14 juin 2022

Danse eucharistique 2.66 bis

 Mon dernier billet à remis à nouveau en question cette phrase imprononçable du nouveau missel : « Que votre sacrifice soit aussi le nôtre ».

Il va nous falloir encore du temps pour en faire ce qu’on appelle une saine « réception », comme ce concile qui tarde à être reçu dans notre Église.


Pourquoi ?

Probablement parce que le sacré conserve son côté magique et que l’on ne cesse de sacraliser ceux qui sont ordonnés pour « exécuter » le rituel sans percevoir que la dynamique sacramentelle (1) est bien plus vaste que le sacrement que l’on a cristallisé dans un rite et une tradition.


Les travaux de C. Theobald (2) et notamment son petit schéma que je reproduis ici mérite d’être commenté. Le sacrement ne se limite pas au rite. Ce dernier n’est que la face visible d’une transformation intérieure qui fait de l’union des hommes et de Dieu ce que j’appelle une danse. « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. »




La flûte n’est que le premier pas de l’agir et comme le montre le schéma le sacrement signifie ce que l’agir « transpire »…


Comme le disait l’hymne de la FICPM, «  je voudrais qu’en vous voyant vivre, les gens puisse dire, voyez comme ils s’aiment »…


L’échange ancien entre l’assemblée et le prêtre signifiait finalement mieux que la nouvelle phrase qui nous accroche autant. Il signifiait en substance : puis je célébrer au nom de tous ? Oui disait en coeur l’assemblée. Venait le « vraiment il est juste et bon… »


Ce qui compte est peut-être de percevoir que l’essentiel est dans le lien. C’est parce qu’il est LIEN que le célébrant à sa place. C’est en insistant sur le lien qui se démarque de la notion de pouvoir que le prêtre devient signe. Il ne peut d’ailleurs célébrer seul dit le droit canonique (canon 906). Il est le garant fragile du lien. C’est peut-être cela que la phrase veut dire et qu’on ferait mieux de prononcer avec d’autres mots du style : « que votre action de grâce devienne celle de notre assemblée toute entière, que vos paroles expriment notre unité, que vos gestes signifient ce que notre vie veut devenir, des artisans du Royaume, des pierres vivantes de l’Église… »

Ce serait bien plus parlant que d’évoquer le « sacrifice ».


François Varillon le suggérait en disant que Dieu vient diviniser ce que nous voulons humaniser (3)


Le sacrement de mariage, par exemple, n’est pas contenu dans une belle célébration, il est le commencement d’une dynamique qui fait de l’amour d’un homme et d’une femme la danse subtile et fragile d’une symphonie qui s’étend sur toute une vie. L’eucharistie n’est pas une heure dominicale, c’est la source d’un fleuve immense qui fait de nos communautés un arbre aux fruits fragiles et délicats, dont la source est en Dieu et les fruits le signe d’une unité théologale, c’est à dire, don de Dieu. 


Benoît XVI avait cette phrase qui m’a toujours marqué : « Dans la réalisation concrète du service ecclésial, [le prêtre doit] se livrer totalement à l'inclusion dans le Christ; non pas construire un être à côté de lui, mais seulement en lui ; et permettre ainsi que devienne enfin réalité cette exclusivité qui ne détruit pas, mais libère toute chose en la faisant entrer dans sa propre immensité »(*). Alors peu importe sa nature. « Cela donne aux paroles d'un prédicateur, fût-il minable, le poids des siècles » et cela inclut la liturgie, « si démunie soit-elle » dans une dynamique qui la dépasse. « En acceptant de devenir sans importance en lui-même, il pourra « devenir vraiment important parce qu'il sera pour le Seigneur un lieu d'irruption dans ce monde »(**).


En agissant in Persona Christi, en lui se substitue Celui pour qui il vit. La dynamique sacramentelle devient alors signe à travers son effacement au-delà du signe. Il se fait « creuset » où le fleuve du Verbe prend son lit, pour arroser le monde, depuis le coeur blessé du Christ jusqu'aux confins de l'humanité.


Que peut faire le laïc devant tout cela ? Probablement

à la fois s’agenouiller lui aussi, car Dieu se révèle là, mais également - et c’est là que cela devient intéressant - rester debout, car ce qui se joue ici, c’est son accession à la résurrection à venir. C’est pourquoi, en principe, le « dimanche, au nom de la puissance salvatrice de la mort et de la résurrection il est en droit de rester debout, car l’agenouillement du Christ l’a relevé et le conduit à la victoire. »(4)


Plus encore, en participant au mystère, il devient progressivement Co-acteur de ce qui ce célèbre jusqu’à devenir porte-Christ, comme le suggère la catéchèse des premiers chrétiens dans la ligne de ce que nous affirmons des nouveaux baptisés : serviteurs et prophètes au service du Royaume. 


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) Christoph Theobald, in Lire les Evangiles et l'Apocalypse en Algérie et ailleurs, Ed. de l'Atelier, 2011

(3) François Varillon, joie de croire, joie de vivre

(4) Extrait de mon « Danse avec ton Dieu »

(*) J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui, 1982, p. 315. 

(**) ibid. p. 318

13 juin 2022

Danse eucharistique ? 2.66

 

En cette fête du Saint Sacrement, il peut-être important de vérifier ce que nous voulons dire par sacrifice. Sur ce chemin délicat, la lecture du livre de Martin Pochon montre bien les grandes différences entre la lettre aux Hébreux(1), et ce que dit les quatre Évangiles, en soulignant notamment l’approche trop sacrificielle de l’auteur. 

Cela nous interpelle. 

Plus je poursuis cette lecture, plus je perçois l’écueil de l’auteur, qui pourrait être Apollos, selon Pochon. 

Son interprétation du sacrifice est un sacrifice au Père, il vise à apaiser sa colère, sous-entend un Dieu courroucé par le mal, qui a besoin de la mort du Fils pour être apaisé. 


On est loin d’une vision évangélique, d’un don pour l’homme, d’un pain partagé, signe de l’amour conjoint du Père ET du Fils qui va jusqu’au bout du don de soi pour montrer que l’amour est le seul chemin, que l’amour est plus fort que le mal et la mort. 


On est loin du Dieu Trinitaire et de la triple humilité que j’évoquais récemment (2).


Le commentaire de Thomas d’Aquin que reproduit l’office des lectures de cette nuit est-il influencé d’ailleurs par la thèse de l’auteur de la lettre aux Hébreux ? 

C’est en tout cas ce que dit, probablement avec raison, Martin Pochon. Et cette piste qui distingue le Dieu amour et le « sacrifiel » est peut-être à entendre. Cela conditionne beaucoup de choses sur notre vision de l’Église, du sacrifice, du pain de vie, etc…


Que célébrons nous aujourd’hui ? 

Est-ce un sacrifice sanglant comme celui de Moïse, un sacrifice à un Dieu qui exige la mort d’Isaac, ce Dieu violent des nomades de l’époque que décrit bien Beauchamp et Thomas Römer (3), ou le don immense d’un Dieu qui nous fournit à la fois le blé et la vigne et son Fils bien aimé, agneau fragile, Celui va jusqu’à mourir pour changer notre vision de Dieu ?



La dérive sacrificielle, voire parfois cléricale du sacrificateur, celle qu’Apollos (?} veut remettre à l’honneur, est bien différente de celle que Jean nous enseigne dans ses chapitres 6 (multiplication) et 13 (lavement des pieds) en évitant d’ailleurs de revenir sur le récit de la Cène et présentant une autre approche ou prime le partage, le don, l’humilité. 


Non le sacrifice à un Dieu vengeur, mais un autre chemin, celui de celui qui va accepter d’avoir le cœur transpercé par la violence des hommes, pour être signe et source qui jaillit des entrailles maternelles (cf. Osée 11) et frémissantes d’un Dieu qui s’abaisse jusqu’à laver (baiser ?) les pieds de Judas pour nous montrer jusqu’où va l’amour…


C’est ce Dieu « à genoux » qui est chemin(2). C’est avec Lui que je veux danser avec mes frères (4)


(1) Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles, (Lectio divina), Paris, Éditions du Cerf, 2020.


(2) cf. ma trilogie et notamment Dieu à genoux devant l’homme


(3) cf. Thomas Römer, L’invention de Dieu 


PS : vient de paraître ma 3eme édition de « Danse avec ton Dieu », gratuit sur Kobo/Fnac en numérique, à prix coutant sur Amaz… en version papier

11 juin 2022

Le cycle d’Elie

Parce que la liturgie nous les a servis depuis 3 jours, je ne résiste pas à l’envie de vous redonner ce petit résumé d’une longue étude de ce texte célèbre que l’on appelle le cycle d’Elie. Il semble en effet corriger pour moi l’idée de Dieu qui n’est jamais dans le tonnerre ou la violence, mais apporte aussi trois pistes nouvelles : 


1. Le récit est celui d’une conversion qui travaille le prophète dans sa prétention très cléricale de faire la loi au nom de Dieu. Rien ne justifie son zèle et le massacre des prêtres de Baal. C’est au bout de 40 jours au désert qu’Elie découvre son erreur. Alors qu’il est acculé à fuir au désert la double interpellation d’un « qui est-tu ? »  le remet à sa place. Il n’est rien qu’un instrument fragile devant quelque chose qui touche à l’infini - on entend là l’écho du cri de Job 42, 3 - « qui suis-je devant ces mystères qui me dépassent ? ».


2. Ce « bruit d’un fin silence » n’est pas, selon certaines interprétations disruptives la seule manifestation fragile d’un Dieu qui reste inaccessible mais le chant des anges, invitant tout contemplatif à percevoir que la fuite mystique peut être un leurre : l’enjeu n’est pas de quitter le monde mais de continuer à chercher ensemble une communion. La Révélation theophanique n’est que le prélude à un « Va » qui invite à rejoindre le reste des croyants et à poursuivre sa course « pour tâcher de Le saisir et se laisser saisir par Lui » (Ph 3) vers cette révélation qui ne sera totale que dans le déchirement du voile du Temple (cf. Marc 15,38) qui dévoile enfin l’amour infini d’un Dieu dépouillé, signe lui même fragile d’un Donateur qui aime et s’efface après avoir tout donné.


3. La révélation d’Elie n’est que l’antichambre de celle du Christ et ce qu’Elie ne voit pas à la porte de la caverne ne sera révélé qu’à la Transfiguration, elle même préparation au mystère indépassable de la Croix et de la Résurrection.


Cette méditation des 3 chapitres de 1Rois mériterait d’être mieux enseignée à ceux qui sont attirés par le cléricalisme.





Ps : Si vous voulez creuser ce point lire mes deux livres gratuits sur Kobo/Fnac (également a prix coutant sur le vilain Amazon) : 

1. Dieu n’est pas violent 

2. Pédagogie divine

qui traduisent et résument de nombreuses publications sur ces textes fondateurs.


Vous trouverez aussi sous ce lien ma troisième édition de Danse avec ton Dieu 

10 juin 2022

Danse trinitaire ? 2.64

 Paul dans la deuxième lecture de ce dimanche évoque notre détresse, bien présente aujourd’hui. Il nous introduit pourtant à la persévérance puis à l’espérance… (Rom 5) 

Pouvons nous voir la lumière ?

Peut-être en écoutant ce que nous glisse Jésus, à la veille même de sa mort…

Vous ne pouvez pas encore porter tout cela…

Mais…

Mais « quand il viendra (...) l’Esprit vous conduira à la Vérité toute entière » Jn 16 

Le mot conduire n’est il pas à entendre dans cette discrétion particulière de Dieu, qui ne s’impose pas, mais nous accompagne sur ses chemins de liberté… ? 


Le livre des Proverbes nous donne la clé de cette tendresse discrète de Dieu. 

« je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes (...) , j’étais là, (...) je grandissais à ses côtés »


La sainte Trinité que nous fêtons dimanche nous est présentée par Jésus comme le point ultime de la révélation au terme de son grand discours du chapitre 16 de Jean.


Révélation mais sommet aussi de cette lente pédagogie d’un Dieu qui nous fait goûter cette danse (1) discrète d’une Trinité qui se penche amoureusement vers l’homme.


Depuis cette danse originelle du souffle sur les eaux, que nous chante à sa manière le livre des Proverbes, jusqu’à la triple humilité, au delà des nos détresses évoquées par Paul se révèle la triple humilité / miséricorde de Dieu.

 1. Ce Père qui se retire devant l’amour du Fils jusqu’à cette « gloire » fragile évoquée par Jésus qui ne sera qu’un homme nu, signe de l’amour, dressé sur le bois de la Croix. 

 2. Nudité qui révèle cette humilité du Fils qui s’efface maintenant pour concéder, à son tour que la vérité viendra en nous par l’Esprit

 3. Esprit, enfin, souffle fragile que la Pentecôte rend à peine visible dans des langues de feu avant de s’effacer dans nos profondeurs intérieures. Esprit qui demeure en nous comme une flamme légère, avant de s’embraser à nouveau quand, ouvrant notre cœur, se réveille le feu joyeux de l’Amour.

C’est bien d’une danse qu’il s’agit…

Danse humble, des trois personnes [triple humilité/kénose (3)] qui s’efface tour à tour devant l’autre et que le prologue grec de Jean résume dans un petit mot « pros ». Tourné vers. (2).

Le Fils tout tourné vers le Père dont il reçoit et transmet l’amour…


Amour et dessaisissement. Ce que nous fait goûter l’évangile se perçoit si bien dans le regard croisé de la belle icône de Roublev qui nous fait percevoir que chacun s’efface tour à tour pour laisser l’autre devenir.




N’est-ce pas cela l’amour d’agapè qui est effacement, qui « ne cherche pas son intérêt mais prend patience, endure tout, excuse tout ».(1 Co 13).


Tourbillon(4), danse ? 

C’est dans cette symphonie du retrait réciproque que l’amour se révéle et nous entraîne loin de nos détresses.

Amour, Inaccessible rêve ? (5)

Non !

Dieu est là. À nos côtés. Il est le chemin…

Et l’Esprit, enfin révélé dans cette révélation finale, qui nous conduit de la persévérance à l’espérance est la force qui nous conduit, par la danse fragile en nos cœurs blessés à dépasser nos insuffisances bien humaines…pour devenir les mains fragiles de l’amour donné.


(1) cf. la thèse d’Emmanuel Durand Emmanuel Durand, La Périchorèse des Personnes divines, Cerf, Collection Cogitatio Fidei - N° 243. 416 pages - mars 2005. https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/1993/la-perichorese-des-personnes-divines qui m’a bcp inspiré dans ce sens.


(2) voir sur Kobo Fnac mes essais Dieu dépouillé et À genoux devant l’homme https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/pedagogie-divine-3


(3) cf. la 3eme partie de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar 


(4) Ce mystère trinitaire que les pères de l’Église appelaient d’un mot double évoquant cercle et intériorité (circumincession) un ami l’évoque sous le beau concept de tourbillon.


(5) révélation pour moi dans cette belle interprétation de Monteverdi, lamentatio de la Ninja https://youtu.be/zsL4MGFh6QI

06 juin 2022

La danse de l’Esprit 2.63

 

Esprit de feu ? 

Il y a une continuité et une disruption entre les manifestations relatées par l’ancien Testament et ce que nous vivons aujourd’hui en cette fête de Pentecôte.

Continuité car ce souffle qui plane sur les eaux de la Genèse et que le grand potier insuffle aux terreux (Adam - cf. Gn 2) que nous sommes est à la fois un feu qui purifie, mais aussi un souffle fragile qui ne nous consume pas. 

Il vient brûler en nous l’inessentiel pour faire sa demeure en nos cœurs, nous défendre de l’inutile et nous ramener sans cesse vers l’unité.

Souffle fragile face aux vents violents qui nous secouent dans la mer déchaînée de nos existences, il se révèle quand nous faisons silence.

Loin du tonnerre et des flammes de destruction qu’imaginaient les marcheurs de l’Exode (16 sq), il est « bruit d’un fin silence » (1 Rois 19) (1) chant imprononçable car louange des petits, sourire des démunis, espérance des délaissés, don délicats d’un Dieu qui nous aime et nous invite à sa danse.


« Esprit de Dieu, tu es le feu,

Patiente braise dans la cendre,

A tout moment prête à surprendre

Le moindre souffle et à sauter

Comme un éclair vif et joyeux

Pour consumer en nous la paille,

Eprouver l'or aux grandes flammes

Du brasier de ta charité.


Esprit de Dieu, tu es le vent,

Où prends-tu souffle, à quel rivage?

Élie se cache le visage

A ton silence frémissant

Aux temps nouveaux tu es donné,

Soupir du monde en espérance,

Partout présent comme une danse,

Eclosion de ta liberté.


Esprit de Dieu, tu es rosée

De joie, de force et de tendresse,

Tu es la pluie de la promesse

Sur une terre abandonnée.

Jaillie du Fils ressuscité,

Tu nous animes, source claire,

Et nous ramènes vers le Père,

Au rocher de la vérité. »(1)


(1) l’expression est d’Emmanuel Lévinas. J’en ai fait le titre d’un de mes essais, première édition de ce qui est devenu « Pédagogie divine »

(2) hymne de l’office des lectures 

Voir l’excellent commentaire de Marie-Noēlle Thabut et notamment sa conclusion : « notre vrai bonheur, c’est de nous laisser modeler chaque jour par le potier à son image. »


https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/527249-commentaires-du-dimanche-5-juin-2/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-5-juin-2

05 juin 2022

Viens Esprit saint

 Viens, Esprit Saint, relever nos ossements desséchés…Viens réchauffer notre flamme intérieure… Nos cœurs refroidis 😉 : 

« Esprit de Dieu, tu es le feu,

Patiente braise dans la cendre,

A tout moment prête à surprendre

Le moindre souffle et à sauter

Comme un éclair vif et joyeux

Pour consumer en nous la paille,

Eprouver l'or aux grandes flammes

Du brasier de ta charité.


Esprit de Dieu, tu es le vent,

Où prends-tu souffle, à quel rivage?

Élie se cache le visage

A ton silence frémissant

Aux temps nouveaux tu es donné,

Soupir du monde en espérance,

Partout présent comme une danse,

Eclosion de ta liberté.


Esprit de Dieu, tu es rosée

De joie, de force et de tendresse,

Tu es la pluie de la promesse

Sur une terre abandonnée.

Jaillie du Fils ressuscité,

Tu nous animes, source claire,

Et nous ramènes vers le Père,

Au rocher de la vérité. »(1)


HOMÉLIE AFRICAINE DU VIème SIÈCLE 

POUR LA PENTECÔTE

C'est l'Église dans son unité qui parle toutes les langues


Les disciples ont parlé toutes les langues. Ainsi Dieu a voulu manifester la présence du Saint-Esprit en faisant parler toutes les langues à ceux qui l'avaient reçu. Il faut comprendre en effet, frères très chers, qu'il s'agit bien du Saint-Esprit par qui l'amour est répandu dans nos cœurs. Et parce que l'amour devait rassembler l'Église de Dieu sur toute l'étendue de la terre, alors même un seul homme le pouvait, en recevant le Saint-Esprit qui lui faisait parler toutes les langues. Et maintenant que l'Église est rassemblée par le Saint-Esprit, c'est son unité qui parle toutes les langues.


Par conséquent, si quelqu'un dit à l'un de nous : « Est-ce que tu as reçu le Saint-Esprit, car tu ne parles pas toutes les langues ?» voici ce qu'il faut répondre : « Parfaitement, je parle toutes les langues. Car je suis dans ce corps du Christ, qui est l'Église, laquelle parle toutes les langues. En effet, par la présence du Saint-Esprit qu'est-ce que Dieu a voulu manifester, sinon que son Église parlerait toutes les langues ?


Ainsi s'est accomplie cette promesse du Seigneur : Personne ne met le vin nouveau dans de vieilles outres, mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le tout se conserve.


On comprend donc que certains, en entendant les disciples parler toutes les langues, disaient : Ils sont pleins de vin doux. En effet, ils étaient alors devenus des outres neuves, étant renouvelés par la grâce de la sainteté. Ainsi, remplis de vin nouveau, c'est-à-dire remplis du Saint-Esprit, ils bouillonneraient en parlant toutes les langues et, par ce miracle éclatant, ils annonceraient que l'Eglise catholique devait se répandre dans les langues de toutes les nations. ~


Célébrez donc ce jour comme étant les membres du corps du Christ dans son unité. Ce n'est pas en vain que vous le célébrez, si vous célébrez ce que vous êtes. Vous êtes en effet agrégés à cette Église que le Seigneur, en la remplissant du Saint-Esprit, reconnaît comme sienne du fait qu'elle s'étend au monde entier ; et elle-même est reconnue ainsi comme appartenant au Seigneur. De même, l'Époux n'a pas perdu son épouse, personne n'a substitué à celle-ci une étrangère.

Vous êtes établis dans toutes les nations, vous êtes donc l'Église du Christ, les membres du Christ, le corps du Christ, l'épouse du Christ. Et l'Apôtre vous dit : Supportez-vous les uns les autres avec amour ; rassemblés dans la paix, ayez à cœur de garder l'unité dans un même Esprit.


Remarquez-le : lorsqu'il vous a prescrit de vous supporter les uns les autres, il a proposé l'amour ; lorsqu'il a nommé l'espérance de l'unité, il a indiqué le rassemblement dans la paix. Telle est la demeure de Dieu, bâtie avec des pierres vivantes ; le père de famille se plaira à y habiter, car l'écroulement causé par la division ne doit pas blesser ses regards. »(1)


(1) Source : office des lectures, AELF

31 mai 2022

Visitation

 Visitation…

« L'enfant a tressailli... »

Que dire quand on est homme et que jamais l'enfant n’a en nous manifesté sa présence ? Peut-on en être jaloux ?

Il y a pourtant des tressaillements intérieurs, des caresses de Dieu qui nous réveillent et nous font pressentir cela...


Signes discrets d’un Dieu qui vient se révéler

 à nous dans le silence ?

Signes plus tangibles quand la Parole 

fait vibrer en nous le mystère....

Tourbillons intérieurs qui se préparent alors que la Pentecôte approche à grand pas…

Chemins d’espérance ?


On devrait peut-être même aller plus loin et glisser sur la pointe des pieds que lorsqu'il nous a été donné de communier au corps et au sang du Christ, nous devenons à notre tour capables de ces « tressaillements » de Dieu en nous. 

Mais pas seulement, tans les dons de Dieu sont variés et les semences du verbe et de l’Esprit nombreuses.


Capax dei !


Est-ce ce que suggère François Varillon quand il dit que Dieu vient diviniser ce que nous avons humanisé ? (1)


Si j’ai du mal avec le mot diviniser, qui nous vient d’Irenée, peut-être est-ce là qu’il prend chair, dans ce tressaillement intérieur dû à l’inhabitation fugace du Verbe en l’homme...


Alors nous pouvons faire nôtre le magnificat. Car nous entrons à notre tour dans cette danse trinitaire à laquelle le "fiat" marial nous a invités. 


« Heureuse celle qui a cru... » 

On entend déjà résonner à nos oreilles le chant du magnificat qui rejoint soudain celui des béatitudes et notre cœur peut bondir d'allégresse d’une « petite espérance » car, en ce jour de la visitation, l'Église rentre dans la fête et la danse du peuple de Dieu. 


Après des siècles d’attente, après le désert, l'exil et la peine, la bonne nouvelle d'un Dieu parmi nous devrait à nouveau nous envahir. 

Dieu a entendu son peuple et lui a donné un sauveur...



« L'enfant a tressailli... » 

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s'est penché sur son humble servante ».... (Luc 1, 47)


Ce chant m’habite, habite aussi mes joies, même les plus intérieures. Il prend sa source dans les chants de l’AT et devient signe de nos espérances... il relève les humbles...


Que Dieu tressaille en nous à l’aube du mystère...


(1) F. Varillon, Joie de croire, joie de vivre


PS  : Variations sur ma danse 1.20 (cf. mon recueil,  « danse avec ton Dieu » chez Kobo/Fnac

29 mai 2022

Les semences du Verbe et de l’Esprit - 2.61

 

« Vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ;et votre joie, personne ne vous l’enlèvera. » Jn 16

Comme le suggère François Varillon, il ne sert à rien de contempler les pieds du Ressuscité et se lamenter sur son absence. Il est parti mais à laissé en nous trois traces discrètes et fragiles que nous devons maintenant faire grandir. [Est-ce ce que Justin appelle les semences du Verbe ou ce que l’Église nomme les vertus théologales] : la foi, l’espérance et la charité…]


De ces dons dérivent trois interpellations dans cet entre-deux…


Avons-nous la foi ? Celle qui déplace les montagnes et nous conduit à tout quitter pour le suivre. 


Avons-nous l’espérance, celle qui nous fait relever la tête et croire en l’Esprit qui vient ?


Avons-nous la charité, cet amour gratuit que nous ne pouvons atteindre que par la grâce de Dieu ? 


Bien heureux ceux qui peuvent répondre oui. 


Heureux sont ceux qui lavent leur vêtements nous dit Jean dans son chapitre 22 de l’Apocalypse. Il fait probablement allusion à ceux qui ont lavé leurs vêtements dans le sang de l’agneau. Étienne en est le premier signe : une foi sans tâche qui lui permet de voir Dieu… voir Dieu alors même que cette danse restait cachée à Moïse (cf. Ex 33-34) ! On comprend le choc pour les juifs qui l’entouraient.


Et nous ? Quelle distance par rapport à nous qui errons dans le noir comme des brebis perdues… ?


Ne soyons pas pourtant de ceux qui abandonnent et quittent le sentier qui monte vers la joie. Descendons au fond de nous-mêmes pour retrouver ces semences déposées au cœur de notre baptême, comme celles qui vont pénétrer chez Chloé que je vais baptiser (demain/à l’instant). 


Si nous voulons être cohérents avec le message de Celui qui nous a précédé, il faudrait que nous tombions à genoux, comme l’a fait le vieux Siméon, devant cette petite fille et ses parents, qui choisissent aujourd’hui en âme et conscience de présenter Chloé à Dieu, car par là nous exprimerions, notre foi vivante, notre espérance et l’amour qui nous habite….


C’est dans ce cadre que nous pouvons entendre la prière du Ressuscité, parti, mais pourtant bien présent jusque dans son corps, bientôt partagé dans ce baptême à venir et dans l’eucharistie qui va suivre.


Montons à l’autel du Seigneur en goûtant à ces paroles du chapitre 17 comme un nectar sans prix, car signé par le don ultime du Christ, manduquons doucement ces paroles jusqu’à creuser en nous le terreau des semences de l’Esprit qui s’annonce…


«  Père saint, je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. »


Mystère et tendresse de ce rêve de Dieu sur l’homme…. Mais poursuivons…


« Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : moi en eux, et toi en moi.

Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un,

afin que le monde sache que tu m’as envoyé,

et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »


[Dans ce juste au bout de l’amour que je vais manifester [jesus parle juste avant « l’heure »]


« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis ils soient eux aussi avec moi et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde.

Père juste, le monde ne t’a pas connu,

mais moi je t’ai connu,

et ceux-ci ont reconnu

que tu m’as envoyé. 

Je leur ai fait connaître ton nom,

et je le ferai connaître, 

pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux,  et que moi aussi, je sois en eux. » Jn 17


Notre unité est encore à construire. Elle dépend maintenant de chacun de nos gestes, de notre agir et de ces dons divins promis, de ces semences jetées en plein champ dans la démesure de l’amour trinitaire…


Notre unité n’est pas uniformité mais prise de conscience que Dieu nous appelle au meilleur de nous mêmes et surtout à partager ces dons reçus. 


Je ne voudrais pas terminer sans évoquer le fait que nous fêtons aujourd’hui la fête des mères, ces mamans qui depuis la conception et la naissance sont toutes données à leurs enfants. Bien souvent ce sont elles qui portent l’unité de la famille. Quand leur amour est gratuit et sans faille, elles deviennent signes d’autre chose, de Celui qui as tout donné pour l’unité…. 


[Leur risque est parfois de trop étreindre. Prions pour qu’elles trouvent aussi la juste distance, cette chasteté de laisser partir ceux qu’elles ont engendré. Une chasteté plus large que celle que nous évoquons souvent, celle de laisser pousser la semence d’amour qu’elles ont transmis à l’enfant qu’elles ont aimé jusqu’à laisser quitter le nid qu’elles avaient préparé] 😉 


* trame fragile d’une homélie dominicale à commenter…

Ascension, ultime agenouillement ? 2.60

 

D’agenouillements en agenouillements nous contemplons aujourd’hui l’élévation comme l’ultime et grand retrait du Fils, dans la dynamique même décrite par Paul en Ph 2.

Il nous faut probablement prendre du recul et percevoir peut-être la pédagogie divine (1) qui de théophanies en théophanies corrigent nos fausses idées de Dieu (2) jusqu’à prendre conscience qu’après le retrait du Père suit l’effacement du Fils.


Humilité extrême de celui qui après le grand abaissement devant l’homme, mimé dans le lavement des pieds (Jn 13) (3) et accompli et dévoilé sur une croix:(Marc 16) (4) vient l’enlèvement ultime de son corps transfiguré (Actes 1 - Luc 24)  pour que ne demeure plus qu’un souffle fragile et ténu.

 

Comme certaines interprétations le suggèrent, le bruit d’un fin silence n’est plus habité que par le chant des anges (1)  Le retrait de Dieu (5) est le don ultime qui conditionne notre liberté. Dieu se fait discret et fragile pour nous rendre capable d’avancer à notre tour vers l’amour. 

« Encore un peu de temps » et c’est maintenant « l’heure » favorable où nous devons tisser le Royaume de celui qui nous aime au point de livrer son corps pour transformer nos eaux en vin capiteux (cf. cana en Jn 2) ? et nous laisser les clés du Royaume. 

Il s’est retiré sur la point de les pieds. Comme le suggère Varillon, il ne sert à rien de lever la tête. Il nous faut peut-être contempler plutôt Celui qui pleure, probablement à chaque fois que nous refusons de marcher sur Ses pas. 

L’amour trinitaire ne se dévoile jamais autant que dans ce silence qui suit l’élévation ultime. Sommes nous à nouveau dans ce silence du samedi saint qu’évoque si bien Joseph Moingt ? 


La symbolique de Luc reprend ici probablement le schéma du livre des Rois et le départ d’Elie, pour nous faire comprendre que l’élévation du Fils ne se perçoit que dans le retrait et le silence. 

Il faut probablement revenir jusqu’à 1 Rois 19 pour entendre résonner sous une harmonique nouvelle la double question de « l’où es-tu ? » discrète posé dans le jardin originel et lancé à tout homme depuis Gn 3.

Le Fils de l’homme est le signe que l’indicible et l’inaccessible se joue dans le paradoxe du retrait et l’absence d’un Dieu qui s’est totalement révélé « à genoux devant l’homme » (1) agenouillement ultime devant ce que nous pouvons devenir si nous entendons le cri d’amour d’un Dieu qui attend que nous devenions ce à quoi nous sommes appelés. 


Retrait et présence ?

Dieu s’efface pour que nous entrions dans sa danse trinitaire et que nous devenions enfin ce qu’il a rêvé pour nous : des aimants véritables qui dans l’amour vécu et partagé, dans le don gratuit, commence à faire de nous le grand Corps de Celui qui a déjà tout livré pour préparer l’arrivée fragile du Défenseur, ce souffle discret qui après les feux follets de la Pentecôte s’effacera progressivement dans une multitude d’étincelles intérieures où Dieu vient souffler en nos cœurs la force d’avancer. 


Ce matin résonne le chant :

« Entré dans la gloire,

Jésus nous trace le chemin

Et nous conduit vers le matin

De sa victoire.


℟Mais l'amour seul est puissance,

Mystère découvert

Aux yeux de l'espérance.


Vêtu de lumière,

Il transfigure pour toujours

Le fils prodigue de retour

Auprès du Père.


Ouverte est la porte,

En sa demeure il nous reçoit,

Dans son offrande, vers la joie,

Ses mains nous portent.


Soleil de justice,

Il fait mûrir tout l'univers,

Et son Esprit, dans nos déserts,

Est source vive. » (5)


(1) cf. le tome 1 de ma trilogie Pédagogie divine, suivi de « À genoux devant l’homme » gratuits sur Kobo/Fnac

(2) cf. Tomas Rõmer l’invention de Dieu 

(3) Xavier Léon Dufour. 

(4) voir mon « rideau déchiré » et le magnifique « Dieu est nu. Hymne à la divine fragilité » de Simon Pierre Arnold, Lessius 2019 qui précise notamment p. 28  : « La kénose [humilité et dépouillement de Dieu au sens donné par Ph. 2] est une décision, et non une erreur stratégique. Elle est le point de départ de toute véritable nouveauté

(5) voir Dieu qui vient à l’homme de J. Moingt

(6) hymne de l’office des lectures de l’ascension qu’il faut lire tout entier sur AELF.org

Grâce, retrait et unité comme danse…

 « Il vaut mieux pour vous que je m’en aille » (Jn 16,7)

Pourquoi ce départ ?

Pourquoi ce manque ?

Pourquoi cette absence ?

Le chemin de la grâce est toujours inattendu, car il fait partie de cette révélation de l’indicible divin. 

À la suite de mes billets précédents, écoutons ce que dit notre nouveaux saint national 😉 :

« Quand nous voyons que la grâce de Dieu nous soutient moins, qu’elle diminue en nous, nous abandonne presque, gardons-nous de nous décourager. Cette diminution, ce délaissement, sont encore cette grâce, et celle qui nous est le plus utile pour le moment présent. C’est aux yeux de Dieu le moyen le plus efficace pour nous tirer de notre sommeil, de notre langueur, nous faire ouvrir les yeux, nous faire voir que nous avons quitté la bonne voie, que nous marchons à notre perte.

Loin de nous décourager, remercions-le profondément de nous ouvrir ainsi les yeux, et mettons-nous à faire sérieusement notre examen de conscience, à examiner nos infidélités, à voir les moyens de ne plus les commettre, et veillons sur nous, prenons de bonnes résolutions et efforçons-nous de les exécuter. Prions Dieu, demandons-lui de nous rendre ses grâces, promettons-lui d’y être plus fidèles à l’avenir que par le passé, et pleins d’humilité, de vigilance, de bon désir, commençons une nouvelle vie.

Si nous faisons cela, la grâce divine nous sera rendue avec plus d’abondance que par le passé, et cette soustraction momentanée de l’aide de Dieu aura été ce qu’elle devait être dans son intention, une source de plus grands biens, un moyen très efficace de nous convertir » (1)


Un signe fragile de cette délicatesse divine que nous n’avons pas fini de contempler. 


Il rejoint cette contemplation sur la danse trinitaire(2) que je ne cesse de thémathiser. Un Dieu qui s’approche et se retire comme une vague fragile et fraîche et nous laissant la liberté de rejoindre ses flots sans envahir notre liberté tout en cherchant à nous inviter à danser le chemin de l’unité. Ce matin, l’office des lectures nous rappelle cette invitation au rêve d’une véritable unité : « Nous bénéficions d'une union même corporelle avec le Christ, nous qui participons à sa chair sacrée. Saint Paul en témoigne lorsqu'il dit à propos du mystère de la piété :

Ce mystère, Dieu ne l'avait pas fait connaître aux hommes des générations passées comme il l'a révélé maintenant par l'Esprit à ses saints apôtres et à ses prophètes. Ce mystère, c'est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ.


« Si nous formons tous entre nous un même corps dans le Christ, et non pas seulement entre nous, mais avec lui, puisque évidemment il est en nous par sa propre chair, comment donc notre unité entre nous et dans le Christ n'est-elle pas déjà visible ? Car le Christ est le lien de l'unité, étant en lui-même Dieu et homme.


« Quant à l'unité dans l'Esprit, nous suivrons le même chemin et nous dirons encore qu'ayant tous reçu un seul et même Esprit, je veux dire l'Esprit Saint, nous sommes en quelque sorte mêlés intimement les uns avec les autres et avec Dieu. En effet, bien que nous soyons une multitude d'individus, et que le Christ fasse demeurer en chacun de nous l'Esprit de son Père qui est le sien, il n'y a cependant qu'un seul Esprit indivisible, qui rassemble en lui-même des esprits distincts les uns des autres du fait de leur existence individuelle, et qui les fait apparaître pour ainsi dire comme ayant tous une seule existence en lui.


« De même que la vertu de la chair sacrée fait un seul corps de tous ceux en qui elle est venue, de la même manière, à mon avis, l'Esprit de Dieu un et indivisible qui nous habite nous conduit tous à l'unité spirituelle. C'est pourquoi saint Paul nous exhortait ainsi : Supportez-vous les uns les autres avec amour ; rassemblés dans la paix, ayez à cœur de garder l'unité dans un même Esprit, comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance. Il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous, et en tous. Si l'unique Esprit habite en nous, le Dieu unique, Père de tous, sera en nous, et il conduira par son Fils à l'union mutuelle et à l'union avec lui tout ce qui participe de l'Esprit.


« Que nous soyons unis au Saint-Esprit par une participation, cela aussi est visible, et voici comment. Si nous abandonnons une vie purement naturelle pour obéir une bonne fois aux lois de l'Esprit, ne sera-t-il pas évident pour tous qu'après avoir pour ainsi dire renoncé à notre vie propre, et réalisé l'union avec l'Esprit, nous avons obtenu une condition céleste, si bien que nous avons comme changé de nature ? Nous ne sommes plus seulement des hommes, mais en outre nous sommes des fils de Dieu, des hommes célestes, puisque nous sommes devenus participants de la nature divine.


« Tous, nous sommes donc un seul être dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Un seul être, dis-je, dans une identité d'état, ~ un seul être dans un progrès conforme à la piété, par notre communion à la chair sacrée du Christ, par notre communion à l'unique Esprit Saint. »(3)


Cette unité reste un rêve mais n’est-ce pas celui de Dieu.

« Avance au large… »

Dieu se retire pour nous inviter à sortir de notre zone de confort et plonger dans la mer « déchaînée » de son amour 😉 


Il me faut préparer une homélie sur l’ascension. N’ai-je pas la ma trame ? Que dire de plus ? 


(1) Saint Charles de Foucauld

§ 85, psaume 43 (Méditations sur les psaumes ; éd. Nouvelle Cité, 2002 ; p. 217-218 ; rev.)

source  : l’Évangile au Quotidien

(2) cf. mon dernier opus « danse avec ton Dieu » 

(3) saint Cyrille d’Alexandrie, commentaire de l’Evangile de Jean, source office des lectures du 24/5

22 mai 2022

Retrait et présence 2.59

 

À l’aube de l’Ascension nous nous préparons au départ du Seigneur, tout en sentant sa fragile et délicate Présence

Paradoxe de la distance et d’une proximité toute intérieure.

Cet entre~deux qui se prépare rend plus prégnant certains contrastes :

Deuils et espérance 

Nuit obscure et brûlure du souvenir.

Amertume et douceur dont parle l’apocalypse.

Joie et tristesse.

Souffrance et consolation ?


Pourquoi ?

Où es-tu mon Dieu ?

Dieu prépare, en nous, une demeure discrète et bien fragile…


Vendredi soir j’écoutais une mère me parler de son fils parti à 19 ans après un long cancer..

Que dire ?

Entendre la douleur, compatir à cette souffrance 

Et espérer contre toute espérance que ce manque abyssal trouvera au fond du gouffre la grâce d’un baume réparateur ?


La liturgie de ce dimanche trace dans ce cadre, et à sa manière, un chemin fragile d’espérance à l’aube de l’Ascension. 


    « Si quelqu’un m’aime,

il gardera ma parole ;

mon Père l’aimera,

nous viendrons vers lui

et, chez lui, nous nous ferons une demeure.* jean 14


Garder…

Demeurer…

Viens demeurer en moi Seigneur.


Écoutons le Christ nous prendre par la main, comme il l’a fait pour ses disciples… : 

    

    « Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »


Le défenseur, le souffle..

Celui qui rend toute chose possible malgré l’absence…


« Je vous laisse la paix,

je vous donne ma paix ;

ce n’est pas à la manière du monde

que je vous la donne.

Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais,

et je reviens vers vous. »


Je m’en vais et je reviens… mais comment ?


« Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie

puisque je pars vers le Père,

car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant,

avant qu’elles n’arrivent ;

ainsi, lorsqu’elles arriveront,

vous croirez. » Jn 14


Que dire…

La demeure toute intérieure et en même temps inaccessible de Dieu en nous ne peut être thématisée.


L’amour est plus fort que la mort, 

mais cette force est discrète et parfois insaisissable, 

car Dieu ne peut être contenu et ses dons restent discrets, 

de peur de froisser notre liberté..


Samedi, par mes mains fragiles et le ministère qui m’est confié, une petite L. est entrée dans la famille des enfants de Dieu, alors que sa maman et ceux qui l’entourent étaient touchés par un nombre indécents de deuils. La maman les a tous évoqués, avec délicatesse, tous ces absents qui auraient pu apporter à cette petite fille un peu de présence et de douceur. Elle avait choisi deux textes dont celui  qui parle de pierres vivantes… 


Viens Seigneur habitez en elle, en eux.

Comble les de ta grâce….

Et que les mots qui sont venues à mes lèvres trouvent en leur cœur leur chemin, ton chemin…


Je vous les confie…

Que le Dieu d’amour les portent dans ses bras…


Pour aller plus loin :

1. Anne Dauphine Juliand, Consolation, éditions Les Arènes

2. Lytta Basset Ce lien qui ne meurt jamais 

3. François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

4. Et mes essais et romans gratuits sur Kobo / Fnac

- Quelle espérance pour l’homme souffrant…

- Où es-tu mon Dieu ?

- D’une perle à l’autre

15 mai 2022

Retraits et testament - 2.58

 

Et si nous entrions dans le rêve de Dieu, comme nous le suggère notre pape François. 

La deuxième lecture de ce dimanche est tirée de l’apocalypse de St Jean. Elle nous introduit à sa manière à ce rêve : « J’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, Car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés Et, de mer, il n’y en a plus. Il essuiera toute larme de leurs yeux..Ap. 21


Comment atteindre ce rêve, cette terre nouvelle ? 

Cela passe peut-être par un premier retrait… Laisser se retirer cette mer envahissante de nos désirs et de nos doutes pour marcher vers « autrui ». Décentrement…


Peut-être est-ce ce qu’a cherché Charles de Foucault dans sa quête au bout du silence. 

Le chemin du désert (1) est le temps où se prépare en nous le royaume.


Jésus. nous invite ailleurs. Il vient déranger nos habitudes Par ses derniers mots, il signe à sa manière son humble retrait.du monde. Dans l’Évangile (Jn13) Jésus le suggère à sa manière :

« Encore un peu de temps… »

Encore un peu de temps avec vous…

À dix jours de l’ascension, nous goûtons déjà ce dimanche aux derniers signes de la présence du ressuscité avant son grand retrait…

 

Jean nous invite à méditer le  contraste saisissant entre la gloire du Fils et son retrait…

Imaginons la scène. Elle se situe après le lavement des pieds et avant la Passion. Déjà le Fils prépare son retrait… Derniers pas de cette danse tragique où Dieu révèle qui IL EST, sans forcer notre liberté.

Vague discrète d’un amour qui a lechè les pieds des disciples avant le don total et silencieux de la croix qui sera lumière pour le monde.

Écoutons le…à nouveau…

Où en sommes-nous ?

Nous avons passé Pâques…

Au Christ lumineux, qui est apparu plusieurs fois pour conforter ceux qui avaient perdu confiance, se prépare un nouveau temps, celui du désert et du manque…

 

Jésus quitte la plage de nos vies.

Il ne reste plus qu’une étendue immense d’où s’évapore les dernières lueurs de sa présence.

Dans ce désert qui se prépare, les disciples n’auront plus que quelques traces fragiles. Des mots, des gestes, le souvenir d’un Christ à genoux, des paraboles, griffonnées en chemin, ce qui va préparer la naissance des quatre évangiles.

 

Pourquoi ce départ ?

Pourquoi ce silence ?

Où es-tu mon Dieu ?, disons-nous souvent ?

 

« Tu m’as répondu », suggère le psaume.

Les fragiles étincelles de la présence du Fils révèlent autre chose.

Dans l’amour reçu, dans la tendresse qui affleure parfois d’un sourire, Dieu nous laisse quelques pâles souvenirs.

Quelques traits sur le sable…

Souvenons-nous de cette belle prière d’Ademar de Barros que je vous invite à relire, à méditer : « j’ai rêvé que je cheminais sur la plage en compagnie du Seigneur »

«  Je ne t’ai pas abandonné : les jours où tu n’as vu qu’une trace sur le sable sont les jours où je t’ai porté… »

Dieu n’est pas où on l’attend.

IL EST, mais dans le surgissement inattendu d’un fin silence, insaisissable et incontrôlable.

Il nous porte dans ses bras même si nous ne le sentons pas pleurer à nos côtés

Il nous relève quand nous n’avons plus la force d’avancer.

Il est lumière,

IL EST.

Alors, Non, notre quête n’est pas vaine.

Car l’indicible se cache pour que nous découvrions ailleurs sa présence.

 

Viens, Esprit de feu !

Nos nuits obscures (2) attendent ta flamme.

Viens redonner courage à ceux qui pleurent dans le silence et la solitude.

Fais de nous des signes de ta présence discrète.

Aide nous à révéler ce feu qui brûle en nous sous le boisseau.

Viens embraser nos cœurs de chair de ta présence silencieuse.

Allume en nous le feu qui déjà réchauffe nos cœurs de pierre.

 

Laisse-nous être remués par ton dernier appel…

« Aimez-vous comme je vous ai aimé. »

Comme…


« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

Une invitation surprenante nous est faite ce dimanche dans la liturgie de la Parole. Une forme de testament que Jésus laisse à chacun d’entre nous.

Invitation peu banale en soi, mais dont le contenu ne peut que nous interroger, nous bousculer : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » et  comme je continue de le faire au-delà de mes silences… oserai je ajouter.


Comment faire ce pas ? 

Si Jésus se retire, c’est pour que l’amour du « comme » devienne lumière.

Si Jésus disparaît c’est pour que nous devenions ses témoins, non par nos propres forces, mais pour que de son absence vienne le manque, cette quête salutaire qui nous conduit à sentir qu’il est DON et à trouver en nous la Force de réaliser ce qu’il nous offre.

 

Fais qu’en nous jaillisse l’Esprit.

Viens Esprit Saint


Pour aller plus loin : 


(1) voir ici le livre en téléchargement gratuit : https://www.kobo.com/fr/fr/search?query=claude%20j%20heriard

(2) cf. François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

13 mai 2022

Mystère du retrait…

 

Comme une vague qui, d’un dernier effort, a léché le rivage, Dieu semble avoir quitté la plage de nos vies.

Il ne reste plus qu’une étendue immense d’où s’évaporent les dernières humeurs de la mer.

Dans ce désert se découvre parfois quelques traces fragiles et souvent éphémères. 

Là une puce de mer, là un coquillage qui témoignent que la vie demeure sous le soleil de plomb.

Où es tu mon Dieu ?

Pourquoi ce silence ?


Tu m’as répondu, suggère le psaume.

Fragiles étincelles de ta présence.

Dans le sourire d’un étranger,

Dans la caresse d’une mère,

Dans le chaste baiser d’un amour qui se donne ?

Tu nous a laissé de bien pâles souvenirs.

Quelques traits sur le sable…


Et nous voilà, errants, à chercher dans nos vies ce qui demeure.

Quête fragile que cet indicible qui se cache dans des pages jaunies ou des pierres élimées.


Dieu n’est jamais où on l’attend.

Il est, mais dans le surgissement inattendu d’un fin silence, insaisissable et incontrôlable.

Il nous porte dans ses bras et pourtant nous ne le sentons pas pleurer à nos côtés 

Il nous relève quand nous n’avons plus la force d’avancer.

Il est lumière, 

Il est.


Viens, Esprit de feu !

Nos nuits obscures attendent ta flamme.

Viens redonner courage à ceux qui pleurent dans le silence et la solitude.

Fais de nous des signes de ta présence discrète.

Aide nous à révéler ce feu qui brûle en nous sous le boisseau.

Viens embraser nos cœurs de ta présence silencieuse.


Allume en nous le feu qui déjà réchauffe nos cœurs de pierre.

12 mai 2022

La danse des brebis 2.56

 

La multitude immense de ceux qui ont lavé leurs vêtements dans le sang de l’agneau forment ils ensemble les brebis du Père ? 

La limite des images reprises par les lectures d’aujourd’hui est peut-être d’osciller entre martyre et docilité servile, quand l’enjeu est ailleurs. Sommes-nous des grains à moudre comme je le suggérais dans mon billet précédent avec, là encore, une limite servile ou des semences du Verbe, chacune capable de former une forêt immense d’arbres porteurs de fruits féconds, abreuvés par la source unique d’un Dieu qui se donne.


Entre les images et le sens profond d’un peuple en marche, se trace les limites du discours. 


Le bon berger ne dirige pas son troupeau avec un bâton, mais marche avec lui, se penche vers chacune, espère contre toute espérance que la graine de moutarde semée dans les cœurs portera du fruit. Un pour un ou un pour cent ? 


Peu importe si la graine s’abreuve à la source féconde. 


L’enjeu d’une impossible unité est peut-être dans l’agenouillement du Fils devant chacun…espérance fragile d’un Dieu qui croit en l’homme.


N’arrachez pas l’ivraie. Le champ est immense et l’Esprit fécond.

06 mai 2022

Danse des grains

 Danse des grains 2.55 (v2) - Demeurer et faire corps. La lecture de Jean 6 que nous donne à manduquer la liturgie d’hier et d’aujourd’hui va loin. Comme un appel à danser ensemble vers une communion toujours plus intense et signifier ainsi que Dieu seul est « sacrement de notre unité ».

Il y a peut être là une piste à creuser, à travers cette dimension communautaire de l’eucharistie qui n’est pas individuelle mais collective dans cet « en Christo » qu’évoque Hans Urs von Balthasar, dans la deuxième partie de sa trilogie, à la suite de Paul. 

Vivre « en Christ », qu’est-ce à dire ?


Saint Augustin a une belle image à ce sujet :

« Le pain est formé d'une multitude de grains; (...)« Si nombreux que nous soyons, dit en effet l'Apôtre, nous sommes tous un seul pain, un seul corps ». (...) Ce pain sacré nous apprend donc combien nous devons aimer l'union. 

En effet, est-il formé d'un seul grain? N'est-il pas au contraire composé de plusieurs grains de froment? Ces grains, avant d'être transformés en pain, étaient séparés les uns des autres; l'eau a servi durant ces jours passés vous étiez en quelque sorte écrasés (...) . L'eau du baptême est venue comme vous pénétrer ensuite, afin de faire de vous une espèce de pâte spirituelle. Mais il n'y a pas de pain sans la chaleur du feu. De quoi le feu est-il ici le symbole ? Du saint chrême : car l'huile qui entretient le feu parmi nous

est la figure de l'Esprit saint. » (1)


A cette lecture on voit que le « demeurer » n’est plus seulement un élan mystique individuel(2) comme cette tente que voulait planter Pierre au mont Thabor, mais bien la réponse à cette danse à laquelle nous sommes appelés au delà de l’humilité/kénose/danse trinitaire qui nous y invite notamment dans le « faites ceci en mémoire de moi »…


Cette dimension communautaire est à travailler pour dépasser ce qui, dans le rite, réduit l’enjeu du « faites ceci » en ce que XL Dufour appelait un mime. 


L’eucharistie n’est pas ce que nous en faisons souvent : une succession de rites magiques, mais bien un lieu de transformation fondamentale de notre vie.


La communion de tous les baptisés n’a de sens que si elle transforme la communauté en une véritable solidarité « polyédrique » au sens donné par François, où chacun a sa place active et essentielle. Le prêtre est utile, mais n’a, comme le souligne Benoît XVI lui même(3), qu’un rôle d’intermédiaire dans le mouvement collectif de l’assemblée qui, uni en Christ, devient corps dans sa manière d’être, transformé par le travail intérieur et un interactif entre le don reçu et le don donné, qu’exprime à sa manière aussi le couple chrétien dans son échange sacramentel (et dans sa vie) : « je te reçois et je me donne à toi ».


Ajoutons que le Christ n’est pas mort pour moi, je ne le reçois pas pour moi. Il est mort pour que nous participions ensemble à cette « dynamique sacramentelle » (4) qui dépasse le rite pour devenir l’aujourd’hui d’un royaume à construire. En ce sens ce n’est pas le ministre qui compte mais le Corps qui se construit, pour que cette inhabitation de Dieu en nous nous rende véritablement participants au plan de salut.


Zachée,  descends de ton arbre solitaire. Je veux demeurer chez/en toi… La phrase étonnante de Jésus est transformante et voici que son cœur de publicain éclate en don… 

Seigneur vient demeurer en nous pour que nos cœurs deviennent danse…


(1) SAINT AUGUSTIN, Sermon CCXXVII,

pour le jour de Pâque, aux nouveaux baptisés, cité par Martin Pochon dans son livre sur « la lettre aux hébreux » op. cit. p.188

(2) cf. Bernard SESBOUE dans son livre, Comprendre l'Eucharistie, Paris, Salvator2020, p-39-65, regrette que la tradition liturgique ait quelque peu effacé de sa symbolique cette dynamique unificatrice : la communion est devenue un acte individuel. B. Sesboüé cite encore sur ce thème le sermon 229 de saint Augustin, PL 38, col. 1103, et La Cité de Dieu, X, 6, NBA. Ibid.

(3) in J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui, 1982, p. 315

(4) cf http://chemin.blogspot.com/2020/05/lectures-pastorales-2-livres-en.html

Pain de vie

 « Je suis le pain de la vie. » Jn 6, 46

Je suis…

Je suis celui qui est, qui était et qui vient.

Je suis quand même tu n’es pas.

Je suis l’amour qui s’abaisse et se donne.


Pain rompu, broyé, 

froment réduit à un presque rien 

et pourtant….


Pain donné, distribué, multiplié à l’infini, 

comme un souffle fragile, 

battement d’aile d’un papillon 

qui devient ouragan…


Manduquer ce pain, 

se laisser nourrir par ce Verbe 

qui descend jusque dans nos entrailles 

et y plante sa semence fragile 

jusqu’à saisir en nous le meilleur.


Former à notre tour, ce Corps,

Pour être ensemble signe 

D’un don premier, unique,

Insaisissable, irremplaçable.


Pain de vie.

Vie, chemin, vérité.

Plus fort que la mort.

Ressuscité.


Cf.aussi la Maison d’Évangile - La Parole Partagée

02 mai 2022

Dieu a besoin de nos mains

 Etty Hillesum en cette fête de saint Athanase : Un texte qui m’a toujours inspiré, venu du fond de l’enfer des hommes, emprunté sur RT* : « Ce sont des temps d'effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première fois je suis resté éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose mon, Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m'inspire l'avenir; mais cela demande un certain entraînement. Pour l'instant, à chaque jour suffit sa peine.


Je vais t'aider, mon Dieu, à ne pas T'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance. Une chose cependant m'apparaît de plus en plus claire : ce n'est pas Toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons T’aider - et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C'est tout ce qu'il nous est possible de sauver en cette époque et c'est aussi la seule chose qui compte : un peu de TOI en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à Te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres.


(...) Il m'apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que (...) c'est à nous de T'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous. Il y a des gens - le croirait-on ? - qui au dernier moment tâche de mettre en lieu sûr des aspirateurs, des fourchettes et des cuillers en argent, au lieu de te protéger Toi, mon Dieu. Et il y a des gens qui cherchent à protéger leur propre corps, qui pourtant n'est plus que le réceptacle de mille angoisses et de mille haines. Ils disent : Moi je ne tomberai pas sous leurs griffes ! Ils oublient qu'on est jamais sous les griffes de personne tant qu'on est dans tes bras.


Cette conversation avec Toi, mon Dieu, commence à me redonner un peu de calme. J'en aurai beaucoup d'autres avec Toi dans un avenir proche... (...)  Tu connaîtras sûrement des moments de disette en moi, mon Dieu, où ma confiance ne te nourrira plus aussi richement, mais crois-moi, je continuerai à œuvrer pour Toi, je Te resterai fidèle et ne Te chasserai pas de mon enclos. (...) 


Maintenant je vais me consacrer à cette journée. Je vais me répandre parmi les hommes aujourd'hui et les rumeurs mauvaises, les menaces m'assailliront comme autant de soldats ennemis une forteresse imprenable. »(1) 


(1) Etty Hillesum 

Prière du dimanche matin (12 juillet 1942) 


Esther « Etty » Hillesum, née le 15 janvier 1914 à Middelbourg (Pays-Bas), et morte le 30 novembre 1943 au camp de concentration d’Auschwitz (Pologne), est une jeune femme juive et une mystique connue pour avoir, pendant la Seconde Guerre mondiale, tenu son journal intime (1941-1942) et écrit des lettres (1942-1943) depuis le camp de transit de Westerbork aux Pays-Bas.


À la dernière page de son journal, datée du 12 octobre 1942, elle a écrit : « J’ai rompu mon corps comme le pain et l’ai partagé entre les hommes. »


* Merci Alain Deschenes

01 mai 2022

Un texte fondateur ? 2.52 ter

 

D’une certaine manière le contraste entre Actes et Jean 21 que l’Église nous propose aujourd’hui reste pour moi la piste essentielle pour travailler l’humilité du clerc, mais également de tout homme. Pierre est à lui seul incapable de mener l’Église et ce n’est qu’à travers l’humilité et par la force discrète de l’Esprit qu’il peut être pêcheur d’hommes.

Plus encore,  nos efforts individuels sont vains s’ils ne sont « poussés par l’Esprit ». 


Certaines interprétations de Jn 21 en font un texte tardif ou l’école Johannique fait allégeance à celle de Jérusalem tout en mettant cette distance salutaire entre l’apôtre éclairé et conduit par l’Esprit et l’homme relevé par la miséricorde divine. C’est notre chemin à tous, le contraste souligné par Paul, notamment en Ph. 3 entre nos balayures humaines et ce qui peut nous saisir dans une course infinie pour tâcher de Le saisir, alors même que nous parvenons rarement à faire ce que nous voulons. 


PS : Merci à l’amie fidèle qui m’a aidée à améliorer mon texte et à Claire pour une suggestion dans notre Maison d’Évangile - La Parole Partagée

30 avril 2022

corrigé à mon essai d’homélie 2.52: * « M'aimes-tu ? »

 En guise de corrigé à mon essai d’homélie 2.52: *

« M'aimes-tu ? »

« Aimes-tu ? (...) M'aimes-tu ? (...) » Pour toujours, jusqu'à la fin de sa vie, Pierre devait avancer sur le chemin accompagné de cette triple question : « M'aimes-tu ? » Et il mesurait toutes ses activités à la réponse qu'il avait alors donnée. Quand il a été convoqué devant le Sanhédrin. Quand il a été mis en prison à Jérusalem, prison dont il ne devait pas sortir... et dont pourtant il est sorti. Et (...) à Antioche, puis plus loin encore, d'Antioche à Rome. Et lorsqu'à Rome il avait persévéré jusqu'à la fin de ses jours, il a connu la force des paroles selon lesquelles un Autre le conduisait là où il ne voulait pas.... Et il savait aussi que, grâce à la force de ces paroles, l'Église « était assidue à l'enseignement des apôtres et à l'union fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » et que « le Seigneur ajoutait chaque jour à la communauté ceux qui seraient sauvés » (Ac 2,42.48). (...)

Pierre ne peut jamais se détacher de cette question : « M'aimes-tu ? » Il la porte avec lui où qu'il aille. Il la porte à travers les siècles, à travers les générations. Au milieu de nouveaux peuples et de nouvelles nations. Au milieu de langues et de races toujours nouvelles. Il la porte lui seul, et pourtant il n'est plus seul. D'autres la portent avec lui (...). Il y a eu et il y a bien des hommes et des femmes qui ont su et qui savent encore aujourd'hui que toute leur vie a valeur et sens seulement et exclusivement dans la mesure où elle est une réponse à cette même question : « Aimes-tu ? M'aimes-tu ? » Ils ont donné et ils donnent leur réponse de manière totale et parfaite — une réponse héroïque — ou alors de manière commune, ordinaire. Mais en tout cas ils savent que leur vie, que la vie humaine en général, a valeur et sens dans la mesure où elle est la réponse à cette question : « Aimes-tu ? » C'est seulement grâce à cette question que la vie vaut la peine d'être vécue » (1)


D’un certain côté, mon intuition de relier la nudité de Pierre à celle d’Adam est probablement la clé que suggère Jean dans son chapitre 21.


On pourra lire aussi, l’excellent commentaire de Marie-Noēlle Thabut https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/


(1) Jean-Paul II (1920-2005)

Homélie à Paris 30/05/80, 1-3 (trad. DC 1788, p. 556 copyright © Libreria Editrice Vaticana)


* mon homélie : https://www.facebook.com/100003508573620/posts/4849361138524124/

29 avril 2022

Esprit et ouverture - 2.52bis

 

Nous sommes en chemin…

Si l’on prend un peu de recul sur les événements passés qui nous ont conduits de la Passion aux premières manifestations de la résurrection, mais aussi sur notre propre vie, comme de vrais pèlerins pour le Royaume, c’est peut-être à partir de la figure de Pierre que la liturgie nous conduit aujourd’hui vers un nouveau souffle...

Pierre est un homme comme nous, faible, plein de bonne volonté mais fragile et capable de violence.

Il a suivi Jésus

Il l’a renié par trois fois

Il fait des efforts 

Il veut maîtriser sa vie, relancer la pêche 

Mais malgré cela il passe une nuit sans rien prendre….

Jésus revient, le matin, au bord de la mer, au bord de nos efforts et nous appelle. 


Qu’as-tu fais de ta vie ?


Pierre se voit nu, comme Adam au jardin

Pourtant il plonge dans cette eau dangereuse pour se rapprocher de Jésus 

Vient la triple question dont le grec donne une finesse particulière. M'aimes-tu vraiment ?

« Agapas me… » M’aimes tu d'agapè, de cet amour entier, de ce jusqu'au bout qui m’a conduit à la Croix ? 

Deux fois, la question lui est posée mais Pierre se rend compte qu’il n’est pas à la hauteur, qu’il lui reste du chemin. Je t’aime seulement d’amitié « philo te » répond Pierre en grec.

Alors Jésus repose la question en reprenant le même verbe que Pierre « Phileis me », m’aimes tu d’amitié ? 


Veux-tu avancer vers moi ?


Qu’est ce à dire ?


À la lumière de dimanche dernier, n’oublions pas que Dieu est miséricorde, qu’il est conscient de nos faiblesses et qu’il nous rejoint, comme il l’était devant Pierre, par deux fois, à genoux : pour lui laver les pieds, puis à nouveau au bord du lac probablement à genoux à nouveau en train d’attiser le feu d’un repas qui se prépare.


Que va-t'il se passer dans le double mouvement  que nous allons vivre aujourd’hui d’un baptême de l’eucharistie ?


Pas grand chose finalement si ces deux rites restent des gestes creux, des mots, un peu comme cette pêche nocturne de Pierre. Il y a un saut à faire pour consentir à nous laisser guider, habiter par l’Esprit : « jette ton filet ailleurs, suis moi, laisse moi te laver les pieds et le cœur, renonce à croire que tu maîtrises tout, laisse toi revêtir, habiter par l’Esprit… »


Le rite du baptême comme celui de l’Eucharistie sont bien fragiles si nous passons à côté de l’essentiel : Dieu nous invite à genoux à dépasser les gestes du rite pour vivre en actes et en vérité ce que nous célébrons. Le rite n’est rien si nous ne parvenons pas à transformer les symboles en chemins de vie, si nous ne devenons « porte-Christ » comme le suggère cette ancienne catéchèse de Jérusalem.


Le sacrement est vide s’il ne se transforme en mouvement, en « dynamique sacramentelle »


Dans les lectures de mardi dernier Jésus glissait à Nicodème que nous ne sommes rien tant que nous ne sommes pas « nés du souffle de l’Esprit » 

Qu’est-ce que ce souffle ?


Un souffle ténu, le bruit d’un fin silence (1 Rois 19), ce cri intime de Dieu qui nous invite à marcher, chant intérieur qui veut allumer en nous un feu… 

Il nous faut écouter ce que l’Esprit enseigne dans le silence d’un orant.


M'aimes-tu au point de plonger dans la vie en Dieu et renoncer à ton petit confort…


En versant l’eau vive par trois fois sur la tête du petit Côme, un rien va se produire et pourtant une étincelle mystérieuse va se glisser dans le cœur de cet enfant, flamme fragile que la prière conjointe de ceux qui l’entourent et la nourriture spirituelle transformera, par l’action discrète et humble de l’Esprit en lumière.


Nos rites sont inutiles si nous ne choisissons pas d’entrer dans la danse de l’Esprit…


Nos communions sont façades si nos joies intérieures ne deviennent lumières pour le monde, dans la contagion discrète mais joyeuse des danseurs pour le royaume.


L’échange avec Nicodème de mardi nous a permis de contempler la brise fugace et tendre de l’Esprit…


La liturgie nous fait découvrir aujourd’hui que Pierre hésitant et désemparé (Jean 21) peut entendre, comme nous, cet appel fragile d’un Dieu à genoux qui l’invite à choisir une vie nouvelle. 


En nous laissant aimer par Jésus, habités par le souffle c’est une danse nouvelle qui nous appelle.


Qu’est-ce qui explique en effet cette différence entre le Pierre de l’Evangile et celui de la première lecture si ce n’est l’Esprit qui vient transformer l’homme ?

Je renonce, je crois diront les parents de Côme. Et nous ?


Laissons une place à l’Esprit qui veut allumer en nous un feu de joie…


Le baptême est un petit pas en avant, mais l’essentiel est ailleurs : se laisser saisir par ce Dieu qui veut allumer en nous un feu…

28 avril 2022

La danse de l’Esprit - 2.52

 L’échange avec Nicodème qu’évoque partiellement la liturgie d’aujourd’hui (Jn 2) nous permet de contempler la brise fugace et tendre de l’Esprit…


Dimanche nous verrons à la fois un Pierre hésitant et désemparé (Jean 21) et sûr de lui dans les Actes. 

Le premier Pierre a pêché seul sans succès et doit plonger nu pour trouver le chemin du triple pardon de Jésus et comprendre qu’il n’est pas digne, encore de l’agapè. Le second est empli d’un souffle puissant qui convertit les foules.  Qu’est-ce qui explique cette tension apparente si ce n’est l’Esprit qui vient transformer l’homme ?


La liturgie nous prépare à la contemplation du don de l’Esprit… 


Un chemin pour tous ?


Que va-t-il se passer dans le double mouvement sacrementel  que nous allons vivre dimanche prochain dans ma paroisse alors que nous célébrerons coup sur coup un baptême et une eucharistie ?


Pas grand chose finalement si ces deux rituels ne sont  la base d’un double mouvement à la fois théologal et actif au sein des récipiendaires… 


Le rite du baptême comme celui de l’Eucharistie sont bien fragiles si nous passons à côté de l’essentiel : Dieu nous invite à sa danse kénotique et à dépasser les gestes du rite pour vivre en actes et en vérité ce que nous célébrons. Le rite n’est rien si nous ne parvenons pas à transformer les symboles en chemins de vie, si nous ne devenons « porte-Christ » comme le suggère cette ancienne catéchèse de Jérusalem.


Le sacrement est vide s’il ne se transforme en « dynamique sacramentelle » (1).


Jésus glisse aujourd’hui à Nicodeme que nous ne sommes rien tant que nous ne sommes pas « nés du souffle de l’Esprit » 

Qu’est-ce que ce souffle ?


Un souffle ténu, le bruit d’un fin silence (1 Rois 19), le chant ou la danse des priants. Nous vivons souvent dans un balancier fragile entre les excès charismatiques et la pudeur des communautés qui refusent d’écouter ce que l’Esprit enseigne dans le silence d’un orant.


La vie chrétienne consiste finalement à trouver 

le juste équilibre entre kénose et prosélytisme, enfouissement et moralisme, pastorale et ritualismes.

Attention aux excès comme aux extrêmes ! 😉 


Au pharisaïsme hésitant de Nicodème, Jésus rappelle que la guérison de la morsure du mal, de ces « serpents du désert »  ne s’est pas faite dans le combat et la violence mais dans un signe fragile, élevé et suscitant de détourner son regard.


Appel bien mystérieux pour ce chercheur de Dieu que ce serpent de bronze évoqué au chapitre 11 du livre des Nombres qui devient pourtant le prélude et l’annonce de la Croix et du mystère d’un Christ transpercé d’où jaillit l’Esprit.


Ce qui était voilé devient lumière.


En versant l’eau vive par trois fois sur la tête du petit Côme dimanche, un rien va se produire et pourtant une étincelle mystérieuse va se glisser dans le cœur d’un enfant, flamme fragile que la prière conjointe de ceux qui l’entourent et la nourriture spirituelle transformera, par l’action discrète et humble de l’Esprit en lumière.


Nos rites sont inutiles si nous ne choisissons pas d’entrer dans la danse de l’Esprit…


Nos communions sont façades si nos joies intérieures ne deviennent lumières pour le monde, dans la contagion discrète mais joyeuse des danseurs pour le royaume.


(1) cf. mon livre éponyme

23 avril 2022

Chemin d’Emmaüs - Suite

 Il est venu et la trace de sa présence, de son inhabitation n’est pas innocente. 

Quel enjeu ?

La contemplation des pèlerins d’Emmaüs et, à leur suite, de tous les baptisés peut être de comprendre que nous sommes appelés, à notre tour à devenir des « Porte-Christ » (1)

Cette expression très ancienne m’a toujours touchée car elle symbolise notre mission de baptisée, habitée par cette présence fragile et lumineuse qui se révèle en nous, dans notre intime et nous fait marcher.

Être saisi et se laisser saisir (Ph 3)

Transpirer Dieu.

Non dans un discours, mais en actes.

Jusqu’au don

Jusqu’à l’accueil de l’étranger 

Celui qui me dérange.

Danser en Christ…


(1) voir le texte des catéchèses de Jérusalem repris dans l’office des lectures d’aujourd’hui et disponible dans la Maison d’Évangile - La Parole Partagée

20 avril 2022

Sur les chemins d’Emmaüs

Nous sommes invités à le toucher, à le rencontrer, à le manger, à nous nourrir de lui et à entrer dans son mouvement pascal d’effacement rappellait C.Théobald, et pourtant, au moment même où l’on croit le saisir, nous savons qu’il s’effacera, comme il nous invite aussi à le faire. Car, quand bien même nous aurons cru le saisir, il disparaîtra dans un « ne me touche pas » (Jn 20, 17), paradoxe d’un Dieu qui cherche à nous maintenir dans une course infinie, pour que, loin de planter, comme Pierre, une tente sur le mont Thabor, nous restions des coureurs, cherchant sans fin « à le saisir » (cf. Ph. 3) et surtout à en vivre, dans un amour contemplé, reçu puis partagé. 

Le Verbe n’a plus de mots, mais qu’un geste, signe de sa mort, où le Christ se révèle par le don de son corps et disparaît dans le silence pour nous laisser creuser en nous son absence et reprendre son chemin. 

Il nous invite dans le monde, en Galilée….

Extrait de mon « Dieu depouillé »

18 avril 2022

Kénose

 Tout perdre, y compris celui que son cœur aime.

Avancer dans la nuit et le vide.

Ne plus se laisser distraire

Entrer au service 

Se mettre à genoux

Panser les plaies.

Se dépouiller

Kénose 

Impossible chemin ?

Quête inaccessible à l’homme ?

Rejoindre Celui qui nous précède ?

Tâcher de Le saisir et finalement se laisser saisir ?


Écoutons Simon…:


« Femme, qui cherches-tu ? » (Jn 20,15)


Ne te relâche pas, mon âme, dans la poursuite du Maître,

mais comme une âme qui s’est une bonne fois livrée d’elle-même à la mort,

ne tâtonne pas à la recherche de tes aises, ne poursuis pas la gloire,

ni la jouissance du corps, ni l’affection de tes proches,

ne jette pas un coup d’œil à droite, pas un coup d’œil à gauche,

mais, comme tu as commencé, et même de plus belle, cours,

hâte-toi sans répit pour atteindre, pour saisir le Maître !

Quand bien même il disparaîtrait dix mille fois et dix mille fois t’apparaîtrait,

et qu’ainsi l’insaisissable serait pour toi saisissable,

dix mille fois, ou plutôt tant que tu respires,

redouble d’ardeur à sa poursuite et cours vers lui !

Car il ne t’abandonnera pas, il ne t’oubliera pas,

peu à peu, au contraire, de mieux en mieux il se montrera,

plus fréquente se fera pour toi, mon âme, la présence du Maître

et, après t’avoir parfaitement purifié par l’éclat de sa lumière,

lui-même tout entier viendra en toi, lui-même habitera en toi,

lui-même sera avec toi, lui l’auteur du monde,

et tu posséderas la richesse véritable que le monde ne possède pas,

que seuls possèdent le ciel et ceux qui sont inscrits dans les cieux. (…)

Celui qui a fait le ciel, le Maître de la terre

et de tout ce qui est dans le Ciel et de tout ce qui est dans le monde,

le Créateur, lui le seul Juge, lui le seul Roi,

c’est lui qui habite en toi, c’est lui qui se montre en toi,

qui tout entier t’éclaire de sa lumière et te fait voir la beauté

de son visage, qui t’accorde de le voir en personne

plus distinctement, qui te donne part à sa propre gloire.

Dis-moi, qu’existe-t-il de plus grand que cela ? (1)


(1) Syméon le Nouveau Théologien (v. 949-1022)

moine grec

Hymnes 48, SC 196 (Hymnes III ; trad. J. Paramelle et L. Neyrand, éd du Cerf, 2003 ; p. 141-143 ; rev.)

Nouvelle naissance - à l’aube pascale

 Hier nous avons vécu le grand silence du samedi saint, le cœur empli et meurtri du souvenir de cette souffrance des femmes et des hommes de notre temps, des enfants maltraités, de tous ces dénis d’humanité qui nous sautent au visage jusqu’à cette guerre meurtrière maintenant aux portes de l’Europe. Combien notre monde semble aujourd’hui fragile !

Le mal a-t-il gagné sa cause ?

Comment espérer encore…?

Où es-tu mon Dieu ?


Où a-t-on mis notre foi ?

Nous étions dans le noir et pourtant…


Et pourtant, hIer soir, d’un feu de joie a jailli la lumière et en brandissant le cierge pascal, j’ai chanté « lumière du Christ…. »

Quelle est cette flamme fragile qui brille soudain dans nos nuits obscures ? 

Voici que vient une aube nouvelle, un jardin où une fleur mystérieuse et fragile vient de naître.

Au cœur de nos souffrances et de nos doutes, par le mystère encore insaisissable de la croix se révèle à nous un brin d’espérance….

Que nous dit l’Evangile ? 

Ce n’est pas aux disciples qu’il appartient de sentir en premier le bruit d’un doux murmure, mais à une femme, Marie, celle là-même qui probablement (1) a compris à l’avance, à Béthanie, que Jésus allait mourir pour nous et qui le cherche pourtant contre toute espérance dans le jardin du monde…

Le cri de Marie doit rejoindre notre quête…


Il n’est plus là ? L’homme… l’ecce homo broyé par la violence des hommes.

Où es-tu Seigneur ?


La course de Pierre et du disciple bien aimé est d’une certaine manière aussi la nôtre en ce matin de Pâques…


À quoi croyons-nous ?

Y croyons-nous ?

Et nous, le sentons-nous ?

Pouvons nous faire d’une absence une espérance ? 

Le saut de la foi à laquelle nous invite la liturgie est finalement de croire qu’à partir de signes fragiles, un vide, un linceul plié, l’espérance peut naître.

Une bien petite espérance et pourtant…

Christ n’est pas mort en vain…

S’il est parti en silence, s’il semble insaisissable, c’est bien parce qu’il a besoin de nous…

Il a besoin de vous, les parents de Jade pour faire naître dans le cœur de votre enfant, baptisée tout à l’heure, l’envie d’aimer…

L’envie d’aimer.


C’est toujours frustrant d’arrêter là la lecture de Jean car dans la suite du chapitre 20, Marie voit, ce jour-là, l’insaisissable. 


« Allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” » disait déjà Marc 16,7…


Creusons cela…


Il nous précède en Galilée - c’est à dire dans le monde, auprès des souffrants. Il est absent et pourtant toujours là.

Pourquoi ? 


À chaque fois que nous répondons par l’amour à la violence ou la désespérance, Christ est présent…

Il est ressuscité dès que l’amour surgit…


Cela ne veut dire finalement qu’une chose, c’est par nous, en nous, à chaque fois que nous « entrons dans sa danse », celle du don, que Dieu renaît. 

Il a « besoin de nos mains » (2) et de nos cœurs pour être, pour renaître.

Osons y croire, porté par ce don fragile de l’Esprit qui met en nous la foi…

Chantons et dansons pour notre Dieu, l’alléluia. 

Non dans une danse éphémère, mais parce que cela nous (re)met en route : il est ressuscité. 

Osons y croire, osons le vivre…


Aujourd’hui est venu, en nous, se loger une flamme fragile, transformons là en feu de joie. 

Donne nous Seigneur cette force toute intérieure de croire en cette aube nouvelle qui fait renaître en nous un chemin de vie. 

Donne nous de croire que l’amour est plus fort que la mort, que la lumière va éclairer nos nuits…

Christ est ressuscité.

Il est vraiment ressuscité…

Car en nos cœurs qui s’ouvrent Dieu renaît à la vie.


(1) cf. Sylvaine Landrivon, Les leçons de Béthanie, Cerf 2022.

(2) c’est l’affirmation sublime d’Etty Hillesum, voir ses lettres au camp de Westerbroch in « une vie bouleversée »…

13 avril 2022

Ébauche fragile pour le vendredi saint…

 Ce soir nous arrivons au bout du voyage de Jésus. Isaïe et la lettre aux Hébreux nous présente un Christ conduit dans le tunnel de la mort, comme un agneau que l’on mène à l’abattoir…

D’une certaine manière, il n’y a pas ici, à ce stade, chez ces deux auteurs d’espérance, sauf peut-être entre les lignes d’Isaïe. Le mal est là, il nous entoure, il est à nos portes. Une noirceur qui rejoins notre aujourd’hui.

Le Christ, nous le disions dimanche, ne passe pas au-dessus du réel. Il est à nos côtés dans ce gouffre sordide.


Il faut peut-être commencer par entrer dans le silence, ce silence où résonne la douleur des hommes(1), pour s’ouvrir à autre chose. C’est peut-être finalement cela, cette obéissance du Christ qu’évoque maladroitement la lettre aux Hébreux, [avec les limites de l’auteur évoquées récemment par M. Pochon(2)] : une sorte de libre soumission au projet de Dieu, mais avec cette nuance importante que souligne Jean au chapitre 10. En effet même si la violence est là, Jésus reste en pleine maitrise de sa liberté car l’enjeu est ailleurs : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne… » Jn 10, 18.


Ce n’est qu’à ce stade, après être entré dans le silence, et contemplé ce signe élevé, qu’un mouvement peut être amorcé. Et quel mouvement !


Dans la passion de Jean on peut distinguer au moins trois points / déplacements :  


1. Une certaine assurance qui transparaît déjà dès le chapitre 13 et qui donne un ton différent à cette version de la passion. Le Christ reste maître de lui. Il sait que l’enjeu est crucial , que ce projet du Dieu trinitaire est de révéler le jusqu’au bout de l’amour par l’abaissement même de la Croix. La seule réponse au mal est d’avancer, d’entrer dans ce projet de Dieu, non pour satisfaire à un Dieu pervers, mais parce que Père et Fils ont tracé cette voie particulière qui met l’amour au centre (3)


C’est finalement l’enjeu de cette coexistence entre un Christ qui affirme par 3 fois « Je suis » [qu’on pourrait traduire par un « Me voici, c’est l’heure/mon heure] et qui semble maître de lui et à l’opposé la violence désordonnée du monde, le reniement et la fuite des hommes…


2. Entre le triple « je suis » de Jésus et le « je ne suis pas » de Pierre se trouve tout le drame de notre humanité, la différence entre le discours et les actes. 

Le Christ maintiendra jusqu’au bout son amour pour l’homme, jusqu’au « j’ai soif » final qui est bien plus qu’un cri, car il rejoint toutes les soifs et les agenouillements du Christ. Pour mère Teresa et d’autres mystiques, il s’agit plutôt d’un « j’ai soif de toi »(4) qui nous appelle au plus profond de nous mêmes.


« Si tu veux, va jusqu’au bout de l’amour, quoi qu’il en coûte. Le reste est superflu », semble nous suggérer Jean.

Entre l’agenouillement du lavement des pieds, jusqu’à la Croix, le Christ n’est qu’invitation à l’amour. Et c’est cela qu’il nous faut maintenant contempler dans le silence intérieur, jusqu’à ce que, au fond de nous, naisse la réponse, soufflée par la musique silencieuse des psaumes et d’Isaïe : « Tu ne voulais pas de sacrifices (…) alors j’ai dit, me voici ».


3. Le troisième point est peut-être à lire en filigrane dans l’échange entre l’archétype des disciples (celui que Jean appelle le bien-aimé), Marie et Jésus. Plus qu’un héritage, c’est à nous tous qu’est confié la tâche de faire famille : « Ta mère, ton fils ». 


Quelle mission fragile nous est confiée ici au pied de la Croix ! Non seulement écouter le cri des femmes et des hommes, mais construire une famille, un Corps.


Tâche impossible aux hommes que nous sommes, sans la grâce jaillissante qui surgit de cette « danse » tragique que le Père et le Fils viennent d’exécuter « pour nous ».

C’est dans l’eau vive torrentielle d’un cœur transpercé que jaillit et procède l’amour fragile et immense et se révèle à nous dans ce qui est, pour Jean, le don de l’Esprit ! 

Ici, point de rideau déchiré(5), seul le cœur de Dieu dénudé et transpercé par la violence devient source féconde. 


J’ai soif de toi / voici de l’eau…

Paradoxe (oxymore) de la Croix…


(1) comme le soulignait si bien Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, 1995, Ed° de 2002, Cogitatio Fidéi n° 176, p.546ss

(2) cf Martin Pochon,  « Lettre aux Hébreux au regard des Évangiles », lectio divina, Cerf 2020, qui avance la thèse que cette lettre provient d’Apollos, cet apôtre de Jean Baptiste à qui l’Evangile n’est pas encore connu et qui de ce fait interprétre maladroitement le sens du rachat.

(3) cf. sur Kobo/Fnac ma «  danse trinitaire « 

(4) cf. notamment sur le triple reniement mon analyse in « À genoux devant l’homme » 

(5) voir mon essai éponyme et « Dieu dépouillé »

10 avril 2022

La passion selon saint Luc - Petite méditation fragile

 Qu’est ce qui distingue la lecture de Luc des autres synoptiques ?  Quelques clés de lecture.

1. Un Dieu à genoux

Sans aller jusqu’au lavement des pieds, Luc insiste sur le renversement de la vision du messie attendu : « Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. »

Cette petite phrase est à contempler à la double lumière d’un Dieu à genoux devant ses disciples y compris Judas (1) et d’un Dieu qui tombera à genoux en « présentant son dos aux outrages » (Isaïe 50).

Kénose, c’est à dire humilité extrême nous dira Paul en Ph 2. Le messie que vous attendez se révèle dans son agenouillement…



 2. Agonie extrême 

« Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. »

Déjà dans la prière, il va jusqu’à prévoir ce qui l’attend. Devons nous entendre, pouvons nous entendre, comme le fera une mystique (2) que Jésus perçoit que son geste à venir ne servira pas à convertir l’homme, à changer nos cœurs de pierre ?

Sentons nous aussi qu’il va, comme le suggérera A. Von Spyer (3) jusqu’à faire l’expérience du silence du père, ce silence que connaît les grands souffrants et qui est l’extrême de notre condition humaine. Dieu à genoux, à nos côtés, jusqu’au bout…


 3. Le grand silence

« J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas dansé » (Luc 7, 32). Si nous contemplons les gestes de la Passion ce qui surprend chez Luc c’est le quasi silence. Plus de grandes affirmations, mais juste une série de renvois «  C’est toi-même qui le dis ». Renvoie à la conscience intérieure.


 4. Miséricorde

« Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »

C’est le Luc du chapitre 15, celui qui nous a donné la parabole du fils prodigue qui rejaillit ici. Christ est ici à l’extrême de son message. Après le silence qui renvoie à nous mêmes vient l’espérance du pardon… :

« Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »


 5. Le rideau du temple 

« Le rideau du Sanctuaire se déchira par le milieu. »

Ce qui était caché de l’indicible se dévoile. Dieu est là. Luc déchire le rideau du centre, quand Marc le fait de haut en bas… (4) mais le signe est le même, moins spectaculaire que chez Matthieu (5), mais qui vise le cœur. Dieu ne se cache plus, il est là, nu, dépouillé, fragile.


 6. Le dernier cri

« Père, entre tes mains je remets mon esprit. »

Ultime abandon, humilité extrême. Ici pas de cri au Père, pas de Ps 21 murmuré dans l’agonie finale, mais un message de soumission à la tendresse paternelle « entre tes mains », dans ta tendresse, je m’abandonne à toi…

   

 7. Le centurion

À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : « Celui-ci était réellement un homme juste. »

Marc en fait le sommet de la révélation et met dans la bouche du centurion la révélation qu’il est «  Fils de Dieu ». Luc est plus discret, renvoie au chemin intérieur de chacun, dans cette pédagogie qui culminera sur le chemin d’Emmaus puis ds le livre des Actes. Il rejoint cette invitation à un « rentrant en lui même » du fils prodigue (Luc 15).


 8. Conversion intérieure 

« Et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine ».


Mea culpa…

À la suite de cette lecture, Luc nous invite à retourner en nous mêmes.  À quoi m’invites tu Seigneur pour que ta croix ne soit pas vaine…? 


Parmi la symphonie des évangiles, Luc a sa mélodie particulière…(6)


(1) cf. « À genoux devant l’homme »

(2) Anne-Catherine Emmerich

(3) voir notamment l’excellent commentaire chez Hans Urs von Balthasar dans ses tomes de Dramatique divine

(4) voir aussi chez Kobo / Fnac « Le rideau déchiré »

(5) cf. Chemins d’Evangile

(6) voir « chemins de miséricorde »