« 1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des mages d'Orient arrivèrent à Jérusalem, 2 disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile à l'orient et nous sommes venus l'adorer. » 3 Ce que le roi Hérode ayant appris, il fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et il s'enquit auprès d'eux où devait naître le Christ. Ils lui dirent :
5 « À Bethléem de Judée, car ainsi a-t-il été écrit par le prophète : 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la moindre parmi les principales villes de Juda, car de toi sortira un chef qui paîtra Israël, mon peuple. »
7 Alors Hérode, ayant fait venir secrètement les mages, s'enquit avec soin auprès d'eux du temps où l'étoile était apparue. 8 Et il les envoya à Bethléem en disant:«Allez, informez-vous exactement au sujet de l'enfant, et lorsque vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que moi aussi j'aille l'adorer. » 9 Ayant entendu les paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l'étoile qu'ils avaient vue à l'orient allait devant eux, jusqu'à ce que, venant au-dessus du lieu où était l'enfant, elle s'arrêta. 10 À la vue de l'étoile, ils eurent une très grande joie. 11 Ils entrèrent dans la maison, trouvèrent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l'adorèrent; puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe. 12 Et ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.»
La citation du verset 5 établit un nouveau pont avec une prophétie de l'Ancien Testament, soulignant, à dessein, un lien, une filiation spirituelle là où la généalogie n'apportait qu'une descendance.
À cela s'ajoute l'étoile qui confère à la venue de Jésus une origine supra-terrestre. Les « luminaires » se courbent devant la venue du Sauveur. Contemplation théologique de l'incarnation, à laquelle nous pouvons, là encore, choisir d'adhérer. Même si aujourd'hui, nous savons bien plus que Matthieu sur le fonctionnement des astres, ce qui compte n'est-il pas ici de contempler que la venue de Dieu sur terre est en soi un miracle. « Qu'est-ce que l'homme pour que tu en aies souci ? » demande le psaume.
Notons qu'à la différence de l'introduction de Matthieu, qui met en scène la puissance des mages et leur vénération, Luc (2, 5-11) insiste de son côté sur la simplicité et la pauvreté. L'apparition aux bergers, souvent considérés comme des sous-hommes à l'époque juive parce qu'en contact avec des animaux, donc susceptibles d'être impurs, est chez lui dans le plan de Dieu. C'est aux petits qu'il se dévoile. Luc s'adresse-t-il aux humbles quand Matthieu s'adresse aux puissants ? S'agit-il de deux perspectives, de deux théologies ? Pas forcément ! Mais ces différences donnent deux accents à un même mystère, celui de la venue de Dieu chez l'homme.
De plus, l'allusion aux mages, chez Matthieu, ouvre des perspectives que Luc n'a pas développées. Ce ne sont pas les Juifs qui accueillent Jésus, mais bien une multitude de peuples, venus des quatre coins de l'horizon. Un trait particulier, là encore de la lecture de Matthieu.
La venue du Christ ne s'est pas faite en un jour, mais est le fruit d'un long processus qui vient de l'origine et se dévoile progressivement, selon le plan de Dieu, jusqu'à la « prise de chair » du Verbe.
Si, comme le dit saint Augustin, c'est par « le cœur seul qu'on voit le Verbe » il nous faut aussi passer par la chair. C'est pourquoi l'évêque d'Hippone ajoute « tandis que la chair est vue aussi par les yeux. C'est la chair qui nous permettait de voir le Verbe. Le Verbe s'est fait chair, une chair que nous puissions voir, afin que soit guéri en nous ce qui pourrait voir le Verbe (1) »
Que faut-il guérir en nous? Rien d'autre que nos aveuglements, ce qui obscurcit notre cœur de la contemplation du mystère. Dieu a tout donné, jusqu'à remettre dans le sein d'une Vierge, le fruit d'un long travail de révélation. Il nous faut contempler, au-delà de l'attitude de la Vierge, l'abandon du père, sa kénose, comme le soulignera Hans Urs von Balthasar dans sa trilogie.
Naissance, mort et résurrection :
«Ce qui était depuis le commencement..., ce que nous avons contemplé..., nous vous l'annonçons » (1 Jn 1,1-3)
La liturgie de l'octave de Noël en faisant contempler en parallèle les textes de 1 Jean 1, et le récit du tombeau vide, nous renvoie à la fois aux premiers temps de Noël et de Pâques. La mise en parallèle est saisissante. Nous sommes à l'aube, dans les deux cas, d'un nouveau jaillissement de la vie. Le premier est le prologue du second, il s'éclaire d'ailleurs du second. Car c'est bien à la lumière de la résurrection que les évangélistes nous le font percevoir.
Ce que les mages viennent adorer est déjà le Christ en Croix et la myrrhe et l'encens sont autant pour sa sépulture que pour sa venue, quand l'or souligne le royaume à venir.
Le massacre des innocents est le prélude de la mort de l'agneau.
Le tombeau vide sera de même ce temps où l'on erre sans savoir, entre souffrance et interrogation. Seuls ceux qui sont portés par la foi et l'intelligence de la foi peuvent passer au-delà de cette impression d'abandon du monde par Dieu. De même que pendant les temps de la Nativité, le monde semblait livré à lui- même, au matin de Pâques, les apôtres étaient dans le doute, jusqu'à ce que pointe une étoile, qu'une lumière apparaisse dans la nuit. Alors ils courent, n'osant espérer la lumière. Écoutons Jean Scot Erigène:«Pierre et Jean courent tous deux au tombeau. Le tombeau du Christ c'est l'Écriture sainte, dans laquelle les mystères les plus obscurs de sa divinité et de son humanité sont défendus, si j'ose dire, par une muraille de rocher. Mais Jean court plus vite que Pierre, car la puissance de la contemplation totalement purifiée pénètre les secrets des œuvres divines d'un regard plus perçant et plus vif que la puissance de l'action, qui a encore besoin d'être purifiée. Pierre entre cependant le premier dans le tombeau ; Jean le suit. Tous deux courent, et tous deux entrent. Ici Pierre est l'image de la foi, et Jean représente l'intelligence... La foi doit donc entrer la première dans le tombeau, image de l'Écriture sainte, et l'intelligence entrer à sa suite... Pierre, qui représente aussi la pratique des vertus, voit par la puissance de la foi et de l'action le Fils de Dieu enfermé d'une manière inexprimable et merveilleuse dans les limites de la chair. Jean, lui, qui représente la plus haute contemplation de la vérité, admire le Verbe de Dieu, parfait en lui-même et infini dans son origine, c'est-à-dire dans son Père. Pierre, conduit par la révélation divine, regarde en même temps les choses éternelles et les choses de ce monde, unies dans le Christ. Jean contemple et annonce l'éternité du Verbe pour le faire connaître aux âmes croyantes Je dis donc que Jean est un aigle spirituel au vol rapide, qui voit Dieu ; je l'appelle théologien. Il domine toute la création visible et invisible, il va au-delà de toutes les facultés de l'intellect, et il entre divinisé en Dieu qui lui donne en partage sa propre vie divine (2)»
Matthieu 2, 13-15 – La fuite en Égypte
13 Après leur départ, voici qu'un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, fuis en Égypte et restes-y jusqu'à ce que je t'avertisse; car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. » 14 Et lui se leva, prit l'enfant et sa mère de nuit et se retira en Égypte. 15 Et il y resta jusqu'à la mort d'Hérode, afin que s'accomplît ce qu'avait dit le Seigneur par le prophète : J'ai rappelé mon fils d'Égypte.
Commentaire :
Encore un songe avec une petite structure concentrique (ou chiasme) que nous pouvons lire comme suit :
A Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, fuis en Égypte
B et restes-y jusqu'à ce que je t'avertisse;
car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr. »
A ´ Et lui se leva, prit l'enfant et sa mère de nuit et se retira en Égypte.
Pourquoi cette fuite, que nous dit-elle de l'enfance de Jésus ?
Finalement peu de chose si ce n'est le centre du chiasme :
Hérode va chercher à le faire périr, ce qui n'est pas sans lien avec le drame de la Croix. Dès le départ, la tension monte : le Fils de l'homme entre dans le monde avec contre lui une force qui le conduira à la mort. Peut-on y voir un dessein de Matthieu : nous faire entrer, dès le départ, dans une tension qui va jusqu'à la mort ?
Matthieu 2, 16-23 – Le massacre des innocents
16 Alors Hérode, voyant que les mages s'étaient joués de lui, entra dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire, depuis l'âge de deux ans et au-dessous, d'après le temps qu'il connaissait exactement par les mages. 17 Alors fut accompli l'oracle du prophète Jérémie disant : « 18 Une voix a été entendue en Rama, des plaintes et des cris lamentables : Rachel pleure ses enfants; et elle n'a pas voulu être consolée, parce qu'ils ne sont plus. » 19 Hérode étant mort, voici qu'un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph en Égypte, 20 et lui dit : « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et va dans la terre d'Israël, car ceux qui envolaient à la vie de l'enfant sont morts. » 21 Et lui, s'étant levé, prit l'enfant et sa mère, et il vint dans la terre d'Israël. 22 Mais, apprenant qu'Archélaüs régnait en Judée à la place d'Hérode, son père, il eut peur d'y aller, et, ayant été averti en songe, il gagna la région de la Galilée 23 et vint habiter dans une ville nommée Nazareth, afin que s'accomplît ce qu'avaient dit les prophètes : Il sera appelé Nazaréen.
Commentaire :
On retrouve une structure concentrique presque identique qui clôture le chapitre et a pour centre :
A « Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et va dans la terre d'Israël, car ceux qui en voulaient à la vie de l'enfant sont morts. »
A' 21 Et lui, s'étant levé, prit l'enfant et sa mère, et il vint dans la terre d'Israël.
Oublions le récit et faisons ce que l'on peut appeler une lecture allégorique de ces deux chiasmes. Matthieu nous met devant un drame et nous ouvre à l'espérance. À ceux qui, comme ses condisciples, craignaient la persécution et le martyr, Matthieu trace un chemin d'espérance : En Christ, la mort n'est que temporaire, car ceux qui nous persécutent mourront, alors que nous chrétiens vivrons de la résurrection. Selon ce prisme de lecture, souligné par les deux chiasmes, une autre vision du récit se révèle, celle d'une pédagogie qui nous fait apercevoir ce que saint Ignace appellera le combat des deux étendards. Il y a l'étendard d'« Hérode » qui cherche à mettre à mort et celui de Dieu qui conduit à la vie.
(1 ) Saint Augustin, commentaire de la première lettre de saint Jean
(2) Jean Scot Érigène (?-v. 870), bénédictin irlandais, Homélie sur le prologue de l'évangile de Jean, §2 (trad. Jean expliqué, DDB 1985, p. 27 rev.), source Evangileauquotidien.org
Ce texte est un extrait de Chemins croisés, ma contemplation sur l'Évangile de Matthieu