27 novembre 2021

Danse fragile - 16bis -

« Comment es-tu foyer de feu

   et fraîcheur de la fontaine,

une brûlure, une douceur

   qui rend saines nos [blessures] ?

Comment fais-tu de l'homme un [signe],

   de la nuit une lumière,

et des abîmes de la mort

   tires-tu la vie nouvelle?


Comment la nuit vient-elle au jour ?

   Peux-tu vaincre les ténèbres,

porter ta flamme jusqu'au cœur

   et changer le fond de l'être ?


Comment n'es-tu qu'un avec nous,

   nous rends-tu fils de Dieu même ?

Comment nous brûles-tu d'amour

   et nous blesses-tu sans glaive ?


Comment peux-tu nous supporter,

   rester lent à la colère,

et de l'ailleurs où tu te tiens

   voir ici nos moindres gestes ?


Comment de si haut et de si loin

   ton regard suit-il nos actes ?

Ton serviteur attend la paix,

   le courage dans les larmes !


Cette « variation » sur l’hymne donné par l’office des lectures est elle la clé que je cherchais pour mes essais d’homélie du WE ?

Voici une v4.0 😉

——-

Nous entrons dans le temps de l’avent. La lecture de Jérémie 33,15,, nous annonce  un « germe de justice ». Qu’est ce à dire ? une semence, un grain qui meurt ?


Une semence, un don de Dieu ?

Qu’est ce que cela peut être ?

Nous sommes au milieu de l’hiver, la neige est à nos portes, nous enfonçons dans la boue, jusque dans nos églises.


Quel va être notre manière de préparer le printemps de Dieu…?

Faire en nous une petite place, creuser notre terre asséchée par des plantes ingrates, se plonger dans l’essentiel, retrouver en nous le terreau fertile, ce qui nous fait vibrer de l’intérieur.


Sommes nous patients envers les autres, patients avec Dieu ?


Patient avec Dieu ? 

Sommes nous patients, quand il semble ne pas répondre  à nos « où es-tu ? »


Dans la nuit, dans le silence…En quoi croyons nous ?

Qu’est ce qui arrête notre regard ?

Où est la flamme ?

Nous allumons à l’extérieur de belles guirlandes mais qu’elle va être la source de cette lumière ?


L’amour…?

L’amour endure tout, prend patience..

L’avent est le temps de la patience.


Le germe de justice dont parle Jérémie est un acte de foi. Il a fallu plusieurs centaines d’années avant que vienne la réponse…


Le Christ, fragile espérance, signe qu’au milieu de la nuit, de la violence, l’amour est possible.


Le don de Dieu est Christ.


Sommes nous prêts à l’accueillir ? C’est la question de l’avent… 


Prenons nous le temps, chaque soir, de laisser résonner en nous le Christ, sa parole, dans le silence… comme une semence fragile ? 


Quelle semence ? 

Peut-être cette danse discrète vers l’homme, que Dieu nous donne à contempler dans les gestes de Jésus, dans cet homme Jésus qui se penche, écoute, se tait, guérit, relève, demande à boire, s’agenouille, puis s’offre tout entier, se laisse transpercer, jusqu’à ce que, de son cœur, jaillisse un fleuve immense…


L’avent, c’est prendre notre amphore et s’avancer vers l’amour, prendre conscience qu’il est don de Dieu et s’y altérer, pour faire grandir en nous cette graine fragile, semée le jour de notre baptême et nourrie à chaque eucharistie.


Dieu chaque hiver fait un rêve, celui qu’à chaque fois que nous avançons vers la table de la Parole et du pain, la petite graine qui germe en nous grandisse jusqu’à ce qu’au printemps de Dieu, un champ immense apparaisse au milieu du désert. Danse fragile,  germe d'amour qui, en scintillant de l'amour humain devient signe du buisson ardent qu’est le Christ.

« Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. » nous dit la 2eme lecture. ((1Th 3) Un sentier se dessine…


Une mesure sans mesure…


Ouvrir nos cœurs à l’amour…jusqu’à cette

« profonde transformation de tout l’être sous l’action de l’Esprit Saint, [jusqu’au]« retournement » né de la rencontre vivifiante avec Dieu » (1)

De nos essais vers le don, Dieu rêve de faire un immense feu….


(1) Frère John de Taizé, cité dans La Croix du 18/11

25 novembre 2021

Danse fragile - 16


La lecture de Jérémie 33,15, dimanche prochain, nous annonce  un « germe de justice ». Qu’est ce à dire ? une semence, un grain qui meurt ?

Puissante prophétie puisqu’elle nous fait probablement à la fois espérer la venue du Christ, fragile espérance, mais aussi, peut-être, ce que Justin appellera les « semences du Verbe », ce que Vatican II (GS §2) relève comme ce don de Dieu fait à tous les hommes qui peut faire germer en nous l’amour…


Le message à porter au monde est-il de l’ordre d’une semence fragile ? Quelle semence ? Peut-être cette danse discrète vers l’homme, que Dieu nous donne à contempler en Jn 13, pour que se révèle en nous "la philanthropie de Dieu ". (1) Un message, précise J. Moingt qu'il ne suffit pas d’évoquer mais qu’il faut ensuite mettre en « oeuvre et en image, en paraboles comme le faisait Jésus »


Quelle sera notre trace ? 

Congar au Concile disait : "Dieu m’a amené à la servir et à servir les hommes à partir de lui et pour lui, surtout par la voie des idées. J’ai été amené à une vie solitaire, très vouée à la parole et au papier. C’est ma part dans le plan d’amour. Mais je veux m’y engager aussi de cœur et de vie et que ce service d’idées lui même soit un service des hommes."(2)


Pense-t-il alors à Pascal qui après l’écriture s’est consacré à la charité ?


Difficile de servir l'humain... Quel que soit soit sa forme, sa visibilité, l'essentiel est peut être ce qui rayonne, en dépit de nos balbutiements fragiles, de la philanthropie même de Dieu, de ce germe d’amour enfoui dans l’homme qui lui chatouille et lui réchauffe le cœur et le conduit, à son tour à aimer.


N'est-ce pas d'ailleurs ce que le monde retient de plus beau à travers les gestes désintéressés des soeurs Téresa, Emmanuelle ou d'un abbé Pierre ou Ceyras. Si ce service de l'humain est le seul message qui passe, n'est-ce pas parce qu’il est signe, à sa manière de celui qui le premier, à la suite des Marie et autres femmes figures fragiles de l’Evangile, s’est mis "à genoux devant l'homme".(3)


Poursuivons avec Congar : "Quand on regarde vivre l'Église, (...) ce qu'elle est et porte en elle (...) il y a là, de sa part, dans les formes mineures au moins de son sacerdoce, de son prophétisme, l'exercice d'une forme de royauté, non d'autorité et de puissance — elle ne l'a pas — mais d'influence et de service, qui répond à sa véritable situation par rapport au monde. Car on peut dire qu'elle en a la responsabilité (...)". (4) 


Un texte qui rebondit avec ma méditation n.15…. Non pas une royauté de pouvoir, mais le service diaconal du royaume. Danse fragile à la lumière de celles que je cherche à thématiser.


Congar précise que "l'Eglise a [notamment] dans ce cadre véritablement le nom de semence ou cellule germinale du Royaume qu'aiment à lui donner en particulier les théologiens de langue allemande (Keimzelle)(5)".


Ce que saint Justin appellait les spermatikos logos ne sont-ils pas ces germes d'amour qui, en scintillant de l'amour humain véritable, deviennent signes de la philanthropie de Dieu.


Germes en tout homme, chrétiens ou non ? C’est notre espérance, celle de voir l’homme touché par le Verbe.


« Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. » nous dit la 2eme lecture. ((1Th 3) Un sentier se dessine…


Une mesure sans mesure…


(1) J. Moingt, L'Évangile sauvera l'Église, op. cit p. 121

(2) Yves Congar, Mon Journal du Concile I, 1960-63, Cerf, Paris, 2002, op. cit. p. 384

(3) cf. mon livre éponyme 

(4) Yves Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, Cerf 1953, p. 133

(5) ibid. p. 134 et sa note où il cite le livre de H. André, Die Kirche als Keimzelle der Weltgöttlichung (Leipzig, 1920)

Danse tragique avec la royauté ? - 15

Quelle est cette royauté que nous vénérons aujourd’hui ?  Elle est probablement aux antipodes de tout concept humain puisque le trône de notre roi est un gibet…

Non pas une royauté extérieure, mais le règne de la Vérité en nous, qui nous libère de l’apparence et stimule notre humilité par rapport aux dons du Père…


J’ai toujours un peu de mal avec l’expression qui est pourtant au cœur du sacrement de baptême : Dieu fait de nous des rois…

J’ai trouvé un jour cette nuance que je préfère : Dieu fait de nous des serviteurs du Royaume…


Cette réflexion rebondit avec une introspection récente sur la tentation de l’ordonné… Il n’est pas difficile de percevoir que dans notre Église toute initiative de pouvoir conduit à des dérives.

Qu’elle soit pour un prêtre comme pour un laïc engagé… une femme en charge du caté ou un sacristain trop zélé…

C’est peut-être l’enjeu d’une vraie démarche synodale. 

A commencer par moi-même, qui, pendant mon chemin diaconal avait de beau discours sur la tentation d’être clerc et qui ai pris pourtant plaisir parfois à monter en aube à l’autel. Dur souvent de résister… heureusement que ma tendre épouse n’est pas tendre sur ce point. Elle connaît trop les failles de mon humanité 🙂


Ce plaisir est inhérent à la fonction et atisé par le regard des paroissiens qui vous sanctifie sans discernement. Et vous appelle « mon père » alors que Claude est mon prénom 🙂 


C’est probablement pourquoi la quête des prêtres ouvriers ou des séculiers, sans soutane ou croix affichée, des jésuites sans col romain dans le monde, incarnés et discrets reflétera toujours mieux la kénose (dépouillement) christique que tous les ornements liturgiques, la blancheur virginale de certains réguliers et les soutanes rutilantes payées à prix d’or dans certaines boutiques romaines…


La solitude du prêtre de campagne reflète plus pour moi l’Église en marche que le cléricalisme urbain, mis à part certains vieux vicaires méprisés parce qu’ils ont perdu leurs statuts… et qui pourtant sont plein d’une sagesse humble.


C’est ce qui a motivé en tout cas mon désir de quitter la métropole pour prendre la route chaque WE et rejoindre mon curé solitaire et lui apporter mon fraternel soutien…


Ce qui me motive le plus, c’est qu’il a quitté à 64 ans son Afrique natale pour servir l’Église dans sa fragilité et que sa bonne humeur fait revivre 12 petits clochers bien pauvres, même si la paroisse est 1,5 x plus vaste que Paris… 


Pendant ses trois premières années ici, il a vécu dans un presbytère en ruine, avec une bassine dans sa chambre, qui recueillait l’eau qui traversait le toit (heureusement c’est fini, il est au chaud… )


Quel contraste avec les ors parisiens…

A quand une vraie péréquation ?

Pour moi, en dépit de ses faiblesses, de ses coups de cœur, il est en chemin vers cette sainteté ordinaire dont parle François…


Il incarne ce que j’ai écris il y a 15 ans, dans « cette Église que je cherche à aimer ». Je déteste cette expression « donnez nous des saints prêtres » car il serait tellement plus simple de dire, donnez nous des saints…Je pense que parce qu’il est un homme « donné » mon curé marche dans cette direction, dans la dynamique particulière de Ph. 3.


Les vrais saints ne portent pas souvent d’aubes blanches, ils sont trop occupés à laver les pieds des souffrants. Souvent je me dis que ma diaconie n’est que façade à côté de ceux qui sont l’amour agissant…


Combien de fois, en écoutant l’un et l’autre parler de ce qu’il fait pour le royaume je me sens bien petit. Parfois même je glisse à la personne qu’elle est bien plus « diacre » que moi.


Dansez avec le roi de nos vies, c’est découvrir les signes de l’amour chez autrui. 

Reprendre alors le cri d’Augustin : Tu étais là et je ne le savais pas…


Mardi, je vais « monter » à l’autel à la demande appuyée d’un père et d’une mère qui souhaite me voir accompagner leur souffrance (perte d’un enfant de 21 ans). J’aurais préféré rester dans la « fosse commune »… la souffrance d’une mère qui accompagne son fils pendant ses 18 mois de cancer et jusqu’à la fin est une vraie diaconie. Elle est « danse tragique » avec la royauté du Christ souffrant …

11 novembre 2021

Danse fragile dans la nuit étoilée - 14

Méditation pour dimanche, v7

Ce 33eme dimanche qui vient, termine l’année liturgique avant le Christ-Roi. On ne doit pas pour autant entrer dans la noirceur d’un discours apocalyptique, mais trouver ensemble un chemin vers la joie, vers ces feuilles de figuier au vert tendre qu’évoque l’Evangile. Notre chemin est peut-être de contempler le passé avec distance, de se serrer les coudes et de tracer un chemin de charité partagée (en cette journée mondiale des pauvres), mais aussi d’espérance et de miséricorde.  Dieu ne veut pas la souffrance et la mort de personne disait Ezechiel, mais la vie… (cf. Ézékiel‬ ‭18:32‬ )


Quels sont les pas de danse que nous allons entreprendre pour mettre en nous et en nos frères des traces de cet amour et de cette espérance qui viennent de Dieu ?


J’ai joué de la flûte, allez-vous danser demande Jésus ? Mais quelle danse ? Une danse macabre où une danse fraternelle et joyeuse ? 


À leur manière, les textes de ce dimanche tracent ce sentier sinueux que l’on peut probablement mieux contempler à l’aune des pépites de la liturgie de cette semaine…


Nous avions notamment mardi un beau texte sur le temple d’où coule un torrent de vie…(Ez 47), ce torrent vient de Dieu, mais donne du fruit en se mêlant à la terre, il n’est pas une eau magique à regarder de loin, mais vient au contraire abreuver et donner de la force à notre agir. 

Dans notre nuit, sachons découvrir ce Dieu qui semble si loin et qui est pourtant si proche…


Nous pouvons rester dans la nuit, nous attacher à des étoiles et les lumières anciennes. Elles ont perdu de leur éclat, mais ne désespérons pas pour autant. Écoutons la première lecture.


« Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront (...)  pour la vie éternelle » nous dit-elle.

    Ceux qui comme nous se rassembleront pour recevoir et écouter la Parole ensemble pourront transpirer voire resplendire de la lumière qui vient d’en haut, à condition de s’évider d’eux-mêmes pour laisser place à l’amour véritable à « la splendeur du firmament » et redonner ainsi place à ce Dieu qui nous aime pour toujours et à jamais.


« Garde-moi, mon Dieu,

j’ai fait de toi mon refuge.

Seigneur, mon partage et ma coupe :

de toi dépend mon sort….

De toi dépend mon sort..


Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;

il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,

ma chair elle-même repose en confiance :

tu ne peux m’abandonner à la mort

ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :

devant ta face, débordement de joie !

À ta droite, éternité de délices ! (Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11)


Nous avons vu, au bout de la nuit LA lumière, dressée sur le bois, seul signe de l’amour véritable, sacrifice unique, pour qu’à sa suite, un peuple se mette en marche, une communauté de priants, les pierres vivantes d’un monde à reconstruire se nourrissent des trois dons de Dieu : amour, foi et espérance.


Nous savons que Christ est notre victoire, alors marchons, courons vers le but (cf. Ph 3), auquel Dieu nous appelle.


Le pain rompu ensemble, la parole partagée*, ce don de Dieu caché en nous dans le silence, cette eau vive, ce fleuve immense nous appellent à devenir le signe d’un demain meilleur, la danse scintillante des pierres vivantes que nous sommes, appelés à aimer, espérance pour les souffrants, à condition de ne pas nous cacher sous le boisseau et de faire grandir les dons reçus…


Feux follets ou scintillements de lumière ? Quel est ce firmament qu’évoque le livre de Daniel. La lumière divine sera Lumière si nos bougies fragiles allument ensemble un nouveau buisson ardent. Ce feu de l’amour et de la fraternité ne vient pas de nous. Il s’est allumé dans nos nuits obscures, dans nos soupirs et nos peines, mais il a réchauffé en nous ce cœur brûlant qui est don de Dieu et déjà une joie nouvelle brille en nos cœurs. Laissons là nous embraser…


Seul l’amour reçu et partagé sera lumière. L’eucharistie n’est rien si elle ne fait pas de nous un Corps, une charité vivante et agissante.


* cf. la Maison d’Évangile - La Parole Partagée

29 octobre 2021

Balbutiements pour la Toussaint

Qui sont les saints d’aujourd’hui ?

Notre pape François parle des saints ordinaires, ceux dont on ne parle pas. Après le rapport de la CIASE, on ne peut ignorer la multitude des personnes touchées par la violence sexuelle des hommes, surtout dans nos églises, victimes souvent d’une bien fausse sainteté, celle de l’apparence extérieure. 

Ne regardons pas avec nos yeux de chair, ne nous laissons pas troubler par les ors et les dentelles, les ornements et les distinctions apparentes qu’elles soient des soutanes bien noires, ou des aubes trop blanches, comme celle que je porte aujourd’hui car si le cœur de l’homme peut être capable du meilleur, il peut, derrière cette apparence, rester fourbe, vil, violent et peut conduire au pire comme nous venons de le découvrir dans le document de la CIASE qui brûle encore nos yeux abasourdis.

Faut-il répéter seulement les paroles de Paul pour trouver un chemin intérieur d’humilité ? «Je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas.» Rom. 7:19‬. 

Au-delà d’une nécessaire introspection intérieure, ne nous laissons pas, pour autant, tenter par ceux qui cherchent à diviser l’Élan qui nous pousse au désert pour réaliser combien les tentations d’avoir et de pouvoir/ ou de valoir nous empêchent d’avancer.

Ne passons pas à côté, n’oublions surtout pas ceux qui souffrent… Car leurs cris serait alors inutiles…


Dans l'évangile d'aujourd'hui, celui des Béatitudes, on entend encore résonner le cri de Jésus « Heureux , les souffrants ». 


C’est du bout des lèvres que nous pouvons espérer qu’ils soient heureux, enfin, ceux que l’on a souvent ignorés, les migrants, les délaissés, les enfants maltraités, meurtris, éliminés. Jésus l’affirme  : ils sont tout aimés de Dieu…


Pouvons nous aujourd'hui entendre cette béatitude sans céder à la colère et à la honte devant tant de vies brisées? 

Le rapport de la CIASE nous  interpelle, chacun à notre niveau, membres d'une même Eglise, Notre Église,  le nous ecclésial prend là tout son sens pour réfléchir à son  fonctionnement actuel,  ses habitudes, de ses petites lâchetés à son silence parfois abyssal... Ne restons pas des  spectateurs muets ou pire, des détracteurs qui divisent sans agir ! 


Notre Église a besoin de nous tous, femmes et hommes, baptisés, laïcs, et clercs  pour se  reconstruire, se guérir des fausses apparences, et rebâtir sur le roc. Dieu a besoin de nos mains, répétait Etty Hillesum… il ne fera pas le travail tout seul…


Relisons la première lecture sous ce prisme : 

« Ne faites pas de mal à la terre,(...)

(...)  voici une foule immense,

que nul ne pouvait dénombrer,

une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.

Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,

vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.

    Et ils s’écriaient d’une voix forte :

« Le salut appartient à notre Dieu

qui siège sur le Trône

et à l’Agneau ! »

    (...) 

    L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :

« Ces gens vêtus de robes blanches,

qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? »

    Je lui répondis :

« Mon seigneur, toi, tu le sais. »

Il me dit :

« Ceux-là viennent de la grande épreuve ;

ils ont lavé leurs robes,

ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »


Si notre société vit sur l’apparence,

Dieu  seul regarde le cœur de l’homme.

Dieu seul sait où est l’essentiel.

Dieu seul est amour.


Un grand espoir se lève pour répondre présents à l’appel du pape de lancer un synode sur la synodalité ou, pour parler plus clair, pour apprendre à marcher ensemble vers la véritable et inaccessible sainteté, celle qui transpire, fragile, du quotidien, de ces femmes et de ces hommes, réunis  dans une assemblée vivante où tous les chrétiens, décidés à discerner comment doit s'amorcer ce changement. Il nous faut chercher ensemble, afin que cela ne reste pas l’affaire de « sachants », mais celle d'une véritable assemblée de « pierres vivantes », de priants, d’aimants en actes et en vérité. L’Église a besoin d’un profond renouveau, de cet « aggiornamento » véritable qui a conduit déjà à Vatican II. Elle a besoin de vous, de nous.…


Dans notre diocèse, des groupes vont se créer pour vivre le synode en vérité. Ne passez pas à côté de l’appel. Par la foi qui vous habite, par l’espérance que Dieu a mis en vous, peut jaillir l’Église dont rêve le Christ, ce royaume dont il parle, non une réalité déjà là, mais toujours en devenir, toujours en marche. 


La sainteté de l’Église n’est pas une succession de saints passés, mais sa capacité à se laisser toujours à nouveau saisir par le Christ. 


Saint Paul le disait à sa manière, le passé est « balayure », ce qui compte c’est se laisser toujours, à nouveau, traverser par la Parole, « se laisser saisir par Lui, le Christ (Ph. 3), le seul prêtre sans tâche, celui qui marche au devant de la multitude. 


Ne baissons pas les bras, l’Esprit est là, il ne cesse d’être là pour nous relever, nous faire grandir. Il a besoin de chacun de nous. 


* Merci à ma femme et l’amie de la première heure qui m’ont aidé à affiner ma pensée. Libre à vous, amis, de réagir.

19 octobre 2021

Danse dans le noir ? - 13

Sur la pointe des pieds, essai d’homélie pour ce dimanche (v1) 

Sommes nous au fond du trou ?

Dans un texte très ancien, un vieux philosophe grec décrivait le monde enfoui dans une caverne et cherchant à apercevoir la lumière.


Nous y sommes en ce moment pour plusieurs raisons, chacun à notre manière, dans le noir…

Comme cet aveugle de Jéricho qui désespère depuis des années…


Que se passe-t-il ? Est-ce parce que nous manquons d’espérance ? 

Le psaume 125 rappelle le cri des exilés sur les bords du fleuve de Babylone, assis et pleurant… « By the rivers of Babylone » une chanson qui commençait par une note grave avant de nous conduire à la danse…


Jérémie vient allumer une lueur, fragile…


« L’aveugle et le boiteux,

la femme enceinte et la jeune accouchée :

c’est une grande assemblée qui revient.

    Ils avancent dans les pleurs et les supplications,

je les mène, je les conduis vers les cours d’eau

par un droit chemin où ils ne trébucheront pas.

Car je suis un père pour Israël »


Où est notre espérance ?

Dans la lettre aux Hébreux, l’auteur suggère qu’il est venu un prêtre nouveau, différent de ceux qui ont reçu le sacerdoce des hommes. Il ne s’agit pas, comme s’était le cas à l’époque d’une fonction héritée de père en fils, mais d’un don de Dieu. 


Jésus vient d’ailleurs. Il est le don de Dieu… il est notre sauveur. Dans le désespoir, dans le doute, dans le Jéricho qui, pour les Pères de l’Église, symbolise, le plus, la caverne du monde, Jesus est là. Il entend le cri de nos enfermements. Il est notre espérance. Dans son malheur l’aveugle de Jéricho l’a entendu. Il laisse tomber son bien le plus précieux, son manteau, et cours vers Jésus…


Laissons résonner en nous ce dialogue sublime…

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

L’aveugle lui dit :

« Rabbouni, que je retrouve la vue ! »

    Et Jésus lui dit :

« Va, ta foi t’a sauvé. »

Aussitôt l’homme retrouva la vue,

et il suivait Jésus sur le chemin.


Juste avant, il y a cette phrase que l’on peut aussi entendre pour nous. « Confiance, il t’appelle »

Jésus est là. Il a besoin de nos mains, unies, solidaires, responsables pour nous sortir du trou….


Il a besoin de nos mains disait la jeune Etty Hillesum, dans le camp de la mort de Westerbroch, besoin de nos mains unies, solidaires, sans distinction de race, de couleurs, de genre, il a besoin de nous…


« L’aveugle et le boiteux,

la femme enceinte et la jeune accouchée :

c’est une grande assemblée qui revient.

    Ils avancent dans les pleurs et les supplications,

je les mène, je les conduis vers les cours d’eau

par un droit chemin où ils ne trébucheront pas.

Car je suis un père pour Israël » Jer 31


Saint Augustin avait cette phrase sublime «  Tu étais là et je ne le savais pas ». Laissons nous porter dans le noir par cette certitude : au fond du trou, Dieu nous porte dans ses bras….

18 octobre 2021

Danse avec la Parole - 12

Et si la Parole était ce que l’Invisible nous donne à voir de sa face ? suggère à sa manière Marion (1)

Certes le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous.

Certes le Christ n’a écrit que des traits sur le sable.

Certes la Bible est parole humaine parfois mêlée et habitée par le Souffle divin.

Pourtant il reste au travers de tout cela ce que nous appelons sur le bout des lèvres la Parole de Dieu, ce « Dit » de Dieu qui nous permet, comme en Ex 33 & 34 d’apercevoir le dos de son visage, sans en maîtriser la face (2)

Emmanuel Lévinas, dans autrement qu’être (3) a de très belles pages sur la différence entre le Dire et le Dit qui nous appelle à beaucoup d’humilité dans nos interprétations.

La dimension symphonique des Évangiles (4) est, par ses paradoxes et ses apories le chemin d’une théologie négative jusqu’à ce que d’Ailleurs nous vienne l’étincelle de compréhension fugace du mystère.

Laissons la Parole nous atteindre jusqu’au jointures de l’âme (Heb 4), dans le silence propices aux « courants d’air »(5) de la brise légère.


La Parole est notre chemin. Elle a besoin d’être méditée et manduquée à plusieurs, hommes et femmes(6), lentement et sûrement. Nous n’avons pas fini d’en faire le tour, et heureusement car le dos de l’Invisible masque le feu ardent de notre joie et de notre espérance.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, op. cit. p. 285

(2) cf. Marion, ibid p. 287 et mes travaux dans Pédagogie divine

(3) cf. Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être et au delà de l’essence 

(4) je tiens l’image de Hans Urs von Balthasar

(5) François Cassingena-Trévedy, Pour toi quand tu pries.

(6) cf. La Maison d’Évangile - La Parole Partagée et mon billet n.11

17 octobre 2021

Danse avec le Verbe - 10

L’humilité de Dieu va jusqu’à pousser son abaissement à la limite de ce que nous pouvons saisir sans mettre à mal, pour autant notre liberté. 

On pourrait en effet, comme nous le faisions à propos des miracles s’interroger sur le pourquoi de leurs limites, de leur rareté…

C’est ce que j’apprécie à nouveau chez Jean Luc Marion (1). Après sa lecture cursive de Jean 4 où Jésus commence par demander à boire à la Samaritaine avant de parler d’eau vive (une interprétation est très classique (2), mais qui s’intègre bien dans son développement, Marion a cette phrase qui m’interpelle, peut-être parce qu’elle fait écho à mes travaux sur la pédagogie divine : « Dans le décèlement [du mystère], ce qui se donne à voir reste à niveau avec celui qui le voit » (1)


On a là déjà une piste, mais Marion distingue pourtant plus loin décèlement (ou vérité) et découvrement (apokalupsis) qu’il faudrait comprendre, par contre (2), comme le début d’une interaction, de notre capacité à recevoir ou rejeter… à réagir, voire à mettre en actes.

Le decouvrement de Dieu appelle une réponse, un mouvement, une danse… comme cette semence fragile qui fait germer en nous ce que Dieu nous révèle.


On a bien là une trace des enjeux de cet agenouillement de Dieu que je cherche à thématiser depuis des années (3). 

Ce que la théologie appelle kénose est bien cette attitude pastorale de Dieu qui ne nous invite pas à un saut dans l’insissable qu’Il est, mais cherche toujours à rejoindre l’homme jusque dans ses impasses culturelles et les méandres de sa quête, jusqu’à réveiller sans forcer sa conscience.


C’est pour moi ce qui distingue les théophanies de l’Ancien Testament des révélations du NT(4), mais aussi peut justifier que les apparitions de Fatima ou de Lourdes puissent avoir pour nous des colorations culturelles vieillottes alors qu’elles parlaient aux petits bergers de là bas, les rejoignant, comme dit Marion, « à leur niveau » de compréhension. Cela ne dénature ni la profondeur de la rencontre, ni la personne, respectée pour ce qu’elle est.


Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Il s’est fait homme.


En contemplant cet abaissement on peut comprendre toute la tendresse de Dieu qui ne mésestime pas l’homme mais au contraire l’aide à grandir, depuis son état, dans cette logique « vectorielle » que j’évoque souvent.


A cela s’ajoute ce que le regretté B. Sesboué disait dans sa « Pédagogie du Christ », la réalisation par le Christ de l’étendue de sa mission est progressive, ce qui pour nous le rend plus humain.


John P. Meier(5) le soulignait aussi. Il n’est pas sûr que le Christ ait perçu, au début du moins, la dimension universelle de sa venue, ce qui explique l’épisode des petits chiens avec la Syro-Phénicienne , ce qui laisse dire, avec raison, à nos amies, que Jésus avait besoin d’un regard féminin, pour ouvrir son cœur aux dimensions du monde. Elles n’ont pas tort. La dimension ecclésiale doit s’ouvrir au fait que la danse du Verbe est Kononia et non interprétation figée d’un savant ou d’un mystique solitaire. C’est ensemble que nous progressons doucement vers la Révélation. C’est notre espérance…


Les temps actuels, nous rappellent que les frasques de l’Ancien Testament sont aussi nos horreurs présentes comme le soulignait G. Hamman : « c’est notre histoire ! » (6) et que nos églises ont encore besoin de travailler ensemble vers une sainteté toujours inaccessible à l’homme hormis quelques étincelles fragiles. Le grand Pierre pouvait affirmer à la fois à Césarée la réalité du Christ et juste après se planter magistralement sur le sens de la Croix. 

Humilité donc. Nous sommes tous à la fois proches et loins de la Vérité.

Mais celle ci n’est pas lumière vive et aveuglante mais au contraire buisson ardent d’un amour fragile qui se donne dans la nuit et réveille chez nous un feu de braise, pour qu’ensemble brille ce que Dieu veut nous signifier dans le silence.


« Parce que le phénomène se manifeste à fond et se donne en soi à fond, il ne peut pas précisément s’imposer à moi sans moi ; il ne peut que se pro-poser en face de moi, qui peut ne pas en recevoir la survenue, donc décider de ne pas le voir. » (ibid p. 248)


« J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas dansé » laisse transparaître le drame du danseur repoussé, de l’amant trahi, les larmes de Dieu qui entend les pleurs de Rama… 


(1) Jean Luc Marion, « D’ailleurs la Révélation », op. cit p. 236

(2) p. 239sq

(3) cf. aussi mon « À genoux devant l’homme », troisième édition.

(4) cf. Dieu dépouillé

(5) John P. Meier, Un certain juif nommé Jésus, tome 1 à 5.

(6) cité par Hans Urs von Balthasar dans le tome 2 ou 3 de sa trilogie

15 octobre 2021

Danse en Eglise - 9

J’aimerais revenir sur la dernière publication de François Cassingena-Trévedy qui ne mâche pas ses mots sans lâcher l’essentiel : cet attachement à l’Église qui nous prend aux tripes en dépit des déceptions et des faillites.

Je vous invite à méditer son denier cri(1).


Oui, notre Église devenue soudain si laide reste à reconstruire, même s’il faut pour cela déboulonner ses lourdeurs et ses impasses, pour assembler à mains nues, avec des pierres vivantes, burinées à l’envie, usées et meurtries, une chapelle ardente plus fragile, mais qui reflète enfin le projet d’un Christ nu, un « Dieu dépouillé »(2)


Nous sommes nous laissés emporter par le succès d’une Église socialement acceptable au point d’oublier l’essentiel ?


Si la lumière de ses ors s’éteint, si ses dogmes s’effritent, si ses monseigneurs en perdent leur titres, notre Église brillera d’un feu plus intérieur mais non moins lumineux. Ce sera une autre lueur, plus fragile, qui n’est autre que la petite espérance du royaume promise et pour autant toujours inaccessible. 


Il y a qui 15 ans j’écrivais « cette Église que je cherche à aimer » (3) paraphasant le titre de Vidal. Elle m’énervait cette Église enfermée dans ses impasses et laissant déjà transparaître ces drames qui éclatent au grand jour aujourd’hui. Et pourtant je l’ai rejoint, car au delà de ses lourdeurs, elle est aussi habitée par des prophètes, souvent maltraités et vilipendés comme ce Congar qui s’est battu pour lui redonner sens. 

Je crois que ce sont ses mémoires du concile, Moingt et Theobald et d’autres prophètes souvent méprisés qui m’ont fait basculer… 

L’Église que j’aime porte l’espérance d’un peuple fragile qu’on ne peut laisser sans lien avec L’unique, le Berger, la Porte.

L’Église reste l’appel et le don d’un Dieu qui s’efface en nous laissant, derrière le voile déchiré du temple(4), un Verbe à déchiffrer ensemble, sans jamais pouvoir prétendre le saisir vraiment…


Pas seul, mais au moins deux ou trois, en Son nom. Il faut voir l’intérêt surprenant à mes yeux de la Maison d’Évangile - La Parole Partagée, créée non sans hésitation, et qui n’a jamais eu autant d’inscriptions que depuis qu’a éclaté le scandale. Qu’est ce qui attire sinon ce partage à la table du Verbe ? 


Refuge, l’Église l’est et demeurera, avant d’être institution, l’espoir d’une Kononia, au sens paulinien, d’une famille humaine qui trouve en son sein le repos annoncé. Prions pour qu’elle écoute ces 45 recommandations du rapport Sauvé, qu’elles soient lues, entendues, et qu’elle avance et redevienne le Corps de celui qui nous précède en Galilée. 


L’Église ne peut plus être comme avant. Elle a besoin comme je l’écrivais samedi d’un chemin au désert(5), mais je crois  qu’en son sein réside l’eklesia originelle, le souffle qui nous échappe dès que nous voulons le dogmatiser ou l’imposer 🙂 


l’Église n’est pas d’abord une institution mais l’espoir réuni d’un peuple qui espère toujours et attend de redécouvrir que nous ne pouvons avancer seul. 


Quand elle aura finie d’être pouvoir et orgueil elle pourra enfin s’agenouiller devant l’homme (6).


Ma plus belle expérience pastorale a été St Séverin, il y a 20 ans, quand après 5 rencontres collective type CPM un jeune homme s’est levé regardant les autres couples (et non moi et ma femme) et a déclaré : « j’ai compris, l’Église c’est nous ! »


C’est cette Koinonia qui me fait vivre.


(1) voir sur sa page

(2) gratuit sur le site de la Fnac https://www.fnac.com/ia9587875/Claude-J-Heriard

(3) voir sous le même lien

(4) voir aussi « Le rideau déchiré »

(5 et 6) voir mes livres éponymes

08 octobre 2021

Sur la pointe des pieds…

Il y a un temps pour parler et un temps pour faire silence.

Aujourd’hui je commencerai à la suite de J.Moingt par un appel au silence. À faire résonner en nous ce vide [du samedi saint] qui seul peut nous laisser entendre les cris… et quels cris… (1)

Après les événements de cette semaine, après la lecture insoutenable de ce rapport, que j’ai loin d’avoir finie, il me semble urgent de faire silence, de se taire devant cet innommable, pour retrouver ensemble un véritable chemin d’humilité et de service, se laisser saisir par le Christ qui est si loin de notre humanité et, seul, est image véritable de Dieu, parce que son don est entier et sans partage.

Qui sommes-nous pour revendiquer d’autres titres que celui de pécheurs en chemin vers le pardon ?


Les lectures de ce dimanche nous conduisent vers cela avec force. Laissons les textes parler d’eux-mêmes plutôt que d’en rajouter…


« Elle est vivante, la parole de Dieu,

énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ;

elle juge des intentions et des pensées du cœur.

Pas une créature n’échappe à ses yeux,

tout est nu devant elle, soumis à son regard ;

nous aurons à lui rendre des comptes. » (Heb 4)


L’auteur d’Hebreux ne mâche pas ses mots. Nous laissons nous traverser par eux ? Qu’allons nous faire pour mettre en actes ce « plus jamais ça » qui vient aux lèvres ?


Laissons Dieu pénétrer dans les recoins les plus sombres pour que jaillissent enfin la lumière 


L’Église ne sera que si elle se laisse totalement traverser jusqu’aux jointures de l’âme, jusqu’à ce que nous cachons de plus sinistre en nous, ce qui se colle à nous et nous empêche d’entrer dans le don véritable. 


« J’ai prié,

et le discernement m’a été donné.

J’ai supplié,

et l’esprit de la Sagesse est venu en moi ». Nous dit la première lecture.


Seigneur viens m’habiter, viens nous habiter…

Viens Seigneur, convertis moi…


Au fond de nous, après ce temps de silence, que nous dit l’Evangile… 

Pourquoi nos richesses nous empêchent-t-elles d’accéder au royaume ? Quels sont ces biens qui nous centrent sur nous et nous empêchent d’entendre le cri de nos frères ? 


Laissons nous pousser au désert, comme Jesus poussé par cet Esprit de Sagesse dont parle la première lecture. Les trois tentations du Christ se résument dans 3 verbes :  l’avoir, le pouvoir et la valoir… 

Que nous dit notre cœur sur cela ?

Quelles sont ces variations subtiles de l’avoir et du pouvoir qui nous empêchent d’etre aimant.

L’amour n’est pas naturel souligne Marion(2). Il ne vient que dans un quitter, dans un abondon. 


C’est le problème du jeune homme de l’Evangile.


Une tradition voit dans Marc ce jeune homme nu au mont des oliviers. Il lui a fallu toute la prédication de Jésus pour comprendre que ses biens l’empêchait d’aimer…


Laissons nous conduire au désert… (3) car c’est là que Dieu nous parle…


Ce n’est que dans le dénuement que reviendra notre soif, que nous pourrons être attentifs aux petits, à ceux qui crient..  quittez vos vêtements de fête, dit le Seigneur en Ex 33 juste après l’épisode du veau d’or… nos apparats et nos apparences ne sont que des manières de masquer cette nudité première de l’homme qui seule nous met en chemin, sans honte vers autrui… laissons nos sandales de rechange, abandonnons nos ors inutiles, la maison de Dieu est une tente bien fragile où Dieu quitte son vêtement pour s’agenouiller devant les souffrants(4), les petits et les pécheurs, pour les amener à l’essentiel… l’amour inconditionnel…

Tout quitter pour le suivre…

Quand on n’a pas tout donné a-t-on donné ? 

dit l’adage. Un chemin difficile…

Le poverollo avait bien raison…

Notre maison est à reconstruire, une fois encore… 

Chacune des recommandations du rapport Sauvé mérite toute notre attention. J’en ajouterai une. Cessons d’appeler maître, ou « mon Seigneur » ceux qui ne sont que des hommes. 


La semaine dernière nous entendions le Christ mettre l’enfant au centre.

C’est à pleurer…


(1) Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, 1995, Ed° de 2002, Cogitatio Fidéi n° 176, p.546ss

« Quiconque contemple en Jésus l'humanité victime de ses manipulations du divin au point de s'entretuer, se sentant solidairement coupable de cet état de choses et impuissant à s'en libérer, est invité à y écouter le silence du Dieu qui parle en Jésus et à y découvrir l'inconnu d'un Dieu tout différent de ses images, plein d'amour et de respect pour les hommes, qui les appelle à l'aimer et à le respecter par le respect et l'amour les uns des autres, à exister pour les autres comme pour Dieu même. »

(2) Jean Luc Marion, d’ailleurs la Révélation 

(3) cf. mon essai Chemins du désert 

(4) cf. à genoux devant l’homme


PS : Notes pour une homélie dominicale que j’ai eu bien du mal à prononcer

07 octobre 2021

Souffrance et Crucifixion - 8

Où es-tu mon Dieu ?

Une question d’actualité à propos de ce rapport affligeant où les mots nous manquent.

Au delà de la désespérance et de la honte et après un temps de silence, il nous faut chercher la lumière, la seule, celle du Christ nu et exposé qui démonte tous les masques et les volontés de puissance.

Parce que nous restons sans voix, il faut peut-être refaire le chemin de nos pères, comme celui de Jurgen Moltmann, l’auteur du « Dieu crucifié » : « Est-ce que beaucoup ont perdu leur confiance en Dieu après ce crime et le silence du ciel ? » demandait Moltmann dans une conférence à Paris il y’a quelques années à propos d’Auschwitz. Sa réponse est édifiante. 

« Je trouvai de l’aide dans le livre d’Élie Wiesel sur ses expériences à Auschwitz, intitulé Nuit ». Relisons le texte : « Trois condamnés enchainés – et parmi eux, le petit serviteur [pipel], l’ange aux yeux tristes. [...] Tous les yeux étaient fixés sur l’enfant. Il était livide, presque calme, se mordant les lèvres. L’ombre de la potence le recouvrait. [...] Les trois cous furent introduits en même temps dans les nœuds coulants. Vive la liberté ! crièrent les deux adultes. Le petit, lui, se taisait.

Où est le Bon Dieu, où est-il ? demande quelqu’un derrière moi. Sur un signe du chef de camp, les trois chaises basculèrent. [...] Les deux adultes ne vivaient plus. Leur langue pendait, grossie, bleutée. Mais la troisième corde n’était pas immobile : si léger, l’enfant vivait encore. [...] Derrière moi, j’entendis le même homme demander : « Où donc est Dieu ? Et je sentais en moi une voix qui lui répondait : Où il est ? Le voici – il est pendu ici, à cette potence .... »


Moltmann reprend ainsi : « Est-ce que c’est une réponse ? Dieu souffrit-il avec les victimes d’Auschwitz ? Est-ce que Dieu n’était pas […] présent dans les chambres à gaz ? Est-ce que Dieu était pendu là au gibet ? J’eus l’impression que toute autre réponse serait hors de propos. Il ne peut pas y avoir d’autres réponses. Parler à ce moment-là d’un Dieu incapable de souffrir, cela ferait de Dieu un démon. Parler d’un Dieu indifférent nous rendrait indifférents, nous aussi. Renier Dieu et se tourner vers l’athéisme réduirait au silence le cri des victimes. On priait le Shema d’Israël et le Notre Père à Auschwitz, on peut donc prier Dieu après Auschwitz. Dieu était dans leurs prières(1).  »


On peut déboulonner les statues, mais ne déboulonnons pas notre espérance.


Dans ma thèse sur l’incompréhensible souffrance humaine (2) je cherche à tracer un chemin fragile. Peut-on en trouver un aujourd’hui quand la souffrance de 5 millions de victimes d’abus est évoquée ? Et surtout quand plus de 330.000 le sont par ceux qui ont fait voeux d’imiter le Christ ?


Le rapport de la CIASE met en haut d’une perche le mal humain dans son horreur la plus rude. Il nous faut voir ce que disait Jean 3 à propos de cet épisode au désert de Nb 11. :


« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.

Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »


Notre seule espérance c’est de croire que Dieu n’est pas dans le for externe d’une toute puissance affichée, mais dans la toute faiblesse d’un enfant abusé. 


Notre seule espérance est que Dieu est amour…


Dieu souffre triplement disait, à sa manière Hans Urs von Balthasar, comme un Père qui voit souffrir son Fils, comme un Fils déchiré sur le bois, et comme l’Esprit qui pleure de nos refus d’aimer (3)


À la suite d’une conférence donnée à Zagreb un ami m’a conduit dans une Église dont j’ignore le nom. Sur un mur figure des milliers de victimes de leur guerre fratricide et un peu en hauteur, une barque traversée en son milieu par une ligne blanche. Cette barque représente notre Église disait mon ami. Le mal est dans notre barque. Nous venons ici pour nous rappeler que nous sommes tous embarqués dans cette triste galère.


Seigneur pardon…

Tu es là.

Qu’ai-je fait ? 


(1) Elie Wiesel, Nuit, Paris, Éditions de Minuit, 1957, cité par J. Moltmann dans sa conférence de Mars 2010 à l'Église américaine de Paris, texte inédit.

Cf. Aussi Emmanuel Lévinas, « Transcendance et Mal », Dieu qui vient à l’idée, Paris, Vrin, 1982, texte repris dans Philippe Nemo, op. cit. Job et l’excès du mal, Paris, Albin

(2) Quelle espérance pour l'homme souffrant. https://www.fnac.com/livre-numerique/a14819046/Claude-J-Heriard-Quelle-esperance-pour-l-homme-souffrant

(3) Hans Urs von Balthasar, Théologique II, Namur, Éditions Culture et Vérité, 1996, série «Ouvertures», p. 156. Voir aussi J-M. Garrigues, op. cit. p. 107 citant Osée 11, 8 »

03 octobre 2021

L’humour et la danse - 7

Quand Dieu a rêvé que le mariage de l’homme et de la femme puisse être l’image de son alliance pour l’homme, il devait avoir un sacré humour.

C’est en tout cas ce que je peux conclure alors que mon couple s’apprête à fêter le 25 ses 35 ans de mariage, et recevoir en prime tout à l’heure la bénédiction de mon évêque… (*). 

De l’humour car l’aventure est bien cocasse que cette longue vie partagée avec ce vis-à-vis si différent de moi et qui pourtant me comble autant qu’il m’énerve parfois (soyons honnête). 

Dans la version de Marc que nous contemplons aujourd’hui, se trouve caché plus loin ce verset que j’aime citer : « Jésus les regarda et leur dit: «C'est impossible aux hommes, mais non à Dieu, car tout est possible à Dieu.» Marc‬ ‭10:27‬ ‭

L’aventure de l’indissolubilité est elle impossible à l’homme et possible en Dieu ? 

Ce serait croire à la grâce du sacrement, un acte de foi fragile, auquel je n’ose prétendre…


Un pas de danse

Et pourtant, je dois avouer qu’il y a dans la magie d’une rencontre une danse particulière qui n’est pas que la beauté de cet « une seule chair » qui nous unit parfois, mais bien cette dimension symphonique du mot hébreu « basar » que je souligne souvent. Malgré nos différences se jouent une musique où Dieu s’invite parfois, une danse subtile et sublime. 

Dans un de mes livres sur le mariage (1) j’évoque cette dimension triple d’une seule chair avec ces mots que je ne renie pas, même si la barre est bien haute : 


« L'homme peut devenir image quand quittant son égoïsme, il parvient à ne faire qu'une seule "chair" au sens symphonique, c'est-à-dire en atteignant la plénitude d'un "je te reçois et je me donne à toi". Il atteint une communion véritable dans un échange dont "il n'a pas honte". Il s’agit en effet de monter graduellement vers ce qui au fond de nous est "le saint, ou la partie intérieure du tabernacle (…) l'image de la “bienheureuse Trinité (2) rejoignant ainsi le dessein naturel de Dieu sur l'homme. L'homme a reçu en lui une étincelle de l'invisible, une lueur de Dieu. Avec l’aide de la foi et grâce à l'Esprit Saint qui habite en chacun, ce germe d'amour porté au fond de soi, le couple peut devenir plus qu'un simple miroir. Il peut s'orienter pour tendre à devenir, non plus une image blessée par le péché mais une véritable image de l'amour de Dieu, pour tendre à une communion véritable, une représentation véritable de la gloire et de l'amour de Dieu. Cette direction consiste en l'imitation du Christ, qui lui seul est l'image véritable : « Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur,… »… 


Je vous fait grâce de la suite…

La symphonie du couple va jusqu’à donner parfois chair autre - qu’il faudra accueillir et laisser partir - voire même à participer au Corps….

Mais l’erreur serait de croire que seul le couple marié reflète cela. Ce qui est de l’ordre d’une dynamique sacramentelle (3) ne se limite pas à l’expression particulière d’un homme et d’une femme mais à cette image bien fragile de ceux qui tentent d’entrer dans la danse, qu’ils soient célibataires ou témoins d’un amour fragile, et surtout membres du corps du Christ que nous formons ensemble dans ce que notre pape François appele un grand polyèdre (4). 


Les pierres vivantes de l’Église sont bien fragiles et le rapport à venir mardi montrera les ombres de nos cathédrales, mais je me plais à croire qu’au-delà de ces tristes voires odieuses réalités, l’Église est appelée à signifier que nous sommes tous attendus dans la danse des anges… 


Humour de Dieu donc…

Humour noir ?

Il doit rire jaune parfois en regrettant d’avoir confié à l’homme cette lourde tâche d’être image de son amour.


Prions pour ceux qui se déchirent et ont du mal à se relever.

Prions pour les blessés et les victimes de cette folie humaine qu’est la violence sur autrui.

Prions pour l’Église. 


J’ai joué de la flûte sur la place du marché et vous n’avez pas dansé…


* deux évêques visitent ce week-end ma pauvre paroisse située à cheval sur 2 diocèses à l’occasion de notre fête paroissiale et l’un d’eux bénira 6 couples dont le mien… 😉


 (1) Aimer pour la vie, Essai de spiritualité conjugale cf. https://kobo.com/fr-FR/ebook/aimer-pour-la-vie

(2) “Saint Bonaventure, Itinéraire de l'esprit vers Dieu, Chap III, I.

(3) cf. mon livre éponyme 

(4) utilisation fréquente, cf. notamment AL §4

02 octobre 2021

Présence et danse - 6

Dieu s’invite-t-il à notre table ? 

Je complète ici une réflexion sur Réflexion théologique car elle mérite d’être poursuivie. 

Nous attachons, non sans raison, une importance particulière aux sacrements, qui ont une place privilégiée dans l’Eglise, en faisant passer le jeune baptisé par des étapes d’initiation qui le rende de passif à acteur et « passeur » (1) confirmé. 

Il faut pour moi néanmoins distinguer la construction rituelle, théologique et sacramentelle de l’Église qui garantit conceptuellement une Présence réelle en dépit de la nature du célébrant (ie qu’il soit un  prêtre imbecile ou pas - comme le précise Ratzinger dans un de ses livres) (2) d’un acte non sacramentel mais chargé de sens, qui ne garantit rien, mais reste ouvert à cette insaisissable grâce de la présence. 

À partir de cette distinction se pose deux questions : 


1) est-ce que l’eucharistie valablement célébrée pour un catholique va se traduire par une conversion intérieure et réaliste du récipiendaire (c’est-à-dire la présence réelle au. Récipiendaires, quelque qu’il soit,  bourreau argentin ou nazi qui communie. Sera t il habité/touché et converti par l’amour qui vient le visiter ?)


2) est-ce qu’une célébration non catholique, qu’elle soit une cène protestante, une « ecclesiola domestique » (3) ou une messe sur le toit du monde à la Teilhard, est une récupération et un détournement du sens profond visé par le Christ en instituant le « faire mémoire » ? 


Entre ces deux visions volontairement poussées à l’extrême, le Christ qui est don, trouve probablement sa place, insaisissable, qui relève de l’inhabitation toute intérieure (4) chez l’homme d’un Dieu qui veut danser avec tout homme et y faire sa demeure, comme chez un Zachée pour le rendre aimant… Zachée n’était ni baptisé ni confirmé 😉 et pourtant le Christ est venu chez lui, tout voleur qu’il était, et a transformé sa vie..


« À toute chair, il donne le pain,

éternel est son amour ! » (Ps 135, 25)


Lévinas disait, dans « Difficile liberté », que le monde serait lumineux quand les chrétiens arrêteront de croire qu’ils détiennent seuls la lumière (5). 

Ce qui va s’annoncer le 5/10 va faire s’effondrer nos temples… 


Nos constructions humaines sont bien fragiles et il va nous falloir prouver plus que jamais que nous sommes les pierres vivantes d’une Église universelle et en même temps que nous croyons qu’hors de l’Église le salut peut trouver sa place, fragile, dans ce que Justin appelait les « semences du Verbe ». Une expression probablement reprise par Congar dans Gaudium et Spes et que Hans Urs von Balthasar complète utilement en parlant des semences de l’Esprit.(6)


Nos rites sont limités.

Nos hiérarchies sont fragiles.

Nos sacrements, disait Moingt, réduise la dynamique réelle du christianisme. Il insistait même pour souligner que le lavement des pieds « en actes » (7) dépassent les 7 sacrements car il est le cœur de la diaconie de l’Église. L’Église est amour ou n’est pas (8)

À la suite de Theobald, j’ai longuement montré dans « Dynamique sacramentelle » (9) qu’il est urgent de dépasser cette cristallisation rituelle pour ouvrir et rejoindre le monde dans ce qui fait de lui le signe d’une présence.

Le couple modèle de l’alliance que nous célébrons dimanche est un chemin, soutenu par le cadre fécond du Sacrement de mariage, mais un couple de remariés, des célibataires peuvent être parfois un signe plus lumineux que l’Amour est grand et dépasse les frontières de nos églises (10).


(1) allusion au livre de Ph. Bacq & Chr. Theobald (dir.), Une nouvelle chance pour l'Évangile. Vers une pastorale d'engendrement (coll. Théologies pratiques). 2004 et Passeurs d’engendrement, de 2008.

(2) Les principes de la théologie catholique

(3) je fais allusion à une célébration familiale évoquée par Bruno Amel sur RT

(4) voir sur ce point la thèse de Rahner dans le TFT

(5) je cite de mémoire 

(6) dans la fin de sa trilogie 

(7) c’est-à-dire pas le mime du jeudi saint mais la diaconie d’un agenouillement devant l’homme (cf. mon livre éponyme). 

(8) cf, cette Église que je cherche à aimer

(9) téléchargement libre sur Fnac.com

(10) voir aussi, au même endroit mon roman « Le désir brisé » 

Voir aussi, sur ce même thème : Tressaillement et danse https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4710458732361907/

30 septembre 2021

Foi et danse

Qu’est ce que la foi ? 

Le bon vieux catéchisme parle d’une vertu théologale en en faisant un « don de Dieu ». Ce don reste pour moi fragile comme cette flamme qu’on préfère mettre sous le boisseau plutôt que l’exposer au monde. Et cependant, la foi est danse avec la charité-agapè et l’espérance sans lesquelles elle s’épuise.

C’est dans cette danse subtile à la musique d’un Dieu caché qu’elle prend sa source.

Aride parfois.

Secouée par ces enfermements et ces adhérences qui nous empêche de danser, elle s’épanouit cependant quand le scalpel tranchant de la Parole vient couper les liens invisibles qui nous retiennent d’entendre la symphonie de Dieu….


Flamme dansante et légère, la foi est saisissement et tressaillement au sens de Ph. 3 et Luc 1. Elle nous réveille et nous surprend quand nous pensons l’avoir perdue… 😉


Elle nous vient d’ailleurs mais quand nous pensons la détenir et en vivre, elle nous échappe, car elle reste don.


Elle nous meut et nous émeut, nous voulons la partager, mais elle s’y refuse parfois, car elle n’est pas violence, elle ne s’assène pas, ne force pas la porte, elle attend, suscite, réveille et s’intille dans une contagion subtile, bien peu orgueilleuse et souvent humble,


Je n’ai pas la foi.. elle m’échappe et me surprend et quand je danse enfin, elle me ravit et me comble, car elle est grâce.

27 septembre 2021

Révélation et don - 5

Pourquoi les français ne croient-ils plus ? 

On peut facilement sombrer dans le désespoir quand on sent la fragilité et les échecs de nos pastorales, il nous faut peut-être prendre de la hauteur pour saisir que nous n’avons pas pour tâche de convertir mais de labourer une terre qui puisse s’ouvrir à la foi. Creuser un sillon fragile, non par des mots mais par des signes et des actes, des questions et des sourires, loin des certitudes imposées ? 


La foi reste un don, une grâce, un surgissement non programmable d’une rencontre entre Dieu et l’homme…

La foi d’autrui nous échappe. Elle est réservée aux moissonneurs, quand nos semailles seront achevées en dépit des larmes de nos efforts souvent stériles..


Comment l’insaisissable se donne-t-il à voir alors que sa lente pédagogie échoue à le rendre visible et qu’un voile demeure en dépit de la lumière des signes successifs que l’Exode met notamment en scène.

Le visage rayonnant de Moïse d’Ex 34 n’est probablement qu’un conte du 6eme siècle avant Jésus-Christ même s’il nous prépare à des épiphanies plus rayonnantes. 

Et la Transfiguration ou la résurrection ?

Esquisses mais inaccessibles et réservées à des privilégiés…


Nos perceptions fragiles de l’invisible, sont peut-être que des signes avant coureurs qui nous préparent à l’incroyable ?

Les signes ou « miracles » comme tous les phénomènes non saturés, nos tressaillements intérieurs sont peut être à compter dans les faibles étincelles qui précèdent et complètent le feu ardent, le don total, inouï d’un Père qui laisse son Fils mourir pour révéler la danse trinitaire et tragique.  Le grand Donateur s’efface sur une croix et jusque dans les profondeurs de l’humain, « terreux » souvent inconscient de ce qui lui est offert.


Pourquoi l’homme passe t il à côté ?


Tout est du vent s’il ne se concentre sur l’essentiel, sur ce qui n’est finalement visible que dans le déchirement du voile. La Croix est le seul signe élevé comme un nouveau serpent, nouvel Adam si différent de l’ancien qu’il devient figure de guérison et de conversion pour un centurion inculte. « Vraiment cet homme était fils de Dieu » révèle Marc au bout d’un long chemin.


Semences….

Agapè

Don


Trois mots qui révèlent à eux seuls l’inouï divin et cette invitation fragile d’un Dieu à genoux.


Kénose…

Triple kénose.


En poursuivant la lecture de Marion (1) je ne fais que danser une fois encore avec cette triple kénose qu’il cite chez Hans Urs von Balthasar et qui ne cesse de me faire tressaillir depuis que je me suis plongé dans sa trilogie.


De Bultmann à Barth, de Pannenberg à Rahner(2), la théologie bute sur des oxymores quand Dieu se joue de nos hésitations et de nos théories pour se concentrer sur une seule chose, simple et subtil : « tout est don ». 

Si l’Evangile de dimanche se résumait à une chose, ce n’était peut-être que dans une invitation presque anodine, « un verre d’eau » qui est en fait la première marche de l’agapè…


Dieu n’est qu’amour, disait le bon François Varillon sur la pointe des pieds.


(1) Jean-Luc Marion, d’ailleurs la Révélation, p. 164-186…

(2) ibid.


PS: pour aller plus loin sur ce thème voir : 

1. Le beau texte publié par A. Fossion, cf. supra 

et les réflexions de Michel Rondet 

2. mes essais fragiles  : Pédagogie divine, Le rideau déchiré, A genoux devant l’homme et Danse trinitaire tous rassemblés dans « Dieu dépouillé » disponible gratuitement sur Fnac.com mais aussi Pastorale du Seuil, qui pourraient avoir pour sous titre, échecs et humilité.

3. Mon billet 48 sur danse et silence https://www.facebook.com/100003508573620/posts/3669493763177540/

17 septembre 2021

Parole et danse - 4


« La Parole provoque une décision (...)[ou en tout cas] un appel lancé et qui résonne (...) voilement et dévoilement (...) qui surpasse notre écoute et notre décision. Ainsi demeure-t-elle toujours eschatologique [c’est-à-dire qu’elle n’a pas fini son œuvre et nous saisit au sens de Ph.3]. Le secret de la Parole revient à l’Esprit(1). Ce que la Parole veut me dire et la réponse qu’elle attend de moi, cela seul l’Esprit le sait, pas moi(2). »


Marion nous introduit pour moi à cette danse sublime qui ne peut être que trinitaire car elle n’est que le courant d’air d’une brise légère qui vient troubler notre intérieur le plus profond, déjoue nos enfermements et nos peurs et nous fait tressaillir au vent de Dieu, au rêve de Dieu(3).


À tout ceux qui n’ont pas encore passé le porche, venez danser dans notre maison d’évangile(4). Elle n’est pas un lieu de totalité mais une école de danse 🙂 


(1) Jean Luc Marion cite ici la Dogmatique de Barth

(2) Marion, op. cit p. 164-165

(3) belle expression que je tient de François 

(4) et danser ou contredanser avec nous aujourd’hui sur Ez 16 cf. Maison d’Évangile - La Parole Partagée

14 septembre 2021

Surnaturel ou incarnation - 4

Le choix des textes que nous propose la liturgie d’aujourd’hui sur la Croix glorieuse est cornélien.

 

1. Soit nous optons pour le livre des Nombres qui nous conduit à une méditation sur le cycle mimétique de la violence qu’un serpent dressé vient guérir et suivons la piste de René Girard. Nous avançons alors sur le discernement tout intérieur de ce qui nous conduit à la violence et de ce qui peut nous en sauver.

 

2. Soit nous contemplons le don de Dieu dans la triple kénose : 

- d’un Père qui donne un Fils et s’efface, 

- d’un Fils qui se vide par amour 

- et de la musique ténue de l’Esprit en nous… Danse trinitaire (1) ?


Dilemme ?

Non, il faudrait au contraire faire danser les deux, mesurer la distance entre le don de Dieu et notre petite amphore bien faible au milieu du fleuve (2) comme l’évoquait Bonaventure.


Je te reçois et je me donne à toi. 

Ce n’est pas qu’un échange matrimonial mais la danse à laquelle Dieu nous invite.


Le don de Dieu précède toujours notre réponse.


Jn 3, proposé comme Évangile, récapitule les deux, mais la profondeur théologique qui se joue dans ces trois textes d’aujourd’hui est abyssale. 


Elle est prélude à la contemplation de cette danse divine qui ne cesse d’engendrer des tressaillements intérieurs et de multiples interpellations (3)


(1) cf. mon livre éponyme gratuit sur fnac.com

(2) voir L’amphore et le fleuve

(3) cf, le rideau déchiré ou À genoux devant l’homme 


Illustration : crypte de la cathédrale de Bayeux ?

12 septembre 2021

Foi, surnaturel et danse - 3

Où est le vrai Dieu ? 

Est-il visible grâce aux miracles, fruit de nos intuition, imagination, concepts ou un rêve, une projection ? 

Notre raison et notre psychologie nous jouent sans cesse des tours, dans notre capacité à cerner, percevoir Dieu. 

Depuis plus de 2500 ans on croit le cerner, le définir et il nous échappe et nous « précède en Galilée », lui l’insaisissable.


Après les tâtonnements Juifs, l’apologie des premiers siècles, la réduction thomiste et organisée du divin, de concepts en définitions, à force de fausses théologies, l’idée même de Dieu s’est effritée dans des philosophies successives jusqu’à se réduire à une projection morale et idolâtre du divin, dernière statue que Nietzsche viendra déboulonner. 


Que reste-il ? 


Peut-être Dieu lui-même, irréductible par nature. Et Jean-Luc Marion de conclure sa deuxième partie par une question : « Dieu peut-il devenir accessible autrement qu’en venant d’ailleurs ? »(1)


Il nous reste en effet, souvent, dans nos nuits obscures, que la Parole à méditer. C’est dans la danse symphonique de ce Verbe aux couleurs multiples, que vient nous interpeller « l’ailleurs », jusqu’aux « jointures de l’âme », sans qu’on puisse pour autant l’enfermer dans des interprétations littérales ou trop anthropologiques.


La Parole en effet nous échappe loin d’une lecture littérale et figée elle est dire, loin du dit, pointait Lévinas (2) et reste chemin d’Ailleurs. (3) « Elle est sur nos lèvres et dans nos cœurs [mais pourtant] dans le secret de l’Esprit, qui est le Seigneur » (4)


Elle est énonciation ou Annonciation/ tressaillements qui nous surprennent.

Elle s’accomplit ou nous transforme dans le processus très rahnérien de l’auto-communication intérieure, tout en restant secrète (5) car il demeure toujours une distance entre la trace et l’accomplissement en nous de notre metanoia/conversion, tant le saisissement reste un devenir, une « course infinie »….(6)


Secret qui nous invite néanmoins à sortir du boisseau pour que la lumière intérieure se transforme en buisson ardent, contagion et joie, danse…


Quand elle nous parle, enfin, nous vient la joie profonde du « Tu étais là et je l’avais pas senti, tu m’aimes et je l’ai pas cru, tu m’as appelé et je n’ai pas répondu… »


Nous sommes de ces Zachee qui grimpent aux arbres sans entendre parfois le « je veux demeurer chez toi » d’un Dieu qui nous guette chaque dimanche sur la place de l’Église et qui pleure de voir son morceau de flûte rester une invitation à la danse qui résonne dans le silence…


Me voici est là musique que rêve d’entendre un Dieu à genoux devant l’homme….


(1) D’ailleurs la Révélation, op.cit. p. 149

(2) cf, Autrerment qu’être 

(3) Karl Barth, kirchliche dogmatik, 1/1, p. 194, cité par JLM, p. 163

(4) Maison d’Évangile - La Parole Partagée

(5) je résume ici encore Marion, ibid. p. 163sq.

(6) voir Ph. 3, Gregoire de Nysse, la vie de Moise, et mon livre éponyme 


Vitrail de Saint Martin de Nonancourt, détail

05 septembre 2021

Foi et surnaturel - 2

Miracle, intuition, sensation, détermination, logique, certitudes, dogmes, révélation.

La juxtaposition de ces termes traduisent ils l’ampleur de l’inconnaissable ?

En lisant Jean-Luc Marion (1) on perçoit tout l’enjeu de ces nuances entre ce qui vient de Dieu et ce qui est propre à l’homme, entre raison et révélation, psychologie et certitudes. 

Face à ces « mouvements » une introspection est nécessaire ! Il nous faut discerner entre nature et surnaturel.


Suis-je en train d’inventer Dieu au sens décrit par Tomas Römer (2) ou m’est il révélé d’Ailleurs.

Comment Dieu me parle-t-il ? 

Quels sont les traces de sa présence ?

Y suis-je à l’écoute ?

S’impose-t-il ?

Vient-il quand je l’appelle ou me surprend-t-il ?

Et pourquoi son silence, mes nuits ?(3)


Certains textes nous ouvrent à la question de cette présence particulière à côté de laquelle nous passons sans Le voir. Je repense notamment à ce poème d’Ademar de Barros qui conclut que Dieu nous porte dans ses bras (4) ou ce cri d’Augustin « tu étais là et je ne le savais pas » (5)


Passons-nous à côté de la Présence sans ouvrir notre porte intérieure à la brise…à ce que François Cassingena-Trévedy appelle avec humour le « courant d’air ». (6)


On rejoint la question que je posais récemment à propos d’Effata…

Écouter vraiment demande le silence… sentir sa présence demande de partir au désert…

Chemin du désert (7)


(1) D’ailleurs la Révélation, op.cit. pages 130-150

(2) cf. l’invention de Dieu, Seuil 2014-2017

(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) cf. ci dessous 

(5) confessions VIII

(6) François Cassingena-Trévedy, pour toi quand tu pries…

(7) voir mon essai gratuit sur https://www.fnac.com/livre-numerique/a14819117/Claude-J-Heriard-Le-chemin-du-desert


« J'ai rêvé que je cheminais sur la plage en compagnie du Seigneur, et que, dans la toile de ma vie, se réfléchissaient tous les jours de ma vie. J'ai regardé en arrière, et j'ai vu qu'à ce jour où passait le film de ma vie surgissaient des traces sur le sable ; l'une était mienne, l'autre celle du Seigneur. Ainsi nous continuions à marcher jusqu'à ce que tous mes jours fussent achevés. Alors, je me suis arrêté, j'ai regardé en arrière. J'ai retrouvé alors qu'en certains endroits, il y avait seulement une empreinte de pied. Et ces lieux coïncidaient justement avec les jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse, de plus grande peur et de plus grandes douleurs. J'ai donc interrogé : Seigneur, Tu as dit que Tu étais avec moi, tous les jours de ma vie, et j'ai accepté de vivre avec Toi. Mais, pourquoi m'as-Tu laissé seul, dans les pires moments de ma vie ? Et le Seigneur me répondit : Mon Fils, je t'aime, j'ai dit que je serai avec toi durant la promenade, et que je ne te laisserai pas une seule minute. Je ne t'ai pas abandonné : les jours où tu n'as vu qu'une trace sur le sable sont les jours où je t'ai porté ! Amen. »

Effata ! Ouvre toi.

La danse de Dieu vers l’homme est folie à nos yeux comme celle de David devant l’arche qui déplaît tant à son épouse. Voici Jésus parti à la « périphérie » dans un terrain lointain de la Décapole, loin des juifs et de l’aveuglement de ceux qui croient être le « peuple unique »…

Et c’est là qu’avec des gestes tendres, des gestes très physiques qu’il fait renaître l’espérance d’Isaïe. Le boiteux bondira comme un cerf…

Alors que certains rêvent sur leur rétroviseur, il nous faut continuer de croire que Dieu vient visiter ceux qui sont perdus, sans oreilles et sans voix…

Jésus lève les yeux au ciel et soupire.

Lui le fils peut-il y arriver seul ?

Non c’est dans la danse trinitaire (1) que se joue la guérison.

Ce qui semble impossible à l’homme n’est possible que par la grâce divine. Les semences du Verbe et de l’Esprit (2) sont plus tenaces que nos rites et nos catéchismes, la vengeance de Dieu annoncée par Isaïe n’est pas violence humaine, elle est tendresse de Dieu, lumière dans la nuit.

« Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »(Isaïe 35)

Ouvre toi…

Je ferai de toi un « apôtre »

Hier, le petit Simon que j’ai baptisé et qui me demandait pourquoi on faisait une croix sur son front à l’entrée de l’Église a bien compris le signe de Jésus sur ses oreilles. Je lui ai dit qu’il pourrait mieux entendre ses parents lui dire je t’aime. Il fallait voir son regard vers son papa et son sourire.

Je n’ai pas entendu ce qu’il a dit à son père. Je deviens sourd, mais Simon a devant lui l’avenir… 

Prions pour lui et pour le petit Milo ce matin, premier enfant du premier mariage que j’ai célébré, baptisé tout à l’heure.

« Je serai qui je serai » Ex 3

Aujourd’hui est un jour d’espérance.

Telle est ma foi…


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir sur ce point la thèse d’Hans Urs von Balthasar dans la troisième partie de sa trilogie 

(3) beau commentaire de MN. Thabut ce matin à découvrir sur Maison d’Évangile - La Parole Partagée

03 septembre 2021

Danse et souffrances - 15 Danse tragique ?

Si Jésus évoque danse et pleurs dans la même phrase (cf. Mat 11,17),, c’est bien qu’il existe un lien subtil et mystérieux entre les deux, au delà de l’opposition apparente entre lui et le Baptiste.

Ce lien est au cœur du mystère de l’incarnation et il n’est pas anodin de contempler cette semaine Jésus attentif aux souffrances de la mère de Pierre jusqu’au sourd de dimanche prochain.


Que dire sur la souffrance ?

Sur la pointe des pieds, j’ai osé aborder ce thème en clôture de mon cycle de théologie (1) car il me semblait un noeud pastoral particulier. Je ne peut pas dire que ma note ait été bonne, mais le travail sur ce thème peut-il être achevé ?

Un bon archevêque recommandait de ne rien dire. Folie de ma part ?


La souffrance n’est pas un appel de Dieu pour l’homme. Elle est.. parce que le mal est…

Et en même temps, cette réalité est souvent le lot de certains d’entre nous, de manière particulière. J’ai autour de moi de douloureux exemples à côté desquels je me sens démuni et chanceux à la fois.

Les mots me manquent.


Paul l’évoqua à plusieurs endroits la souffrance et va jusqu’à dire qu’il complète les souffrances du Christ (cf. Col 1, 24). Nous avons tous notre part dans ce mystère du salut, homme et femme, à la mesure de nos forces, à la suite de Job, sans croire pour autant que Dieu a une responsabilité. Voire même au contraire, et c’est le message central de la Croix, qu’il souffre à nos côtés. 


C’est le mystère même du mal… 

Dieu ne veut pas la souffrance…

Il ne faut cesser de le crier…

Et dans la douleur il faut aussi crier, à la suite des psaumes, cet « où es-tu mon Dieu ? » qui révèle notre inconnaissance.


Difficile d’en dire plus ici, mais j’invite à creuser le sujet…car une pastorale ne peut l’éluder.


Excursus sur l’Enfer et le purgatoire (évoqué sur RT) :

Notre sadisme et notre soif de vengeance peut souhaiter la souffrance d’autrui et le feu de l’enfer. Il faut peut-être relire alors ce que nous avons contemplé sur le pardon et la miséricorde infinie de Dieu, voir notamment la longue double réponse de d’ Hans Urs von Balthasar qui croit que l’enfer est peut-être vide (2) 

Sur la nuit féminine, voir aussi le livre de François Marxer (3) qui creuse magnifiquement ce thème de la nuit féminine et explore de belles figures. 


(1) cf. « quellle espérance pour l’homme souffrant ? » ou j’ai traduit, avec l’aide d’une amie, en français un texte inédit de Karl Rahner

(2) Hans Urs von Balthasar,  L'Enfer : une question  et Espérer pour tous chez DDB ou sa Dramatique divine.

Voir aussi ma trilogie « humilité et miséricorde » ( disponibles également gratuitement sur le site de la Fnac)

(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

01 septembre 2021

Pierres dansantes - 14

L’expression pétrinienne « pierres vivantes » (1 P. 2,5) ne s’écrit qu’au pluriel, tant notre quête individuelle est stérile si elle ne nous ramène pas au Christ, seul maître.

L’idéal du théologien n’est pas de se distinguer mais de participer à cette construction fragile du nouveau temple dont le sommet est un vide laissé par le Crucifié, un manque, un souffle ténu, le bruit d’un fin silence et le chœur des anges (1).

Le sommet d’1Rois 19 n’est pas la victoire d’Elie mais la découverte qu’il n’est pas seul, que le « reste » est un amas de « pierres vivantes » habitées par le souffle et dansantes.

Nos ossements desséchés ont besoin d’une musique venue d’ailleurs…


Comme le souligne saint Jérôme, l’interprétation de l’Ecriture ne peut se faire qu’à plusieurs dans la « course infinie » vers l’insaisissable. 


« Tu as voulu, Seigneur, que la puissance de l’Évangile travaille le monde à la manière d’un ferment ; veille sur tous ceux qui ont à répondre à leur vocation chrétienne au milieu des occupations de ce monde : qu’ils cherchent toujours l’Esprit du Christ, pour qu’en accomplissant leurs tâches d’hommes, ils travaillent à l’avènement de ton Règne. » (oraison de l’office des laudes)


(1) cf. mon analyse dans pédagogie divine…

La danse des Pierres - 13

« Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. »


COMMENTAIRE D'ORIGÈNE SUR L'ÉVANGILE DE JEAN

« Le nouveau Temple 

Les hommes charnels et amis des réalités sensibles me semblent désignés ici à travers les Juifs. Ceux-ci sont irrités parce que Jésus a chassé ceux qui, par leur activité, faisaient de la maison de son Père une maison de trafic, et ils lui réclament un signe. Mais par ce signe on verra que le Verbe, qu'ils refusent d'accueillir, a raison d'agir ainsi. Le Sauveur va unir en une seule parole ce qui concerne le Temple et ce qui concerne son propre corps. Lorsqu'ils lui demandent Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là, il répond : Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. ~ Mais, selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de « Temple ».


Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement.


Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier.


De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute : Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. »


Office des lectures d’aujourd’hui

31 août 2021

Les limites de l’exercice - contredanse - 12 🙂


« Beaucoup de gens savent bcp de choses sur Dieu, ou étudient pour les savoir ; qu’ils les sachent seulement parce que la curiosité les poussent, ou qu’ils s’imaginent savoir ou sachent, c’est leur gloire qu’ils cherchent et pas celle de Dieu » (1).


Je crois que tout ceux qui font de la théologie tombent dans ce travers et moi le premier. La question qui se pose est comment faire de ce savoir une aide pour autrui, sans imposer sa vérité, mais en semant, discrètement dans la vie ce qui nous a réveillé intérieurement au point que le savoir est dépassé par un ailleurs, une révélation qui nous transforme et nous détourne de cette tentation première.


C’est peut-être ce que j’ai ressenti à l’issue de mes années de théologie. J’avais un diplôme mais il ne valait rien si je ne mettais pas en chemin pour passer du savoir au vivre « en Christo » qui est d’un autre ordre et de fait inaccessible sans le travail de la grâce qui nous détache des trois tentations du valoir, du pouvoir et de l’avoir pour nous mener ailleurs.


Non que je sois parvenu au bout du chemin mais parce que ce qui compte est de continuer à chercher à saisir et se laisser saisir (Ph 3).


Finalement, le plus dur n’est pas d’étudier, mais peut-être de croire au point que le for interne parvienne à ce que BXVI appelait à Cologne la « fission nucléaire » du cœur de l’homme, ce décentrement véritable où l’on devient, en Dieu, des mains pour le royaume. L’enjeu est meta-pastoral, non au sens d’un prosélytisme stérile, mais de devenir « disciple » à la suite de l’unique médiateur entre le divin et l’humain. 


(1) Guillaume de Saint Thierry, Speculum fidei &42, Vrin p. 49, cité par Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, 2021, ibid. p. 97

14 août 2021

Amour, danse et génération - 11

Il y a aujourd’hui ce que l’on appelle des « clins Dieu » 😉.

Je baptise encore deux enfants demain, au cœur même de la fête de l’assomption, avec un texte choisi par les parents dans ce qui est l’évangile d’aujourd’hui (Mat 19, 13-15) et n’avait pas réalisé que ce texte suit de près cette citation particulière de Mathieu 19, 5 (texte d’hier). « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. » 

Cela n’est pas anodin dans une pastorale qui relie mariage et baptême, où le « une seule chair » au sens hébreu est bien large. Je le traduis souvent par symphonie, car l’amour d’un homme et d’une femme est plus qu’un rapport fusionnel, il est vis à vis(1), échange, danse, création, fragilité et exposition, nudité et don, jusqu’à donner naissance à une chair nouvelle,  et en cela participation à la danse divine, qui donne et s’efface dans le don…


Pourquoi j’ose parler de danse ? 


Il y a dans le concept même de chair, au sens hébreu de basar une dimension de relation au sens trinitaire dans le sens où l'unité visée est proche de cette danse particulière des Personnes divines, telle que la décrit Jean dans son prologue (2) : chacune toute tournée vers l'autre. En effet, il ne s'agit plus alors du seul désir humain mais d'une véritable conjugaison des corps et des cœurs au service d'un amour qui les dépasse. Une Personne entre en relation avec une Personne prise dans sa totalité.

« Le langage des corps devient la langue de la liturgie » (...) [et élève le langage du corps] aux dimensions du mystère » (3) disait Jean Paul Il.


Le mot liturgie évoque une célébration qui dépasse le seul amour humain. La danse des corps et des cœurs peut devenir ainsi célébration de l'amour reçu, une manière de rendre grâce aux dons reçus du créateur mais aussi manière d’être signe de cet amour.


Dynamique sacramentelle (4) de large portée. 

Dynamique liée à une fécondité particulière jaillissante de ce don qui ne cherche plus son intérêt (5). 

Danse qui nous fait rejoindre le Corps des donateurs à l’image du grand Donateur, dans sa triple dimension et dans sa propre valse trinitaire et kénotique (ce que les Pères appellent la circumincession)…


On retrouve cette même idée de liturgie évoquée par X. Lacroix (6) lorsqu'il souligne lui aussi le sens multiple, la polysémie du mot chair, qui porte un sens corporel et spirituel. Dans une vision personnaliste qui considère que l'homme est une Personne, cette multiplicité du sens appelle en fait ce qu'il qualifie de "totalité unifiée". Qu’est ce à dire ?


Unifier le cœur, le corps et l'esprit, c'est justement entrer dans cette symphonie où mon corps et ton corps sont les humbles instruments d'un dialogue qui fait intervenir tous les langages, celui du visage(7), de la tendresse, et surtout cette harmonie du cœur qui dépasse la fusion rêvée pour être source. Source de vie…


Idéal du conjugal ? Probablement, mais là est bien le chemin..


Il y a dans la naissance le même dévoilement que celui de la rencontre. "Voici la chair de (notre) chair", le fruit merveilleux de notre amour et plus encore, un être, un potentiel autonome qui nous dépasse.


L'enfant n'est pas la chose de l'un et de l'autre, il est graine et cette graine sera à arroser, faire grandir, rendre autonome et laisser partir... Pour qu'à son tour il sème d'autres graines d'amour...


Cette séparation sera déchirement mais n’est-ce pas l’enjeu de la nouvelle naissance au sens de Jean 3 ?


Je n’ai évoqué pour l’instant que le contexte.

Venons-en au texte lui-même. 


Pourquoi Jésus met l'enfant au centre dans cet Évangile (8) ?


Je vous propose une réponse, fragile.

Ce que Jésus contemple chez l’enfant est triple : La Foi, l'Espérance et la Charité.


Les deux enfants que je baptise demain ont confiance en leur maman, et même foi dans leur maman. Quand ils la regardent, ils savent qu'elle les comblera. Enfants, ils n'en doutent pas encore. 

Et nous, doutons-nous de Dieu ? 

Redevenons comme un enfant nous dit Jésus.


Les deux enfants vivent dans l'espérance. Il savent que même si leur maman s'est absentée, elle reviendra. 

Nous avons plus de mal à espérer… 

Surtout quand la souffrance nous tombe dessus. Notre vie entière, même embourbée dans le marécage de nos addictions, devrait être, pourtant, comme eux, dans l'attente de cette branche d'olivier rapportée par la colombe le jour du déluge (Gn 7). Un jour il reviendra. « Il est ressuscité » nous disent les 4 Évangiles.


Ces deux enfants ont, en eux, une réelle capacité d’Amour et de Charité. Ils l’ont reçu de Dieu à travers leurs parents, Elle dort en eux et ne demande qu'à “servir”. 

Ils vont y travailler ! Ils vont recevoir, comme nous, l’Esprit de charité dans le silence de leurs baptêmes. Nous aussi, nous pouvons, comme eux, en faire usage. 


C’est cette sortie des eaux de la mort que le baptême exprime. 


Parents, parrains et marraines, devrons faire découvrir chez ces enfants, que seul l'amour véritable vaut la peine d'être vécu. 


Ils auront pour modèle cette danse conjugale qu’évoque le début de Mat 19…

Une seule chair…


Si nous n'avons pas la charité, ces deux enfants ne l'auront pas. Si elle n'est chez nous « qu'une cymbale qui sonne creux »(1 Co 13), ils devront la trouver tous seuls, et traverser le désert bien démuni.


Ils auront soif (Jn 4, Jn 19) et c'est à nous de leur apporter l'eau. Cette eau vive (Jn 4) qui guérit et vivifie.


Si vous ne savons plus où se trouve cette source, penchons nous à nouveau vers la Croix. C'est de la Croix qu'elle jaillit. C'est le signe unique du don de Dieu. Le seul, l'unique : la charité vient de Lui, elle se ressource en Lui, elle se contemple dans la Croix. 


A chaque eucharistie, nous devrions contempler la Croix. (...) le pain offert et consacré n'est rien, s'il n'est compris comme le don total, immense, d'un amour qui se donne et s'efface.


Le seul amour est celui qui se donne et s’efface ensuite.

C’est celui, je l’espère, de cette maman et de ce papa qui nous apportent ces deux enfants demain.

C’est celui auquel nous sommes appelés, chacun à notre manière.

C’est celui de ce Christ, que nous recevons chaque dimanche dans notre coeur.


Il nous faut prendre le temps de nous disposer à l'accueillir. Lui laisser une place. Car faire une seule chair c’est entrer dans la danse du don, dans cette dynamique même de la foi, l’espérance et la charité reçu de nos parents et rendues fécondes par la dynamique baptismale. 


Que conclure ?

Si Jésus met en avant l’enfant, c’est que nos théories, nos théologies et nos calculs trop humains doivent laisser place à ce qui vient d’Ailleurs, à l’insaisissable équilibre ou l’équilibre de l’insaisissable qu’illustre une des dernières photos de François Cassingena-Trévedy.


(1) cf. le beau développement qu’en fait Sylvaine Landrivon, in La femme remodelée. 

(2) cf. « La danse trinitaire » in « À genoux devant l’homme » et mes développements dans « Aimer pour la vie, essai de spiritualité conjugal »

(3) Jean Paul 2, “L'Amour Humain dans le plan divin, Cerf, p. 30

(4) cf. mon livre éponyme 

(5) cf. 1 Co 13

(6) X. Lacroix, Le corps de chair, p. 103sq

(7) cf. Lévinas…

(8) Texte de référence - Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 19, 13-15)

En ce temps-là,

    on présenta des enfants à Jésus

pour qu’il leur impose les mains en priant.

Mais les disciples les écartèrent vivement.

    Jésus leur dit :

« Laissez les enfants,

ne les empêchez pas de venir à moi,

car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent. »

    Il leur imposa les mains,

puis il partit de là.

12 août 2021

Un dixième pas de danse ?

Alors que nous nous préparons à fêter le 15/8, il y a peut-être deux premiers fils rouges à trouver : 

1. Le premier est probablement à percevoir entre nos lectures récentes du livre d’Osée dans la liturgie et la place particulière que donne ce prophète aux « entrailles » de Dieu (cf. Osée 11) et à cette sollicitude maternelle de Dieu, reprise dans la première lecture du 15/8 dans l’apocalypse où l’on voit Dieu conduire au désert et prendre soin de la femme « en lui réservant une place particulière », qui n’est pas non plus sans faire écho à Osée 2 et cette fiancée conduite  « à nouveau » au désert (1). C’est toute la sollicitude de Dieu qui est ici évoquée par Jean… entre les lignes. 


2. Dans la même trame, un deuxième fil est à trouver dans les nombreuses allusions à l’arche d’alliance, que l’on retrouve en lisant en mode cursif les lectures de cette semaine et celle de samedi soir et l’apocalypse dimanche, on conçoit le lien particulier entre l’arche d’alliance et Marie présentée là aussi par Jean comme nouvelle arche d’alliance. 


Ces deux fils rouges sont peut-être ce que nous avons à contempler pour aborder l’histoire même de Marie. 

Au regard de la tente de la rencontre (cf. notamment Ex 33-34) et toute l’histoire de l’arche d’alliance et du saint des saints qui abritait Dieu… (2) Marie apparaît soudain à nos yeux comme ce réceptacle de chair particulier, choisi par Dieu pour être le signe de l’amour divin…


Mais le désir d’un « Dieu qui vient à l’homme »(3) avait besoin d’une réponse et cette réponse est celle fragile, si bien illustrée par Fra angelico d’une jeune fille surprise par cette sollicitude et qui ose répondre oui mais mieux encore « fiat » sur le bout des lèvres dans le creuset d’un village perdu de Nazareth.


Il faut mettre peut-être ici aussi en perspective cet « où es-tu ? » de Dieu lancé à Adam ET Ève dans le jardin (4) pour contempler que c’est une petite bergère de Nazareth qui a répondu la première et totalement à cet appel de Dieu.


Le chemin de Marie ne sera pas un long fleuve tranquille. Avant peut-être de vénérer celle qui a dit oui, il nous faut contempler dans le silence ce chemin.


Que célébrons nous aujourd’hui finalement ?

Plus que l’assomption de la vierge Marie, c’est l’ensemble du mystère de la venue du Christ sur terre qui est à contempler.

Marie est l’écrin fragile de notre salut.

Mais qui est-elle véritablement ? Entre la jeune fille fragile que nous idéalisons et la femme-disciple que nous présente Jean à Cana, il existe une tension à maintenir.

Marie n’a pas été dès le début nimbée de lumière et de grâce mais a suivi un sentier qui nous interpelle. 

Marie est en effet au cœur de notre humanité celle qui répond probablement le mieux à l’appel de Dieu, celle qui comprend EN sa chair toute humaine, l’enjeu de la venue du Christ, marche à sa suite et répond à cet appel originel de Dieu(Gn 3,5), évoquée plus tôt. Elle devient en cela chemin pour nous. 

Ce que nous font découvrir les textes de ce dimanche n’est-il pas finalement que, dans le mystère de cette naissance, de cette femme habitée par la grâce divine, bouleversée par la venue du Christ EN son humanité (5) et dans le jusqu’au bout de son Amour, c’est la vocation de tout baptisé qui est surtout à contempler.

Dans la liturgie de la veille au soir du 15 août l’évangile interpelle notre propre manière de recevoir le Christ : L’Évangile de Luc ( 11, 28) insiste même dans le sens de tout ceux qui comme moi souvent rejette une idéalisation excessive. Relisons bien ce texte qui surprend la veille du 15/8 :

« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »

 Jésus déclare alors : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Ces propos sont choquants a priori. 


Jésus « n’efface » pas sa mère mais insiste bien sur ce basculement entre la figure mariale et l’appel renouvelé à notre vocation. 


L’assomption n’est pas seulement en effet la fête de Marie. 

Elle ouvre une espérance particulière pour l’humanité que le magnificat vient amplifier, en faisant vibrer à nouveau l’espérance du peuple de Dieu, de tout ce que portait l’AT. 


« Mon âme exulte le Seigneur car ce dernier disperse les superbes et vient élever les humbles, combler de biens les affamés, renvoyer les riches les mains vides, relever Israël son serviteur ». 


Le cri de Marie est notre joie : « Dieu se souvient de son amour ».


Dans le tressaillement d’Elisabeth que nous donne à contempler Luc se retrouve à sa manière cette espérance du peuple en marche et donc notre propre espérance. 


Oui Dieu vient nous visiter…

À chaque fois que la Parole prend chair en nous, qu’elle fait en nous sa demeure, l’assomption prend sens, quand nous tressaillons, à la suite du Baptiste, de la joie du don de Dieu qui veut nous habiter.(6)

Le rêve de Dieu devient notre danse… 


« Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »


Le mystère de l’assomption c’est que Dieu veut habiter TOUT homme. 


Le mystère c’est que Dieu souhaite prendre chair EN nous et que sa victoire sur la mort ne viendra que lorsque nous serons un, femmes et hommes, dans la contemplation du Verbe de Dieu, de cette Parole qui prend chair dans notre chair, nous transforme… 


Il y a peut-être ensuite un parallèle théologique à faire entre Philippiens 2 (et notamment le « c’est pourquoi » du verset 9 qui souligne que Jésus est relevé car il s’est vidé de lui même) et le dogme de l’assomption. Au delà du chemin intérieur de Marie, à rapprocher peut-être de la conversion même du Christ dont parle Sesboué dans sa « pédagogie du Christ (7), le chemin intérieur de Marie est aussi marqué par une forme de kénose. Or ce dessaisissement de soi qui s’exprime notamment dans son fiat, si bien traduit par Fra angelico, peut justifier que l’Église ai souhaité lui donner une place particulière que la tradition a cristallisé dans un dogme. Sans valider les excès d’une mariolatrie excessive si bien dénoncée par Congar(8), on peut néanmoins s’interroger sur la distance qui demeure entre le chemin vectoriel (c’est-à-dire qui nous pousse à grandir (cf. 7) et kénotique de la vierge Marie et notre propre chemin et en tirer une forme d’interpellation, d’humilité à défaut d’une vénération…


Il y enfin un thème que l’on peut également contempler dans le « en Christo » paulinien(9), c’est finalement la danse mariale particulière de celle qui a été habitée par le Verbe et est donc devenue contenant de l’insaisissable, ce qui pour reprendre la théologie de Karl Rahner donne à la vierge, un autre chemin vectoriel pour nos eucharisties et fait résonner nos tressaillements intérieurs avec ceux de toutes les mères à commencer par Elisabeth.(10)

Être en Christ et recevoir en soi celui qui nous invite à faire Corps…


(1) voir mon essai « Pédagogie divine »

(2) voir mes billets précédents (danses 4 à 9)

(3) pour reprendre et évoquer la somme de Joseph Moingt

(5) au sens de l’ « en christo » souligné par Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique 

(6) voir mes écrits divers sur le thème du tressaillement et notamment mon roman « le vieil homme et la brise »

(7) Sesboué y soutient que le Christ n’a qu’une conscience progressive de son rôle, une idée que j’ai toujours trouvée intéressante pour percevoir l’interaction entre humanité et divinité

(8) je pense notamment à son deuxième tome du journal du concile

(9) cf. note 5

(10) J’ai longuement développé ce point dans « danse trinitaire » puis dans « A genoux devant l’homme »

31 juillet 2021

Danse 9


Il n’a pas échappé au lecteur attentif que mes billets 6 à 8 (saison 2), visaient à prendre de la hauteur sur la controverse actuelle lancée par le dernier motu proprio. Mes propos visaient un déplacement vers l’essentiel, sans nier l’intérêt d’une construction liturgique qui donne un sens à la célébration commune, le billet 7 appelait notamment à déplacer l’essentiel vers ce Christ qui récapitule et invite à vivre et faire « Corps » plutôt qu’à regarder le passé. En ce sens, le dernier message de François Cassingena-Trévedy vient, comme souvent, en écho à mes pattes de mouche en leur donnant une belle profondeur. 

Sobriété est le mot d’ordre.

Mais aussi, quête de l’essentiel.

A méditer sans modération, comme le bon vin qu’on garde pour la fin, au sens disruptif de Cana…


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