aussi kénose. 

Le sommet s’exprime discrètement chez Sylvaine Landrivon, entre les lignes, dans cette comparaison avec le cycle d’Exode 33-34 (7) où l’homme rejoint l’inaccessible Dieu dans une rencontre incomplète (8). Mais ce que connaît Moïse sur la montagne n’est que le mime fragile d’un déchirement plus dramatique, celui d’une mère qui voit son enfant mourir en Croix et laisse ainsi déchirer le voile (9) qui nous cachait le mystère final, la danse kénotique de Dieu.

Comme nous sommes complémentaires, vis à vis, et chemins de danse symphonique. L’homme par sa semence donnée dans une danse nuptiale et somptueuse ne perçoit pas toujours la dimension symphonique de ce « corps à corps » qui ira jusqu’au « peau à peau »d’une mère qui laisse aller la chair de sa chair dans un cri digne de celui, final, d’un Dieu qui s’efface en un geyser d’eau et de sang versés (Jn 19). Passage qui prépare la traversée d’une mer rouge sang...

Comme le souligne Sylvaine, est-ce vraiment une malédiction (Gn 3) que cet engendrement (10) dans la douleur ? 

Non, bien au contraire, c’est une fission du cœur, une kénose qui devient féconde par ce qu’elle libère. Car dans ce mouvement kénotique par excellence se joue un don véritable. Une mère en accouchant sans refuser la douleur devient don. Elle le ressent jusque dans ses entrailles et ce déchirement est le premier d’un laisser aller sans fin.


À méditer.


(1)  Sylvaine Landrivon, La voie royale, Cerf, 2020

(2) cf. http://chemin.blogspot.com onglets tressaillement 

(3) cf. La voie royale p. 270

(4) ibid. p. 291

(5) cf. note 2, http://chemin.blogspot.com/search/label/tressaillement

(6) cf. le livre éponyme de Catherine Bergeret Amsalek et notre échange du 25/8/20.

(7) Pédagogie divine p. 300 à 322

(8) la voie royale, op.cit. p. 323

(9) voir mon « rideau déchiré » repris dans Pédagogie divine.

(10) genèse d’une pastorale en devenir ? au sens donné par Bacq et Théobald ? privilège féminin ?


PS1 : J’ai toujours eu du mal à comprendre la troisième vocation du baptisé. Prêtre parfois, prophète aussi, mais roi en quoi ? Serviteur du Royaume par la voie royale que seules les femmes peuvent atteindre in utero...? 


PS2 : Voir aussi en contrepoint ma petite nouvelle « La danse intérieure »

10 janvier 2021

Baptême du Christ - danse 27

 On parle souvent de triple épiphanie. Qu’est ce à dire ? 

Petite distraction ce soir à la messe dominicale. 

Le baptême du Christ serait le troisième double agenouillement que nous offre la liturgie de Noël et est en même temps une porte d’entrée à la vie du Christ. 

Je m’explique. 

Il y a eu l’agenouillement de Dieu qui nous confie son Fils auquel répond quelques bergers.

Il y a l’agenouillement des mages devant un Dieu qui se révèle par sa faiblesse.

Il y a l’agenouillement du Fils pour recevoir le baptême de Jean, alors même que Jean affirme n’être pas digne de s’agenouiller pour délier ses sandales.


Qu’attendons-nous pour tomber à genoux ? Dieu vient nous visiter. Il plonge symboliquement dans les eaux de la mort pour éveiller en nous le sens de sa mort sur une croix et ce premier agenouillement est chemin pour qu’à notre tour nous prenions le temps de renoncer à nos certitudes et contempler la faiblesse d’un Dieu qui se penche devant l’homme pour l’inviter à la danse...


C’est dans ce mouvement que réside l’amour...


Don de l’Esprit, de l’eau et du sang nous dit Jean, puisque tout est lié. Tout prend chair dans cette kénose trinitaire.


On n’épuise pas pourtant ces textes en 2 paragraphes.. Il y a quatre beaux sermons chez les Pères de l’Église révélés cette semaine par le livres des heures que je vous laisse découvrir. Si Gregoire de Naziance nous donne par exemple à contempler un dialogue entre Jean et Jésus Fauste de Riez donne de son côté une belle correspondance entre Cana et le baptême. Ces jarres d’eaux usées transformées en vin peuvent y être comparées à ce Jourdain purifié par la plongée symbolique de l’Agneau. Tout cela révèle et prépare au sommet de l’incarnation, le mystère de cet amour porté jusqu’au bout, martyr finalement commun de Jean et du Christ au service d’une seule révélation : l’amour infini du Père. L’agenouillement du Fils n’a d’autre sens. On est loin d’une tour de puissance et d’orgueil. La kénose est ici à son paroxysme. 


C’est peut-être ce que nous révèle 1 Jn 5 : « C’est lui, Jésus Christ,

qui est venu par l’eau et par le sang :

non pas seulement avec l’eau,

mais avec l’eau et avec le sang.

Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit,

car l’Esprit est la vérité.

En effet, ils sont trois qui rendent témoignage,

l’Esprit, l’eau et le sang,

et les trois n’en font qu’un. »


Le baptême du Christ est la première réponse à cette soif de l’AT et finalement à notre soif, culminant dans ce geyser d’eau et de sang que décrit Jean 19





PS : on trouvera sur ce thème d’autres commentaires sous ce lien. https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/511470-commentaires-du-dimanche-10-janvier-2/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-10-janvier-2 


J’aime les découvrir le dimanche matin après une longue méditation personnelle ou partagée avec les amis de notre Maison d’Evangile dont je rappelle ici le lien. Un beau groupe qui compte maintenant une centaine de membres et surtout des interventions très respectueuses autour de la Parole cf. https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/?ref=share


C’est en s’éclairant et manduquant ensemble ces textes que nous déchirons le voile 😉

22 août 2020

Qui est Jésus - homélie du 21ème (et 22eme) dimanche du Temps Ordinaire, Année…

Projet 5 - allégé

Pour vous qui suis-je ?
La question que pose Jésus résonne encore aujourd'hui. Il nous la pose personnellement et en même temps la réponse nous échappe et reste ouverte car qui sommes nous pour parler du mystère de Dieu fait homme ?

Trois clés de lecture.
Le contexte
La pédagogie sous jacente
L'enjeu pour Pierre et surtout pour nous.

Paul nous le glisse dans Romains 11, rien n'est réductible quand on aborde la nature de Dieu :
« Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? » Tout au plus pouvons nous contempler sa pédagogie.
Si vous n'avez jamais fait l'expérience, je vous invite à lire un évangile de bout en bout, comme le tente dans notre paroisse les maisons d’Évangile. C'est probablement la meilleure façon de préparer votre réponse à cette question du « qui suis-je pour vous? ».
Et en même temps, il ne s'agit pas d'étaler nos connaissances de l'inconnaissable, mais bien de témoigner d'une révélation intérieure comme celle de Pierre. L'idée de Dieu vient à nous du fond de notre cœur.

Le contexte
Il y a notamment une pédagogie propre à chaque évangéliste. Le texte de l'évangile d'aujourd'hui est central, pour Marc 8 (27-30) comme pour Matthieu 16 13-20 et Luc (9, 18-21) qui se lisent souvent en miroir. Ce texte est en effet un point de passage. Les experts (exégètes) le disent : la question posée à Césarée est un point charnière. Il y a l'avant et l'après.
L'avant, c'est le chemin de l'homme. Jésus qui se révèle par ses actes, comme un personnage peu ordinaire. Jusqu'à cet épisode de la multiplication des pains et chez Marc de l'aveugle né. [Que l'aveugle vienne juste avant la question peut être considéré comme un clin d'œil de Marc...
Marc semble dire : Avant vous étiez aveugle. Maintenant c'est officiel : Il est l'oint de Dieu... ]
L'après c'est la marche vers Jérusalem, l'annonce de la mort.
Dans tous ces textes se traduit aussi une pédagogie particulière. Jésus n'est pas arrivé avec fanfare et trompette en proclamant sa divinité ou son titre de Messie.
Non. Il a commencé par être homme, aimant, attentif, vrai en paroles et en vérité. Cette pédagogie s'inscrit dans la pédagogie même de Dieu...
La question qu'il pose à Pierre est donc centrale.
Qui suis-je ?


La réponse de Pierre montre qu'il a compris, qu'en lui s'est révélé quelque chose. Et pourtant, dans le texte suivant que nous verrons dimanche prochain [la liturgie coupe et c’est dommage un ensemble cohérent] Pierre va refuser la Croix.. Paradoxe également pédagogique.
Pierre a une révélation sur la nature du Christ et pourtant il ne saisit pas la Passion. Qui pourrait à ce stade d'ailleurs ?
Soulignons le, c'est entre la révélation et l'erreur de Pierre que Jésus donne à l'apôtre sa mission. Au cœur d'une tension...

Que dire aujourd'hui.
L'erreur est de croire que nous savons répondre.
Je ne sais pas qui est Jésus.
Je suis en recherche.
Nous le sommes tous.
Le danger est de se croire arrivé, d'avoir tout saisi.
Le mystère est plus grand, plus profond, plus large.
Tout ce que nous avons compris est « balayures »  dit Paul, notre course est de « le saisir et de se laisser saisir par lui (Ph 3) ».

Quel est alors notre mission pour aujourd’hui ?
Peut-être réentendre la question du Christ : Pour vous qui suis-je ?
Est-ce un Dieu que l’on vénère du bout des lèvres le dimanche ou au contraire quelqu’un qui transforme nos façons d’agir? Nous émeut et nous met en mouvement ? Pouvons nous affirmer qu’il est le chemin la vérité et la vie.

La semaine dernière nous avons fêté les 40 ans de sacerdoce de notre curé. 40 ans de vie donnée. Gageons que cette mise en mouvement est fondée sur une réponse à la question du Christ. Nous sommes petits face à cette dynamique du don...

La question que nous pose Jésus reste valable et la réponse vient de l’Esprit. Restons attentif à cela, car c’est l’Esprit qui a conduit Pierre, qui conduit l’Église et qui conduit chacun de nous à être des pierres vivantes de cette Église fondée sur Pierre.


31 juillet 2020

Hommage à Joseph Moingt


Pour ne citer que deux ouvrages (et sans évoquer la puissance de réflexion de « l'esprit du christianisme », j'ai trouvé dans les trois tomes de « Dieu qui vient à l'homme » une réflexion riche sur un thème qui m'habitait depuis longtemps, mais qui cherchait des mots. Après avoir passé beaucoup de temps à lire la trilogie de Balthasar, Rahner, Congar et Lubac, j'ai découvert chez J. Moingt une façon bien particulière de rejoindre le monde, il s'agenouillait comme le Christ à genoux
devant Judas et Pierre.

Il n'arrachait pas l'ivraie (comme le rappelle le texte médité plus bas), mais contemplait le travail de Dieu, sa douce pédagogie et la triple kénose... Un dépouillement particulier que j'ai cherché de mon côté à contempler de bien des manières et qui m'a conduit, à sa suite, à oser écrire beaucoup plus maladroitement probablement sur ce thème (1).

Dans « l'Evangile sauvera l'Église » il y a aussi un retour aux sources de notre foi, une contemplation de l'essentiel qui dépasse nos querelles superficielles sur rite, cléricalisme et traditions pour reprendre l'élan originel, la Dynamis du Verbe. Cette liberté particulière de Moingt a construit ma vocation diaconale...

Voir aussi ce bel hommage de C. Theobald : https://www.jesuites.com/deces-du-p-joseph-moingt-sj/

Paru dans La Croix, extrait qui me touche le plus et que je « pratique » à sa suite depuis 20 ans : « Il avait mis en place « des groupes de laïcs fréquentant l’eucharistie mais ayant besoin de se retrouver pour des partages d’évangile ou des relectures de vie », annonçait une « Église en diaspora », fondée sur des chrétiens, certes bien moins nombreux, mais mieux formés et vivant une vie spirituelle et apostolique réelle.

Car, pour Joseph Moingt, ce n’est pas en se focalisant sur l’institution ecclésiale que l’on pourra mener une réforme radicale du catholicisme, mais en revenant à l’Évangile. « Il y a urgence à repenser toute la foi chrétienne pour dire ”Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme” dans le langage d’aujourd’hui et en continuité avec la Tradition », répétait-il en puisant dans son immense culture théologique et biblique pour confirmer que l’Église ne peut s’imaginer un avenir avec des réponses dogmatiques et qu’il faut qu’en son sein des théologiens « fassent du neuf sans être menacés d’excommunication ». En ce qui le concerne, sa plume n’a jamais été motivée par la peur d’une sanction ecclésiale, mais plutôt par le désir d’écrire en accord avec sa foi. Et puis, « à mon âge, on ne risque plus grand-chose ! ».(2)

(1) cf. notamment « À genoux devant l'homme » en téléchargement libre sur Kobo et Fnac.com qui s'inspire bcp de Dieu qui vient à l'homme
Voir aussi les 36 balises sur Moingt dans ce blog
(2) La Croix du 28/7

23 juillet 2020

Dépouillement 25 - homélie du 17ème dimanche

Où courons nous ?

Que nous dit Jésus sur le marchand de perles dans l’Evangile de Matthieu ?  « il va vendre tout ce qu'il possède et achète cette perle.»»
‭‭Matthieu‬ ‭13:46‬ 
« Tu t'agites pour beaucoup de choses, une chose est essentielle » glisse Jésus en écho à Marthe (Lc 10, 41). Il faudrait maintenant se taire et méditer sur ce qui est essentiel. Entendre le discours de Jésus au jeune homme riche : « une seule chose te manque : va vends tous tes biens et suis moi ».(Mc 10, Mat 19, Luc 18). Selon certaines interprétations Marc est probablement celui des trois évangélistes Synoptiques qui a le mieux compris cela au point qu'on l'associe à ce jeune homme qui s'enfuit tout nu au jardin de Gethsémani. Pourquoi Marc nous raconte t il cette scène non reprise par Matthieu et Luc ? Peut-être a-t-il compris le message ultime. Tout vendre, renoncer, se dépouiller, se mettre à nu... Jusqu'au déchirement du voile qui révèle l'amour.

La nudité à laquelle nous sommes appelés est celle qui nous oblige à sentir qu'il n'y a qu'une voie, qu'une sagesse, qu'un chemin, qu'un trésor, qu'un médiateur, Jésus Christ, celui qui s'est dépouillé de tout parce qu'en faisant cela il va jusqu'au bout de l'amour.

La route est longue et ardue... Au bout du chemin, quand on a fait, en nous, le tri final, il ne reste qu'une voie de sagesse, insiste à sa manière saint Jean de La Croix : suivre le Christ. Cette voie, est celle que décrit Salomon (1Rois 3), c'est celle qui peut faire de nous des « justes » comme le dit saint Paul en Romains 8.

Combien de fois nous arrêtons nous pour voir la frénésie de notre agir, de nos agitations ?
La porte est étroite et la question lancée par Matthieu sur le tri des anges doit nous interpeller. Sommes nous prêts comme les jeunes filles et leurs lampes ?
Prendre la voie du Christ est « impossible à l'homme mais possible en Dieu » glisse Mat. 19... le Christ lui-même a eu besoin d'être poussé par l'Esprit au désert pour prendre de la distance sur cette agitation intérieure qui nous éloigne du Chemin.

« Seul l'Esprit, parle à notre esprit dans le silence ». Sommes nous des « écoutants » ? Laissons nous place à l'Esprit pour agir ? Entrouvrons-nous la porte à ce « courant d'air (1) » qui pénètre au fond de notre cœur et nous fait découvrir la perle, le trésor, le royaume.

Entrons dans le silence et écoutons Dieu interpeler notre cœur. Où est ta priorité ?





« Il s'agit [alors] de transporter notre cœur dans la vie du ciel, en sorte qu'on puisse dire : « Notre patrie est dans les cieux » (Ph 3,20). Surtout c'est commencer à devenir semblable au Christ, « qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre pour nous » (2Co 8,9).(2)

Le grand enjeu devient, dans la dynamique de la troisième parabole d’entrer dans un véritable discernement, trier ce qui nous empêche d’aller dans ses pas, ce qui est « balayure » et nous laisser « saisir » par lui (cf, Ph 3)

(1) François Cassingena-Trévédy, pour toi quand tu pries, op.cit. 
(2) Saint Basile Grandes Règles monastiques, § 8 (trad. L. Lèbe osb, Éd. Maredsous, 1969, p. 71 rev.)

19 juillet 2020

Dépouillement 22 - le bon grain, l’ivraie et La Croix


Il y a une lecture pascale et johannique du texte de Matthieu 13 en Jean 13. Elle illustre et complète la parabole du bon grain et de l'ivraie, dans l'agenouillement du Christ devant Pierre et Judas.
C'est « l'où es-tu ? » final de Dieu devant l'homme, lancé depuis Gn 3....Le Christ a vécu dans sa chair, ce dépouillement. Il s'est mis à genoux devant les deux « graines » qu'était Judas et Pierre, il a lavé les pieds des deux apôtres.
Judas a refusé l'amour et s'est pendu dans la géhenne, la vallée maudite qui jouxte Jérusalem
Pierre a renié le Christ jusqu'au bout, par trois fois, mais le Verbe semé en lui a étouffé l'ivraie de la discorde, le germe de violence qui cohabitait en lui. Pierre n'a pas pris pas l'épée, il accepte de se laisser laver tout entier par les larmes... Au lieu de choisir la mort, il a choisi douloureusement le repentir puis la vie.


Dans la mort du Christ Pierre a entamé son dépouillement ultime. Aux triple questions du Christ qui répondent à son triple reniement, s'amorce la naissance de la plante fragile et immense qui sera l'Eglise (Jn 21).
« Pierre m'aimes-tu ? »
De Jean 13 à  Jean 21 s'étend la clé qui ouvre et met à jour l'amour de Dieu pour l'homme.
Je l'ai compris dans la chair le jour où j'ai senti le Christ à genoux devant moi. Cette révélation, à Penboc'h un jour de retraite ignatienne il y a une dizaine d'années est le germe ultime de ma vocation de diacre.
Ne soyons pas source de discorde, laissons l'Église entamer le dépouillement final...poussé par l'Esprit qui travaille sans cesse en l'homme pour faire jaillir les semences du Verbe.

Nos cathédrales peuvent être réduites en cendres... le germe divin ne sera pas atteint. La moisson vient, le grain semé germe au fond de l'homme. l'Église est le creuset, le Corps de l'espérance de Dieu, le fruit ultime de son agenouillement et de son dépouillement 
Le dépouillement et l'agenouillement de Dieu est la clé cachée de la parabole. Écoutons le Christ à genoux nous demander « m'aimes-tu ? ». « Supportez-vous les uns les autres avec amour. Ayez à cœur de garder l'unité dans l'Esprit par le lien de la paix » (Ep 4,2-3). N'y a-t-il rien en toi qu'un autre n'ait à supporter ? (1)

(1) Saint Augustin Commentaire sur le psaume Ps 99, 8-9, PL 37, 1275-1276 (Saint Augustin, maître de vie spirituelle; trad. A. Tissot, S.J.; Éd. X. Mappus 1960, p. 115-116 rev.), source  : l'Évangile au Quotidien 




15 juillet 2020

Dépouillement 18 - baptême du Christ (Matthieu 3, Mc 1, Luc 3)

 S'il y a un dépouillement à contempler, c'est peut-être celui du baptême du Christ. Le voici en effet qui s'avance, se met à nu pour se plonger dans l'eau du monde, se plonger dans le monde. Dénuement total (Kénose) que celui d'un Dieu qui accepte de plonger dans l'eau du Jourdain jusqu'à nous rejoindre dans ce qu'il y a de plus humain. Dénuement premier et symbolique de Celui qui a accepté de mourir à sa nature divine pour rejoindre notre humanité dans ces eaux usées, dans ces eaux de la mort, pour nous permettre de renaître dans l'Esprit (cf. Jn 3) jusqu'au déchirement des cieux...

Plongée jusqu'à l'homme, agenouillement sublime de celui qui préfigure l'agenouillement final qui le portera à la croix.

Il y a dans le déchirement du ciel, la même symbolique que le déchirement du voile du Temple (cf. Mc 15, 38) et le cri divin qui reconnaît dans le nouveau baptisé la filiation première « Celui ci est mon Fils bien aimé en qui j'ai mis tout mon amour » est celui qui annoncera la résurrection et résonne dans le « c'est pourquoi » de l'hymne au Philippiens (cf. 2, 12 sq).

Le baptême du Christ est le prélude symphonique de la Croix. Et la colombe qui étend ses ailes est la symbolique synoptique du jaillissement de l'eau et du sang qui inonde encore le monde de sa grâce.

Symphonie de l'Évangile que cette révélation multiple qui rime avec ce que nous perpétuons dans le baptême de nos enfants.

Entrer dans le Jourdain à la suite du Christ c'est accepter de venir laver ce qui nous empêche d'aimer, c'est renoncer à tout ce qui fait obstacle à notre vocation originelle, c'est nous laisser modeler dans la forme originale et nue de l'homme créé par Dieu et pour Dieu.

Se laisser baptiser à nouveau dans chacun des lavement des pieds que le Christ nous propose au travers du sacrement de la réconciliation c'est accepter de laisser laver « tout entier »(cf. Jn 13), nous séparer de ce qui nous retient par le péché à ce qu'il y a de plus humain pour rentrer enfin dans la danse symphonique de Dieu avec l'homme, pour rentrer dans la vie en Christ, dans l'Esprit.

Renaître est à ce prix...

PS : méditation à la suite de « la voix contagieuse », chapitre 4, de François Cassingena-Trévédy, op. cit.
Dans la foulée et en 17ème complément de mon livre « Dieu dépouillé »

01 juillet 2020

Dépouillement 14 - Homélie du 14ème Semaine du Temps Ordinaire, Année…

Projet 2

Quelles sont les trois grandes tentations ? Elles se résument, nous dit Jean, dans l'Avoir, le valoir et le pouvoir...
Nous avons là les trois tentations principales de l'homme... y compris celles de Jésus au désert...

Les textes d'aujourd'hui nous invitent à méditer leurs contraires, comme autant de facettes de Dieu.

A la tentation de l'avoir s'oppose la pauvreté du Christ
Au valoir s'oppose l'humilité de Dieu
A l'excès de pouvoir et la violence s'oppose la douceur...

Ces trois mots clés résonnent dans les textes d'aujourd'hui. Pauvreté, humilité et douceur...

Ces attributs de Dieu j'aimerais prendre le temps d'y faire écho...

Car notre chemin humain se résume dans l'écart creusé entre ces six tensions...

Choisir le dépouillement contre la tentation de l'avoir
Choisir la douceur contre nos tentations de pouvoir
Choisir l'humilité contre l'orgueil.

Écoutons maintenant à nouveau les textes de ce dimanche avec ces clés :
Pauvreté :
 « Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d'une ânesse. » Za 9, 9-10
Zacharie nous fait contempler cette pauvreté de Dieu face à laquelle nos richesses deviennent bien pâles. Heureux les pauvres de cœur, le dépouillement les rendra libres...
Cherchons cette pauvreté du cœur qui transforme notre regard sur autrui pour devenir contemplation du visage de l'autre. La pauvreté est la première clé...
Ce qu'annonce Zacharie c'est la pauvreté et l'humilité de Dieu, c'est le Christ entrant à Jérusalem assis sur un ânon au lieu d'être debout sur un char de feu....
Il en est de même de cette douceur qu'évoque à nouveau Zacharie....
Le roi qui nous est promis n'est pas un violent il « fera disparaître d'Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l'arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. » Za 9, 10
Ce que Zacharie proclame à sa manière n'est t'il pas ce Christ doux et humble de cœur que nous décrit Matthieu 11.

Il y a une libération qui est ici en jeu... sortir de l'emprise de la chair, comme le suggère Paul (Rom 8) c'est retrouver la liberté de ceux qui se dépouillent de ces tentations qui nous empêchent d'atteindre douceur et humilité.

Choisir la vie, c'est se libérer de ce qui conduit à la mort intérieure : pouvoir avoir valoir.

Il y a finalement un pas à faire dans notre dépouillement, c'est celui de prendre le chemin du Christ, ce qu'il appelle son joug, ce fardeau léger qui est le chemin de la vérité et de la vie.
N'est-ce pas d'entrer dans la danse de Dieu. Suivre Jésus devient léger quand on renonce au pouvoir à l'avoir ou au valoir.

La Pauvreté du cœur, l'humilité et la douceur. Là sont les moyens de rendre le fardeau léger.

Quand vous avancerez devant l'autel, tout à l'heure prenez le temps de ce dépouillement intérieur, de ce renoncement à l'avoir au pouvoir et au valoir. Choisissez l'humilité et la douceur....

PS : il y a une phrase dans l’Évangile qui peut nous faire trébucher, c’est cette condition posée.
« personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils choisit de le révéler »
Au delà de la lecture littérale : deux pistes. La piste historique ou Mathieu se demande pourquoi les juifs n’ont pas suivi Jésus, pourquoi le Fils ne s’est pas révélé ?
La deuxième piste, consiste à  contempler la révélation comme un chemin dans lequel Dieu nous invite. Choisir de découvrir le Christ est un chemin complexe qui prend du temps. Certains refusent d’entrer dans cette voie. Ils ferment eux-mêmes la porte. Mais à ce qui choisissent d’avancer, Mathieu en parlant deux fois de révélation nous montre qu’il y a un chemin de révélation commencé dès le début de l’Évangile et qui se complète dans ce texte de Mathieu. 

13 juin 2020

Dépouillement et danse - Saint Sacrement - Marie Noēlle Tabut

Projet 2

Que cherchez vous quand vous vous présentez à la table du Christ ?

La contemplation de cette fête particulière du Saint Sacrement n'est pas dans la quête d'un remède magique à tous nos maux, ni dans la vénération d'une idole. Elle rejoint bien au contraire une dynamique (*) particulière, toute intérieure, proche de cette entrée dans la danse que j'évoquais dimanche dernier.

Il y a, pour cela plusieurs mouvements.

Notre quête passe, d’abord,  par « la reconnaissance de notre pauvreté fondamentale (...) préalable à toute rencontre de Dieu en vérité : quand nous nous abandonnons à son action, alors il peut nous combler. Si nous cessons de croire que nous avons des forces par nous-mêmes, alors nous découvrons des forces insoupçonnées, qui sont les siennes. L'Esprit Saint nous a été donné pour cela. Et la fête du Corps et du Sang du Christ nous rappelle que Jésus nous propose beaucoup mieux, c'est d'habiter en nous.(1) ».

Que veut dire manger le corps ?
C’est peut-être entrer dans le mystère qui nous unit à ce mouvement particulier qui vient de Dieu et y retourne, comme ce Verbe qui ne descend pas en nous sans le faire vibrer intérieurement. De même qu’un micro ondes fait entrer en résonance les atomes pour les réchauffer, Christ vient faire vibrer en nous ce qu’il a déposé en nous, l’Esprit de Charité.

Il faut donc entrer dans cette danse particulière où nos mouvements se laisse conduire par la musique de l'Esprit, chercher avant tout cette harmonie et cette unité qui fait de nous un Corps.
« La coupe d'action de grâce que nous bénissons est communion au sang du Christ ; le pain que nous rompons est communion au corps du Christ. 1 Co 10, 16 »

« Le mot que Paul emploie, « koinônia » en grec, évoque un lien d'intimité, d'appartenance, une solidarité profonde. »(2)

Entrer dans cette danse particulière où tout est don. Se dépouiller de nous-mêmes, de ce qui nous retient au monde (au sens paulinien) pour contempler et s’inscrire dans la dynamique trinitaire d'un Père qui s'efface derrière son Fils, d'un Fils qui se donne pour nous laisser parvenir à la musique de Dieu que l’on appelle Esprit.

Contempler « le mystère de Jésus à la fois homme et Dieu : en Lui, Dieu propose son amour, en lui, l'humanité répond par l'action de grâce. En Lui Dieu parle, se révèle (il est le Verbe, la Parole du Père) ; en Lui l'humanité répond à la Parole. En Lui, Dieu se donne ; en Lui l'humanité accueille le don de Dieu. » (,,,) C'est là que Pierre a répondu « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle ».

Voilà le paradoxe de la foi : ces paroles sont humainement incompréhensibles et pourtant elles nous font vivre. Il nous faut suivre le chemin de Pierre : vivre de ces paroles, les laisser nous nourrir et nous pénétrer, sans prétendre les expliquer. Il y a là déjà une grande leçon : ce n'est pas dans les livres qu'il faut chercher l'explication de l'Eucharistie ; mieux vaut y participer, laisser le Christ nous entraîner dans son mystère de vie.
Le mot qui revient le plus souvent dans ce texte, c'est la vie : « Le pain que je donnerai, c'est ma chair, (c'est-à-dire ma vie) donnée pour que le monde ait la vie. »

Comprendre cela c'est aussi percevoir le sens nouveau donné par le Christ au mot sacrifice. Entrer dans la « pédagogie des prophètes : pour eux, l'important, bien plus que l'offrande elle-même, c'est le coeur de celui qui offre, un coeur qui aime. Et ils n'ont pas de mots trop sévères pour ceux qui maltraitent leurs frères et se présentent devant Dieu, les mains chargées d'offrandes. « Vos mains sont pleines de sang » dit Isaïe (sous-entendu « le sang des animaux sacrifiés ne cache pas aux yeux de Dieu le sang de vos frères maltraités ») (Is 1,15). Et Osée a cette phrase superbe que Jésus lui-même a rappelée « C'est la miséricorde que je veux et non les sacrifices » (Os 6,6). Michée résume magnifiquement cette leçon : « On t'a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi. Rien d'autre que de respecter le droit et la justice et de marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6,8).j

L'étape finale de cette pédagogie(**), ce sont les fameux chants du Serviteur du deuxième Isaïe : à travers ces quatre textes, on découvre ce qu'est le véritable sacrifice que Dieu attend de nous ; sacrifier (faire du sacré), entrer en communion avec le Dieu de la vie, ce n'est pas tuer ; c'est faire vivre les autres, c'est-à-dire mettre nos vies au service de nos frères. Le Nouveau Testament présente souvent Jésus comme ce Serviteur annoncé par Isaïe ; sa vie est tout entière donnée pour les hommes. Elle est le sacrifice parfait tel que la Bible a essayé de l'inculquer à l'humanité. « Le pain que je donnerai ; c'est ma chair donnée pour que le monde ait la vie ». Et désormais, dans la vie donnée du Christ, nous accueillons la vie même de Dieu : « De même que le Père qui est vivant m'a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi ».(4)

Entrer dans la danse de Dieu, c'est se dépouiller de tout ce qui n'est pas don. Loin d'un sacrifice stérile ou d'une réponse forcée il y a là un pas différent à faire, une docilité à Dieu, un laisser faire, un décentrement qui laisse Dieu agir, jusqu’à devenir ce que saint Ignace d’Antioche appelle le « froment de Dieu »(5)

Nous sommes corps, lorsque notre être tout entier est don, que notre vie est don, que nous nous laissons saisir (Ph 3) par le Christ dans ce don pour autrui, loin de toute introspection stérile. 

Et pour cela il nous faut contempler ce dépouillement même de Dieu, dans dynamique même de Philippiens 2 et 3, comprendre que le don du corps est l’ultime humilité de Dieu à laquelle Dieu nous invite. Se laisser saisir par cette danse du don ( danse kénotique des personnes divines) pour ne plus faire qu’un avec cet amour donné et devenir amour. « Devenez ce que vous recevez », nous suggère saint Augustin. Chemin inaccessible et en même temps unique et essentiel auquel nous sommes invités, banquet ultime, danse des anges...



(1 à 4) Marie Noëlle Tabut, commentaires des textes de la fête du Saint Sacrement cité dans l'application liturgie sur iOS cf. https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/500513-commentaires-du-dimanche-14-juin-2/

(*) cf, aussi la dynamique sacramentelle, mon livre éponyme 

(**) voir aussi danse trinitaire et pédagogie divine, in Dieu dépouillé sur Fnac.com
(5) cf. le texte intégral dans mon billet de cette semaine 

Rappel : l'interêt de ce blog, désormais vieux de 15 ans, réside surtout dans l'interactivité des balises (tags) qui comptent maintenant près de 2.500 billets 

14 mai 2020

Méditation du 6eme dimanche de Pâques année A - Au fil de Jean 14…

 Au fil de Jean 14 - En guise d'homélie

Projet n.4

Qui est cet Esprit Saint dont nous parle le Christ en Jean 14 ?

Est-ce la puissance de Dieu qui a placé Marie sous son ombre et nous a valu un sauveur ?
Est-ce le consolateur qui vient nous guérir de toute peine et de toute maladie ?
Est-ce l'esprit de prophétie qui nous conduit à parler en langues comme les apôtres à la Pentecôte ou à Samarie comme le raconte Actes 8 ?

La question doit rester ouverte. Car non seulement l'esprit est multiforme, mais Il ne peut se réduire à une manifestation visible. Il reste parfois dans le silence. Tout ce que l'on sait c’est qu'il repose en nous, dans le secret de notre cœur.

L'épître de Pierre au chapitre 3 nous trace un chemin :

« Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l'espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect.
Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ.
    Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si c'était la volonté de Dieu, plutôt qu'en faisant le mal.
    Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes,
afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair » (1 P 3).

Le Christ nous introduit à Dieu.
Il y a là une clé d'interprétation qu'il ne faut pas négliger.
Attention à ne pas séparer l’Esprit du Christ.
Attention à ne pas utiliser l'Esprit comme instrument de puissance, de prosélytisme ou comme bouclier protecteur.

Il souffle où il veut l'Esprit. Mais il n'est ni dans le Pouvoir, l'excès d'autorité, ni dans le valoir, l'excès de science apparente, ni dans l'avoir, comme quelque chose que l'on détiendrait plus que les autres. L'esprit reste don fragile, remis miraculeusement aux païens dans le récit de Luc, donné silencieusement à notre baptême. Diadoque de Photicé le décrit comme un cadeau caché. Il est en nous. Nous devons le découvrir au creux de nous mêmes comme cette perle précieuse ou ce trésor au fond du champ (Mat 13).

L’Esprit nous vient de Dieu. Il nous conduit à Dieu. Il participe à cette dynamique particulière que les Pères de l’Église appellent la circumincession (cf. Danse trinitaire).  Notre accès à lui vient surtout par l'unique porte du berger (cf. Jn 10) celle qui a résisté à la tentation du pouvoir, du valoir et de l'avoir (cf. Luc 4, Mat 4) et nous conduit à l'humilité, le détachement, le dépouillement, la kénose et la charité :
    « Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements.
    Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous :
    l'Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous.
    Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous.  D'ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi.
    En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi,
et moi en vous. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c'est celui-là qui m'aime ;
et celui qui m'aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l'aimerai, et je me manifesterai à lui. »(Jn 14, 15-21)

Si vous m'aimez il sera en vous...
A l'aube de sa Passion, alors que le m'aimes-tu jusqu'au bout sera posé à Pierre, par trois fois (cf. J’en 21), ne brandissons pas trop vite notre aptitude à dire oui.

La présence de l'Esprit ne se juge qu'à ses fruits. Soyons honnêtes sur ce point. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez et portiez du fruit » (Jn 15). 

L'Esprit ne nous appartient pas. Il est en nous, mais nous ne pouvons le saisir. Oubliant le chemin parcouru, tâchons de le saisir comme il nous a saisi : « Je ne prétends pas avoir déjà atteint le but ou être déjà devenu parfait. Mais je poursuis ma course pour m'efforcer d'en saisir le prix, car j'ai été moi-même saisi par Jésus-Christ
‭‭Philippiens‬ ‭3:12‬ ‭»
 Il faudrait dire chaque matin : « Mon Dieu, envoyez-moi votre Esprit Saint qui me fera connaître ce que je suis et ce que Vous êtes... » Une âme qui possède le Saint-Esprit goûte une exquise saveur dans la prière : elle ne perd jamais la sainte Présence de Dieu.(1)

(1) St Jean Marie Vianney, Morceaux choisis, Téqui 1999, p. 67

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09 mai 2020

Dépouillement - 2 - méditation du 5eme dimanche de Pâques


Projet 2
Il y a une leçon à tirer de cette situation particulière qui voit l'effondrement de nos babylones anciennes : « Malheur ! Malheur ! la grande ville, Babylone, ville puissante : en une heure, ton jugement est arrivé ! » Et les marchands de la terre pleurent et prennent le deuil à cause d'elle, puisque personne n'achète plus leur cargaison : cargaison d'or, d'argent, (...) « Les fruits mûrs de tes convoitises sont partis loin de toi, tout ce qui était brillance et splendeur est perdu pour toi, et cela plus jamais ne se retrouvera. » (...) « Malheur ! Malheur ! La grande ville, vêtue de lin fin, (...) toute parée d'or, (...) , car, en une heure, tant de richesses furent dévastées ! » Ap 18, 10 sq
De quoi parle l'apôtre Jean si ce n'est toute nos constructions humaines, notre monde financier certes mais peut-être aussi nos églises de pierre maintenant vidées de son peuple. Face à ce désert et ce dépouillement il nous faut revisiter ce qui est essentiel, ce qui compte vraiment, au delà des « cymbales retentissantes »(1Co 13).
Ce qui demeure est ce qui dépouillé du faste. C'est ce qui est de l'ordre de l'amour. Le rideau est déchiré (1) et seule la croix nue et décharnée sur un ciel sombre luit de vérité. « je suis le chemin, la vérité et la vie ». (Jn 14).
La croix est loin de tout faste et de tout or, elle est cet amour désintéressé d'un donateur qui s'efface et meurt après avoir tout donné.
Christ est humilité et kénose...loin de nos splendeurs factices et peut-être même du faste ancien de nos liturgies. Abandonnons l'or et contemplons le bois transpercé, la chair meurtrie de ceux qui donnent et se taisent, de nos soignants épuisés et vidés. Ils brlllent d'un amour plus essentiel que nos ors et nos paroles humaines, voire de certains de nos discours ou de nos prières machinales qui oublient ce qui est voilé et silencieux au fond de nous-mêmes : l'appel à l'humilité et à l'agenouillement.

« Le Christ Jésus, +
ayant la condition de Dieu, *
ne retint pas jalousement
le rang qui l'égalait à Dieu.
7 Mais il s'est anéanti, *
prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes, +
reconnu homme à son aspect, *
8 il s'est abaissé,
devenant obéissant jusqu'à la mort, *
et la mort de la croix.
9 C'est pourquoi Dieu l'a exalté : *
il l'a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse *
au ciel, sur terre et aux enfers,
11  et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur » *
à la gloire de Dieu le Père.(Ph 2, 5-11)

Le suis le chemin...
Et quel chemin. L’humilité de Dieu, la kénose du Père puis du Fils qui se répand ensuite silencieusement dans nos cœurs et loin de tout discours surfait.
Il est vérité et vie.
À quelle vie nous appelle le Christ sinon de tenter cette voie ardue, presqu’inacessible de l’amour donné et partager.
Je suis...
Il est chemin, il est présent.
Présent dans le cri du frère, dans l’appel ténu que nous ne savons pas entendre, dans cette main que nous refusons et ignorons sans cesse...

(1) cf. mon livre éponyme