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30 juillet 2019

Nuit et solitude périphérique ? - 8

La suite de la lecture de l'œuvre de Mère Térésa sous le regard de F. Marxer interpelle notre vision du monde actuel, de cette victoire apparente de l'athéisme comme de nos solitudes à sa périphérie.
On rejoint pour lui la lucidité prophétique de Dietrich Boenhoffer : « Dieu nous fait savoir qu'il nous faut vivre en tant qu'hommes qui parviennent à vivre sans Dieu. Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Mc 25, 34 : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?) (...) Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Ce à quoi réponds le « qu'il est douloureux d'être sans lui » de mère Thérèsa. Ainsi la nuit serait-elle la condition évangélique de l'existence chrétienne dans la modernité d'aujourd'hui, au prix, selon Bonhoeffer, d'une rupture »(1)

Quelle rupture ? Renoncer à une réussite humaine, voire cléricale, pour « se mettre pleinement entre les mains de Dieu » (...) « prendre au sérieux [les souffrances des hommes et] de Dieu dans le monde [et veiller] avec le Christ à Gethsémani (...) c'est ça la foi, c'est cela la metanoia [la conversion] » ultime. (1)

Est-ce que je déforme le message ? Peut-être un peu, à l'aune de ma désespérance sur l'état du monde. Mais pas vraiment sur le chemin, je pense, de la conversion à accomplir.

« Même Dieu ne pouvait pas offrir de plus grand amour qu’en Se donnant Lui-même comme Pain de vie, pour être rompu, pour être mangé, afin que vous et moi, puissions manger et vivre, puissions manger et satisfaire ainsi notre faim d’amour. Pourtant Il ne semblait pas satisfait, car Lui aussi avait faim d’amour. Il s’est donc fait l’Affamé, l’Assoiffé, le Nu, le Sans-logis, et n’a cessé d’appeler (2)

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 457-8

(2) Mère Teresa, Ibid. p. 461

10 juillet 2019

Autoritarisme, cléricalisme (5) et crise de l’Église - Joseph Moingt

Je poursuis ma lecture...

L'analyse que fait J. Moingt de notre Église est sans concession. Elle part d'une longue interrogation sur l'autorité que j'ose retranscrire presque entièrement : 
« Le relâchement du sentiment religieux qui s'était accru depuis deux siècles sous la pression du laïcisme, de la sécularisation et de la philosophie athée, [s'est] répercuté partout où l'esprit du christianisme avait imprimé ses traces, pour les effacer de la société.

Les structures d'autorité de l'Église (…) furent évidemment les premières victimes de ce raz-de-marée : de nombreux prêtres quittèrent leur ministère, des religieux et religieuses abandonnèrent leurs couvents (...) et les communautés paroissiales perdirent également un grand nombre de fidèles, qui ne supportaient plus d'être tenus en tutelle par leurs curés. (...) Il faut donc admettre que la perte de la foi venait principalement du dedans de l'église, d'un refus croissant du discours d'autorité le plus souvent employé par le clergé pour l'imposer au nom de l'obéissance (...) au lieu d'encourager une démarche de foi et de confiance dans la bonté de Dieu. Cela signifie que l'Église enseignait plus volontiers le dieu de la Loi (...) que celui de Jésus, afin de soutenir sa propre autorité (...) de mandatrice de Dieu chargée par lui de répandre  la foi en Jésus son fils. (...) Ce langage était vide de sens pour des esprits désormais formés dans un climat de rationalité critique et de libre examen. (1) 

En suit une considération des faits similaires qui ont conduit à la perte des jeunes, des femmes et des laïcs engagés (Rejets des ADAP) au profit d'une structure encore très cléricale faite de prêtres et de diacres tenant l'autorité(2) au dépit d'un travail plus pragmatique qui redonnerait aux laïcs une véritable mission de co responsabilité. Tout risque de demeurer dans cette illusion que seuls ceux qui sont formés et ordonnés sont les tenants de la foi au lieu d'avoir un véritable sensum fidei, un peuple de Dieu auto-éduqué accompagné et éveillé par une maïeutique véritable...
Quel est l'enjeu ? Une véritable kénose ? L'auteur de « l'Evangile sauvera l'Église » avance en tout cas ses arguments.

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p.43
(2) p.44-47 

09 juillet 2019

L’agenouillement intérieur - Etty Hillesum - Kénose n.165


Être là, Être-avec, accompagner la souffrance et se nourrir dans la prière, tel est le secret d'Etty Hillesum.

Verbatim en 7 verbes ? : 

1. Prier : « Le Seigneur est ma chambre haute »(1), dans cette « baraque » [intérieure], vraie Tente de la Rencontre où bat le coeur pensant » (2).

2. S'abandonner, non pas dans « une résignation, une mort lente (...) mais apporter tout le soutien que je pourrai là où il plaira à Dieu de me placer, au lieu de sombrer dans le chagrin et l'amertume »

3. Accompagner, « se donner en pure présence (3) »
 Offrir sa présence.

4. Irradier vers les autres (3)

5. S'agenouiller, pas toujours dans la flexion du corps mais trouver une « posture intérieure ». (4)
Au coeur de la haine des camps, « le seul geste imaginable ici c'est de s'agenouiller »(4)

6. Écouter : « Ma vie n'est qu'une perpétuelle écoute « au-dedans » de moi-même, des autres, de Dieu. Et quand je dis que j'écoute « au-dedans », en réalité c'est plutôt Dieu en moi qui est à l'écoute. Ce qu'il y a de plus essentiel et de plus profond en moi écoute l'essence et la profondeur de l'autre. Dieu écoute Dieu » (5)

7. Aider : « Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparaît de plus en plus clairement : ce n'est pas toi qui peut nous aider, c'est nous qui pouvons t'aider - et ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes » (6)

C'est peut-être là que l'agenouillement rejoint l'humilité et l'effacement que l'on appelle kénose. Aider Dieu pourrait paraître présomptueux et contraire à la Toute Puissance. Dans le contexte où Etty écrit ces mots dans le camp de Westerbork, il devient limpide. Aider Dieu prend sens et rejoint ce à quoi nous invite la kénose du Fils : Dieu à besoin de nos mains. 
S'il s'agenouille et nous invite à faire de même, c'est que dans le silence du Père et face à la souffrance des hommes, aider Dieu, dans la dynamique des 7 verbes ci-dessus devient chemin pour l’homme.

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 378
(2) ibid. p. 375
(3) p. 378sq
(4) p. 381
(5) p. 384
(6) p. 394

10 juin 2019

L’effacement du Fils - Christoph Théobald - kénose n. 163

Au bout du chemin, on parvient à une chose remarquable : « celui qui est en face – le Christ Jésus s'efface. C'est toute la logique des récits évangéliques. Tout commence ainsi : « suis moi », ou chez Paul : « Imitez- moi. » On s'attache à lui, Christ, Parole de Dieu, par une sorte de « fascination », de « séduction d'amour » ; mais si l'on va jusqu'au bout de cette relation avec lui, il nous conduit ailleurs. Il ne s'attache pas aux gens. Le suivre c'est un sens aller là où il s'efface dans le mystère pascal : « il est bien que je m'en aille » (Jean 16,7). C'est dans la tradition chrétienne, un seuil que nous avons du mal à passer, car beaucoup occupe la « place du Christ », qu'il s'agisse des accompagnateurs, des supérieurs, de l'autorité ecclésiale. Saint Augustin nous dit que, s'il faut écouter la parole des maîtres, celle-ci ne peut être autant assimilé à la Parole de Dieu. Les maîtres autour de nous renvoie à l'Unique Maître qui, lui, passe en nous. Il s'efface, je l'ai dit, tout en nous renvoyant à quelqu'un d'autre, à notre origine, à la Parole de Dieu, au Père. c'est une expérience que j'appelle d'inversion, et qui est peut-être le seuil essentiel de l'expérience d'écoute. (…) On ne regarde plus vers Dieu, mais on se voir regardé par Dieu : « dans ta lumière, nous voyons la lumière » (Ps 36,10). Regarder le réel de ses propres yeux avec les yeux de Dieu, c'est approcher de manière radicalement nouvelles les limites des choses – les souffrances, les tragédies –, mais aussi la beauté des hommes et de la création ». (1)

On rejoint peut-être cet agenouillement de Jean 13 qui nous pousse à l'agenouillement devant l'homme. L'inversion (Christoph Théobald ne parle pas de kénose - mais c'est bien de cela qu'il s'agit) nous fait perdre toute tentation cléricale pour se mettre à l'écoute du Verbe incarné dans l'homme, de la Parole de Dieu qui transparait dans la dynamique propre de sa création et fait jaillir devant nous des fruits inattendus...

Écouter, sentir, contempler. Tels sont les fruits à atteindre d'un effacement à la suite du Christ... Danse trinitaire à laquelle on est invité dans la spirale folle de la triple kénose où Dieu se tait pour laisser place à l'Esprit enfoui dans le coeur de l'homme ?

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 24-25

06 juin 2019

Solitude périphérique - 3

L'enjeu est d'aller au bout du monde à la recherche de ceux qui ne croient plus en Dieu, qui souffrent, qui souffrent sans comprendre. Tel est l'enjeu d'une pastorale du seuil (1) véritable. Le rite n'a pour eux plus aucun sens et pourtant ils sont demandeurs de quelque chose. Quelque chose à trouver, à travailler, à faire naître, à faire revivre.

Comment accueillir ces quêtes, ces peurs, ces besoins de reconnaissance, de bénédictions, de rassemblements, de liturgie qui sont étrangères à tous nos rites et pourtant friands de rituel...

Comment entendre, écouter, faire naître et jaillir, sans imposer, juger, réduire, comparer.

Quelle kénose ? Quelle diaconie ?

Ce ne sont probablement pas les mots qui touchent, mais autre chose, le regard, l’attention, l’écoute, la capacité à les rejoindre comme ils sont...

Le champ reste à labourer et la terre est souvent desséchées, les graines sont en attente, semences dû Verbes enfouies et prête à s’abreuver à la source vive d’un Amour oublié...



(1) cf. mon livre éponyme

30 mai 2019

Nudité et silence - Adrienne von Speyr - Kénose 161 (et déréliction)

Version 2 :
A la nudité à laquelle nous appelle Dieu au début d'Exode 33, Adrienne von Speyr semble, si l'on suit F. Marxer (1) percevoir au bout de la déréliction la « nudité sans recours du Fils abandonné, dont la nuit spirituelle revêtira l'âme de nos mystiques (...) la seule parole qui puisse se déployer est le silence, le silence partagé par le Père et le Fils (...) il est devenu le Verbe muet du Père (...) la chair se meurt, le Père se tait pour ne faire qu'un avec le Fils qui se tait (...) silence de la mort du Fils et silence de la réponse du Père ».

Pourquoi ? veux-t-on crier...
« Adrienne précise et explicite les raisons de cette nuit qui refuse au Fils tout soulagement. Le Père ne persécute pas le Fils selon quelque sadique inclination, mais en accord parfait avec la volonté salvifique du Fils qui n'a pas d'autre choix (...) l'Agapè, par sa seule force, sans aide ni répit quelconque [doit] venir à bout des ténèbres »(1)

C'est, précise F. Marxer, aussi le chemin de Marie de la Trinité et Mère Teresa. C'est aussi l'impasse apparente de tout homme face à la souffrance. Sans explication, sans autre présence que le Silence, l'appel intérieur qui nous conduit à continuer d'aimer, d'espérer et de croire alors que tout nous pousse à fuir. Je citais au début Exode 33. Comme je l'ai longuement montré, ce passage où Moïse cherche Dieu après le veau d'or est clé, il passe par l'échec et la nudité, le quiproquo et l'erreur pour aboutir à la vision...

La nuit qu'évoque Adrienne et qu’il faudrait reprendre plus longuement
n’est qu’une facette de la nuit du combat des ténèbres où le Christ avance seul, première victime innocente de ce qui au XXème siècle deviendra le chaos sans nom du crime organisé. En cela le Silence de Dieu est le prélude d’un grand silence qui dure. De ce silence que dire ? Seule la croix éclaire fragile la violence inouïe des hommes dont nous sommes tous un peu responsables, dès que nous tournons le dos à l’amour.

La croix est le signe inouï de Dieu, Père et Fils. Signe incompris, méprisé, bafoué et pourtant lueur de ce qui est notre Salut...

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 318-9

19 mai 2019

Au fil de jean 13 - Imitation et gloire - Homélie du 5eme dimanche de Pâques - Année C - 2

« Maintenant le Fils de l'homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt. Petits enfants, c'est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres. » (Jn 13)

Qu'elle est la gloire dont nous parle Jésus? La question mérite d'être travaillée en entendant l'Évangile. D'autant qu'elle mérite un énorme déplacement par rapport à notre vision humaine.

Frères et sœurs, cet évangile est court, mais nous conduis au terme d'un parcours inouï celui où Dieu nous invite à grimper sur une haute montagne, celle de l'amour.
Grimper ? Où plutôt descendre ?

Un journaliste que je ne citerais pas parlais récemment de la Tour Eiffel en lui donnant le surnom de Notre dame de fer... Tour de Babel.... pourrais-t-on dire. Il faudrait relire Apocalypse 18 (cf. Plus bas)
pour comprendre peut-être que notre tour à nous, à l’image de Notre Dame est descendue très bas...pour ne laisser qu’une chose, la Croix, visage du Père.

Je vous propose de le lire l’Evangile aussi à l'envers. 

Aimons-nous les uns les autres...
Pas à moitié, en passant, en critiquant par derrière La critique de l'autre trahit notre orgueil, notre jalousie 
Aimons-nous les uns les autres comme
Comme le dit Paul à plusieurs reprises dans ses lettres: imitez moi comme j'imite le Christ. Ce n'est pas sur l'apparence que cela se joue, mais bien dans cette course infinie où je me laisse saisir par lui (cf. Ph 3).
Il est le chemin...
C'est là un commandement nouveau. Il ne s'agit pas d'aimer comme le fond tous les hommes, dans une logique d'échange : je t'aime parce que ou pour que tu m'aimes. Non, la nouveauté du Christ c'est d'entrer dans le don gratuit, immense, sans limites, débordant d'un Dieu qui s'oublie pour se donner jusqu'à la Croix. 
C'est peut-être sous les pas de Jean Vanier que nous avons à chercher le chemin de l'amour gratuit.
Quelle est la découverte de Jean Vanier ? c'est peut-être de regarder les choses à l'envers. Le petit, le faible, le rejeté, le fêlé nous donnes accès à Dieu. 
Le fragile révèle ma fragilité et me fait tomber à genoux devant le petit et le faible.
Comme le diacre Philippe pendu par les pieds laissons nous retourner. La gloire de Dieu, c'est de voir le monde à l'envers des hommes : aimer le petit et le faible. 
C'est le chemin du Christ, la kénose, Écoutons ce que nous dit Paul en Ph. 2. Il s'est abaissé, c'est fait esclave, c'est pourquoi Dieu l'a relevé et lui a donné la gloire. 
Nous en venons à l'Évangile.
À contempler : 
1 le contexte du discours  : le dernier repas, après le lavement des pieds ! À contempler !
2 L'inversion où nous conduit Paul (la kénose) par Paul en Ph 2, 11 : c'est de comprendre que c'est dans l'abaissement et l'humilité que le Christ dévoile sa gloire.
C'est à genoux que Dieu se révèle.

3 Le commandement : aimer vous comme, n'a de sens que sur le comme Difficile, avec nos yeux du XXIème siècle de voir la gloire divine dans le lavement des pieds et la bouchée à Judas. Et pourtant, il faut entendre les deux versets non sous l'angle de la gloire mondaine, mais sous celui de la révélation de la faiblesse divine : en paraphrasant et remplaçant « gloire » (doxa, kabod au sens d'Exode 34) par « lumière de la révélation » on obtient une version peut-être plus accessible à l'homme d'aujourd'hui : « Maintenant le Fils de l'homme s'est dévoilé et Dieu a été révélé en lui comme Dieu humble et aimant. Si Dieu a été révélé en lui, Dieu aussi le/[se] révélera en lui, [et] il le glorifiera aussitôt.»
Quand nous comprenons cette clé de lecture tout s'éclaircit. Il est le chemin. Il est la Vie. 
Cette gloire, d'un amour transpercé, va prendre alors sens silencieusement. Nous pouvons suivre Paul dans sa course. C'est ce que nous révèle la première lecture. L'amour qui nous conduit à imiter le Christ est le royaume nouveau vers lequel il nous conduit. En nous avançant vers l'Eucharistie, nous pouvons dire Me voici. Je veux marcher à ta suite. Je veux m'agenouiller moi aussi. Aimer comme tu nous as aimé.

18 mai 2019

Au fil de Jean 13, 31 - ébauche d’homélie du 5eme dimanche de Pâques - hommage à Jean Vanier

Ébauche n.4 pour samedi...et dimanche (commentaires bienvenus)

« Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.
Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous.
 Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
 À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13)

Quelle est la gloire dont nous parle Jésus?
La question mérite d'être travaillée en entendant l'Évangile.
D'autant qu'elle mérite un énorme déplacement par rapport à notre vision humaine 
À développer : 
  1. le contexte du discours  : le dernier repas, après le lavement des pieds ! À contempler !
  2. La kénose décrite par Paul en Ph 2, 11 : c’est de comprendre que c’est dans l’abaissement et l’humilité que le Christ dévoile sa gloire
  3. Le commandement : aimer vous comme, n’a de sens que sur le comme 
La question légitime m'a été posée en groupe de lecture (lectio divina) sur ces deux versets de Jn 13 : « Νν δοξάσθη  υἱὸς το νθρώπου, κα  θες δοξάσθη ν ατ· ε  θες δοξάσθη ν ατ, κα  θες δοξάσει ατν ν ατ, κα εθς δοξάσει ατόν.» («Maintenant le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui, il le glorifiera aussitôt.») 
Difficile, avec nos yeux du XXIème siècle de voir la gloire divine dans le lavement des pieds et la bouchée à Judas. Et pourtant, à l'aune de Ph. 2,11 et de la kénose, il faut entendre les deux versets non sous l'angle de la gloire mondaine, mais sous celui de la révélation kénotique de la faiblesse divine : en paraphrasant et remplaçant « gloire » (doxa, kabod au sens d'Exode 34) par « lumière de la révélation » on obtient une version peut-être plus accessible à l'homme d'aujourd'hui : « Maintenant le Fils de l'homme s'est dévoilé et Dieu a été révélé en lui comme Dieu humble et aimant. Si Dieu a été révélé en lui, Dieu aussi le/[se] révélera en lui, [et] il le glorifiera aussitôt.»

Aimons-nous les uns les autres...
Pas à moitié, en passant, en critiquant par derrière 
La critique de l'autre trahit notre orgueil, notre jalousie 
Aimons-nous les uns les autres comme
Comme le dit Paul à plusieurs reprises dans ses lettres: imitez moi qui imite le Christ. Ce n’est pas sur l’apparence que cela se joue, mais bien dans cette course infinie où je me laisse saisir par lui (cf. Ph 3).
Il est le chemin...
C’est là un commandement nouveau. Il ne s’agit pas d’aimer comme le fond tous les hommes, dans une logique d’échange : je t’aime parce que ou pour que tu m’aimes. Non, la nouveauté du Christ c’est d’entrer dans le don gratuit, immense, sans limites, débordant d’un Dieu qui s’oublie pour se donner jusqu’à la Croix. 
C’est peut-être sous les pas de Jean Vanier que nous avons à chercher le chemin de l’amour gratuit.
Quelle est la découverte de Jean Vanier, c’est peut-être de regarder les choses à l’envers. Le petit, le faible, le rejeté, le fêlé nous donnes accès à Dieu. Comme le diacre Philippe pendu par les pieds laissons nous retourner. La gloire de Dieu, c’est de voir le monde à l’envers des hommes : aimer le petit et le faible. 
C’est le chemin du Christ, la kénose, Écoutons ce que nous dit Paul en Ph. 2. Il s’est abaissé, c’est fait esclave, c’est pourquoi Dieu l’a relevé et lui a donné la gloire. 



12 mai 2019

Solitude périphérique

Aller à la périphérie n'est pas de tout repos.
Après avoir beaucoup dépensé d'énergie, se trouver démuni devant un auditoire d'une petite centaine de personnes qui ne savent pas répondre à « Le Seingneur soit avec vous »...
[Il faut dire que le « et avec votre Esprit » pose alors question....
Est-ce le mien seulement ?]

Enchaîner sur un rituel et terminer sur un Notre Père dit presque tout seul, si ce n'est la voix de ma femme, frêle et chancelante derrière moi... alors que j'ai précisé que le texte était dans le livret en couleur....

Balbutier et trébucher sur ses mots....

Voir les jeunes mariés féliciter les deux chanteuses de gospel et ne rien dire au « ministre »...

Ministre de quoi....?

Et je ne parle pas du vicaire que j'ai « remplacé » qui, un jour, s'est retrouvé tout seul dans une église voisine, avec le corps d'un défunt alors que les pompes Funebres aller fumer leurs cigarettes.

Priez pour nos prêtres de campagne. Quel ministère... !
Cela pourrait être déprimant si « l’espérance ne me faisait marcher plus loin que mes peurs »,
C’est surtout une leçon d’humilité.

Je me trouve chanceux. J’ai une femme, des enfants et des petits enfants qui m’aiment et me soutiennent.

Le chemin de Dieu dans le silence des cœurs nous dépasse.

Claude, jeune diacre de campagne



03 mai 2019

Au fil de Jean 14 - Contempler le Père

"En ce temps-là, Jésus dit à Thomas : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l'avez vu. »
Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »
Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : 'Montre-nous le Père' ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres.
Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père, et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai. » (Jn 14,6-14 -AELF)

"L'affirmation de Jésus est surprenante, à tel point que Philippe ne la comprend pas et insiste : "montre-nous le Père". Or, contempler le Christ à travers les Évangiles, c'est contempler Dieu lui-même. C'est ce que je fais chaque fois que je médite les Évangiles. Contempler le Christ, c'est contempler Dieu.
Dans ce récit, Jésus nous dévoile son plus intime, la relation qui l'unit à son Père"(1)
Prenons le temps de sentir la profondeur de cette relation trinitaire. Dans cette danse, Jésus nous ouvre ses bras en croix.
Contemplation infinie de cet homme élevé sur le bois de la croix qui nous dévoile le Père en nous aimant jusqu'au bout.
Qui sommes-nous face à cela. Qu'est-ce que l'homme pour que tu t'intéresse à lui dit le psaume.
Et pourtant ! Le Dieu que nous vénérons n'est pas un Dieu éthéré. Il se dévoile dans son agenouillement.
(1) Source : Prieenchemin.org, méditation  du 3/5/19

02 mai 2019

Mystère et ministères de la femme - 2

On peut se demander si les éléments récents qui ont frappé l'Église ne sont pas une mise au point sur la place réelle de l'homme dans l'univers religieux et hiérarchique. Quand on lit attentivement le texte de Louis Bouyer, on pressent combien la place des femmes, à l'image de Marie(1), sont finalement complémentaires voire supérieures à celles des hommes, même si elles n'ont pas, de fait, accès à la présidence de nos assemblées. En effet si l'on prend l'échelle de la kénose qui est inverse de toute logique humaine, les femmes par leur humilité et leur ouverture à l'immanence divine, ont finalement une proximité plus grande au divin que tout homme mâle, fut-ce-t-il prêtre ou évêque, au point qu'elles deviennent signes et chemins pour l'homme.
Par leur contemplation ou l'exercice toute maternante de la charité, par leurs sensibilités théologiques ou mystiques, par le sens de la mesure et de la réception, elles nous précèdent en sainteté.
On rentre là dans une expression particulière de la dynamique sacramentelle (2) qui n'est pas de l'ordre du septénaire mais de la sacramentalité toute incarnée. Plus que des veilleurs de l'invisible, elles rendent visibles la tendresse de Dieu.

Bouyer développe ce point notamment à propos des vierges consacrées et des diaconnesses. La liste n'est pas exhaustive tant la sainteté "ordinaire" - ou de la "porte d'à côté (3) - peut s'exercer de bien des manières sans nécessité d'être pour autant clerc. 
Est-ce qu'en disant cela je tombe dans le machisme ordinaire? Je ne crois pas. L'enjeu est en effet de sortir d'une conception trop sacralisée du sacrement de l'ordre. Des douze disciples, un seul était au pied de la Croix alors que toutes les femmes étaient probablement présentes...
A contempler.

(1) cf. notamment Louis Bouyer, Mystère et Ministères de la femme, op. cit. p. 83sq
(2) voir mon livre éponyme.
(3) Gaudete et Exultate n. 7sq.

01 mai 2019

Liberté et Kénose 4

Quelles sont les conditions d'une vraie liberté en Christ. Faut-il renoncer à tout ? Tout est rien disait déjà la grande Thérèse...

Suivre le Christ.

Où demeure-tu ? 
«Il leur dit: Venez et vous verrez. Ils vinrent et virent où il demeurait; ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C'était environ la dixième heure.»
‭‭(Jean‬ ‭1:39‬)

Un texte qu'il faut mettre en regard avec Mat. 8 : «Jésus lui dit: Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où poser sa tête.»
‭‭Matthieu‬ ‭8:20‬

"Renoncer à ce qui est propriété, à tout pouvoir, et même à toute habitation (Heimat) voire tout lieu (topos). L'Unheimlich [d'Edith Stein] vous déloge de toute topographie, comme le Christ qui refuse de considérer comme propriété son égalité avec le Père et le site de majesté qui lui est propre, mais - Kénose - il prend le topos du serviteur dans le site de l'humanité Être seul, être fidèle à Dieu : c'est, à sa mesure, l'expérience de la nuit, consentie dans la patience qui laisse tout grandir et mûrir devant Dieu. Nuit lumineuse et paisible que ne vient froisser nulle mélancolie (...)  nuit d'engendrement qui lui donne de percevoir le Christ comme bonheur ultime de tout le créé, (...) dans la paix inexprimable du sein du Père dans la gloire qu'il avait avant que le monde fut".(1)

Laisser être ce qui est comme il est, sans vouloir le produire, le fabriquer, sans s’en prétendre propriétaire (2).

Laisser être et espérer.

N’est-ce pas là la grâce de la liberté. Décentrement ET espérance.
“Ave Crux, spes unica” (Je te salue, oh Croix unique espérance).



(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 284
(2) p. 291

30 avril 2019

Le fruit inattendu du silence - Edith Stein - Amour est en toi - 33

Quel est le fruit du silence sur l'âme ? Faut-il, comme le suggère Edith Stein, « attendre avec patience l'heure qu'il a fixé ; cheminer dans l'obscurité comme nous conduit le souffle léger de l'Esprit, et, sans être vu d'aucun regard humain, cueillir les fleurs qui fleurissent au chemin(1) ». L'enjeu est cette présence fortuite et silencieuse qui tout d'un coup éclaire nos âmes à jamais :
 «  Un éclat de ciel reste dans l'âme 
Une profonde lueur reste dans les yeux,
Un flottement dans le son de la voix. »
Cette trace est cicatrice d'un lumineux rayon venu d'ailleurs –rayon de nuit -, qui éclaire chacun des instants présents que je vis comme émerveillement, dans la reconnaissance.(2)
Telle est le fruit inattendu d'une prière au désert, quand au-delà d'une sécheresse qui frise le désespoir, nous percevons dans un frisson inattendu qu'il était là mais qu'on le cherchait ailleurs.
« Nous ne pouvons que nous étonner, balbutier et nous taire »(2)
Où comme le fit Moïse retirer nos sandales car ici le voile se déchire et le buisson ardent illumine nos âmes.

« Centre de tous les cœurs humains
Qui nous prodigue la vie divine.
Il nous attire à lui avec une force mystérieuse ; 
En lui il nous attire dans le sein du Père
Et nous inonde avec le Saint-Esprit (3).

« Tu viens et tu t'en vas, mais reste la semence
Que tu semas pour ta gloire future
Cachée dans le corps de poussière ». (4)



« Nos paroles tremblent : à quelle justesse peut-elle prétendre, quelle vérité peuvent-elles revendiquer (...) sinon celle de la kénose de ce Dieu qui s'anéantit pour moi et en moi ? »

(1) Edith Stein, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 270.
(2) Edith Stein, ibid. p. 271.
(3) p. 272.
(4) 273.
(5) François Marxer, ibid. p. 275.

19 avril 2019

Au fil de Marc 15 - La Passion - Augustin d’Hipponne


« Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s'écria : 'Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu' » (Mc 15,39)
« Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu. » (Jn 1,1) Il est identique à lui-même ; ce qu'il est, il l'est toujours ; il ne peut changer, il est l'être. C'est le nom qu'il fit connaître à son serviteur Moïse : « Je suis celui qui suis » et « Tu diras : Celui qui est, m'a envoyé » (Ex 3,14)... Qui peut le comprendre ? Ou qui pourra parvenir à lui –- à supposer qu'il dirige toutes les forces de son esprit pour atteindre tant bien que mal celui qui est ? Je le comparerai à un exilé, qui de loin voit sa patrie : la mer l'en sépare ; il voit où aller, mais n'a pas le moyen d'y aller. Ainsi nous voulons parvenir à ce port définitif qui sera nôtre, là où est celui qui est, car lui seul est toujours le même, mais l'océan de ce monde nous coupe la voie...
Pour nous donner le moyen d'y aller, celui qui nous appelle est venu de là-bas ; il a choisi un bois pour nous faire traverser la mer : oui, nul ne peut traverser l'océan de ce monde que porté par la croix du Christ. Même un aveugle peut étreindre cette croix ; si tu ne vois pas bien où tu vas, ne la lâche pas : elle te conduira d'elle-même. 
Voilà mes frères ce que j'aimerais faire entrer dans vos cœurs : si vous voulez vivre dans l'esprit de piété, dans l'esprit chrétien, attachez-vous au Christ tel qu'il s'est fait pour nous, afin de le rejoindre tel qu'il est, et tel qu'il a toujours été. C'est pour cela qu'il est descendu jusqu'à nous, car il s'est fait homme afin de porter les infirmes, de leur faire traverser la mer et de leur faire aborder dans la patrie, où il n'est plus besoin de navire parce qu'il n'y a plus d'océan à passer. À tout prendre, mieux vaudrait ne pas voir par l'esprit celui qui est, mais embrasser la croix du Christ, que le voir par l'esprit et mépriser la croix. Puissions-nous, pour notre bonheur, à la fois voir où nous allons et nous cramponner au navire qui nous emporte... ! Certains y ont réussi, et ils ont vu ce qu'il est. C'est parce qu'il l'a vu que Jean a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était face à Dieu, et le Verbe était Dieu. » Ils l'ont vu ; et pour parvenir à ce qu'ils voyaient de loin, ils se sont attachés à la croix du Christ, ils n'ont pas méprisé l'humilité du Christ. (1) 



La Parole en silence
se consume pour nous.
L'espoir du monde
a parcouru sa route.
Voici l'heure où la vie
retourne à la source :
dernier labeur de la chair
mise en croix.

Serviteur inutile,
les yeux clos désormais,
le Fils de l'homme
a terminé son œuvre.
La lumière apparue
rejoint l'invisible,
la nuit s'étend sur le corps :
Jésus meurt.

Maintenant tout repose
dans l'unique oblation.
Les mains du Père
ont recueilli le souffle.
Le visage incliné
s'apaise aux ténèbres,
le coup de lance a scellé
la passion.

Le rideau se déchire
dans le Temple désert.
La mort du juste
a consommé la faute,
et l'Amour a gagné
l'immense défaite :
demain, le Jour surgira

du tombeau.(2)

(1) Saint Augustin, Sermons sur l'évangile de saint Jean, n°2 (trad. cf E. de Solms, Christs romans, Zodiaque 1966, p. 72s)
(2) Hymne du vendredi saint, office des Lectures, source AELF 

18 avril 2019

La grâce d’être libres - Jean Duchesne


Je découvre dans le dernier livre de mon ami Jean Duchesne un point de vue qui mérite d'être approfondi : "La liberté [des chrétiens], héritée de Dieu selon la gratuité qui le caractérise, est une grâce - un don gracieux qui ne se conquiert pas, parce que c'est une dynamique dans laquelle on est emporté et qui dope littéralement les ressources naturelles. On peut dire que, si la liberté est une grâce, elle n'est pas le fruit du désir et de la volonté, mais qu'à l'inverse cette grâce aiguise le désir et fortifie la volonté"(1)


Au delà de mes travaux sur le don de Dieu in l'Amphore et le Fleuve(2), percevoir la liberté comme une grâce divine a bien des atouts. Elle ouvre une piste pastorale au delà d'une morale excessive. 
Cela rejoint la tension kénotique exprimée dans ma courbe en V (Dieu se fait chair pour nous conduire à lui) (3). 

Au cœur de l'incarnation, contempler un Dieu qui s'agenouille pour nous emporter sur son chemin fait du  "Me voici" que l'on prononce à la suite de "l'où es-tu ?" (Gn 3) et du psaume 39 un acte libre. Choisir la vie. 
En suivant Duchesne, ce choix devient une grâce, c'est-à-dire que Dieu nous fait ce don, nous y conduit et nous y accompagne. A nous de nous laisser porter par ce fleuve...

(1) Jean Duchesne, Chrétiens, La Grâce d'être libre, Par delà les conformismes et les peurs, Paris, Artege, 2019, p. 9
(2) cf. mon livre éponyme
(3) cf. Au fil de Jn 18 et 19, homélie du vendredi Saint

14 avril 2019

Au fil de Luc 22 et 23, dimanche des Rameaux, homélie 3

Troisième ébauche
Frères et sœurs, en ce jour des Rameaux se pose une grande question, comme le point ultime de notre vie : En quoi croyez-vous ? 
Qui est votre roi ? 
Est-ce un roi de toute puissance ou un roi de faiblesse ? 

Une tension apparaît en effet entre le roi acclamé pour les rameaux et ce Christ mort sur une croix. C’est dans l’intervalle entre notre rêve de royaume et de protection et cette faiblesse du Christ en croix que se situe le cœur de notre foi et qu’il nous faut méditer aujourd’hui. 

C'est une question essentielle et qui interpelle aujourd'hui jusqu'à l'essence même de notre Église. [sans plus de commentaire]

Si nous croyons en un roi tout-puissant, alors pourquoi le mal, pourquoi la liberté, pourquoi l'amour...

Méfions nous de nos désirs de puissance, nos projections. Si nous projetons nos désirs sur un Dieu tout puissant c'est que nous avons nous-mêmes un désir de puissance et de pouvoir. Le pouvoir, la toute puissance c'est ce qu'attendaient un peu cette foule qui acclame Jésus aux Rameaux. La protection d'un roi ?

Et nous qu'attendons nous de Dieu ?

Les textes que nous avons entendu, la première lecture, Isaïe 50 et les Philippiens nous aide à rentrer dans cette tension particulière. ces textes nous aide à contempler le Christ dans sa faiblesse, faiblesse qui n’est pas une lâcheté mais une humilité et une faiblesse au sens particulier que lui donne Paul (c’est quand je suis faible que je suis fort" (2 Co 12) et qui nous dévoile l’amour. 

L’amour de Dieu porté jusqu’au bout, jusqu’à son paroxysme. L’amour qui va jusqu’au silence, qui va jusque dans la bienveillance vis-à-vis de Judas, dans ce refus de la violence, un refus de sortir l’épée pour se laisser entraîner comme un agneau à l’abattoir, un silence qui n’a d’autres buts que de montrer l’échec de la violence, le non sens de mon désir de puissance.

La leçon des Rameaux, la leçon de Jésus c’est que ce Dieu tout puissant que nous vénérons n’est pas le vrai Dieu. C’est le Dieu de nos désirs et non le Dieu amour.

Pourquoi en effet Jésus monte-il sur un petit âne fragile et non sur un cheval ?

Pourquoi se laisse-t-il conduire « à l’abattoir ? »
Comme un agneau sans tâche au milieu des loups. Relisons ce que dit Isaïe 
« Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
    J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.. »

Pourquoi s’enfermer dans le silence devant ses accusateurs 
La clé de lecture des Rameaux se révèle dans l’hymne aux Philippiens, Prenez le temps de méditer cette lettre de Paul cette semaine. Elle est centrale pour comprendre la passivité de Jésus dans sa Passion. Son silence, sa douleur, son abandon de tout pouvoir fait de lui un véritable compagnon de nos souffrances.

« Le Christ Jésus,
    ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.
    Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
Reconnu homme à son aspect,
    il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort »

La toute puissance de Dieu n’est pas violence. Elle n’est pas un royaume au sens des hommes. Elle est faiblesse, humilité, kénose. Elle est amour.

« Ai-je autant aimé les anges ? Non, c'est toi, le misérable, que j'ai chéri. J'ai caché ma gloire et moi, le Riche, je me suis fait pauvre délibérément, car je t'aime beaucoup. Pour toi, j'ai souffert la faim, la soif, la fatigue. J'ai parcouru montagnes, ravins et vallons en te cherchant, brebis égarée ; j'ai pris le nom de l'agneau pour te ramener en t'attirant par ma voix de pasteur, et je veux donner ma vie pour toi, afin de t'arracher à la griffe du loup. Je supporte tout pour que tu cries : « Tu es béni, toi qui viens rappeler Adam ».(1)

Dieu n’est qu’amour nous disait le père Varillon (2)
Dieu n’est qu’amour... C’est en contemplant la Croix que se révèle en nous la clé de ce « que ». Et dans cette folie de l’amour divin se joue l’invitation fragile de Dieu à le suivre.

La puissance de Dieu est folie pour les hommes. Elle se contemple sur la croix. Pourquoi le rideau se déchire de haut en bas ? Parce que ce qui était caché aux juifs dans le temple est maintenant dévoilé : l’amour de Dieu est visible. Il est cloué sur la Croix. Il se donne aujourd’hui dans cette eucharistie que nous allons célébré : 
Soyons à notre tour, amour. Ne laissons pas le Christ mourir pour rien (3)

(1) Saint Romanos le Mélode, Hymne 32 (trad. SC 128, p. 31s, rev)
(2) François Varillon, Joie de croire, joie de vivre
(3) Sur ce thème voir mes développements en Sur les pas de Jean et Dieu n’est pas Violent.


20 mars 2019

Au fil de Matthieu 20,17-28 - La Croix et le trône - Basile de Séleucie

« En ce temps-là, Jésus, montant à Jérusalem, prit à part les Douze disciples et, en chemin, il leur dit : « Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes, ils le condamneront à mort et le livreront aux nations païennes pour qu'elles se moquent de lui, le flagellent et le crucifient ; le troisième jour, il ressuscitera. »
Alors la mère des fils de Zébédée s'approcha de Jésus avec ses fils Jacques et Jean, et elle se prosterna pour lui faire une demande.
Jésus lui dit : « Que veux-tu ? » Elle répondit : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ton Royaume. »
Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous le pouvons. »
Il leur dit : « Ma coupe, vous la boirez ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, ce n'est pas à moi de l'accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé par mon Père. »
Les dix autres, qui avaient entendu, s'indignèrent contre les deux frères.
Jésus les appela et dit : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave.
Ainsi, le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Matthieu 20, Traduction Liturgique de la Bible - AELF, Paris)

La conclusion du Christ est assez explicite pour que l’on ne s’y attarde pas. Elle trace un chemin vers la kénose et la diaconie.

Pourtant, avant de juger trop vite la mère des apôtres, prenons le temps d’écouter cette surprenante méditation de Basile de Séleucie : « Veux-tu voir la foi de cette femme ? Eh bien, considère le moment de sa requête... La croix était prête, la Passion imminente, la foule des ennemis déjà en place. Le Maître parle de sa mort, les disciples s'inquiètent : avant même la Passion, ils frémissent à la simple évocation de celle-ci ; ce qu'ils entendent les frappe de stupeur, le trouble les possède. À ce moment-même, cette mère se détache du groupe des apôtres, et voilà qu'elle demande le Royaume et réclame un trône pour ses fils.
Que dis-tu, femme ? Tu entends parler de croix, et tu demandes un trône ? Il s'agit de la Passion, et tu désires le Royaume ? Laisse donc les disciples tout à leur crainte et à leur souci du danger. Mais d'où peut bien te venir de demander cette dignité ? Qu'est-ce qui, dans ce qui vient d'être dit et fait, te porte à penser au Royaume ? ...
Je vois, dit-elle, la Passion, mais je prévois aussi la Résurrection. Je vois la croix plantée, et je contemple le ciel ouvert. Je regarde les clous, mais je vois aussi le trône... J'ai entendu le Seigneur lui-même dire : « Vous siégerez vous aussi sur douze trônes » (Mt 19,28). Je vois l'avenir avec les yeux de la foi.
Cette femme va jusqu'à devancer, me semble-t-il, les paroles du larron. Lui, sur la croix, prononça cette prière : « Souviens-toi de moi dans ton Royaume » (Lc 23,42). Avant la croix, elle a pris le Royaume comme objet de sa supplication... Quel désir perdu dans la vision de l'avenir ! Ce que le temps cachait, la foi le voyait.(1)

(1) Basile de Séleucie, Sermon 24 ; PG 85, 282 s (trad. Orval) , source : l'Évangile au Quotidien 

14 mars 2019

Religieuses abusées - l’autre scandale - kénose 149

Tristesse sans fond que ce dernier (?) constat sur l'Église pécheresse révélée sur Arte.
On ne peut que descendre une fois encore dans l'humilité du pécheur pardonné et peut-être se taire, car que peut on dire, après de telles révélations ?

Quelques réflexions en vrac.

Si le documentaire force pas mal le trait (1) généralise et en profite pour descendre des institutions déjà largement décriées, peut-on espérer que cela servira à débarrasser l'Église de ces fautes abominables ?

L'Église n'a plus de vin disait une amie...

Que doit pleurer la Trinité défigurée par ceux qui ont sali ce qu'ils étaient appelés à signifier.

Cela me rappelle les larmes du Christ révélées par cette mystique allemande qui voyait au Golgotha un Christ désespéré sur les impasses de sa Passion (1). Même cela serait insuffisant. 

Il est temps que le pouvoir de l'homme sur la femme ou sur l'enfant soit dénoncé comme crime.

Le dernier rempart du cléricalisme et de l'hypocrisie machiste est-il en train de se fissurer ? Peut-on espérer que la place des femmes dans l'Église soit enfin mise à sa juste place ? Certes les jeux de pouvoir sont partout mais une égalité mesurée serait probablement nécessaire, pour éviter la sacralisation déplacée et morbide, la fausse sainteté et le silence délétère et ravageur.

En tant que diacre, suis-je meilleur, plus saint ?
Surement pas.
Je connais mes pulsions, sais combien elles peuvent être lieu de chute et de scandale.
Je sais aussi qu'une sexualité conjugale respectueuse, épanouie et partagée est force de vie et d'unité.
Le danger sur ce point est d'abuser de l'autre, d'en faire un objet. La limite est fragile, ténue, toujours latente.

Les lettres pastorales n'avaient pas tort d'exiger que les ministres soient choisis parmi les hommes mûrs et mariés à une seule femme.
A-t-on oublié cette sagesse de base ?  : «Cette parole est certaine. Si quelqu'un aspire à la charge d'épiscope, il désire une belle œuvre. Il faut donc que l'épiscope soit irrépréhensible, qu'il soit l'homme d'une seule femme, qu'il soit sobre, pondéré, décent, hospitalier, apte à l'enseignement, qu'il ne soit pas adonné au vin, ni violent, mais conciliant, pacifique, désintéressé; qu'il dirige bien sa propre maison et qu'il tienne ses enfants dans la soumission, en toute dignité. En effet, si quelqu'un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l'Eglise de Dieu? Que ce ne soit pas un nouveau converti, de peur qu'il ne soit aveuglé par l'orgueil et ne tombe dans le jugement du diable. Il faut aussi que ceux du dehors lui rendent un beau témoignage, pour qu'il ne tombe pas dans le discrédit et dans les pièges du diable. Les ministres, pareillement, doivent être dignes, exempts de duplicité, d'excès de vin et de gains honteux; ils doivent conserver le mystère de la foi dans une conscience pure. Qu'on les mette d'abord à l'épreuve et qu'ils exercent ensuite le ministère, s'ils sont sans reproche
‭‭Première à Timothée‬ ‭3:1-10‬ ‭

La chasteté est un chemin de Croix et comme les disciples tombés le soir de la Passion, il nous faut contempler qu'à la Croix se tenait qu'un seul des douze, alors que plusieurs femmes étaient là...

(1) cf. Notamment la réponse de l’Arche

La kénose de l'Église va jusqu'à reconnaître cela...

Tous pécheurs....

Si le Christ s'est plongé dans l'eau du Jourdain, s'il s'est mis à genoux devant Judas, c'est peut-être pour nous inviter à faire de même encore et toujours. La seule véritable révélation est la kénose. Un Christ nu...dépouillé... déchiré...

Le pouvoir, le valoir, l'avoir sont les plaies de notre humanité. Jeûne et chasteté ne peuvent être exigées d'autrui. Elles sont chemin intérieur « inaccessible à l'homme et possible en Dieu »... (cf. Mat 19)

Je prie pour l'Arche, cette belle école de la fragilité qui a montré qu'en dépit des fautes révélées d'un de ses pasteurs, il demeure toujours en elle une force d'espérance. oublier que le royaume n'est pas encore là c'est nier l'espérance qui nous habite...

(1) Anne Catherine Emmerich (cf. Tag)

L’office pour l’enfant mort - Marie Noël - kénose 148



Il y a des morts que l'on ne peut excuser, des souffrances impossibles à concilier, des silences que l'on ne peut comprendre.
Marie Noël est de ces femmes qui touchent à l'indicible et l'inconnaissable, à ce Dieu qui semble absent. Cette déréliction est celle du Golgotha, celle d'un Dieu qui ne répond plus. Que la kénose du Fils soit allée jusque là ne donne qu'une réponse partielle au mystère. Ce chemin qui laisse Dieu être au delà de nos souffrances nous avons à le trouver, au fond de nous-mêmes. Personne ne peut nous l'imposer, c'est le jeûne du samedi saint, le silence où tout est cri :

« Office pour l'enfant mort"
L'enfant frêle qui m'était né,
Tantôt nous l'avons promené
L'avons sorti de la maison
Au gai soleil de la saison ;
(...) 
A l'église ont pris soin de lui.
C'est le bedeau qui l'a bordé
Dans son drap blanc d'argent brodé.
Le fossoyeur qui l'a couché
Dans un berceau très creux, très bas,
Pour que le vent n'y souffle pas
(...) 
Allez-vous en ! Allez-vous en !
La sombre heure arrive à présent.
(...) 
Rentrez chez vous et grand merci !...
Mais il faut que je reste ici.
Avec le mien j'attends le soir,
J'attends le froid, j'attends le noir.
Car j'ai peur que ce lit profond
Ne soit pas sûr, ne soit pas bon.
Et j'attends dans l'ombre, j'attends
Pour savoir... s'il pleure dedans.

Poème de Marie-Noël

Que peut-on ajouter sans casser ce processus de deuil, ce cri nécessaire qui seul permet à l'homme de traverser le mal et de trouver son chemin intérieur jusqu'à l'amour plus grand que le mal ?

“Pas de théodicée explicative, pas de justification, mais la brutalité des faits, la facticité brute, l’impréhensible énigme : (...) Marie Noël se tient sur le seuil de l’impénétrable Mystère” (1)

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 129

10 mars 2019

Au fil de Luc 4,1-13. - Tentations du Christ au désert - Homélie du Premier dimanche de Carême - Saint Grégoire le Grand - jeûne 5 - kénose 147

« En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d'Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l'Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Jésus répondit : « Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain. »
Alors le diable l'emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m'a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit : « Il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, d'ici jette-toi en bas ;
car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l'ordre de te garder ;
et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui fit cette réponse : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. » Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé. » (Luc 4, 1-13)Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
A la triple tentation johannique du pouvoir, de l'avoir et du valoir, correspond deux types de comportement en tension. Celle qui comme Adam vient céder à la fourberie du diviseur, celle du Christ qui répond par la seule voie qui compte, le jeûne et l'humilité (la kénose).
Saint Grégoire le Grand, l'explique fort bien dans ses Homélies sur l'Evangile (1) en reprenant l'axe de Paul : « Tous sont devenus pécheurs parce qu'un seul homme, Adam, a désobéi ; de même tous deviennent justes par un seul homme, Jésus Christ » (Rm 5,19)
Le diable s'est attaqué au premier homme, notre parent, par une triple tentation : il l'a tenté par la gourmandise, par la vanité et par l'avidité. Sa tentative de séduction a réussi, puisque l'homme, en donnant son consentement, a été alors soumis au diable. Il l'a tenté par la gourmandise, en lui montrant sur l'arbre le fruit défendu et en l'amenant à en manger ; il l'a tenté par la vanité, en lui disant : « Vous serez comme des dieux » ; il l'a tenté enfin par l'avidité, en lui disant : « Vous connaîtrez le bien et le mal » (Gn 3,5). Car être avide, c'est désirer non seulement l'argent, mais aussi toute situation avantageuse, désirer, au-delà de la mesure, une situation élevée...
Le diable a été vaincu par le Christ qu'il a tenté d'une manière tout à fait semblable à celle par laquelle il avait vaincu le premier homme. Comme la première fois, il le tente par la gourmandise : « Ordonne que ces pierres se changent en pains » ; par la vanité : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas » ; par le désir violent d'une belle situation, quand il lui montre tous les royaumes du monde et lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu tombes à mes pieds et m'adores »...
Il est une chose qu'il faut remarquer dans la tentation du Seigneur : tenté par le diable, le Seigneur a riposté par des textes de la Sainte Écriture. Il aurait pu jeter son tentateur dans l'abîme par le Verbe qu'il était lui-même. Et pourtant il n'a pas eu recours à son pouvoir puissant ; il a seulement mis en avant les préceptes de la Sainte Écriture. Il nous montre ainsi comment supporter l'épreuve, de sorte que, lorsque des méchants nous font souffrir, nous soyons poussés à recourir à la bonne doctrine plutôt qu'à la vengeance. Comparez la patience de Dieu à notre impatience. Nous, quand nous avons essuyé des injures ou subi une offense, dans notre fureur nous nous vengeons nous-mêmes autant que nous le pouvons, ou bien nous menaçons de le faire. Le Seigneur, lui, endure l'adversité du diable sans y répondre autrement que par des mots paisibles ». (1)
Alors que Dieu au jardin cherche l'homme, dans un « où es-tu ? » (2) qui résonne encore dans le jardin, Jésus, par le jeûne et la prière nous conduit vers un « me voici » qui fait écho au psaume 50, et aboutit sur une croix. La seule réponse valide au diviseur qui cherche à mettre en avant nos désirs de pouvoir, de valoir ou d'avoir est l'abaissement, la faiblesse, l'humilité, la kénose.

Méditons sous ce prisme les trois réponses du Christ :
  1. « L'homme ne vit pas seulement de pain. »
  2. « Il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
  3. « Il est dit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Elles nous conduisent au delà du désert vers l'essentiel : l'écoute de la Parole vraies nourriture, l'humilité devant le très haut, et la faiblesse.

(1) Saint Grégoire le Grand, Homélies sur l'Evangile, n° 16 (trad. Véricel, L'Evangile commenté, p.68), source  : l'Évangile au Quotidien 
(2) cf. notamment sur ce point mon billet précédent et mes publications dont « où es-tu ? » et « Dieu n'est pas violent » in Lectures pastorales de l'ancien testament tome 1