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06 août 2022

En route vers la Galilée - 4

Chapitre 1.3

Certains commentateurs notent même que la répétition des versets 13 et 14 de 1 Rois 19 semblerait dire qu’Élie n’est pas affecté par la révélation. Il reste insensible à ce qu’il voit. Cela renforcerait l’idée qu’il n’est pas digne de sa tâche. Mais cela contraste avec les égards qui lui sont donnés plus loin (enlèvement, transfiguration). Il semble donc difficile de se prononcer dans un sens ou dans l’autre.

Prenons le temps de relire cet extrait, dans la traduction de la Tob :

9 Il arriva là, à la caverne et y passa la nuit. - La parole du SEIGNEUR lui fut adressée : « Pourquoi es-tu ici, Élie ? »

10 Il répondit : « Je suis passionné pour le SEIGNEUR, Dieu des puissances : les fils d’Israël ont abandonné ton alliance, ils ont démoli tes autels et tué les prophètes par l’épée ; je suis resté moi seul et l’on cherche à m’enlever la vie. »

Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne, devant le Seigneur ; voici, le Seigneur va passer.11 Il y eut devant le Seigneur un vent fort et puissant qui érodait les montagnes et fracassait les rochers ; le Seigneur n'était pas dans le vent. Après le vent, il y eut un tremblement de terre ; le SEIGNEUR n'était pas dans le tremblement de terre. 12 Après le tremblement de terre, il y eut un feu ; le SEIGNEUR n'était pas dans le feu.

Et après le feu le bruissement d'un souffle ténu.

13 Alors, en l'entendant, Élie se voila le visage, avec son manteau ; il sortit et se tint à l'entrée de la caverne: Une voix s'adressa à lui : Pourquoi es-tu ici, Élie ? »

14 Il répondit : « Je suis passionné pour le SEIGNEUR, Dieu des puissances, les fils d'Israël ont abandonné ton alliance, ils ont démoli tes autels et tué tes prophètes par l'épée ; je suis resté moi seul et l'on cherche à m'enlever la vie. »

La répétition voudrait-elle signifier, en effet, qu’Élie n’est pas affecté par ce qui est révélé et qu’il est nécessaire de lui reposer la question ? Il me semble, là encore, que l’on doit maintenir la tension, garder la question ouverte entre les deux, à ce stade, au risque de réduire ce que le texte nous révèle de Dieu.

S’agit-il en effet d’une simple forme littéraire ou d’une répétition qui montre que malgré ses efforts qui l’ont poussé vers l’Horeb, l’apparition divine n’est pas de son ressort, mais tient uniquement de la liberté de Dieu… ? Une question qu’il faudrait aussi poser à propos du chapitre précédent, mais plus généralement dès que nous avons le sentiment de maîtriser Dieu. C’est peut-être la “morale” de cette histoire. LA question. L’homme a-t-il une influence sur Dieu, où n’est-il là que parce que l’on consent à accueillir humblement sa venue. « Retire tes sandales » nous semble dire à ce texte ?

Si l’on revient en arrière, et l’on relit maintenant les chapitres 17 et 18 on peut finalement s’interroger sur ce qui a conduit Élie à prendre ses décisions. Qui lui a inspiré la menace de sécheresse, la volonté de punir le peuple des fautes passées, le meurtre des prophètes ?

Est-ce Dieu lui-même, où son idée de Dieu ? Ne s’agit-il pas de la même erreur qui a conduit Abraham au sacrifice de son fils et n’y retrouve-t-on pas la même démarche de conversion du cœur ? À chaque situation où la violence semble la solution, l’humilité du chercheur trouve une autre voix, fragile, ténue, celle où Dieu se révèle entre les lignes.

C’est peut être cela la grande leçon du désert. Une mise à nu, qui permet de prendre un peu de distance entre ce que l’on croît être, et notre fragilité première.

Un chemin, une faille se glisse, dans nos pas aux déserts, pour percevoir que le don de Dieu prime, qu’il est premier. Et que son amour nous conduit à prendre conscience de notre dépendance de son amour…


Un Dieu qui accompagne

En racontant le récit d’Elie, nous avons sauté bien des passages, bien des balbutiements dans la perception de Dieu. Les textes plus travaillés que sont la Genèse et l’Exode, nous montrent plusieurs apparitions de Dieu, chaque fois plus précises, comme si Dieu voulait ciseler au travers de l’histoire son icône, pour ne plus apparaître que dans une figure loin de toutes nos projections et de nos désirs, dans la nudité d’un homme dressé sur une croix qui révèle la nudité d’un Dieu dépouillé. C’est peut-être là l’essentiel du message. Mais avant d’y parvenir, il faut corriger tour à tour les fausses pistes, en reprenant un à un les fils que le récit laisse dans notre coeur, ces clés de compréhension qui corrigent une à une nos fausses idées de Dieu. Poursuivons donc, ce chemin, petit à petit, sans forcer le trait, mais en dévoilant les impasses, les fausses idées, souvent trop humaines de cette Parole mêlée que constitue la Bible. 

Les premiers récits cherchent à corriger d’abord ce qu’un théologien appellera les inventions de Dieu. Elie nous l’a dévoilé : il n’est pas dans le feu et le tonnerre. Il est ailleurs. Or, pour un nomade qui conduit son troupeau au désert, c’est dans l’orage que Dieu est le plus visible. C’est un Dieu terrifiant qui habite ses nuits et ses peurs, au point qu’il va vouloir lui offrir des présents, des dons, pour éloigner son courroux. C’est à ce faux Dieu qu’Abraham présentera son fils.

A ce Dieu violent et sanguinaire, inventé et transcrit par des traditions de mort, d’exil, de violence et de souffrances, Dieu vient corriger, par petites touches légères.

Si l’on relit attentivement les premiers chapitres de la Genèse, on verra un Dieu qui protège Caïn alors même qu’il vient de tuer son frère. De même, alors qu’Abraham imagine que Dieu lui demande de sacrifier Isaac, c’est un ange qui détournera sa main. 

Non Dieu n’est pas violent, il cherche au contraire à révéler sa tendresse, il se laisse atteindre aux entrailles (cf. Osée 11), envoie des messagers, des signes, des prophètes, jusqu’à Ezéchiel qui affirmera que “Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive…” (Ezékiel 18, 21).

Dieu est un dieu qui nous conduit à la liberté et la vie.

On pourrait lire d’ailleurs le récit d’Elie en parallèle de Jonas qui souhaite lui aussi mourir parce que Dieu n’est pas le Dieu vengeur qui va punir Ninive. Ces inventions de Dieu préparent à la révélation. Il faut pour cela des messagers, comme celui qui remet Jonas sur la bonne voie, celle de la miséricorde.

Les quarante jours au désert d’Elie font bien sûr écho aux quarante ans de l’exode, mais aussi à la tentation du Christ. L’agonie du prophète, comme celle de Jonas, préparent ainsi la tentation du Christ au désert et à son agonie sur le Mont des Oliviers.

C’est par le désert, au sein d’une nuit obscure, une insoutenable agonie du juste, qui doit faire le deuil de son orgueil ultime que se prépare la condition d’une vraie rencontre.

La Bible utilise pour cela des personnages intermédiaires, ces “anges” ou messagers (malak) qui permettent à l’homme de voir l’indicible sans être ébloui par sa face (voir aussi Exode 34).

L’ange, face à cette situation de détresse, apporte le don du pain et de l’eau, comme il le fait pour Jonas ou Agar, la servante d’Abraham rejetée par Sarah.

Dans ces détails, se renouvellle à leurs manières, le don de la manne, ce pain « tombé du ciel » pour nourrir un peuple en marche, comme cette eau, jaillie du rocher et qui abreuve la soif de l’homme au désert. 

Toutes ces images préparent d’autres dons, d’autres symboles. C’est au travers de la contemplation de ces signes que nous prenons conscience que le don de Dieu est toujours premier, en dépit des souffrances et du malheur qui nous font oublier l’essentiel..

Quel est ce Dieu qui nous a conduits au désert ? Le voyage d’Élie à travers le désert n’est-il pas une manière de percevoir notre propre condition, nos solitudes, nos souffrances et, in fine, de percevoir qu’au lieu d’une absence, d’un retrait apparent de Dieu, il est là, bien là, discret, et comme l’affirme le beau texte brésilien, qu’il nous porte dans ses bras :

Sur le sable, les traces de ma vie. 

Cette nuit, j’ai eu un songe : je cheminais sur la plage accompagné du Seigneur. Des traces sur le sable rappelaient le parcours de ma vie : les pas du Seigneur et les miens.

Ainsi nous avancions tous deux jusqu’à la fin du voyage. Parfois une empreinte unique était marquée, c’était la trace des jours les plus difficiles, des jours de plus grande angoisse, de plus grande peur, de plus grande douleur…

J’ai appelé : "Seigneur, tu as dit que tu étais avec moi tous les jours de ma vie, j’ai accepté de vivre avec toi. Pourquoi m’avoir laissé seul aux pires moments ?"

Il m’a répondu : "Mon fils, je te l’ai dit : Je serai avec toi tout au long de la route. J’ai promis de ne pas te quitter. T’ai-je abandonné ?

Quand tu ne vois qu’une trace sur le sable c’est que, ce jour-là, c’est moi qui t’ai porté."

Adémar de Barros (1929-....), poète brésilien

A notre condition malheureuse il reste d’ailleurs un chœur fragile de fidèles que Dieu révèle à Elie en dépit de sa solitude apparente. 

Il nous faut, en effet, garder une grande prudence sur ce qui est révélé de Dieu, même si le contraste avec les premières apparations du Sinaï est saisissant. Peut-être peut-on reprendre à ce stade, l’analyse que P. Beauchamp nous donne de la violence dans l’Écriture, parce qu’on est là, de fait au cœur de cette problématique.

Pour l’exégète, « le Dieu d’Israël assume les mots qui expriment ce désir de domination d’Israël. (...) devant les textes de violence n’allons pas quitter l’écoute, abandonner certaines pages, censurer le livre. À aucun prix (...) le désir de l’universel dans l’homme tel qu’il est, ne peut pas se développer sans traverser des besoins plus primitifs. Il doit traverser le besoin de possession et de conquête. Ici encore la grande parabole de l’Union de l’homme et de la femme, si souvent reprise dans la Bible et applicable au rapport de l’élu et des nations, nous montre une image de cette traversée obscure et souvent tragique (...). Le besoin de possession est le signe (...) d’un désir plus vrai (...) encore caché sous la violence charnelle. [Il faut] une conversion de l’appétit. Il n’y a pas d’autre voie. L’homme biblique est l’histoire de la transformation de l’homme (...) où nous apprenons que toute conversion vient de Dieu et non pas de nous. Cela n’a pas pour but de nous faire admirer l’homme, mais de nous faire admirer l’action que Dieu exerce en transformant l’homme. Il faut donc que rien de l’homme ne soit caché. Le but est de montrer que nous sommes imparfaits ».

Car ce n’est qu’en percevant nos imperfections répétées que nous prenons conscience que les « publicains et les prostituées nous précèdent dans le royaume » (Mat. 21, 28-32) et que notre propre conversion ne peut que se faire dans l’humilité.

C’est peut-être en effet dans la transformation du cœur d’Élie que se révèle le mystère, avec, comme par effet boomerang, ce qu’il conduit à révéler en nous. Car le piège, ajoute Beauchamp, serait de nous considérer comme supérieurs aux juifs, exempts de cette violence et proche du vrai Dieu. Notre chemin reste à parfaire et c’est en cela que le texte nous interpelle et nous pousse gentiment au désert.


Un Dieu qui nous parle dans le silence

On peut voir également dans le dernier mot de 1R19,12b la racine du mot murmure ou secret. Ce mot « secret » évoque à la fois le murmure de la prière d’Anne au temple, qui parle dans son cœur (1 Sam 1,13) comme l’injonction du Nouveau Testament de prier dans le secret, dans sa chambre (Mt 6, 6).

Oser suggérer que la « voix d’un fin silence » puisse s’agir d’une simple prière, renforce ce sentiment de petitesse. Se pourrait-il qu’Élie découvre au bout de sa quête qu’il y a, au-devant de lui, plus près encore de lui, une assemblée de priants qui se révèle. Il n’est pas le seul juste et sa mission est d’en sauver sept mille.

Cela ne peut que renforcer notre propre petitesse, dans cette quête. Nous ne trouverons pas Dieu tout seuls, mais c’est dans la communauté des priants que Dieu se révéle. On pourrait conforter alors la thèse de ceux qui affirment qu’Élie n’a en fait rien vu de la réalité de Dieu, que la vision de Dieu lui a été refusée en partie du fait qu’elle était cherchée par lui et non voulue par Dieu. Ce qui lui est donné de voir est alors, une pré-révélation, non pas de l’infini de Dieu, mais de la communion des saints, qui se joignent à la prière des anges. La comparaison avec le récit de Moïse qui cherche à voir la face de Dieu (Exode 33 et 34) est alors plus vive. Face à la demande du prophète, la réponse de Dieu à Moïse n’est pas un rejet total, mais une réaffirmation de sa tendresse, de sa miséricorde. La tension initiée par le désir de voir est maintenue et cependant nous ne percevons qu’une miette de l’indicible, le « dos de Dieu ».

Écoutons à ce sujet ce que suggère saint Irénée : « Les prophètes annonçaient donc que Dieu serait vu des hommes, conformément au dire du Seigneur : Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu. Certes, selon sa grandeur et sa gloire inénarrable, nul ne peut voir Dieu et vivre, car le Père est insaisissable ; mais selon son amour, sa bonté et sa toute-puissance, il accorde à ceux qui l'aiment de voir Dieu, et c'est ce que prophétisaient les prophètes, car ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Ainsi l'homme par lui-même ne verra pas Dieu, mais lui, Dieu, sera vu des hommes s'il le veut, de qui il veut, quand il veut, comme il veut : car Dieu peut tout : il a été vu autrefois grâce à l'Esprit selon la prophétie, puis il a été vu grâce au Fils selon l'adoption, et il sera vu dans le royaume des cieux selon la paternité, car l'Esprit prépare d'avance l'homme pour le Fils de Dieu, le Fils le conduit au Père, et le Père lui donne l'incorruptibilité et la vie éternelle qui résultent pour chacun de la vue de Dieu. Car, de même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, ainsi ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. Car la splendeur de Dieu vivifie: ils participent donc à sa vie, ceux qui voient Dieu».

Finalement, tout cela prend du sens si l’on considère que la recherche de Moïse et d’Élie ne sera satisfaite que lors de la transfiguration. Ce n’est donc pas une révélation divine refusée, mais différée qui serait décrite.

Dieu n’a pas cessé d’accompagner Élie. Dès l’épisode des corbeaux au chapitre 17 et ici encore avec l’ange, il lui témoigne sa protection. Mais cette protection n’est pas supérieure à celle donnée à Caïn. Elle reste l’expression de la tendresse de Dieu envers tout homme. Elle est enfin lieu d’interpellation renouvelée et le « Que fais-tu ici Élie ? » rappelle la question posée à Adam au jardin après l’illusion de s’être cru tout puissant sans Dieu.

Théologie négative

La série d’affirmations : « pas dans le souffle YHWH » pourrait composer l’embryon de ce que l’on appellera plus tard la théologie négative. Dans sa recherche et dans un contexte où la violence et la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent) restent prégnantes avec le meurtre des prophètes, le rédacteur nous emporte plus loin, à petits pas, vers une autre forme de révélation, celle d’un Dieu discret, dans la voix d’un fin silence.

Cette définition très « non violente » de Dieu du verset 13b, qui tranche avec les thèses de rétribution courantes à l’époque biblique, est presque unique dans l’Ancien Testament. Dieu ne sera jamais sujet d’échange. La prière n’est-ce pas un troc, comme le croit Abraham à la porte de Sodome (cf. Gn 18). Il EST. Il n’est qu’amour, soulignera François Varillon.

Précisons que l'expression qui révèle sa trace, la « fine voix de silence » se retrouve dans un texte ancien découvert dans les fouilles récentes de Qumran pour désigner le chant des anges. Il se définit comme un chant sans paroles articulées ; c’est ainsi, par l’illumination intérieure, que Yhwh semble communiquer avec son prophète.

Les multiples traductions de l’expression hébraïque « qol demāmā daqqa » expriment chacune à l’heure manière la musique même de cet indicible : voix, murmure, souffle, silence, chant, bruissement, brise.

Il est proche, celui qui se penche vers nous, mais le saisir c’est déjà le perdre. Le définir c’est le contenir. Il est musique et danse de l’amour que l’on ne peut contraindre dans une partition écrite. La Bible n’est pas LA parole de Dieu. Elle en est le creuset qui en distille la révélation, dans la tendresse d’un discours où se mêle une histoire bien humaine et les étincelles fugaces d’une révélation…

Dans l’ensemble, les traductions de qôl demämäh doqqäh s’accordent toutes pour opposer voix et silence à l’exception d’un auteur qui parle de « rugissement et de voix tonitruante ». Même si cette interprétation a eu peu d’écho, il semble intéressant de noter que, là aussi, une tension demeure entre ce que la tradition considère souvent comme une ouverture mystique vers un Dieu d’amour et une autre version possible, plus « toute puissante » de Dieu. Ce serait peut-être enfermer Dieu que de conclure à ce stade et surtout dans le contexte du livre Rois, encore très violent dans les récits qu’il décrit.

Les multiples traductions du verset nous interpellent sur la présence réelle de Dieu dans nos vies. Si l’on reprend la thèse d’une progressivité dans la révélation, Dieu ne serait pas dans toutes les manifestations violentes de la terre, il n’apparaîtrait qu’au terme d’un décentrement, d’une sortie de soi, quand l’on devient mendiant d’amour.

Ce texte a pu ainsi inspirer une dimension mystique importante de la foi chrétienne. On la compare à celle du nirvana dans la spiritualité orientale. On peut aussi rejoindre d’une certaine manière la théorie qui évoque le « Retrait » de Dieu ou son auto-communication.

Il nous pousse en effet plus loin encore, au travers du désert vers le chemin d’une rencontre. Ce chemin ne peut se faire qu’à l’issue d’un déplacement, d’une sortie de soi, en route vers Bershéva, vers le Néguev et la montagne de Dieu.

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Extrait des Notes des parties 1 à 4 - auteurs cités 

(1) Saint Antoine de Padoue, Sermon pour la fête de saint Jean l’Evangéliste, in Une Parole évangélique, Ed. Franciscaines, 1995, p. 143-145

(2) cf. sur ce point la belle description imagée de C. H. Rocquet, Élie ou la conversion de Dieu, Lethielleux, 2003

(3) A. Wénin, L’homme biblique, p. 165ss.

(5) Thomas Römer, voir L’invention de Dieu, Seuil, 2017

(6) P. Beauchamp, Parler d’Écritures Saintes, p. 111ss.

15 décembre 2021

Dons de Dieu Trinitaire- 2.18.2

On a l’impression parfois de trouver un rayon de lumière, alors qu’il s’agit d’un concept déjà lu, compris par tant d’autres. Mon billet précédent, même écrit avec des mots savants, n’apporte finalement pas grand chose par rapport à ce que disait Irénée. C’est ce que me glisse l’office des lectures d’aujourd’hui. Leçon d’humilité ? 

«  Dieu sera vu des hommes.

C'est Dieu, l'unique, qui a fait et harmonisé toutes choses par le Verbe et la Sagesse. ~

Et c'est son Verbe, notre Seigneur Jésus Christ, qui, dans les temps derniers, s'est fait homme parmi les hommes, pour rattacher la fin au principe, l'homme à Dieu.

Voilà pourquoi les prophètes, recevant de ce même Verbe le charisme de la prophétie, ont prêché sa venue selon la chair, qui réalise la jonction et la communion de Dieu et de l'homme comme il paraissait bon au Père. Dès le commencement, le Verbe de Dieu a annoncé que Dieu serait vu des hommes, qu'il vivrait et converserait avec eux sur la terre, qu'il se rendrait présent à son ouvrage pour le sauver, et qu'il se laisserait saisir par lui, pour nous libérer des mains de tous nos ennemis, c'est-à-dire de tout esprit de transgression, et pour faire que nous le servions en justice et sainteté tous les jours de notre vie, afin qu'enlacé à l'Esprit de Dieu, l'homme accède à la gloire du Père. ~

Les prophètes annonçaient donc que Dieu serait vu des hommes, conformément au dire du Seigneur : Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu.

Certes, selon sa grandeur et sa gloire inénarrable, nul ne peut voir Dieu et vivre, car le Père est insaisissable ; mais selon son amour, sa bonté et sa toute-puissance, il accorde à ceux qui l'aiment de voir Dieu, et c'est ce que prophétisaient les prophètes, car ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu.

Ainsi l'homme par lui-même ne verra pas Dieu, mais lui, Dieu, sera vu des hommes s'il le veut, de qui il veut, quand il veut, comme il veut : car Dieu peut tout : il a été vu autrefois grâce à l'Esprit selon la prophétie, puis il a été vu grâce au Fils selon l'adoption, et il sera vu dans le royaume des cieux selon la paternité, car l'Esprit prépare d'avance l'homme pour le Fils de Dieu, le Fils le conduit au Père, et le Père lui donne l'incorruptibilité et la vie éternelle qui résultent pour chacun de la vue de Dieu. Car, de même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, ainsi ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. Car la splendeur de Dieu vivifie : ils participent donc à sa vie, ceux qui voient Dieu. »(1)


Et pourtant en relisant cela, j’avance un peu dans cette contemplation de l’insaisissable, probablement parce que mes yeux sont aveuglés par des détails plus fugaces.


(1) TRAITÉ DE SAINT IRÉNÉE CONTRE LES HÉRÉSIES

19 mai 2020

Esprit d’unité - dépouillement 5 - Au fil de Jean 14 et 15

Dans la foulée du billet précédent et en préparation de la Pentecôte à venir, il nous est donné de comprendre que l'Esprit est le ferment discret de notre unité. Ce n'est qu'à travers la renonciation à la triple tentation du pouvoir, du valoir et de l'avoir que nous pouvons entrer à suite dans le véritable dépouillement qui laisse Dieu agir, être ferment en nous de cette unité polyédrique (1) dont parle le pape François dans le sillage de ce que nous révèle Irénée : « Car, comme de farine sèche on ne peut pas, sans eau, faire une seule pâte et un seul pain, ainsi nous, qui étions une multitude, nous ne pouvions pas non plus devenir un dans le Christ Jésus (1Co 10,17) sans l'Eau venue du ciel. Et comme la terre aride, à moins de recevoir de l'eau, ne fructifie pas, ainsi nous-mêmes, qui n'étions d'abord que du bois sec, nous n'aurions jamais porté du fruit de vie sans la Pluie généreuse venue d'en haut. Car nos corps, par le bain du baptême, ont reçu l'union à l'incorruptibilité, tandis que nos âmes l'ont reçue par l'Esprit. C'est pourquoi l'un et l'autre sont nécessaires, puisque l'un et l'autre contribuent à donner la vie en Dieu. (2)

Images : Sculptures de G. Schneider (Chapelle Baltard, St Séverin)

« En effet, bien que nous soyons une multitude d'individus, et que le Christ fasse demeurer en chacun de nous l'Esprit de son Père qui est le sien, il n'y a cependant qu'un seul Esprit indivisible, qui rassemble en lui-même des esprits distincts les uns des autres du fait de leur existence individuelle, et qui les fait apparaître pour ainsi dire comme ayant tous une seule existence en lui. De même que la vertu de la chair sacrée fait un seul corps de tous ceux en qui elle est venue, de la même manière, à mon avis, l'Esprit de Dieu un et indivisible qui nous habite nous conduit tous à l'unité spirituelle. C'est pourquoi saint Paul nous exhortait ainsi : Supportez-vous les uns les autres avec amour ; rassemblés dans la paix, ayez à cœur de garder l'unité dans un même Esprit, comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance. Il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous, et en tous. Si l'unique Esprit habite en nous, le Dieu unique, Père de tous, sera en nous, et il conduira par son Fils à l'union mutuelle et à l'union avec lui tout ce qui participe de l'Esprit.
Que nous soyons unis au Saint-Esprit par une participation, cela aussi est visible, et voici comment. Si nous abandonnons une vie purement naturelle pour obéir une bonne fois aux lois de l'Esprit, ne sera-t-il pas évident pour tous qu'après avoir pour ainsi dire renoncé à notre vie propre, et réalisé l'union avec l'Esprit, nous avons obtenu une condition céleste, si bien que nous avons comme changé de nature ? Nous ne sommes plus seulement des hommes, mais en outre nous sommes des fils de Dieu, des hommes célestes, puisque nous sommes devenus participants de la nature divine.
Tous, nous sommes donc un seul être dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Un seul être, dis-je, dans une identité d'état, ~ un seul être dans un progrès conforme à la piété, par notre communion à la chair sacrée du Christ, par notre communion à l'unique Esprit Saint. »(3)

Qui es-tu, douce lumière qui me combles et illumines la ténèbre de mon cœur ?...
Es-tu le Maître d'œuvre, le bâtisseur de la cathédrale éternelle qui depuis la terre s'élève jusqu'au Ciel ?
Tu donnes vie à ses colonnes, qui se dressent, hautes et droites, solides et immuables (Ap 3,12).
Marquées du signe du Nom divin et éternel, elles s'élancent vers la lumière et portent la coupole qui achève et couronne la sainte cathédrale,
ton œuvre qui embrasse l'univers entier : Saint Esprit, Main de Dieu créatrice !... Es-tu le doux cantique de l'amour et du respect sacré qui retentit sans fin
autour du trône de la Trinité sainte (Ap 4,8), symphonie où résonne la note pure donnée par chaque créature ?
Le son harmonieux, l'accord unanime des membres et de la Tête (Col 2,19), dans lequel chacun au comble de la joie découvre le sens mystérieux de son être
et le laisse jaillir en cri de jubilation, rendu libre en participant à ton propre jaillissement :
Saint Esprit, jubilation éternelle (4)

(1) cf. Polyèdre dans les balises de ce blog
(2) Saint Irénée de Lyon Contre les hérésies III, 17, 1-2 (trad. SC 211, p. 331 rev.)
(3) saint Cyrille d'Alexandrie, commentaire de l'Évangile de Jean, source : office des lectures du 6eme mardi de Pâques, AELF
(4) Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix [Édith Stein] 
Poésie Pentecôte 1937/1942 (trad. Malgré la nuit, Ad solem 2002, p. 125), source  : l’Évangile au Quotidien

11 mars 2020

Pédagogie divine 21 - Saint Irénée


Cela pourrait être le résumé du livre "Pédagogie divine" dont je viens de mettre en ligne la première épreuve, après plusieurs années de cisèlement.

Ce n'est jamais un hasard pour moi de tomber sur des textes qui éclairent où résonnent avec mes sujets de recherche. Celui-ci, retrouvé dans l'office des lectures d'aujourd'hui, entre largement dans cette catégorie.
Écoutons donc saint Irénée :

« Depuis le commencement, Dieu a modelé l'homme en vue de ses dons ; il a choisi les patriarches en vue de leur salut ; il formait d'avance le peuple, pour apprendre aux ignorants à suivre Dieu ; il préparait les prophètes, pour habituer l'homme sur la terre à porter son Esprit et
à être en communion avec Dieu. Lui qui n'avait besoin de rien accorde sa communion à ceux qui ont besoin de lui ; pour ceux qui lui plaisaient, il dessinait comme un architecte l'édifice du salut ; à ceux qui ne le voyaient pas en Égypte, il servait lui-même de guide ; aux turbulents dans le désert, il donnait la loi pleinement adaptée ; à ceux qui entraient dans une bonne terre, il donnait l'héritage approprié ; pour ceux qui revenaient vers le Père, il immolait le veau gras, et leur offrait la meilleure robe. Bref, de bien des manières, il disposait le genre humain à l'harmonie du salut.

Voilà pourquoi Jean dit dans l'Apocalypse : Et sa voix était pareille à la voix des multiples eaux. Oui, elles sont nombreuses, les eaux de l'Esprit de Dieu, — car le Père est riche et grand — et passant à travers elles toutes, le Verbe apportait généreusement son assistance à ceux qui lui étaient soumis, prescrivant à toute créature la loi nécessaire et appropriée.

Ainsi par la Loi, il déterminait la construction du tabernacle, l'édification du Temple, le choix des Lévites, les sacrifices et les oblations, les purifications, et tout le reste du service du culte. Lui-même n'a nul besoin de tout cela : car il est toujours comblé de tous biens, et a en lui toute odeur de suavité, et toutes les fumées de parfums, même avant que Moïse fût.

Mais il éduquait le peuple enclin à retourner aux idoles : il le disposait, par de nombreuses prestations, à persévérer dans le service de Dieu, il l'appelait par les choses secondaires aux principales, c'est-à-dire par les figuratives aux véritables, par les temporelles aux éternelles, par les charnelles aux spirituelles, par les terrestres aux célestes.

Qu'est-ce qui fut dit à Moïse : Tu feras tout selon le modèle de ce que tu as vu sur la montagne. En effet, pendant quarante jours, il apprit à retenir les paroles de Dieu, les caractères célestes, les images spirituelles, et les figures des choses à venir. Ainsi le dit Paul : Ils buvaient au rocher qui les suivait, car le rocher était le Christ. Puis ayant rappelé le contenu de la loi, il ajoute : Toutes ces choses leur arrivaient en figures ; elles ont été écrites pour être instruction, à nous en qui est arrivée la fin des siècles. Par ces figures, ils apprenaient à craindre Dieu et à persévérer dans son service. Ainsi la loi était pour eux un enseignement, en même temps qu'une prophétie de l'avenir. » (1)

(1) Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies

11 février 2020

Création et prophétie - 27

Quand Irénée trace avec prudence une nouvelle interprétation de la Genèse en disant que c'est « à la fois un récit du passé et une prophétie de l'avenir » (1)

Il nous ouvre à une autre interprétation de notre propre histoire appelée à sortir d'une fausse liberté pour laisser place à la possibilité d'un Dieu qui nous conduit au-delà de nos enfermements.

Une lecture spirituelle des textes nous conduit toujours beaucoup plus loin qu'une contemplation du passé...

(1) Irénée de Lyon, Contre les hérésies V, 28,3 traduction Rousseau p.654 cité par Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 137

01 septembre 2019

Homélie de mariage n.9 - Cantique 2 et Genèse…

Notes pour un mariage célébré le 31/8

A - Texte d'accueil
Bonjour,
Nous sommes ici réunis dans un écrin particulier, cette belle église de S., que je découvre avec beaucoup d'entre vous.
Nous sommes venus pour contempler un mystère, qui éclaire le monde depuis qu'il est notre monde.
Nous sommes venus pour célébrer l'amour d'un homme et d'une femme, prêt à s'unir pour l'éternité... Il y a d'autres amours, d'autres façon d'aimer, à commencer par l'amour d'une mère pour son enfant... Mais aujourd'hui, c'est de mariage que nous allons parler. Et ce mariage a quelque chose à dire sur l'amour en général.
Par vos textes choisis aujourd'hui, V et J. vous allez nous transporter plus de 2500 ans en arrière, dans ce qu'on appelle les textes « sapientaux » (les textes de sagesse) où le peuple hébreu, à son retour d'exil, nous donne une lecture non pas historique de la création et du monde, mais une lecture spirituelle, c'est-à-dire une forme de mythe idéal. Un mythe ?
Plus qu'un mythe... Une direction... Une prophétie... disait Irénée, un Père de l'Église au 2ème siècle. Les deux lectures (le cantique des cantiques et le deuxième chapitre de la Genèse évoqués dans l'évangile de Marc (9) sont écrits environ 500 ans avant JC. Ils nous conduisent à méditer ce que nous cherchons tous...
Aimer... Aimer jusqu'au bout... Aimer plus que tout...
Alors entrons dans cette célébration dans le silence.
Au début du chapitre 2 de la Genèse, évoqué dans l'évangile, l'homme découvre la femme et pousse un cri. En Hébreu, le mot est waouh..
Aujourd'hui, V. tu es en droit de dire Whaoouu... Et moi, jeune diacre, marié depuis 33 ans bientôt, je m'agenouille devant ton cri intérieur, comme beaucoup d'entre nous, parce que ce cri du cœur est une interpellation à aimer jusqu'au bout. C'est aussi une invitation à louer Celui qui est à l'origine de tout cela... Celui qui ne figure pas dans votre liste d'invités, mais qui est là à vos côtés. Entrons dans le silence...

B- Homélie
Comme je l'évoquais dans mon mot d'accueil je m'agenouille devant le mystère de votre rencontre, devant ce qui s'annonce, quelque chose de grand, d'immense.,.
votre couple s'est forgé dans un métal précieux. Tu le disais toi-même Valentin, vous avez construit un trésor d'une grande qualité, comme un diamant qui se prépare à l'éternité.

Que dire face à cela ?
Trois mots peut-être : courir quitter et chair
Et Deux lettres J V... comme les premières lettres de vos prénoms...
trois mots et deux lettres qu'on trouve dans les deux lectures pas forcément dans le bon ordre.

I - courir

Je vous souhaite de tout mon cœur de continuer dans cette lancée, d'entrer dans cette course infinie où l'un et l'autre allez pouvoir être le meilleur de vous-même et le meilleur à deux, pour porter au monde ce qui vous habite, pour entrer dans une fécondité toute particulière.

Ii- 3 verbes

Votre mariage est le début ou plutôt la poursuite d'une grande saga. Comme je l'évoquais, plusieurs séries de verbes évoquent pour moi ces directions que vous aller prendre.

III - Quitter

Quitter ses parents, me semble déjà bien entamé pour vous. Mais ce concept est central dans la Bible. On le retrouve au delà du deuxième chapitre de la Genèse, notamment dans l'orde donné à Abraham par Dieu. « va quitte ton pays, [tes certitudes] »... Pour illustrer cela je vous donne un petit exemple. Quand j'ai épousé Daniele elle buvait du chocolat et.moi du thé. Quelques années plus tard, c'était l'inverse...L'exemple est très matériel par rapport à l'enjeu.
Quitter c'est s'ouvrir à l'autre...
Quitter un éventuel repli sur soi, une tour solitaire, descendre de votre tour, vous disais-je déjà il y a six mois, écouter, attendre. C'est le chemin d'une vie... je reviendrai là dessus....


IV - Faire silence

Le deuxième point fortement lié au premier est de faire silence, entendre la musique de l'autre, des autres, de Dieu...?

V - Une seule chair

Le troisième stade serait de danser, faire une seule chair...
Le mot hébreu est plus vaste que ce que l'on ne l'entend dans la langue française : il signifie pour moi symphonie. Chacun de vos talents doit s'harmoniser pour entrer dans la danse. Et je ne parle pas seulement de vos corps mais de votre être.

La rencontre, la danse des corps est importante car elle est source de joie.

Le pape Jean Paul II en parlant de la rencontre des corps évoquait le mot de liturgie, c'est à dire que dans vos rencontres les plus intimes se joue un deuxième niveau, immense, une joie contagieuse et qui vous dépasse...

Pourquoi ?

Parce que Dieu est là, au milieu de votre danse la plus intime, en vous donnant l'un à l'autre, il est le grand donateur qui s'efface dans votre joie. Ce don est immense et en même temps respectueux de votre liberté. il est au cœur de votre amour, non pour l'enfermer mais pour le dilater, le rendre fécond.

Faire une seule chair est plus grand encore.

Vous m'avez dit que vous n'excluiez pas d'avoir des enfants. La chair de votre chair... Je m'en réjouis et je serai là si vous voulez les baptiser ;-)

Mais l'enjeu de faire une seule chair est plus vaste.

Faire une seule chair, c'est donner naissance à la joie, à la vie, être semence de vie, d'éternité, rayonner de votre amour, devenir signe, joie contagieuse pour vos enfants présents et à venir. Joie aussi pour le monde. Communion généreuse qui se nourrit de vos rencontres les plus intimes et les transcendent...

VI - Courir 2.O

J'en reviens au verbe courir. Le bien aimé courre vers l'objet de son désir (Cantique 2) mais l'enjeu est plus large : monter... grimper, courir, c'est à dire s'inscrire dans une course vers l'amour, entrer dans une dynamique qui dépasse largement l'aujourd'hui de votre mariage car c'est l'enjeu de votre vie. Se laisser saisir par l'amour (cf. Philippiens 3), embraser votre entourage de votre joie... Que votre union devienne feu, buisson ardent, lumière pour le monde, c'est à dire signe...

Julie, tu l'exprimais à ta manière, votre fécondité sera quelque chose de plus large que la seule fécondité charnelle, que les enfants que vous attendez, parce que l'amour qui vous habite vaut la peine d'être vécue, parce que l'amour est plus fort que la mort parce que l'amour qui vous vient de Dieu et qui vous portera peut-être à Dieu est le coeur, l'essence même de votre union.

Valentin, tout cela s'inscrit entre liberté et don... Il y'a une articulation à découvrir entre la joie de recevoir et la prise de conscience que ce don vient d'un donateur qui s'efface....

Dans votre course vous serez signe efficace, c'est-à-dire « sacrement » d'un amour plus grand...

VI - le « V » et le « J »

Ce mouvement s'inscrit dans un V...
Descendre de sa tour, quitter ses certitudes pour remonter à deux, en communion...

Ce mouvement en théologie s'appelle la kénose. Il s'est dessiné en « J », Jésus, le Christ...
« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement
le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti, (en grec ekenosen) prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes, reconnu homme à son aspect, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix.
C'est pourquoi Dieu l'a exalté : il l'a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (lettre de saint Paul aux Philippiens 2, 7-10)

Le Christ Jésus est votre chemin. Il sera là à vos côtés. Il vous donnera la force (les chrétiens appellent cela la grâce) d'avancer, si vous l'invitez à demeurer chez vous. Car le mariage est aussi parfois une épreuve, « impossible à l'homme, mais possible avec Dieu » (cf. Mat 19), source de tout amour et chemin d'un amour qui va jusqu'au bout...

(1) cf. Cantique des cantiques, mais aussi un thème repris par Grégoire de Nysse dans la vie de Moise et mon livre éponyme
(2) sur ce point voir mes travaux sur la dynamique sacramentelle


31 août 2019

Mariage et création - 4 - Acceuil d'un mariage


Texte d'accueil pour un mariage - Projet

Bonjour,
Nous sommes ici réunis dans un écrin particulier, cette belle église de XXX, que je découvre avec beaucoup d'entre vous.
Nous sommes venus pour contempler un mystère, qui éclaire le monde depuis qu'il est notre monde.
Nous sommes venus pour célébrer le monde dans ce qu'il a de plus iconique, l'amour d'un homme et d'une femme, prêt à s'unir pour l'éternité... Il y a d'autres amours, d'autres façon d'aimer, à commencer par l'amour d'une mère pour son enfant... Mais aujourd'hui, c'est de mariage que nous allons parler. Et ce mariage a quelque chose à dire sur l'amour en général.
Par vos textes choisis aujourd'hui, X et Y vous allez nous transporter plus de 2500 ans en arrière, dans ce qu'on appelle les textes « sapientaux » (les textes de sagesse) où le peuple hébreu, à son retour d'exil, nous donne une lecture non pas historique de la création et du monde, mais une lecture spirituelle, c'est-à-dire une forme de mythe idéal. Un mythe ?
Plus qu'un mythe... Une direction... Une prophétie disait Irénée, un Père de l’Église au 2ème siècle. Les deux lectures (le cantique des cantiques et le deuxième chapitre de la Genèse évoqués dans l'évangile sont écrits environ 500 ans avant JC. Ils nous conduisent à méditer ce que nous cherchons tous...
Aimer... Aimer jusqu'au bout... Aimer plus que tout...
Alors entrons dans cette célébration dans le silence.
Au début du chapitre 2 de la Gn, évoqué dans l'évangile l'homme découvre la femme et pousse un cri. En Hébreu, le mot est waouh..
X, aujourd'hui, X, tu es en droit de dire Whaoouu... Et moi, jeune diacre, marié depuis 33 ans bientôt, je m'agenouille devant ton cri intérieur, comme beaucoup d'entre nous, parce que ce cri du cœur est une interpellation à aimer jusqu'au bout. C'est aussi une invitation à louer Celui qui est à l'origine de tout cela... Celui qui ne  figure  pasdans votre liste d'invités, mais qui est là à vos côtés. Entrons dans le silence...

28 août 2019

Dynamique et création - 2 - Irénée de Lyon

« La Genèse nous donne un récit du passé et une prophétie de l'avenir (1) » nous dit saint Irénée. Il ne faut pas considérer Dieu comme « néronien » précise Bernard Sesboué, c'est à dire comme indifférent au mal subi(2).
Sa place serait-elle dans cet accompagnement parfois kénotique et toujours dynamique de la création qui nous laisse toute liberté tout en interpellant nos actes dans l'Où es-tu ? de Gn 3 (3).
La bonne lecture de Gn 2 et 3 c'est celle qui nous fait grandir vers Lui...


(1) Irénée de Lyon, CH v, 28, 3, cité par Bernard Sesboué in L'homme, merveille de Dieu, Salvator, 2015 p. 50
(2) ibid p. 49
(3) cf. mon livre éponyme 

09 juin 2019

Viens Esprit Saint - Esprit de Pentecôte

Pendant 40 jours nous nous sommes préparés à vivre la semaine sainte, puis pendant 40 jours nous avons accompagné le Ressuscité, en goûtant, jour après jour l'évangile de Jean. 
« Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole ; mon Père l'aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. (...) Or, la parole que vous entendez n'est pas de moi : elle est du Père, qui m'a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n'est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m'en vais, et je reviens vers vous. Si vous m'aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu'elles n'arrivent ; ainsi, lorsqu'elles arriveront, vous croirez. » (Jn 14, 15-29)
« Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité,
il vous conduira dans la vérité tout entière.
En effet, ce qu'il dira ne viendra pas de lui-même :
mais ce qu'il aura entendu, il le dira ;
et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
Lui me glorifiera,
car il recevra ce qui vient de moi
pour vous le faire connaître.
Tout ce que possède le Père est à moi ;
voilà pourquoi je vous ai dit :
L'Esprit reçoit ce qui vient de moi
pour vous le faire connaître. »(1)

Et voici qu'à l'Ascension nous méditons son départ et l'arrivée du Paraclet. Le défenseur est le don de Dieu par excellence, l'Esprit qui va animer et infuser notre vie chrétienne depuis la Pentecôte jusqu'au Christ Roi. La liturgie nous donne des temps à méditer et contempler pour chaque jour et pourtant, comme le dit saint Augustin, « Il est là et je ne le savais pas ». Laissons nos coeurs s'emplir de cette Présence silencieuse qui nous accompagne sur nos chemins, marche avec nous, et se reconnaît tous les dimanches à la Fraction du Pain. Ouvrons nos coeurs à l'Esprit de Pentecôte. 
« L'homme n'est rien pour lui-même, mais il est beaucoup avec l'Esprit Saint. L'homme est tout terrestre et tout animal ; il n'y a que l'Esprit Saint qui puisse élever son âme et le porter en haut.
Comme ces lunettes qui grossissent les objets, le Saint-Esprit nous fait voir le bien et le mal en grand. Avec le Saint-Esprit, on voit tout en grand : on voit la grandeur des moindres actions faites pour Dieu, et la grandeur des moindres fautes. Comme un horloger avec ses lunettes distinguent les plus petits rouages d'une montre, avec les lumières du Saint-Esprit nous distinguons tous les détails de notre pauvre vie. »(1)

Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l'Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.
24 Car nous avons été sauvés, mais c'est en espérance ; voir ce qu'on espère, ce n'est plus espérer : ce que l'on voit, comment peut-on l'espérer encore ?
25 Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons avec persévérance.
26 Bien plus, l'Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L'Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables.
27 Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l'Esprit puisque c'est selon Dieu que l'Esprit intercède pour les fidèles.(3)

« Voilà pourquoi aussi le Seigneur a promis de nous envoyer le Paraclet, qui nous adapte à Dieu. En effet la farine sèche ne peut sans eau devenir une seule pâte, pas davantage nous tous, ne pouvions devenir un en Jésus Christ sans l'eau qui vient du ciel. La terre aride, si elle ne reçoit pas d'eau, ne fructifie pas ; ainsi nous-mêmes, qui d'abord étions du bois sec, nous n'aurions jamais porté le fruit de la vie, sans l'eau librement donnée d'en haut. Ainsi nos corps ont reçu par l'eau du baptême l'unité qui les rend incorruptibles ; nos âmes l'ont reçue de l'Esprit. ~
L'Esprit de Dieu descendit sur le Seigneur, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu. À son tour le Seigneur l'a donné à l'Église, en envoyant des cieux le Paraclet sur toute la terre, là où le diable fut abattu comme la foudre, dit le Seigneur.
Ainsi cette rosée de Dieu nous est bien nécessaire pour n'être point consumés ni rendus stériles, et pour que là où nous avons l'accusateur, là nous ayons le Défenseur : car le Seigneur a confié à l'Esprit Saint l'homme qui est sien, cet homme qui était tombé aux mains des brigands. Il en a eu pitié et a pansé ses blessures, lui donnant deux pièces à l'effigie du Roi, pour qu'ayant reçu par l'Esprit l'image et le sceau du Père et du Fils, nous fassions fructifier la pièce qu'il nous a confiée, et la rendions multipliée au Seigneur.(4)
Viens Esprit Saint !
Viens embraser nos cœurs !
« Esprit de Dieu, tu es le feu,
Patiente braise dans la cendre,
A tout moment prête à surprendre
Le moindre souffle et à sauter
Comme un éclair vif et joyeux
Pour consumer en nous la paille,
Eprouver l'or aux grandes flammes
Du brasier de ta charité.

Esprit de Dieu, tu es le vent,
Où prends-tu souffle, à quel rivage?
Élie se cache le visage
A ton silence frémissant
Aux temps nouveaux tu es donné,
Soupir du monde en espérance,
Partout présent comme une danse,
Eclosion de ta liberté.

Esprit de Dieu, tu es rosée
De joie, de force et de tendresse,
Tu es la pluie de la promesse
Sur une terre abandonnée.
Jaillie du Fils ressuscité,
Tu nous animes, source claire,
Et nous ramènes vers le Père,
Au rocher de la vérité. »(5)
« tu t'avances sur les ailes du vent ; tu prends les vents pour messagers » (Ps 103)
Viens souffle imprévisible 
(1) Jean 16, 14-15
(2) Saint Jean-Marie Vianney, Esprit du Curé d'Ars dans ses Catéchismes, ses Sermons, ses Conversations. (Abbé Monnin, Eds. Tequi 2007, p. 61-63 ; rev.)
(3) Romains 8, 23-27
(4) Irénée de Lyon, Traité sur les hérésies 
(5) Hymne de l'office des lectures source AELF 


09 mai 2019

Au fil de Jean 6 - une seule chair 1 - Irénée de Lyon


« Moi, je suis le pain de la vie.
Au désert, vos pères ont mangé la manne,
et ils sont morts ;
mais le pain qui descend du ciel
est tel que celui qui en mange ne mourra pas.
Moi, je suis le pain vivant,
qui est descendu du ciel :
si quelqu'un mange de ce pain,
il vivra éternellement.
Le pain que je donnerai, c'est ma chair,
donnée pour la vie du monde. » Jn 6, 48-51

Faire une seule chair avec le Christ ?
Nous entendons l'expression au sujet du mariage.
Elle est reprise par Jésus pour le même sujet.
Mais l'expression est plus vaste que la rencontre amoureuse qui n'est que le premier stade de quelque chose de plus grand. 



Écoutons saint Irénée. 

« Si la chair ne peut être sauvée, alors le Seigneur ne nous a pas rachetés par son sang, la coupe de l'Eucharistie n'est communion à son sang, ni le pain que nous rompons, la communion à son corps. Car le sang n'en est pas, s'il ne provient de veines, de chairs, et du reste de la substance humaine, et c'est pour être vraiment devenu cela que le Verbe de Dieu nous a rachetés par son sang.
Ainsi le dît l'Apôtre : En lui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés.
Parce que nous sommes ses membres, et que nous sommes nourris par la création — cette création qu'il nous donne lui-même, en faisant lever son soleil et pleuvoir comme il veut — il a confirmé que la coupe qui provient de la création était son sang, par lequel se fortifie notre sang ; il a confirmé que le pain qui provient de la création était son corps, par lequel il fortifie notre corps.
Si la coupe qui a été mélangée, et le pain qui a été fait, reçoivent le Verbe de Dieu, et deviennent l'Eucharistie du sang et du corps du Christ, qui fortifie et affermit notre substance, comment peut-on dire que la chair est incapable de recevoir le don de Dieu, qui est la vie éternelle, alors qu'elle est nourrie par le sang et le corps du Christ, et en est le membre ?
Voici ce que dit le bienheureux Apôtre à ce sujet dans la Lettre aux Éphésiens : Nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os. Ce n'est pas de je ne sais quel homme spirituel et invisible, qu'il dit cela, car un esprit n'a ni os ni chair, mais il parle de l'organisme authentiquement humain, qui est constitué de chairs, de nerfs, et d'os, qui est, lui, nourri par la coupe qui est son sang, et fortifié par le pain qui est son corps.
Le bois de la vigne, après avoir été couché sur le sol, porte du fruit en son temps ; le grain de blé, tombé en terre, et là dissous, resurgit multiplié par l'Esprit de Dieu qui contient tout. Ensuite, grâce au savoir des hommes, ils servent à leur usage et, en recevant le Verbe de Dieu, ils deviennent l'eucharistie, à savoir le corps et le sang du Christ.
Ainsi nos corps qui sont nourris de l'eucharistie, après avoir été couchés dans la terre et s'y être dissous, ressusciteront en leur temps, quand le Verbe de Dieu leur donnera la résurrection, pour la gloire de Dieu le Père, lui qui procurera l'immortalité à ce qui est mortel, et offrira l'incorruptibilité à ce qui est corruptible, car la puissance de Dieu se déploie dans la faiblesse. » (1)

(1) Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies, source office des lectures du 9/5/19, AELF

09 mars 2019

Au fil de Luc 5,27-32.- Appel de Lévi - Jeûne 4

« En ce temps-là, Jésus sortit et remarqua un publicain (c'est-à-dire un collecteur d'impôts) du nom de Lévi assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. »
Abandonnant tout, l'homme se leva ; et il le suivait.», Luc 5,27-28

Nos adhérences au monde nous privent de la vraie liberté. Laissons nous embraser par le feu qui nous purifie. 



« L'homme qui médite un peu verra comme le monde se trompe, au milieu de ce qu'il appelle liberté... Où se trouve donc la liberté ? Elle se trouve dans le cœur de l'homme qui n'aime que Dieu. Elle est dans l'homme dont l'âme n'est attachée ni à l'esprit ni à la matière, mais seulement à Dieu. Elle est dans cette âme qui n'est pas soumise au moi égoïste ; dans l'âme qui s'envole au-dessus de ses propres pensées, de ses propres sentiments, de son propre souffrir et jouir. La liberté est dans cette âme-là dont la seule raison d'exister est Dieu ; dont la vie est Dieu et rien de plus que Dieu.
L'esprit humain est petit, il est réduit, il est sujet à mille variations, des hauts et des bas, des dépressions, des déceptions, (...) La liberté est (...)  en Dieu. L'âme qui passant vraiment par-dessus tout fonde sa vie en lui, on peut dire qu'elle jouit de la liberté, dans la mesure du possible pour celui qui est encore dans ce monde.(1)

Plus encore la vraie liberté vient de cet abandon qui loin des tentations du monde, nous conduit à l’obéissance véritable : « Ainsi en va-t-il du service de Dieu : à Dieu, il n'apporte rien, car Dieu n'a pas besoin du service humain. Mais à ceux qui le suivent et le servent, Dieu procure la vie incorruptible et la gloire éternelle. Il accorde ce bienfait à ceux qui le servent, parce qu'ils le servent, et à ceux qui le suivent, parce qu'ils le suivent mais ne reçoit d'eux nul bienfait : car il est riche, parfait, et sans besoin.   (2)


(1) Saint Raphaël Arnáiz Barón, Écrits spirituels, 15/12/1936 (trad. Cerf 2008, p. 268, rev.)
(2) Saint Irénèe, Contre les Hérésies, source AELF 

28 juin 2018

L’amour est en toi - Irenée de Lyon

Le travail de Dieu en l’homme se fait dans la douceur. Écoutons ce que dit Irenée : « Depuis le commencement, le Fils est l'exégète du Père, puisqu'il est depuis le commencement auprès du Père : au temps voulu, il a montré aux hommes pour leur profit les visions prophétiques, la variété des charismes, ses ministères et la glorification du Père, de façon cohérente et claire : Qui dit cohésion dit harmonie, qui dit harmonie dit temps voulu, et qui dit temps voulu dit profit. C'est pourquoi le Verbe s'est fait le dispensateur de la gloire du Père au profit des hommes pour qui il accomplit de telles économies : ainsi il montre Dieu aux hommes, et présente l'homme à Dieu, tout en préservant l'invisibilité du Père, de peur que l'homme n'en vienne à mépriser Dieu, mais, en même temps, pour qu'il ait toujours des progrès en vue, il rend Dieu visible aux hommes en le montrant par de nombreuses économies, de peur que, totalement privé de Dieu, l'homme cesse d'être. Car la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme, c'est la vue de Dieu. Si la révélation de Dieu par la création donne la vie à tout être vivant sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu ! » (1)

« Ce n’est pas toi qui te fait, mais Dieu qui te fait. Si tu es l’ouvrage de Dieu, attends tout de sa main : Livre-toi à Celui qui peut te modeler et qui fait bien toutes choses en temps opportun; Quant à toi, ton rôle c’est de te laisser ouvrager. Présente-lui un coeur souple et docile, Livre-toi à lui comme une argile malléable. Ayant en toi l'Eau qui vient de lui, Reçois en toi la forme que le Maître Ouvrier veut te donner. Garde en toi cette humilité qui vient de la grâce,  pour ne pas empêcher le Seigneur d’imprimer en toi la marque de son doigt. C’est en recevant son empreinte que tu deviendras parfait, et seul le Seigneur pourra faire oeuvre d’art avec cette pauvre argile que tu es. En effet, faire est le propre de la bonté de Dieu, et le laisser faire, c’est le rôle qui convient à ta nature d’homme ».


(1) Irenée de Lyon, Contre les hérésies, source AELF, office des lectures du 28 juin.

17 février 2018

Dynamique 6 - Saint Irénée et la gloire de Dieu

" Les hommes qui sont dans la lumière n'illuminent pas, eux, la lumière, mais par elle sont illuminés et par elle resplendissent : loin d'apporter quoi que ce soit à la lumière, ils en bénéficient et sont illuminés par elle.Ainsi en va-t-il du service de Dieu : à Dieu, il n'apporte rien, car Dieu n'a pas besoin du service humain. Mais à ceux qui le suivent et le servent, Dieu procure la vie incorruptible et la gloire éternelle. Il accorde ce bienfait à ceux qui le servent, parce qu'ils le servent, et à ceux qui le suivent, parce qu'ils le suivent, mais ne reçoit d'eux nul bienfait : car il est riche, parfait, et sans besoin.Dieu sollicite le service des hommes par bonté et miséricorde pour combler de bienfaits ceux qui le servent avec persévérance. Car autant Dieu n'a besoin de rien, autant l'homme a besoin de la communion de Dieu. La gloire de l'homme, c'est de persévérer et demeurer au service de Dieu. Et c'est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples : Ce n 'est pas vous qui m'avez choisi, mais moi qui vous ai choisis ; il voulait dire par là qu'eux ne le glorifiaient pas en le suivant, mais que, pour avoir suivi le Fils de Dieu, ils étaient par lui glorifiés. Et il disait encore : Je veux que là où je suis, là ils soient aussi, pour qu'ils voient ma gloire."

Saint Irénée,  Contre les hérésies,  source AELF,  Bréviaire 1er samedi de Carême,  office des lectures

21 février 2017

Quand l'Incréé fait l'imparfait

Un petit bémol et non des moindres à ma vision utopique de l'humain. Dire que Dieu se met "à genoux devant l'homme" n'implique pas que l'homme est parfait, mais qu'il en est capable avec l'aide de la grâce.

Saint Irénée, donné aujourd'hui en commentaire de l’Évangile  me conduit à cette nuance : "Dieu n'aurait-il pas pu faire l'homme parfait dès le commencement ? Pour Dieu, qui est depuis toujours identique à Lui-même et qui est incréé, tout est possible. Mais les êtres créés, parce que leur existence a commencé après la sienne, sont nécessairement inférieurs à Celui qui les a faits... Créés, ils ne sont donc pas parfaits ; venant d'être mis au monde, ils sont de petits enfants, et comme des petits enfants, ils ne sont ni accoutumés ni exercés à la conduite parfaite... Dieu donc pouvait donner dès le commencement la perfection à l'homme ; mais l'homme était incapable de la recevoir, car il n'était qu'un petit enfant." (1) Il lui faut donc quelque chose de plus et ce plus est la grâce qui se révèle en Jésus Christ.
"Le Verbe de Dieu, alors qu'il était parfait, s'est fait petit enfant avec l'homme, non pour lui-même, mais à cause de l'état d'enfance où était l'homme." (2) Et cette abaissement (kénose) est chemin de Dieu pour notre humanisation.


(1) Irénée de Lyon, Contre les hérésies, IV 38, 1-2
(2) ibid.

28 juin 2016

L'homme vivant -2 Irénée de Lyon

Nous l'avons évoqué la semaine dernière... voici l'intégrale de la fameuse citation qui entre bien dans notre quête actuelle sur le caché/dévoilé et peut être contemplée dans sa démonstration :

"Depuis le commencement, le Fils est l'exégète du Père, puisqu'il est depuis le commencement auprès du Père : au temps voulu, il a montré aux hommes pour leur profit les visions prophétiques, la variété des charismes, ses ministères et la glorification du Père, de façon cohérente et claire : Qui dit cohésion dit harmonie, qui dit harmonie dit temps voulu, et qui dit temps voulu dit profit. C'est pourquoi le Verbe s'est fait le dispensateur de la gloire du Père au profit des hommes pour qui il accomplit de telles économies : ainsi il montre Dieu aux hommes, et présente l'homme à Dieu, tout en préservant l'invisibilité du Père, de peur que l'homme n'en vienne à mépriser Dieu, mais, en même temps, pour qu'il ait toujours des progrès en vue, il rend Dieu visible aux hommes en le montrant par de nombreuses économies, de peur que, totalement privé de Dieu, l'homme cesse d'être. Car la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme, c'est la vue de Dieu, Si la révélation de Dieu par la création donne la vie à tout être vivant sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu !" (1)

(1) Irénée de Lyon,  Contre les hérésies,  2, 19, source AELF

27 juin 2016

Les deux mains du Père

La théologie d'Irenée nous conduit vers la contemplation de l'action du Christ dans l'Ancien Testament comme un chemin "rectiligne" (1)  en dépit des tourments humains. Sans renier l'opposition de Paul entre l'ancienne loi et la grâce, Irénée souligne que le "fruit croît dans la cosse" et que la Loi forme des degrés menant à l'imitation du Christ.

Cette contemplation nous conduit, plus qu'ailleurs, à percevoir que rien n'échappe à la pédagogie divine, jusqu'à croire que le bien sortira de ce mal, que tout est inscrit dans l'économie de Dieu et doit se lire avec la "clé trinitaire" que notre pape François évoque si bien en LS 239 (2).


(1) Hans Urs von Balthasar,  GC2, p. 76
(2) cf. Laudato Si, édition revue et commentée par le Ceras, § 239

24 juin 2016

L'homme vivant, gloire de Dieu

On cite souvent cette phrase d'Irenée de Lyon : "La Gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme est la vision de Dieu" (1), mais le contexte qui a fait jaillir cette phrase nous en donne plus qu'il n'y paraît. Au lieu d'être un anthropocentrisme simple, Balthasar souligne que l'évêque de Lyon insiste d'abord, à la suite de Paul, sur le fait que "tous les hommes sont privés de la gloire de Dieu (Rm 3, 23)‎ et que ceux-là sont justifiés, non par eux-mêmes mais par la venue du Seigneur - quand ils ont les yeux tendus vers sa lumière(2)".

Cette introduction peut nous interroger, à la suite de toutes nos considérations sur l'image et la ressemblance : la gloire de Dieu n'est elle pas finalement le Christ seul et notre chemin n'est-il pas de tenter de ‎nous conformer à lui pour tenter de participer à cette vision de Dieu à laquelle il nous appelle et nous conduit et qu'il nous révèle sur la Croix ?

(1) AH (Contre les Hérésies) 2, 219
(2)‎ AH 2, 241, 2, 192, cité par Hans Urs von Balthasar, GC2, op Cit p. 68

23 juin 2016

Pédagogie en vue du Christ

Il nous faut cependant revenir sur le terme de "tortueux" utilisé chez Origène. "L'Ancien Testament est le paidagogos eis Christon (...) dans son enseignement suivi, tout doit arriver au moment qui convient(1)". "Il n'y a rien de désordonné ou d'intempestif, de même qu'il n'y a rien d'incohérent chez le Père(2)", souligne Irénée.

C'est cette pédagogie qu'il nous faut contempler.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC2, p. 73
(2) S. p. 292, ibid.

15 mai 2016

Dynamique sacramentelle - 3

Cette conjonction avec l'économie trinitaire se fait presque à notre insu. En nous ouvrant à sa grâce,  l'Esprit qui nous envahit, réalise en nous ce à quoi Dieu nous destine. Comme le suggère Irénée,  "la farine sèche ne peut sans eau devenir une seule pâte, pas davantage nous tous, ne pouvions devenir un en Jésus Christ sans l'eau qui vient du ciel" ( 1 )

Paul nous le dit aussi à sa manière :"l'Esprit vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas ce que nous devons, selon nos besoins, demander dans nos prière (...) Il prie pour nous par des gémissements ineffables" Rom 8, 26.

(1) Contre les hérésies

19 avril 2016

Image et ressemblance - Une dynamique

Cette différence entre image et ressemblance souvent commentée dans la pensée d'Augustin et Bonaventure se trouve déjà dans les réflexions de saint Irénée. Elle n'est pas, nous dit Balthasar (1) entre une trace corporelle et une image spirituelle comme le diront certains pères de l'Église platonisants, mais s'inscrit plutôt dans une dynamique. "L'expression peut osciller [chez Irénée] de telle sorte que le point de départ (...) est appelé tantôt image ou ressemblance, ou bien les deux termes peuvent être distingués aussi  dynamiquement de la manière suivante : par le péché l'image a perdu la ressemblance avec Dieu, mais du fait que Dieu se rend par l'incarnation semblable à la nature tombée et "récapitule en soi l'image du commencement", la ressemblance sera de nouveau acquise. Cette intelligence dynamique de l'image est celle qui révèle l'histoire du salut et qui est proprement biblique et théologique. Car l'image de Dieu est le Fils à l'image duquel l'homme a été fait ; c'est pourquoi dans les derniers temps il est apparu afin de montrer que l'image était semblable à lui-même"(2).

Cette page a pour moi de l'intérêt car elle fonde une partie de mes réflexions sur la dynamique sacramentelle, qui prolonge pour moi en l'homme cette pédagogie divine particulière.

Il y a poursuit d'ailleurs Balthasar un caractère trinitaire à cette doctrine de l'image et de la ressemblance parce que la créature étant en devenir les deux mains de Dieu (Christ et Esprit) "ne cessent pas de lui imprimer leur forme (...) et ainsi la nature montre partout les contours et les présages, le plan de ce qui doit être développé à travers le devenir et le temps en direction de l'image parfaite"(3).

Cette dynamique n'est elle pas la course humaine décrite en Ph3, celle que qui oubliant le passé tâche de nous faire "saisir" par Dieu‎. Nous ne sommes et ne serons jamais image et ressemblance, mais notre course est d'y tendre.

‎"Pour suivre la conduite de Dieu, l'homme doit être libre, et cette liberté apparaît aussi dans la conduite elle même qui est toujours une conduite doucement persuasive, jamais une conduite contraignante (4).

 (1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, tome 2, Styles, d'Irénée à Dante, (GC2) p. 58
(2) Irénée, Contre les Hérésies, 2, 367. 2,145 et D2, cité par Balthasar op‎ Cit p. 58
(3) GC2 p. 59
‎(4) Ibid. citant  saint Irénée AH 2, 289 et 2, 286