15 juin 2021

Contemplation - 2 De la tempête à la danse

En ce dimanche où la tempête envahit notre petit monde tranquille, alors que nous cherchons à passer sur l’autre rive (cf. Marc 4, 35sq) peut-être faut-il revenir aux origines. 

L’homme a-t-il compris que le don de Dieu au jardin était démesuré ?

A-t-il écouté la parole qui lui donnait un chemin de vie ?

En croyant au serpent, est-il parti sur une fausse piste, celle d'un Dieu qu'il croyait tout-puissant et jaloux de son pouvoir. Pensait-il que Dieu ne voulait pas lui donner sa place, le laisser être « capax dei » à côté de lui. Et pourtant, s'il avait su...

Mais le Dieu de nos fantasmes, celui que nous imaginons, le Dieu gâteux, vieux sage, jaloux de ses droits est-il le vrai Dieu ?

S'il avait su, l'homme...

Il n'aurait pas cru ce serpent intérieur, ce doute qui vient quand on n'a plus confiance en soi et en l'autre, ce faux Dieu qui s'installe quand on se ferme à l'écoute... 

A t-Il entendu l'appel du jardin ?

Pendant que l'homme se cachait d'un faux dieu, le vrai Dieu cherchait l'homme. Le texte de Gn 3 nous le montre avec une insistance particulière.

Les exégètes, ces vieux savants qui passent leur vie à scruter le sens des textes, appellent cela une forme concentrique.

Ainsi des affirmations qui comportent une série d'éléments,de phrases ou d’expressions A, puis B, puis C, puis à nouveau B et A, qui se répètent ainsi sous cette forme A B C B A doivent être lues comme une insistance sur le C :


A - Ils connurent qu'ils étaient NUS; (…) 

B  - (…) la voix de Yahweh Dieu passant dans le

      JARDIN  à la brise du jour, et l'homme et sa femme 

       se cachèrent de devant Yahweh Dieu 

C  - au milieu des arbres du jardin. 

        Mais Yahweh Dieu appela l'homme et lui dit : 

                    

                 " Où es-tu? " 

       

B  -   Il répondit: "J'ai entendu ta voix, dans le JARDIN , 

           et j'ai eu peur, 

A  -   car je suis NU ; et je me suis caché. "11 

        Et Yahweh Dieu dit : " Qui t'a appris que tu es NU ?”


Et si l'essence du texte était là, dans cet extrait méconnu de Gn 3, dans cette question posée qui déjà révèle que si l'homme croit trouver Dieu ailleurs que là où il est, Dieu est là qui cherche à rencontrer l'homme...

On retient le Dieu violent, celui qui chasse du paradis, qui enlève à l’homme la jouissance des biens. Cela peut se comprendre, à première vue, si l’on regarde

l’état apparent du monde, la dureté des choses, de la nature comme celle de l’homme pour l’homme. C’est aussi ce qu’a dû penser le rédacteur du texte qui écrit dans un monde dur, alors qu’il a perdu le confort de la terre de ses ancêtres. On se demande maintenant si ce texte n’a pas été en effet rédigé ou pour le moins corrigé dans les derniers siècles avant Jésus Christ par des scribes qui se sont vus chassés des jardins de Palestine et se retrouve en exil. Le rédacteur cherche alors à exprimer par ce récit mythique de la chute une explication à sa peine, à la dureté de ses travaux de la terre. Mais cette interprétation, bien humaine laisse aussi transparaître une trace ténue, celle d’un Dieu qui donne, qui cherche, qui s’inquiète…


Alors, qui est Dieu ? 


Est-il ce Dieu violent et cruel imaginé par l’homme comme la source de sa peine, de son exil, ou autre chose, un au-delà des mots… ? Est-ce cet autre Dieu plus attentif qui se cache dans la voix qui résonne dans le jardin, révélation d’une autre voix qui résonne, même si nous rejetons la contemplation de ce qui est beauté dans le monde ? Ne fermons pas trop vite ce point d’interrogation. Laissons le ouvert pendant toute cette traversée…

La jeune juive Etty Hillesum avait la même pensée quand elle s’émerveillait sur une fleur de printemps, (1) alors même que son peuple était déporté et massacré par le régime nazi. Il demeurait dans son jardin une trace différente, au-delà du dieu des puissants. Et cette fragilité même était pour elle source d’espérance et d’action. Elle y a puisé le courage de devenir par ses mains l’instrument de l’amour et de la miséricorde, pour ses frères et ses sœurs marqués par l’horreur des camps. Ce décentrement qu’il est peut-être possible d’entamer (2) est-il ce « passer sur l’autre rive » auquel nous conduit la contemplation de l’Evangile d’aujourd’hui ? 

Dieu est il dans la tempête où « à genoux devant l’homme »(3) lançant cet éternel « où es-tu ? » du jardin. Lointain et si prégnant appel à l’homme pour qu’il danse avec lui au milieu des flots ? 


(1) cf. Etty Hillesum, une vie bouleversée et notre billet contemplation 1

(2) l’amphore et le fleuve, ch. 2

(3) cf. mon autre livre éponyme

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