23 mai 2021

Méditation sur la Pentecôte - danse 50.3

C’est peut-être à partir du Buisson Ardent (1) que l’on peut considérer l’ensemble de la pédagogie divine(1) sur la Pentecôte. Le but ultime de notre réconciliation « en Christo »  est de rejoindre ce grand feu lumineux, qui nous purifie sans nous détruire, qu’est finalement la danse en Christ, dont on fait l’expérience les disciples au mont Thabor…

N’allons pas trop vite. Revisitons d’abord nos premiers pas, nos « Chemins du désert » (1) où nous cherchons à tâtons la lumière. 

« Poussé par l’Esprit au désert » où nous suivons le Christ, il nous faut d’abord subir la grande épreuve de la nuit, épreuve difficile que souligne depuis des siècles les mystiques de puis la nuit obscure de saint Jean de La Croix, jusqu’à celle de nos doutes confinés, comme ces nuits des mystiques que nous traduit magnifiquement François Marxer, « Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017 ».

Rappelons nous aussi nos pas encore fragiles, dans cette fausse nuit pré couvre feu 2021. 

Comme dans toutes les  Pâques, nous avons cherché à contempler ce feu béni hors de nos églises au bout de notre nuit spirituelle très symbolique des 40 jours de Carême. C’est alors une bien fragile lumière qui pénètre symboliquement dans l’église encore sombre,  brandie par le diacre en une triple évocation : « Lumière du Christ »avant qu’il n’entonne l’exultet. 

Qu’est ce à dire ?

Jésus est lumière et notre capacité à la contempler dans sa vraie clarté, n’est finalement possible qu’au bout du chemin. 

Il nous faut encore 40 jours de crainte, de doutes et d’hésitation. 

La liturgie nous a encore fait manduquer les hésitations de Pierre en Jean 21 ces derniers jours, derniers soubresauts d’une Église en devenir avant ces flammes de feu qui rendent tout lumineux.

« M’aimes-tu ? » demande trois fois Jésus à Pierre dans un decrescendo kénotique qui le fait passer en grec d’un « agapas me » à un « phileis me »…(2). M’aimes-tu d’agapé ou as tu seulement de l’affection pour moi… ? triple questionnement que l’école johannique inflige symboliquement à Pierre au terme du chemin qui prépare pour eux et symbolise sa réintégration dans la mission ecclésiale qui l’attend…(2) après la démarche à la fois kénotique et miséricordieuse qu’est finalement cette triple interpellation qui fait écho à son triple reniement… (3)


N’est-ce pas finalement le chemin de tout baptisé qui reçoit un cierge alors qu’il est encore tout endormi de ses nuits obscures et qu’il n’a pas encore fini son chemin ?

Les sacrements d’initiation vont devoir encore lui faire franchir de sacrés pas avant qu’il puisse confirmer de lui-même sa foi…

Il lui faudra percevoir comme Pierre, d’abord son insuffisance et son incapacité à aimer, percevoir qu’il nous faut retirer ses sandales(1), pour découvrir que le feu intérieur qui brûle déjà en nous par le sacrement du baptême n’est pas encore lumière dans nos vies et qu’il nous faut le souffle de l’Esprit pour que nos sarments intérieurs trop souvent desséchés (4) prennent feu en Dieu. Alors pourrons nous percevons que Dieu ne cesse de nous appeler à choisir la lumière face à la nuit…


« Esprit de Dieu, tu es le feu,

Patiente braise dans la cendre,

A tout moment prête à surprendre

Le moindre souffle et à sauter

Comme un éclair vif et joyeux

Pour consumer en nous la paille,

Eprouver l'or aux grandes flammes

Du brasier de ta charité.


Esprit de Dieu, tu es le vent,

Où prends-tu souffle, à quel rivage?

Élie se cache le visage

A ton silence frémissant

Aux temps nouveaux tu es donné,

Soupir du monde en espérance,

Partout présent comme une danse,

Eclosion de ta liberté.


Esprit de Dieu, tu es rosée

De joie, de force et de tendresse,

Tu es la pluie de la promesse

Sur une terre abandonnée.

Jaillie du Fils ressuscité,

Tu nous animes, source claire,

Et nous ramènes vers le Père,

Au rocher de la vérité. »(5)




(1) cf. mon « Retire tes sandales » - une contemplation de la trilogie des 21 volumes d’Hans Urs von Balthasar et « Pédagogie divine »

(2) voir plus d’explication dans « A genoux devant l’homme »

(3) on peut reprocher à Zumstein de faire l’impasse là dessus dans son commentaire pourtant très exhaustif.

(4) cf. Ez 37 que nous contemplons la veille au soir

(5) hymne de l’office des lectures du dimanche de Pentecôte 

16 mai 2021

Limites ? Un pont trop loin ? - danse 46.11

Les discussions lancées par Bruno interpellent finalement la place du prêtre. En triple écho et communion avec les propos de Bruno Anel, Claire CV et Sylvaine Landrivon voire ceux de Marie Jo Thiel repris par Marie Odile Dervin sur « réflexion théologique » et mon billet précédent je m’interroge sur la fonction même du prêtre. Est-il le maître de l’eucharistie ? Est-elle sa chose ? Comment interpréter fondamentalement le sens du début du canon 906 déjà cité qui spécifie : « Le prêtre ne célébrera pas le Sacrifice eucharistique sans la participation d'un fidèle au moins. » ? 

Pourquoi cette limitation ?

Il me semble qu’il faut creuser cela.

Dans ce temps particulier de l’entre-deux entre l’ascension et la Pentecôte, avant que l’Esprit embrasse toute l’Église il est intéressant de rappeler que la Présence réelle n’est pas la chose du prêtre mais un don de Dieu.

Rappelons-nous l’épisode de Pierre en Jean 21 (*). Il est moteur de la pêche nocturne mais ne prends rien… il faut l’action et la Parole du Verbe pour que cette pêche devienne miraculeuse. 


L’enjeu est peut-être de comprendre que la vocation sacerdotale n’efface pas la dimension diaconale première, que l’eucharistie ne découle que de la danse kénotique et trinitaire et n’est pas, jamais le fait de l’homme. « Tu n’aurais ce pouvoir si Dieu ne te l’avais donné » avait glissé Jésus à Pilate…

En survalorisant la place du prêtre nous avons/risquons de tuer l’Église… il nous faut probablement contempler que la vocation sacerdotale est essentiellement une fonction diaconale avant d’être signe pastoral, c’est à dire capacité à structurer l’Église, voire que l’autorité n’est pas innée mais découle uniquement de la capacité du prêtre à s’agenouiller dans le schème trinitaire et kénotique qui le fait entrer dans la danse divine de l’effacement. Alors la présence devient réelle car il n’est plus acteur de la transsubstantiation mais serviteur de cette conversion globale du peuple en Corps du Christ… 

Saint Grégoire nous conduit sur ce chemin en méditant le sens de la gloire

« Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée »


« L'unité », dit-il, « consiste en cet aboutissement du salut : tous sont unis entre eux par l'adhésion à l'unique bien, (...)  le sens de ces paroles nous apparaît plus clairement dans le discours du Seigneur rapporté par l'Évangile. Par sa bénédiction, il a donné toute puissance à ses disciples ; puis, en priant son Père, il accorde les autres biens à ceux qui en sont dignes. Et il ajoute le principal de tous les biens : que les disciples ne soient plus divisés par la diversité de leurs préférences dans leur jugement sur le bien, mais qu'ils soient tous un PAR leur union au seul et unique bien. Ainsi, par l'unité du Saint-Esprit, comme dit l'Apôtre, étant attachés par le lien de la paix, ils deviennent tous un seul corps et un seul esprit, par l'unique espérance à laquelle ils ont été appelés. »


« Mais », ajoute-il, « nous ferons mieux de citer littéralement les divines paroles de l'Évangile : Que tous, dit Jésus. soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi, et moi en toi ; qu'eux-mêmes soient un en nous. Or, le lien de cette unité, c'est la gloire. Que le Saint-Esprit soit appelé gloire, aucun de ceux qui examinent la question ne saurait y contredire, s'il considère ces paroles du Seigneur : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée. Effectivement, il leur a donné cette gloire quand il leur a dit : Recevez le Saint-Esprit.


Cette gloire, qu'il possédait de tout temps, avant que le monde fût, le Christ l'a pourtant reçue lorsqu'il a revêtu la nature humaine. Et lorsque cette nature eut été glorifiée par l'Esprit, tout ce qui lui est apparenté a reçu communication de la gloire de l'Esprit, en commençant par les disciples. C'est pour cela que Jésus dit : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée ; qu'ils soient un comme nous sommes un ; moi en eux et toi en moi, pour qu 'ils soient parfaitement un.


Celui qui, de petit enfant, est parvenu en grandissant à la stature d'homme parfait, qui a rejoint la mesure de l'âge spirituel ~ ; celui qui est devenu capable de recevoir la gloire de l'Esprit par sa maîtrise de soi et sa pureté : il est cette colombe parfaite que regarde l'Époux lorsqu'il dit : Unique est ma colombe, unique ma parfaite. »(1)


Il faudrait revenir sur cette glorification du Christ homme pour comprendre qu’elle n’est possible que par la croix et la kénose. Il n’y a pas de gloire sans agenouillement… en écho à mon billet précédent.


La difficulté à laquelle nous arrivons, dans cette lancée est de ne pas considérer la gloire comme un acquis magique donné par un sacrement qui rendrait le prêtre vêtu d’un pouvoir ineffaçable mais bien de considérer la « dynamique sacramentelle » (2) dans l’axe même d’un éternel mouvement insaisissable entre Dieu et l’homme, cette « course infinie »(3) qui ne nous permet jamais d’affirmer que nous détenons seul un pouvoir, fut il donné par l’évêque, mais qu’il reste lié à cette abandon visé par Philippiens 3, cette course infinie (3);dont le même Grégoire de Nysse s’est fait le grand porte parole. 


«Mais ce qui était pour moi un gain, je l’ai considéré comme une perte à cause du Christ. En fait, je considère tout comme une perte (...) Il s’agit maintenant de le connaître, lui, ainsi que la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en étant configurés à lui dans la mort, pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu tout cela ni que je sois déjà parvenu à l’accomplissement; mais je le poursuis, tâchant de le saisir, pour autant que moi-même j’ai été saisi par Jésus-Christ. En ce qui me concerne, mes frères, je n’estime pas moi-même l’avoir déjà saisi; mais une seule chose compte: oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour obtenir le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ.»

‭‭Philippiens‬ ‭3:7-15‬a


La capacité d’être prêtre n’est pas un acquis définitif. Il reste un don et une dynamique fragile, plus encore une vocation à la fois sublime et peut-être « impossible à l’homme » au sens de Mat 19,  mais pourtant donnée par Dieu comme un appel et une éternelle vocation, au même titre que le mariage, dans un autre ordre, n’est signe, que s’il reflète, non l’amour fragile des époux, mais sa capacité à signifier ce à quoi il est appelé, au sens donné par le « comme » d’Ephésiens 5…


Je l’ai déjà glissé, le prêtre n’est pas saint par nature, il peut le devenir au bout du voyage. Le sacrement de l’ordre ne le sanctifie pas « subito » mais le met en marche au même titre que le baptisé, qui revêtu de blanc, doit continuer à purifier son habit baptismal…


Mais peut-être vais-je un pont trop loin en disant cela…


(1) Gregoire de Nysse, Homélie sur le cantique des cantiques, source office des lectures du 7eme dimanche 

(2 et 3) cf. mes essais éponymes 

(*) sur ce thème voir mon commentaire dans « à genoux devant l’homme » plus développé que celui de Zumstein (op. cit. p.300) que je trouve bien frustrant compte tenu de l’enjeu ecclésiologique qu’il évoque sans développer et que je cherche à manduquer ici. 


D’agenouillements en agenouillements - danse 46.10

Au-delà de la danse réciproque des femmes et de Jésus avant « l’heure » rapportée par les évangélistes (*) Il faut peut-être partir de l’agenouillement du Christ devant l’homme le dernier soir (Jn 13) pour comprendre à quoi nous sommes nous mêmes invités. Comme le souligne très bien Jean Zumstein, l’heure vient et c’est maintenant que Dieu révèle sa kénose (1) à l’homme en se dévêtant par le mime symbolique (2) du lavement des pieds de toute sa puissance divine en prenant à cœur sa mission diaconale d’esclave - le lavement des pieds leur était réservé (3)- pour signifier le sens même de son dépouillement ultime sur la Croix. 


«Jésus, qui sait que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va à Dieu, se lève de table, se défait de ses vêtements et prend un linge qu’il attache comme un tablier.» Jean‬ ‭13:3-4‬ 

Ce prologue n’a de sens qu’en vue de la Croix qu’il introduit souligne Zumstein.


Quel est l’enjeu pour nous ?


Le diacre après avoir prononcé debout l’évangile est censé s’agenouiller devant le mystère de la consécration(4), mais également le prêtre quand après avoir prononcé les paroles dictées par Jésus il s’efface à genoux devant ce qu’il vient d’invoquer, au nom de sa fonction diaconale de serviteur du mystère.


Joseph Ratzinger soulignait avec justesse avant d’être pape qu’il n'a pas besoin d'ajouter quelque chose de personnel à sa liturgie : "Dans la réalisation concrète du service ecclésial, [il doit] se livrer totalement à l'inclusion dans le Christ; non pas construire un être à côté de lui, mais seulement en lui ; et permettre ainsi que devienne enfin réalité cette exclusivité qui ne détruit pas mais libère toute chose en la faisant entrer dans sa propre immensité" (5).  Alors peut importe sa nature. "Cela donne aux paroles d'un prédicateur, fut-il minable, le poids des siècles" et cela inclut la liturgie, "si démunie soit-elle" dans une dynamique qui la dépasse. "En acceptant de devenir sans importance en lui-même, il pourra devenir vraiment important parce qu'il sera pour le Seigneur un lieu d'irruption dans ce monde" (6) En agissant in Persona Christi,  en lui se substitue Celui pour qui il vit.  La dynamique sacramentelle devient alors signe à travers son effacement au delà du signe. Il se fait « creuset » où le fleuve du Verbe prend son lit, pour arroser le monde,  depuis le coeur blessé du Christ jusqu'aux confins de l'humanité.


Que peut faire le laïc devant tout cela ? Probablement à la fois s’agenouiller lui aussi car Dieu se révèle là, mais également - et c’est là que cela devient intéressant - rester debout car ce qui se joue ici, c’est son accession à la résurrection à venir. C’est pourquoi, en principe, le dimanche, au nom de la puissance salvatrice de la mort et de la résurrection il est en droit de rester debout (7) car l’agenouillement du Christ l’a relevé et le conduit à la victoire….

Le mime symbolique devient danse…

L’agenouillement du Christ n’a de sens que pour nous introduire à cette tension théologique d’un Dieu qui croit en l’homme au sens sublime que lui donne Irénée de Lyon.


La danse kénotique des trois personnes divines n’a pour but ultime que le relèvement de l’homme à son rang de fils…. Et c’est là que le « vous êtes des dieux » prend sa dimension téléologique. 


C’est probablement ce que Jean 10, 34 souligne en rappelant le Psaume 82:6‬ ‭ « Vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut.»


C’est aussi la conclusion du Christ en Jean 15, 15 : «Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l’esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père.»

‭‭ Jean‬ ‭15:15‬ ‭


‭‭

(*) cf. sur ce point mon essai « A genoux devant l’homme » sous ce lien

http://chemin.blogspot.com/2020/05/lectures-pastorales-2-livres-en.html?m=1


(1) cf. Ph. 2

(2) Xavier Léon Dufour, Evangile de Jean, tome 2

(3) Jean Zumstein l’évangile de Jean (13-21) op. cit. p. 18sq.

(4) Faure, op. cit.

(5) J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui, 1982, p. 315

(6) ibid p. 318

(7) cf. Pretot, réf à retrouver

Eucharistie, morne plaine ? Danse 46.9

« La puissance signifiante de l'Eucharistie n'est-elle pas étouffée sous l'obligation dominicale, à tel point que de temps en temps nos dimanches ne sont qu'un rassemblement docile et sans lumière. Que faire ?

Je m'interroge. Ne serait-il pas opportun de réintroduire de temps en temps des jeûnes eucharistiques pour transformer le panurgisme dominical en un lieu de recherche de sens, d'intelligence de la foi. L'ardeur évangélique est-elle le lot des fidèles. Quand j'entends certaines histoires, je m'interroge. Où est la foi ? Quel sens ont nos messes ? Casser le rite pour en retrouver le sens profond, pour faire renaître le désir en lieu et place d'un conformisme social ?

Seul un homme vraiment libre peut être source de la lumière divine. Tout ce qui est réalisé par obligation, conformisme n'est que vide. 

Si l'on construit trop vite une représentation dramatique à partir de l'esthétique on fige en icône la figure du Christ. Or le drame eucharistique n'est pas qu'une simple représentation qui fait mémoire. Pour qu'elle devienne lieu de présence et d’agir, lieu de conversion et de vérité, il faut lui permettre d'être la conjonction d'une démarche de foi, d'une démarche communautaire, mais aussi et surtout, le lieu d'un décentrement véritable qui se fait accueil de l'Esprit, sans lequel le sacrement ne peut être. »(1)

C’est peut-être l’essence de notre marche vers la Pentecôte alors que s’élève aujourd’hui Celui qui a terminé sa dramatique terrestre, ce faisant signe efficace jusqu’au bout de l’indicible…


(1) je cite ici ce que je viens de retrouver dans mes notes de lectures de mai 2005 en pleine lecture de la Dramatique divine d’Hans Urs von Balthasar sur http://chemin.blogspot.com - cela n’a malheureusement pas perdu une ride 🙂

Quel sacerdoce pour demain ? - danse 46.8

Dans des billets récents, je discutais, non sans une pointe d’ironie, le fait que Jésus puisse être appelé prêtre. Mes arguments portaient d'abord sur la distance entre la fonction sacerdotale juive et le ministère de Jésus. Il y a évidemment aussi une distance avec la définition et le recentrage de la fonction du prêtre précisée par Trente (1) ou remodelée par le droit canon après Vatican II. On peut toujours évoquer,  comme le fait Hébreux, le sacerdoce selon Melkisedeck, mais que nous apporte cette référence antique ?

La lecture de Zumstein (2) me semble confirmer que la véritable dimension sacerdotale du Christ à contempler se trouve dans cette diaconie particulière du lavement des pieds. Il insiste de manière intéressante sur la double facette du verbe aimer (agapèsas et égapen) pour faire vibrer l’aoriste grec dans une contemplation du « aimer en actes et en vérité » que nous contemplions dimanche dernier.

Pour lui le lavement des pieds est une rupture particulière dans la pédagogie johannique entre le chemin de vie des 12 premiers chapitres et « l’heure » de la Croix, rejoignant ce que je soulignais déjà chez Xavier Léon Dufour : il s’agit d’entrer maintenant, par un « mime » (sic XLD), que je qualifierais de sacramentel (même s’il n’est pas dans les sept) dans le sens même de l’aimer jusqu’au bout de la Croix.(3)


« Ayant aimé (agapesas) les siens il les aima (égapen) jusqu’au bout... » Jn 13, 1


Le Verbe agapè que Paul définit en 1Co 13 et que Jean articule en Jn 21 dans la triple question à Pierre prend par ce deuxième prologue johannique de Jn 13, 1 sa portée prophétique... 

C’est d’ailleurs dans cette tension entre Jean 13 et 21 qu’il faut probablement entrer. L’interpellation entre Jésus à genoux devant Pierre (sous entendu toute l’Église ?) et le triple « m’aimes-tu ? » de 21 constitue une forme méga-concentrique que l’on pourrait décrire ainsi :

A - ayant aimé/ aimant les siens il les aima jusqu’au bout (agapè)

     B - je suis (ego eimi)

          Lavement des pieds /Croix

     B’ je ne suis pas (ouk eimi)

A’ m’aimes tu ? (Agapè)


Je trouve qu’il y là l’essence du nouveau sacerdoce que le Christ institue. Loin de toute ritualité figée, cette idée est finalement au cœur de la danse christique que je ne cesse d’évoquer car elle interpelle « vectoriellement » (4) la vocation sacerdotale de tous baptisés.

Cela ne supplante pas la dimension de berger ou de pasteur que souligne le droit canon (5) - voir mon billet précédent - mais développe et élargit l’appel diaconique au rang de méga-sacrement, d’hyperbole ou de métaphore vive(6).


Pourquoi insister là dessus ? Probablement parce que la primauté diaconale du prêtre a souvent été supplantée par la tentation cléricale. En cela, je ne critique personne, c’est même presque à moi même que je parle. C’est un travers que j’ai senti dès le basculement de mon statut... Les sachants ont souvent tendance à faire de leurs connaissances une barrière et à s’enfler d’orgueil, chemin qui n’est pas/ qui est loin d’être christique. Il y a donc une saine articulation à retrouver entre dimension pastorale et diaconale, pour aller vers ce qu’un eudiste ami traduit par « vocation apostolique », celle de ceux qui suivent le Christ à genoux devant l’homme...


Une des illustrations à contempler est peut-être dans la manière de communier. Grâce au Covid, mon curé a perçu (l’aie je influencé ?) que la distribution de l’eucharistie primait à la consommation des espèces... ce geste de servir la communauté avant de se servir soi même est plus qu’une règle sanitaire, cela rejoint, je crois, mais je n’ai plus la référence en tête une vieille tradition juive où le maître du repas attend que tous soient servis avant de manger...


 Cette primauté d’autrui est chemin pour redonner goût à la vocation du prêtre qui peut être alors le vrai signe de ce qu’il signifie...


Une autre pas de danse kénotique ?


(1) Relire là dessus l’excellent commentaire d’O Malley

(2) Jean Zumstein, L’évangile de Jean 13-21, Labor et Fides, p. 18sq

(3) je crois que Moingt souligne là dessus dans « Dieu qui vient à l’homme » que le lavement des pieds est, en soi, plus qu’un sacrement, l’essence même de l’Église en service (référence à retrouver).

(4) cf. le billet 46.6

(5) cf. cette belle méditation https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/homelies-du-pere-jacques-fournier/514829-homelie-du-dimanche-25-avril 

(6) Zumstein évoque au même endroit, de manière intéressante, la notion d’hypertextualité


PS: est-ce que mon prisme diaconal aveugle mon jugement ? Je ne pense pas, car cette interpellation vectorielle vise pour moi l’essence même de la nouvelle théologie du laïcat (cf. Congar)

Vocation pastorale, danse ou complicité ? 46.7


Il y a dans certaines des dernières photos publiées par un ami une tristesse intrinsèque, qui me saute aux yeux, même s’il évoque Pâques.


Les narcisses sauvages sortent leur plus beau jaune mais leurs orientations désordonnées évoquent plus pour moi l’individualisme actuel que la communion ecclésiale.


Il faut prendre du champ pour découvrir le polyèdre et la « Complicité » qui peut transcender cette tentation moderne.


Le terme « complicité » est d’ailleurs une des « étincelles » de l’auteur de ces photos...(opus éponyme tome 3 p. 116).


« La trinité autrement dite et dans un autre ordre, le Père, le Fils et la Complicité », écrivait-il...


Pourquoi avons nous perdu cette complicité ? 

Pourquoi en suis-je à mon 50 eme billet(voir plus) sur la danse ? 

Parce que l’Église s’est cassée et mérite une nouvelle harmonie ?


Où se trouve-elle ? Quels chemins de réconciliation ecclésiale sont possibles ? 

Comment conjuguer nos différences ? 


Peut-on aller plus loin dans la notion papale de polyèdre ou celle justinienne de logos spermatikos, sans écraser nos différences mais les entendre au sens symphonique, comme autant de notes qui interpellent notre propre chemin et nous aident à rejoindre et différencier la véritable valeur ajoutée et l’élan original et originel de « l’après Jésus »....


Disgression en forme d’interpellation

—-

Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’un homme est tout mauvais même s’il a pondu des textes qui dérangent ou commis des actes décevants. Jean Vanier, par exemple, n’est pas qu’un monstre... en lui cohabitait la grâce et la faute (révélée bien tardivement). Faut-il tout jeter ? Ses textes sur la vulnérabilité méritent un arrêt sur image. 

Chaque homme, comme le souligne Paul, moi compris, est capable du meilleur et du pire. 

Je ne vais pas effacer Paul VI parce qu’en Humanae Vitae coexiste de belles exhortations sur le respect conjugal et des appels qui ont cassé l’équilibre fragile entre le peuple et l’Église...

Cherchons à trouver la Complicité perdue au delà de nos errements. Ecoutons donc Paul VI dans ce qu’il dit sur la fonction pastorale du prêtre (avant un deuxième billet à paraître sur l’autre dimension tout aussi essentielle)...

« Lorsque l'heure fut venue de retourner au Père, en quittant ce monde, Jésus voulut choisir et appeler d'autres « pasteurs selon son cœur » (Jr 3,15). Il l'a fait par libre choix, afin qu'ils continuent sa propre mission, dans le monde entier, jusqu'à la fin des temps. Ils seront ses envoyés, ses messagers, ses apôtres. Ils ne seront pasteurs qu'en son nom, pour le bien du troupeau et dans la force de son Esprit, auquel ils devront rester fidèles.

Le premier de tous, Pierre, après la triple profession d'amour envers Jésus, est nommé pasteur de ses brebis et de ses agneaux (Jn 21,15). Puis tous les apôtres. Et après eux, d'autres encore, et tous dans le même Esprit. Et tous, dans tous les temps, devront guider le troupeau du Seigneur qui leur a été confié, non comme des dominateurs, mais comme les modèles du troupeau (1P 5,3), avec un total désintéressement et tout l'élan de leur cœur. Ainsi seulement, ils pourront recevoir un jour la récompense méritée, quand reparaîtra le Chef des pasteurs.

(1).


Peut-on raison garder sans céder à la critique facile - sport national plus exercé que le pied-ballon 🙂 (pour éviter l’anglicisme 🙂


Nous avons besoin de pasteur.e.s pourrais-je écrire qui aident à trouver une saine complicité, à nous faire danser ensemble au lieu de nous déchirer sur des fautes inexcusables et des rancœurs de rétroviseurs. Cela demande néanmoins ce que j’appelle dans plusieurs de mes livres une descente de tours (orgueil, suffisance...). Et ce chemin ne se fera que dans la Complicité que seul l’Esprit de Pentecôte peut instiller en nos cœurs blessés ou blessants...


Il faut probablement pour cela que nos doutes et nos peurs soient à nouveau convertis par le vent fragile de l’espérance pour que sous ce souffle de discret renaisse la communion perdue et qu’enfin de ses fleurs individuelles jaillissent à nouveau un feu « de/en Dieu »


(1) Paul VI,  Message pour la Journée des vocations 1971 (trad. DC, t. 68, p. 405) découvert ce matin dans l’Évangile au Quotidien.

Quelle morale pour demain ? 46.6

La lecture du tome IV de John P. Meier(1) m’a dérangé et en même temps éclairé sur un point sensible. Pour lui, il est incontestable que la position de Jésus contre le divorce est originale en son temps et va à l’encontre d’une dérive libertaire inspirée en partie du droit romain de l’époque mais aussi présente dans la culture juive.

Pourquoi alors cet apparente permissivité de Jésus vis à vis des femmes adultères qu’elles soient samaritaine ou porteuses de parfum...? Pas de lapidation chez l’homme Dieu 😉, mais un chemin fragile de relèvement, voire, un agenouillement comme celui devant Judas...(2)

Quelle tension théologique ouvre Jésus entre un chemin de crête - le mariage indissoluble - et une miséricorde soucieuse des brebis perdues ?

Les moralistes chevronnés vont dire que je sombre dans le relativisme. Mais il me semble que cette tension théologique est intrinsèque au message évangélique du Christ et plus encore qu’elle se retrouve dans la théologie papale actuelle...

Après 60 ans d’allergie personnelle à toute forme de jugement et de morale pharisienne, il me faut trouver un chemin personnel pour avancer.  Je crois l’avoir trouvé il y a 4 ans dans le concept de « morale vectorielle » découvert par hasard en écoutant Gérard Donnadieu, dans l'introduction de son cours au Bernardins(3). 

Une morale vectorielle ne parle probablement qu’à ceux qui se souviennent du petit symbole qu’on apprenait en physique. Elle prend l’homme là où il en est et l’invite seulement à grandir. Elle m'intéresse parce qu’elle elle rejoint mes travaux sur la dynamique sacramentelle. Son idée qui rejoint les intuitions du pape est de penser la morale, non comme une série d'interdits mais comme des chemins qui conduisent et appellent l'homme plus loin et plus haut. Il y a là une articulation entre morale et miséricorde qui semble intéressante à travailler.

L’application la plus pratique est peut-être à trouver dans les chemins pastoraux que j’ai déjà souvent décrits(4) à la fois vers les couples en souffrance, ceux qui entreprennent le chemin délicat d’une deuxième union, comme ces personnes différentes qui sont touchées par une orientation faussement appelée contre nature. 

Je pense qu’il y a là à penser...

C’est aussi la lecture qu’on peut avoir de Philippiens 3 qui m’habite depuis que - poussé par l’Esprit ? 😉 - nous l’avons choisi il y a 35 ans Daniele et moi pour notre mariage... 

Ceux qui font des injonctions pauliniennes des anathèmes sont invités à méditer la morale vectorielle incluse dans ce passage «  «Moi, (...) circoncis le huitième jour, de la lignée d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d’Hébreux; quant à la loi, pharisien; quant à la passion, persécuteur de l’Eglise; quant à la justice de la loi, irréprochable. Mais ce qui était pour moi un gain, je l’ai considéré comme une perte à cause du Christ. En fait, je considère tout comme une perte à cause de la supériorité de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur. A cause de lui, j’ai accepté de tout perdre, et je considère tout comme des ordures, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui, non pas avec MA propre justice, qui viendrait de la loi, mais avec celle qui est par la foi du Christ, une justice venant de Dieu et fondée sur la foi. ».

Quelle est la justice du Dieu amour ? Nécessairement plus large que la nôtre et dans la même sève que le « Père pardonne leur »..

Paul continue, et c’est là mon passage « vectoriel » : « Il s’agit maintenant de le connaître, lui, ainsi que la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en étant configurés à lui dans la mort, pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu tout cela ni que je sois déjà parvenu à l’accomplissement; mais je le poursuis, tâchant de le saisir, pour autant que moi-même j’ai été saisi par Jésus-Christ. En ce qui me concerne, mes frères, je n’estime pas moi-même l’avoir déjà saisi; mais une seule chose compte: oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour obtenir le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ.»

‭‭Philippiens‬ ‭3:4-14‬ 


« Va et deviens » (5) ce que Dieu t’appelle à être .


(1) Un certain juif Jésus, les données de l’histoire, IV la loi et l’amour, Cerf, chap. XXXII

(2) cf. À genoux devant l’homme 

(3) Éléments pour un dialogue avec l'islam et le bouddhisme (Podcast du College des Bernardins) disponible sur iStores.

(4) cf. mes travaux en téléchargement libre sur Kobo, « Pastorale du Seuil », « La course infinie »,  sur les divorcés remariés « Dynamique sacramentelle », mon roman théologique « D’une perle à l’autre » tome 1 sur le même sujet et tome 2 « le désir brisé » sur l’homosexualité, qui en décrivant un prêtre idéal - mais inspiré de deux figures réelles - conduit « vectoriellement » à penser son propre chemin de vie, sans compter mes deux trilogies « Humilité et miséricorde » et le sommet qu’est pour moi « À genoux devant l’homme »... 

(5) beau film que je conseille


PS : comme souligné dans un commentaire récent, « le désir brisé » est issu d’une relecture attentive des travaux de X. Thévenot qui reste pour moi une référence sur ce thème. Je l’ai offert à Thomasset et attends, depuis longtemps, son retour 😉 mais qui suis-je face à ces grands...? Pour moi la morale ne s’écrit pas sur des tables de pierre mais par des traits sur le sable, comme en Jean 8 ce qui justifie le passage au roman, qui seul mets en situation des personnages sur leurs « aimer en actes et en vérité »...

Quels rites pour demain - 46.5 ?

La difficulté, c’est qu’après avoir déboulonné les vieilles statues il nous faut reconstruire correctement des structures plus collégiales et inductives où les individus, libérés d’un ritualisme enrhumé retrouvé le chemin d’un engagement sincère et durable.

La page est blanche sur notre manière d’envisager des lieux et des manières de passer de l’interdît à une morale vectorielle, où la miséricorde laisse place à « un va et ne pêche plus », d’un « aime et fais ce qui te plaît » à une prise de conscience de notre responsabilité. La polémique entre Kasper et Ratzinger et la CPLF de 1984 pointe par exemple les conditions d’un remariage, les critères nécessaires pour accepter qu’une première union ne soit pas brisée par une seconde. Les critères mis en place par Kasper sont d’autant plus exigeants qu’ils interpellent l’humain dans ses choix (comment prend-t-on soin de la personne délaissée, quelle sincérité dans le fort interne, quelle progression patiente au delà du pulsionnel etc.  Le chapitre 8 d’Amoris Laetitia ne fait pas table rase, il appelle juste au discernement. Je pense qu’il doit en être de même pour les nouvelles formes d’engagement rendus possibles par une porte grande ouverte... 

Ricoeur dans  le tome 2 de sa thèse souligne bien que rituel des pharisiens avait un sens premier, poussé à l’extrême : mettre Dieu au centre. De même Jesus en insistant au « shabbat fait pour l’homme et non l’homme pour le shabbat » (Mc 2, 27) interpelle sur l’unité intérieure à retrouver...

En élargissant le sacrement d’un rite à toute une dynamique je n’enlève pas l’importance du rite, des mots prononcés, du sens interne d’un rassemblement communautaire. La théologie sacramentelle doit probablement sortir du carcan d’un rituel auto centré sur le ministre sans casser son essence. A défaut nous laissons place au désordre...

Les fidèles n’ont pas toujours conscience que dans l’échange rituel qui précède la consécration il laisse la place au ministre pour faire en leur nom ce que Jésus a demandé de célébrer. Pour autant ce transfert de responsabilité ne doit pas donner lieu à une exclusion et le silence des fidèles n’est pas synonyme d’un rejet, mais doit idéalement conduire à une conversion intérieure. 

Il est intéressant de considérer que le diacre qui proclame debout l’Evangile s’efface ensuite progressivement jusqu’à s’agenouiller devant l’autel. Il n’y a pas là asservissement mais mime symbolique pour articuler la danse kénotique qui est en jeu et peut-être conduire le célébrant lui-même à prendre conscience qu’il n’est rien devant le mystère qui s’accomplit dans la présence rendue possible par l’effacement successif de l’assemblée, du diacre et du prêtre pour laisser Dieu au centre...

De même nos dynamiques humaines doivent conduire à autre chose, notre volontarisme faire place à un échange et rejoindre la danse évoquée par ailleurs...

Car l’agenouillement de Dieu n’a de sens que s’il rencontre celui de l’humain, non dans une servilité destructrice mais dans la danse féconde d’une réciprocité...

Quels sacrements pour demain ? - 46.4

Le baptême de l’eunuque par Philippe que nous donne à lire la liturgie d’aujourd’hui était-il sacramentel ? 

L’eunuque avait il prononcé ce qu’impose le rite actuel ? Philippe avait il en main du saint chrême ?

Vous allez objecter que les rites sont le fruit d’une saine et riche tradition, que chaque geste est chargé de sens et vous aurez raison. Pour autant, je reste persuadé que le chemin intérieur, le fort interne prime sur le rite. 

Les signes de croix, chasse mouches, sont inutiles si le cœur n’y est pas...

Loin de moi toute idée de dénaturer les sacrements et leurs rôles d’étapes dans la foi. Ce que je veux souligner, c’est qu’au delà du geste, du rite, de l’engagement d’un jour, c’est toute une vie, une dynamique qui est en jeu. 

Une prière sincère au chevet d’un mourant peut être plus sacramentel que le rite.

Un mariage ne se réduit pas à un seul oui. Il devient sacramentel quand chaque jour il est signe d’un amour... 

Le mien, il y a 35 ans ne valait pas grand chose. Il commence maintenant à être signe fragile de l’amour visé en 1Co 13 ou Ephesiens 5. Et encore, pas tous les jours.....


Cela étant, ds l’ouverture donnée par le chapitre 8 d’Amoris laetitia, et comme je le précise dans mon livre « dynamique sacramentelle », certains engagements peuvent être sacramentels sans que le rite soit posé - c’est le cas de remariages qui transpirent d’un amour généreux, fidèle, fécond et durable, après une première démarche sacramentelle qui n’était pas sincère... tout cela est complexe... et de l’ordre de la vérité des actes, du fort interne.

En creusant le sens des sacrements on découvre qu’ils sont plus riches que ceux qu’on pratique et que leurs dynamiques et leur sincérité dépassent ce que l’on a cristallisé sous le chiffre sept.

Le lavement des pieds n’est pas un sacrement parce que le mime du jeudi saint rappelle à l’Église que la diaconie visée en Jean 13 est aussi essentielle que tous les rites eucharistiques...

À Boston un curé rappelait ainsi un jeudi saint que son geste avait moins de sens que la fraternité des cireurs de chaussures de son quartier...

Quelle Église pour demain ? 46.3

les questions qui se posent sur rites, sacrements ou cléricalisme interpellent finalement plus généralement les formes actuelles de religiosité même si elles visent plus particulièrement le catholicisme.

1. Ces règles infantilisantes, ces rites qu’on exécute par habitude, ces eucharisties vides de profondeur, ces sacrements réservés, dépourvus du sens véritable de diaconie et de solidarité sont loin du sens même du sacrement. Tout cela nous privent finalement des quêtes plus intérieures, de ce qui est essentiel. L’important n’est pas dans le rite. L’important est finalement ailleurs, inaccessible sans le silence, seul creuset de LA rencontre. Comment donner du goût au silence ? 

2. Les rites n’ont ils pas parfois inconsciemment une fonction auto rassurante, magique dans lequel on vient se lover faute de trouver au fond de soi le Dieu qui nous attend 

3. Comment passer au stade supérieur ? Réveiller l’intelligence de la foi, sans abandonner sur le chemin tous les hommes et les femmes de bonne volonté ? 

Chemin complexe, parce que la raison a aussi ses pièges, l’auto satisfaction esthétique ou poétique ou la suffisance...l’hubris et la quête de pouvoir.

C’est peut-être là où le don et la kénose se distingue....

Peut-on déchirer le voile pour laisser apparaître le Dieu nu...

En écho avec Henry Quinson  il nous faut retrouver les fondements d’une religion adulte pour refonder une nouvelle théologie du laicat. N’est-ce pas le nouvel enjeu de la théologie d’articuler foi et raison pour une nouvelle approche pastorale...qui laisse à l’homme une nouvelle dimension - celle d’une foi adulte, solidaire, engagée et responsable.


Ce que j’écrivais sur le « reste » (billet 46.2) ne peut s’inscrire que dans cette dynamique. Non pas un enfermement sectaire, mais des outres neuves... portées par un souffle de changement, sans mépriser le passé qui nous a conduit là, mais en réinventant des chemins qui riment mieux avec une exégèse plus libérante des textes, une éthique moins moralisante, mais plus vectorielle, c’est-à-dire qui pousse à avancer, grandir,  pardonner, à la suite du Christ, dans l’élan de ce que je cherchais à traduire dans les trois tomes de ma trilogie « Humilité et miséricorde »...(1)

Dans le troisième tome, j’insistais déjà bcp sur la nécessaire kénose de l’Eglise. Je pense que cette intuition reste de plus en plus d’actualité. 


(1) cf. https://www.amazon.fr/Humilité-Miséricorde-chemin-Eglise/dp/1530914507


Cette trilogie est téléchargeable gratuitement sur Kobo/fnac

29 avril 2021

Homélie du 5eme dimanche de Pâques - année b

Projet 9
Quand Jésus prononce-t-il ces phrases [du chapitre 15] que je viens de lire ? Pour Jean, ce passage est placé entre le lavement des pieds et la croix et représente une sorte de testament spirituel et d'exhortation.

Qui dit testament dit don et cela me fait toujours penser à la question que l’on peut se poser, qu’est-ce qu’a pensé le père du fils prodigue au moment où il a partagé ses biens ? Quels étaient ses dons ? 
Une réponse se trouve peut-être ici.
En effet, si l’on trouve dans la Bible nombreuses allusions à la vigne et notamment dans la parabole de la vigne et des vignerons, chez Jean, le « Je suis la vigne » (1) nous fait faire un bon (2) puisque Jésus s’identifie à elle et devient en somme la révélation de l’amour de Dieu en actes. Il est don de Dieu en vérité... la mort du Fils signant comme le don ultime du Père [avant le don de l’Esprit qui nous « relie » à celle du Fils par la magie de cette danse trinitaire que je ne cesse d’évoquer]. 
Aujourd'hui nous découvrons également ce beau lien entre la vigne et les sarments. Avec de nombreuses insistances sur le mot demeurer et donc sur le lien entre les sarments et la vigne, qu'est-ce que ça veut dire pour nous aujourd'hui ? 
Sommes-nous véritablement attachés à cette vigne ? 
Qu’est ce que la vigne pour nous ? La parole, le pain, ou plus profondément Dieu en nous ? 
Dieu vient-il demeurer en nous ? 
Nous laissons nous la place ?
Je suis d’ailleurs frappé par certaines manières de communier. Le beau sens de la main tendue pour recevoir le corps du Christ exprime notre réceptivité fragile de ce don. N’hésitons pas à nous faire temple rien que dans ce « mime » symbolique...
Mais le fond du mystère est dans ce demeurer... qui résonne avec le « où demeures tu ? » des disciples des les premiers chapitres, le «  je veux demeurer chez toi » dis à Zachée, mais aussi avec l’où es-tu originel. 
La vigne -elle la source de notre vie, est-elle le but ultime ?

Cette question, il faut l'avoir en tête quand nous lisons avec attention la deuxième lecture ou saint Jean nous propose d'aimer « en actes et en vérité ».

Car cette question de la vérité de nos actes est finalement la question des « beaux fruits » évoqués dans l’Evangile...

Il est a priori assez simple de savoir si nous aimons en actes mais c'est peut-être plus compliqué de savoir si nous aimons en vérité. Laissons cette question raisonner avec notre lien avec la vigne. Sommes-nous rattachés à cette vigne ? Est-elle la source, la sève, le point central qui vient nourrir nos actes ?
Est-elle aussi communion, danse entre nous et avec notre Dieu ?

Aimer en actes et en vérité.
Quand je parle à ceux qui préparent leurs mariages, j'aime souvent les interroger sur leur amour [avec le triple prisme de saint Augustin] : aimez-vous aimer pour la simple joie d'aimer ou d'être aimés où êtes-vous dans l'amour don, (dans l’agapè) ?

Est-ce que vous offrez des fleurs à l'autre pour avoir un retour ou par don... ? Il est peut-être plus vrai de déposer un bouquet devant la porte de la vieille voisine sans mettre un mot qui rattache ce bouquet à vous... que d'offrir des fleurs à son épouse - je ne suis pas très bon sur ce point....

Ce qui compte le plus, n'est-ce pas en effet de parvenir au don gratuit, un don où le donateur s'efface (3) Ce type d'amour est par essence celui de l'amour divin, un amour qui est par essence gratuité... c’est d’ailleurs ce que nous contemplons depuis Emmaüs, un Dieu qui se retire après la fraction du pain, c’est à dire qui donne sa vie et se retire dans le silence pour préparer la venue en nous de l’Esprit,

Ce Paul, dont nous parle la première lecture, est celui qui en parlera le mieux : "L'amour prend patience, il ne cherche pas son intérêt." (cf . 1 Co 13..)
Si nous sommes unis à la vigne, à cette vigne même que constitue le Christ qui a donné sa vie pour nous, alors notre don ne sera vrai, il prendra patience, ne cherchera pas son intérêt et sera comme le Christ un don total, alors nous aimerons en actes et en vérité, à la suite du Christ, rattachés à sa vigne.
Alors nous entrerons dans cette danse...


L’enjeu, comme le suggère une amie est bien dans ce « Demeurez en moi comme je demeure en vous », qui revient huit fois dans ce passage pour bien insister sur l’importance de ce trait d’union, cette danse, qui nous rend participant à la lumière et l’espérance qui pointe chez Jesus au delà de la trahison qui va suivre. Il est « la lumière (...) venue dans le monde pour que celui qui croit en [lui] ne demeure pas dans les ténèbres » Jn 12 (44-50).

Dieu connaît nos limites. Il nous invite à cette danse tout en sachant que nous ne savons pas danser, alors son message devient un cri à entendre dans la lignée de tous les cris et de tous les agenouillements de Dieu. C’est le cri de l’ amour du père du fils prodigue (Luc 15) : même si vous quittez la vigne, n’oubliez pas mon amour, le pain et le vin versés pour vous, ce fruit de mon amour/ de ma vigne qui vous redonnera le sens profond de l’amour...
Demeurez en moi comme je cherche à genoux, à demeurer en vous...
Le Christ parle à des disciples qui vont le quitter, le trahir...
Il vient de leur laver les pieds et il va mourir pour eux —- et pour nous —- ces paroles sont comme le cri non prononcé du père du fils prodigue.... va, vis ta vie, mais n’oublie que je t’aime en parole et en vérité...
Laissons demeurer en nous ce souvenir, faisons le habiter en nous...
Car nos vies ne porteront fruits, ne seront en vérité que si Dieu demeure en nous. Pas par un rite, un bref passage dominical à l’Église pour nous rassurer mais parce que Dieu aura SA place en nous, habitera chacun de nos actes....
Ouvrons nos mains, mes surtout nos cœurs à ce Dieu qui se donne...

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(1) cf. Zumstein tome 2 p. 98
(2) Zumstein évoque une hypertextualité et une métaphore qui danse pour moi avec les métaphores vives de Ricoeur.
PS :  Lire jean 15 ne peut se faire qu’à la lumière de cet agenouillement extraordinaire de Jean 13... son discours est loin d’être anodin, car il est encadré par un pont théologique entre l’agenouillement et la croix, le premier étant, comme je le rappelle à la suite de XLD. (4) qu’un mime de cette vigne à venir, coupée de ses sarments les plus chers et versant, au prix le plus fort, un vin nouveau qui devient fleuve au sens d’Ezechiel 47...
Il faut donc entendre derrière le cri...






(3) cf. sur ce thème les travaux de Mauss ou Jean Luc Marion, Étant -donné, op, cit.
(4) cf. Xavier Léon Dufour et son commentaire de Jean tome 2
PS : merci à l’amie fidèle, qui par ses suggestions donne du relief à ces essais d’homélies et en font un travail « collégial »

27 avril 2021

Lectures pastorales - livres en téléchargement libre


Comme annoncé je bascule progressivement toutes mes « lectures pastorales » en téléchargement gratuit sur kobo (cf.lien) et  sur Fnac.com.

Sont déjà disponibles plus de 5000 pages en dix-huit volumes très différents :
  1. La réédition de « danse trinitaire », un petit essai d’une cinquantaine de pages publié il y a 10 ans et que je ne cesse de considérer comme central dans une réconciliation entre théologie et pastorale - dire avec des mots simples l'indicible des mouvements de Dieu...
  2. « Retire tes sandales", une petite contemplation (93 pages) rédigée à la suite de ma lecture des 18 tomes de la trilogie d’ Hans Urs von Balthasar
  3. Dieu dépouillé - la compilation de Pédagogie divine et Chemins d'Évangile (1886 pages selon le calcul de Kobo) qui reprend en un volume le coeur de ma contemplation de la dynamique de la révélation qui va jusqu’à « l'agenouillement » de Dieu devant l'homme.(Jn 13 et Ph 2) et intègre notamment les livres publiés sous les titres  « Le rideau déchiré », « Dieu de miséricorde » , « À genoux devant l’homme »
  4.  Serviteur de l’homme - kénose et diaconie, la suite directe de Dieu dépouillé qui poursuit la lectio divina du nouveau Testament et nous conduit au travers des actes des apôtres jusque dans une lecture chronologique des lettres de Paul (dans l’ordre présumé de leur parution) nous permettant de suivre la progression pastorale de l’auteur.
  5. Chemins de miséricorde - une lecture cursive et pastorale de l’évangile de Luc
  6. "KénoseHumilité et miséricorde", Une version en un seul volume (1093 pages) de ma trilogie parue il y a trois ans.
  7. La dynamique sacramentelle, un document présynodal sur l’ouverture de la notion de sacrement à la vie des baptisés 
  8. Le chemin du désert, lecture spirituelle qui accompagne le lecteur sur le chemin ardu d’un dépouillement intérieur à la suite de Luc et Matthieu 4 et des grands mystiques.
  9. Aimer pour la vie, un chemin de spiritualité conjugale, un des premiers écrits de l’auteur sur le thème où il est le plus qualifié (Ancien représentant permanent pour la France de la FICPM), mais aussi le plus démuni - avec 33 ans de vie conjugale au compteur)
  10. Quelle espérance pour l’homme souffrant ? Le mémoire revisité de sa licence de théologie - un travail qui reste fragile tant l’est la question...
  11. L’amphore et le fleuve, un recueil qui développe les thèmes de la liberté de l’homme devant l’amour divin, à la suite de Retire tes sandales et danse trinitaire.
  12. Où es-tu mon Dieu ? - une méditation sur la souffrance 
  13. Dieu n’est pas violent  - une relecture spirituelle des textes de violence dans la Bible
  14. Cette Église que je cherche à aimer - un texte publié il y a quelques années sur les grandeurs et faiblesses de l’Église 
  15. À genoux devant l’homme, la troisième édition de notre lecture de l’évangile selon saint Jean
  16. Pastorale du Seuil, le texte d’une série de conférences données de Beauvais à Gap. 
  17. Pédagogie divine - une relecture pastorale des pas de Dieu dans l’Ancien Testament 
  18. Silo le berger - un conte de Noël écrit pour mon neveu, sur la base de chemins de miséricorde 



Progressivement, l'ensemble de mes lectures pastorales seront mises en ligne gratuitement par ce biais.
A suivre.

Et bien sûr mes romans plus accessibles et notamment, également en téléchargement libre : 
  1. « D’une perle à l’autre (2 tomes) et « le mendiant et la brise » (80 pages au centre des 800)
  2. Le collier de Blanche - un pseudo roman historique à fort contenu théologique...
  3. La danse des anges
  4. Une dernière valse - mon best seller, petite nouvelle de 30 pages... 
  5. etc.







20 avril 2021

Danse avec la nouvelle Ève - 50


«Marie, était fiancée à Joseph; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint.» Matthieu‬ ‭1:18‬ ‭‬

Le commentaire de François Cassingena-Trévedy  soulève chez moi plusieurs vagues contemplatives. Écoutons-le d’abord : « Inventa est un utero habens de Spiritu Sancto » - l’homme découvrit que la femme avait quelque chose dans le ventre. Au milieu de sa province la plus familière, l’homme découvrit que la femme était une terre habitée. Et lui, l’homme du petit pays, il découvrait que la femme était habitée par l’étranger, par l’inconnu. La femme tenait du Saint-Esprit. La femme était toute chose. La femme depuis quelques temps avec quelque chose d’étrange. Quelque chose d’autre. Quelque chose. Et l’homme, un instant égaré dans le sous-bois de la femme, ne savait pas encore que cet indéfini était l’Infini même. (1)


La profondeur de ces textes suscite souvent des résonances. Ici, j’ai été un pas plus loin puisque cela rime avec d’autres échanges que je vous partage ce soir.

 

1er pas de danse

C’est peut-être ce cri de l’homme devant la femme au jardin d’Eden, cet autre, ce vis à vis(2), à la fois différente et fait de la même chair, qui nous conduit à percevoir à la fois l’altérité et notre vulnérabilité (3).

Il y a pour nous les « terreux », quelque chose à méditer qui vient fissurer nos désirs de puissance, de pouvoir et d’autorité. Elle est là, fragile parfois, vulnérable souvent, elle interpelle notre moi profond par sa différence et sa sensibilité, souvent plus intérieure, qui réveille chez nous notre propre sensibilité, ce qui peut être féminin en nous et que nous n’osons voir... premier pas d’une symphonie à construire.

 

2eme pas de danse

C’est peut-être, plus loin encore que la première Ève, cette Marie qui porte en elle l’Infini de Dieu. Première inhabitée qui interpellera toujours nos propres tressaillements intérieurs. Sans idolâtrer la « première en chemin », il faut considérer combien elle trace une route pour nous, dans cette capacité à recevoir Celui qui veut demeurer chez nous, Celui qui descends de Jérusalem à Jéricho, aux plus profond de nos sous-bois, pour dire comme à Zachée : je veux habiter chez toi. Comment recevons-nous le Verbe qui s’invite dans nos rendez-vous espacés pour danser avec nous la triple valse du croire, de l’espérance et de l’amour. Ève nouvelle qui va porter dans sa chair, le glaive d‘une présence jusqu’aux « jointures de l’âme » (Heb 4,12) et la double Pâques de l’enfantement et de la mort du Fils. Chemin qui précède notre capacité à traverser la souffrance ? (4).

 

3eme pas de danse

Peut-être cet hommage aux femmes délaissées, ignorées, méprisées par une Église qui ne cesse de croire que Jésus ne se conjugue qu’au masculin sans percevoir combien la communion et la collégialité polyédrique passe par le relèvement du féminin pour qu’enfin nos Églises retrouvent la dimension première qu’elle a perdue depuis Hippolyte de Rome (5)

 

4eme pas de danse

C’est peut-être contempler, à la suite de l’invitation du pape François, l’humilité de Joseph, silence qui permet la naissance de l’Infini chez l’autre

 

5eme pas de danse

Voir en l’autre la flamme fragile de l’Esprit qui couve doucement au cœur du silence les graines délicates semées par le Verbe, pour que le dit murmuré par Dieu devienne un Dire au sens lévinassien (6)

 

6eme pas de danse

C’est plus essentiellement la contemplation de cette danse trinitaire qui se prépare. « Les mouvements en Dieu, le simple amour du Père et du Fils ne produit qu’une « binité » (Binität). Ce qui manque, ajoute Hans Urs von Balthasar, c’est « le miracle de la fécondité, du cadeau qui dépasse l’un et l’autre ». (7) On ne peut s’empêcher de penser, quand on a la joie d’être père, à ce « toujours plus » que constitue l’enfant. Car c’est bien de la même « image et ressemblance » qu’il s’agit. Le conjugal s’épuise quand il est tourné sur soi-même et qu’il n’intègre pas le don, ce débordement que constitue toute fécondité, dont l’enfant naturel n’est que la face la plus visible.

À partir du don de l’enfant se prépare celui de l’Esprit que la liturgie nous prépare lentement à recevoir, cet Esprit envoyé au monde, invitation non contraignante à un retour. Rêve de Dieu (8) ? que l’homme réponde par sa danse à l’invitation que lui fait la danse trinitaire (9).


7eme pas de danse... suggéré dans le cadre d’une autre discussion avec Marie-Odile Dervin  qui avait « une pensée pour les couples qui ne connaissent pas la joie de donner la vie. Quand le sacrement de mariage donné l’un à l’autre se vit sous le regard de Dieu, la relation devient fécondité. »


Une belle remarque que celle-là ! Pour avoir souffert de cette non fécondité charnelle avec mon épouse - je danse avec cette idée... La fécondité est un concept large qui dépasse de loin celle de la naissance d’un enfant et en même temps elle est déchirement et vulnérabilité, soit parce que l’enfant ne vient pas (ou ne vient plus, c’était notre cas, Dieu nous ayant fait deux beaux cadeaux), soit parce que l’enfant qui naît est différent de notre rêve et nous fait grandir en grandissant...

Dieu élargit toujours notre regard, lui qui est source de nos fécondités...

Il faut néanmoins souligner combien la stérilité est d’abord souffrance. Comme toute souffrance elle passe d’abord par une saine révolte, un cri, une nécessaire conversion intérieure avant de trouver en soi l’embryon d’une réponse, souvent délicate à articuler avant de devenir chemin d’espérance. Là Dieu devient aidant.


L’enjeu de ce septième pas serait alors de trouver une fécondité commune - par l’enfant, mais plus largement par tous les fruits que Dieu nous confie et qui deviennent par nos mains une co-création...


Huitième pas de danse qui reprend celui de toute la valse (proposée par Sylvaine Landrivon, suite également à un bel échange) :

« Mouvement de danse qui commence, en effet, par la stupeur du masculin se reconnaissant autonome face à celle qui se tient devant lui, à la fois semblable et autre, issue de la même chair du premier humain. Tellement proche et pourtant si différente que cet humain, devenant « il » en vis-à-vis de celle qui naît à l’être « elle », ne sait comment entrer en dialogue ni comment s’en dissocier autrement qu’en se l’appropriant par une série de dangereux possessifs « os de mes os, chair de ma chair »

Est-ce que le masculin n’est  pas souvent  en train de lutter contre cette emprise inaugurale, sauf dans l’union des corps où se lâche sa crainte d’être privé d’autrui? 

Il ne pourra sortir de la solitude délétère qui l’enferme et n’apprendra à danser qu’en apprivoisant le rythme de la création jusqu’à ce que murmure en lui l’appel d’une valse nouvelle. Il parviendra enfin à ce à quoi ils sont tous deux appelés : une valse à trois temps, symphonie réorchestrée par les valeurs théologales que sont l’amour, la  foi et l’espérance.

 

Dieu est bel et bien le musicien dont parle Saint Irénée. La « mélodie harmonieuse »  (A.H. IV, 20, 7) que Dieu compose est nécessaire à la réalisation de l’œuvre, et n’a d’autre but que de faire danser la vie jusqu’à la divinisation de ses créatures humaines. Il nous envoie son Fils pour nous emporter dans les ondes de l’Esprit. Et la valse commence.

Au premier temps de la valse, se dit l’amour de Dieu qui, dans la création nouvelle, vient s’incarner dans le corps consentant de Marie. Femme puissante porteuse du poids (kavôd = pesant et sacré) du Dieu Unique, elle porte le Verbe qui irradie dans l’intimité de sa toute faiblesse humaine. Il vient révéler la dimension trinitaire et universelle  du Don.

Au deuxième temps de la valse, Joseph unit ses pas aux siens et sa foi virevolte dans la lumière de la bonne Nouvelle, conjuguant les charismes du masculin et du féminin pour assurer l’harmonie qui vibre dans l’inouï du don offert. Au troisième temps de la valse, la promesse de joie éternelle par le salut à jamais donné, enlace la communauté d’amour dans l’espérance apaisante.

« Rêve de valse » ou « Apothéose de la danse », il faut savoir danser sa foi comme Claude Hériard nous y invite, car la danse est la plus belle des métaphores pour exalter la beauté des harmoniques masculines et féminines au service de la gloire de Dieu.(10) ».


À méditer...


Le 9eme pas de danse que suggère ce 8ème pas est peut-être ce à quoi nous conduit tout cela, ce double agenouillement du Fils et de sa mère, « pas de danse » kénotiques où l’un et l’autre s’effacent devant l’infini de Dieu à venir, entrent dans le vrai silence, celui de l’intime et en cela dans un « fiat » à deux voix, un « tout est accompli », avant de s’effacer comme à Emmaüs et nous conduire, en « Galilée », au bout d’un long chemin, à entrer aussi dans cette kénose tant attendue de l’Église qui seule rend possible une véritable harmonie entre l’homme et Dieu...


10eme pas de danse qui nous ramène à François Cassingena-Trévedy qui fait écho au premier texte d’où est partie cette valse, de Jésus qui « dans sa mort, les yeux ouverts et loin de chercher à rentrer, à régresser dans sa mère, nous la donne [au contraire], mais incomparablement plus large » (11). Que veut-il nous dire ? Peut-être que cette matrice nouvelle est dans l’oxymore de l’effacement et de la proximité, un royaume « ouvert », un Corps, une cathédrale fragile dont nous sommes les pierres vivantes, chacune utiles, chères aux yeux de Dieu, comme nous le rappelle le pape Francois dans son insistance sur le polyèdre...


« En confiant l’un à l’autre le Bien-aimé et Marie, Jésus sur la croix offre l’universalité au peuple d’Israel que symbolise sa mère. Il donne ses fondations à notre Église précisément là... et annonce ce qu’il dira ensuite à la Magdaléenne : Son Père devient Notre Père parce que, par le lien nouveau créé à la croix, nous sommes tous devenus les frères et sœurs du Christ » (10).


Je ne trouve pas encore de 11 eme pas de danse..., à vous de l’écrire 😉

 


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III, op.cit. p.101

(2) cf. Sylvaine Landrivon, La femme remodelée

(3) voir mes échanges récents avec Isabelle Laurent et son mémoire « Vulnérabilité et unité de la personne

Une lecture des tentations du Christ au désert » Mémoire de licence canonique de théologie, Septembre 2017

(4) cf. mon « Quelle espérance pour l’homme souffrant ? »

(5) cf. sur ce point Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018.

(6) Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Poche, 1975?

(7) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, III – L’Esprit de Vérité p. 39

(8) j’emprunte cette belle image du rêve de Dieu à François, in Un temps pour changer

(9) cf. mon livre éponyme

(10) Sylvaine Landrivon, inédit 🙂

(11) Étincelles p. 109

15 avril 2021

Homélie du troisième dimanche de Pâques


Que se passe t il ce soir de Pâques ?
Jésus est ressuscité disent les pèlerins d’Emmaüs, mais les disciples sont encore frileux, peureux, enfermés dans le passé. 
Ils n’ont pas été accompagnés dans leur marche jusqu’à la fraction du pain, n’ont pas encore reçu cet Esprit qui les rendra libres...
Une petite image personnelle si vous le voulez bien.
Le jour de Pâques trois belles tulipes ont jailli de mon jardin, mais le froid est revenu et les voilà couchées à nouveau sous la neige ou le froid. 



Et tous les matins je les retrouve couchées et tremblantes.
Le printemps tarde à venir.
Qui va gagner, l'hiver ou le printemps...? 

Et nous, où en sommes-nous dans nos vies ?
Nous sommes encore, parfois, comme les disciples, dans l'entre-deux.
Christ est ressuscité mais l'est-il pour autant en nous ?
Les textes de ce dimanche traduisent cette opposition. Pierre dans les Actes évoque le reniement des chrétiens, Jean dans sa première lettre évoque le péché qui nous éloigne. L'Evangile reprend le doute des Apôtres.
De quel côté sommes-nous ?
Jean donne une piste qu'il ne faut pas négliger : garder la Parole en nous. Se laisser habiter...
La laisser creuser en nous la place essentielle, première, ranimer en nous l'étincelle qui rallume en nous l'espérance que Dieu a mis en nous par la grâce de notre baptême...

Laissons germer en nous les paroles de Jean, comme une éternelle interpellation :

En celui qui garde sa Parole, Dieu ouvre l'intelligence de l'Ecriture.

En celui qui garde sa Parole, Dieu mettra la force de croire...

En celui qui garde sa Parole, l'amour de Dieu atteint sa perfection...

Le but du chemin c'est Jésus, vrai homme et vrai Dieu.
Vrai homme comme Jésus lui même le souligne dans l'Evangile. Mettez le doigt dans mon côté, laissez moi manger avec vous, partagez votre vie.
Vrai Dieu parce qu'il reste en même temps divin, au delà de nos adhérences au mal, charité espérance sur notre chemin.

Laissons germer en nous les paroles de Jean, comme une éternelle interpellation :

En celui qui garde sa Parole, Dieu ouvre l'intelligence de l'Ecriture. Que faisons nous de cette Parole ? Reste-y-elle sur nos lèvres où vient-elle bousculer notre vie ?

En celui qui garde sa Parole, Dieu mettra la force de croire.
Manquons nous à notre devoir d’espérance ? Laissons nous Dieu relever nos âmes frigorifiées par le froid du monde comme mes tulipes transies chaque matin, ? Où sommes-nous vraiment porteurs de cette petite espérance dont Dieu nous comble ? 

En celui qui garde sa Parole, l'amour de Dieu atteint sa perfection... comment laissons nous l’amour prendre le dessus ? Est que la Parole est l’engrais de nos actes. 

Levons nous, marchons, soyons témoins ! 
Dieu n’a pas besoin de nous disent les théologiens...
J’ose aujourd’hui aller un pas plus loin. Dieu peut se suffire à lui même mais il ne rêve que d’une chose, c’est que nous entrions dans sa danse. 
Dans cinq minutes vous allez avancer vers l’autel, comme nous le faisons maintenant depuis près d’un an. Que cette marche ne soit pas un geste banal, mais qu’il exprime votre désir d’avancer, de choisir de croire, de choisir d’aimer... de choisir d’espérer....
Il est ressuscité !
Creusons en nous cette place pour Dieu, que sa présence réelle, que notre ouvre aux Écritures, nous rendent capables d’accueillir l’Esprit....



Quelle Église pour le XXIe siècle? - 46.2

Nous sommes nombreux à s’interroger sur l’avenir de notre Église. J’évoquais déjà l’ecclésiologie du « Reste » avec ses limites que l’on trouve déjà dans 1 Rois 19, dans mon billet 46 (et notamment l’illusion fréquente d’être seuls gardiens d’une vérité). Je vous signale dans La Croix de jeudi dernier, le bel article d’Elodie Maurot sur le livre d’Hans Joas et notamment sa conclusion qui articule « quatre enjeux pour le christianisme : 

1. développer une éthique universaliste de l’amour capable de répondre aux différentes formes d’individualisme ; 

2. défendre la personne contre le retour d’une vision scientifique naturaliste et réductrice de l’humain ; 

3. maintenir une spiritualité à forte dimension communautaire où l’Église est une « communauté qui rend possible l’individualité » ;

4. rappeler l’idée de transcendance contre tous les phénomènes d’auto-sacralisation totalitaires. »(1)

Un chemin qui va s’avérer difficile si l’on en juge les clivages actuels.

Je suis personnellement sensible aux points un et trois ... et preneurs de vos commentaires.


En attendant je poursuis mes citations de ce journal : « Soit l’Église est communion et exprime donc la paternité qui la garantit, soit elle risque de devenir une simple force sociale ou politique, ou bien une organisation de philanthropie », écrit le cardinal de Bologne dans le même journal. Il martèle : « L’Évangile, j’insiste, désamorce la haine à la racine. »(2)

Doit on désespérer ? Attendre le salut d’ailleurs.

Je crois personnellement au retour aux sources :


En suivant l’intuition de Joseph Moingt, dans notre désert rural, une maison d’Evangile où l’on ne partage pas le pain mais un bon gâteau et l’Evangile redonne du souffle et notre Église reprend goût à partager. Le souffle de l’Esprit ne viendra pas forcément de l’étranger.. c’est à nous de le faire revivre... 😉 théologie du Reste ? 

C’est en tout cas l’intuition de Moingt ou de Theobald dans la Creuse, le chemin tracé dans le diocèse d’Arras avec leurs fiches de lectures. Ne baissons pas les bras !

(1) Dans le vif du christianisme, Élodie Maurot, La Croix du 8 avril à propos de « La foi comme option. Possibilités d’avenir du christianisme » de Hans Joas, Salvator.

(2) cardinal Matteo Zuppi, Tu haïras ton prochain. La fraternité n’est pas négociable Salvator, cité également dans La Croix du 8/4/21 


PS : voir aussi dans le journal de vendredi l’article sur le diocèse de Versailles et ses contrastes - et l’excellente initiative lancée là bas par l’ESE...

12 avril 2021

Transfiguration et résurrection - danse 49.4

Pourquoi ont ils fuit ?

Aurions nous fait mieux ?

Au delà d’une interpellation personnelle, en ce dimanche de la miséricorde, Il faut plutôt se plonger dans l’histoire de la révélation, dans le jeu subtile et délicat des théophanies pour percevoir la lente pédagogie divine qui bouscule les frontières du déductible, démonte les stèles antiques, les dieux vengeurs ou ceux qui exigent des sacrifices (Gn 22), les dieux sacrificiels qu’évoquent le Ps 50 ou Os 6, les dieux triomphants du début de l’Exode 16 et 22, pour aboutir à la contemplation de dos d’Ex 34 ou le chant des anges, murmure léger d’un fin silence d’1 Rois 19, antichambres du mystère entrevu lors de la transfiguration où sont conviés les deux héritages, avant de réaliser que d’un galiléen venu de nulle part est seule et parfaite image et ressemblance du vrai Dieu. Que de chemins, que de déceptions chez Judas mais aussi chez Pierre avant de parvenir à concevoir que le Dieu dépouillé, déchiré est ce que nous cachait Dieu derrières les dorures, les diamants ou le rideau du Temple. Au lieu des ors, c’est un Dieu à genoux que nous révèle la Croix. 

Agenouillement, écartèlements d’un Dieu qui accepte de rompre Son Pain et verser Son Corps pour la multitude. 

Ici la multiplication des pains et le lavement des pieds dansent ensemble une symphonie légère, loin des rites trop chargés et des paroles figées pour nous conduire à l’essentiel. Dieu déchire de haut en bas le voile car tout est dit dans ce corps transpercé, que Thomas peut toucher du doigt car l’ouverture est totale, non refermable. De lui coulera toujours ce torrent joyeux (Ez 46) et ce souffle nouveau qui prépare une flamme encore légère mais bientôt radieuse - celle de l’Esprit répandu pour nous, afin que nos âmes assoiffées se brûlent en lumière et amour... 

Vœux pieux ? Poétique stérile ?

Cela ne dépend plus de Lui. Tout est donné car dans l’effacement du Verbe se glisse l’appel ténu d’une flûte qui continue son chant imperceptible et appelle à la danse. 

Si tu veux... Ego eimi  (Je suis) donné pour faire de toi un porte-Christ, le nouveau temple d’un Dieu dépouillé (2), pierre vivante d’un anti-royaume, appel du visage, et fruit du silence...



11 avril 2021

Frémissements intérieurs - danse du Verbe 49.3

Apparitions fragiles du ressuscité, progression notée dans le nombre des témoins, comme si Dieu n’osait pas s’affirmer dans sa gloire de transfiguré...

La brise légère des théophanies se poursuit de peur de forcer notre liberté toujours première.

Au cœur des visitations de la Parole en l’homme, de frémissements en tressaillements*, se creuse au sein de l’être une place sublime et fragile, celle du Corps qui sème en nos cœurs ces déchirements nécessaires où Dieu peut se glisser pour féconder nos terres encore vierges.

C’est quand nous acceptons d’être vulnérables, quand nous reconnaissons nos fragilités que Dieu se glisse, courant d’air (1) fragile pénétrant silencieusement au cœur de notre intérieur délaissé.

Ruminations, manducations...

Buissons stériles qui d’un seul coup deviendront ardents quand le feu envahira sans détruire. 

Joies d’abord fugaces de ces rencontres, où la distance est de mise (« ne me touche pas ») pour préparer la véritable communion du Verbe avec l’âme impatiente...

Les pas de Dieu sont toujours fragiles, comme les traits tracés sur le sable en Jn 8, loins du doigt de Dieu de l’AT qui gravait les tables de Pierre. Quel est l’enjeu ?

Comme une vague douce vient fissurer la roche de nos falaises hautaines, Dieu cherche la faille.

« Tu étais là et je ne le savais pas. » découvre Augustin...au bout du voyage (2).


Le corps se fait Corps quand nous percevons, essentiellement, la symphonie à laquelle Dieu nous convie.


De même, la Parole qui n’est pas échangée se meurt. 

Partagée elle devient vie, prend chair, s’enrichît, s’éclaire et éclate en Exultet pascals...

Nous ne pouvons l’enfermer dans nos exégèses, la faire entrer dans nos « cases » sans risquer d’en abîmer la profondeur et pourtant il nous semble essentiel d’en faire résonner les accents et les facettes multiples.

Henri de Lubac, dans son exégèse médiévale, comme Hans Urs von Balthasar dans sa trilogie avaient raison d’insister sur la polyphonie et la symphonie des Écritures. Le plus grand crime est pour moi de croire qu’il n’existe qu’une version littérale quand le Verbe reste Dire... loin du Dit, réduit et réducteur (3) Lévinas soulignait aussi cela, jusqu’à oser dire que la vérité serait accessible quand les chrétiens arrêteraient de monopoliser le feu (4). Une affirmation qui ne cesse d’interpeller.

Le Verbe n’appartient à personne, se joue de nos cadres, souffle où il veut... les semences du Verbe et de l’Esprit sont comme les graines livrées à la brise légère du Printemps... Don du grand Donateur qui s’efface dans le silence mais continue de semer discrètement sans atteindre notre liberté...

Il est chemin, vérité et vie quand le monde ne cesse d’en découvrir l’immensité.

Dans « L’Amphore et le fleuve »(5)  je prolongeait Ez 46 et Bonaventure pour décrire l’homme debout cherchant à recueillir dans ses mains fragiles le don immense jailli d’un cœur ouvert et jaillissant d’eau vive et de sang versé, mélange sublime de vie et d’amour, d’Esprit et de feu versé comme la lave infinie d’un volcan éternel...


« Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique. Vois ! Je mets aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. 

Ce que je te commande aujourd’hui, c’est d’aimer le Seigneur ton Dieu, de marcher dans ses chemins, de garder ses commandements, ses décrets et ses ordonnances. Alors, tu vivras et te multiplieras ; le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays dont tu vas prendre possession. » Dt 30, 14-16


Venez le repas est servi... la table est prête...(6)


(1) expression que j’emprunte à François Cassingena-Trévedy dans son excellent livre de « Pour toi quand tu pries »

(2) confessions, ch. VIII

(3) Emmanuel Lévinas, autrement qu’être ou au delà de l’essence

(4) Éthique et infini

(5) cf. Kobo / Fnac

(6) j’en profite pour rappeler l’expérience fragile sur FB de cette Maison d’Evangile - La Parole partagée que j’anime depuis quelques mois et qui compte maintenant près de deux cent participants : https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/


*sur les tressaillements voir mon billet n.20 et ma longue web série sur mon blog


Rappel : mes billets forment un tout en construction encore fragile - éternel quête ou danse à laquelle je vous invite, conscient d’être loin de « l’avoir saisi » (Ph 3)





09 avril 2021

La kénose de Pierre - danse 49.2

L’évangile d’aujourd’hui, bien que triste saucisson du chapitre 21 de Jean nous conduit bien loin.

Simon-Pierre veut pêcher tout seul ou entre amis, mais les poissons ne sont pas là. N'est-ce pas la leçon de Dieu face à nos ambitions humaines. « Cette nuit-là, ils ne prirent rien » (Jn 21, 3). 

Dans une lettre à Louise Brunot, Madeleine Delbrêl insiste sur l’importance de mourir à nous-mêmes afin que nous puissions renaître dans le sens développé par Jean 3, 5-7. Pour elle notre naissance se fait « à proportion » de notre mort. C'est-à-dire que tout abandon, de l'obéissance à notre père spirituel  jusqu'au renoncement à « obéir au métro qu'on rate », est à la fois obéissance au monde, renoncement à « sa volonté propre » et de ce fait abandon de notre autonomie pour se couler dans le vouloir de Dieu sur nous. Plus qu'un regard mystique sur le monde, c'est aussi une hygiène de vie, un retour au centre. « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux » (Luc 22,42 // Matt 26,42). Leçon d’humilité qui nous rend réceptifs à la miséricorde.

Pourquoi évoquer tout cela à propos de la pêche miraculeuse ? À la question de Jésus sur le rivage : « Enfants, n'avez-vous rien à manger ? », ils doivent reconnaître l'échec de leurs volontés humaines. Ce n'est finalement qu'en obéissant à l'ordre du Christ que se révèle les dons de Dieu. Une leçon intérieure qui se poursuivra pour Pierre, comme on le verra, jusqu'à sa fin : « tu étendras la main et c'est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira jusqu'ou tu ne voudras pas ». (v. 18)

Il nous faut passer au-delà de l’illusion de se croire capable seul de réussir, ébaucher une démarche de pardon, de mise à nu. Comme il est dur, souvent de consentir, alors que l'illusion de notre valoir nous semble justifier nos actes. Et pourtant nous ne sommes que des serviteurs, instruments fragiles d'un plan de Dieu qui nous dépassera toujours.

9. Quand ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson mis dessus, et du pain. 10. Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » 11. Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. 12. Jésus leur dit : « Venez et mangez. » Et aucun des disciples n'osait lui demander : « Qui êtes-vous ? » parce qu'ils savaient qu'il était le Seigneur.

13. Jésus s'approcha, et prenant le pain, il leur en donna; il fit de même du poisson.

14. C'était déjà la troisième fois que Jésus apparaissait à ses disciples, depuis qu'il avait ressuscité des morts.

Notons, en passant, que John P. Meier considère que la version de Jean de la pêche miraculeuse est probablement plus plausible que celle placée par Luc avant la mort de Jésus, même si Jean a instillé dans le texte, comme en Jn 11, un important ajout théologique et symbolique que nous commentons plus loin.


La contemplation du Dialogue avec Pierre Jean 21, 15-25 nous conduit plus loin. 

Il est dangereux de couper le chapitre alors que l’ensemble du récit à sa structure propre. Rappelons le contexte. Il y a d’abord l’opposition nuit/jour que nous avions déjà notée entre Nicodème et la Samaritaine. Ici, comme nous l’avons vu, la nuit du pêcheur a été stérile et c’est à l’appel du Christ que la pêche devient féconde.

Il y a ensuite la symbolique du vêtement. Pierre est à nu (v. 8). Il ne se cache plus derrière son assurance. Depuis son reniement, il est probablement couvert de honte. C’est à ce moment-là que Jésus choisit l’ultime appel. Le dernier « où es-tu ? » vient le relever. Il passe un vêtement, mais est-ce suffisant ? Il lui faut plonger dans la mer pour accéder au repas. Est-ce une allusion au baptême de l'Église ?

Le questionnement montre qu’il a encore du chemin à parcourir jusqu’au décentrement final où l’amour pourra être un amour d’agapè et d’une certaine manière, un « lavement des pieds » au sens où il devient imitation de « l’amour-serviteur » de Jésus :

« Quand tu deviendras vieux, un autre te ceindra et t’entraînera, là où tu ne veux pas aller ». Jn 21, 18.

Ramenée à l'Église, cette dernière arche fait résonner ce que nous avons découvert, dans cette longue traversée de la Passion. Au pas de Dieu qui s’agenouille devant l’homme doit répondre ceux de l’homme vers Dieu. Il ne peut en tirer gloire, puisque Dieu seul emplit les filets. Mais au bout du chemin sera la pêche abondante, le repas partagé et la gloire de voir Dieu…

Pierre, lors du lavement des pieds, n’avait pas saisi l’enjeu du geste. Il restait crispé sur l’apparence. Ce que nous fait découvrir l’ensemble du récit, c’est que l’invitation du Christ n’est pas rituelle, mais totale. Ce qui est demandé à l’homme, par l’agenouillement de Dieu, est d’entrer dans une réciprocité totale, une participation à la danse trinitaire qui va jusqu’à l’amour total, sans limites, et peut conduire à la croix, non comme un autosacrifice, mais comme la conséquence d’un dépouillement, d’un décentrement de l’homme, jusqu’à l’extrême, en Dieu.

Au bout de cette traversée, nous retrouvons un schéma qui traverse l’ensemble de nos recherches, celle de la « descente de tours », ce lieu où l’homme, en quittant toutes ses certitudes, y compris pour Pierre, l’illusion de tenir dans l’adversité, parvient à la nudité d’une rencontre, « sous la tente légère ». En rencontrant Jésus lui-même dépouillé de sa toute-puissance, il parvient à l’entre-vue véritable, celle d’un Dieu aimant.

C’est ainsi que ce dernier pont peut nous apparaître, comme une révélation finale :

Décentrement                            Réception

Ils étaient nus Gn 2                Don du Jardin

Où es-tu ? Gn 3                Don de la vie

Retire tes sandales Ex 3                     Je suis

 Retire tes vêtements Ex 33     Tente de la rencontre

Il retira son vêtement Jn 13 Il lave les pieds

Ils lui enlevèrent sa tunique Jn 19

J’ai soif

        Tout est accompli

     Jaillissement du cœur

     Tombeau vide Jn 20

       Don de l’Esprit Jn 20


Le Seigneur ne demande pas plus que ce que nous pouvons porter. Il considère chacun comme s'il était la perle unique en qui il avait mis tout son amour.  Contemplons le dialogue sublime qui réunit Pierre avec Jésus au bord du lac de Tibériade. Le dialogue commence par une subtilité des deux verbes grecs utilisés par Jésus dans son questionnement.  Il demande d'abord si Pierre l'aime d'amour (agapas me) avant d'utiliser le verbe qu'utilise Pierre à chaque fois pour lui répondre. Philo te ! Je t'aime d'amitié.  

On sait que Pierre sort de son reniement,  qu'il doit avoir la honte du fils prodigue, qu’il a plongé nu dans la mer – un geste à la forte symbolique baptismale – pour se présenter devant le Seigneur et pourtant Jésus se remet à genoux devant lui, en le rejoignant dans ses mots mêmes. Et lui dit "paix mes brebis".

Écoutons ce commentaire de saint Augustin : « Le Seigneur demande à Pierre s'il l'aime, ce qu'il savait très bien ; et il le lui demande non pas une fois, mais deux et même trois fois. Et chaque fois Pierre répond qu'il l'aime, et chaque fois Jésus lui confie le soin de faire paître ses brebis. À son triple reniement répond une triple affirmation d'amour. Il faut que sa langue serve son amour, comme elle a servi sa peur ; il faut que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'elle l'a été devant la menace de la mort. Il faut qu'il donne une preuve de son amour en s'occupant du troupeau du Seigneur, comme il a donné une preuve de sa timidité en reniant le Pasteur. »

N'est-ce pas nos tentations pastorales,  qui ne sont autres que celles que Mat 4 décrit au désert.  L'avoir, le pouvoir, le valoir.

Saint Augustin poursuit : « Ceux qui s'occupent des brebis du Christ avec l'intention d'en faire leurs brebis plutôt que celles du Christ se montrent coupables de s'aimer eux-mêmes au lieu d'aimer le Christ. Ils sont conduits par le désir de la gloire, de la domination ou du profit, et non le désir aimant d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Cette parole trois fois répétée par le Christ condamne ceux que l'apôtre Paul gémit de voir chercher leurs intérêts plutôt que ceux de Jésus Christ (Ph 2,21). »

Prenons le temps de relire  ce texte de Philippiens 2, dans son contexte, c'est-à-dire depuis l'évocation de la kénose du Christ (qui n’est autre qu’une illustration théologique du lavement des pieds évoqué en Jn 13).

« Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé (en grec : ekenosen) lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. (...) Agissez en tout sans murmures ni hésitations, afin que vous soyez sans reproche, simples, enfants de Dieu irrépréhensibles au milieu de ce peuple pervers et corrompu, dans le sein duquel vous brillez comme des flambeaux dans le monde, étant en possession de la parole de vie; et ainsi je pourrai me glorifier, au jour du Christ, de n'avoir pas couru en vain, ni travaillé en vain. (...) Car je n'ai personne [hormis Timothée] qui me soit tant uni de sentiments, pour prendre sincèrement à cœur ce qui vous concerne; tous, en effet, ont en vue leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (Ph2, 5-8, 14-16, 20-21) ».

C'est dans l'esprit kénotique de Paul et sous l'éclairage de la triple tentation (Mt 4 / Lc 4) que l'on peut entendre l'évêque d'Hiponne. « Que signifient, en effet, ces paroles : « M'aimes-tu ? Pais mes brebis » ? C'est comme s'il disait : « Si tu m'aimes, ne t'occupe pas de ta propre pâture, mais de celle de mes brebis ; regarde-les non comme les tiennes, mais comme les miennes. En elles, cherche ma gloire, et non la tienne ; mon pouvoir, et non le tien ; mes intérêts, et non les tiens »... Ne nous préoccupons donc pas de nous-mêmes : aimons le Seigneur et, en conduisant ses brebis vers leur pâturage, recherchons l'intérêt du Seigneur sans nous inquiéter du nôtre. »

À nous les pécheurs pardonnés, Jésus nous met l'anneau,  nous revêt du manteau du pardon (Luc 15) et nous comble de sa grâce. Louange et gloire à notre Dieu.