Affichage des articles dont le libellé est danse. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est danse. Afficher tous les articles

27 novembre 2021

Danse fragile - 16bis -

« Comment es-tu foyer de feu

   et fraîcheur de la fontaine,

une brûlure, une douceur

   qui rend saines nos [blessures] ?

Comment fais-tu de l'homme un [signe],

   de la nuit une lumière,

et des abîmes de la mort

   tires-tu la vie nouvelle?


Comment la nuit vient-elle au jour ?

   Peux-tu vaincre les ténèbres,

porter ta flamme jusqu'au cœur

   et changer le fond de l'être ?


Comment n'es-tu qu'un avec nous,

   nous rends-tu fils de Dieu même ?

Comment nous brûles-tu d'amour

   et nous blesses-tu sans glaive ?


Comment peux-tu nous supporter,

   rester lent à la colère,

et de l'ailleurs où tu te tiens

   voir ici nos moindres gestes ?


Comment de si haut et de si loin

   ton regard suit-il nos actes ?

Ton serviteur attend la paix,

   le courage dans les larmes !


Cette « variation » sur l’hymne donné par l’office des lectures est elle la clé que je cherchais pour mes essais d’homélie du WE ?

Voici une v4.0 😉

——-

Nous entrons dans le temps de l’avent. La lecture de Jérémie 33,15,, nous annonce  un « germe de justice ». Qu’est ce à dire ? une semence, un grain qui meurt ?


Une semence, un don de Dieu ?

Qu’est ce que cela peut être ?

Nous sommes au milieu de l’hiver, la neige est à nos portes, nous enfonçons dans la boue, jusque dans nos églises.


Quel va être notre manière de préparer le printemps de Dieu…?

Faire en nous une petite place, creuser notre terre asséchée par des plantes ingrates, se plonger dans l’essentiel, retrouver en nous le terreau fertile, ce qui nous fait vibrer de l’intérieur.


Sommes nous patients envers les autres, patients avec Dieu ?


Patient avec Dieu ? 

Sommes nous patients, quand il semble ne pas répondre  à nos « où es-tu ? »


Dans la nuit, dans le silence…En quoi croyons nous ?

Qu’est ce qui arrête notre regard ?

Où est la flamme ?

Nous allumons à l’extérieur de belles guirlandes mais qu’elle va être la source de cette lumière ?


L’amour…?

L’amour endure tout, prend patience..

L’avent est le temps de la patience.


Le germe de justice dont parle Jérémie est un acte de foi. Il a fallu plusieurs centaines d’années avant que vienne la réponse…


Le Christ, fragile espérance, signe qu’au milieu de la nuit, de la violence, l’amour est possible.


Le don de Dieu est Christ.


Sommes nous prêts à l’accueillir ? C’est la question de l’avent… 


Prenons nous le temps, chaque soir, de laisser résonner en nous le Christ, sa parole, dans le silence… comme une semence fragile ? 


Quelle semence ? 

Peut-être cette danse discrète vers l’homme, que Dieu nous donne à contempler dans les gestes de Jésus, dans cet homme Jésus qui se penche, écoute, se tait, guérit, relève, demande à boire, s’agenouille, puis s’offre tout entier, se laisse transpercer, jusqu’à ce que, de son cœur, jaillisse un fleuve immense…


L’avent, c’est prendre notre amphore et s’avancer vers l’amour, prendre conscience qu’il est don de Dieu et s’y altérer, pour faire grandir en nous cette graine fragile, semée le jour de notre baptême et nourrie à chaque eucharistie.


Dieu chaque hiver fait un rêve, celui qu’à chaque fois que nous avançons vers la table de la Parole et du pain, la petite graine qui germe en nous grandisse jusqu’à ce qu’au printemps de Dieu, un champ immense apparaisse au milieu du désert. Danse fragile,  germe d'amour qui, en scintillant de l'amour humain devient signe du buisson ardent qu’est le Christ.

« Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. » nous dit la 2eme lecture. ((1Th 3) Un sentier se dessine…


Une mesure sans mesure…


Ouvrir nos cœurs à l’amour…jusqu’à cette

« profonde transformation de tout l’être sous l’action de l’Esprit Saint, [jusqu’au]« retournement » né de la rencontre vivifiante avec Dieu » (1)

De nos essais vers le don, Dieu rêve de faire un immense feu….


(1) Frère John de Taizé, cité dans La Croix du 18/11

25 novembre 2021

Danse fragile - 16


La lecture de Jérémie 33,15, dimanche prochain, nous annonce  un « germe de justice ». Qu’est ce à dire ? une semence, un grain qui meurt ?

Puissante prophétie puisqu’elle nous fait probablement à la fois espérer la venue du Christ, fragile espérance, mais aussi, peut-être, ce que Justin appellera les « semences du Verbe », ce que Vatican II (GS §2) relève comme ce don de Dieu fait à tous les hommes qui peut faire germer en nous l’amour…


Le message à porter au monde est-il de l’ordre d’une semence fragile ? Quelle semence ? Peut-être cette danse discrète vers l’homme, que Dieu nous donne à contempler en Jn 13, pour que se révèle en nous "la philanthropie de Dieu ". (1) Un message, précise J. Moingt qu'il ne suffit pas d’évoquer mais qu’il faut ensuite mettre en « oeuvre et en image, en paraboles comme le faisait Jésus »


Quelle sera notre trace ? 

Congar au Concile disait : "Dieu m’a amené à la servir et à servir les hommes à partir de lui et pour lui, surtout par la voie des idées. J’ai été amené à une vie solitaire, très vouée à la parole et au papier. C’est ma part dans le plan d’amour. Mais je veux m’y engager aussi de cœur et de vie et que ce service d’idées lui même soit un service des hommes."(2)


Pense-t-il alors à Pascal qui après l’écriture s’est consacré à la charité ?


Difficile de servir l'humain... Quel que soit soit sa forme, sa visibilité, l'essentiel est peut être ce qui rayonne, en dépit de nos balbutiements fragiles, de la philanthropie même de Dieu, de ce germe d’amour enfoui dans l’homme qui lui chatouille et lui réchauffe le cœur et le conduit, à son tour à aimer.


N'est-ce pas d'ailleurs ce que le monde retient de plus beau à travers les gestes désintéressés des soeurs Téresa, Emmanuelle ou d'un abbé Pierre ou Ceyras. Si ce service de l'humain est le seul message qui passe, n'est-ce pas parce qu’il est signe, à sa manière de celui qui le premier, à la suite des Marie et autres femmes figures fragiles de l’Evangile, s’est mis "à genoux devant l'homme".(3)


Poursuivons avec Congar : "Quand on regarde vivre l'Église, (...) ce qu'elle est et porte en elle (...) il y a là, de sa part, dans les formes mineures au moins de son sacerdoce, de son prophétisme, l'exercice d'une forme de royauté, non d'autorité et de puissance — elle ne l'a pas — mais d'influence et de service, qui répond à sa véritable situation par rapport au monde. Car on peut dire qu'elle en a la responsabilité (...)". (4) 


Un texte qui rebondit avec ma méditation n.15…. Non pas une royauté de pouvoir, mais le service diaconal du royaume. Danse fragile à la lumière de celles que je cherche à thématiser.


Congar précise que "l'Eglise a [notamment] dans ce cadre véritablement le nom de semence ou cellule germinale du Royaume qu'aiment à lui donner en particulier les théologiens de langue allemande (Keimzelle)(5)".


Ce que saint Justin appellait les spermatikos logos ne sont-ils pas ces germes d'amour qui, en scintillant de l'amour humain véritable, deviennent signes de la philanthropie de Dieu.


Germes en tout homme, chrétiens ou non ? C’est notre espérance, celle de voir l’homme touché par le Verbe.


« Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. » nous dit la 2eme lecture. ((1Th 3) Un sentier se dessine…


Une mesure sans mesure…


(1) J. Moingt, L'Évangile sauvera l'Église, op. cit p. 121

(2) Yves Congar, Mon Journal du Concile I, 1960-63, Cerf, Paris, 2002, op. cit. p. 384

(3) cf. mon livre éponyme 

(4) Yves Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, Cerf 1953, p. 133

(5) ibid. p. 134 et sa note où il cite le livre de H. André, Die Kirche als Keimzelle der Weltgöttlichung (Leipzig, 1920)

Danse tragique avec la royauté ? - 15

Quelle est cette royauté que nous vénérons aujourd’hui ?  Elle est probablement aux antipodes de tout concept humain puisque le trône de notre roi est un gibet…

Non pas une royauté extérieure, mais le règne de la Vérité en nous, qui nous libère de l’apparence et stimule notre humilité par rapport aux dons du Père…


J’ai toujours un peu de mal avec l’expression qui est pourtant au cœur du sacrement de baptême : Dieu fait de nous des rois…

J’ai trouvé un jour cette nuance que je préfère : Dieu fait de nous des serviteurs du Royaume…


Cette réflexion rebondit avec une introspection récente sur la tentation de l’ordonné… Il n’est pas difficile de percevoir que dans notre Église toute initiative de pouvoir conduit à des dérives.

Qu’elle soit pour un prêtre comme pour un laïc engagé… une femme en charge du caté ou un sacristain trop zélé…

C’est peut-être l’enjeu d’une vraie démarche synodale. 

A commencer par moi-même, qui, pendant mon chemin diaconal avait de beau discours sur la tentation d’être clerc et qui ai pris pourtant plaisir parfois à monter en aube à l’autel. Dur souvent de résister… heureusement que ma tendre épouse n’est pas tendre sur ce point. Elle connaît trop les failles de mon humanité 🙂


Ce plaisir est inhérent à la fonction et atisé par le regard des paroissiens qui vous sanctifie sans discernement. Et vous appelle « mon père » alors que Claude est mon prénom 🙂 


C’est probablement pourquoi la quête des prêtres ouvriers ou des séculiers, sans soutane ou croix affichée, des jésuites sans col romain dans le monde, incarnés et discrets reflétera toujours mieux la kénose (dépouillement) christique que tous les ornements liturgiques, la blancheur virginale de certains réguliers et les soutanes rutilantes payées à prix d’or dans certaines boutiques romaines…


La solitude du prêtre de campagne reflète plus pour moi l’Église en marche que le cléricalisme urbain, mis à part certains vieux vicaires méprisés parce qu’ils ont perdu leurs statuts… et qui pourtant sont plein d’une sagesse humble.


C’est ce qui a motivé en tout cas mon désir de quitter la métropole pour prendre la route chaque WE et rejoindre mon curé solitaire et lui apporter mon fraternel soutien…


Ce qui me motive le plus, c’est qu’il a quitté à 64 ans son Afrique natale pour servir l’Église dans sa fragilité et que sa bonne humeur fait revivre 12 petits clochers bien pauvres, même si la paroisse est 1,5 x plus vaste que Paris… 


Pendant ses trois premières années ici, il a vécu dans un presbytère en ruine, avec une bassine dans sa chambre, qui recueillait l’eau qui traversait le toit (heureusement c’est fini, il est au chaud… )


Quel contraste avec les ors parisiens…

A quand une vraie péréquation ?

Pour moi, en dépit de ses faiblesses, de ses coups de cœur, il est en chemin vers cette sainteté ordinaire dont parle François…


Il incarne ce que j’ai écris il y a 15 ans, dans « cette Église que je cherche à aimer ». Je déteste cette expression « donnez nous des saints prêtres » car il serait tellement plus simple de dire, donnez nous des saints…Je pense que parce qu’il est un homme « donné » mon curé marche dans cette direction, dans la dynamique particulière de Ph. 3.


Les vrais saints ne portent pas souvent d’aubes blanches, ils sont trop occupés à laver les pieds des souffrants. Souvent je me dis que ma diaconie n’est que façade à côté de ceux qui sont l’amour agissant…


Combien de fois, en écoutant l’un et l’autre parler de ce qu’il fait pour le royaume je me sens bien petit. Parfois même je glisse à la personne qu’elle est bien plus « diacre » que moi.


Dansez avec le roi de nos vies, c’est découvrir les signes de l’amour chez autrui. 

Reprendre alors le cri d’Augustin : Tu étais là et je ne le savais pas…


Mardi, je vais « monter » à l’autel à la demande appuyée d’un père et d’une mère qui souhaite me voir accompagner leur souffrance (perte d’un enfant de 21 ans). J’aurais préféré rester dans la « fosse commune »… la souffrance d’une mère qui accompagne son fils pendant ses 18 mois de cancer et jusqu’à la fin est une vraie diaconie. Elle est « danse tragique » avec la royauté du Christ souffrant …

11 novembre 2021

Danse fragile dans la nuit étoilée - 14

Méditation pour dimanche, v7

Ce 33eme dimanche qui vient, termine l’année liturgique avant le Christ-Roi. On ne doit pas pour autant entrer dans la noirceur d’un discours apocalyptique, mais trouver ensemble un chemin vers la joie, vers ces feuilles de figuier au vert tendre qu’évoque l’Evangile. Notre chemin est peut-être de contempler le passé avec distance, de se serrer les coudes et de tracer un chemin de charité partagée (en cette journée mondiale des pauvres), mais aussi d’espérance et de miséricorde.  Dieu ne veut pas la souffrance et la mort de personne disait Ezechiel, mais la vie… (cf. Ézékiel‬ ‭18:32‬ )


Quels sont les pas de danse que nous allons entreprendre pour mettre en nous et en nos frères des traces de cet amour et de cette espérance qui viennent de Dieu ?


J’ai joué de la flûte, allez-vous danser demande Jésus ? Mais quelle danse ? Une danse macabre où une danse fraternelle et joyeuse ? 


À leur manière, les textes de ce dimanche tracent ce sentier sinueux que l’on peut probablement mieux contempler à l’aune des pépites de la liturgie de cette semaine…


Nous avions notamment mardi un beau texte sur le temple d’où coule un torrent de vie…(Ez 47), ce torrent vient de Dieu, mais donne du fruit en se mêlant à la terre, il n’est pas une eau magique à regarder de loin, mais vient au contraire abreuver et donner de la force à notre agir. 

Dans notre nuit, sachons découvrir ce Dieu qui semble si loin et qui est pourtant si proche…


Nous pouvons rester dans la nuit, nous attacher à des étoiles et les lumières anciennes. Elles ont perdu de leur éclat, mais ne désespérons pas pour autant. Écoutons la première lecture.


« Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront (...)  pour la vie éternelle » nous dit-elle.

    Ceux qui comme nous se rassembleront pour recevoir et écouter la Parole ensemble pourront transpirer voire resplendire de la lumière qui vient d’en haut, à condition de s’évider d’eux-mêmes pour laisser place à l’amour véritable à « la splendeur du firmament » et redonner ainsi place à ce Dieu qui nous aime pour toujours et à jamais.


« Garde-moi, mon Dieu,

j’ai fait de toi mon refuge.

Seigneur, mon partage et ma coupe :

de toi dépend mon sort….

De toi dépend mon sort..


Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;

il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,

ma chair elle-même repose en confiance :

tu ne peux m’abandonner à la mort

ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :

devant ta face, débordement de joie !

À ta droite, éternité de délices ! (Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11)


Nous avons vu, au bout de la nuit LA lumière, dressée sur le bois, seul signe de l’amour véritable, sacrifice unique, pour qu’à sa suite, un peuple se mette en marche, une communauté de priants, les pierres vivantes d’un monde à reconstruire se nourrissent des trois dons de Dieu : amour, foi et espérance.


Nous savons que Christ est notre victoire, alors marchons, courons vers le but (cf. Ph 3), auquel Dieu nous appelle.


Le pain rompu ensemble, la parole partagée*, ce don de Dieu caché en nous dans le silence, cette eau vive, ce fleuve immense nous appellent à devenir le signe d’un demain meilleur, la danse scintillante des pierres vivantes que nous sommes, appelés à aimer, espérance pour les souffrants, à condition de ne pas nous cacher sous le boisseau et de faire grandir les dons reçus…


Feux follets ou scintillements de lumière ? Quel est ce firmament qu’évoque le livre de Daniel. La lumière divine sera Lumière si nos bougies fragiles allument ensemble un nouveau buisson ardent. Ce feu de l’amour et de la fraternité ne vient pas de nous. Il s’est allumé dans nos nuits obscures, dans nos soupirs et nos peines, mais il a réchauffé en nous ce cœur brûlant qui est don de Dieu et déjà une joie nouvelle brille en nos cœurs. Laissons là nous embraser…


Seul l’amour reçu et partagé sera lumière. L’eucharistie n’est rien si elle ne fait pas de nous un Corps, une charité vivante et agissante.


* cf. la Maison d’Évangile - La Parole Partagée

19 octobre 2021

Danse dans le noir ? - 13

Sur la pointe des pieds, essai d’homélie pour ce dimanche (v1) 

Sommes nous au fond du trou ?

Dans un texte très ancien, un vieux philosophe grec décrivait le monde enfoui dans une caverne et cherchant à apercevoir la lumière.


Nous y sommes en ce moment pour plusieurs raisons, chacun à notre manière, dans le noir…

Comme cet aveugle de Jéricho qui désespère depuis des années…


Que se passe-t-il ? Est-ce parce que nous manquons d’espérance ? 

Le psaume 125 rappelle le cri des exilés sur les bords du fleuve de Babylone, assis et pleurant… « By the rivers of Babylone » une chanson qui commençait par une note grave avant de nous conduire à la danse…


Jérémie vient allumer une lueur, fragile…


« L’aveugle et le boiteux,

la femme enceinte et la jeune accouchée :

c’est une grande assemblée qui revient.

    Ils avancent dans les pleurs et les supplications,

je les mène, je les conduis vers les cours d’eau

par un droit chemin où ils ne trébucheront pas.

Car je suis un père pour Israël »


Où est notre espérance ?

Dans la lettre aux Hébreux, l’auteur suggère qu’il est venu un prêtre nouveau, différent de ceux qui ont reçu le sacerdoce des hommes. Il ne s’agit pas, comme s’était le cas à l’époque d’une fonction héritée de père en fils, mais d’un don de Dieu. 


Jésus vient d’ailleurs. Il est le don de Dieu… il est notre sauveur. Dans le désespoir, dans le doute, dans le Jéricho qui, pour les Pères de l’Église, symbolise, le plus, la caverne du monde, Jesus est là. Il entend le cri de nos enfermements. Il est notre espérance. Dans son malheur l’aveugle de Jéricho l’a entendu. Il laisse tomber son bien le plus précieux, son manteau, et cours vers Jésus…


Laissons résonner en nous ce dialogue sublime…

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

L’aveugle lui dit :

« Rabbouni, que je retrouve la vue ! »

    Et Jésus lui dit :

« Va, ta foi t’a sauvé. »

Aussitôt l’homme retrouva la vue,

et il suivait Jésus sur le chemin.


Juste avant, il y a cette phrase que l’on peut aussi entendre pour nous. « Confiance, il t’appelle »

Jésus est là. Il a besoin de nos mains, unies, solidaires, responsables pour nous sortir du trou….


Il a besoin de nos mains disait la jeune Etty Hillesum, dans le camp de la mort de Westerbroch, besoin de nos mains unies, solidaires, sans distinction de race, de couleurs, de genre, il a besoin de nous…


« L’aveugle et le boiteux,

la femme enceinte et la jeune accouchée :

c’est une grande assemblée qui revient.

    Ils avancent dans les pleurs et les supplications,

je les mène, je les conduis vers les cours d’eau

par un droit chemin où ils ne trébucheront pas.

Car je suis un père pour Israël » Jer 31


Saint Augustin avait cette phrase sublime «  Tu étais là et je ne le savais pas ». Laissons nous porter dans le noir par cette certitude : au fond du trou, Dieu nous porte dans ses bras….

18 octobre 2021

Danse avec la Parole - 12

Et si la Parole était ce que l’Invisible nous donne à voir de sa face ? suggère à sa manière Marion (1)

Certes le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous.

Certes le Christ n’a écrit que des traits sur le sable.

Certes la Bible est parole humaine parfois mêlée et habitée par le Souffle divin.

Pourtant il reste au travers de tout cela ce que nous appelons sur le bout des lèvres la Parole de Dieu, ce « Dit » de Dieu qui nous permet, comme en Ex 33 & 34 d’apercevoir le dos de son visage, sans en maîtriser la face (2)

Emmanuel Lévinas, dans autrement qu’être (3) a de très belles pages sur la différence entre le Dire et le Dit qui nous appelle à beaucoup d’humilité dans nos interprétations.

La dimension symphonique des Évangiles (4) est, par ses paradoxes et ses apories le chemin d’une théologie négative jusqu’à ce que d’Ailleurs nous vienne l’étincelle de compréhension fugace du mystère.

Laissons la Parole nous atteindre jusqu’au jointures de l’âme (Heb 4), dans le silence propices aux « courants d’air »(5) de la brise légère.


La Parole est notre chemin. Elle a besoin d’être méditée et manduquée à plusieurs, hommes et femmes(6), lentement et sûrement. Nous n’avons pas fini d’en faire le tour, et heureusement car le dos de l’Invisible masque le feu ardent de notre joie et de notre espérance.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, op. cit. p. 285

(2) cf. Marion, ibid p. 287 et mes travaux dans Pédagogie divine

(3) cf. Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être et au delà de l’essence 

(4) je tiens l’image de Hans Urs von Balthasar

(5) François Cassingena-Trévedy, Pour toi quand tu pries.

(6) cf. La Maison d’Évangile - La Parole Partagée et mon billet n.11

03 octobre 2021

L’humour et la danse - 7

Quand Dieu a rêvé que le mariage de l’homme et de la femme puisse être l’image de son alliance pour l’homme, il devait avoir un sacré humour.

C’est en tout cas ce que je peux conclure alors que mon couple s’apprête à fêter le 25 ses 35 ans de mariage, et recevoir en prime tout à l’heure la bénédiction de mon évêque… (*). 

De l’humour car l’aventure est bien cocasse que cette longue vie partagée avec ce vis-à-vis si différent de moi et qui pourtant me comble autant qu’il m’énerve parfois (soyons honnête). 

Dans la version de Marc que nous contemplons aujourd’hui, se trouve caché plus loin ce verset que j’aime citer : « Jésus les regarda et leur dit: «C'est impossible aux hommes, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu.» Marc‬ ‭10:27‬ ‭

L’aventure de l’indissolubilité est elle impossible à l’homme et possible en Dieu ? 

Ce serait croire à la grâce du sacrement, un acte de foi fragile, auquel je n’ose prétendre…


Un pas de danse

Et pourtant, je dois avouer qu’il y a dans la magie d’une rencontre une danse particulière qui n’est pas que la beauté de cet « une seule chair » qui nous unit parfois, mais bien cette dimension symphonique du mot hébreu « basar » que je souligne souvent. Malgré nos différences se jouent une musique où Dieu s’invite parfois, une danse subtile et sublime. 

Dans un de mes livres sur le mariage (1) j’évoque cette dimension triple d’une seule chair avec ces mots que je ne renie pas, même si la barre est bien haute : 


« L'homme peut devenir image quand quittant son égoïsme, il parvient à ne faire qu'une seule "chair" au sens symphonique, c'est-à-dire en atteignant la plénitude d'un "je te reçois et je me donne à toi". Il atteint une communion véritable dans un échange dont "il n'a pas honte". Il s’agit en effet de monter graduellement vers ce qui au fond de nous est "le saint, ou la partie intérieure du tabernacle (…) l'image de la “bienheureuse Trinité (2) rejoignant ainsi le dessein naturel de Dieu sur l'homme. L'homme a reçu en lui une étincelle de l'invisible, une lueur de Dieu. Avec l’aide de la foi et grâce à l'Esprit Saint qui habite en chacun, ce germe d'amour porté au fond de soi, le couple peut devenir plus qu'un simple miroir. Il peut s'orienter pour tendre à devenir, non plus une image blessée par le péché mais une véritable image de l'amour de Dieu, pour tendre à une communion véritable, une représentation véritable de la gloire et de l'amour de Dieu. Cette direction consiste en l'imitation du Christ, qui lui seul est l'image véritable : « Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur,… »… 


Je vous fait grâce de la suite…

La symphonie du couple va jusqu’à donner parfois chair autre - qu’il faudra accueillir et laisser partir - voire même à participer au Corps….

Mais l’erreur serait de croire que seul le couple marié reflète cela. Ce qui est de l’ordre d’une dynamique sacramentelle (3) ne se limite pas à l’expression particulière d’un homme et d’une femme mais à cette image bien fragile de ceux qui tentent d’entrer dans la danse, qu’ils soient célibataires ou témoins d’un amour fragile, et surtout membres du corps du Christ que nous formons ensemble dans ce que notre pape François appele un grand polyèdre (4). 


Les pierres vivantes de l’Église sont bien fragiles et le rapport à venir mardi montrera les ombres de nos cathédrales, mais je me plais à croire qu’au-delà de ces tristes voires odieuses réalités, l’Église est appelée à signifier que nous sommes tous attendus dans la danse des anges… 


Humour de Dieu donc…

Humour noir ?

Il doit rire jaune parfois en regrettant d’avoir confié à l’homme cette lourde tâche d’être image de son amour.


Prions pour ceux qui se déchirent et ont du mal à se relever.

Prions pour les blessés et les victimes de cette folie humaine qu’est la violence sur autrui.

Prions pour l’Église. 


J’ai joué de la flûte sur la place du marché et vous n’avez pas dansé…


* deux évêques visitent ce week-end ma pauvre paroisse située à cheval sur 2 diocèses à l’occasion de notre fête paroissiale et l’un d’eux bénira 6 couples dont le mien… 😉


 (1) Aimer pour la vie, Essai de spiritualité conjugale cf. https://kobo.com/fr-FR/ebook/aimer-pour-la-vie

(2) “Saint Bonaventure, Itinéraire de l'esprit vers Dieu, Chap III, I.

(3) cf. mon livre éponyme 

(4) utilisation fréquente, cf. notamment AL §4

02 octobre 2021

Présence et danse - 6

Dieu s’invite-t-il à notre table ? 

Je complète ici une réflexion sur Réflexion théologique car elle mérite d’être poursuivie. 

Nous attachons, non sans raison, une importance particulière aux sacrements, qui ont une place privilégiée dans l’Eglise, en faisant passer le jeune baptisé par des étapes d’initiation qui le rende de passif à acteur et « passeur » (1) confirmé. 

Il faut pour moi néanmoins distinguer la construction rituelle, théologique et sacramentelle de l’Église qui garantit conceptuellement une Présence réelle en dépit de la nature du célébrant (ie qu’il soit un  prêtre imbecile ou pas - comme le précise Ratzinger dans un de ses livres) (2) d’un acte non sacramentel mais chargé de sens, qui ne garantit rien, mais reste ouvert à cette insaisissable grâce de la présence. 

À partir de cette distinction se pose deux questions : 


1) est-ce que l’eucharistie valablement célébrée pour un catholique va se traduire par une conversion intérieure et réaliste du récipiendaire (c’est-à-dire la présence réelle au. Récipiendaires, quelque qu’il soit,  bourreau argentin ou nazi qui communie. Sera t il habité/touché et converti par l’amour qui vient le visiter ?)


2) est-ce qu’une célébration non catholique, qu’elle soit une cène protestante, une « ecclesiola domestique » (3) ou une messe sur le toit du monde à la Teilhard, est une récupération et un détournement du sens profond visé par le Christ en instituant le « faire mémoire » ? 


Entre ces deux visions volontairement poussées à l’extrême, le Christ qui est don, trouve probablement sa place, insaisissable, qui relève de l’inhabitation toute intérieure (4) chez l’homme d’un Dieu qui veut danser avec tout homme et y faire sa demeure, comme chez un Zachée pour le rendre aimant… Zachée n’était ni baptisé ni confirmé 😉 et pourtant le Christ est venu chez lui, tout voleur qu’il était, et a transformé sa vie..


« À toute chair, il donne le pain,

éternel est son amour ! » (Ps 135, 25)


Lévinas disait, dans « Difficile liberté », que le monde serait lumineux quand les chrétiens arrêteront de croire qu’ils détiennent seuls la lumière (5). 

Ce qui va s’annoncer le 5/10 va faire s’effondrer nos temples… 


Nos constructions humaines sont bien fragiles et il va nous falloir prouver plus que jamais que nous sommes les pierres vivantes d’une Église universelle et en même temps que nous croyons qu’hors de l’Église le salut peut trouver sa place, fragile, dans ce que Justin appelait les « semences du Verbe ». Une expression probablement reprise par Congar dans Gaudium et Spes et que Hans Urs von Balthasar complète utilement en parlant des semences de l’Esprit.(6)


Nos rites sont limités.

Nos hiérarchies sont fragiles.

Nos sacrements, disait Moingt, réduise la dynamique réelle du christianisme. Il insistait même pour souligner que le lavement des pieds « en actes » (7) dépassent les 7 sacrements car il est le cœur de la diaconie de l’Église. L’Église est amour ou n’est pas (8)

À la suite de Theobald, j’ai longuement montré dans « Dynamique sacramentelle » (9) qu’il est urgent de dépasser cette cristallisation rituelle pour ouvrir et rejoindre le monde dans ce qui fait de lui le signe d’une présence.

Le couple modèle de l’alliance que nous célébrons dimanche est un chemin, soutenu par le cadre fécond du Sacrement de mariage, mais un couple de remariés, des célibataires peuvent être parfois un signe plus lumineux que l’Amour est grand et dépasse les frontières de nos églises (10).


(1) allusion au livre de Ph. Bacq & Chr. Theobald (dir.), Une nouvelle chance pour l'Évangile. Vers une pastorale d'engendrement (coll. Théologies pratiques). 2004 et Passeurs d’engendrement, de 2008.

(2) Les principes de la théologie catholique

(3) je fais allusion à une célébration familiale évoquée par Bruno Amel sur RT

(4) voir sur ce point la thèse de Rahner dans le TFT

(5) je cite de mémoire 

(6) dans la fin de sa trilogie 

(7) c’est-à-dire pas le mime du jeudi saint mais la diaconie d’un agenouillement devant l’homme (cf. mon livre éponyme). 

(8) cf, cette Église que je cherche à aimer

(9) téléchargement libre sur Fnac.com

(10) voir aussi, au même endroit mon roman « Le désir brisé » 

Voir aussi, sur ce même thème : Tressaillement et danse https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4710458732361907/

30 septembre 2021

Foi et danse

Qu’est ce que la foi ? 

Le bon vieux catéchisme parle d’une vertu théologale en en faisant un « don de Dieu ». Ce don reste pour moi fragile comme cette flamme qu’on préfère mettre sous le boisseau plutôt que l’exposer au monde. Et cependant, la foi est danse avec la charité-agapè et l’espérance sans lesquelles elle s’épuise.

C’est dans cette danse subtile à la musique d’un Dieu caché qu’elle prend sa source.

Aride parfois.

Secouée par ces enfermements et ces adhérences qui nous empêche de danser, elle s’épanouit cependant quand le scalpel tranchant de la Parole vient couper les liens invisibles qui nous retiennent d’entendre la symphonie de Dieu….


Flamme dansante et légère, la foi est saisissement et tressaillement au sens de Ph. 3 et Luc 1. Elle nous réveille et nous surprend quand nous pensons l’avoir perdue… 😉


Elle nous vient d’ailleurs mais quand nous pensons la détenir et en vivre, elle nous échappe, car elle reste don.


Elle nous meut et nous émeut, nous voulons la partager, mais elle s’y refuse parfois, car elle n’est pas violence, elle ne s’assène pas, ne force pas la porte, elle attend, suscite, réveille et s’intille dans une contagion subtile, bien peu orgueilleuse et souvent humble,


Je n’ai pas la foi.. elle m’échappe et me surprend et quand je danse enfin, elle me ravit et me comble, car elle est grâce.

17 septembre 2021

Parole et danse - 4


« La Parole provoque une décision (...)[ou en tout cas] un appel lancé et qui résonne (...) voilement et dévoilement (...) qui surpasse notre écoute et notre décision. Ainsi demeure-t-elle toujours eschatologique [c’est-à-dire qu’elle n’a pas fini son œuvre et nous saisit au sens de Ph.3]. Le secret de la Parole revient à l’Esprit(1). Ce que la Parole veut me dire et la réponse qu’elle attend de moi, cela seul l’Esprit le sait, pas moi(2). »


Marion nous introduit pour moi à cette danse sublime qui ne peut être que trinitaire car elle n’est que le courant d’air d’une brise légère qui vient troubler notre intérieur le plus profond, déjoue nos enfermements et nos peurs et nous fait tressaillir au vent de Dieu, au rêve de Dieu(3).


À tout ceux qui n’ont pas encore passé le porche, venez danser dans notre maison d’évangile(4). Elle n’est pas un lieu de totalité mais une école de danse 🙂 


(1) Jean Luc Marion cite ici la Dogmatique de Barth

(2) Marion, op. cit p. 164-165

(3) belle expression que je tient de François 

(4) et danser ou contredanser avec nous aujourd’hui sur Ez 16 cf. Maison d’Évangile - La Parole Partagée

05 septembre 2021

Effata ! Ouvre toi.

La danse de Dieu vers l’homme est folie à nos yeux comme celle de David devant l’arche qui déplaît tant à son épouse. Voici Jésus parti à la « périphérie » dans un terrain lointain de la Décapole, loin des juifs et de l’aveuglement de ceux qui croient être le « peuple unique »…

Et c’est là qu’avec des gestes tendres, des gestes très physiques qu’il fait renaître l’espérance d’Isaïe. Le boiteux bondira comme un cerf…

Alors que certains rêvent sur leur rétroviseur, il nous faut continuer de croire que Dieu vient visiter ceux qui sont perdus, sans oreilles et sans voix…

Jésus lève les yeux au ciel et soupire.

Lui le fils peut-il y arriver seul ?

Non c’est dans la danse trinitaire (1) que se joue la guérison.

Ce qui semble impossible à l’homme n’est possible que par la grâce divine. Les semences du Verbe et de l’Esprit (2) sont plus tenaces que nos rites et nos catéchismes, la vengeance de Dieu annoncée par Isaïe n’est pas violence humaine, elle est tendresse de Dieu, lumière dans la nuit.

« Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »(Isaïe 35)

Ouvre toi…

Je ferai de toi un « apôtre »

Hier, le petit Simon que j’ai baptisé et qui me demandait pourquoi on faisait une croix sur son front à l’entrée de l’Église a bien compris le signe de Jésus sur ses oreilles. Je lui ai dit qu’il pourrait mieux entendre ses parents lui dire je t’aime. Il fallait voir son regard vers son papa et son sourire.

Je n’ai pas entendu ce qu’il a dit à son père. Je deviens sourd, mais Simon a devant lui l’avenir… 

Prions pour lui et pour le petit Milo ce matin, premier enfant du premier mariage que j’ai célébré, baptisé tout à l’heure.

« Je serai qui je serai » Ex 3

Aujourd’hui est un jour d’espérance.

Telle est ma foi…


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir sur ce point la thèse d’Hans Urs von Balthasar dans la troisième partie de sa trilogie 

(3) beau commentaire de MN. Thabut ce matin à découvrir sur Maison d’Évangile - La Parole Partagée

03 septembre 2021

Danse et souffrances - 15 Danse tragique ?

Si Jésus évoque danse et pleurs dans la même phrase (cf. Mat 11,17),, c’est bien qu’il existe un lien subtil et mystérieux entre les deux, au delà de l’opposition apparente entre lui et le Baptiste.

Ce lien est au cœur du mystère de l’incarnation et il n’est pas anodin de contempler cette semaine Jésus attentif aux souffrances de la mère de Pierre jusqu’au sourd de dimanche prochain.


Que dire sur la souffrance ?

Sur la pointe des pieds, j’ai osé aborder ce thème en clôture de mon cycle de théologie (1) car il me semblait un noeud pastoral particulier. Je ne peut pas dire que ma note ait été bonne, mais le travail sur ce thème peut-il être achevé ?

Un bon archevêque recommandait de ne rien dire. Folie de ma part ?


La souffrance n’est pas un appel de Dieu pour l’homme. Elle est.. parce que le mal est…

Et en même temps, cette réalité est souvent le lot de certains d’entre nous, de manière particulière. J’ai autour de moi de douloureux exemples à côté desquels je me sens démuni et chanceux à la fois.

Les mots me manquent.


Paul l’évoqua à plusieurs endroits la souffrance et va jusqu’à dire qu’il complète les souffrances du Christ (cf. Col 1, 24). Nous avons tous notre part dans ce mystère du salut, homme et femme, à la mesure de nos forces, à la suite de Job, sans croire pour autant que Dieu a une responsabilité. Voire même au contraire, et c’est le message central de la Croix, qu’il souffre à nos côtés. 


C’est le mystère même du mal… 

Dieu ne veut pas la souffrance…

Il ne faut cesser de le crier…

Et dans la douleur il faut aussi crier, à la suite des psaumes, cet « où es-tu mon Dieu ? » qui révèle notre inconnaissance.


Difficile d’en dire plus ici, mais j’invite à creuser le sujet…car une pastorale ne peut l’éluder.


Excursus sur l’Enfer et le purgatoire (évoqué sur RT) :

Notre sadisme et notre soif de vengeance peut souhaiter la souffrance d’autrui et le feu de l’enfer. Il faut peut-être relire alors ce que nous avons contemplé sur le pardon et la miséricorde infinie de Dieu, voir notamment la longue double réponse de d’ Hans Urs von Balthasar qui croit que l’enfer est peut-être vide (2) 

Sur la nuit féminine, voir aussi le livre de François Marxer (3) qui creuse magnifiquement ce thème de la nuit féminine et explore de belles figures. 


(1) cf. « quellle espérance pour l’homme souffrant ? » ou j’ai traduit, avec l’aide d’une amie, en français un texte inédit de Karl Rahner

(2) Hans Urs von Balthasar,  L'Enfer : une question  et Espérer pour tous chez DDB ou sa Dramatique divine.

Voir aussi ma trilogie « humilité et miséricorde » ( disponibles également gratuitement sur le site de la Fnac)

(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

01 septembre 2021

La danse des Pierres - 13

« Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. »


COMMENTAIRE D'ORIGÈNE SUR L'ÉVANGILE DE JEAN

« Le nouveau Temple 

Les hommes charnels et amis des réalités sensibles me semblent désignés ici à travers les Juifs. Ceux-ci sont irrités parce que Jésus a chassé ceux qui, par leur activité, faisaient de la maison de son Père une maison de trafic, et ils lui réclament un signe. Mais par ce signe on verra que le Verbe, qu'ils refusent d'accueillir, a raison d'agir ainsi. Le Sauveur va unir en une seule parole ce qui concerne le Temple et ce qui concerne son propre corps. Lorsqu'ils lui demandent Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là, il répond : Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. ~ Mais, selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de « Temple ».


Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement.


Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier.


De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute : Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. »


Office des lectures d’aujourd’hui

14 août 2021

Amour, danse et génération - 11

Il y a aujourd’hui ce que l’on appelle des « clins Dieu » 😉.

Je baptise encore deux enfants demain, au cœur même de la fête de l’assomption, avec un texte choisi par les parents dans ce qui est l’évangile d’aujourd’hui (Mat 19, 13-15) et n’avait pas réalisé que ce texte suit de près cette citation particulière de Mathieu 19, 5 (texte d’hier). « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. » 

Cela n’est pas anodin dans une pastorale qui relie mariage et baptême, où le « une seule chair » au sens hébreu est bien large. Je le traduis souvent par symphonie, car l’amour d’un homme et d’une femme est plus qu’un rapport fusionnel, il est vis à vis(1), échange, danse, création, fragilité et exposition, nudité et don, jusqu’à donner naissance à une chair nouvelle,  et en cela participation à la danse divine, qui donne et s’efface dans le don…


Pourquoi j’ose parler de danse ? 


Il y a dans le concept même de chair, au sens hébreu de basar une dimension de relation au sens trinitaire dans le sens où l'unité visée est proche de cette danse particulière des Personnes divines, telle que la décrit Jean dans son prologue (2) : chacune toute tournée vers l'autre. En effet, il ne s'agit plus alors du seul désir humain mais d'une véritable conjugaison des corps et des cœurs au service d'un amour qui les dépasse. Une Personne entre en relation avec une Personne prise dans sa totalité.

« Le langage des corps devient la langue de la liturgie » (...) [et élève le langage du corps] aux dimensions du mystère » (3) disait Jean Paul Il.


Le mot liturgie évoque une célébration qui dépasse le seul amour humain. La danse des corps et des cœurs peut devenir ainsi célébration de l'amour reçu, une manière de rendre grâce aux dons reçus du créateur mais aussi manière d’être signe de cet amour.


Dynamique sacramentelle (4) de large portée. 

Dynamique liée à une fécondité particulière jaillissante de ce don qui ne cherche plus son intérêt (5). 

Danse qui nous fait rejoindre le Corps des donateurs à l’image du grand Donateur, dans sa triple dimension et dans sa propre valse trinitaire et kénotique (ce que les Pères appellent la circumincession)…


On retrouve cette même idée de liturgie évoquée par X. Lacroix (6) lorsqu'il souligne lui aussi le sens multiple, la polysémie du mot chair, qui porte un sens corporel et spirituel. Dans une vision personnaliste qui considère que l'homme est une Personne, cette multiplicité du sens appelle en fait ce qu'il qualifie de "totalité unifiée". Qu’est ce à dire ?


Unifier le cœur, le corps et l'esprit, c'est justement entrer dans cette symphonie où mon corps et ton corps sont les humbles instruments d'un dialogue qui fait intervenir tous les langages, celui du visage(7), de la tendresse, et surtout cette harmonie du cœur qui dépasse la fusion rêvée pour être source. Source de vie…


Idéal du conjugal ? Probablement, mais là est bien le chemin..


Il y a dans la naissance le même dévoilement que celui de la rencontre. "Voici la chair de (notre) chair", le fruit merveilleux de notre amour et plus encore, un être, un potentiel autonome qui nous dépasse.


L'enfant n'est pas la chose de l'un et de l'autre, il est graine et cette graine sera à arroser, faire grandir, rendre autonome et laisser partir... Pour qu'à son tour il sème d'autres graines d'amour...


Cette séparation sera déchirement mais n’est-ce pas l’enjeu de la nouvelle naissance au sens de Jean 3 ?


Je n’ai évoqué pour l’instant que le contexte.

Venons-en au texte lui-même. 


Pourquoi Jésus met l'enfant au centre dans cet Évangile (8) ?


Je vous propose une réponse, fragile.

Ce que Jésus contemple chez l’enfant est triple : La Foi, l'Espérance et la Charité.


Les deux enfants que je baptise demain ont confiance en leur maman, et même foi dans leur maman. Quand ils la regardent, ils savent qu'elle les comblera. Enfants, ils n'en doutent pas encore. 

Et nous, doutons-nous de Dieu ? 

Redevenons comme un enfant nous dit Jésus.


Les deux enfants vivent dans l'espérance. Il savent que même si leur maman s'est absentée, elle reviendra. 

Nous avons plus de mal à espérer… 

Surtout quand la souffrance nous tombe dessus. Notre vie entière, même embourbée dans le marécage de nos addictions, devrait être, pourtant, comme eux, dans l'attente de cette branche d'olivier rapportée par la colombe le jour du déluge (Gn 7). Un jour il reviendra. « Il est ressuscité » nous disent les 4 Évangiles.


Ces deux enfants ont, en eux, une réelle capacité d’Amour et de Charité. Ils l’ont reçu de Dieu à travers leurs parents, Elle dort en eux et ne demande qu'à “servir”. 

Ils vont y travailler ! Ils vont recevoir, comme nous, l’Esprit de charité dans le silence de leurs baptêmes. Nous aussi, nous pouvons, comme eux, en faire usage. 


C’est cette sortie des eaux de la mort que le baptême exprime. 


Parents, parrains et marraines, devrons faire découvrir chez ces enfants, que seul l'amour véritable vaut la peine d'être vécu. 


Ils auront pour modèle cette danse conjugale qu’évoque le début de Mat 19…

Une seule chair…


Si nous n'avons pas la charité, ces deux enfants ne l'auront pas. Si elle n'est chez nous « qu'une cymbale qui sonne creux »(1 Co 13), ils devront la trouver tous seuls, et traverser le désert bien démuni.


Ils auront soif (Jn 4, Jn 19) et c'est à nous de leur apporter l'eau. Cette eau vive (Jn 4) qui guérit et vivifie.


Si vous ne savons plus où se trouve cette source, penchons nous à nouveau vers la Croix. C'est de la Croix qu'elle jaillit. C'est le signe unique du don de Dieu. Le seul, l'unique : la charité vient de Lui, elle se ressource en Lui, elle se contemple dans la Croix. 


A chaque eucharistie, nous devrions contempler la Croix. (...) le pain offert et consacré n'est rien, s'il n'est compris comme le don total, immense, d'un amour qui se donne et s'efface.


Le seul amour est celui qui se donne et s’efface ensuite.

C’est celui, je l’espère, de cette maman et de ce papa qui nous apportent ces deux enfants demain.

C’est celui auquel nous sommes appelés, chacun à notre manière.

C’est celui de ce Christ, que nous recevons chaque dimanche dans notre coeur.


Il nous faut prendre le temps de nous disposer à l'accueillir. Lui laisser une place. Car faire une seule chair c’est entrer dans la danse du don, dans cette dynamique même de la foi, l’espérance et la charité reçu de nos parents et rendues fécondes par la dynamique baptismale. 


Que conclure ?

Si Jésus met en avant l’enfant, c’est que nos théories, nos théologies et nos calculs trop humains doivent laisser place à ce qui vient d’Ailleurs, à l’insaisissable équilibre ou l’équilibre de l’insaisissable qu’illustre une des dernières photos de François Cassingena-Trévedy.


(1) cf. le beau développement qu’en fait Sylvaine Landrivon, in La femme remodelée. 

(2) cf. « La danse trinitaire » in « À genoux devant l’homme » et mes développements dans « Aimer pour la vie, essai de spiritualité conjugal »

(3) Jean Paul 2, “L'Amour Humain dans le plan divin, Cerf, p. 30

(4) cf. mon livre éponyme 

(5) cf. 1 Co 13

(6) X. Lacroix, Le corps de chair, p. 103sq

(7) cf. Lévinas…

(8) Texte de référence - Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 19, 13-15)

En ce temps-là,

    on présenta des enfants à Jésus

pour qu’il leur impose les mains en priant.

Mais les disciples les écartèrent vivement.

    Jésus leur dit :

« Laissez les enfants,

ne les empêchez pas de venir à moi,

car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent. »

    Il leur imposa les mains,

puis il partit de là.

12 août 2021

Un dixième pas de danse ?

Alors que nous nous préparons à fêter le 15/8, il y a peut-être deux premiers fils rouges à trouver : 

1. Le premier est probablement à percevoir entre nos lectures récentes du livre d’Osée dans la liturgie et la place particulière que donne ce prophète aux « entrailles » de Dieu (cf. Osée 11) et à cette sollicitude maternelle de Dieu, reprise dans la première lecture du 15/8 dans l’apocalypse où l’on voit Dieu conduire au désert et prendre soin de la femme « en lui réservant une place particulière », qui n’est pas non plus sans faire écho à Osée 2 et cette fiancée conduite  « à nouveau » au désert (1). C’est toute la sollicitude de Dieu qui est ici évoquée par Jean… entre les lignes. 


2. Dans la même trame, un deuxième fil est à trouver dans les nombreuses allusions à l’arche d’alliance, que l’on retrouve en lisant en mode cursif les lectures de cette semaine et celle de samedi soir et l’apocalypse dimanche, on conçoit le lien particulier entre l’arche d’alliance et Marie présentée là aussi par Jean comme nouvelle arche d’alliance. 


Ces deux fils rouges sont peut-être ce que nous avons à contempler pour aborder l’histoire même de Marie. 

Au regard de la tente de la rencontre (cf. notamment Ex 33-34) et toute l’histoire de l’arche d’alliance et du saint des saints qui abritait Dieu… (2) Marie apparaît soudain à nos yeux comme ce réceptacle de chair particulier, choisi par Dieu pour être le signe de l’amour divin…


Mais le désir d’un « Dieu qui vient à l’homme »(3) avait besoin d’une réponse et cette réponse est celle fragile, si bien illustrée par Fra angelico d’une jeune fille surprise par cette sollicitude et qui ose répondre oui mais mieux encore « fiat » sur le bout des lèvres dans le creuset d’un village perdu de Nazareth.


Il faut mettre peut-être ici aussi en perspective cet « où es-tu ? » de Dieu lancé à Adam ET Ève dans le jardin (4) pour contempler que c’est une petite bergère de Nazareth qui a répondu la première et totalement à cet appel de Dieu.


Le chemin de Marie ne sera pas un long fleuve tranquille. Avant peut-être de vénérer celle qui a dit oui, il nous faut contempler dans le silence ce chemin.


Que célébrons nous aujourd’hui finalement ?

Plus que l’assomption de la vierge Marie, c’est l’ensemble du mystère de la venue du Christ sur terre qui est à contempler.

Marie est l’écrin fragile de notre salut.

Mais qui est-elle véritablement ? Entre la jeune fille fragile que nous idéalisons et la femme-disciple que nous présente Jean à Cana, il existe une tension à maintenir.

Marie n’a pas été dès le début nimbée de lumière et de grâce mais a suivi un sentier qui nous interpelle. 

Marie est en effet au cœur de notre humanité celle qui répond probablement le mieux à l’appel de Dieu, celle qui comprend EN sa chair toute humaine, l’enjeu de la venue du Christ, marche à sa suite et répond à cet appel originel de Dieu(Gn 3,5), évoquée plus tôt. Elle devient en cela chemin pour nous. 

Ce que nous font découvrir les textes de ce dimanche n’est-il pas finalement que, dans le mystère de cette naissance, de cette femme habitée par la grâce divine, bouleversée par la venue du Christ EN son humanité (5) et dans le jusqu’au bout de son Amour, c’est la vocation de tout baptisé qui est surtout à contempler.

Dans la liturgie de la veille au soir du 15 août l’évangile interpelle notre propre manière de recevoir le Christ : L’Évangile de Luc ( 11, 28) insiste même dans le sens de tout ceux qui comme moi souvent rejette une idéalisation excessive. Relisons bien ce texte qui surprend la veille du 15/8 :

« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »

 Jésus déclare alors : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Ces propos sont choquants a priori. 


Jésus « n’efface » pas sa mère mais insiste bien sur ce basculement entre la figure mariale et l’appel renouvelé à notre vocation. 


L’assomption n’est pas seulement en effet la fête de Marie. 

Elle ouvre une espérance particulière pour l’humanité que le magnificat vient amplifier, en faisant vibrer à nouveau l’espérance du peuple de Dieu, de tout ce que portait l’AT. 


« Mon âme exulte le Seigneur car ce dernier disperse les superbes et vient élever les humbles, combler de biens les affamés, renvoyer les riches les mains vides, relever Israël son serviteur ». 


Le cri de Marie est notre joie : « Dieu se souvient de son amour ».


Dans le tressaillement d’Elisabeth que nous donne à contempler Luc se retrouve à sa manière cette espérance du peuple en marche et donc notre propre espérance. 


Oui Dieu vient nous visiter…

À chaque fois que la Parole prend chair en nous, qu’elle fait en nous sa demeure, l’assomption prend sens, quand nous tressaillons, à la suite du Baptiste, de la joie du don de Dieu qui veut nous habiter.(6)

Le rêve de Dieu devient notre danse… 


« Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »


Le mystère de l’assomption c’est que Dieu veut habiter TOUT homme. 


Le mystère c’est que Dieu souhaite prendre chair EN nous et que sa victoire sur la mort ne viendra que lorsque nous serons un, femmes et hommes, dans la contemplation du Verbe de Dieu, de cette Parole qui prend chair dans notre chair, nous transforme… 


Il y a peut-être ensuite un parallèle théologique à faire entre Philippiens 2 (et notamment le « c’est pourquoi » du verset 9 qui souligne que Jésus est relevé car il s’est vidé de lui même) et le dogme de l’assomption. Au delà du chemin intérieur de Marie, à rapprocher peut-être de la conversion même du Christ dont parle Sesboué dans sa « pédagogie du Christ (7), le chemin intérieur de Marie est aussi marqué par une forme de kénose. Or ce dessaisissement de soi qui s’exprime notamment dans son fiat, si bien traduit par Fra angelico, peut justifier que l’Église ai souhaité lui donner une place particulière que la tradition a cristallisé dans un dogme. Sans valider les excès d’une mariolatrie excessive si bien dénoncée par Congar(8), on peut néanmoins s’interroger sur la distance qui demeure entre le chemin vectoriel (c’est-à-dire qui nous pousse à grandir (cf. 7) et kénotique de la vierge Marie et notre propre chemin et en tirer une forme d’interpellation, d’humilité à défaut d’une vénération…


Il y enfin un thème que l’on peut également contempler dans le « en Christo » paulinien(9), c’est finalement la danse mariale particulière de celle qui a été habitée par le Verbe et est donc devenue contenant de l’insaisissable, ce qui pour reprendre la théologie de Karl Rahner donne à la vierge, un autre chemin vectoriel pour nos eucharisties et fait résonner nos tressaillements intérieurs avec ceux de toutes les mères à commencer par Elisabeth.(10)

Être en Christ et recevoir en soi celui qui nous invite à faire Corps…


(1) voir mon essai « Pédagogie divine »

(2) voir mes billets précédents (danses 4 à 9)

(3) pour reprendre et évoquer la somme de Joseph Moingt

(5) au sens de l’ « en christo » souligné par Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique 

(6) voir mes écrits divers sur le thème du tressaillement et notamment mon roman « le vieil homme et la brise »

(7) Sesboué y soutient que le Christ n’a qu’une conscience progressive de son rôle, une idée que j’ai toujours trouvée intéressante pour percevoir l’interaction entre humanité et divinité

(8) je pense notamment à son deuxième tome du journal du concile

(9) cf. note 5

(10) J’ai longuement développé ce point dans « danse trinitaire » puis dans « A genoux devant l’homme »

31 juillet 2021

Danse 9


Il n’a pas échappé au lecteur attentif que mes billets 6 à 8 (saison 2), visaient à prendre de la hauteur sur la controverse actuelle lancée par le dernier motu proprio. Mes propos visaient un déplacement vers l’essentiel, sans nier l’intérêt d’une construction liturgique qui donne un sens à la célébration commune, le billet 7 appelait notamment à déplacer l’essentiel vers ce Christ qui récapitule et invite à vivre et faire « Corps » plutôt qu’à regarder le passé. En ce sens, le dernier message de François Cassingena-Trévedy vient, comme souvent, en écho à mes pattes de mouche en leur donnant une belle profondeur. 

Sobriété est le mot d’ordre.

Mais aussi, quête de l’essentiel.

A méditer sans modération, comme le bon vin qu’on garde pour la fin, au sens disruptif de Cana…


https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3625223067702173/?d=n

30 juillet 2021

Lumière et danse - 8

La suite d’Exode 33 que la liturgie découpe en tranches fines et éparses nous a permis avant hier de contempler rapidement l’effet de la Révélation sur un Moïse en quête d’absolu.

Avant qu’elle nous propulse trop vite au chapitre 40, dans une construction symbolique et hors contexte du temple idéal, elle nous fait contempler en Ex 34 le retour de la montagne, ce que Moïse a découvert de lumineux dans le « dos de Dieu ».

Cette danse particulière touche à ce que Marion appelle le « paradoxe »(1) que je traduirais plus théologiquement par tension ou aporie.


Moïse est illuminé par la rencontre au point qu’il doit porter un voile pour que sa lumière intérieure ne trouble pas le peuple. 

Souci de pédagogie divine ou préparation à l’enfermement cultuel de l’inaccessible derrière le voile du saint des saints que certaines liturgies excluantes réservent encore à une élite, alors que Dieu a pourtant déchiré ce voile en Marc 15, de haut en bas (2) ?


Ne cachons pas l’homme Dieu même si la lumière encore aperçue par Moïse et Élie au mont Thabor a révélé sa divinité, notre chemin à nous, n’est pas toujours lumineux mais souvent une nuit obscure et parfois douloureuse(3).

Le covid fait apparaître en creux le silence de Dieu, alors que la mort est pourtant exposée sur le bois de la croix depuis 2000 ans.


Le paradoxe c’est que Dieu s’est révélé non dans la lumière mais dans la nuit et que Moïse illuminé n’est peut-être qu’une figure fragile ou une idole temporaire. Il n’aura même pas accès à la terre promise.


Attention donc à nos ors et nos patènes rutilantes. Le réel est ailleurs, dans une lumière toute intérieure qui nous échappe bien vite de peur qu’elle nous aveugle ?


La lumière divine s’éteint dès qu’elle se révèle et les pèlerins d’Emmaüs en font vite les frais. Dieu s’est approché, a donné et repris aussitôt, de peur qu’en le réduisant au pain rompu on l’utilise et le réduise à ce qu’il n’est pas…


Ce qu’il reste est un tressaillement, une Révélation fugace qui nous fait courir vers nos frères… sans briser notre liberté…

Et en même temps, peut-être, au bout du chemin, un soupçon d’espérance…


Quel Dieu ! 


Dieu caché, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce fruit nouveau-né

Dans la nuit qui t'engendre à la terre ;

Tu dis seulement 

Le nom d'un enfant : 

Le lieu où tu enfouis ta semence.


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence !


Dieu livré, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce corps partagé

Dans le pain qui te porte à nos lèvres ;

Tu dis seulement : 

La coupe du sang 

Versé pour la nouvelle confiance. ℟


Dieu blessé, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que cet homme humilié

Sur le bois qui t'expose au calvaire !

Tu dis seulement : 

L'appel déchirant 

D'un Dieu qui apprendrait la souffrance. ℟


Dieu vaincu, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ces corps décharnés

Où la soif a tari la prière ;

Tu dis seulement : 

Je suis l'innocent,

A qui tous les bourreaux font violence. ℟


Dieu sans voix, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce signe levé,

Edifié sur ta pierre angulaire !

Tu dis seulement : 

Mon peuple est vivant, 

Debout, il signifie ma présence. ℟


Dieu secret, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce livre scellé

D'où l'Agneau fait jaillir ta lumière.

Tu dis seulement 

Ces mots fulgurants : 

Je viens! J'étonnerai vos patiences ! 


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence ! (4)


(1) D’ailleurs la Révélation, op cit. p. 49 sq

(2) cf. mon « Rideau déchiré »

(3) voir l’excellent livre de François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) office des lectures

28 juillet 2021

Du cléricalisme à la danse ? - 7

Si l’on contemple la première lecture donnée hier dans son contexte complet (Exode 33),  il faut peut-être méditer sur quatre  points. 

 1. Ce texte suit l’épisode du veau d’or, un rite stérile 

 2. Il commence par une invitation à se dépouiller de nos vêtements d’apparat (Ex 33,5)

 3. Moïse ne verra pas Dieu mais son dos

 4. La rencontre de Dieu ne peut se faire qu’en abandonnant ses certitudes, quittant ses tours d’ivoire pour aller à la rencontre de Dieu sous une tente légère. Et c’est cette « tente de la rencontre » qui préfigure la direction à prendre, est un lieu ouvert à l’Esprit et non fermé sur lui même. La tente n’est pas d’ailleurs dans le camp, donc dans les murs établis, au sein même du savoir, des certitudes humaines, mais hors du camp. 

Ce mouvement est d’ailleurs souligné par l’attitude du peuple dans les déplacements de Moïse vers la tente. Il doit regarder, se prosterner, sans pouvoir participer. Il n’est donc plus au centre du récit, mais accompagne cependant, par le regard et donc la pensée, le mouvement de médiation.(1)


Cette « réduction » au sens donné par Jean-Luc Marion (2), ce « décentrement » est à la fois un appel et un risque. 


Il y a en effet un travers dans ce mouvement qu’on note déjà chez Cyrille de Jérusalem dans une vieille catéchèse : « le Seigneur ordonne dans le Lévitique : Convoque toute la communauté à l'entrée de la Tente du Témoignage. Il est à noter que le mot « convoque » (ekklèsiason) est employé ici pour la première fois dans l'Écriture, lorsque le Seigneur établit Aaron dans la charge de grand prêtre. Et dans le Deutéronome, Dieu dit à Moïse : Convoque devant moi le peuple, et qu'ils entendent mes paroles pour apprendre à me craindre. Il fait encore mention de ce nom d'Église, quand il dit au sujet des tables de la Loi : Sur elles étaient écrites toutes les paroles que le Seigneur vous a dites sur la montagne, au jour de l'Ekklèsia (de la convocation), ce qui revient à dire, plus explicitement : « Au jour où vous vous êtes réunis sur la convocation du Seigneur ». Le Psalmiste dit aussi : Je te rendrai grâce dans la grande assemblée (ekklèsia), dans un peuple nombreux je te louerai. (...)  Mais, dans la suite, le Sauveur institua, à partir des nations païennes, une seconde assemblée : notre sainte Église, celle des chrétiens, celle dont il a dit à Pierre : Et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. (...) Lorsque la seule « Église » qui était en Judée a été rejetée, les Églises du Christ se sont multipliées par toute la terre.

(...) C'est de la même Église sainte et catholique que Paul écrit à Timothée : Tu dois savoir comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité. »(3)


Un travers possible dans la lecture de Cyrille est probablement celui de toute institution : se prendre pour le Christ qui est le seul médiateur (cf. Heb), le Corps, la seule assemblée. 

De même que le peuple juif a institutionnalisé la fonction de médiation en donnant des successeurs à Moïse, de même l’Église peut faire des successeurs de Pierre des substituts à la Personne du Christ.


La question centrale est peut-être de se poser pour comprendre que le « faites ceci en mémoire de moi », n’est pas l’institution rituelle du geste mais de ce qu’il représente : le don total du corps sur une croix.

Jean en déplaçant en Jean 6 le rituel vient mettre une faille dans le parallélisme synoptique. Il décrit aussi un Christ qui enlève ses vêtements (Jn 13,1), mais surtout substitue le lavement des pieds à l’eucharistie pour déplacer le risque institutionnel (4)…


En méditant cela, nous déplaçons le sacré ailleurs que dans le rite pour le placer dans l’imitation du don christique par excellence dont la Croix est le signe ultime, indépassable et non reproductible car il n’y a qu’un seul sacrifice, l’unique, celui du Christ qui ne souhaite pas être dépassé mais qui indique la direction vectorielle de l’amour. 


En disant cela je ne nie pas le sommet eucharistique mais je tente d’en dépasser la cristallisation rituelle vers autre chose que le célébrant, vers un ailleurs qui n’est pas dans le rite, la manière ou la personne, mais dans l’essentiel, la direction, la visée : la présence réelle n’est pas contenue dans le pain et le vin, elle devient chemin commun, assemblée, corps, insaisissable, fragile, extase éphémère, danse, buisson ardent, que nous ne pouvons contenir, conserver, enfermer, car déjà Il nous échappe alors même qu’Il danse avec nous… (5).


(1) cf. Dieu dépouillé 

(2) Ailleurs la révélation 

(3) cf. Saint Cyrille de Jérusalem, catéchèse pré-baptismale, Office des lectures d’aujourd’hui 

(4) voir mon « A genoux devant l’homme » en téléchargement gratuit à la Fnac

(5) Dans un certain monastère on ne conserve pas d’hostie, car le Christ n’est pas enfermable…comme le dit si bien Teilhard dans son « Custode », il nous échappe si l’on veut le retenir…

20 juillet 2021

Contredanse ? -6 - Marion


La Révélation n’est pas évidence mais éternelle déplacement. Loin de nos prêches parfois surfaits, de nos morales étriquées, de nos rites enfermants, l’incompréhensible creuse en nous un vent venu d’ailleurs.

Des témoignages multiples et contradictoires du premier Testament à la discordance apparente des évangiles (1)

la méditation de l’Ecriture laisse place, selon Jean Luc Marion  à « une profondeur, qui creuse le décalage des témoignages, maintient l’écart et permet surtout de préserver l’ailleurs d’où provient la signification des signes »(2).

Cette diversité est, ajoute-t-il le lieu de résistance qu’il décline en plusieurs contre-danses :

1. Entre les sachants et la Révélation venue d’ailleurs 

2. Entre la Révélation et le doute du témoin 

3. Entre les témoins entre eux qui partagent et se divisent en même temps « qu’ils s’imaginent en concurrence »

Avec le motu proprio se réveille des divergences qu’il nous faudrait idéalement réduire dans la contemplation de l’unique rêve de Dieu pour l’homme.

Quand on met vraiment le Christ au centre le reste n’est il pas superflu, lutte de pouvoir et d’égo…


(1) Pascal, Pensées L318.

(2) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020, p. 45

14 juillet 2021

La danse de la brise

 La danse de la brise - 3

Qui est Dieu ? 

Comment se dévoile t-il progressivement à l’homme avant la déchirure du voile de Marc 15, 38  ? 

Il y aurait beaucoup à dire sur le chapitre 19 du premier livre des Rois et les commentaires ne manquent pas. Je ne peux évoquer le cycle dElie (cf. mes deux posts précédents) sans relever deux grandes découvertes dans la manducation de ce texte, central à bien des égards dans la pédagogie divine.

On vient ici de loin après les interrogations levées par Gn 2 à 4, 22sq, voire les théophanies progressives du livre de l’Exode (notamment 19 et 33-34).


Après l’erreur d’Elie qui massacre les prêtres et sa fuite (40 jours au désert) jusqu’à une presqu’agonie où le malak ( l’ange de toutes les théophanies de l’AT) le soutient, voici le prophète à bout. Et c’est là que Dieu choisit de faire signe, non dans le tonnerre mais dans ce que certains traduisent par « le bruit d’un fin silence ».


Le centre de la théophanie est encadré par une répétition longue, un peu surprenante pour certains commentateurs, plus classique pour d’autres. On pourrait éventuellement considérer qu’il s’agit d’une structure littéraire qu’on appelle concentrique (ou chiasme de type ABCBA) autour d’un C central constituant LA  révélation avec une répétition presque exacte de l’échange d’un long dialogue entre la « voix de Yhwh » et Élie. Relisons la traduction littérale de l’hébreu : 


A « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre » aux versets 9 et 10 

  B- Sors et tu te tiendras dans la montagne (v11) (…)

     C  Après le feu une voix de silence ténu

  B’ -  il sortit et il se tint à l’entrée (v 13)

A’ « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre ». (v13 et

14)


L’enjeu du texte se concentre dans les modes de révélation de Dieu et cette « métaphore vive » qui décrit une expérience par analogie (Dieu est comparé à une brise), tout en maintenant une tension. L’indicible est ici au « service » du lecteur, le conduisant progressivement à un décentrement de sa propre vision de Dieu. On est là au cœur même du projet de révélation de Dieu au monde, qui ne raye pas d’un trait toutes les impressions et révélations antérieures, mais vient corriger par petites touches et avec tendresse, ce que l’homme perçoit de l’imperceptible.


1 - La question difficile posée par la répétition des v.9-10 au v.13-14


La question « Quoi pour toi ici Élie ? »

interpelle. Est-ce Dieu qui veut la présence d’Élie

ou Élie qui cherche Dieu ? 


Il me semble qu’il ne faut pas répondre trop vite, mais plutôt maintenir cette tension. Il y a, rappelons-le, l’état dépressif du prophète qui le pousse dans sa quête, mais également, très vite, l’accompagnement du messager. On peut dire que le désir de Dieu est au cœur d’Élie, mais qu’il est aussi, d’une certaine manière, conduit et accompagné au désert… La main de Dieu reste sur lui, pourrait-on dire, en écho au chapitre 18.

On peut y voir à l’inverse une certaine forme d’ironie, qui semble remettre en cause sa raison d’être et la réalité de sa mission de prophète. Pour rebondir sur l’interrogation soulevée par A. Wénin sur l’auto-proclamation d’Élie en « superbaal », (cf. mon billet 2) on peut se demander si Dieu ne joue pas sur une mise en distance entre les prétentions prophétiques de l’homme et la réalité même de Dieu. Cette thèse pourrait expliquer que la mission principale qui lui sera confiée à la fin du chapitre soit celle d’oindre un successeur.

Certains commentateurs notent même que la répétition des versets 13 et 14 semblerait dire qu’Élie n’est pas affecté par la révélation. Qu’il passe à côté de l’essentiel.

Il reste insensible à ce qu’il voit. Cela renforcerait

l’idée qu’il n’est pas digne de sa tâche. Mais cela contraste avec les égards qui lui sont donnés au chapitresuivant (enlèvement, transfiguration). Il semble donc difficile de se prononcer dans un sens ou dans l’autre. (…) l’apparition divine n’est pas de son ressort, mais tient-elle uniquement de la liberté de Dieu… ?


C’est une question qu’il faudrait aussi poser à propos du

chapitre précédent, mais plus généralement dès que nous avons le sentiment de maîtriser Dieu.

N’est-ce pas en effet LA question que nous avons soulevée tout au long de ce parcours. L’homme a-t-il une influence sur Dieu, ou Dieu choisit-il d’apparaître  que lorsqu’on consent à accueillir humblement sa venue, ou comme le suggère Marion dans son dernier livre vient il inattendu d’ailleurs ? 

« Retire tes sandales » nous semble dire à nouveau ce

texte ? (1)


2- quelle révélation ? 


Ce qui ressort de mon long travail sur ce point (2) est que nous n’aurions pas là une seule « définition de

Dieu », mais comme souvent dans l’Ancien Testament,

plusieurs concepts en concurrence. Et nous restons bien dans cette tension, même si le texte introduit une faille que beaucoup ont exploitée, non sans raison, à la lumière du Nouveau Testament pour décrire la tendresse de Dieu.


On peut citer quelques points communs fréquents dans ce type de rencontre à toutes les révélations divines : un lieu à part, une rencontre privée, une mission donnée, une reconnaissance, qui marquent un style littéraire propre à toutes les théophanies de l’AT.


À chaque situation où la violence semble la solution, l’humilité du chercheur y trouve une autre voix, fragile, ténue, celle où Dieu se révèle entre les lignes.

Et c’est ici probablement que l’on peut considérer un sommet dans ce mouvement de dévoilement.


Il n’est pas anodin de souligner que les quarante

jours au désert font écho aux quarante ans de l’exode, mais aussi à la tentation du Christ. 


L’agonie du prophète peut aussi servir de toile de fond à la tentation du Christ au désert et à son agonie sur le Mont des Oliviers, comme le souligne C. H.Roquet


Ce qui ce joue ici, reste une nuit obscure, une insoutenable agonie du juste, qui doit faire le deuil de son orgueil ultime pour être disponible à la vraie rencontre.(...) 


Il serait vain de traduire ce que trois mille ans d’interprétation ont pu produire sur un texte aussi travaillé que celui-ci.


Notons cependant quelques interprétations qui paraissent originales. Parmi celles-ci, on peut noter celle de Grégoire le Grand qui préfigure, il me semble, ce qui pourra être repris par une théologie rahnérienne sur l’inhabitation de Dieu en l’homme.

 « L’homme dit Grégoire le Grand, n’est plus tout entier à l’intérieur de sa caverne, parce que le souci de la chair

ne l’importe plus, et il se tient à la porte, parce

qu’il médite de sortir hors des étroites limites

de la condition mortelle… Tendre l’oreille et se voiler

le visage, c’est écouter par l’esprit la voix de

l’Être au-dedans, et en même temps détourner

les yeux du cœur de toute forme corporelle, de peur d’imaginer quoi ce soit de matériel dans cet Être qui est partout tout entier et sans limites ».

On pourrait aussi citer Irénée ou Augustin (2) assez classiques dans leurs interprétations bien résumées chez François de Sales  « Dieu n'est ni au vent fort, ni en l'agitation, ni en ces feux, mais en cette douce et tranquille portée d'un vent presque imperceptible ».


Il nous faut, cependant, garder dans ce contexte une grande prudence sur ce qui est révélé de Dieu, même si le contraste avec les premières théophanies est saisissant. Beauchamp insiste à sa manière sur ce point en soulignant que la conversion vient de Dieu et non pas de nous. « Cela n’a pas pour but de nous faire admirer l’homme, mais de nous faire admirer l’action que Dieu exerce en transformant l’homme. Il faut donc que rien de l’homme ne soit caché. Le but est de montrer que nous sommes imparfaits ».

Car ce n’est qu’en percevant nos imperfections répétées que nous prenons conscience que les « publicains et les prostituées nous précèdent dans le royaume » (Mat. 21, 28-32), que Dieu se révèle aux simples et que notre propre conversion ne peut que se faire dans l’humilité.


C’est peut-être en effet dans la transformation du cœur d’Élie que se révèle le mystère, avec, comme par effet boomerang, ce qu’il conduit à révéler en nous. Car le piège, ajoute Beauchamp, serait de nous considérer comme supérieurs aux juifs, exempts de cette violence et proche du vrai Dieu. Notre chemin reste à parfaire et c’est en cela que le texte nous interpelle. 


Ce qui m’a le plus frappé dans ma recherche c’est qu’au lieu de réduire « la voix d’un fin silence » à une simple révélation d’un Dieu du silence s’ajoute plusieurs facettes et interprétations - j’en compte une dizaine (2) - jusqu’à celle qui suggère que ce qu’entend Élie est finalement une simple prière ou le chant des anges, ce qui renforce ce sentiment de petitesse.

Cette dernière montrerait ainsi que Dieu n’est pas plus présent qu’en Exode 34 où Dieu ne révèle que son dos…

Se pourrait-il qu’Élie découvre au bout de sa quête qu’il y a, au-devant de lui, plus près encore de lui, une assemblée de priants qui se tient là. Il se croyait seul, et il oublie « le reste » des hommes évoqués à la fin du chapitre.


Il n’est pas le seul ! 


À l’ultime tentation de se croire unique dépositaire de la vérité se heurte la prise de conscience qu’on ne peut rien sans Dieu et les autres.


Cela ne peut que renforcer notre propre petitesse, dans cette quête.

Nous ne trouverons pas Dieu tout seuls, mais c’est dans la communauté des priants qu’il se révélerait…

Cette vision fait écho à celle de Qumrân et de la liturgie des anges, clairement identifiée à ce texte du livre des Rois.

On pourrait conforter alors la thèse de ceux qui affirment qu’Élie n’a en fait rien vu de la réalité de Dieu, que la vision de Dieu lui a été refusée en partie.

Cessons alors d’affirmer que l’on sait mieux que les autres qui est Dieu et laissons Le continuer à nous déranger 😉 


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir Pédagogie divine en téléchargement libre sur le site de la Fnac pour le développement complet de cette analyse qui n’est ici que résumée.


À suivre  - quelques notes en regard sur le dernier livre de Marion qui interpelle à sa manière cette révélation venue d’ailleurs