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10 août 2022

En route vers Galilée - 5

 

Chapitre 1, fin

Dans le Nouveau Testament, notre contemplation trouve un sommet dans le déchirement du voile du temple qui chez Marc 15 révèle le silence du Dieu crucifié. Dans le silence de la croix, le verbe de Dieu se fait murmure et nous invite à la conversion. Il nous conduit d’Emmaüs vers la Galilée…


Le signe de Jonas

Revenons sur les pas d’Élie.

Nous avons déjà évoqué le signe de Jonas. Le prophète, appelé par Dieu pour convertir la ville de Ninive, est lui aussi désespéré. Il refuse de voir la clémence de Dieu pour ce peuple. À travers l’image d’un ricin, qui meurt alors que Jonas y avait trouvé refuge, Dieu lui montre l’ironie de sa situation et l’étendue de sa tendresse. Comme Élie 

Jonas se croyait tout investi de la mission de juger Ninive, mais l’amour de Dieu est plus fort que son propre jugement des hommes et des choses.

On a évoqué à ce sujet, ce qui peut apparaître comme le pathos du prophète qui trouvera un lointain écho dans l’agonie du Christ décrite surtout chez Luc. C’est face à cette peine, à cette plainte qu’Élie, comme Jonas reçoit une réponse de Dieu, une espérance performative pour lui, mais aussi pour sa descendance spirituelle (Élisée) et le salut d’une multitude de 7 x 1000 hommes (plénitude). Les 7.000 hommes s’inscrivent d’ailleurs en contraste avec les 3.000 tués de l’épisode du veau d’or (Ex 32).

Ce texte fait ainsi résonner l’affirmation du Christ : « il ne vous sera donné que le signe de Jonas ». Et au cœur de cette vision de Dieu, fragile et ténue, nous pouvons faire résonner celle du silence de Dieu en croix. Comme le Christ, poussé au désert avait subi la tentation pendant 40 jours, comme l’agonie qui précède la mise à mort, il semble qu’Élie doivent parcourir un chemin initiatique équivalent, au terme d’une période où il n’a plus de force et il est pourchassé pour être mis à mort… C’est au bout de ce chemin, quand l’espérance semble morte que le don de Dieu peut apparaître et pas avant.

Comme nous dit A. Wénin : « Au fil du livre, les images de Dieu souvent violentes qui traînent dans les cultures et dans les têtes sont reprises et traversées une à une, comme si toutes recèlaient quelque chose de la vérité de Dieu, mais aussi comme si cette vérité « captive de l’injustice » disait Paul (Rm 1, 18) – attendait d’être affranchie du mensonge qui dit Dieu complice du mal. Jésus est cet homme qui traverse le mal dont il est victime sans le relayer en violence et en mensonge. Librement, il fait du mal subi le lien d’un don de soi dans un amour capable d’assumer ce mal au point d’y tracer un chemin de vie pour les violents eux-mêmes. De la sorte, la croix manifeste la vérité de Dieu quant à la violence. »


Où es-tu ? - transition

Où es-tu mon Dieu ? Dans notre monde où Dieu semble de plus en plus absent, où la violence, la haine et le mépris semblent avoir pris la première place, nous pouvons répéter la question : « Où es-tu mon Dieu ? »

Loin des tremblements de terre et des orages de la guerre, loin du vent de la haine, la réponse de Dieu se trouve dans le bruit d'un fin silence (cf. 1 Rois 19), dans le chant des martyrs et des anges.

Écoutons ce que nous dit Augustin : « Croyez-vous, frères, que Dieu ignore ce qui vous est nécessaire ? Celui qui connaît notre détresse connaît d'avance aussi nos désirs. C'est pourquoi, quand il enseignait le Notre Père, le Seigneur recommandait à ses disciples d'être sobres de paroles : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant même que vous l'ayez demandé » (Mt 6,7-8). Si notre Père sait ce qui nous est nécessaire, pourquoi le lui dire, même en peu de mots ? ... Si tu le sais, Seigneur, est-il même nécessaire de te prier ? Or celui qui nous dit ici : « Ne multipliez pas vos paroles dans vos prières » nous déclare ailleurs : « Demandez et vous recevrez », et pour qu'on ne croie pas que c'est dit en passant, il ajoute : « Cherchez et vous trouverez », et pour qu'on ne pense pas que c'est une simple manière de parler, voyez par où il termine : « Frappez, et on vous ouvrira » (Mt 7,7). Il veut donc que pour recevoir tu commences par demander, que pour trouver tu te mettes à chercher, que pour entrer enfin tu ne cesses de frapper... Pourquoi demander ? Pourquoi chercher ? Pourquoi frapper ? Pourquoi nous fatiguer à prier, à chercher, à frapper comme pour instruire celui qui sait tout déjà ? Et même nous lisons dans un autre endroit : « Il faut prier sans cesse, sans se lasser » (Lc 18,1)... Eh bien, pour éclaircir ce mystère, demande, cherche et frappe ! S'il couvre de voiles ce mystère, c'est qu'il veut t'exciter à chercher et trouver toi-même l'explication. Tous, nous devons nous encourager à prier. » et la seule question de l'où es-tu ? nous conduira vers Celui qui nous cherche derrière le voile de l'amour donné. Dans le jardin du monde, il pose lui aussi la question. Où es-tu homme ? (cf. Gn 3). Ta vie est-elle don fragile ? Si elle l'est tu ne peux que me trouver. Car je suis don.

    

Nous venons de tracer un fil ténu qui part d’Osée, nous conduit au désert jusqu’à la quête d’Élie et pointe déjà vers le Christ. Dans cet axe fragile nous pouvons maintenant marcher comme des funambules vers le sommet de la révélation en retraversant d’autres textes fondateurs qui affinent cette marche et renforcent notre espérance : Dieu a soulevé le voile, écoutons le.


On a une tendance naturelle à commencer la

lecture de la Bible par la Genèse, pour deux raisons : elle commence elle-même par un récit de la création du monde et le peuple juif l’a placée au début du Pentateuque, les cinq grands livres de la Thora. 


Mais les travaux récents démontrent que le texte de la Genèse est surtout rédigé après l’exil, au moins dans ses dernières strates rédactionnelles. 


Une autre approche serait alors d’analyser les récits dans l’ordre de leur apparition. C’est un peu ce que nous venons de faire avec Osée, considéré comme le, ou l’un des plus anciens textes écrits disponibles, même si de nombreuses traditions orales l’auraient précédé. 


Ce renversement dans l’ordre de la lecture nous a apporté un a priori positif sur ce qui se révèle de Dieu et permet d’entamer une lecture qui rejoint, in fine, la révélation chrétienne. C’est cet exercice que nous venons de tenter. 


Retournons maintenant vers ce récit de l’origine, non comme une véritable histoire de l’humanité, mais plutôt comme l’interprétation fondatrice d’un peuple en marche, qui mêle aux mythes fondateurs une interprétation plus spirituelle et psychologique de notre nature humaine. 

On peut dire que la Genèse, avant d'être une théologie, c'est-à-dire une science de Dieu est d'abord une anthropologie, c'est-à-dire une science de l'homme. En visitant ces histoires humaines, c’est notre histoire qui est revisitée, dans ce qu’elle a de beau et de vil, de passionné et de malheureux. Suivre les pas des patriarches, c’est aussi mettre à jour nos faiblesses, ce qui fait de nous des êtres qui ont besoin de Dieu.

Il y a dans ce texte les traces d’une révélation qui semble au départ « lumineuse » alors qu’elle est pour l’auteur, comme pour le lecteur d’aujourd’hui plus voilée. Deux explications semblent possibles. Les premiers chapitres de la Genèse sont probablement une projection des auteurs en exil qui gomment une partie du passé pour redonner espoir à un peuple qui se croit perdu. À l’inverse, Dieu semble maintenant en retrait et le présent est de plus en plus noir. C’est peut-être parce que dans ce "reste" qui demeure, proche de celui découvert par Elie (cf. plus haut), une même dynamique est demandée que celle des premiers chrétiens. S’ils ont été capables d'accueillir l'incroyable d'un Dieu qui le rejoint en s’incarnant, il nous reste à les suivre sur ce chemin.

Dès le chapitre 3, nous sommes confrontés à l’irruption du mal. Nous y contemplons ces violences qui ne sont pas absentes de notre humanité et viennent en nous réveiller nos propres désirs, tentations et fragilités.

Le Pape François évoque ce « chemin de souffrance et de sang qui traverse de nombreuses pages de la Bible, à partir de la violence fratricide de Caïn sur Abel et de divers conflits entre les enfants et les épouses des patriarches». Dieu est-il absent de tout cela ? Non ! Sa tendresse s’est révélée en Os. 115 et reste visible, entre les lignes. Laissons-nous habiter par ce texte, manduquons-le et trouvons, au sein des tensions qui se révèlent la pédagogie de Dieu dont l’aboutissement ne sera visible qu’en Christ.


Entrer dans la pédagogie de Dieu, c’est se laisser façonner petit à petit, comme il l’a fait avec son peuple. « L'entreprise [divine] (...) [est] l'objet d'un travail (...) Dieu la prend, la touche, la pétrit, l'effile et la façonne. Représente-toi Dieu tout entier occupé à donner figure à l'œuvre de sa main : il y applique son intelligence, son action, son conseil, sa sagesse et sa providence et avant tout son affection (...) Dieu fit l'homme. Ce qu'il façonna, « il le fit à l'image de Dieu », c'est-à-dire du Christ ».


On le verra, si Dieu se révèle, c’est souvent dans l’alternance d’un caché/dévoilé qui ne heurte pas nos sens, respecte notre liberté. Au terme du voyage, nous pourrons mieux contempler le Fils, figure ultime de toute pédagogie divine, « image du Dieu invisible » (Col. 1, 15). Il n’est pas pour autant le voile de Dieu. Il nous faut comprendre, à la lumière des deux mille ans de révélation qui l’ont précédé, l'enjeu de son humanité, de son humilité, de l'abaissement qui nous ouvre à la contemplation de « l'homme en qui Dieu resplendit ». Au bout du chemin, comme nous le dit si bien le centurion, devant la Croix, chez Marc, le voile se déchire. Dieu est là... « Dieu apparaît en l'homme-Jésus ». Il est « l'homme-Dieu indivisible » nous dit Balthasar, contre une idée fausse qui verrait Jésus comme une figure incomplète, réservée aux simples, incapables de saisir la réalité de Dieu.


À suivre


Photo : Christ en croix, Robert Schneider, chapelle Baltard, saint Séverin

06 mai 2022

Danse des grains

 Danse des grains 2.55 (v2) - Demeurer et faire corps. La lecture de Jean 6 que nous donne à manduquer la liturgie d’hier et d’aujourd’hui va loin. Comme un appel à danser ensemble vers une communion toujours plus intense et signifier ainsi que Dieu seul est « sacrement de notre unité ».

Il y a peut être là une piste à creuser, à travers cette dimension communautaire de l’eucharistie qui n’est pas individuelle mais collective dans cet « en Christo » qu’évoque Hans Urs von Balthasar, dans la deuxième partie de sa trilogie, à la suite de Paul. 

Vivre « en Christ », qu’est-ce à dire ?


Saint Augustin a une belle image à ce sujet :

« Le pain est formé d'une multitude de grains; (...)« Si nombreux que nous soyons, dit en effet l'Apôtre, nous sommes tous un seul pain, un seul corps ». (...) Ce pain sacré nous apprend donc combien nous devons aimer l'union. 

En effet, est-il formé d'un seul grain? N'est-il pas au contraire composé de plusieurs grains de froment? Ces grains, avant d'être transformés en pain, étaient séparés les uns des autres; l'eau a servi durant ces jours passés vous étiez en quelque sorte écrasés (...) . L'eau du baptême est venue comme vous pénétrer ensuite, afin de faire de vous une espèce de pâte spirituelle. Mais il n'y a pas de pain sans la chaleur du feu. De quoi le feu est-il ici le symbole ? Du saint chrême : car l'huile qui entretient le feu parmi nous

est la figure de l'Esprit saint. » (1)


A cette lecture on voit que le « demeurer » n’est plus seulement un élan mystique individuel(2) comme cette tente que voulait planter Pierre au mont Thabor, mais bien la réponse à cette danse à laquelle nous sommes appelés au delà de l’humilité/kénose/danse trinitaire qui nous y invite notamment dans le « faites ceci en mémoire de moi »…


Cette dimension communautaire est à travailler pour dépasser ce qui, dans le rite, réduit l’enjeu du « faites ceci » en ce que XL Dufour appelait un mime. 


L’eucharistie n’est pas ce que nous en faisons souvent : une succession de rites magiques, mais bien un lieu de transformation fondamentale de notre vie.


La communion de tous les baptisés n’a de sens que si elle transforme la communauté en une véritable solidarité « polyédrique » au sens donné par François, où chacun a sa place active et essentielle. Le prêtre est utile, mais n’a, comme le souligne Benoît XVI lui même(3), qu’un rôle d’intermédiaire dans le mouvement collectif de l’assemblée qui, uni en Christ, devient corps dans sa manière d’être, transformé par le travail intérieur et un interactif entre le don reçu et le don donné, qu’exprime à sa manière aussi le couple chrétien dans son échange sacramentel (et dans sa vie) : « je te reçois et je me donne à toi ».


Ajoutons que le Christ n’est pas mort pour moi, je ne le reçois pas pour moi. Il est mort pour que nous participions ensemble à cette « dynamique sacramentelle » (4) qui dépasse le rite pour devenir l’aujourd’hui d’un royaume à construire. En ce sens ce n’est pas le ministre qui compte mais le Corps qui se construit, pour que cette inhabitation de Dieu en nous nous rende véritablement participants au plan de salut.


Zachée,  descends de ton arbre solitaire. Je veux demeurer chez/en toi… La phrase étonnante de Jésus est transformante et voici que son cœur de publicain éclate en don… 

Seigneur vient demeurer en nous pour que nos cœurs deviennent danse…


(1) SAINT AUGUSTIN, Sermon CCXXVII,

pour le jour de Pâque, aux nouveaux baptisés, cité par Martin Pochon dans son livre sur « la lettre aux hébreux » op. cit. p.188

(2) cf. Bernard SESBOUE dans son livre, Comprendre l'Eucharistie, Paris, Salvator2020, p-39-65, regrette que la tradition liturgique ait quelque peu effacé de sa symbolique cette dynamique unificatrice : la communion est devenue un acte individuel. B. Sesboüé cite encore sur ce thème le sermon 229 de saint Augustin, PL 38, col. 1103, et La Cité de Dieu, X, 6, NBA. Ibid.

(3) in J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui, 1982, p. 315

(4) cf http://chemin.blogspot.com/2020/05/lectures-pastorales-2-livres-en.html

10 février 2021

Homélie du 6eme dimanche année B

Où est la lèpre aujourd'hui ?
Une petite mise en contexte... avant de contempler l'Evangile.
On peut articuler trois réponses et de fait trois chemins.
Il y a la vraie lèpre qui se soigne, mais nécessite des moyens financiers importants. N'oubliez pas de contribuer à cela, dans la mesure de vos moyens.
Il y a ceux qu'on pourrait appeler les nouveaux lépreux, les migrants, devant lesquels on détourne souvent la tête parce qu'ils dérangent notre confort. Je vous invite à lire ou relire le chapitre 4 de Fratelli Tutti ou le dernier livre du pape, un temps pour changer, qui interpelle nos comportements sur ce point...notre facilité à tourner la tête. 
Il y a ensuite une lèpre plus insidieuse qui est ce mal qui nous ronge de l'intérieur. Comment l'appeler ? Paresse, peur, culpabilité, enfermement sur soi.
Nous sommes bien petits souvent face aux grands enjeux de notre société.
Il y a 15 jours, on me faisait remarquer à la sortie de la messe qu'il était bien difficile d'être chrétien en temps de Covid...
Les arguments sont réalistes, les Ehpad fermés, les maisons se renferment dans la peur. Il nous faut trouver de nouveaux moyens, reprendre la plume, écrire, poster, téléphoner ... soyons innovants !

Contemplons maintenant le Christ qui s'adresse au lépreux. « Il vint auprès de Jésus ;  il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit :  « Je le veux, sois purifié. »  À l'instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié.

Peut-être pouvons-nous, à la suite de cet homme, en toute humilité dire maintenant « Si tu le veux, tu peux me purifier. »

Transforme nous de l'intérieur, Seigneur. Viens graver en nous tes dons : la foi, la charité et l'espérance.
Et surtout aide nous, comme le suggère Paul à n'être  « un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l'Église de Dieu. » (...) aide-nous à nous « adapter à tout le monde, sans chercher [notre] intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes.
Augustin parle d’un enfantement difficile. Écoutons sa sagesse pastorale dans son commentaire de la lettre aux Galates sur le chemin difficile de l’imitation à laquelle nous invite Paul : « J'ai été au milieu de vous plein de douceur comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons.

Le Christ est formé par la foi chez le croyant, chez l'homme intérieur, appelé à la liberté de la grâce. doux et humble de cœur et qui ne se vante pas des mérites de ses actions, car ils sont nuls. Cependant. la grâce fait commencer en lui un peu de mérite, afin que le Christ puisse l'appeler un « petit ». c'est-à-dire lui-même, lui qui a dit : Ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l'avez fait. En effet. le Christ est formé en celui qui prend la forme du Christ ; or, on prend la forme du Christ lorsqu'on s'unit au Christ par l'amour spirituel.

C'est en l'imitant que l'on s'identifie au Christ, autant que la marche de chacun le lui permet. Car celui qui déclare demeurer dans le Christ, dit saint Jean. doit marcher lui-même dans la voie où il a marché.

(...) [afin que Dieu l’enfante] à nouveau, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous. (...)  il les enfante à nouveau à cause des dangers de déviation dont il les voit agités. Le souci causé à leur sujet par de telles inquiétudes, souci à cause duquel il emploie la comparaison de l'enfantement, ce souci pourra durer jusqu'à ce qu'ils parviennent à l'état d'adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude, pour qu'ils ne soient plus ballottés à tout vent de doctrine.

Ce n'est donc pas en vue du début de leur foi, par lequel ils étaient déjà nés, mais en vue de leur force et de leur perfection qu'il a dit : Vous que j'enfante à nouveau jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous. Il souligne cet enfantement avec d'autres mots dans un autre passage : Ma préoccupation quotidienne, c'est le souci de toutes les Églises. Qui est faible sans que je sois faible ? Qui est sur le point de tomber sans que je brûle ? »

Oui, nous sommes petits Seigneur dans notre aptitude à aimer. C’est là notre lèpre.

Seigneur vient creuser en nous une véritable charité. Elle ne vient pas de nous, mais de cette force intérieure que tu insuffle en nous. Dans les textes de la Genèse que nous avons j’espère longuement médité tout au long de cette semaine, l’Ecriture nous rappelle que tout es don. Viens révéler et réveiller en nous l’amour que tu as mis en nous.

Laisse nous entendre le cri que tu lances au désert : où es-tu ?





16 janvier 2021

Où est-il ? Danse 29


 Un frémissement d’ordre dans le chaos, une conjonction dans le désordre, une fleur dans le désert, un sourire dans un monde de brutes, l’amour au milieu de la haine, 

La mort d’un innocent qui détourne notre violence, une liberté dans une succession de déterminisme, une truite qui remonte le courant, une semence qui jaillit dans l’hiver, l’amour au milieu de la haine. 

Une disruption dans une suite logique, le silence intérieur dans un flot de d’insouciance. Un appel au delà de nos peurs, l’insaisissable au sein de nos raisonnements, l’épée tranchante à la jointure de l’âme, l’amour au delà de la haine.

Fécondité au delà de nos stérilités, fidélité au delà de nos abandons, pardon au delà de nos lâchetés, indissolubilités dans la frivolité. L’amour au delà de la haine.

Abaissement malgré nos ignorances, confiance au delà de nos doutes, sacrifice unique de celui qui aime ceux qui veulent le trahir.

Brise légère au delà du feu et du tonnerre. Chant des anges au milieu du silence, paix intérieure au milieu de nos inquiétudes, frémissement au sein des nuits obscures. Soignant au milieu des malades, Miséricorde malgré nos haines. Espérance au delà de la mort.

Dieu ne se démontre pas, il se révèle quand on ne l’attend pas. 

Et pourtant cherche, ne cesse pas de chercher jusqu’à ce que tu cries, comme Augustin : tu étais là et je ne le savais pas » ;-)

23 juillet 2020

Amour en toi - 79 - Dieu intérieur

Quel est l'enjeu du demeurer en moi ? Demeurer, c'est entrer dans les profondeurs, dans l'océan intérieur où Dieu se cache.

Au delà des vagues, des tempêtes, il y a un calme inattendu, un lieu de paix qui nous attend. Comme ce rayon inattendu qui illumine la mer démontée et fait apparaître l'essence du divin.


« Tu étais là et je ne le savais pas » (1).

Il faut le silence, un silence profond, pour que le Verbe résonne au fond de soi, au plus profond de soi. C'est là que Dieu se révèle.

« Deus interior intimo meo », Dieu plus intérieur que le plus intime de moi-même (1). C'est dans le silence qu'il me parle, me bouscule, jusqu'au jointures de l'âme. Écoutons-le !

(1) Saint Augustin, Les Confessions.
(2) ibid. III, VI, 11

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17 juillet 2020

Aride liturgie - dépouillement 20

Aride liturgie - dépouillement 20

Combien de fois la liturgie nous rebute, les symboles nous échappent, les gestes passent à côté de nos réalités humaines.

Je suis un des premiers à la décrier et la conspuer, à avoir en horreur ses fastes et ses excès. Et en même temps je dois avouer que parfois l'aridité de ces répétitions, la profondeur de sens de ce qui est prononcé, la face cachée des gestes et des symboles révèlent autre chose que l'apparence et le rideau se déchire (1). Arrière Satan...!

Dans l'aridité d'un chemin du désert (2), dans le dépouillement attendu d'un carême, dans la symbolique d'une misérable hostie offerte, Dieu se fait signe.

Paradoxe et oxymore que cette liturgie que nous détestons souvent sans en chercher le sens caché. Benoît XVI, avant d'être pape avait cette phrase assassine qui interpelle dans l'esprit du christianisme : « le prêtre peut-être un imbécile, le sacrement reste valide » (3) ce qui tempère nos ardeurs jalouses et notre aptitude fréquente à jeter le cœur du symbole avec l'eau du bain.

« Si ce que tu admires est une ombre, une préfiguration, combien grande est la réalité dont l'ombre excite déjà ton admiration. Écoute bien : ce qui s'est réalisé pour nos ancêtres n'était que l'ombre de la réalité à venir. Ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ. Cependant la plupart n'ont fait que déplaire à Dieu, et ils sont tombés au désert. Ces événements se sont réalisés en figure à notre intention. Tu sais maintenant ce qui a le plus de valeur: la lumière l'emporte sur les ténèbres, la vérité sur la figure, le corps du Créateur sur la manne venue du ciel.(4)

Je dois reconnaître qu'il m'a fallu près de 50 ans de pratique brouillonne et revêche avant de découvrir à travers l'enseignement lumineux d'un moine de Lérins à l'ICP (5) le sens caché de cette échange entre les fidèles et le prêtre qui ouvre la consécration et donne à ce dernier le droit temporaire et fragile de monter à l'autel pour célébrer le mystère eucharistique. (6)

Nous passons bien souvent à côté de l'essentiel. Et pourtant, combien de fois, au cœur d'une assemblée brouillonne, malgré mes réticences et mes distractions Dieu soudain m'a fait signe et s'est révélé soudain dans sa fragilité me faisant tomber à genoux devant lui, en dépit de mon orgueil et de ma suffisance.

« Tu étais là et je ne le savais pas » (7) résonne alors en nous les phrases d'Augustin, alors qu'un « Seigneur je ne suis pas digne » traverse notre esprit et nous découvre l'amour et notre faiblesse mêlée.

Le cléricalisme est-il le prix à payer, la pilule amère de ce mystère qui se cache derrière des années de tradition accumulées...?

L’eucharistie est le sommet d’une dynamique qui commence et rejoint l’agir. Elle cristallise en un temps et un lieu un double mouvement de Dieu vers l’homme, agenouillement sans fin et de l’homme vers Dieu, agenouillement rare et fragile, comme celui auquel Etty Hillesum s’est retrouvée conduite à adopter (8) suite au long travail intérieur de Dieu.


L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse,
car nous ne savons pas prier comme il faut. » (Rom 8, 26)

(1) cf. Le rideau déchiré ou mon livre fleuve « pédagogie divine » in « Dieu dépouillé » gratuit sur Fnac.com
(2) cf. Le chemin du désert ibid.
(3) je cite de mémoire
(4) Ambroise de Milan, traité sur les mystères, source office des lectures du 16/7, 15ème semaine du temps ordinaire
(7) confessions, chap. VIII
(8) cf. Une vie bouleversée

Le titre de cet article m’a été partiellement inspiré par la méditation de François Cassingena-Trévédy sur l’aridité in « La voix contagieuse »

23 mai 2020

Action et contemplation - les deux voies

Action et contemplation - les deux voies
Cela pourrait être une homélie sur Marthe et Marie, où la réponse à l'éternelle question de la préférence entre action et contemplation, régulier ou séculier, laïc ou clerc, mariage ou consécration.
Comme souvent le petit chercheur que je suis, bafouillant dans l'expression de l'invisible, s'efface devant la sagesse d'un Augustin que nous fait découvrir l'office des lectures du samedi qui suit l'ascension (1) : « L'Église connaît deux genres de vie qui lui ont été révélés et recommandés par Dieu. L'une de ces vies est dans la foi, l'autre dans la vision ; l'une pour le temps du voyage, l'autre pour la demeure d'éternité ; l'une dans le labeur, l'autre dans le repos ; l'une sur la route, l'autre dans la patrie ; l'une dans le travail de l'action, l'autre dans la récompense de la contemplation. ~

La première est symbolisée par l'Apôtre Pierre, la seconde par Jean. La première est en action jusqu'à la fin du monde, avec laquelle elle trouvera sa propre fin ; la seconde doit attendre son accomplissement après la fin de ce monde, mais dans le monde futur elle n'a pas de fin. C'est pourquoi il est dit à Pierre : Suis-moi, et au sujet de saint Jean : Si je veux qu'il reste jusqu'à ce que je vienne, est-ce ton affaire ? Mais toi, suis-moi. ~

Suis-moi en supportant les maux temporels, à mon imitation ; lui, qu'il reste jusqu'à ce que je vienne lui donner les biens éternels. Ce qui peut se dire plus clairement ainsi : Que l'action parfaite vienne à ma suite, modelée à l'exemple de ma passion ; que la contemplation, qui ne fait que commencer, reste jusqu'à ce que je vienne, pour obtenir son accomplissement lorsque je viendrai.

Suivre le Christ en allant jusqu'à la mort, c'est la plénitude de la patience ; rester jusqu'à ce que le Christ vienne, c'est la plénitude de science qui doit le faire connaître. Ici, on supporte les maux de ce monde sur la terre des mourants ; là on verra les biens du Seigneur sur la terre des vivants.

Lorsque le Seigneur dit : Je veux qu'il reste jusqu'à ce que je vienne, il ne faut pas l'entendre comme s'il avait dit « rester », au sens de rester en arrière ou de s'installer, mais au sens d'attendre. Car ce que saint Jean symbolise ne doit pas s'accomplir maintenant, mais quand le Christ reviendra. Au contraire ce que symbolise saint Pierre, à qui il est dit : Toi, suis-moi, ne parviendra à l'objet de son attente que s'il agit de maintenant. ~

Mais que personne ne sépare ces glorieux Apôtres. Tous deux se rejoignaient dans ce que Pierre symbolisait ; et en ce que Jean symbolisait, tous deux se rejoindraient plus tard. C'est symboliquement que l'un suivait et que l'autre restait. Par la foi, tous deux supportaient les maux présents de cette vie malheureuse, et tous deux attendaient les biens futurs de la béatitude.

Ce n'est pas eux seulement, c'est toute la sainte Église, l'épouse du Christ, qui agit ainsi : elle doit être délivrée de ces épreuves d'ici-bas, elle doit demeurer dans la félicité d'en haut. Pierre et Jean ont figuré ces deux vies, chacun pour l'une des deux. Mais en réalité, tous deux ont suivi la première, passagèrement, par la foi ; et tous deux jouiront de la seconde, éternellement, par la vision.

Puisque tous les saints appartiennent inséparablement au corps du Christ, afin de gouverner le vaisseau de la vie présente au milieu de tant d'orages, les clés du Royaume des cieux pour lier et délier les péchés ont été confiées à Pierre, le premier des Apôtres : et c'est encore à l'intention de tous les saints, pour qu'ils connaissent l'abri très paisible de la Vie la plus intime, que Jean l'Évangéliste a reposé sur la poitrine du Christ,

Ce n'est donc pas Pierre seul mais toute l'Église qui lie et délie les péchés ; et ce n'est pas Jean seul qui boit à la source qu'est la poitrine du Seigneur. Il a révélé par ses paroles que le Verbe, au commencement, était auprès de Dieu et était Dieu, et bien d'autres vérités sublimes sur la divinité du Christ, la Trinité et l'unité de toute la divinité. Ces vérités, qu'il doit contempler face à face dans le Royaume céleste, maintenant il doit les percevoir dans l'image confuse donnée par un miroir. Aussi est-ce le Seigneur lui-même qui répand sur toute la surface de la terre son Évangile pour que, chacun à la mesure de ses capacités, tous les croyants puissent y boire. »

Relisons bien ce que j'ai mis en italique. On trouve un thème repris par Congar dans sa théologie du laïcat. Il n'y pas de primauté au delà de ce que Jésus disait sur Marie de Béthanie (à contempler dans le contexte précis et daté d'une visite du Sauveur) : chacun à son chemin et sa voie, est part du polyèdre (2) de l'Église et pierres vivantes d'une cathédrale à construire. Le diacre n'est pas plus grand que le laïc ou l'évêque que la personne atteinte d'un handicap, chacun compte dans le mystère d'une église à construire.




(1) Augustin d'Hippone, commentaire sur l'Évangile de Jean, samedi de la sixième semaine de Pâques. Source AELF
(2) expression fréquente chez le pape François, cf. notamment QA §29

26 avril 2020

Fraction du pain - saint Augustin

Fraction du pain - saint Augustin

En guise de corrigé sur ma méditation d'hier, ce texte d'Augustin cité par l'Évangile au Quotidien : « Reste avec nous »
Frères, quand est-ce que le Seigneur s'est fait reconnaître ? Quand il a rompu le pain. Nous en sommes donc assurés nous-mêmes : quand nous rompons le pain, nous reconnaissons le Seigneur. S'il n'a voulu être reconnu qu'à cet instant, c'est pour nous, nous qui ne devions pas le voir dans la chair, et qui pourtant devions manger sa chair. Toi donc qui crois en lui, qui que tu sois, toi qui ne portes pas en vain le nom de chrétien, toi qui n'entres pas par hasard dans l'église, toi qui écoutes la parole de Dieu dans la crainte et l'espérance, le pain rompu sera pour toi une consolation. L'absence du Seigneur n'est pas une vraie absence. Aie confiance, garde la foi, et il est avec toi, même si tu ne le vois pas.
Quand le Seigneur les a abordés, les disciples n'avaient pas la foi. Ils ne croyaient pas en sa résurrection ; ils n'espéraient même pas qu'il puisse ressusciter. Ils avaient perdu la foi ; ils avaient perdu l'espérance. C'étaient des morts qui marchaient avec un vivant ; ils marchaient, morts, avec la vie. La vie marchait avec eux, mais en leur cœur, la vie n'était pas encore renouvelée.
Et toi, désires-tu la vie ? Imite les disciples, et tu reconnaîtras le Seigneur. Ils ont offert l'hospitalité ; le Seigneur semblait résolu à poursuivre sa route, mais ils l'ont retenu. (…) Toi aussi, retiens l'étranger si tu veux reconnaître ton Sauveur. (…) Apprends où chercher le Seigneur, où le posséder, où le reconnaître : en partageant le pain avec lui (1)

(1) Saint Augustin
Sermon 235 ; PL 38, 1117 (Le mystère de Pâques, coll. Icthus, t. 10; trad. F. Quéré; Éd. Grasset 1965; p. 225)

22 mars 2020

Au fil de Jean 9 - Augustin - Aveugle né

Au fil de Jean 9 - Augustin - Aveugle né

Le Seigneur a dit brièvement : Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. Ces paroles contiennent d'une part un ordre, d'autre part une promesse. Faisons donc ce qu'il a ordonné pour ne pas désirer avec imprudence ce qu'il a promis. Qu'il ne nous dise pas, au jugement : « As-tu fait ce que j'ai commandé, pour que tu réclames ce que j'ai promis ? — Qu'as-tu donc ordonné, Seigneur, notre Dieu ? » Il te le dit : « Suis-moi. » Tu as demandé un conseil de vie. De quelle vie, sinon celle dont il est dit : En toi est la source de vie ? ~ Obéissons donc maintenant, suivons le Seigneur ; brisons les entraves qui nous empêchent de le suivre. Et qui est capable de défaire de tels nœuds sans être aidé par Celui dont il est dit : Tu as brisé mes chaînes ? Celui dont un autre psaume dit : Le Seigneur délie les enchaînés, le Seigneur redresse les accablés.

Ces hommes délivrés et redressés, que vont-ils suivre, sinon cette lumière qui leur dit : Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres. Car le Seigneur éclaire les aveugles. Soyons donc éclairés, mes frères, en recevant un remède pour les yeux, celui de la foi. Car Jésus a commencé par oindre l'aveugle de naissance avec de la terre et sa salive. Nous-mêmes, du fait d'Adam, nous sommes des aveugles de naissance et nous avons besoin du Christ pour voir clair. Il a mélangé de la salive et de la terre : Le Verbe s'est fait chair, et il a établi sa demeure parmi nous. Il a mélangé la salive et la terre, de là cette prophétie : La vérité germera de la terre ; et lui-même a dit : Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie.

Nous jouirons pleinement de la Vérité, lorsque nous verrons face à face, car nous en avons la promesse. Qui oserait espérer ce que Dieu n'aurait pas daigné promettre ou donner ?

Nous verrons face à face. L'Apôtre dit : Notre connaissance est partielle. Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir ; alors nous verrons face à face. Et saint Jean, dans sa lettre : Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Nous le savons, lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est. Voilà la grande promesse !

Si tu aimes, tu dois suivre. « J'aime, dis-tu, mais par où dois-je suivre ? » Suppose que le Seigneur ton Dieu ait dit : « Moi, je suis la vérité et la vie. » Parce que tu désires la vérité, parce que tu convoites la vie, tu chercherais le chemin pour y parvenir, et tu te dirais : « C'est une belle chose que la vérité, une grande chose que la vie, si je savais comment y parvenir ! » Tu cherches par où ? Tu l'as entendu qui disait en premier lieu : Moi, je suis le Chemin. Avant de te dire « pour où », il a commencé par te dire « par où ». Moi, je suis le Chemin. Le Chemin pour où ? — La Vérité et la Vie. Il t'a dit d'abord par où aller, il t'a dit ensuite où aller. Moi, je suis le Chemin, moi, je suis la Vérité, moi, je suis la Vie. Lui qui demeure auprès du Père, il est la Vérité et la Vie ; en revêtant notre chair, il est devenu le Chemin.

On ne te dit pas : « Donne-toi du mal, cherche le chemin pour parvenir à la vérité et à la vie. » On ne te dit pas cela. Lève-toi, paresseux ; le Chemin en personne vient vers toi, et il t'a éveillé de ton sommeil, si du moins il t'a éveillé : Lève-toi et marche !

Peut-être essaies-tu de marcher, et tu ne peux pas parce que tu as les pieds malades. Pourquoi as-tu les pieds malades ? Peut-être que la cupidité les a forcés à courir dans des terrains accidentés. Mais le Verbe de Dieu a guéri aussi les boiteux. « Eh bien, dis-tu, j'ai les pieds en bon état, mais c'est le chemin que je ne vois pas. » Il a éclairé aussi les aveugles.(1)

(1) St Augustin, commentaire de l'évangile de Jean, source office des lectures AELF

15 mars 2020

Au fil de Jean 4 - La Samaritaine - Saint Augustin

En guise de corrigé de mon homélie, Écoutons saint Augustin sur Jean 4 :

« Arrive une femme. Elle représente l'Église ; l'Église qui n'était pas encore justifiée, mais déjà appelée à la justification. Car c'est de cela qu'il est question. Elle arrive sans savoir, elle trouve Jésus, et la conversation s'engage.

Voyons comment, voyons pourquoi arrive une femme de Samarie qui venait puiser de l'eau. Les Samaritains n'appartenaient pas au peuple des Juifs, car à l'origine ils étaient des étrangers. ~ C'est un symbole de la réalité qu'arrive de chez les étrangers cette femme qui était l'image de l'Église, car l'Église devait venir aussi des nations païennes, être étrangère à la descendance des Juifs.
Écoutons-la donc : en elle, c'est nous qui parlons ! Reconnaissons-nous en elle et, en elle, rendons grâce à Dieu pour nous. Elle était la figure, non la vérité ; car elle-même a présenté d'abord la figure, et la vérité est venue. Car elle a cru en celui qui, en elle, nous présentait cette préfiguration. Donc, elle venait puiser de l'eau, tout simplement, comme font ordinairement des hommes ou des femmes.
  
Jésus lui dit : Donne-moi à boire. (En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger). La Samaritaine lui dit : Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.
Vous voyez que c'étaient bien des étrangers : les Juifs n'employaient jamais leurs récipients. Et, parce que cette femme avait emporté une cruche pour puiser l'eau, elle s'étonne de ce qu'un Juif lui demande à boire, ce qui n'était pas la coutume des Juifs. Mais celui qui cherchait à boire avait soif de la foi de cette femme.

Écoute enfin quel est celui qui demande à boire. Jésus lui répondit : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi à boire, c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. Il demande à boire, et il promet à boire. Il est dans le besoin, comme celui qui va recevoir, et il est dans l'abondance, comme celui qui va combler. Si tu savais le don de Dieu, dit-il. Le don de Dieu, c'est l'Esprit Saint. Mais Jésus parle encore à cette femme de façon cachée et peu à peu il entre dans son cœur. Peut-être l'instruit-il déjà. Qu'y a-t-il de plus doux et de plus bienveillant que cette invitation : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi a boire, c'est peut-être toi qui demanderais, et il te donnerait de l'eau vive. ~
Quelle eau va-t-il lui donner, sinon cette eau dont il est dit : En toi est la source de vie ? Comment auraient-ils soif, ceux qui seront enivrés par les richesses de ta maison ?
Il promettait donc la nourriture substantielle et le rassasiement de l'Esprit Saint, mais la femme ne comprenait pas encore. Et, parce qu'elle ne comprenait pas, que répondait-elle ? La femme lui dit : Seigneur, donne-la moi, cette eau :  que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. Sa pauvreté l'obligeait à peiner, et sa faiblesse refusait cette peine. Elle aurait dû entendre cette parole : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos ! Jésus lui disait cela pour qu'elle cesse de peiner. Mais elle ne comprenait pas encore.(1) »

(1) Augustin d'Hippone, commentaire de l'Evangile de Jean, source: office des lectures du 3eme dimanche de carême

23 février 2020

Mal originé ou prix de la liberté - Bernard Sesboué

Mal originé ou prix de la liberté - Bernard Sesboué

Je continue ma lecture. Après une longue analyse sur les différentes interprétations du « péché originel » qui nous conduit de Pélage et Augustin au concile de Trente et ses premiers canons (1), l'auteur analyse la réponse des philosophes des Temps Modernes. On quitte la notion étroite d'un mal transmis par Adam vers une interpellation du mal comme « passage de la nature à la liberté ». Pour Kant, la source du mal se « trouve dans un choix libre » fait par tout homme. Hegel évoque quant à lui un mal qui révèle le bien en creux, « les deux connaissances étant inséparables pour [que l'homme devienne] un être moral (...) [qu'il parvienne à un] processus de maturation (...) [au] développement de la conscience de soi (...) Félix culpa (...) [cette chute] nécessaire pour un plus grand bien. (...) Ce qui chez Kant était de l'ordre de la liberté devient chez Hegel le devenir nécessaire de la conscience » (2).

L'enjeu n'est pas de chercher un coupable ailleurs, mais de se rendre compte de l'enchaînement qui nous rend esclave et de trouver une manière d'accueillir cette grâce qui nous en libère.

Tout cela n'est pas éloigné de cette pédagogie divine que nous cherchons à mettre en lumière.
La liberté donnée à Adam n'est pas incompatible avec la sollicitude de Dieu et la question intérieure posée à l'homme : « où es-tu ? »(3)

Mais Sesboué continue, à l'aune des travaux de Rahner, vers une approche qui n'est pas loin de ce que j'appelle la constatation de nos « adhérences » au mal qu'il définit comme un héritage que l'on ne peut trop vite appeler originel mais qui est constitutif de notre état, de notre liberté et de notre chemin de sanctification. C'est à partir de l'homme actuel que la constatation de nos faiblesses permettent d'appréhender l'origine du mal et non une prétendue connaissance historique qui nous conditionnerait au mal, au serf-arbitre ou à tout autre fatalité. Et c'est dans cette condition que Christ a sa place. Si nous ouvrons nos cœurs à ce Dieu sauveur.

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p.199 à 245.
(2) ibid. p. 246-8
(3) cf. mon livre éponyme

21 février 2020

Fais de la place pour l’amour - Augustin - Amour en toi 55


Je suis d'autant plus sensible à cette exhortation qu'elle est centrée sur une mention de Philippiens 3, choisi pour mon mariage il y a 33 ans...
un clin Dieu... ;-)

« Quelle est la promesse qui nous a été faite ? Nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est. La parole s'est exprimée comme elle a pu ; le reste, c'est au cœur de le comprendre. Alors que saint Jean lui-même s'exprime, comme il peut par rapport à Celui qui est, que pourrions-nous dire, nous qui sommes si loin d'égaler ses mérites ?

Revenons donc à cette onction du Christ, revenons à cette onction qui nous enseigne intérieurement ce que nous ne pouvons pas exprimer ; et puisque vous ne pouvez pas voir maintenant, que votre activité se contente de désirer. Toute la vie du vrai chrétien est un saint désir. Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais en le désirant tu deviens capable d'être comblé lorsque viendra ce que tu dois voir.

Supposons que tu veuilles remplir une sorte de poche et que tu saches les grandes dimensions de ce qu'on va te donner, tu élargis cette poche, que ce soit un sac, une outre, ou n'importe quoi de ce genre. Tu sais l'importance de ce que tu vas y mettre, et tu vois que la poche est trop resserrée : en l'élargissant, tu augmentes sa capacité. C'est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir ; en faisant désirer, il élargit l'âme ; en l'élargissant, il augmente sa capacité de recevoir.

Nous devons donc désirer, mes frères, parce que nous allons être comblés. Voyez saint Paul, élargissant son désir pour être capable de recevoir ce qui doit venir. Il dit en effet : « Certes, je ne suis pas encore arrivé, je ne suis pas encore parfait. ~ Frères, je ne pense pas avoir déjà saisi le Christ. »

Que fais-tu alors en cette vie, si tu ne l'as pas encore saisi ? — « Une seule chose compte : Oubliant ce qui est en arrière et tendu vers l'avant, je suis mon élan vers le triomphe auquel je suis appelé de là-haut »[Ph 3]. Il dit qu'il est tendu et qu'il suit son élan. Il se sentait incapable de saisir ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce que le cœur de l'homme n'a pu concevoir.

Voilà notre vie : nous exercer en désirant. Le saint désir nous exerce d'autant plus que nous avons détaché nos désirs de l'amour du monde. Nous l'avons déjà dit à l'occasion : vide ce qui doit être rempli. Ce qui doit être rempli par le bien, il faut en vider le mal.

Suppose que Dieu veut te remplir de miel : si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel ? Il faut répandre le contenu du vase il faut nettoyer le vase lui-même il faut le nettoyer à force de travailler, à force de frotter, pour qu'il soit capable de recevoir autre chose.

Parlons de miel, d'or ou de vin : nous pouvons désigner de n'importe quel nom ce qui est indicible, mais son vrai nom est Dieu. Et quand nous disons « Dieu », que disons nous ? Ce mot désigne tout ce que nous attendons. Tout ce que nous pouvons dire est en dessous de la réalité ; élargissons-nous, en nous portant vers lui, afin qu'il nous comble, quand il viendra. Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » (1)

Sur même sujet on trouvera les mêmes accents dans la vie de Moise de Grégoire de Nysse (2)

(1) Saint Augustin, sermon sur la première lettre de Jean
(2) cf. La course infinie

14 février 2020

Esclave du mal - 2

La vraie punition du mal est de conduire au mal (1) d'entrer dans une forme d'aliénation et d'adhérence vers un toujours plus qui n'est que l'expression d'une constante insatisfaction. Le danger est de se complaire dans cette course, de d'auto-congratuler dans l'orgueil ou l'avarice qui enferme sur soi, dans cette adhérence qui constitue ce que l'Église appelle péché. Le mot est sur-utilisé et donc connoté, mais l'esclavage est bien là dans cette auto-complaisance.

La sexualité beaucoup utilisée par Augustin pour sa démonstration n'échappe pas à cet esclavage. Même en la masquant derrière la danse sponsale de deux êtres unis pour la vie et l'harmonie qui en sort, il faut reconnaître qu'une certaine animalité reste présente et nécessite toujours au moins discernement si ce n'est prudence. La théologie du corps est en quelque sorte une belle réhabilitation de l'amour conjugal, elle ne doit pas servir pour autant à justifier, comme je le vois parfois, même chez des prophètes du genre, à excuser tout. « L'amour prend patience. Il ne cherche pas son intérêt » nous rappelle Paul (1 Co 13).
L’enjeu est d’éduquer nos pulsions, de les transformer en dynamique de vie et d’amour, pour et au service du couple et de ses fruits. Comme le suggère Sesboué : « humaniser la pulsion sexuelle et faire de la dynamique des corps l’expression efficace (le sacrement en tant que signe et cause) d’un amour vraiment spirituel » (2)
Méfions nous de nous-mêmes et des excuses que l'on se donne. Je parle d'expérience. Nos esclavages ne sont pas apparents. Ils nous tiennent par de belles ruses...

(1) je paraphrase ici une réflexion de Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 204sq.
(2) ibid. p. 208

11 février 2020

Salut et rédemption - Joseph Moignt

Depuis Pélage, Augustin et Anselme, le concept de rédemption méritait d'être approfondi pour éviter de sombrer dans une vision étriquée du salut qui se focalise trop sur le rachat de nos fautes originelles et ignore l'essentiel : l'amour inconditionnel et immense de Dieu révélé par son Fils. Si Dieu pleure sur nos obstinations, s'il nous conduit malgré tout vers la lumière, c'est que son projet sur l'homme est plus grand que nos petitesses.

Le feu de son amour est la vraie lumière.

05 février 2020

Conversion intérieure - l’amour en toi 52

Il y a une interaction subtile entre la lente révélation de Dieu et la prise de conscience intérieure de sa présence et surtout l'ouverture du cœur qui en résulte : « ce mouvement de grâce par lequel Dieu tourne la création vers lui est un mouvement de conversion vers Dieu (...) En tournant la créature vers lui, Dieu lui permet de prendre conscience d'elle-même : la conscience de soi est intérieure à la conscience de Dieu. Telle est la doctrine de l'intériorité de la conscience chez Augustin : il faut que je demeure en toi pour que je demeure en moi : noverim te, noverim me. Cet acte d'être tourné vers Dieu évite à la conscience de se fermer sur elle-même et inaugure un mouvement qui la constitue comme désir, mouvement lui-même constitutif de la création »(1)

Mais le désir d’aimer (et donc le désir de Dieu) n’est que le premier pas. Notre joie vient de cette liberté qui résulte de l’amour en actes et en vérité. Nous sommes libres dès que nous quittons toutes ces adhérences au mal, c’est aliénations qui sont illusions de liberté et qui conduisent à moins aimer.

L’irruption du visage d’autrui est le chemin de notre liberté dirait Lévinas...

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 96

01 février 2020

Au fil de marc 4,35-41 - Christ au delà de la mort - Augustin et Gaudium et Spes


« Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l'autre rive. »
Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d'autres barques l'accompagnaient.
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait.
Lui dormait sur le coussin à l'arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N'avez-vous pas encore la foi ? »
Saisis d'une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

Pourquoi sombrons nous dans le désespoir ? Pourquoi la tempête à prise sur nous. Quel attachement avons nous aux choses de ce monde ?

Viens et suis moi. Je n'ai pas d'endroit où poser ma tête, je fais la volonté de mon père. Qu'importe le reste. Écoutons saint Augustin : « Ne laissez pas la foi dormir dans vos cœurs au milieu des tempêtes et des houles de ce monde. Le Seigneur Jésus Christ exerçait sans aucun doute son pouvoir sur le sommeil non moins que sur la mort, et quand il naviguait sur le lac, le Tout-Puissant n'a pas pu succomber au sommeil sans le vouloir. Si vous pensez qu'il n'avait pas cette maîtrise, c'est que le Christ dort en vous. Si, au contraire, le Christ est éveillé en vous, votre foi aussi est éveillée. L'apôtre Paul dit : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi » (Ep 3,17).
Donc le sommeil du Christ est le signe d'un mystère. Les occupants de la barque représentent les âmes qui traversent la vie de ce monde sur le bois de la croix. En outre, la barque est la figure de l'Église. Oui, vraiment, tous les fidèles sont des temples où Dieu habite, et le cœur de chacun d'eux est une barque naviguant sur la mer ; elle ne peut sombrer si l'esprit entretient de bonnes pensées. On t'a fait injure : c'est le vent qui te fouette. Tu t'es mis en colère : c'est le flot qui monte. Ainsi, quand le vent souffle et que monte le flot, la barque est en péril. Ton cœur est en péril, ton cœur est secoué par les flots. L'outrage a suscité en toi le désir de la vengeance. Et voici : tu t'es vengé, cédant ainsi sous la faute d'autrui, et tu as fait naufrage. Pourquoi ? Parce que le Christ s'est endormi en toi, c'est-à-dire que tu as oublié le Christ. Réveille-donc le Christ, souviens-toi du Christ, que le Christ s'éveille en toi ; pense à lui. » (1)

Et si la mort t'envahit, si tu es tourmenté « par la souffrance, par la déchéance progressive de [ton] corps, mais plus encore par la peur d'une destruction définitive, [si tu ] (...) déteste et refuse cette ruine totale, cet échec définitif de la personne. [Si le] germe d'éternité que [tu] portes (...) s'insurge contre la mort. [et demeure] impuissant à calmer ton anxiété (...) [n'oublie pas que] Dieu a créé l'homme en vue d'une fin bienheureuse, au-delà des misères du temps présent. De plus, la foi chrétienne enseigne que cette mort corporelle, à laquelle l'homme aurait été soustrait s'il n'avait pas péché, sera vaincue lorsque le salut, perdu par la faute de l'homme, lui sera rendu par son tout-puissant et miséricordieux Sauveur. Car Dieu a appelé l'homme et l'appelle toujours à adhérer à lui de tout son être, dans une communion éternelle à la vie divine qui ne peut se dissoudre. Cette victoire, le Christ l'a acquise lorsqu'il est ressuscité, parce qu'il libérait l'homme de la mort par sa propre mort. À partir des titres sérieux qu'elle offre à la réflexion de tout homme, la foi lui offre une réponse à son interrogation angoissée sur son propre avenir. Elle nous offre en même temps la possibilité de communier dans le Christ avec nos frères bien-aimés qui sont déjà morts, en nous donnant l'espérance qu'ils ont trouvé près de Dieu la véritable vie. ~

Certes, la nécessité et le devoir s'imposent au chrétien de lutter contre le mal en supportant de nombreuses épreuves, et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par espérance, il ira au-devant de la résurrection.

Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, la grâce est à l'œuvre. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et toute la vocation dernière de l'homme est réellement unique, c'est-à-dire divine, nous devons soutenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associés au mystère pascal.

Telle est la qualité et la grandeur du mystère de l'homme, ce mystère que la Révélation chrétienne éclaire pour les yeux des croyants. C'est donc par le Christ et dans le Christ qu'elle devient lumineuse, cette énigme de la douleur et de la mort qui, hors de son Évangile, nous accable. Le Christ est ressuscité ; par sa mort, il a vaincu la mort, et il nous a donné la vie en abondance pour que, devenus fils dans le Fils, nous puissions nous écrier dans l'Esprit : Abba, Père ! »(2)

Ta rosée, Seigneur, est une rosée de lumière ;
la terre donnera aux ombres la vie.(3)

(1) Saint Augustin, Sermon 63, 1-3; PL 38, 424-425 (Les Pères de l'Église commentent l'Évangile; Collection liturgique Mysteria sous la direction de Henri Delougne; trad. Abbaye de Clervaux; Éd. Brepols 1991, p. 259), source : l'Évangile au Quotidien.
(2) Gaudium et spes 18
(3) office des lectures du 1/2/20

Claude Hériard
06 26 33 82 85

30 janvier 2020

Distance comme devenir - Bernard Sesboué

Par rapport à l'affirmation aux multiples traductions d'Exode 3,14 : « Je suis celui qui suit » sainte Catherine attribue au Christ ce commentaire : « Je suis celui qui suis, tu es celle qui n'est pas », nous rapporte Bernard Sesboué(1) en soulignant « cette différence absolue (...) [la] finitude crée (...) [le] devenir » de l'homme où se joue la prise de « distance par rapport à soi-même », ce que Grégoire de Nysse appelle la diastasis, Basile de Césarée le diastèma et Augustin la distensio, un passage du néant à l'être. (1)

Quel est l'enjeu ? Est-ce « l'autrement qu'être » de Levinas, le décentrement, la fission du cœur dont parlait Ratzinger au JMJ de Cologne ?

Tout passe probablement d'abord par une contemplation, celle du créateur qui se donne et s'efface pour conserver notre liberté, première théophanie du buisson ardent qui précède le don et la nudité du Christ à une distance infinie de lui-même...

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 52ss

03 janvier 2020

Au fil de Luc 10, l’amour du prochain ?

« L'amour de Dieu est premier dans l'ordre des préceptes ; l'amour du prochain est premier dans l'ordre de la pratique. Car celui qui t'a prescrit cet amour en deux préceptes ne t'a pas recommandé le prochain d'abord, et Dieu ensuite ; mais Dieu d'abord, et le prochain ensuite.

Quant à toi, parce que tu ne vois pas encore Dieu, c'est en aimant le prochain que tu mérites de voir Dieu ; en aimant le prochain, tu purifies ton regard pour voir Dieu. C'est ce que saint Jean dit de façon évidente : Si tu n'aimes pas ton frère, que tu vois, comment pourrais-tu aimer Dieu, que tu ne vois pas ?

Voici que l'on te dit : Aime Dieu. Si tu me dis : Montre-moi celui que je dois aimer, que répondrai-je, sinon ce que dit saint Jean : Dieu, personne ne l'a jamais vu ? Mais ne t'imagine pas que tu es absolument exclu de la vie de Dieu ! Saint Jean nous dit : Dieu est amour, et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu. Aime donc le prochain, regarde en toi d'où te vient cet amour du prochain ; là tu verras Dieu, dans la mesure où cela te sera possible.

Mets-toi donc à aimer le prochain. Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne méprise pas ton semblable. ~

En agissant ainsi, qu'obtiendras-tu ? Alors ta lumière jaillira comme l'aurore. La lumière, c'est ton Dieu. C'est une aurore, parce que son avènement se produira pour toi après la nuit de ce monde. Car cette lumière-là ne se lève pas, ne se couche pas : elle demeure toujours.

En aimant le prochain, en prenant soin de ton prochain, tu es en route. Où cela, si ce n'est vers le Seigneur Dieu, vers celui que tu dois aimer de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit ? Car nous ne sommes pas arrivés jusqu'au Seigneur, mais nous avons le prochain avec nous. Porte donc celui avec qui tu marches, pour parvenir à celui avec qui tu désires demeurer. »



(1) Saint Augustin, commentaire de l'Evangile de Jean, source AELF


24 décembre 2019

Corrigé pour mon homélie du 25/12 - Augustin d’Hippone ;-)…

En guise de corrigé pour mon homélie du 25/12 ce beau texte d'Augustin :
 « la Vérité a germé de la terre : le Christ, qui a dit : Moi, je suis la Vérité, est né de la Vierge. Et du ciel s'est penchée la justice, parce que, lorsque l'homme croit en celui qui vient de naître, il reçoit la justice, non pas de lui-même, mais de Dieu.

La Vérité a germé de la terre, parce que le Verbe s'est fait chair. Et du ciel s'est penchée la justice, parce que les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d'en haut.

La Vérité a germé de la terre : la chair est née de Marie. Et du ciel s'est penchée la justice, parce qu'un homme ne peut rien s'attribuer, sinon ce qui lui est donné du Ciel.~

Nous qui sommes devenus justes par la foi, nous voici en paix avec Dieu parce que justice et paix se sont embrassées. Par notre Seigneur Jésus Christ : car la Vérité a germé de la terre. C'est lui qui nous a donné, par la foi, l'accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ; et nous mettons notre fierté dans l'espérance d'avoir part à la gloire de Dieu. Paul ne dit pas : « à notre gloire » ; mais à la gloire de Dieu parce que la justice n'est pas sortie de nous mais s'est penchée du ciel. Donc, celui qui cherche la gloire, qu'il mette sa gloire non en lui, mais dans le Seigneur.

De là vient que la louange angélique pour le Seigneur né de la Vierge a été : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes comblés de sa bienveillance.

En effet, d'où vient la paix sur la terre, sinon de ce que la Vérité a germé de la terre, autrement dit, que le Christ est né de la chair ? Et c'est lui qui est notre paix : des deux, il a fait une seule réalité, pour que nous soyons des hommes pleins de bienveillance, tendrement attachés les uns aux autres par le lien de l'unité.

En ce jour de grâce, réjouissons-nous, pour trouver notre gloire dans le témoignage de notre conscience ; alors, ce n'est pas en nous, mais en Dieu que nous mettrons notre gloire. C'est pour cela qu'il est dit : Ma gloire, tu tiens haute ma tête. Dieu pouvait-il faire briller sur nous une grâce plus grande que celle-ci : son Fils unique, il en fait un fils d'homme et, en retour, il transforme des fils d'hommes en fils de Dieu ?

Cherche où est le mérite, où est le motif, où est la justice, et vois si tu découvres autre chose que la grâce. » (1)


(1) Saint Augustin, homélie pour Noël
Peinture : Nativité de Gerrit von Honthorst, musée des offices, Florence

15 décembre 2019

La voix, le silence et la Parole - saint Augustin - amour en toi, 49…

« La parole est déjà dans mon cœur ; mais lorsque je veux te parler, je cherche comment faire passer dans ton cœur ce qui est déjà dans le mien.

Si je cherche donc comment la parole qui est déjà dans mon cœur pourra te rejoindre et s'établir dans ton cœur, je me sers de la voix, et c'est avec cette voix que je te parle : le son de la voix conduit jusqu'à toi l'idée contenue dans la parole ; alors, il est vrai que le son s'évanouit ; mais la parole que le son a conduite jusqu'à toi est désormais dans ton cœur sans avoir quitté le mien.

Lorsque la parole est passée jusqu'à toi, n'est-ce donc pas le son qui semble dire lui-même : Lui, il faut qu'il grandisse ; et moi, que je diminue ? Le son de la voix a retenti pour accomplir son service, et il a disparu, comme en disant : Moi, j'ai la joie en plénitude. Retenons la parole, ne laissons pas partir la parole conçue au fond de nous.

Tu veux voir comment la voix s'éloigne, tandis que demeure la divinité de la Parole ? Où est maintenant le baptême de Jean ? Il a accompli son service, et il a disparu. Maintenant le baptême du Christ se multiplie. Tous nous croyons au Christ, nous espérons le salut dans le Christ : c'est cela que la voix faisait entendre.

Il est difficile de distinguer la parole de la voix, et c'est pourquoi on a pris Jean pour le Christ. On a pris la voix pour la parole ; mais la voix s'est fait connaître afin de ne pas faire obstacle à la parole. Je ne suis pas le Messie, ni Élie, ni le Prophète. On lui réplique : Qui es-tu donc ? Il répond : Je suis la voix qui crie à travers le désert : Préparez la route pour le Seigneur. La voix qui crie à travers le désert, c'est la voix qui rompt le silence. Préparez la route pour le Seigneur, cela revient à dire : Moi, je retentis pour faire entrer le Seigneur dans le cœur ; mais il ne daignera pas y venir, si vous ne préparez pas la route.

Que signifie : Préparez la route, sinon : Priez comme il faut ? Que signifie : Préparez la route, sinon : Ayez d'humbles pensées ? Jean vous donne un exemple d'humilité. On le prend pour le Messie, il affirme qu'il n'est pas ce qu'on pense, et il ne profite pas de l'erreur d'autrui pour se faire valoir.

S'il avait dit : Je suis le Messie, on l'aurait cru très facilement, puisqu'on le croyait avant même qu'il ne parle. Il l'a nié : il s'est fait connaître, il s'est défini, il s'est abaissé.

Il a vu où se trouvait le salut. Il a compris qu'il n'était que la lampe, et il a craint qu'elle ne soit éteinte par le vent de l'orgueil. » (1)



Il est au milieu de vous,                    
celui que vous ne connaissez pas ;
préparez le chemin du Seigneur,
écoutez sa voix, amis de l'Époux,
pour que votre joie soit parfaite.

℟ Réjouissez-vous dans le Seigneur !
Réjouissez-vous, car il est proche

(1) Saint Augustin, homélie pour la nativité de Jean Baptiste, source : office des lectures du troisième dimanche de l'avent