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13 mars 2022

Transfiguration - la danse lumineuse 2.39

Pourquoi Moïse et Élie sont-ils invités à cette danse lumineuse de la Transfiguration ?

Peut-être parce que depuis Abram qui cherche dans les vieux sacrifices son Dieu, seuls ces deux personnages ont fait l’expérience du désert jusqu’à contempler le dos de Dieu sans en voir la face.

Moïse est redescendu tout lumineux du Sinaï (Ex 34) mais n’a pas encore vu la lumière véritable.

Élie a senti la brise et entendu le bruit d’un fin silence (1 Rois 19), voire le chant des anges (1), mais il ne lui a pas été donné de voir Dieu.

Dieu ne se révèle que dans une danse tragique et inaccessible, là où on ne l’attend plus.

La transfiguration est le signe fragile et lumineux que sur la Croix toute noire de sang versé la lumière va jaillir d’un cœur transpercé.

Mythe, dernière théophanie, rêve qui attire Pierre dans un élan mystique et lui fait croire qu’on peut planter la tente ? Non, la lumière fugace du ressuscité qui se révèle ici n’est pas le bout du chemin, mais la seule manifestation que Dieu n’est qu’en route vers l’insaisissable…

Ni Moïse, ni Élie, ni Pierre ne peuvent saisir ce qui nous vient d’Ailleurs. Il nous dépasse et en même temps il nous entraîne dans une danse lumineuse et obscure, tragique et en même temps salvatrice, car dans le sang versé une fois pour toutes de l’agneau de Dieu, nos faiblesses et nos violences fondent devant ce qui est lumière, l’amour infini d’un Dieu trinitaire qui se donne et se révèle sur une croix et devient la gloire et la lumière d’un amour qui se donne puis s’efface dans le silence d’un unique sacrifice…


(1) cf. Pédagogie divine

Cf. aussi le beau commentaire de Marie-Noēlle Thabut  https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/523847-commentaires-du-dimanche-13-mars-2/

12 avril 2021

Transfiguration et résurrection - danse 49.4

Pourquoi ont ils fuit ?

Aurions nous fait mieux ?

Au delà d’une interpellation personnelle, en ce dimanche de la miséricorde, Il faut plutôt se plonger dans l’histoire de la révélation, dans le jeu subtile et délicat des théophanies pour percevoir la lente pédagogie divine qui bouscule les frontières du déductible, démonte les stèles antiques, les dieux vengeurs ou ceux qui exigent des sacrifices (Gn 22), les dieux sacrificiels qu’évoquent le Ps 50 ou Os 6, les dieux triomphants du début de l’Exode 16 et 22, pour aboutir à la contemplation de dos d’Ex 34 ou le chant des anges, murmure léger d’un fin silence d’1 Rois 19, antichambres du mystère entrevu lors de la transfiguration où sont conviés les deux héritages, avant de réaliser que d’un galiléen venu de nulle part est seule et parfaite image et ressemblance du vrai Dieu. Que de chemins, que de déceptions chez Judas mais aussi chez Pierre avant de parvenir à concevoir que le Dieu dépouillé, déchiré est ce que nous cachait Dieu derrières les dorures, les diamants ou le rideau du Temple. Au lieu des ors, c’est un Dieu à genoux que nous révèle la Croix. 

Agenouillement, écartèlements d’un Dieu qui accepte de rompre Son Pain et verser Son Corps pour la multitude. 

Ici la multiplication des pains et le lavement des pieds dansent ensemble une symphonie légère, loin des rites trop chargés et des paroles figées pour nous conduire à l’essentiel. Dieu déchire de haut en bas le voile car tout est dit dans ce corps transpercé, que Thomas peut toucher du doigt car l’ouverture est totale, non refermable. De lui coulera toujours ce torrent joyeux (Ez 46) et ce souffle nouveau qui prépare une flamme encore légère mais bientôt radieuse - celle de l’Esprit répandu pour nous, afin que nos âmes assoiffées se brûlent en lumière et amour... 

Vœux pieux ? Poétique stérile ?

Cela ne dépend plus de Lui. Tout est donné car dans l’effacement du Verbe se glisse l’appel ténu d’une flûte qui continue son chant imperceptible et appelle à la danse. 

Si tu veux... Ego eimi  (Je suis) donné pour faire de toi un porte-Christ, le nouveau temple d’un Dieu dépouillé (2), pierre vivante d’un anti-royaume, appel du visage, et fruit du silence...



06 mars 2021

Théophanies 37.2 - la danse du feu...

Je vous avais promis une suite sur la transfiguration. Elle risque d’être un peu longue. Après Gn 22 déjà longuement commenté en septembre je voudrais revenir sur Exode 3 et ce fameux buisson ardent, qui prépare à leur manière la transfiguration, au point que certains commentaires pensent qu’il est première révélation du Christ lui même.


Les flammes de feu, qui ne consument pas le buisson, introduisent en effet une double symbolique.


Le feu

1. Parlons d’abord du feu. Pour Hans Urs von Balthasar, « la Gloire de Dieu se manifeste ici avant la parole », comme ce sera le cas au Mont Thabor. Le feu précède le discours pour susciter l’écoute… La gloire qui s’y révèle rend attentif au message.

C’est aussi l’interprétation du Targum(1), qui par ses commentaires ajoutés au texte, insiste sur « la présence de Dieu » (la Shékinah) dès le verset 1 : « La montagne, sur laquelle apparut la Gloire de la Shékinah de Yahvé, l’Horeb  ». Au lieu de dire seulement : « il arriva à la montagne de Dieu, à Horeb », le targum y place déjà la Gloire.

La Mischna introduit ce même concept à propos de l’ange : « Et la gloire de la Shékinah de Yhwh lui (apparut) dans les flammes du feu ». Le targum va d’ailleurs jusqu’à donner un nom : Zagnuagaél à cet émissaire de Dieu au v. 2 : « Et Zagnugaél, l’ange de Yahvé, lui apparut. »

Quel est alors le sens du feu ? Dans la Bible, il a une connotation positive ou négative. Selon Greenberg, il évoque autant la furie (Jr 4, 4, Ps 79, 5), que la destruction (Dt 4, 24 ; 9, 31), la pureté (Nb 31, 23 et Mal 3, 2), l’illumination (Ex 13, 21) et le guide (Ex 13, 21)…

Pour le Pseudo Denys(2), le feu est « à la fois totalement lumineux et comme secret, inconnaissable en-soi (...) insoutenable et impossible à regarder (...) revivifiant par sa chaleur vitale, éclairant par ses illuminations sans écran, impossible à maîtriser, sans mélange, dissociateur, inaltérable, tendant vers le haut, agissant vite, sublime et exempte de toute faiblesse (...) saisissant et insaisissable, n'ayant besoin de rien d'autre, s'accroissant en secret et révélant sa propre grandeur selon les matières qui l'accueillent, actif, puissant, invisiblement présent à tout être (...) se manifestant de manière soudaine ». Même si cette description est générique, elle pourrait presque s'adapter à ce passage d'Exode 3.

Dans la ligne de notre recherche, nous pouvons aussi probablement évoquer cette flamme qui brule en nous, tout ce qui nous retient vers la terre, ce que nous appelons nos adhérences. Ce feu nous libère de nos liens au mal, nous ouvre à la contemplation. Mais il est plus que cela et la mention de la Gloire nous ouvre à une tension. Le feu purifie et éclaire, illumine et libère…


Le buisson

Le buisson a aussi fait l’objet de nombreux commentaires. Il est interprété par les Pères de l’Église comme l’Égypte, contenant la flamme d’Israël prisonnière, ou encore comme le Sinaï, réceptacle de Dieu. On y voit aussi une lampe à 7 branches, signifiant la révélation perpétuelle de Dieu. Certains le comparent aussi à Marie, restée vierge malgré la naissance de l’enfant.

L’interprétation du texte est ainsi très vaste, ce qui rend difficile une cohérence.

Et pour nous ? Qu’évoque-t-il ? Peut-on parler du tabernacle ou à l’inverse du mystère du monde, dans lequel Dieu vient faire irruption ? Dieu est-il cantonné dans un espace où apparait-il partout ?


La non-combustion

Notons enfin le paradoxe de la non-combustion, qui peut conduire à interpréter la visite comme celle d’une tendresse. Ici le feu met en valeur, mais ne détruit pas.

Pourquoi le feu ne brûle-t-il pas le buisson ? Qu’est-ce que cela nous dit sur Dieu ?

Alors que nous nous préparons à méditer demain l’apparente colère de Dieu, prenons de la distance sur ce feu.

Au respect que Moïse porte à Dieu ne faut-il pas y voir un autre respect, celui de Dieu pour l'homme ? Un respect qui se manifestera seulement dans « la voix d'un fin silence » (1 Rois 19) ou qui, à travers Jésus, se révèlera dans son tact et son attention. Le respect, nous dit J.M. Carrière, est « la manière de recevoir humblement l'autre, du plus petit au plus grand, et dans son dévoilement et dans le projet qui le porte à son accomplissement ».

Comme l’échelle de Jacob, il y a là « une représentation symbolique de la nature paradoxale de l’expérience théophanique*. Elle combine des forces hostiles – la flamme et le buisson – dans une relation apparemment symbiotique dans laquelle les deux sont maintenus en vie. »

Dieu réveille en nous le feu de désir et en même temps nous laisse intact, respecte notre personne. Et ce paradoxe souligne pour moi, à la fois la puissance et la tendresse de Dieu.

Benoît XVI fait déjà, à ce sujet un parallèle éclairant entre le buisson-ardent et la Croix. Est-ce à mettre en lien avec ce qu’il évoquait sur la « fission nucléaire » du cœur au JMJ de Cologne, c’est-à-dire ce déchirement intérieur, soudain et violent qui nous brûle et fait exploser ce qui nous retient de l’amour ?

La contemplation du buisson ardent porte une symbolique puissante de la réalité de Dieu, même si elle n’est qu’un aperçu imparfait d’une réalité indicible.

Quelle que soit notre vision unique et personnelle de la rencontre, quel que soit la forme prise par le buisson et la flamme, nous devons accueillir ici l’inouï d’un Dieu qui vient à nous.


Le nom de Dieu

On doit souligner les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ».

Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la pureté de l’affirmation, toute négation étant exclue de Dieu lui-même (...) un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière (...). C’est pourquoi il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie », car la vie signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ».

Pour T. Römer on devrait plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. Dans cette révélation du nom, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de Yhwh.

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.

D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction que nous retrouvons probablement notre fil rouge. En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ.

Enfin, selon Grégoire de Nysse : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ».

L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère…

Mais n’anticipons pas trop et laissons au fil du texte sa propre direction.

À suivre



PS : Ces commentaires reprennent et complètent les recherches déjà publiées dans plusieurs de mes travaux précédents dont « J’ai soif », « La voix d’un fin silence », « L’amphore et le fleuve », « Humilité et miséricorde ». Leur reprise ici, extraite de Dieu depouillé, s’inscrit dans une étude plus linéaire qui trouve ici son sens.


[1] Le targum est un texte contemporain de Jésus, écrit en araméen, sorte de commentaire imagé destiné à aider à la compréhension du texte (cf. notre glossaire pour tous les mots accompagnés d’un astérisque).

[2] Denys l'Aéropagite, CH XV, 2 (239 AC, Hiér. Cél. p. 168-171, cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 165

28 février 2021

La Transfiguration - de la kénose à la Gloire. Danse 37.1


S’Il y a un schéma littéraire très particulier dans le Premier Testament qu’il est beau de contempler à travers l’Ecriture, c’est bien celui des théophanies où Dieu se révèle aux hommes dans sa pédagogie particulière(1). Comme en Gn 22 ou dans les grandes théophanies du Sinaï, Il y a, à chaque foi, un messager (malak) qui prépare l’irruption, insupportable à l’homme, du divin, puis la manifestation d’une gloire extraordinaire, suivi d’une conversion et d’un agenouillement. 

Pour Abraham et Isaac la conversion apparaît au bout d’une longue marche (voir mes commentaires de septembre). 

Mais plus globalement ce schéma trace chez nous aujourd’hui un chemin d’espérance dans ces temps sombre, et mérite d’être poursuivi. 

Il est repris d’une certaine manière dans plusieurs textes des synoptiques en particulier chez Matthieu et Luc, soit dans l’Annonciation, ou le baptême du Christ, mais surtout dans la transfiguration que nous célébrons aujourd’hui en écho justement avec Gn 22. 

Que peut-on dire en élargissant la perspective ?

Peut-être avancer sur la pointe des pieds que de la souffrance toujours subie et jamais voulue par Dieu peut jaillir une flamme fragile, un jet de lumière, un tressaillement d’espérance.

Ne sombrons pas dans le désespoir. Crions à la suite d’Augustin (cf. Confessions ch.VIII) : Il est là, alors qu’on le croit absent, ce Dieu d’amour.


Sa danse passe par l’effacement et la croix, mais déjà le relèvement se distingue au bout du tunnel.

Comme Moïse nimbé d’une lumière insurmontable au retour du Sinaï en Exode 34, répond et répare la chute du veau d’or, le Christ est notre lumière, joie cachée mais rayonnante d’une croix sombre qui devient glorieuse par la résurrection.

La transfiguration est le premier déchirement discret du voile dont nous parle les synoptiques.

Saint Léon le grand a une belle analyse que je découvre cette nuit :  « Le Seigneur découvre sa gloire devant les témoins qu'il a choisis, et il éclaire d'une telle splendeur cette forme corporelle qu'il a en commun avec les autres hommes que son visage a l'éclat du soleil et que ses vêtements sont aussi blancs que la neige.


Par cette transfiguration il voulait avant tout prémunir ses disciples contre le scandale de la croix et, en leur révélant toute la grandeur de sa dignité cachée, empêcher que les abaissements de sa passion volontaire ne bouleversent leur foi.


Mais il ne prévoyait pas moins de fonder l'espérance de l'Église, en faisant découvrir à tout le corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l'honneur qui avait resplendi dans leur chef.


Le Seigneur lui-même avait déclaré à ce sujet, lorsqu'il parlait de la majesté de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Et l'Apôtre saint Paul atteste lui aussi : J'estime qu'il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que le Seigneur va bientôt révéler en nous. (...) 

En effet, Moïse et Élie, c'est-à-dire la Loi et les Prophètes, apparurent en train de s'entretenir avec le Seigneur. (...) 

Qu'y a-t-il donc de mieux établi, de plus solide que cette parole ? La trompette de l'Ancien Testament et celle du Nouveau s'accordent à la proclamer ; et tout ce qui en a témoigné jadis s'accorde avec l'enseignement de l'Évangile.


Les écrits de l'une et l'autre Alliance, en effet, se garantissent mutuellement ; celui que les signes préfiguratifs avaient promis sous le voile des mystères, est montré comme manifeste et évident par la splendeur de sa gloire présente. Comme l'a dit saint Jean, en effet : Après la Loi communiquée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. En lui s'est accomplie la promesse des figures prophétiques comme la valeur des préceptes de la Loi, puisque sa présence enseigne la vérité de la prophétie, et que sa grâce rend praticables les commandements. ~


Que la foi de tous s'affermisse avec la prédication de l'Évangile, et que personne n'ait honte de la croix du Christ, par laquelle le monde a été racheté.


Que personne donc ne craigne de souffrir pour la justice, ni ne mette en doute la récompense promise ; car c'est par le labeur qu'on parvient au repos, par la mort qu'on parvient à la vie. Puisque le Christ a accepté toute la faiblesse de notre pauvreté, si nous persévérons à le confesser et à l'aimer, nous sommes vainqueurs de ce qu'il a vaincu et nous recevons ce qu'il a promis. Qu'il s'agisse de pratiquer les commandements ou de supporter l'adversité, la voix du Père que nous avons entendue tout à l'heure doit retentir sans cesse à nos oreilles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis tout mon amour; écoutez-le !(2)

L’office des lectures nous le  rappelle : « Sur le visage du Christ;rayonne la gloire de Dieu.

(...) 

Personne n'a jamais vu Dieu.

Le Fils unique qui est dans le sein du Père

nous l'a fait connaître.

 

Oraison

Tu nous as dit, Seigneur, d'écouter ton Fils bien-aimé ; fais-nous trouver dans ta Parole les vivres dont notre foi a besoin : et nous aurons le regard assez pur pour discerner ta gloire.(3)


Suite à venir, mais sans vous laisser planter la tente, comme Pierre, je voulais déjà vous partager ce rayon de soleil... 


(1) cf. Théophanies, mon livre éponyme, repris et très largement amplifié in « Dieu dépouillé » en téléchargement libre sur Kobo

(2) saint Léon le Grand, sermon pour le 2eme dimanche de Carême, source office des lectures, AELF

(3) office des lectures, ibid.


17 juillet 2020

Nudité ultime - Dépouillement 21

Il y a un verset du chapitre 33 d'Exode que je ne cesse te contempler et méditer. Il suit Ex 32, et l'épisode du veau d'or et prépare Ex 34 et la révélation lumineuse du Dieu de tendresse à Moïse, dernière marche des épiphanies avant la Transfiguration.
Ce verset invite à « enlever ses vêtements de fête » (Ex 33,5) (1).
Qu'est-ce à dire ? Si ce n'est entrer dans ce dépouillement qui permet d'aller jusqu'à la vision de Dieu. Quel est le point ultime de ce mouvement, si ce n'est contempler la nudité du Christ dans son premier dépouillement, celui de l'enfant donné, dans le vêtement retiré du laveur de pieds, jusqu'à son dernier dépouillement, un Christ défiguré de l'amour versé, un Christ transpercé par nos violences et nos abandons, un Christ révélé derrière le rideau déchiré du Temple, un Christ lumineux de la grâce jaillissante d'un cœur brisé ?

Le dépouillement de Dieu est le prélude musical de la kénose de l'Église qui ne fait que commencer.
Il s'inscrit dans la dynamique même de la « séparation » entre ciel et terre de Gn 1 ou du « quitter » de Gn 2 où l'homme quitte père et mère pour ne faire qu'une seule chair avec l'aimé(e), et parvenir à cette nudité sans honte de l'être dépouillé qui danse avec autrui et y découvre une autre danse plus essentielle, celle qui le fait parvenir à l'en Christo(2), l'en Christ où le don danse avec son Donateur et devient co-createur de l'amour, passeur, engendrement de l'autre (3) à qui il insuffle l'amour reçu d'ailleurs et qu'il ne peut conserver sans perdre. La manne ne dure pas. Le pain reçu ne persiste que partagé...
La dynamique sacramentelle part de l'aride liturgie pour nous propulser de dépouillement en dépouillement jusqu'au don de soi, l'ultime diaconie...

La danse nuptiale du Christ et de son Église va de dépouillement en dépouillement(4).



(1) cf. L'amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar développe abondamment ce thème dans la deuxième partie de sa trilogie.
(3) au sens charnel mais surtout au sens spirituel donné par P. Bacq et C. Théobald dans leur Pastorale de l'engendrement...
(4) « Dépouillement » est la web série qui complète la publication récente de « Dieu dépouillé », une exclusivité gratuite de 1200 pages sur fnac.com

07 mars 2020

Homélie du deuxième dimanche de carême - Année A - Pédagogie et transfiguration…

Pourquoi a-t-on besoin du carême ?

Cinq  verbes dans les textes d'aujourd’hui nous donne le chemin : quitter, monter, contempler, écouter agir...

Quitter
Dieu nous a fait des êtres libres.
« Le chemin qui s'ouvre devant [l'homme] est celui de la liberté ou de la servitude, du progrès ou de la régression, de la fraternité ou de la haine. En outre, l'homme découvre qu'il lui appartient de bien diriger les forces qu'il a mises en mouvement et qui peuvent l'écraser ou le servir. (...) En vérité, les déséquilibres dont souffre le monde actuel sont liés à un déséquilibre plus fondamental, qui a sa racine dans le cœur même de l'homme. C'est en l'homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments se combattent. D'une part, comme créature, il lit l'expérience de ses multiples limites ; d'autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure, sollicité par tant d'appels, il est sans cesse contraint de choisir entre eux et d'en abandonner quelques-uns. En outre, faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu'il ne veut pas et n'accomplit point ce qu'il voudrait. C'est donc en lui-même qu'il souffre division, et c'est de là que naissent au sein de la société des discordes si nombreuses et si profondes » Gaudium et Spes
Nous avons abusé de cette liberté. Nous avons besoin de retrouver le chemin qui nous révèle notre saine dépendance au divin.
Nous avons besoin de comprendre et sentir Sa tendresse, de contempler Sa bonté.

Face à Israël perdu sur les voies du monde, Dieu se décide à ramener son peuple au désert, à le séduire ... comme Osée le fait symboliquement avec Gomer (Osée 2)

Mais ce détour au désert n'est pas chemin de mort. Il est pédagogie, une « plongée dans la mort » pour redécouvrir la vie : « il les rassasie du pain venu des cieux ; il ouvre le rocher : l'eau jaillit, un fleuve coule au désert. » Ps 104, 40-41

Quel est ce fleuve ?

C'est ce que nous révèle l’Évangile de ce dimanche.
Il faut avoir accepté de quitter, aux côtés d'Abraham, son « pays » (Gn 12), ce monde qui nous enferme dans sa routine et ses nœuds.
Il faut, spirituellement, monter, faire l'ascension dans l'effort, aux côtés de Pierre, Jacques et Jean, malgré la fatigue et la soif, pour découvrir que la lumière est au bout du chemin. Le Fils est ce buisson ardent révélé trois fois à Moïse (cf. Exode 3, Exode 34 - aux termes de 40 ans de désert et Mat 17). Il est le souffle ténu senti par Élie  après 40 jours de désert (1 Rois 19). Il est chemin de vie et fleuve éternel...

L'Évangile de Matthieu reprend les codes des Théophanies (1) de l’Ancien Testament pour insister sur cette révélation de Dieu. 

C'est au bout de la route que la lumière déchire le brouillard. Si nous croyons, la mort n'a plus d'importance. Oublions un instant la peur et la panique qui occupe le monde. A ses trois amis, Jésus donne d'entrevoir la lumière. Alors quittons ce qui nous retient au monde, partons au désert malgré cette aridité apparente.

« Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s'est manifesté : il a détruit la mort,
et il a fait resplendir la vie et l'immortalité
par l'annonce de l'Évangile ».
2 Tim 9, 10

Il a fait resplendir la vie. Au cœur de notre carême tournons nos cœur vers la lumière de l'eucharistie, laissons Jesus briser nos cœurs de pierre...

Contemplons la lumière, non pour s’y arrêter comme le suggère Pierre, mais pour agir...
Les théophanies n’ont pour fonction que de nous mettre en chemin. « Si les théophanies sont colorés et impressionnante surtout dans les songes, les images restent fonction de ce qui est le plus important : des paroles de la promesse, et c’est pour cette promesse »(2) qu’elles se destinent.

Ici, la révélation faite aux disciples est destinée à préparer à la promesse finale : Dieu est plus fort que la mort ». C’est le kérygme qui est visé, notre foi en la résurrection.


(1) Sur ce thème cf. mes travaux de recherche et notamment L’amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p 171
Illustration : Moïse frappant le rocher. Trésor des églises d’Eure et Loir

18 mars 2019

Au fil de Luc 9 - la transfiguration - deuxième dimanche de carême

La lumière du visage du Christ est à lire dans la lignée d'Exode 34 où Moise descend de la montagne rayonnant d'avoir vu Dieu (1).
Mais, c'est surtout une anticipation de la Pâques qui est donnée à voir aux disciples et, par extension à nous aussi.

Elle nous invite à contempler dans la blancheur de l'hostie, tout le mystère que la loi (Moïse) et les prophètes (Élie) ont préparé. Ce mystère, c'est que Dieu se fait chair, à souffert, est mort, et est ressuscité.

Contemplons ce mystère en ce temps de carême. Faisons le notre.

Notre tentation peut-être alors de planter la tente, mais ce n'est pas notre chemin. Il nous faut redescendre dans le monde, vivre, agir, accepter la souffrance et la mort, illuminé par cette certitude : Dieu est avec nous.

Voir aussi sur ce thème le sermon 78 de saint Augustin : http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/es/dno.htm

(1) cf. sur ce point mon analyse dans l'amphore et le fleuve. 

23 février 2019

Au fil de Marc 9,2-13 - Transfiguration

« En ce temps-là, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmène, eux seuls, à l'écart sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux.
Ses vêtements devinrent resplendissants, d'une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.
Élie leur apparut avec Moïse, et tous deux s'entretenaient avec Jésus.
Pierre alors prend la parole et dit à Jésus : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
De fait, Pierre ne savait que dire, tant leur frayeur était grande.
Survint une nuée qui les couvrit de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! »
Soudain, regardant tout autour, ils ne virent plus que Jésus seul avec eux. » Marc 9, 2-7, Traduction Liturgique de la Bible - © AELF

Commentaire 1 :
Contemplons ce Christ qui se révèle dans sa pureté, lumière de nos vies. N'est-ce pas celui que nous vénérons dans l'Eucharistie ? C'est peut-être ce qui nous est donné le plus beau à voir mais aussi à recevoir. La tentation est de le garder pour nous, de planter notre tente à ses côtés.... Ce n'est pas notre chemin. Notre chemin est d'être porte-Christ.


Commentaire de saint Ambroise :
« Dans l'Évangile aussi, c'est à Pierre, Jacques et Jean, seuls de tous les disciples, qu'il a révélé la gloire de sa résurrection. Ainsi voulait-il que son mystère demeure caché, et il les avertissait fréquemment de ne pas annoncer facilement ce qu'ils avaient vu à n'importe qui, pour qu'un auditeur trop faible ne trouve là un obstacle qui empêcherait son esprit inconstant de recevoir ces mystères dans toute leur force. Car Pierre lui-même « ne savait pas ce qu'il disait », puisqu'il croyait qu'il fallait dresser trois tentes pour le Seigneur et ses compagnons. Ensuite, il n'a pas pu supporter l'éclat de gloire du Seigneur qui se transfigurait, mais il est tombé sur le sol (Mt 17,6), comme sont tombés aussi « les fils du tonnerre » (Mc 3,17), Jacques et Jean, quand la nuée les a recouverts...
Ils sont entrés donc dans la nuée pour connaître ce qui est secret et caché, et c'est là qu'ils ont entendu la voix de Dieu disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour : écoutez-le ». Que signifie : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » ? Cela veut dire — Simon Pierre, ne t'y trompe pas ! — que tu ne dois pas placer le Fils de Dieu sur le même rang que les serviteurs. « Celui-ci est mon Fils : Moïse n'est pas mon Fils, Élie n'est pas mon Fils, bien que l'un ait ouvert le ciel, et que l'autre ait fermé le ciel ». En effet, l'un et l'autre, à la parole du Seigneur, ont vaincu un élément de la nature (Ex 14 ;1R 17,1), mais ils n'ont fait que prêter leur ministère à celui qui a affermi les eaux et fermé par la sécheresse le ciel, qu'il a fait fondre en pluie dès qu'il l'a voulu.
Là où il s'agit d'une simple annonce de la résurrection, on fait appel au ministère des serviteurs, mais là où se montre la gloire du Seigneur qui ressuscite, la gloire des serviteurs tombe dans l'obscurité. Car, en se levant, le soleil obscurcit les étoiles, et toutes leurs lumières disparaissent devant l'éclat de l'éternel Soleil de justice (Ml 3,20). » (1)

(1) Saint Ambroise, Sur le psaume 45, 2; CSEL 64, 6, 330-331 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 186 rev.), source Évangile au quotidien.

13 septembre 2017

Coruscation

Au terme du trajet, quand on a franchi toutes les portes du château intérieur (1) il est là. Il nous saisit (Ph. 3, 12). Le "je suis" résonne comme en écho dans le Temple et la lumière surabonde. Les pères de l'Église appellent cela la coruscation, ce rayonnement particulier de la Transfiguration(2) qui envahit de lumière notre être en quête de l'au-delà du silence.
Alors le chemin qui a conduit Moïse d' Exode 3 à Exode 34 prend fin et notre visage peut rayonner de sa grâce (3)

(1) sainte Thérèse d'Avila, Le château intérieur, premières demeures, chap. 1, cité par François Cassingena-Trévédy, op. Cit. p. 112
(2) François Cassingena-Trévédy ibid. p. 118
(3) cf. Le chemin du désert et Dieu n'est pas violent, une lecture d'Exode.

09 août 2014

Transfiguration - tension théologique 2

Au delà de mes propos sur l'autorité, la contemplation des textes de Daniel et des récits de la Transfiguration nous ouvre une nouvelle tension théologique entre le silence du Christ sur sa nature,  son désir de cacher cette dernière et cette réalité qui n'apparaît que subrepticement avant Pâques,  celle du Fils de Dieu rayonnant de la gloire pascale.  Cette vision réservée à 3 disciples sera à peine esquissée dans les textes évangéliques après Pâques.  Le Christ qui apparaît au bord du lac n'est pas le Fils d'homme décrit par Daniel 7.  C'est celui que Pierre tarde à reconnaître dans Jean 21. C'est celui qui n'apparaîtra que pleinement dans sa gloire le jour du grand retour. Pourquoi alors cette tension ? Probablement parce qu'elle est le prix à payer de notre liberté,  elle est le chemin offert du croire,  donné à tout homme dans le doute,  dans les balbutiements de saint Thomas.  Heureux ceux qui croient sans avoir vu l'étincelle de la gloire du Christ.  
Aujourd'hui néanmoins,  nous devons reconnaître qu'au delà de cette tension pastorale,  la liturgie nous conduit plus loin.  À nous,  en effet qui avons été baptisés dans la mort et la résurrection du Christ,  nous n'avons plus à douter de cette gloire.  Et c'est ce vers quoi nous conduit la liturgie de chaque eucharistie.  Car en ce pain et ce vin consacré, au delà de l'apparente insignifiance du symbole,  c'est bien le Christ de gloire qui se rend présent,  et c'est sur ce chemin du croire que nous sommes invités à avancer. 

Comme le souligne Anastase du Sinaï, "C'est donc vers la montagne qu'il faut nous hâter, j'ose le dire, comme l'a fait Jésus qui, là comme dans le ciel, est notre guide et notre avant-coureur. Avec lui nous brillerons pour les regards spirituels, nous serons renouvelés et divinisés dans les structures de notre âme et, avec lui, comme lui, nous serons transfigurés, divinisés pour toujours et transférés dans les hauteurs. ~

Accourons donc, dans la confiance et l'allégresse, et pénétrons dans la nuée, ainsi que Moïse et Élie, ainsi que Jacques et Jean. Comme Pierre, sois emporté dans cette contemplation et cette manifestation divines, sois magnifiquement transformé, sois emporté hors du monde, enlevé de cette terre ; abandonne la chair, quitte la création et tourne-toi vers le Créateur à qui Pierre disait, ravi hors de lui-même : Seigneur, il nous est bon d'être ici !

Certainement, Pierre, il est vraimentbon d'être ici avec Jésus, et d'y être pour toujours. Qu'y a-t-il de plus heureux, qu'y a-t-il de plus sublime, qu'y a-t-il de plus noble que d'être avec Dieu, que d'être transfiguré en Dieu dans la lumière ? Certes, chacun de nous, possédant Dieu dans son cœur, et transfiguré à l'image de Dieu doit dire avec joie : Il nous est bon d'être ici, où tout est lumineux, où il y a joie, plaisir et allégresse, où tout, dans notre cœur, est paisible, calme et imperturbable, où l'on voit Dieu : là il fait sa demeure avec le Père et il dit, en y arrivant : Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison. Là tous les trésors des biens éternels sont présents et accumulés. Là sont présentées comme dans un miroir les prémices et les images de toute l'éternité à venir.*"


 * Source : homélie d'Anastase du Sinaï pour la Transfiguration