25 mars 2021

Le Verbe fait chair - Annonciation - la danse trinitaire 44



S’il y a un thème que je ne cesse de contempler et qui prend, à l’aube de la semaine sainte, et en cette fête de l’Annonciation mêlée, une coloration particulière, c’est bien cette danse intra divine (1) entre l’humanité et la divinité du Fils que l’ange révèle à sa manière à Marie, dans l’interprétation très spirituelle de Luc.

L’office des lectures d’aujourd’hui me pousse ci après à un crime de « saute verset » sur une texte de saint Léon le grand, qui supprime certaines expressions qui me semblent erronées ou « misleading » dans une dynamique théologique plus constructive. Les puristes pourront se référer au texte intégral (2) Mais je préfère cette version 🙂 de la lettre à Flavien, qui rend bien compte à mon avis de la tension à maintenir entre la révélation bi-face du Christ.


« La petitesse a été assumée par la majesté, la faiblesse par la force, l'asservissement à la mort par l'immortalité ; (...) la nature inaltérable s'est unie à la nature exposée à la souffrance. C'est ainsi que, pour mieux nous guérir, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus Christ devait, d'un côté, pouvoir mourir et, de l'autre, ne pas pouvoir mourir.


C'est donc dans la nature intégrale et complète d'un vrai homme que le vrai Dieu est né, tout entier dans ce qui lui appartient, tout entier dans ce qui nous appartient. Par là nous entendons ce que le Créateur nous a donné au commencement et qu'il a assumé pour le rénover.(...) 


Il a accepté de partager les faiblesses humaines, (...)  pris la condition de l'esclave sans la souillure du péché ; il a rehaussé l'humanité sans abaisser la divinité. Par son anéantissement, lui qui était invisible s'est rendu visible, le Créateur et Seigneur de toutes choses a voulu être un mortel parmi les autres. (...)  lui qui a fait l'homme en demeurant dans la condition de Dieu, c'est encore lui qui s'est fait homme en adoptant la condition d'esclave.


Le Fils de Dieu entre donc dans la basse région du monde qui est la nôtre, en descendant du séjour céleste sans quitter la gloire de son Père ; il est engendré selon un ordre nouveau et par une naissance nouvelle.


Selon un ordre nouveau : étant invisible par lui-même, il est devenu visible en se faisant l'un de nous ; dépassant toute limite, il a voulu être limité ; existant avant la création du temps, il a commencé à exister temporellement ; le Seigneur de l'univers a adopté la condition d'esclave en plongeant dans l'ombre la grandeur infinie de sa majesté ; le Dieu inaccessible à la souffrance n'a pas dédaigné d'être un homme capable de souffrir, et lui qui est immortel, de se soumettre aux lois de la mort.


En effet, le même qui est vrai Dieu est aussi vrai homme, et il n'y a aucun mensonge dans cette unité, puisque la bassesse de l'homme et la hauteur de la divinité se sont unies dans cet échange.


De même que Dieu n'est pas altéré par sa miséricorde, de même l'homme n'est pas anéanti par sa dignité. Chacune des deux natures agit en communion avec l'autre, mais selon ce qui lui est propre : le Verbe opère ce qui appartient au Verbe, et la chair exécute ce qui appartient à la chair.


L'un brille par ses miracles, l'autre succombe aux outrages. Et de même que le Verbe ne perd pas son égalité avec la gloire du Père, de même la chair ne déserte pas la nature de notre race humaine.


C'est un seul et même être, il faut le dire souvent, vraiment Fils de Dieu et vraiment fils d'homme. Dieu par le fait que au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Homme par le fait que le Verbe s'est fait chair et a établi sa demeure parmi nous. »(3)


Revenons à Luc. L’historicité de l’Annonciation peut être contestable, ce que je tente de démontrer dans « pédagogie divine » est qu’il utilise un schème littéraire très classique de théophanie (4) avec ses étapes répétées d’ange, d’humilité et de révélation pour nous introduire à un mystère qui est de fait au cœur de notre foi. Peu importe alors si l’événement a eu lieu. Ce qui nous reste à faire est de tomber à genoux devant le Dieu qui vient nous visiter dans une danse sublime avec la femme, nouvelle Ève qui réalise en elle le rêve de Dieu(5).


Il faudrait refaire idéalement en cette fête particulière un pèlerinage à Florence pour découvrir dans une cellule discrète cette ultime version de Fra Angelica qui fait un arrêt sur image (cf. Photo 1) sur la réalisation toute intérieure du mystère en Marie, elle même. 


(1) cf. sur Kobo ma « danse trinitaire »

(2) voir AELF . Org l’office des lectures de mercredi 

(3) saint Léon le Grand, lettre à Flavien, extrait.

(4) cf. mon « Pédagogie divine »

(5) sur le « rêve de Dieu », relire aussi François, un temps pour changer. p. 141


Photo 1 Fra Angelica, photo 2 : Lérins, l’Annonciation

La femme et Jésus - danse 43


 

L’Evangile d’aujourd’hui (Jn 8 ) est pour moi une danse. Jésus qui s’accroupît devant la femme adultère est loin de tout moralisme...


Il y a, dans les mouvements du Christ, une indication claire de cette danse de Dieu vers l’homme que nous avons déjà commenté. Si l’on relit le texte, en notant ces gestes, on sent, entre les lignes, ce double abaissement du Christ qui, assis, s’était relevé, puis s’est penché à nouveau au sol pour écrire. On le suppose alors tout près de la femme, pour se relever à nouveau. Les gestes de Jésus parlent ici la langue de l’humilité. Qui peut édicter une loi qui touche le cœur ? Le pharisien, le modèle, dressé par la rigidité d’une règle qui condamne ou l’humble chercheur qui trace, aux côtés de l’homme, des traits que le vent vient effacer et qui, pourtant, s’inscrivent au plus profond du cœur (1) et sont plus inflexibles qu’une loi humaine, car enracinés dans la seule loi de l’amour qui fait avancer l’homme. N’est-ce pas là ce que les théologiens tentent d’appeler « l’économie » de Dieu, ces gestes qui révèlent l’indicible ? (2) 


La danse de Jésus commence très loin, rime avec les lavements des femmes à Bethanie ou ailleurs et se poursuivent jusqu’au lavement des pieds.

A contempler ou à danser 🙂 


(1) cf. l’alliance nouvelle de Jr 31 d’hier

(2) Extrait de mon livre « À genoux devant l’homme ». Voir aussi mon roman également téléchargeable gratuitement sur Kobo, « d’une perle à l’autre »...

24 mars 2021

Danse avec le Bienheureux Titus Brandsma



« Alors, vous aussi, vous vous êtes laissé égarer ? »


Nous vivons dans un monde où l'amour lui-même est condamné : on l'appelle faiblesse, chose à dépasser. Certains disent : « L'amour n'a pas d'importance, il faut plutôt développer ses forces ; que chacun devienne aussi fort qu'il le peut ; et que le faible périsse ! » Ils disent encore que la religion chrétienne avec ses sermons sur l'amour, c'est du passé. (...) C'est ainsi : ils viennent à vous avec ces doctrines, et ils trouvent même des gens qui les adoptent volontiers. L'amour est inconnu : « l'Amour n'est pas aimé » disait en son temps saint François d'Assise ; et quelques siècles plus tard à Florence, sainte Marie-Madeleine de Pazzi sonnait les cloches du monastère de son Carmel pour que le monde sache combien l'Amour est beau ! Moi aussi, je voudrais sonner les cloches pour dire au monde comme il est beau d'aimer !

Le néo-paganisme [du nazisme] peut répudier l'amour, l'histoire nous enseigne que, malgré tout, nous serons vainqueurs de ce néo-paganisme par l'amour. Nous n'abandonnerons pas l'amour. L'amour nous regagnera les cœurs de ces païens. La nature est plus forte que la philosophie. Qu'une philosophie condamne et rejette l'amour et l'appelle faiblesse, le témoignage vivant d'amour renouvellera toujours sa puissance pour conquérir et captiver les cœurs des hommes.(1)


Je découvre cette pépite dans l’Évangile au Quotidien.

Inconnu pour moi que ce Titus, victime probablement du nazisme...?


(1) carme néerlandais, martyr (1881-1942)

Invitation à l'héroïsme dans la foi et l'amour (Itinéraire spirituel du Carmel, coll. Grands Carmes; trad. Romero de Lima Gouvêa; Éd. Parole et Silence 2003, p. 163), source  : l’Évangile au Quotidien

22 mars 2021

Dynamique sacramentelle 41. Danse avec ton Dieu


Plus nos discussions avancent plus je me demande s’il n’y a pas une autre voie que les baptisés n’osent pas prendre et qui pourrait résoudre bien des problèmes. 

Au lieu de se cristalliser sur la messe, sa forme, ses rites, et sa présidence, il nous faut inventer, pousser par l’Esprit, d’autres voies alternatives qui ne font pas concurrence à la messe dominicale mais constituent d’autres chemins complémentaires pour faire Église.

Sommes-nous en effet réduits à réciter sans cesse des phrases prémâchées comme si l’intelligence de la foi nous était retirée ?

Nous ne sommes plus au XIXeme siècle, la Bible est ouverte et des laïcs sont formés pour l’ouvrir, la lire, la commenter et en vivre.

Il est temps que ceux qui sont nourris par l’Ecriture inventent d’autres lieux de rencontre, d’autres maisons d’Evangile (*) lieux de « réflexion théologique » qui interpellent le monde par l’intelligence du cœur et non par des automatismes.

C’était l’intuition fondamentale de Joseph Moingt que de dire que l’Evangile sauvera l’Église.

Comment écrivons-nous l’Église au delà des sept sacrements qui ne constituent pas un tout mais un moyen, non exclusif de vivre en Dieu.

Ce que j’ai longuement développé dans mon livre « la dynamique sacramentelle » (1) mérite d’être complété ici...


Il y a vingt ans, quand nous avons créé avec un groupe de laïcs un premier lieu de discussion informelle en semaine entre midi et deux à l’heure de la messe en semaine, dans une paroisse parisienne où travaillaient 150.000 personnes, le curé s’est inquiété qu’on lui pique des followers. Mais force est de constater que ceux qui participaient à ce groupe à la même heure que sa messe sont devenus les piliers de la paroisse de semaine car loin d’une répétition rituelle ils constituaient une « maison » habitée par l’Evangile.


Dans ma paroisse de week-end l’expérience est la même, ceux qui se réunissent le samedi une fois par mois pour lire ensemble l’Evangile sont les acteurs de la vie paroissiale dans sa dimension la plus large. Et leur élan qui s’inscrit dans la durée est autant porteur que les curés qui se succèdent, car s’y conjugue une saine complémentarité entre prêtres et laïcs.


Depuis mon billet 40.2 d’autres initiatives de ce type se sont manifestées à moi et conforte cette idée qu’il est temps d’inventer d’autres voies... n’hésitez pas à les partager ici.


Nous rejoindrons alors la force que représentait l’action catholique d’après guerre, les initiatives lancées par Theobald dans la Creuse ou « la messe qui prend son temps » à saint Ignace ?


Pourquoi l’action catholique a perdu son élan ? Il faut peut-être revisiter cela. Probablement parce qu’elle s’est détachée de la source qu’était l’évangile pour se perdre dans l’activisme. Ses fruits ont pourtant été nombreux.


Il y a une vigilance à déployer pour que nos actes ne soient pas séparés des sacrements mais en soient habités par une saine intelligence de la foi, un souci de discernement et une « danse » féconde entre vie humaine, prière, discernement partages et rites. C’est cette articulation qui est clé et que j’appelle la dynamique sacramentelle dans laquelle tout baptisé à sa place qu’il soit célibataire marié ou divorcé remarié !


Je relisais récemment dans La Croix (2) un bel article sur les Xavières et la fécondité de ce mouvement poussé à travailler pour survivre. Illustration différente et complémentaire des intuitions de Madeleine Delbrel ou des prêtres ouvriers, d’une nouvelle diaconie dans l’Église qui pense, prie et agit... Troisième voie ? 


« On doit reconnaître, concluait Michel Quesnel, que de plus grandes responsabilités pourraient être accordées aux femmes dans l’Église catholique si l’on tenait davantage compte des textes de Paul, disait un autre article »(3)


La messe n’est pas le tout. N’ayons pas peur d’inventer d’autres chemins qui ne l’excluent pas, mais déploient sa dynamique et en font un sommet mais non l’unique manifestation de la communauté.


Écoutons ce que disait déjà saint Léon le Grand : 

« Soyez les imitateurs de Dieu,�(...)  Que les fidèles scrutent donc leur âme et discernent par un examen loyal les sentiments profonds de leur cœur. S'ils découvrent que leur conscience a en réserve des fruits (...)  ils peuvent être certains que Dieu est en eux ; et pour se rendre de plus en plus accueillants à un tel hôte, qu'ils se dilatent par les œuvres d'une miséricorde inlassable. En effet, si Dieu est amour, la charité ne doit pas avoir de bornes, car la divinité ne peut s'enfermer dans aucune limite.»(4)


Le chemin tracé par Léon n’est pas exclusif mais s’insère dans la même direction.


La première lecture d’aujourd’hui (Ez 47) est une belle illustration de la fécondité des sacrements. Du Verbe peut couler un fleuve immense.


(1) cf. mon livre éponyme téléchargeable gratuitement sur Kobo.

(2) Les xavières, cent ans de « troisième voie »

Youna Rivallain, La Croix du 2/2/21, à l’occasion de leur centenaire 

(3) La Croix du 18/2/21 sur Paul et les femmes. Ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire de Michel Quesnel Médiaspaul.

(4) Saint Léon le Grand, sermon de Carême, source office des lectures du 16/3/21

(*) Voir aussi : 

https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/

21 mars 2021

Danser avec le peuple - 40.3



« Se placer au-dessus du peuple de Dieu, c’est ignorer que Dieu s’est déjà approché de Son peuple, l’oignant, l’élevant. Se placer au dessus du peuple de Dieu conduit aux moralisme, aux légalisme, au cléricalisme, aux pharisaïsme et à d’autres idéologies élitistes, qui ne connaissent rien de ta joie de te savoir membre du peuple de Dieu. Le rôle de l’Église est de servir Jésus-Christ pour rendre sa dignité au peuple, non pas en imposant ou en dominant, mais comme le fait le Christ, dans le lavement des pieds. C’est par le service et le don de l’espérance que l’Église restaure et maintient la dignité du peuple. »(1)

Sans commentaires 


(1) François, un temps pour changer, p. 159

(2) voir sur le même thème mon « à genoux devant l’homme »

20 mars 2021

Communion et danse avec son Dieu - 40.2



Peut-on véritablement comprendre le mystère de cette Cène à laquelle nous sommes à nouveau invités dans un nouveau Shabbat ? Probablement qu’à moitié. Ce qu’on perçoit à la fraction du pain, si l’on en croit Luc 24, ce n’est pas tant le prêtre qu’il soit blanc, noir, homme ou femme, mais la charité en actes de Celui qui disparaît alors, à Emmaüs en nous laissant trouver seul le chemin pour le suivre. L’essentiel est alors de se remettre en marche, car la fraction du pain n’est que le mime (1) d’un don qui va jusqu’au bout de l’amour et qu’il nous faut conjuguer à notre manière en fonction de nos dons, de nos « talents » à l’image de Celui qui disparaît tout en étant bien présent par les traces vives de la Parole et du Pain, manduqués à nouveau ensemble en souvenir douloureux et fécond de nos incapacités et de nos joies mêlées... et dans l’espérance de trouver un jour notre façon de rompre le pain dans une dynamique sacramentelle (2) 

qui dépasse le rite, le mime (au sens donné par  X. Léon Dufour) pour devenir sacrement réel, signe efficace et fécond. L’essentiel est que notre façon d’agir reflète une pâle mais vraie image de Celui qui nous a invité à sa table. La fraction du pain est alors plus que le rite, elle devient Vie, Vérité, Amour partagé et donné, diaconie et communion. Tous les autres débats sur la présence ou non, la forme, l’orientation vers l’Est ou la tenue deviennent alors des frémissements futiles et ridicules... 


Il est temps qu’on retourne au centre au lieu de s’étriper sur la forme. Je n’ai jamais compris le sens des insistances sur la forme alors qu’on est invitée à une danse plus essentielle, à devenir ce que nous disons, à vivre ce que nous prêchons dans nos églises qui se vident non par la faute de l’un ou de l’autre, mais parce que nous oublions l’essentiel. Ce n’est pas nos débats sur la qualité du rite qui fera avancer ce à quoi nous invite le Christ, qui se moquait bien des lavements de mains rituelles, leur préférant une autre forme de diaconie à genoux devant l’homme (cf. Jn 13). 

Arrêtons de réguler ou d’exclure certains du partage de la Table par ce qu’ils seraient moins dignes, moins purs... que celui qui n’a pas péché jette la première pierre (cf. Jn 😎...

Discours moralisateurs et stériles que celui qui veut fermer la porte de l’Église à certains. L’essentiel est ailleurs comme nous le rappelle François (3).

Je ne cesse de contempler cette hymne de la Fédération dont j’ai été longtemps le porte parole pour la France : «  je voudrais qu’en vous voyant vivre les gens puissent se dire : voyez comme ils s’aiment ».(4)

L’essentiel est là. C’est l’appel de Mat 25.(5).


(1) cf. Xavier Léon Dufour dans son commentaire de Jean tome 2

(2) C’est en tout cas ce que je cherche à décrire dans mon livre éponyme téléchargeable gratuitement sur Kobo

(3) cf. son entretien avec Spadaro : «  ne soyons pas ceux qui se tiennent à la porte pour empêcher d’entrer ».

(4) hymne de la fédération internationale des CPM - FICPM

(5) je remonte et complète ici une conversation avec Célestin dans mon billet 40, car elle me semble essentielle.


Illustration : la fraction du pain, Arcabas

19 mars 2021

Communion et dynamique sacramentelle - 40

 

Une amie me signale cet article de Louis-Marie Chauvet dans Etudes (1) sur « la messe en temps de confinement » qui résonne avec de nombreuses réflexions sur ce forum. J’apprécie notamment ces extraits : « la communion eucharistique ne trouve son sens que dans le sillage de l'écoute et de la « rumination » des Écritures » qui rejoint nos essais de Maison d’Evangile sur FB.(2)

Mais aussi « la messe n'est pas le tout de la vie chrétienne, mais qu'elle n'en est ni le point de départ, ni le point d'arrivée. Le point de départ, c'est la parole de Dieu ; le point d'arrivée, c'est une éthique de vie qui, par la « charité » (le don de soi au bénéfice d'autrui) se conforme à ce que signifie l'eucharistie. Celle-ci n'est donc que point de passage. Mais c'est un point de passage obligé et obligeant. »

Et plus loin « Importance non pas de la seule communion bien sûr, encore moins de la communion toute seule (on a envie de parler à ce propos de « communion sèche » !), mais bien de son rapport avec une assemblée et avec la parole de Dieu. »

On rejoint mes travaux de recherche sur « la dynamique sacramentelle » déjà citée 


(1) https://www.revue-etudes.com/numero/mars-2021

(2) cf. mon message précédent

Relecture après la tempête - 39 - danser avec François ?

Après l’incident qui a généré plusieurs centaines de commentaires en février je m’interroge sur deux questions. Est ce que nos positions constituent un entre-soi confortable ou sommes nous capables d’auto-critique. La lecture d’un temps pour changer(1) de François m’interpelle à propos du relativisme, de l’opposition inféconde et de ce qu’il appelle, à la suite de Guardini, les contrapositions (p. 119sq) qui « impliquent deux pôles en tension (...)  des opposés qui interagissent néanmoins dans une tension féconde et créative. (...) Les contradictions exigent un choix [bien ou mal] (...) les contrapositions (...) ouvrent aux intéressés une nouvelle synthèse qui ne détruise aucun des pôles, mais préserve ce qui est bon et valable dans les deux dans une nouvelle perpective. Cette percée se produit comme un don dans le dialogue, quand les gens se font confiance et cherche un pour humblement le bien ensemble, et qu’ils sont prêts à apprendre les uns des autres dans un échange mutuel de dons. Dans ces moments-là, la solution à un problème insoluble se présente de façon inattendue, imprévue, résultat d’une créativité nouvelle et plus grande, libérée, pour ainsi dire de l’extérieur. »...

Je trouve cette analyse pertinente... d’autant qu’elle est suivie d’une belle exhortation à la synodalité (p. 123 sq) vu comme harmonie musicale et vous ?

Il est temps que nous dansions un peu avec nos harmoniques différentes... 🙂 


(1) Pape François, un temps pour changer,  Flammarion, 2020, chapitre 2 - un temps pour choisir.,,

18 mars 2021

Homélie du 5eme dimanche de Carême - année B

Projet 5 (écrit à 4 mains)


Cette année encore, nous sommes bousculés dans nos habitudes, nous allons vivre cette grande fête de Pâques dans des conditions difficiles liées à la pandémie. Rejoignons dans la prière toutes celles et ceux qui en souffrent et tous ceux qui ne comptent pas leur énergie pour les soigner.

Associons nous à ce chemin qui passe par la Passion avant d’atteindre cette Résurrection où nous pourrons proclamer et redire l’essentiel de notre foi. 


Comment aujourd’hui l’Ecriture nous interpelle elle particulièrement,  que nous dit la Parole aujourd’hui ?

Écoutons à nouveau les paroles de Jeremie 31 : « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »

Notre carême s’inscrit dans cette direction : faire alliance, apprendre à connaître Dieu, voir le Sauveur dans ce mystère tout particulier de la mort et de la résurrection. Et le suivre. Il ne s’agit pas d’une conversion du bout des lèvres, non une anecdote dominicale dans le cours de la semaine mais une transformation de l’intérieur. Dieu nous fait miséricorde. Il nous invite surtout sur son chemin, a avoir un cœur nouveau, un esprit nouveau, comme le dira à son tour Ézékiel. Il s’agit d’une nouvelle naissance disait Jésus à Nicodème, c’est à dire ne plus se laisser emporter par le vent mais choisir au fond de notre cœur le Chemin, la Vérité et la Vie.

« Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. (...) Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne », nous dit le psaume 50.


L’évangile insiste. « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.

Nous sommes tout proche de la Passion. Le chapitre 12 décrit la dernière méditation de Jésus avant de basculer vers ce qui sera son Heure...


Jésus est médiateur d’une alliance nouvelle 

Ce grain de blé tombé en terre qui doit mourir pour refleurir et porter du fruit, c’est bien sûr d’abord le Christ qui annonce par la sa mort prochaine sur la Croix. Comment ne pas être interpellé par cette parole même de Jésus saisi par la crainte : « mon âme est bouleversée, que vais-je dire ?, Père sauve moi de cette heure ?  et Jésus de conclure : « NON, c’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! »


Faut-il s’arrêter là ?

Non,  ce chemin est aussi le nôtre.

Pour avoir un cœur nouveau il nous faut aussi mourir...

Mourir à quoi ?

Ce n’est pas à moi de vous dire ce qu’il faut laisser mourir en vous, c’est à vous de discerner ce qui en vous conduit à la vie et d’oublier l’inessentiel, de le faire mourir...

Quel est l’enjeu... ? Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.poursuit saint Jean.

Jésus nous appelle au décentrement, à un déchirement intérieur...

Prenons le temps cette semaine de laisser résonner cela en nous, de le relire en silence, en goûtant, en manduquant ces mots comme on le ferait avec nos plats préférés, une façon comme une autre de les intérioriser, de les faire nôtres en acceptant qu’elles nous bousculent, qu’elles changent notre cap de vie..

Mourir pour revivre...

Une clé est donner dans la suite du texte....

Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur.

Quelle exigence cela entraine-t-il pour nous ? Apprendre à sortir de nos chemins de certitude, de nos zones de confort, apprendre à se dépouiller comme le Christ l’a fait lui-même.Souvenons-nous de ce bel hymne aux Philippiens (2,7-9) : « ils’est dépouillé, s’est abaissé… » s’est fait serviteur...


Servir...

Qu’est ce que servir...?

Il ne s’agit pas de servitude, d’auto flagellation mais d’amour.

Si notre cœur ne meurt pas à ce qui n’est pas amour, si nous n’arrivons pas à l’amour, cela ne sert à rien.

« L’amour prend patience, ne cherche pas son intérêt. » (1Co 13). L’amour est vie.

Cette semaine nous méditions un beau texte d’Ezechiel 47 qui évoque cette eau abondante qui « vient du sanctuaire. Les fruits seront une nourriture, et les feuilles un remède ». 



Qu’est ce qui nous vient de Dieu ? 

Prenons le temps de contempler le double don que Dieu nous fait... la Parole et le pain...

Et laissons notre cœur habité par celui qui veut nous visiter...


Nous sommes chacun selon nos capacités, dépositaires d’un trésor, d’un grain de blé enfoui qui ne demande qu’à éclore pour ressusciter en nouspar le souffle de l’Esprit, les forces de vie, « pour nous rendre la joie d’être sauvé ». (ps 50).

Faisons silence quelques instants pour demander au Seigneur d’apprendre à écouter sa Parole en nous laissant toucher au cœur..jusqu’à retrouver ce cœur sensible, ce cœur de chair dont parle Jérémie.


Le Christ est lumière sur ce chemin. Mettons nos pas derrière celui qui est amour.

Alors, nous comprendrons pourquoi vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

Qu’est ce que la gloire du Fils ? L’élévation...

« Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »

Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir. » (Jn 12)...

La gloire du Christ s’est l’amour qui se révèle dans sa mort. C’est le grain qui meurt pour nous montrer que la mort est vie, que mourir à ce qui n’est pas amour est vie. Jean 12 précède Jean 13, le lavement des pieds et la Croix. Marchons nous aussi vers la vie...en choisissant l’essentiel...l’amour.


06 mars 2021

Homélie du 3eme dimanche de carême - année B

Projet 4

On peut faire fausse route en lisant ces textes qui nous parlent d’un Dieu jaloux qui condamne jusqu’à la quatrième génération ou si l’on s’arrête sur la colère du Fils. Ce serait d’abord oublier ce père aimant et miséricordieux que la liturgie nous a donné à contempler samedi...

Comme souvent, il y a également des points de tension entre chaque lecture. Ou plutôt ce que François appelle des contratensions (1), c’est-à-dire des tensions qui nous conduisent à grandir...

 La première lecture nous rappelle l’importance de cette sortie d’Égypte et du chemin pris par les Hébreux pendant 40 années. Cela rejoint notre chemin de carême. 

Il faudrait méditer longuement chacune des phrases que nous propose Exode 20 et voir ce qu’elle nous dit aujourd’hui, comment elle nous interpelle, prépare notre chemin de réconciliation et nous fait grandir.

La première parole qui peut nous interpeller aujourd’hui en ce temps de désert est probablement cet avertissement sur les idoles : « Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre »... je vous laisse la reprendre intérieurement. Quels sont nos idoles, nos veaux d’or qui nous détournent de l’essentiel...?

 [long silence] 

Quelles sont nos idoles ?

Il faut noter surtout contempler ce don que nous fait Dieu sur cette route, ce qu’on appelle faussement les commandements alors qu’ils sont plutôt à prendre comme des paroles, des cadres de vie, des cadres d’éthique personnelle. 

Je pourrais commenter chacun des dix commandements, mais je m’arrêterai seulement sur le premier. 

« Tu honoreras ton père et ta mère ». Cela ne veut pas dire pour nous une dépendance mais plutôt de leur donner la juste place, surtout en ce temps de confinement et de solitude. On a entendu par ailleurs, il y a qq jours ce commandement de Genèse 2 : «  tu quitteras ton père et ta mère ». Il faut trouver un juste milieu entre le fait de quitter et d’honorer qui se trouve peut-être dans la contemplation de cette sagesse que nous recevons des anciens même s’ils sont à nos yeux plus affaiblis. Cela fait un lien avec ce que nous dit la lettre de Paul sur cette différence fondamentale entre Sagesse apparente des hommes et la faiblesse de Dieu plus sage que l’homme.

Quel est l’enjeu ?

Peut-être de prendre une distance sur l’apparence ou les nouvelles idoles. Et c’est ce que fait Jésus à propos du Temple. 

Le peuple s’est enfermé dans des rites, Des commandements stériles, des dîmes, des colombes à offrir et beaucoup d’autres choses qui ont réduit le temple à une dimension très sacrificielle. Cela énerve le Christ et on peut le comprendre. Sainte colère qui ne justifiera jamais la nôtre, car elle est aussi profonde tristesse sur l’aveuglement de l’homme qui ignore et déforme les dons de Dieu.

Moïse avait créé le sabbat non pas pour enfermer l’homme dans des rites, mais pour une prise de distance, un désert, un silence propice à la venue de Dieu en nous.  L’enjeu des rites n’est pas d’acheter la grâce ou l’indulgence, mais de laisser la place nette, s’ouvrir notre cœur à sa Présence. Détruisez les temples de pierre, fermez les églises, ce n’est pas grave si Dieu fait en nous sa demeure. 

L’enjeu pour nous est là, dans la contemplation de ce qui est vraiment le temple, de ce Jésus qui va donner sa vie et qui vient nous habiter, nous envahir et nous conduit, à sa suite, sur le chemin du don, de l’agapè, de cette charité véritable que nous ne pouvons exercer qu’habiter par la force qui vient de lui. Pas étonnant que les dix paroles de vie données  à  Moïse deviennent chez Jésus qu’un seul double commandement : aimer Dieu et son prochain, totalement, d’une mesure bien tassée et débordante, comme nous le rappelait l’évangile de lundi (Luc 6).

Comprendre cela, c’est participer à ce Corps en relèvement, c’est reconstruire ce qui a été brisé en nous par nos idolåtreries stériles, c’est participer au banquet, ce «  festin, en effet, c'est la plénitude de la réjouissance et de la tranquillité que de se reposer en Dieu et de contempler sa béatitude. » nous glisse Saint Ambroise.





Théophanies 37.2 - la danse du feu...

Je vous avais promis une suite sur la transfiguration. Elle risque d’être un peu longue. Après Gn 22 déjà longuement commenté en septembre je voudrais revenir sur Exode 3 et ce fameux buisson ardent, qui prépare à leur manière la transfiguration, au point que certains commentaires pensent qu’il est première révélation du Christ lui même.


Les flammes de feu, qui ne consument pas le buisson, introduisent en effet une double symbolique.


Le feu

1. Parlons d’abord du feu. Pour Hans Urs von Balthasar, « la Gloire de Dieu se manifeste ici avant la parole », comme ce sera le cas au Mont Thabor. Le feu précède le discours pour susciter l’écoute… La gloire qui s’y révèle rend attentif au message.

C’est aussi l’interprétation du Targum(1), qui par ses commentaires ajoutés au texte, insiste sur « la présence de Dieu » (la Shékinah) dès le verset 1 : « La montagne, sur laquelle apparut la Gloire de la Shékinah de Yahvé, l’Horeb  ». Au lieu de dire seulement : « il arriva à la montagne de Dieu, à Horeb », le targum y place déjà la Gloire.

La Mischna introduit ce même concept à propos de l’ange : « Et la gloire de la Shékinah de Yhwh lui (apparut) dans les flammes du feu ». Le targum va d’ailleurs jusqu’à donner un nom : Zagnuagaél à cet émissaire de Dieu au v. 2 : « Et Zagnugaél, l’ange de Yahvé, lui apparut. »

Quel est alors le sens du feu ? Dans la Bible, il a une connotation positive ou négative. Selon Greenberg, il évoque autant la furie (Jr 4, 4, Ps 79, 5), que la destruction (Dt 4, 24 ; 9, 31), la pureté (Nb 31, 23 et Mal 3, 2), l’illumination (Ex 13, 21) et le guide (Ex 13, 21)…

Pour le Pseudo Denys(2), le feu est « à la fois totalement lumineux et comme secret, inconnaissable en-soi (...) insoutenable et impossible à regarder (...) revivifiant par sa chaleur vitale, éclairant par ses illuminations sans écran, impossible à maîtriser, sans mélange, dissociateur, inaltérable, tendant vers le haut, agissant vite, sublime et exempte de toute faiblesse (...) saisissant et insaisissable, n'ayant besoin de rien d'autre, s'accroissant en secret et révélant sa propre grandeur selon les matières qui l'accueillent, actif, puissant, invisiblement présent à tout être (...) se manifestant de manière soudaine ». Même si cette description est générique, elle pourrait presque s'adapter à ce passage d'Exode 3.

Dans la ligne de notre recherche, nous pouvons aussi probablement évoquer cette flamme qui brule en nous, tout ce qui nous retient vers la terre, ce que nous appelons nos adhérences. Ce feu nous libère de nos liens au mal, nous ouvre à la contemplation. Mais il est plus que cela et la mention de la Gloire nous ouvre à une tension. Le feu purifie et éclaire, illumine et libère…


Le buisson

Le buisson a aussi fait l’objet de nombreux commentaires. Il est interprété par les Pères de l’Église comme l’Égypte, contenant la flamme d’Israël prisonnière, ou encore comme le Sinaï, réceptacle de Dieu. On y voit aussi une lampe à 7 branches, signifiant la révélation perpétuelle de Dieu. Certains le comparent aussi à Marie, restée vierge malgré la naissance de l’enfant.

L’interprétation du texte est ainsi très vaste, ce qui rend difficile une cohérence.

Et pour nous ? Qu’évoque-t-il ? Peut-on parler du tabernacle ou à l’inverse du mystère du monde, dans lequel Dieu vient faire irruption ? Dieu est-il cantonné dans un espace où apparait-il partout ?


La non-combustion

Notons enfin le paradoxe de la non-combustion, qui peut conduire à interpréter la visite comme celle d’une tendresse. Ici le feu met en valeur, mais ne détruit pas.

Pourquoi le feu ne brûle-t-il pas le buisson ? Qu’est-ce que cela nous dit sur Dieu ?

Alors que nous nous préparons à méditer demain l’apparente colère de Dieu, prenons de la distance sur ce feu.

Au respect que Moïse porte à Dieu ne faut-il pas y voir un autre respect, celui de Dieu pour l'homme ? Un respect qui se manifestera seulement dans « la voix d'un fin silence » (1 Rois 19) ou qui, à travers Jésus, se révèlera dans son tact et son attention. Le respect, nous dit J.M. Carrière, est « la manière de recevoir humblement l'autre, du plus petit au plus grand, et dans son dévoilement et dans le projet qui le porte à son accomplissement ».

Comme l’échelle de Jacob, il y a là « une représentation symbolique de la nature paradoxale de l’expérience théophanique*. Elle combine des forces hostiles – la flamme et le buisson – dans une relation apparemment symbiotique dans laquelle les deux sont maintenus en vie. »

Dieu réveille en nous le feu de désir et en même temps nous laisse intact, respecte notre personne. Et ce paradoxe souligne pour moi, à la fois la puissance et la tendresse de Dieu.

Benoît XVI fait déjà, à ce sujet un parallèle éclairant entre le buisson-ardent et la Croix. Est-ce à mettre en lien avec ce qu’il évoquait sur la « fission nucléaire » du cœur au JMJ de Cologne, c’est-à-dire ce déchirement intérieur, soudain et violent qui nous brûle et fait exploser ce qui nous retient de l’amour ?

La contemplation du buisson ardent porte une symbolique puissante de la réalité de Dieu, même si elle n’est qu’un aperçu imparfait d’une réalité indicible.

Quelle que soit notre vision unique et personnelle de la rencontre, quel que soit la forme prise par le buisson et la flamme, nous devons accueillir ici l’inouï d’un Dieu qui vient à nous.


Le nom de Dieu

On doit souligner les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ».

Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la pureté de l’affirmation, toute négation étant exclue de Dieu lui-même (...) un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière (...). C’est pourquoi il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie », car la vie signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ».

Pour T. Römer on devrait plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. Dans cette révélation du nom, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de Yhwh.

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.

D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction que nous retrouvons probablement notre fil rouge. En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ.

Enfin, selon Grégoire de Nysse : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ».

L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère…

Mais n’anticipons pas trop et laissons au fil du texte sa propre direction.

À suivre



PS : Ces commentaires reprennent et complètent les recherches déjà publiées dans plusieurs de mes travaux précédents dont « J’ai soif », « La voix d’un fin silence », « L’amphore et le fleuve », « Humilité et miséricorde ». Leur reprise ici, extraite de Dieu depouillé, s’inscrit dans une étude plus linéaire qui trouve ici son sens.


[1] Le targum est un texte contemporain de Jésus, écrit en araméen, sorte de commentaire imagé destiné à aider à la compréhension du texte (cf. notre glossaire pour tous les mots accompagnés d’un astérisque).

[2] Denys l'Aéropagite, CH XV, 2 (239 AC, Hiér. Cél. p. 168-171, cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 165

05 mars 2021

Danse avec Michel Rondet - 38

 Danse avec Michel Rondet -38

Pour continuer dans l’hommage à la spiritualité de Michel Rondet, et en écho à une longue discussion que j’ai eu avec lui à la Baume les Aix il y a plus de 20 ans, je dirais que son souci de l’accompagnement inductif est, d’une certaine manière en phase avec la pastorale d’engendrement longtemps développée par P. Bacq et C. Theobald(1).

Il s’agit d’abandonner un enseignement de certitudes figées pour partir de cette inhabitation en l’homme qui l’appelle et le pousse à aimer.

Un chemin en fait très rahnérien et probablement aussi très ignacien, qui cherche à pousser l’homme au discernement intérieur et le conduit sur ses chemins sans forcer un discours.

Agenouillement devant l’homme(2), pédagogie du polyèdre(3), pastorale du seuil (4) et de la périphérie...?

L’enjeu est finalement d’oublier nos catéchismes trop scolaires pour retrouver l’homme dans son éternelle quête du divin.

N’est-ce pas finalement le chemin kénotique du Christ à Emmaüs, qui rejoint l’homme perdu sur les routes de Palestine, donne un sens à leurs quêtes et disparaît dans la fraction du pain, de peur d’imposer une présence qui est déjà semence en l’homme.

Nos quêtes se rejoignent quand la danse du Verbe vient réveiller chez nous une flamme vacillante, fait vibrer nos cordes intérieures à la musique divine.

C’est ce que j’appelle la danse trinitaire (5).


Ramener au centre(6) n’est-ce pas, comme le souligne aussi Kasper, en venir à résumer le problème en « Jésus-Christ oui, l'Église non ! Ce qui les intéresse, ce n'est pas le Christ que prêchent les Églises ; ce qui les rend attentifs, c'est Jésus lui-même et son affaire[7].» La réponse que l'on tend à donner, selon lui, c'est de montrer que le christianisme est devenu objectif dans l'Église. Mais alors, souligne-t-il, Jésus Christ risque d'être accaparé par l'Église et l'Église risque de prendre la place de Jésus[8] ». 

« La "pastorale d'engendrement" [qui] puise son inspiration dans une certaine manière de se référer aux récits fondateurs ne prétend pas se substituer aux autres modèles pastoraux (…). Elle renvoie à l'expérience humaine (…), évoque tout d'abord les paroles et les gestes de l'homme et de la femme qui s'aiment et qui s'unissent pour donner la vie. En s'offrant ainsi l'un à l'autre (…), ils s'engendrent mutuellement et donnent la vie à un nouvel être qui, à son tour, les engendre à devenir parents[9] ».

Il s'agit de transmettre une manière d'être, faite d'accueil et de don, mais surtout redonner une certaine « fécondité à l'Évangile », susciter une « contagion relationnelle » autour de la Parole de Dieu, vecteur de relecture et d'interpellation personnelle et communautaire. »(10).

On n’est pas éloigné de ce que prêchait aussi Joseph Moingt dans « l’Evangile sauvera l’Église » et finalement de ce que j’ai lancé sur la pointe des pieds dans mon projet de Maison d’Evangile sur FB (11). Un lieu où la Parole danse avec nous.



(1) « Une nouvelle chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, sous la direction de Philippe Bacq, sj et Christoph Théobald, sj, Lumen Vitae, Novalis, Éditions de l'Atelier, Bruxelles 2004 »

(2) (4) et (5) cf. mes livres éponymes librement téléchargeables sur Kobo

(3) pour reprendre l’expression fréquente de notre pape.

(6) pour paraphraser le titre d’un beau livre d’Hans Urs von Balthasar

(7) « W. Kasper, Jesu der Christus [Jésus le Christ], Matthaus Grünewald Verlag Mayence 1974, Tr. fr. J. Désigaux et . Lefooghe 4° Edition, Cogitatio Fidéi, Oct 1991, p. 33

[8]     ibid. p. 34

[9]   Une nouvelle chance pour l’Evangile, op. cit. p. 16-17

(10) Extrait de Pastorale du seuil, Claude J. Heriard, op. cit.

(11) https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/

04 mars 2021

Hommage à Michel Rondet

 Hommage à Michel Rondet, décédé à 98 à ans. Un jésuite hors du commun, croisé il y a bien des années à la Baume les Aix, et dont le texte suivant m’a longtemps habité  :

« Pendant des siècles, notre pédagogie spirituelle s'est appuyée sur une tradition, reçue et transmise, qu'il s'agissait d'ouvrir à l'expérience spirituelle. On partait de la tradition reçue pour tenter de faire vivre une expérience.

Aussi sommes-nous désarmés lorsque nous nous trouvons face à une expérience qui a sa valeur, son dynamisme, mais ne dispose d'aucun repère pour se comprendre et se développer. Qu'est-ce qui m'arrive ? Suis-je le premier à vivre de tels états ? Est-ce que je ne suis pas sur le bon chemin ? Questions angoissantes que rencontrent vite les nouveaux chercheurs de sens et qui les conduisent à aller frapper à toutes les portes, sauf à celles qui justement sont dépositaires d'une tradition spirituelle qui semblerait pouvoir répondre à leur attente. Pourquoi ?

Parce que, trop souvent, nous proposons des réponses là où l’on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes. Ceux qu'ils aimeraient rencontrer, ce sont les mages dans leur marche à l'étoile, pas les scribes de Jérusalem qui, eux, savent. Or, trop souvent, l'Église a pour eux le visage des scribes de Jérusalem.

Trop occupés des vérités à transmettre, nous sommes peu sensibles à l'attente de ceux qui ne nous demandent pas encore ce qu'il faut croire, mais ce que c'est que croire. Nous partons d'une tradition à transmettre, alors qu'il faudrait accompagner une naissance. Mais qui d'entre nous est assez libre dans sa foi pour oser la nouveauté, dans une fidélité créatrice au don qu'il a reçu ? » [1]





[1]     Michel RONDET s.j., La Baume-les-Aix, Études Fév 97

28 février 2021

La Transfiguration - de la kénose à la Gloire. Danse 37.1


S’Il y a un schéma littéraire très particulier dans le Premier Testament qu’il est beau de contempler à travers l’Ecriture, c’est bien celui des théophanies où Dieu se révèle aux hommes dans sa pédagogie particulière(1). Comme en Gn 22 ou dans les grandes théophanies du Sinaï, Il y a, à chaque foi, un messager (malak) qui prépare l’irruption, insupportable à l’homme, du divin, puis la manifestation d’une gloire extraordinaire, suivi d’une conversion et d’un agenouillement. 

Pour Abraham et Isaac la conversion apparaît au bout d’une longue marche (voir mes commentaires de septembre). 

Mais plus globalement ce schéma trace chez nous aujourd’hui un chemin d’espérance dans ces temps sombre, et mérite d’être poursuivi. 

Il est repris d’une certaine manière dans plusieurs textes des synoptiques en particulier chez Matthieu et Luc, soit dans l’Annonciation, ou le baptême du Christ, mais surtout dans la transfiguration que nous célébrons aujourd’hui en écho justement avec Gn 22. 

Que peut-on dire en élargissant la perspective ?

Peut-être avancer sur la pointe des pieds que de la souffrance toujours subie et jamais voulue par Dieu peut jaillir une flamme fragile, un jet de lumière, un tressaillement d’espérance.

Ne sombrons pas dans le désespoir. Crions à la suite d’Augustin (cf. Confessions ch.VIII) : Il est là, alors qu’on le croit absent, ce Dieu d’amour.


Sa danse passe par l’effacement et la croix, mais déjà le relèvement se distingue au bout du tunnel.

Comme Moïse nimbé d’une lumière insurmontable au retour du Sinaï en Exode 34, répond et répare la chute du veau d’or, le Christ est notre lumière, joie cachée mais rayonnante d’une croix sombre qui devient glorieuse par la résurrection.

La transfiguration est le premier déchirement discret du voile dont nous parle les synoptiques.

Saint Léon le grand a une belle analyse que je découvre cette nuit :  « Le Seigneur découvre sa gloire devant les témoins qu'il a choisis, et il éclaire d'une telle splendeur cette forme corporelle qu'il a en commun avec les autres hommes que son visage a l'éclat du soleil et que ses vêtements sont aussi blancs que la neige.


Par cette transfiguration il voulait avant tout prémunir ses disciples contre le scandale de la croix et, en leur révélant toute la grandeur de sa dignité cachée, empêcher que les abaissements de sa passion volontaire ne bouleversent leur foi.


Mais il ne prévoyait pas moins de fonder l'espérance de l'Église, en faisant découvrir à tout le corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l'honneur qui avait resplendi dans leur chef.


Le Seigneur lui-même avait déclaré à ce sujet, lorsqu'il parlait de la majesté de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Et l'Apôtre saint Paul atteste lui aussi : J'estime qu'il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que le Seigneur va bientôt révéler en nous. (...) 

En effet, Moïse et Élie, c'est-à-dire la Loi et les Prophètes, apparurent en train de s'entretenir avec le Seigneur. (...) 

Qu'y a-t-il donc de mieux établi, de plus solide que cette parole ? La trompette de l'Ancien Testament et celle du Nouveau s'accordent à la proclamer ; et tout ce qui en a témoigné jadis s'accorde avec l'enseignement de l'Évangile.


Les écrits de l'une et l'autre Alliance, en effet, se garantissent mutuellement ; celui que les signes préfiguratifs avaient promis sous le voile des mystères, est montré comme manifeste et évident par la splendeur de sa gloire présente. Comme l'a dit saint Jean, en effet : Après la Loi communiquée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. En lui s'est accomplie la promesse des figures prophétiques comme la valeur des préceptes de la Loi, puisque sa présence enseigne la vérité de la prophétie, et que sa grâce rend praticables les commandements. ~


Que la foi de tous s'affermisse avec la prédication de l'Évangile, et que personne n'ait honte de la croix du Christ, par laquelle le monde a été racheté.


Que personne donc ne craigne de souffrir pour la justice, ni ne mette en doute la récompense promise ; car c'est par le labeur qu'on parvient au repos, par la mort qu'on parvient à la vie. Puisque le Christ a accepté toute la faiblesse de notre pauvreté, si nous persévérons à le confesser et à l'aimer, nous sommes vainqueurs de ce qu'il a vaincu et nous recevons ce qu'il a promis. Qu'il s'agisse de pratiquer les commandements ou de supporter l'adversité, la voix du Père que nous avons entendue tout à l'heure doit retentir sans cesse à nos oreilles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis tout mon amour; écoutez-le !(2)

L’office des lectures nous le  rappelle : « Sur le visage du Christ;rayonne la gloire de Dieu.

(...) 

Personne n'a jamais vu Dieu.

Le Fils unique qui est dans le sein du Père

nous l'a fait connaître.

 

Oraison

Tu nous as dit, Seigneur, d'écouter ton Fils bien-aimé ; fais-nous trouver dans ta Parole les vivres dont notre foi a besoin : et nous aurons le regard assez pur pour discerner ta gloire.(3)


Suite à venir, mais sans vous laisser planter la tente, comme Pierre, je voulais déjà vous partager ce rayon de soleil... 


(1) cf. Théophanies, mon livre éponyme, repris et très largement amplifié in « Dieu dépouillé » en téléchargement libre sur Kobo

(2) saint Léon le Grand, sermon pour le 2eme dimanche de Carême, source office des lectures, AELF

(3) office des lectures, ibid.


24 février 2021

Une souffrance qui libère ? 36.2


En préambule au texte de dimanche prochain (Gn 22) et à la suite de mon billet précédent, je poursuis ici mon commentaire (*) et l’expose à vos commentaires.

D’autres sens de la mort de Jésus ont été évoqués par l'Église[1]. (...). Parmi ces multiples visions, le plus difficile à comprendre, c’est peut-être l’expression de Paul : « mort en rançon pour la multitude ». Cette vision pourrait nous conduire à l’idée d’un Dieu qui voudrait un échange pour calmer sa colère. Peut-être faut-il nous attarder un peu sur ce plan, pour déconstruire les fausses pistes qui ont été malheureusement exploitées dans le passé.

Une des premières clés nécessaires à la compréhension de ce mot de rançon se trouve dans le contexte historique. Le mot grec évoque le prix payé pour libérer l’esclave. La rançon payée par le Christ n’est pas un tribut versé à Dieu. Elle peut être conçue au contraire comme un don qui libère l’homme de sa servitude, un tribut versé par Dieu. Qu’est-ce à dire ? La mort du Christ serait une voie qui, en rayonnant l’amour, nous conduit à quitter ce qui nous enferme dans l’adhérence au mal. On rejoint ce que nous évoquions alors plus haut, à propos du serpent d’airain.

Une deuxième difficulté vient de la compréhension de l’expression « colère de Dieu ». Ce n’est pas le « tonnerre et le feu » que nous avons croisés aux côtés d’Élie, dans 1 Rois 19. Ce n’est pas, non plus, le désir de sacrifice du fils premier qu’Abraham a pensé entendre dans sa première interprétation de l’appel du divin (cf. Gn 22). Ce qu’il entendait alors n’était pas le Dieu chrétien, mais probablement la voix trouble de ces peuples de nomades qui pensait apaiser le courroux des dieux en sacrifiant leur premier-né. C’est pourquoi l’ange arrête son bras et met fin à l’incompréhension…

Nous devons le reconnaître, l’Ancien Testament a souvent une version violente de Dieu. Elle reflète surtout l’idée que les hommes se font de Dieu plutôt que le Dieu que le Christ vient révéler, celui qui va jusqu’à mourir par amour. La croix est donc déjà une inversion de ce désir sacrificiel que les hommes ne cessent de reproduire au terme d’un processus souvent mimétique[2]. La folie des hommes est de croire que Dieu veut la mort, y compris de l’innocent, pour calmer sa colère. Il serait perçu comme un Dieu violent. La réponse n’est pas là. Déjà nous l’avons vu à partir du chemin d’Élie, Dieu n’est pas favorable au meurtre des prêtres de Baal (1 R 18), de même il n’est pas dans le tonnerre et le feu, mais ailleurs, dans une symphonie plus douce (1 R 19)…

Faut-il considérer pour autant que Dieu ne rentre pas en colère ? Ce serait réduire Dieu à un Dieu faible. D’ailleurs, le Christ lui-même, dans l’épisode du Temple, nous révèle une facette de ce zèle pour la vérité.

Qu’est-ce alors que la rançon, dans ce contexte ? Ce que nous révèle l’Écriture est ailleurs. Dieu n’a jamais voulu la mort, il ne veut pas d’une rançon pour calmer sa colère. Il n’est pas impossible de concevoir, par contre, que le désordre des hommes réveille chez lui une saine colère, celle d’un Dieu qui se fatigue de nos échecs. Dans ce sens, la rançon versée pourrait être pour Dieu une manière de surajouter l’amour, là où il pourrait manifester de la colère. 

« Là où règne la haine que j’apporte l’amour »(3).

Cette réponse s’articule dans le jeu trinitaire. Il ne s’agit plus d’une vengeance, mais plutôt de l’ordre d’un amour débordant qui en acceptant de donner ce qu’il a de plus cher, vient inverser le sens du monde et apaiser la colère et le cri de celui qui se révolte devant l’injustice.

 J’ai conscience que la différence entre les deux notions est ténue. Il y a cependant une divergence fondamentale entre les deux versions. Pour la rançon, telle que perçue par certains courants d’une théologie que l’on appelle de la satisfaction, qui a pris sa source à partir d’une lecture étroite de saint Anselme au Moyen-âge, la rançon est versée à un Dieu violent et vengeur. Nous savons que le désir de Dieu est au contraire de rayonner de l’amour dont il déborde. Le prix payé à cette manifestation de l’amour de Dieu est alors le prix du fils, une rançon d’un autre ordre, un déchirement pour Dieu qui rend possible une nouvelle espérance. 

Le glissement qui se joue ici est celui de notre conception de Dieu. C’est pourquoi il ne faut pas le distinguer des autres sens de la croix. Si l’on rejoint le mort-pour-souffrir-avec-nous, la rançon devient bien la manifestation d’un jusqu’au-bout-du-don payé par Dieu. C’est dans cette tension et cette polyphonie que la nature même de Dieu s’éclaire. Elle inverse notre tendance à prendre Dieu pour un dieu vengeur. De plus, elle rejoint le sens même de la vie de Jésus. C’est pourquoi il nous a semblé important d’insister sur ce qui dans la vie de Jésus traduit tout particulièrement l’amour que le Père porte à l’homme. 


[1] Pour W. Kasper, les trois sens principaux rejoignent notre typologie : « Le mot hyper a dans ces textes une triple signification : 1. à cause de nous, 2. pour nous, en notre faveur, 3. à notre place. Les trois significations sont présentes et voulues, car il s'agit d'affirmer que la solidarité de Jésus est vraiment le centre de son humanité », in Jésus le Christ, p. 326ss.

[2] Cf. sur ce point la Thèse de R. Girard, in Des choses cachées depuis la fondation du monde.

(3) prière de saint François d’Assise

(*) Suite de mon extrait de « Dieu dépouillé » dont une deuxième édition vient d’être mise en téléchargement sur Kobo.



20 février 2021

Homélie du 1er Dimanche de Carême Année B - V3

Homélie du 1er Dimanche de Carême Année B
Projet 3
Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve, dis le psaume 24

Quel va être l'essence de notre carême cette année ?
Nous sommes en carême depuis un an maintenant avec cette pandémie et la tentation peut-être de dire que nous avons déjà assez souffert.
Mais l'enjeu est il là ?
L'enjeu est il de souffrir ou l'enjeu est il ailleurs ?

Osons sortir de nos schémas tout faits, de nos certitudes, de nos habitudes, de nos privations rituelles souvent vite abandonnées pour chercher un autre chemin.
Changeons notre cœur en jeûnant de ce qui nous encombre ; tentons de remettre les choses à leur place dans nos vies bousculées, désorientées, désespérées quelquefois. Mission impossible ?

Souvenons-nous que « Dieu ne permet pas que nous soyons éprouvés au-delà de nos forces » (1 Co 10, 13). N'hésitons pas à suivre les conseils du pape François pour le carême : « Jeunez de tristesse et d'amertume et remplissez votre cœur de joie ; jeunez des soucis et ayez confiance en Dieu, jeunez de mots et équipez vous de silence pour écouter les autres. » (Quelle belle idée il a eu !)

Allons au désert, le mot est à la mode mais ce voyage intérieur dans notre désert personnel ne demande que bonne volonté et humilité, descendre là où ça fait mal pour retrouver ce silence intérieur, celui qui nourrit et fortifie, celui qui me permet de repartir dans le monde faire connaitre les chemins du Seigneur !

Jeuner, Prier, faire l'aumône pour remettre les choses à leur juste place dans ma vie et non par obligation de faire carême, mais pour gravir la montée vers pâques, un chemin de la conversion, de la résurrection.

Les textes que nous proposent la liturgie ce week end vont dans ce sens et la première lecture en Gn 9 en atteste par sa limpidité : « je mets mon arc au milieu des nuages pour qu'il soit le signe de l'alliance entre moi et la terre ; lorsque l'arc apparaitra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance entre moi et vous ». « Toi et moi, moi et la terre », (quelle belle illustration de Laudato SI !)

Nous ne sommes pas seuls, Dieu s'est fait homme pour nous accompagner dans notre pèlerinage sur la terre, pour nous accompagner par sa Parole dans l'espérance et la joie de la résurrection.

Contempler le Christ, le nouvel arc en ciel, la voie, c'est entrer dans une liberté nouvelle, se dépouiller des adhérences et nous « pousser » jusqu'au bout l'amour.
S'introduire devant Dieu, c'est nous dépouiller de ce qui nous encombre et discerner ce qui est beau, ce qui est bon dans notre vie.
« le baptême ne purifie pas de souillures extérieures,
mais il est l'engagement envers Dieu » nous dit l'épître de Pierre. L’arc en ciel nous tire vers le haut, nous pousse en avant...

La piste suivie par Saint Euscher, à la suite de Marc 1 est intéressante. 
« Ne peut-on raisonnablement avancer que le désert est le temple sans bornes de notre Dieu ? Car celui qui habite dans le silence doit certainement se plaire dans les lieux retirés. (...) De la même manière, [nous devons nous  libérer de ce qui entrave notre course], (...)  nous  réfugier [dans la solitude intérieure. Pour toi quand tu pries(1), retire toi au fond du désert]. Oui, c'est dans le désert qu'il va approcher ce Dieu qui [nous] arrache de [nos] servitudes... " (2) et de nos addictions.
L’enjeu de notre marche vers Dieu n’est il pas d’entrer dans la dynamique sacramentelle (3) de notre baptême. Il est donné à la fin de l'Evangile (Mc 1, 15) : croire à l'Evangile, la bonne nouvelle.

Vivons en Dieu et nous trouverons son amour
Vivons de l'amour et nous trouverons son amour
« je mets mon arc au milieu des nuages,
pour qu'il soit le signe de l'alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l'arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants »
Notre espérance c'est que Dieu est fidèle, qu'il est Amour et qu'il est plus grand que la mort...
Qu'il est vie...
Reprenons la fin du psaume 24 :
« Son amour est de toujours.
Il ne m'oublie pas,
Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin. »




PS : merci à PLB pour sa grande et belle contribution 

19 février 2021

Souffrance et danse kénotique 36

« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Luc 9, 22)

Ce « il faut » que nous rapelle la liturgie de jeudi interpelle et mérite pour moi un long développement. J’en livre ici une première partie à critiquer... 

Pourquoi à critiquer ? Qui suis je, qui sommes-nous pour commenter la profondeur de ce texte aux multifacettes, mais plus encore l’intention divine ? Lévinas ne distinguait il pas magnifiquement le Dire et le Dit dans « Autrement qu’être » ?

Contempler la mort du Christ, n’est pas en tout cas, pour moi, sombrer dans le dolorisme ou dans le désespoir, mais plutôt, à travers la polyphonie des sens de la Passion du Fils, percevoir en quoi il est possible que quelque chose de Dieu et de sa symphonie, de ce que j’ose nommer sa danse kénotique se manifeste.  « il faut » mérite pour moi un long développement. J’en livre ici une première partie à critiquer...

C’est en contemplant la mort que l’on peut concevoir comme possible la résurrection. Faire le chemin inverse serait prendre le risque d’un raccourci, celui qui nie notre humanité et notre propre rapport avec sa contingence, avec l’incontournable réalité qu’est la souffrance, le cri et la mort des hommes. Un Dieu qui ignorerait cela ne pourrait être un Dieu pour tous. Pour cela, nous devons contempler les multiples sens d’un Jésus « mort pour nous ».

L’approche synoptique - Plusieurs récits

Deux récits s’opposent en apparence sur la Passion de Jésus. Celui de Jean et les synoptiques. On pourrait considérer que les oppositions décrédibilisent la réalité de la mort du Christ. Au contraire, cette absence de vision unique, ces nuances permettent d’ouvrir des interprétations sans fermer sur une vision uniforme. Ces nuances n’obligent pas à croire « en sens unique », mais laissent, à chacun, un chemin de méditation personnelle et de contemplation. Jésus n’a pas d’ailleurs expliqué sa mort. Il n’a rien écrit. Il a laissé aux hommes le temps de la prise de distance, du discernement et sous l’influence de l’Esprit, plusieurs visions d’une unique mort nous ouvrent des champs d’interprétations et de possibles. C’est au sein de cette polyphonie que peut transparaître, entre-les-lignes le sens de la Passion. Il nous faut nous laisser travailler par ces sens multiples, chacun résonnant chez les uns et les autres à la lumière de son propre chemin intérieur.

J. Moltmann, un théologien protestant allemand a ainsi voulu insister sur le fait que souvent nous avions une vision de la croix du côté des persécuteurs, de ceux qui font violence et pour qui la croix interpelle le sens de leurs actes, leur montre le non-sens de la puissance et les conduit à la conversion. Il souligne à l’inverse, dans Le Dieu crucifié, le côté des souffrants, ceux qui sont à jamais marqués par la violence et la mort subies et pour qui la Passion est, plus qu’ailleurs, un être-avec de Dieu. Dans la souffrance de Jésus, résonne alors une proximité extraordinaire, à l’image de celle qu’il évoque à travers un texte d’Élie Wiesel sur les camps de la mort. Écoutons son propos, tiré d’une conférence donnée à Paris.

« Comment prier et parler de Dieu "après Auschwitz" ? L’athéisme est-il la solution ? Est-ce que Dieu est "mort" après Auschwitz ? Ou bien est-ce que beaucoup ont perdu leur confiance en Dieu après ce crime et le silence du ciel ? Je trouvai de l’aide dans le livre d’Élie Wiesel sur ses expériences à Auschwitz, intitulé Nuit :

 « Trois condamnés enchainés – et parmi eux, le petit serviteur [pipel], l’ange aux yeux tristes. [...] Tous les yeux étaient fixés sur l’enfant. Il était livide, presque calme, se mordant les lèvres. « L’ombre de la potence le recouvrait. [...] Les trois cous furent introduits en même temps dans les nœuds coulants. Vive la liberté ! crièrent les deux adultes. Le petit, lui, se taisait.

Où est le Bon Dieu, où est-il ? demande quelqu’un derrière moi. Sur un signe du chef de camp, les trois chaises basculèrent. [...] Les deux adultes ne vivaient plus. Leur langue pendait, grossie, bleutée. Mais la troisième corde n’était pas immobile : si léger, l’enfant vivait encore. [...]

Derrière moi, j’entendis le même homme demander :

Où donc est Dieu ?

Et je sentais en moi une voix qui lui répondait :

Où il est ? Le voici – il est pendu ici, à cette potence ...

Ce soir-là, la soupe avait un goût de cadavre. »

Est-ce que c’est une réponse ? Dieu souffrit-t-il avec les victimes d’Auschwitz ? Est-ce que Dieu n’était pas dans le ciel lointain, mais présent dans les chambres à gaz ? Est-ce que Dieu était pendu là au gibet ? J’eus l’impression que toute autre « réponse serait hors de propos. Il ne peut pas y avoir d’autres réponses. Parler à ce moment-là d’un Dieu incapable de souffrir, cela ferait de Dieu un démon. Parler d’un Dieu indifférent nous rendrait indifférents, nous aussi. Renier Dieu et se tourner vers l’athéisme réduirait au silence le cri des victimes. On priait le Sheema d’Israël et le Notre Père à Auschwitz, on peut donc prier Dieu après Auschwitz. Dieu était dans leurs prières[1455]. »


Souffrant pour nous

À la suite de Moltmann, il nous semble central de considérer cette souffrance de Jésus dans tout ce qu’elle révèle de Dieu. Avant d’en arriver là, il nous faut laisser temporairement de côté ce que l'Église peut nous dire de la divinité du Christ, en prenant peut-être une certaine distance avec l’interprétation traditionnelle faite à la suite de Jean. Ce qui compte, dans cette contemplation, c’est probablement le fait qu’il est homme, vraiment homme. Il ne s’agit pas d’une souffrance simulée, d’un Dieu descendu sur terre pour faire semblant « d’être-avec. Il a souffert la Passion nous disent en cœur les trois évangélistes synoptiques[1456].

Cette croix qui se dressait au bout de son chemin, qu’en savait Jésus ? Il n’a pas pu agir et proclamer une voie nouvelle sans ignorer qu’il se heurtait aux puissances conjuguées du judaïsme de l’époque et du monde romain. Pourtant, sa vie l’a conduit à la mort.

C’est au jardin de Gethsémani que les évangélistes nous racontent ce combat intérieur de l’homme. Une version de l’Évangile selon saint Luc a notamment des accents poignants sur cette agonie de Jésus qui « suait des gouttes de sang » (Lc 22, 23). Qu’en savons-nous ? L’incrédule peut rejeter ce texte justement parce qu’il n’est pas commun aux autres évangélistes. Et de fait, nous pouvons ignorer cet aspect de la lutte intérieure du Christ. Et pourtant, plusieurs siècles de méditation ont trouvé dans ce récit la force d’une espérance. La souffrance du Christ, avant et pendant la Passion a résonné avec ce qu’ils vivaient dans leur chair. C’est peut-être là que l’on peut en tirer une crédibilité. « Une mystique comme Anne-Catherine Emmerich a ainsi perçu dans ce texte que Jésus souffrait de l’inutilité de sa mort. Il aurait beau mourir, nous ne changerions pas notre vie. Pour elle, notre insouciance, en dépit même de cette souffrance partagée, rendrait sa mort stérile. Telle serait à ses yeux l’agonie du Christ. Nous avons remarqué des accents similaires dans la méditation de Jean 4 à propos de la fatigue du Christ…

Nous pouvons passer outre cette vision, en rejeter le caractère doloriste, s’il ne venait pas perturber notre façon de voir le pourquoi du « mort pour nous »… Il nous semble néanmoins que cette souffrance a un sens, dans ce qu’elle révèle en nous l’amour. Comme ce serpent d’airain brandi au désert pour guérir des morsures, la mort à un effet sur nous, comme tout être souffrant que nous côtoyons et qui nous interpelle. Ce n’est cependant qu’un des sens de la mort de Dieu.


Souffrant avec nous 


« L’autre point de vue, déjà esquissé dans le récit d’Élie Wiesel, est cette communion de Jésus avec les souffrants. Que celui qui se dit envoyé du Père accepte de mourir d’une mort ignominieuse, fait historique par excellence, comme nous le soulignions plus haut, n’est pas sans conséquence pour tous ceux qui souffrent encore de la mort. Si ce Jésus est l’envoyé de Dieu, alors peut-on pressentir, au-delà du cri et du rejet que la souffrance fait jaillir en nous, que quelque chose de Dieu se fait proche, qu’il se peut qu’il soit encore à nos côtés, malgré son silence ? Par rapport au vide que nous évoquions au départ, une piste, une lueur, apparaît dans cet être-avec de Jésus.

Plus encore, cette mort n’est pas un simulacre, puisque justement alors, le Dieu que l’on croyait tout-puissant se tait, qu’il se garde bien d’intervenir.

Dans la contemplation de ce que l’on appelle la déréliction, c’est-à-dire le sentiment d’abandon total de Jésus par le Père, nous pouvons, à la suite d’Adrienne von Speyr et de son ami, le théologien « Hans Urs von Balthasar[1457], méditer sur le sens que revêt cet abandon[1458]. Si Jésus a été jusqu’à douter même de la présence, ce ne peut-être que parce qu’il voulait nous suivre, au plus profond de notre désespoir, nous accompagner, jusque dans le vide du Samedi saint, allant jusqu’à ce lieu du « non-dieu », de l’enfer des hommes sans Dieu…

Moltmann évoque d’ailleurs une représentation médiévale de l’enfer où un homme semble s’interroger, suite à la venue du Christ dans ce lieu perdu. « Es-tu venu pour moi ? » On a parfois du mal à y croire, et pourtant, n’est-ce pas le sens même de la parabole de la brebis perdue, elle-même entrant en écho avec un texte d’Ezéchiel, qui affirme que « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il vive »…

Ce Dieu qui connaît l’abandon laisse transparaître une lueur de vie à tous les abandonnés. S’il a vécu jusque-là, alors nous pouvons espérer, contre toute espérance, qu’une lumière viendra au bout du tunnel, peut-être pas dans cette vie, mais dans le temps de Dieu. »


 [1453]           Saint Jean est plus équivoque puisque, déjà, dans sa méditation de la Croix, il nous livre aussi l’enthousiasme de la présence de Dieu, qui se révèle comme source jaillissante du cœur de Jésus…

[1455]           Conférence de Mars 2010, à l'Église américaine de Paris, texte inédit.

[1456]           Nous aborderons plus loin l’interrogation différente qu’apporte Jean.

[1457]           Cf. par exemple Pâques le mystère, ou Dramatique Divine ou C. Hériard, Retire tes sandales.

[1458]           Nous développerons ce point dans la 4ème partie.

Cf. aussi sur ce thème : C. Hériard, Quelle espérance pour l’homme souffrant ? Amazon, 2013.


PS : je vous livre ici un Extrait de Dieu depouillé - À suivre..




17 février 2021

Homélie du 1er Dimanche de Carême Année B - Projet

Projet 1 
Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve, dis le psaume 24

Quel va être l'essence de notre carême cette année ?
Nous sommes en carême depuis un an maintenant avec cette pandémie et la tentation peut-être de dire que nous avons déjà assez souffert.
Mais l'enjeu est il là ?
L'enjeu est il de souffrir ou l'enjeu est il ailleurs ?

La lettre de Pierre nous donne la réponse , « Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu »
Non, l'essentiel n'est pas de souffrir mais de nous retirer au désert pour contempler le Christ, le nouvel arc en ciel, la voie, celle d'une liberté qui se dépouille et vit jusqu'au bout l'amour.
S'introduire devant Dieu, c'est nous dépouiller de ce qui nous encombre et discerner ce qui est beau, ce qui est bon dans notre vie.

Quel peut être le sens de notre carême 2021 ? 
Non une auto flagellation mais peut-être un dépouillement et une invitation au silence. La piste suivie par Saint Euscher, à la suite de Marc 1 est intéressante. 
« Ne peut-on raisonnablement avancer que le désert est le temple sans bornes de notre Dieu ? Car celui qui habite dans le silence doit certainement se plaire dans les lieux retirés. C'est là que souvent il s'est manifesté à ses saints ; c'est à la faveur de la solitude qu'il a daigné rencontrer les hommes. C'est dans le désert que Moïse, la face inondée de lumière, voit Dieu... Là, il est admis à converser familièrement avec le Seigneur ; il échange parole contre parole ; il s'entretient avec le Maître du ciel. (...) De la même manière, [nous devons nous  libérér] des œuvres terrestres, (...)  nous  réfugier [dans la solitude intérieure. Pour toi quand tu pries(1), retire toi au fond du désert]. Oui, c'est dans le désert qu'il va approcher ce Dieu qui [nous] arrache de la servitude... " (2).
L’enjeu de cette marche vers Dieu n’est il pas d’entrer dans la dynamique sacramentelle (3) de notre baptême. 
« Le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l'engagement envers Dieu d'une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ » nous dit l'épître de Pierre.

L'enjeu final de cette marche est donnée à la fin de l'Evangile (Mc 1, 15) : croire à l'Evangile, la bonne nouvelle.

Vivons en Dieu et nous trouverons son amour.
Vivons de l'amour et nous trouverons son amour.
« je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu'il soit le signe de l'alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l'arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants » (Gn 9).
Notre espérance c'est que Dieu est fidèle, qu'il est Amour et qu'il est plus grand que la mort...
Qu'il est vie...
Il est notre arc en ciel, signe élevé que « Son amour est de toujours. Il ne m'oublie pas, Il est droit, il est bon, le Seigneur, lui qui montre le chemin. Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin. » Psaume 24

(1) cf. la méditation magnifique de  François Cassingena-Trévedy 
(2)  Saint Eucher, L'Éloge du désert 
(3) voir mon livre éponyme mais aussi mon « Chemin du désert »





Le chemin du désert - un chemin pour notre carême 2021

Clin d'oeil à mes lecteurs du chemin du désert ou bande annonce écrite au 5ème siècle par saint Euscher ?  Non, ce n'est finalement qu'une constatation récurrente : je n'ai pas inventé la roue. 

Depuis Osée 2,  le chemin du désert est une voie vers Dieu. Est-ce une fuite au sens condamné par Balthasar (cf. posts précédents) ou un détour nécessaire pour mieux appréhender le réel.  Si l'on suit Luc 4, 40ss c'est en tout cas la voie du Christ. 
" Ne peut-on raisonnablement avancer que le désert est le temple sans bornes de notre Dieu ? Car celui qui habite dans le silence doit certainement se plaire dans les lieux retirés. C'est là que souvent il s'est manifesté à ses saints ; c'est à la faveur de la solitude qu'il a daigné rencontrer les hommes. C'est dans le désert que Moïse, la face inondée de lumière, voit Dieu... Là, il est admis à converser familièrement avec le Seigneur ; il échange parole contre parole ; il s'entretient avec le Maître du ciel ainsi que l'homme a coutume de s'entretenir avec son semblable. Là, il reçoit le bâton puissant en prodiges ; et après être venu au désert comme pasteur de brebis, il quitte le désert en pasteur de peuples (Ex 3 ; 33,11 ; 34). De la même manière, le peuple de Dieu, quand il doit être libéré d'Égypte et délivré des œuvres terrestres, ne gagne-t-il pas des lieux écartés, ne se réfugie-t-il pas dans les solitudes ? Oui, c'est dans le désert qu'il va approcher ce Dieu qui l'a arraché à la servitude... Et le Seigneur se faisait le chef de son peuple en guidant ses pas à travers le désert. Sur la route, de jour et de nuit, il déployait une colonne, flamme ardente ou nuée rayonnante, signe venu du ciel... Les enfants d'Israël obtinrent donc de voir le trône de Dieu et d'entendre sa voix tandis qu'ils vivaient dans les solitudes du désert... Faut-il ajouter qu'ils ne parviennent à la terre de leurs désirs qu'après avoir séjourné au désert ? Pour que le peuple entre un jour en possession d'une contrée où coulaient le lait et le miel, il lui a fallu d'abord passer par des lieux arides et incultes. C'est toujours par des campements au désert que l'on s'achemine vers la véritable patrie. Qu'il habite une terre inhabitable, celui qui veut « voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants » (Ps 26,13). Qu'il soit l'hôte du désert, celui qui veut devenir le citoyen des cieux. " (1)
(1)  Saint Eucher, L'Éloge du désert (trad. Sœur Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 2, p. 10), source, Evangile au quotidien