31 juillet 2022

Les dons de Dieu 2.77

 

Ne passons nous pas à côté de l’essentiel ? 

Cet essentiel qu’évoque François dans son homélie du 28/7 : « L’enthousiasme des apôtres » qui découvre leur Galilée. C’est peut-être ce à quoi nous conduit la méditation des textes de dimanche passé. Contempler, comme le suggérait Bonaventure que nous sommes au milieu d’un torrent avec une petite amphore dans les mains, incapables de recueillir le fleuve immense des dons de Dieu.


C’est au delà de cette contemplation que quelque chose peut jaillir. Cet appel à l’essentiel qui résonne depuis l’où es tu originel de Gn 3.


Où es-tu ?

Que vas-tu faire de ces dons ? 


Comme souvent, c’est dans les commentaires de Marie-Noēlle Thabut que je trouve refuge. Sa lente manducation de l’Ecriture fait écho avec ma quête. Je vous joins quelques beaux extraits de peur de vous noyer dans le fleuve… : 


Quand nous lisons le livre de l’Ecclésiaste, nous courons toujours le risque de nous tromper de registre, dit-elle, car, quelles que soient les apparences, Qohéleth n’est pas un philosophe, mais un prédicateur : « Vanité des vanités, tout est vanité » : ces premiers mots du livre de l’Ecclésiaste en résume le mieux l’essentiel. 


« Le mot « vanité », n’a pas de connotation morale ; une traduction plus littérale serait « Buée de buées » : quelque chose d’évanescent ; qui peut se vanter de retenir une buée entre ses doigts ? Une autre expression, à peu près synonyme, que l’auteur affectionne est « poursuite de vent ». Traduisez : tout sur terre, tout ce à quoi nous dédions nos pensées, nos rêves, nos forces, nos activités, notre temps, tout n’est qu’éphémère, provisoire, passager. Tout ? Oui, tout… ou presque. Tout, sauf une seule chose au monde. Laquelle ? L’auteur laisse planer le suspense très longtemps. A la fin de son livre, seulement à la fin, il (...) dévoile enfin son secret, on comprend alors qu’il ne nous a pas délivré une méditation philosophique désabusée, mais en réalité une prédication musclée dite à mots couverts.

(...) A travers le pessimisme apparent de Qohéleth, apparaissent des rais de lumière : la foi en Dieu est sous-jacente, l’horizon n’est pas bouché. Et la seule vraie valeur au monde, celle qui ne décevra pas, c’est la foi, justement, ou la Sagesse, qui est abandon dans les mains de Dieu : « Les justes, les sages et leurs travaux sont dans les mains de Dieu. » (Qo 9,1). « Dieu donne à l’homme qui lui plaît sagesse, science et joie. » (Qo 2,26). Et, bien sûr, la morale de l’histoire, c’est qu’il faut pratiquer les commandements de Dieu, c’est le seul chemin du bonheur : « Celui qui observe le commandement ne connaîtra rien de mauvais. » (Qo 8,5).


« Pour finir, le fin mot de la sagesse, la vraie, celle que Dieu seul peut donner, c’est l’humilité : celle qui consiste à vivre tout simplement notre vie, telle qu’elle est, toute petite en définitive, comme un cadeau de Dieu : « Tout homme qui mange et boit et goûte au bonheur en tout son travail, c’est là un don de Dieu. » (Qo 3,13) (...) 


« La vraie sagesse, c’est d’être à notre place, toute petite devant Dieu ; face à lui, nous, nous ne sommes rien… rien qu’un peu de poussière dans sa main. Et c’est quand l’homme se reconnaît pour ce qu’il est, qu’il peut être heureux, qu’il peut être rassasié de l’amour de Dieu chaque matin, qu’il peut passer sa vie dans la joie et les chants. « Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants. » Car, dans la Bible, la conscience de la petitesse de l’homme n’est jamais humiliante puisqu’on est dans la main de Dieu : c’est une petitesse confiante, filiale. Tellement filiale et sûre de l’amour du Père qu’on peut lui demander en toute confiance : « Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu » (v. 17). (...) 


« La dernière phrase du psaume est superbe « Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains » : elle dit bien l’oeuvre commune de Dieu et de l’homme : l’homme agit véritablement, il oeuvre dans la création, et c’est Dieu qui donne à l’oeuvre humaine sa solidité, son efficacité.


« [Dans l’Evangile], on retrouve ici un enseignement habituel de Jésus sur l’unique trésor que nous devons rechercher, celui qui est dans les cieux. Car « En vue de Dieu » pourrait aussi être traduit « vers Dieu » ou « selon les vues de Dieu » ou même « au bénéfice du Royaume de Dieu ». Cela suppose au moins deux choses : premièrement, ne jamais oublier que les richesses viennent de lui ; deuxièmement, se rappeler en toutes circonstances que les richesses continuent à appartenir à Dieu et qu’il nous en confie la gestion pour que nous les fassions fructifier au profit de tous ses enfants.


« Nous avons donc ici de la part de Jésus non pas une leçon de philosophie sur les richesses de ce monde, mais une prédication sur l’urgence de mettre toutes nos richesses de toute sorte au service du royaume de Dieu.


« Oui, la vie est courte, comme le pensaient les contemporains d’Isaïe, mais justement, dépêchons-nous de la mettre à profit ! Si la nouvelle de l’évangile est bonne, alors il y a urgence. Voilà qui explique pourquoi Jésus a répondu un peu vivement au quémandeur d’héritage avec lequel a commencé notre lecture de ce dimanche. Cet homme-là se trompait vraiment de priorité.


« Une question pour finir : Tout compte fait, l’héritage qui devrait nous paraître le plus précieux, ne serait-ce pas la foi reçue de nos pères ? » (1)


Notre course est fragile, si nous passons à côté de l’essentiel. C’est peut-être le fil qui nous relie à notre méditation de la semaine dernière, cet essentiel qu’avait trouvé Marie de Béthanie. (Cf. mes billets 2.71 et 2.75) et qui est chemin vers cette Galilée évoquée par notre pape à la suite de celle qu’on appellera Madeleine… (2)


Cette semaine nous avons fêté les trois amis de Jésus. Une amitié d’agapè précise Jean 11 qui la rend précieuse à nos yeux. 


Alors entrons dans ce silence propice à l’écoute de ce fleuve immense de la Parole, à genoux avec notre petite amphore… (3)


(1) Extrait du commentaire de Marie-Noēlle Thabut https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/528669-commentaires-du-dimanche-31-juillet-2/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-31-juillet-2

(2) cf. S. Landrivon, les leçons de Béthanie, cerf 2022

(3) voir mes développements dans « L’amphore et le fleuve »

24 juillet 2022

De la demande à la contemplation 2.76 [v3]

Les textes de ce dimanche nous interpellent sur notre manière de prier. Ils nous conduisent à sortir du troc vers une véritable contemplation.

L’échange d’Abraham (Gn 18) est en effet un peu désespérant. Il se situe juste après l’épisode de Mambré, cette visite particulière où Abraham débute une route nouvelle, mais avant le chapitre 22 et cette fausse piste du sacrifice d’Isaac.  Abraham n’a pas encore perçu la vraie nature de Dieu, il négocie avec lui comme un marchand de tapis ? (1) Abraham est bien imprudent de demander cela. 

Qu’est ce que cela nous dit de Dieu ?

Dieu n’est pas celui qui demande le sacrifice du premier-né pour calmer sa colère. Nous n’avons pas à entrer dans un troc. Il nous faut au contraire changer notre regard sur Dieu lui-même. Et c’est probablement toute la pédagogie de Dieu qui commence ici. (2)

C’est probablement le cœur du message de l’Evangile. Jésus nous invite à passer du Dieu marchand au Dieu père. À contempler sa tendresse.

Dieu n’est pas un distributeur de don qui demande un montant pour un service,

Dieu EST amour.

C’est en contemplant cette affirmation fondamentale que notre cœur peut se retourner loin d’une exigence vers une confiance, plus intérieure. 

Dieu ne nous donnera probablement pas la réussite aux examens, ne guérira pas toutes nos maladies, ne changera pas nos pauvretés en richesse.

Dieu EST qu’amour disait François Varillon.

C’est quand nous rejoindrons son envie d’aimer que sa tendresse deviendra lumineuse, que son amour deviendra lieu de contagion, que nous danserons avec lui sa danse… 

Ne rabâchons pas les « Notre Père » comme des euros à aligner pour obtenir sa clémence.

Contemplons plutôt notre Père…

Changeons notre regard…

Jeudi nous fêtions la fête d’Elie, ce grand prophète qui s’est pris pour Dieu en massacrant ses concurrents. 

Il lui a fallu 40 jours au désert pour percevoir que Dieu n’était pas dans la foudre ou le feu, mais qu’il se perçoit dans cette brise légère et insaisissable du silence intérieur. 

Profitons de l’été pour arrêter nous aussi notre course et entrer dans cette écoute particulière où Dieu prends soin, non de nos faux désirs, mais de l’essentiel, et nous donne la paix intérieure, la foi, l’espérance et la charité. (3)


Élie nous conduit vers ce chemin fragile, où Dieu se résume à la fraction du pain.

Il est cette trace fragile qui réveille en nos cœurs la contemplation d’une flamme sous la brise ténue de l’Esprit ?


Réécoutons ce que nous disait Ambroise…

« Pourquoi détournes-tu ton visage ? Que la lumière brille au milieu de nos ténèbres. [qu’il brille] dans nos cœurs pour faire resplendir (...)  la gloire qui rayonne sur le visage du Christ. (...)  le Christ [est là] lumière du Père, » (4) 


L’enjeu est peut-être de contempler non pas un feu qui détruit comme à Sodome, mais bien ce buisson ardent qui ne consume pas et mais réchauffe, console, et donne cette paix intérieure particulière, cette grâce lumineuse, ce torrent dont nous ne pourrons jamais percevoir l’immensité (5).


Apprends nous Seigneur à oser prier et à demander l’essentiel : ce don de l’Esprit (6) qui transforme notre cœur en danse, qui convertit nos demandes en prière et en chants, qui nous dévoile comme à Elle que le « bruit d’un fin silence » n’est autre que à prière des anges comme le souligne une belle interprétation de 1 Rois 19 (2)


(1) voir également ci-dessous l’extrait du commentaire de Marie-Noēlle Thabut n.1 très éclairant sur ce point

(2) voir mon livre pédagogie divine 

(3) ibid.

4) Saint Ambroise, commentaire sur le psaume 43,(Ce commentaire fut le dernier travail d'Ambroise, quelques semaines avant sa mort.)

(5) Bonaventure à la suite d’Ezechiel nous décrivait comme une petite amphore incapable de recueillir l’immensité du don de Dieu.

(6) voir ci dessous le commentaire conseillé par Michel Mertens dans RCF

22 juillet 2022

Marie Madeleine 2.75

Il faut peut-être dépasser certains fantasmes parfois érotiques ou picturaux que 2000 ans de fausse « contemplation » ont accumulés sur cette « figure » du nouveau testament pour redécouvrir la véritable quête spirituelle de celle qui a lavé les pieds du maître avant son départ avec un parfum de grand prix et qui sombre dans la douleur d’un bonheur perdu au point de ne plus reconnaître la lumière du Ressuscité…

« Les leçons de Béthanie » de Sylvaine Landrivon m’ont ouvert à une autre contemplation, celle d’une femme forte, habitée par la contemplation de l’essentiel, goûtant, comme sa sœur, d’une belle clairvoyance sur la mission du Fils. On comprend mieux l’amitié profonde qu’il avait pour elle et son frère, et ces larmes qu’il verse pour Lazare.

Le Christ est sa lumière (cf. 2.76) et de sa tristesse, naît un espoir pour l’Église.




Femme pourquoi pleures-tu ? Va…

L’appel lancé à la première des Témoins n’est pas à effacer d’un trait, il doit encore interpeler notre façon de faire Église dans la richesse polyphonique et polyédrique d’un Corps à [re]construire où les Marthe et les Marie ont toutes leurs places.

19 juillet 2022

La danse du feu 2.74

 

« Que Dieu nous éclaire par la lumière de son visage »

Il faut tracer, là encore, un chemin fragile, pour relier la quête de Moïse en Exode 33 et 34 jusqu’à sa descente du mont Sinaï, tout illuminé de la vision de Dieu, jusqu’à celle des trois disciples lors de la Transfiguration, puis celle des disciples d’Emmaüs quand le Verbe disparaît dans une fraction du pain.


Que brille en nous l’éclat de ton souvenir…


Est-ce cette trace fragile que réveille en nos cœurs la contemplation d’une flamme fragile sous la brise ténue de l’Esprit ?


Le Christ est-il le buisson ardent d’Exode 3, qui EST et SERA, présence et absence, aujourd’hui et espérance d’un peuple en marche ?


C’est en tout cas ce que m’inspire cette magnifique contemplation d’Ambroise…


« Pourquoi détournes-tu ton visage ? Nous croyons que Dieu détourne son visage quand nous sommes dans l'affliction au point que les ténèbres recouvrent notre cœur et empêchent nos yeux de recevoir l'éclat de la vérité ! En effet, si Dieu veille sur notre intelligence et daigne visiter notre esprit, nous sommes certains que rien ne pourra nous plonger dans l'obscurité. Car le visage de l'homme est plus lumineux que les autres membres de son corps ; et, lorsque nous regardons quelqu'un, nous le découvrons s'il est inconnu, et nous le reconnaissons s'il est connu, parce qu'il ne peut échapper à notre regard. Or, combien plus le visage de Dieu éclaire-t-il celui qu'il regarde ?


La belle parole de l'Apôtre, qui est vraiment l'interprète du Christ, concerne cela comme le reste, pour éclairer vos esprits par une pensée et une sentence appropriées. Il affirme en effet : Dieu a dit : Que la lumière brille au milieu des ténèbres. Et c'est lui-même qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire qui rayonne sur le visage du Christ. Nous venons d'apprendre quel endroit de notre être reçoit la lumière du Christ. Il est en effet le rayon éternel des cœurs, et le Père l'a envoyé sur la terre pour que nous soyons éclairés par son visage. C'est ainsi que nous pouvons contempler les réalités éternelles et célestes, alors que nous étions auparavant captifs de l'obscurité terrestre.


Pourquoi parler du Christ, alors que l'Apôtre Pierre a dit à l'homme boiteux de naissance : Regarde-nous ? Il regarda Pierre et fut éclairé par la grâce de la foi. Car il n'aurait pas été guéri s'il n'avait pas cru.


Par conséquent, alors qu'il y avait une telle gloire chez les Apôtres, quand Zachée apprit le passage du Seigneur Jésus, il monta sur un arbre, parce que sa petite taille l'empêchait de le voir au milieu de la foule. Il vit le Christ et il trouva la lumière, il le vit, et lui, qui auparavant dérobait l'argent des autres, apporta le sien. ~


Pourquoi détournes-tu ton visage ? C'est-à-dire : Bien que tu détournes de nous ton visage, cependant, la lumière de ton visage, Seigneur, est imprimée en nous. Nous le gardons en nous et il resplendit dans notre cœur, car personne ne pourrait survivre si tu détournais ton visage. » (1)


Saint Ambroise, commentaire sur le psaume 43, source Office des lectures d’aujourd’hui (Ce commentaire fut le dernier travail d'Ambroise, quelques semaines avant sa mort.)

18 juillet 2022

D’agenouillements en agenouillements - 2.73

Au départ rien n’indique en Gn 18 qu’Abraham ait reconnu les visiteurs. Son offre de lavement des pieds et son empressement à proposer de la nourriture sont des signes d’hospitalité et de bienveillance classiques dans ce type de contrée. Mais ils traduisent un état de réceptivité, de disponibilité de l’homme. 

Pourtant une lecture chrétienne de la première lecture d’hier nous interpelle déjà par la disposition intérieure qu’elle suppose. Abraham ne précise pas qu’il va laver les pieds de ses hôtes, mais nous savons maintenant que cet abaissement est en chemin.

Dans l’Évangile, la succession des agenouillements nous prédispose au geste du Christ. D’Abraham à la femme de Luc, de cette femme à Marie de Béthanie se prépare le double agenouillement final du lavement des pieds et de Celui qui tombera, par trois fois, sous le poids de la violence humaine dans un dépouillement amorcé en Jn 2 jusqu’en Jn 13.

Il n’y a pas véritablement de pré-révélation. Les trois visiteurs ne sont pas encore Trinité, mais l’Esprit trace déjà, par des touches discrètes, le grand tableau de la Révélation. 

Il faut entendre de la même manière le « retire tes vêtements » d’Exode 33 pour percevoir le double dépouillement de Jean 13 (avant le lavement des pieds) et le déchirement de la Croix pour percevoir jusqu’où se déchire les entrailles du Père et s’entrouvre le cœur du Christ pour que jaillisse enfin l’Eau vive de celui qui demandait à boire à une exclue, une samaritaine, paria, dont le désir d’infini restait insatisfait.

La danse vers l’homme des « trois visiteurs » ne fait à Mambré que ses premiers pas, mais déjà la musique d’un Dieu qui vient visiter l’homme trace une mélodie qui s’harmonise jusqu’au jaillissement de la foi dont Abram est le premier jalon. 


Ce mouvement n’est pas terminé et attend notre réponse. Il faut lire La Croix du 7/7 pour y voir un écho qui doit réjouir Celui qui nous appelle à aimer : «  Les mains gantées, courbée devant un banc où reposent les jambes d’Imran, un Pakistanais de 18 ans à peine arrivé à Trieste, Lorena sort de son chariot les produits pour désinfecter et panser les blessures, soulager les douleurs. En ce jour d’été 2022, elle soignera une trentaine de migrants du Moyen-Orient et d’Asie, jusqu’à minuit.

D’une délicatesse extraordinaire dans tous ses gestes, elle explique ce qu’elle perçoit. « Les pieds sont comme un parchemin sur lequel est écrite la souffrance de ceux qui gagnent Trieste via les Balkans. Là, ce sont des pieds de tranchée : enflammés, couverts de cloques, après 15-20 jours de marche dans des conditions désastreuses. »(1) 


Pour aller plus loin 

 1. Des mains de fée au secours des migrants à Trieste (La Croix, jeudi 7 juillet 2022)

 2. cf. « pédagogie divine » et «  Dieu dépouillé »


Photo : Jésus à genoux devant la femme adultère ? - Cathedrale de Chartres (DR)

14 juillet 2022

Le bon samaritain 2.70

 

Où courons nous ?

La liturgie de cette semaine, si nous avons pris le temps de la méditer nous a alerté. Nous vivons trop vite, nous ne prenons pas le temps du silence, de cette lente manducation de la Parole qui nous fait percevoir que le don prime sur tous nos efforts humains.


« Écoute nous dit la première lecture.

(...) Elle est tout près de toi, cette Parole,

elle est dans ta bouche et dans ton cœur,

afin que tu la mettes en pratique. » Dt 30


Que nous dit elle ce dimanche, cette Parole ? Colossiens 1 nous décrit un Christ royal, premier et vêtu de Gloire. Mais ce n’est pas celui de l’Evangile, celui qui se penche vers nous, nous parle en Parabole.


Nous aussi, nous pouvons être happés par le désir de reconnaissance, par notre propre importance.

Ce n’est pas là le chemin. Augustin reprenait lundi, dans l’office des lectures cette phrase déroutante du psaume. Il nous faut avoir un cœur brisé.

Qu’est ce à dire ?

Peut-être que notre cœur s’est endurci à la souffrance du monde. Cœur de pierre disait Ezéchiel.

Mon cœur s’est retourné, glissait jeudi Osée au chapitre 11. Ce chapitre 11 d’Osée nous dévoile un Dieu presque maternel, dont les entrailles se déchirent à la vue de la souffrance des hommes. 


Ce que nous contemplons, aujourd’hui, c’est peut-être surtout ce cœur transpercé du Christ lui même sur la  Croix.

Peut-être pour nous faire comprendre que ce n’est pas la fonction qui prime. Christ est premier car il s’est agenouillé et est entré jusqu’au bout dans cette danse du don dont je ne cesse de parler. 

Dans la parabole, le prêtre, le lévite (une sorte de diacre de l’époque) ne sont pas plus que d’autres des supers paroissiens s’ils ne sont  pas attentifs à l’appel du monde.

Ce n’est que lorsqu’on médite le fleuve immense des dons de Dieu (cf. 2.69) que nous pouvons entrer à notre tour dans cette attitude particulière et centrale du Christ, comme ce bon samaritain, celui que les juifs méprisaient car infidèle à la loi, est celui qui a perçu l’essentiel.

Au don de Dieu il n’y a qu’une réponse : la charité attentive, délicate, poussée et aidée par la force de l´Esprit.

Il y a quelque jour nous méditions sur cette sculpture sublime du Dieu trinitaire. On y voit Jésus lavant les pieds de l’homme blessé soutenu par le Père sous le souffle de l’Esprit.

C’est cela entrer dans la danse du don. Comprendre que notre chemin n’est pas dans l’obéissance servile de la loi et des rites, mais dans ce cœur retourné et brisé par l’appel des souffrants. 


Le bon samaritain nous disent les Pères de l’Église c’est Jésus lui même, qui « n’as pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu » (Ph. 1) mais s’est dépouillé, se faisant serviteur, pour  s’agenouiller devant l’homme (1) blessé pour le porter vers le salut… 



Il y a chez Luc plusieurs symboliques dans ce récit très original. Descendre à Jéricho, c’est pour les Pères se pencher vers la souffrance du monde. 


Le samaritain est l’exclu, l’impur, ce que notre pape appellerait la périphérie. Or tout homme est capable d’aimer. Le Christ nous rejoint tous et nous entraîne dans cette danse du don dont il est l’origine. 


Si le Christ se penche vers le blessé, comme cette brebis perdue évoquée plus loin, c’est que là encore ses entrailles maternelles se déchirent pour l’homme mais plus largement pour toute l’Église. 


Si le Christ EST ce « bon samaritain », c’est qu’il rejoint l’amour, voir qu’il EST amour [je suis]. Quelles sont alors les deux pièces qu’il donne à l’aubergiste. La tradition nous dit que nous recevons deux dons, pour deux tables, celle de la Parole et celle du Corps. Deux dons qui sont autant de grâces pour nous conduire vers le don, le service, l’amour du prochain vers lequel Jésus seul nous conduit…


* Traces fragiles pour une homélie de ce dimanche 

(1) cf. Jn 13 et mon livre éponyme

03 juillet 2022

Le don, la danse ou le troc 2.69

 

« Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Marc 14, 22-24


Méditation 

Est-ce que nos rites sont aussi gratuits que les dons de Dieu ? Quel est le sens et le sommet de nos eucharisties ? A l’aube de la belle parabole du bon samaritain que nous allons entendre dimanche, il nous faut peut-être nous laisser interpeler par cette question qui interpelle nos rapports avec Dieu.

Pourquoi agissons nous ?

Que visons nous dans nos rites.




Même s’il force volontairement le trait, je crois que ce que Martin Pochon évoque dans son analyse déjà cité (1) interroge le fondement même de nos dynamiques sacramentelles.

Le sacrifice est-il un troc avec Dieu ? 

Je te donne pour que tu me donnes ? 

Ou est-il une véritable action de grâce, un don gratuit à l’image du grand Donateur qu’évoque Jean Luc Marion dans Étant donné…(2) ou D’ailleurs la Révélation (3) un don qui nous conduit au don…


La liturgie du mariage, dans sa troisième formule insiste sur le recevoir avant le don…

« Je te reçois et je me donne à toi. » 

L’ordre est important car il entre en contemplation du don…

Ce matin l’office des lectures en rappelant ce vieux texte de la Didaché souligne l’importance de l’action de grâce : « Voici comment vous rendrez grâce. D'abord sur la coupe : « Nous te rendons grâce, notre Père, pour la sainte vigne de David ton serviteur, que tu nous as fait découvrir par Jésus, ton serviteur; à toi la gloire pour les siècles. »Puis, sur le pain rompu : « Nous te rendons grâce, notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as fait découvrir par Jésus, ton serviteur; à toi la gloire pour les siècles. Comme ce pain rompu, qui était dispersé sur les montagnes et les collines, a été rassemblé pour ne plus faire qu'un, ainsi que ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton Royaume. Car c'est à toi qu'appartiennent la gloire et la puissance, par Jésus Christ, pour les siècles. »(...)« Nous te rendons grâce, Père saint, pour ton saint Nom que tu as fait habiter dans nos cœurs, pour la connaissance, la foi et l'immortalité que tu nous as fait connaître par Jésus, ton serviteur ; à toi la gloire pour les siècles. » C'est toi, Maître tout-puissant, qui as créé l'univers pour la gloire de ton Nom, qui as donné aux hommes nourriture et boisson pour qu'ils en jouissent, afin qu'ils te rendent grâce. Mais nous, tu nous as gratifiés d'une nourriture et d'une boisson spirituelles et de la vie éternelle, par ton Serviteur. Avant tout, nous te rendons grâce parce que tu es puissant ; à toi la gloire pour les siècles. Souviens-toi. Seigneur, de ton Église, pour la préserver de tout mal et la rendre parfaite dans ton amour. Et rassemble-la des quatre coins du monde dans ton Royaume que tu lui as préparé, cette Église que tu as sanctifiée. Car c'est à toi qu'appartiennent la puissance et la gloire pour les siècles. Que la grâce vienne, et que ce monde passe ! » (1)


Pochon insiste sur cette action de grâce dans la Didaché en soulignant qu’elle prime à la notion sacrificielle trop mise en valeur dans les (nouvelles) formules du rituel qui pourrait à l’inverse conduire à cette mésinterprétation déjà évoquée dans mes billets précédents….


Mettre l’action de grâce d’abord, c’est entrer dans la contemplation d’un Dieu qui s’abaisse jusqu’à se donner totalement et nous invite à entrer dans la danse du don…


Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Marc 14, 22-24


1) Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles, (Lectio divina), Paris, Éditions du Cerf, 2020.

(2) Jean Luc Marion, Étant donné? Essai d'une phénoménologie de la donation? Collection:  Quadrige

2013

(3) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020

(4) Didaché, source office des lectures du 6/7/22