08 avril 2006

Chrétiens anonymes - IV

La charité chrétienne veut que nous ne soyons pas enfermés dans l'orgueil de croire que nous détenons seul la vérité et notre personnalisme foncier nous conduit à chercher chez tous hommes les traces de cette image de Dieu, voulue par le créateur. Cette ouverture à l'autre dans le mystère de sa conscience doit-il être cependant un aveuglement, une naïveté ? Doit-on pour cela renoncer à croire à ce qui fait l'essentiel de notre foi, la médiation unique et irremplaçable du Christ.
Il y a des limites à la thèse de Justin du "logos spermatikos". Pour Balthasar, "si l'auto-ouverture a priori de Dieu était "personnelle", l'individu dans les religions extra-bibliques, n'a-t-il pas réagi personnellement à cette révélation, ou n'a-t-il pas objectivé plus expressément ce facteur personnel ? (...) sans doute ces révélations furent aussi employées dans les prières et les sacrifices (...) mais reste sous développé le sens de la personnalité authentique." Pour lui, seul le christianisme détaché de subjectivité spirituelle reçoit une parole explicite de mission qui garantit à l'homme son unicité qualitative parce qu'elle la lui donne. "ils ont des yeux et ne voient pas" Ps 115 5,7)
Henri de Lubac a démasqué le fantôme d'une natura pura possible, mais aussi repoussé la limitation correspondante de l'horizon de la créature raisonnable comme telle à l'être analogue général (ens ut sic) qui ne devrait être élevé que par un existential surnaturel particulier au desiderium du Dieu vivant, tel qu'il est en lui-même. (1) On peut cependant continuer à confronter ces affirmations à la question fondamentale suivante : si Dieu est vraiment miséricordieux, pourquoi laisser 5 milliards d'être sans la révélation... et 1 milliard de privilégié ?
Je crois que la réponse est dans la tension entre ces deux thèses paradoxales et complémentaires.

(1) Urs von Balthasar, ibid DD 2,2 p. 330

Un pavé dans la mare.

Parfois j'ai le sentiment que tous ces billets ne servent à rien... Que je jette des cailloux dans la mare. Oeuvre vaine. Rien de nouveau sous le soleil. S'il n'y avait chez moi la double satisfaction de l'orgueil et de suivre patiemment un parcours intérieur qui me mène jusqu'au point sans retour, je cesserais d'aligner ces lettres sans suite... Tant pis pour le lecteur attardé ? Faute de retour, je m'interroge... :-)
C'est vrai que je ne fait pas grand chose pour être accessible...
Et que ce n'est que l'expression d'une vanité sans bornes.
Mais ce travail a pour moi l'intérêt d'être structurant et c'est pourquoi je persiste et signe... :-)
Alors à ceux qui sont encore là depuis plus d'un an courage et ceux qui arrivent depuis peu, "bon courage". N'hésitez pas en tout cas à réagir. Un monologue, c'est comme un cri dans le désert, inutile et stérile, sauf pour celui qui s'est soulagé en criant... :-)

07 avril 2006

Chrétiens anonymes - III

Si les païens sont sans loi, la loi est parfois inscrite en leur coeur. C'est en tout cas ce qu'affirme Rm 2,14s : "ils montrent que la loi est inscrite en leur coeur...". Cela doit être ce que l'on appelle la loi naturelle. Il n'y a donc pas que saint Justin qui évoque cela... Et cela permet de percevoir (sans être rousseauiste et croire que l'homme naît bon, en soi) que l'homme naît libre et qu'au sein de cette liberté, il peut trouver en lui (et dans les autres) la ressource nécessaire pour exercer sa propre liberté.

06 avril 2006

Juifs et chrétiens

Ils sont nos pères dans la foi, le peuple choisi, les héritiers de loi de Moïse et pour nous chrétiens, qui nous nourrissons de la lecture de la Parole qui leur a été révélée, il est toujours douloureux de voir que ce qui est pour nous joie et lumière reste nié et méconnu de leur part. A ce sujet, j'aime la citation donnée de K. Barth : "il n'y a qu'un seul peuple de Dieu, se composant de la Synagogue et de l'Eglise" à laquelle Urs von Balthasar ajoute : "toutes deux sont encore en route vers leur achèvement tout en restant dans une dramatique entre le oui et le non, à ce qui pour l'Eglise fonde tout et ce qu'Israël refuse de reconnaître comme son achèvement".
Pour K. Barth : "Israël et l'Eglise sont les deux faces d'un même mystère de rédemption, sa face de grâce et sa face de jugement". On pourrait aller plus loin, ajoute encore Urs von Balthasar en comparant les deux peuples aux deux larrons, l'un qui se tourne (l'Eglise) et l'autre qui ce détourne mais pour lequel le Christ est aussi médiateur, à travers sa judéité et son "incarnation dans sa personne du rôle de l'ébed Yahvé qui échoit à tout Israël souffrant par représentation". (1)
Pour nous en effet, notre Dieu n'est pas mort pour les seuls chrétiens mais pour l'humanité entière, et malgré ce refus dramatique de nos pères, nous osons croire que l'incarnation du Christ est salvatrice.
Dans un article du Monde en hommage à Emmanuel Lévinas, P. Ricoeur notait, le lendemain de sa mort, le 24 décembre, que même la mort du philosophe juif était signe de cette proximité. Il est mort, la veille d'une naissance. Pour avoir montré peut-être par catholico-centrisme combien on pouvait avoir une lecture chrétienne de son livre phare "Autrement qu'être ou au delà-de l'essence", je dirais que le philosophe a compris le mystère chrétien dans son essence, et que sa judéité, assumée et fidèle ne fait qu'honneur à l'homme.

(1) Urs von Balthasar, ibid DD 2,2 p. 317

Lire à ce sujet : Barth, Balthasar, Lévinas, Ricoeur

05 avril 2006

La chair et l'esprit

Nous n'avons pas fini de méditer le mystère de l'incarnation, qui est non seulement au coeur de la révélation mais également propre à notre humanité. Nous ne pouvons être qu'incarné et le fait que nous ne soyons pas des purs esprits est plus qu'une contrainte, elle touche à notre mission... Cette unité du pneuma (esprit-souffle) et de sarx (chair - relation) est "toujours inscrite dans une catéchèse d'Israël" (1). C'est aussi, d'une certaine manière l'enjeu d'un chemin qui n'est pas pure transcendance mais qui s'inscrit dans la relation. Pour dire les choses plus simplement, dès la naissance d'Israël, le peuple a été confronté au fait qu'il ne suffit pas d'invoquer Dieu, ou de fuir dans le sacré, mais que comme le rappelle saint Paul, s'il me manque l'amour, je ne suis rien... Phrase qui fait écho à celle du psaume : "Tu ne voulais pas de sacrifice, alors j'ai dit me voici". On peut reprendre ici la belle image de Jacques de Saroug qui rapproche la cote d'Adam à celle du Christ sur la croix (2). Notre incarnation, la chair de notre chair est au coeur de notre mission sur terre. Et de la rencontre, de la chair, peut jaillir des fleuves d'eau vive.

(1) Urs von Balthasar, ibid DD 2,2 p. 314
(2) cf. "Dernier adam"

04 avril 2006

La tentation du rétroviseur

Dans une société en perpétuelle évolution, on peut se demander si certain de nos contemporains ne tombent pas dans ce que L. Pareydt appelle la "tentation du rétroviseur", celle qui refuse assurément l'humanité et s'arc-boute sur la loi ancienne, comme la seule gardienne des moeurs et du monde. Mais cette tentation, qui résulte de nos peurs n'est-elle pas ce que combattait jésus dans l'attitude des pharisiens.
Je me souviens de l'excellente analyse que faisait P. Ricoeur dans le deuxième tome de La Philosophie de la Volonté a propos de ces pharisiens, qui a force de vouloir mettre Dieu partout dans leur vie avait oublier de lui laisser une place. Balthasar reprend une description similaire lorsqu'il décrit ceux qui se cramponnent à la loi et à son observation littérale et par là tombent "imperceptiblement dans la justice par les oeuvres que Jésus et Paul démasqueront comme le contraire de la véritable attitude de foi". Ils s'attachent "à des images du messie qui durcissent certaines choses que Dieu ne veut donner...", ils confondent "l'ordre de Dieu avec la sagesse du monde" et identifient "la justice du Dieu libre et miséricordieux avec une loi de justice immanente au monde, selon laquelle tout péché reçoit automatiquement son châtiment..." (1) Cette description du judaïsme pré-christique pourrait se retrouver dans certains mouvements catholiques actuels. S'il nous servent de garde fous par rapport à notre emballement pour le monde, il ne faut pas pour autant se laisser aller à ce rigorisme obtus qui nous fait virer dans l'élitisme et oubli notre mission principale d'un christianisme incarné, qui est "dans le monde", d'un Christ qui habite parmi les publicains et les pécheurs, non pour les condamner et les juger, mais pour les transformer de l'intérieur et les ouvrir à la découverte d'un Dieu miséricordieux.

(1) DD 2,2* p. 303

* Je reprends ici l'analyse de la Dramatique divine, de Urs von Balthasar, II - Les personnes du drame 2. Les personnes dans le Christ, Culture et Vérité, Namur, Editions Lethilleux, Paris, Le Sycomore, Trad. Yves Claude Gélébart et Camille Dumont. (C) Thedramatik, II Die Personnen des Spiel, 1 - Personnen ins Gott, Johannes Verlag, Einsiedeln 1976 (c) Pierre Zech Editeur, Paris 1986 pour la Version française.

Le corps, porche de la vie sprituelle - Espace pub - Session de formation

Une amie me demande de vous informer d'une session de formation
pour les religieux, religieuses, moines, moniales, séminaristes, prêtres ou laîcs...
en Mai 2006

LE CORPS, PORCHE DE LA VIE SPIRITUELLE Liturgie et poésie, lecture et écriture

Dates : arrivée le dimanche après-midi 7 mai, ou le lundi 8 matin
départ le vendredi 12 ou samedi matin 13 mai

Lieu : Abbaye Notre-Dame d?ORVAL, Belgique (juste à la frontière française. Gares la plus proche, selon les heures : Carignan (20km), Sedan (40 km). Soit depuis Paris-Est 3 :30h.

Frais : 240 euros. Ceci calculé sur 15 participants environ.


Pour en savoir plus écrire au webmestre (chdcpm@yahoo.com) qui vous transmettra le bulletin complet...

Prière en Christ

La prière filiale éclaire le fidèle de l'aube pascale. Il fait un avec le Christ. Du même coup, il accède à la liberté de l'Esprit. La liberté consiste à se laisser situer à sa place exacte - celle de fils, laquelle ne peut être que donnée - et à collaborer à la construction de sa propre stature croyante. Trois lignes s'entrecroisent ici : celle de la communion trinitaire dont l'homme devient participant, celle de l'union des fidèles dans le Christ et celle de tout croyant appelé à devenir ce qu'il est. Entre ces trois lignes existent un même rapport, celui de l'espérance. En effet, être fait fils du Père appelle à s'y reconnaître, à le vouloir et à en vivre. La prière est le moment où l'homme apprend qui il est : il apprend à être, ce qui ne va point sans agir. Il naît à lui-même, il renaît dans sa vérité de fils. Etre homme, c'est se recevoir d'un autre : la prière est un acte vital d'émergence de l'homme au niveau où Dieu recrée le monde en son Fils.
Mgr Albert Rouet, Vers Dieu ou en Dieu, Christus 96 p. 399

03 avril 2006

Emerveillement

L'autre est-il vraiment mon semblable différent ? Je dois aller chercher l'autre jusque dans sa différence, or souvent sa différence m'énerve. Il faudra passer par-dessus mon énervement pour parvenir à l'émerveillement.
Jean Bernard Livio, s.j., conférence aux 50ème anniversaire des CPM, repris dans Accueil Rencontre nº227-228

02 avril 2006

Homme intérieur...

Tu ne seras jamais un homme vraiment intérieur si tu ne t'efforces pas de te taire au sujet de ton prochain pour t'occuper principalement de toi-même.

Imitation de JC, traité spirituel du 15ème siècle, livre II, ch. 5, trad. Ravinaud, Médiaspaul 1989, p. 73

01 avril 2006

Tout se résume à la Croix ?

Pour Rahner, la contemplation du Christ en croix est source originelle de grâce. "De son côté transpercé que découlent ces fleuves de grâce". (1)
On retrouve l'héritage ignatien et la longue pratique des exercices spirituels qui n'aboutissent finalement à rien d'autre que ce sommet de la prise de conscience de l'unique médiateur, crucifié et qui nous assigne, dans et au delà de notre liberté à l'amour. Cela rentre en résonnance avec ce que développe Benoît XVI dans Deus caritas est.
La croix, n'est-ce pas finalement la clé centrale du mystère, ce qui donne sens à tout sacrement, le transfigure et l'élève. Plus je progresse dans ce chemin, plus je réalise que l'eucharistie ne peut se comprendre autrement qu'à travers la méditation de ce sacrifice sanglant. Non pour courir au sacrifice, mais pour percevoir, dans cette image véritable la hauteur, la profondeur, la longueur de cet amour kénotique du Fils, chemin unique et révélation de l'amour du Père.

(1) Karl Rahner, Coeur de Jésus chez Origène p. 173-174
Voir aussi : Deus Caritas est Kénose Rahner

31 mars 2006

Rahner et Origène

A travers Origène, Rahner développe à partir de l'attrition et de la pénitence une relation intéressante entre la cause et le signe extérieur. Le symbole est perçu comme la pointe de l'iceberg d'une transformation intérieure. Ce qui se passe au for interne de la personne jusqu'au signe sacramentel n'est pas seulement cause efficiente de la grâce mais la manifestation même de la grâce : "Ce en quoi la grâce s'exprime de telle manière que s'exprimant, tout d'abord elle se réalise, en sorte qu'elle dépend de lui et lui d'elle". Pour lui, "l'image est efficace en tant qu'image, efficace parce qu'image (...) ainsi le symbole du sacrement est cause en étant l'image de l'effet." (1)
Je trouve cette ouverture intéressante à une époque où l'on s'interroge sur la nécessité de répondre à une demande parfois mal structurée du sacrement. Il faut relire d'ailleurs ce que j'évoquais à ce sujet dans mon commentaire de J. Ratzinger.
A la différence de Balthasar qui reste à l'efficacité du Verbe jusqu'à la manifestation unique aux jours de l'incarnation, Rahner qui partage ce point de vue va plus loin, jusqu'à explorer la réciprocité dans le symbolisme sacramentel entre le signe extérieur et ce qui advient au coeur du croyant.
Pour Rahner, l'insistance n'est pas sur le Christ mais sur la réciprocité qui est en jeu à travers le symbolisme sacramentel qui implique une "différentiation entre théologie plus soucieuse de faire paraître les conditions anthropologiques à travers laquelle la grâce divine atteint son effectivité" (2)


(1) Karl Rahner, in Coeur de Jésus chez Origène p. 449, cité dans ibid p. 154-155
(2) ibid p. 156

30 mars 2006

Déductive ou inductive

En tant qu'ardant défenseur d'une pastorale inductive, je ne peux que souligner cette affirmation p. 135 qui souligne qu'une méthode théologique ne peut jamais au fond être déductive (car autrement elle soumet la liberté de figure aux lois de la pensée humaine). Elle est inductive dans le sens indiqué par Newman, montrant les "convergences des lignes et des voies d'approche vers un foyer unique, infiniment lumineux où brille la Gloire. (1)
Ce met en valeur la puissance théologique de l'accomplissement des Ecritures où "la grandeur de Jésus est l'apparition du libre abaissement (kénose) de la Gloire de Dieu dans la non liberté (l'obéissance) de la forme d'esclave. (2)

(1) Ibid p. 135 et Gloire et Croix III t. 2 p. 17
(2) Gloire et Croix III 2, t. 2 Neueur Bund p. 279

29 mars 2006

Mystère et figure

Il y a-t-il comme le note Holzer (1) une véritable opposition entre la notion de mystère absolu (absolute Geheimnis), l'insaisissable et l'invisible par excellence décrit par Rahner la figure et la théologie biblique de la Gloire (doxa) d'Urs von Balthasar. Personnellement je ne le pense pas. Peut-être suis-je atteint d'un syncrétisme léger, mais il me semble que l'invisible est notre lot commun et que ce qui est dévoilé dans la figure, dans le Christ en croix, n'est finalement rien d'autre que l'insaisissable mystère, dont nous refaisons sans cesse la découverte et la perte. Certes le salut est là, mais il reste par sa kénose lieu de liberté et de choix... Tout le reste n'est que chemin, préparation, avancée douloureuse et fuite récurrente.
J'entends cependant les réserves de Balthasar dans Geist und Feuer qui se demande si lorsque "Rahner voit le caractère rédempteur et expiatoire de la mort du Christ dans l'acte par lequel Jésus en mourant s'abandonne totalement au Père" cela suffit (2). Je comprends qu'il puisse mettre ces réserves et cependant, je pense que si l'on ramène cette révélation à l'essentiel de ce qui peut générer une conversion du coeur, tout le travail du passé perd son acuité. Elle permet la conversion, mais est balayé par ce coeur offert et ouvert d'où coule le fleuve de la vie. Comment pourrais-t-on peser le reste à l'aune de cet instant décisif où tout prends sens ?
Certes, "la Gloire est la souveraineté éclatante de celui qui vient dans le monde" (3)
Il s'agit d'une présence au monde faite de signes sensibles, objet d'expériences vécues, racontées et interprétées selon un regard de foi. Mais pour moi l'épiphanie de la croix dépasse tout.

(1) Holzer, ibid p. 133
(2) Esprit et feu, 1976 p. 99
(3) Gloire et Croix, III/2 1 p.17

Balises : Balthasar Rahner kenose

28 mars 2006

Eglise et Ecriture

Je découvre cette phrase admirable de Rahner pour qui l'Ecriture est le livre de l'Eglise parce que "seul l'être vivant de l'Eglise, qui possède l'Ecriture sainte comme son livre propre et le porte à travers les siècles est capable d'attester qu'elle est son essence et son extension, cette essence et cette extension n'ayant pas d'autres voie pour se faire connaître que le témoignage vivant de l'Eglise" ET VII p. 83 (1)
Cela rejoint ce que je disais sur ces coques vides, ou ces sarments reliés à la sève. L'Eglise d'aujourd'hui n'est pas l'Eglise eschatologique. Elle est imparfaite, constituée d'hommes et de femmes fragiles, mais quand ces êtres fragiles se laissent remplir par l'amour infini de Dieu, l'Eglise devient, à travers eux le coeur du message et la chaîne discrète mais sublime qui complète et actualise ce que le Christ a vécu dans sa chair... Le rapport entre l'Ecriture et l'Eglise devient alors "co-originant" et c'est en quelque sorte cette interaction mystérieuse entre le dire et le dit, que soulignait Lévinas dans autrement qu'être qui se perpétue au travers de cette église fragile. Depuis l'origine, depuis le reniement de Pierre, Jésus savait que cette fécondation se ferait dans la douleur. Mais le résultat qui se dessine, et qui s'étend, sans hégémonie, mais à travers la kénose discrète de ces hommes et ces femmes qui sont signes (Hillesum, Stein, mère Thérésa pour ne citer que les étincelles féminines) se dessine l'Eglise universelle, le corps du Christ en marche...
(1) cité par Holzer, ibid p. 132

26 mars 2006

Les limites du principe de l'autocommunication...

Il est vrai, comme le souligne Holzer qu'il y a un risque qu'une autocommunication relativise la place et la fonction de la christologie, comme si en cet acte d'autodonation gracieuse, tout est déjà donné et tout pouvait être déduit. (1)
En suivant le principe de Rahner, on pourrait croire que la grâce est un paquet cadeau, un trésor enfoui en nous et qui se suffit à lui seul et le risque serait effectivement de ne pas relier ce "talent" à la source, d'ignorer que nous ne sommes que des coquilles vides, des sarments qui quand ils ne sont pas reliés à la sève ne sont plus bons qu'à un feu éphémère. Ce que nous recevons de Dieu n'est peut-être que cette force qui nous permet de tourner nos coeurs et devenir des écoutants...

Et cette force, cette transcendance est peut-être en soi l'accès à la découverte du mystère (Geheimnis) et l'expérience (Erfahrung) de l'homme qui est tout à coup attiré dans ce mystère inconcevable.
(1) ibid p. 118

23 mars 2006

Le drame au centre...

Dans cette marche qui conduit le lecteur de l'esthétique au théologique, la dramatique n'est pas un accident de parcours. Comme le note très justement Capelle, il faut "comprendre la dramatique non comme la deuxième étape mais comme le centre de la Trilogie (...) l'universel humain et le singulier humain se retrouvent et se recouvrent dans l'idée de décision, donc d'action, de pratique et de drame (1)
Je souscris à cette idée d'autant plus qu'elle rejoint à sa manière ce que j'avais noté chez Bonaventure à propos de l'homme, intermédiaire entre la trace et la ressemblance. Notre défi, c'est de faire face au drame. L'esthétique nous y prépare, elle nous lance sur le chemin et le théologique nous échappe. Notre réel, c'est de répondre à l'appel, à l'assignation pour reprendre les termes de Lévinas. Et c'est bien dans ce drame que se joue notre humanité en devenir.

(1) ibid p. 115

22 mars 2006

La vérité

Comment Jésus peut-il dire de lui-même : "Je suis la Vérité "? C'est seulement dans la mesure où toute la vérité du monde a en lui sa consistance" (col. 1,17) et ceci présuppose à son tour que l'analogia entis devienne chez lui une personne : il est lui même dans l'être fini, la manifestation, le don et l'expression adéquate de Dieu.
A travers la tentative magistrale de donner un statut positif au fini, i.e. une constance ontologique, et indissociable de ce dont le fini procède, à savoir le divin dans la personne du Christ, (1) Balthasar nous fait percevoir l'inconnaissable. Le chemin que nos pères ont entamé dans l'analogia entis nous y a préparé... Peut-être faut-il reprendre ce que J. Ratzinger disait à ce sujet dans son analyse des différents stades de l'expérience, jusqu'à l'expérientel, comme les balbutiements du montagnard qui passe par bien des détours avant d'apercevoir la cime, pourtant inaccessible mais qui le pousse à grimper.
(1) ibid p. 114

21 mars 2006

Le seuil, parvis de l'Eglise...

Capelle note que Urs von Balthasar propose dans son Epilogue le seuil comme un lieu de passage entre la philosophie religieuse et la théologie de la révélation biblique :
a) en deçà du seuil c'est l'apologétique à partir des problèmes philosophiques, littéraires, religieuses de l'Esthétique
b) au delà du Seuil cela concerne les mystères du christianisme dans leur spécificité qu'aucune philosophie religieuse ne peut atteindre "Le sanctuaire"...
Dans une démarche pastorale, je crois que nous sommes appelés en tant que laïc a creuser, étayer cette recherche en deçà du seuil, construire des ponts nouveaux entre le monde et l'Eglise qui constituent autant de chemins d'accès à l'essence même de notre foi et c'est en cela que la philosophie, l'apologétique peuvent nous aider. Cela rejoint cette analogia entis, qui pour Capelle est le lieu de cohérence de l'oeuvre d'Hans Urs von Balthasar : "c'est pour elle que se déploie l'unité la plus intime entre théologie et spiritualité vers "une concordance s'établissant entre l'homme et l'Absolu par une libre décision d'amour" (1)
La concordance entre l'homme et Dieu, l'anthropomorphisme maîtrisé qui permet de découvrir, au delà de la forme et de l'apparu, l'épiphanie de l'insaississable, cette révélation qui permettra de rendre la vue à ceux qui cherchent dans le noir. Mais nous ne sommes pas des guérisseurs d'aveugles. C'est la tâche du Christ. Nous ne sommes que des chercheurs de lumière.

(1) G de Schrijver, Een God immanent in mens een Zijin, schoonheid en kenosis in de théologie van H.U. von Balthasar, trad. fr. Le merveilleux accord de l'homme et de Dieu ; l'analogie de l'être chez Hans Urs von Balthasar, Presses Universitaires de Louvain, 1983, p. 52 Urs von Balthasar, cité par Philippe Capelle, Doyen de la faculté philosophique de la Catho de Paris in "Urs von Balthasar, comment regagner une philosophie à partir de la théologie" p. 113 dans Balthasar, Rahner Deux pensées en contraste, colloque d'une rencontre, avec Henri-Jérôme Gagey et Vincent Holzer (Editeurs), Bayard, Paris 2005

20 mars 2006

Projet n° 291

Après Projet n°290 sur l'Ukraine et le problème des quotas, je veux saluer le n° 291 qui consacre un long dossier sur le monde du travail. Reconnaître le travail, réunifier sa place dans la société, harmoniser les relations en son sein. Un document qui s'inscrit dans le message de l'Eglise sur la société d'aujourd'hui. A lire
Renseignement et abonnement

Plénitude philosophique

Capelle cite p. 105 cette affirmation de Balthasar : "La plénitude interne de la vérité philosophique - même en faisant abstraction de la lumière théologique qui ne cesse de l'éclairer - est déjà bien plus riche que ne laisse supposer la plupart des présentations que l'on en fait". (1)
N'est-ce pas en soi une concession à la thèse des chrétiens anonymes de Rahner... Ou peut-être aussi une exhortation à revenir à la sagesse de la Tradition, non pas dans son sens restreint, mais dans la découverte des Pères de l'Eglise, de leurs influences grecques et de ce long processus d'incarnation qui ne s'est pas fait seulement selon le registre de l'opposition, ou du syncrétisme mais comme la lente maturation d'une humanité qui marche vers la réception complète du mystère.
"il n'y a pas de théologie sans philosophie" (2)

(1) Urs von Balthasar, Théologique, Vérité sur le monde, T1 p. 30 cité par Philippe Capelle, Doyen de la faculté philosophique de la Catho de Paris in "Urs von Balthasar, comment regagner une philosophie à partir de la théologie" p. 105 dans Balthasar, Rahner Deux pensées en contraste, colloque d'une rencontre, avec Henri-Jérôme Gagey et Vincent Holzer (Editeurs), Bayard, Paris 2005
(2) Balthasar, ibid p. 30

19 mars 2006

Grâce infuse...

Je redécouvre p. 104 le principe de causa secunda de Thomas d'Aquin qui affirme que la créature est "déjà investie kénotiquement par la toute puissance divine du se-donner et du pouvoir-créer. Une fois posée l'autre de Dieu en vertu de ce premier acte fondateur, il faut dire que la grâce se présente doublement : à la fois comme un statut de vis-à-vis libre et autonome et comme participation plus étroite à l'être de Dieu. " (1) . J'en arrive à me demander si ce n'est-ce pas ce qui distingue l'action du Fils et de l'Esprit dans ce que j'ai appelé la danse symphonique trinitaire... ?
Il y aurait ainsi deux modes de présentation de la grâce : une extérieur, libre et interpellante, tel le signe élevé donné dans le désert et une intérieure, conscience enfouie en l'homme et qui l'interpelle au coeur de lui-même...

(1) Urs von Balthasar, "Regagner une philosophie à partir de la théologie" in Pour une philosophie chrétienne, Lethilleux/Culture, 1983 p. 184, cité par Philippe Capelle, Doyen de la faculté philosophique de la Catho de Paris in "Urs von Balthasar, comment regagner une philosophie à partir de la théologie" p. 104 dans Balthasar, Rahner Deux pensées en contraste, colloque d'une rencontre, avec Henri-Jérôme Gagey et Vincent Holzer (Editeurs), Bayard, Paris 2005

Voir à ce sujet : Incarnation / Danse / Kénose

18 mars 2006

De la philosophie à la Gloire...

Pour Balthasar, "la philosophie en tant que savoir de Dieu est la gloire elle même" (1) Cela soulève bien sûr des interrogations à l'image de cette tour de Babel que nous sommes tentés de construire sans cesse. Mais comme le note très justement Capelle, si Balthasar s'inspire d'Hegel il "s'inscrit en faux contre une figure de la totalité où le révélé historique est identique au manifesté divin et où donc le secret n'a plus de statut. (2) Le mystère et l'insaississable garde donc sa place et c'est en cela que toute tour de Babel est voué à l'échec.

(1) Gloire et Croix, Métaphysique 3 p. 320, ibid p.101.
(2) ibid p. 101

17 mars 2006

La pastorale de l'attente...

On ne peut forcer l'homme au delà de sa conscience intérieure. Et c'est pourquoi la pastorale de l'attente rejoint le principe de l'attente théologique.
C'est le mouvement qui permet de rejoindre la liberté fondamentale de chaque homme perçu comme une histoire sacrée. On retrouve là l'idée lévinassienne du "Comment Dieu vient-il à l'idée ?". Mais aussi d'une certaine manière la croissance de l'empètrement dans le mal et du besoin d'un "salut" qui va faire irruption. L'homme est en recherche tout en essayant de l'ignorer et de repousser à la périphérie cet Eros enfoui qui le pousse vers un ailleurs.

15 mars 2006

Théologie et science

J'aime l'analyse donnée p.92 et 93 par J. Greisch qui souligne comme point le plus vulnérable la "prétention de vouloir faire passer la plénitude métaphorique du langage élémentaire de la foi au régime d'analogies rigoureusement scientifiques". Pour lui (ibid p.93) "l'initiation philosophique à la théologie est un exercice modeste et ambitieux à la fois qui rejoint en un sens l'apologétique classique (religiosa / christiana / catholica). La Religiosa qui cherche à établir la preuve de l'existence de Dieu est confortée par l'expérience de la faute qui conduit à la révélation chrétienne, avant de parvenir à l'institution seule gardienne de la foi.
Enoncée comme cela, je retrouve non sans intérêt ce que je pratique depuis 20 ans en pastorale. Ce chemin me semble plus réaliste et respectueux de la personne que celui qui chercherait à imposer les dogmes comme un préalable et une vérité incontournable. Pour moi une pastorale doit prendre en compte ce cheminement qui est celui qui permet à la fois une pastorale inductive et le respect de la liberté fondamentale du chercheur de Dieu. De plus, elle nous permet de nous situer sur le même chemin, à l'image de celui de Jésus sur la route d'Emmaüs...

14 mars 2006

Une expérience indiscutable de liberté.

La liberté n'est pas un schéme accessoire. Il est pour moi constitutif de notre condition d'homme et de la rencontre même du phénomène. La troisième thèse citée de Schaeffler qui souligne que "nous ne pouvons déchiffrer dans tout ce qui vient à notre rencontre la figure phénoménale d'une liberté qui nous interpelle tout en se tournant vers nous, à laquelle nous pouvons donc nous fier pour recouvrir l'unité du Je" (1) fait rejaillir ce que je lisais il y a quelques semaines sur la notion d'expérientiel chez J. Ratzinger. Passer de l'expérience à l'expérientiel, n'est ce pas en soi un chemin de liberté et de foi véritable.
On comprend alors ce qui est donné sur la sixième thèse p. 91 : "Seule une théorie dialogique de l'expérience permet de trouver un juste équilibre entre réalisme et idéalisme, c'est-à-dire qu'elle fonde une critique qui permet à l'homme de prendre conscience de sa contribution active à la forme phénoménale du sacré et du divin sans pour autant être obligé de n'y voir qu'une projection de ses désirs infantiles" (2)

(1) cité par Jean Greisch, in "Balthasar, Rahner Deux pensées en contraste, colloque d'une rencontre, avec Henri-Jérôme Gagey et Vincent Holzer (Editeurs), Bayard, Paris 2005, p. 90
(2) 6ème thèse de Schaeffler, Erfahrung als Dialog mit des Wirklichkeit. Eine Untersuchung zur Logik des Erfahrung, Freiburg/München, Verlag Karl Aber 1995 cité par Jean Greisch, in "Balthasar, Rahner, ibid, p. 91

Chrétien anonyme...

La qualification de chrétien anonyme n'est pas pour autant la récupération de l'homme par le catholicisme. N'est-ce pas plutôt la joie de voir que le meilleur de notre foi ne nous a pas été confié de manière exclusive mais est déjà le mystère de la première alliance, celle scellée par Noë avec l'humanité toute entière. Alors l'affirmation suivante p. 88 ne me choque pas... : "Ce qui fait de moi un chrétien à vos yeux fait de vous un juif aux miens" (à propos des chrétiens anonymes) (1)

Lessing, Nathan le Sage, (1) cité par Jean Greisch, in "Balthasar, Rahner Deux pensées en contraste, colloque d'une rencontre, avec Henri-Jérôme Gagey et Vincent Holzer (Editeurs), Bayard, Paris 2005, p. 88

07 mars 2006

Tendresse de Dieu

"les feuilles tombent dans un geste de déni (...) mais pourtant il y a quelqu'un qui tient toutes ces chutes entre ses mains, d'une infinie tendresse"
R. M. Rilke

05 mars 2006

Serviteur et fils

J'aime à relire cette affirmation de Rahner qui souligne que "Dieu n'a fait des serviteurs que pour en faire des fils." (1) Elle traduit l'amour du Père, insaisissable et cependant infini. Et notre filiation n'est pas anthropomorphisme mais participation au corps du Christ. Nous sommes appelés à être en Christ. On rejoint cette affirmation de saint Paul : "Ils les a justifiés..."

Mais il rejoint aussi Jn 1, 13-14 que nous sommes en train de méditer... Hasard des chemins du Verbe sur notre route.

(1) ibid p. 82

01 mars 2006

Un temps de silence

En cette période de carême, je vous propose un temps de silence et de méditation...
Un temps tout intérieur.
Ce blogue sera donc peu actif, mon attention se concentrant sur l'expérience de lectio divina lancée sur http://selonsaintjean.blogspot.com . Une démarche à laquelle je vous invite tous à vous joindre.
C.

Le théologien agenouillé...

Cette citation d'Hörer des Wortes : "seul celui qui ne connaît pas encore la réponse et qui confesse son non savoir est réellement ouvert à la possibilité d'une libre auto-manifestation de la part du Dieu libre et personnel" (HW 94) fait raisonner en moi ce que J. Ratzinger disait lors de l'oraison funèbre de Balthasar. Le non savoir, la kénose de l'homme et de Dieu, c'est cela le coeur de la "théologie agenouillée". Un abaissement du fini qui laisse place à l'au-delà de tout pour reprendre l'hymne attribué à saint Grégoire de Naziance...
Il y a rencontre de deux libertés. "Celle de Dieu (le libre inconnu) et celle de l'homme (le libre écoutant) de se rencontrer. Leur rencontre se déroule sur la scène de l'histoire que Rahner définit comme le "lieu ou retentit le message libre". (1) Et pour moi, le noeud de l'histoire du salut se joue dans cette rencontre "amoureuse".
"Le philosophe peut être comparé à Jean Baptiste, qui n'est pas digne de dénouer les sandales du théologien mais permet de préparer ses chemins. Et le théologien n'est lui-même qu'un va nu-pieds intellectuel..." (2)

Puisse toute recherche théologique rester habitée de cette dimension face au mystère.

(1) ibid p. 80
(2) ibid p.82

28 février 2006

Adrienne von Speyr et la kénose

Je découvre l'influence d'Adrienne von Speyr chez Balthasar et cette "christologie à dominante johannique dans tout ce qui relève de l'obéissance et de la kénose, de la mort conduisant le Christ jusqu'en enfer, ce que Balthasar appellera l'expérience du Samedi Saint, de la substitution dans la souffrance" (1) Ma lecture encore inachevée de la Dramatique divine m'a effectivement sensibilisé à cette dramatique typiquement balthasérienne... Mais ce que j'ai le plus retenu est peut-être cette insistance sur la kénose et qui n'est pas autant relevé par le commentateur. Or c'est pour moi, indirectement le lien le plus sensible avec Rahner, même si celui-ci n'en fait qu'une approche discrète dans le Dieu du silence... Le silence de Dieu n'est-il pas cette kénose du Verbe dans l'Ecriture qu'évoque Balthasar à propos de Soloviev ?

(1) ibid p. 62

27 février 2006

Chrétiens anonymes - II

"La thèse des chrétiens anonymes n'est pas rejetée par Balthasar mais ce dernier y répond par la descente aux enfers du Christ qui va au plus profond du mal et donc par une sotériologie à la différence de Rahner qui aura une approche anthropologique (anthropologie théologique bien sûr)." (1)
Je préfère cette analyse qui relativise l'opposition et la replace sur une autre échelle. Cela rejoint ce qui est dit plus haut sur une correspondance entre l'esthétique et la christologie. Le Christ est, et telle est notre foi, le point culminant, le point ultime de la révélation. C'est ce qui m'apparaît le plus intensément dans Marc 15, avec cette symbolique du rideau qui se déchire. Que le Christ transcende notre humanité et descende aux enfers pour racheter ceux qui n'ont pas eu la lumière dépasse ma propre perception humaine et limitée. Cela n'enlève aucunement le mérite à tout ces hommes de bonne volonté qui cherche la lumière et que nous essayons par nos propres moyens d'éclairer avec la lueur que nous avons reçu. Je ne pense pas pour autant qu'il faille en faire une affaire d'état, au delà du conflit évoqué...
(1) ibid p. 29

26 février 2006

Chrétiens anonymes...

Quelle le sens de l'existence de personnes libres qui résistent à la foi ? Peut-on dire qu'elles sont pour autant vouée au néant ? Peut-on dire que seul les chrétiens détiennent la vérité ?
A ces questions difficiles, les réponses sont multiples.

L'opposition entre Balthasar et Rahner sur le thème des chrétiens anonymes (1) qui a donné naissance chez Balthasar à Cordula ou l'épreuve décisive a déjà fait l'objet de commentaires dans ce blogue. Si le concept d'ernstfall (l'homme face à l'épreuve) que l'on retrouve par exemple dans D. Sibony à propos de sa critique de Lévinas... est que ce qui distingue le non-chrétien du chrétien véritable est peut-être à mon avis un des points les plus difficiles de toute "élucubration philosophique".
Comment jugez l'homme sur son aptitude à répondre à l'appel. Seul le Christ a pu dire véritablement, le fiat total, qui le conduisait à la mort. Ce chemin qui est aussi celui des martyrs est-il le privilège du chrétien véritable ? Peut-on faire de cette voie un chemin supérieur à tout autre homme.
Pour moi ce serait ignorer que chaque homme a été créé par amour et pour l'amour même si le choix et le mal existe en lui. Cela n'enlève pas l'importance du message du Christ. Cela ne contredit pas ma foi dans le fait qu'il est le chemin. Mais je m'incline et m'inclinerai encore devant tout geste d'humanité véritable et au delà d'une confession où d'une grâce validée par l'Eglise. Les voies de Dieu restent insondables et pour paraphraser Ignace, l'homme est plus grand que ce que l'on perçoit de lui. C'est pourquoi, à mon humble avis, le Christ, unique médiateur, s'est mis à genoux et à lavé les pieds de notre humanité en devenir...

(1) cf. ibid p. 25

25 février 2006

Expérience ignatienne

Quand on fait également cette expérience et qu'on aspire à cette nourriture, il semble important de resouligner l'importance des exercices ignatiens dans la construction de la pensée de nos deux théologiens. C'est de fait marquer l'importance majeure de cette démarche dans la construction de leurs pensées. Elle repose sur deux constats, que nous partageaons avec euc :
- "Une expérience de Dieu est possible"
- et les "sens spirituels" ont une place majeure dans cette expérience.
Cette expérience se nourrit, comme l'indique saint Ignace de l'importance de la méditation des mystères de la vie de Jésus et cela conduit chez nos deux penseurs à "une commune insistance sur l'universalité de la volonté salvifique de Dieu". (1)

Dieu n'est pas un Dieu vengeur, mais comme l'affirme Ezéchiel, il ne veut pas la mort des pécheurs mais qu'il vive. Si Dieu s'est incarné, c'est dans ce but et c'est en cela qu'il nous fait la plus grande preuve de sa miséricorde.

(1) Rahner - Balthasar, ibid p. 20

Balises : Ignace Exercice Miséricorde Balthasar Rahner

24 février 2006

La primauté de la pastorale.

Que les deux penseurs aient eu "la conviction que la théologie n'est pas une fin en soi mais toujours au service de la pastorale et de l'annonce de la Parole" (p. 19) me semble essentiel à noter. Cela apparaît plus qu'une évidence. Il me semble que cela doit être même une exigence, pour éviter de sombrer dans l'auto-satisfaction du penseur, qui escalade seul les sommets de la recherche et ignore l'essentiel : la charité. Cela évoque en moi, ce que Balthasar notait dans Styles à propos du chemin de Pascal, qui a terminé sa vie dans la charité après avoir atteint des sommets de réflexion. L'essentiel est ailleurs, même si nous avons reçu le talent de la réflexion, elle ne peut être qu'un moyen et non une fin.

Sur ce thème : Balthasar Pascal Pastorale Théologie

23 février 2006

Dieu plus grand...

"Dieu toujours plus grand que nos idées surtout dans le sens où il est infiniment incompréhensible comme Rahner ne cessera de le répéter jusqu'à sa mort."
J'ai déjà mentionné cette phrase tirée de saint Ignace et reprise par Ratzinger. Qu'elle aie habité nos deux penseurs ne me surprend pas. Il y a dans les deux directions prises, la même trame commune, le même agenouillement du penseur devant l'infini de Dieu. Et je ne peux que m'agenouiller, quelques marches plus bas...
On comprend que lors de son oraison funèbre, Ratzinger puisse avoir dit de Balthasar, qu'il était un théologien agenouillé... C'est dans cette état d'esprit que la théologie peut être et évite de devenir la construction d'une tour de savoir...

Balthasar et Rahner...

Pour les lecteurs assidus du site "Chemins..." dont ce blogue n'est que la face Nord, le récit d'une longue escalade parfois ardue (voire un peu trop cérébrale, comme mon ami Renaud me l'a fait remarquer dans un commentaire), la traversée de l'oeuvre de Karl Rahner et de Hans Urs von Balthasar constitue depuis déjà 4 ou 5 ans une trame majeure. L'oscillation de nos réflexions entre ces deux courants de la théologie moderne est pour moi une expérience en soi. Et c'est avec un certain bonheur que je me suis lancé dans la lecture des actes du récent colloque qui a planché sur les harmonies et dissonances de ces deux grands chrétiens du XXième siècle. Ce blogue va donc continuer maintenant après J. Ratzinger dans le commentaire "live" de la lecture de "Balthasar, Rahner Deux pensées en contraste, colloque d'une rencontre" dans l'édition mise en page par Henri-Jérôme Gagey et Vincent Holzer (Editeurs) et publiée chez Bayard, Paris 2005
L'actualité de ce texte m'impose cependant une certaine prudence. Je limiterais donc les extraits afin de ne pas abuser de mon droit de citation et j'invite bien sur le lecteur à se reporter à l'excellent ouvrage.

22 février 2006

Construire

A travers un dialogue, "un parler ensemble", à travers la recherche en commun de solution aux divers problèmes en vue de la construction d'une société humaine, nous pouvons garder un optimisme étonnant, au delà du drame de ce monde.
La solidarité avec aujourd'hui semble en effet être la garantie d'un demain renouvelé. Et il faut pour cela, nous dit J. Ratzinger, que l'Eglise soit au service (et non pour être servie). Qu'elle demeure féconde dans le dialogue et qu'elle soit reconnue par la force de ses réalisations. (1)
Pour lui "ce n'est pas une constitution pastorale qui fait Vatican II mais l'ensemble pris autour de son centre réel la réception réelle du concile n'est pas commencée du tout. Ce qui a dévasté l'Eglise n'est pas sa réception mais le refus de sa réception." (...) "une découverte réelle du concile réel et l'approfondissement de sa volonté" est nécessaire. "Il ne peut pas y avoir de retour au Syllabus." (...) L'Eglise a du abattre de vieux bastions et se confier à la seule protection de la foi, de la puissance de la parole qui est son unique force vraie et permanente." En cela, le futur pape reprend l'image de Don Quichotte, qui affirme que derrière "les portes fermées il y a des valeurs qu'il ne faut pas laisser perdre si nous ne voulons pas perdre notre âme".
Il nous faut chercher "l'élément porteur, rechercher cela inébranlablement et accepter avec audace, d'un coeur joyeux et sans restriction la folie de la vérité, telle me semble être notre tâche pour aujourd'hui et pour demain : le point vraiment central du service que l'Eglise rend au monde, la réponse qu'elle apporte aux joies et aux espoirs, tristesses et angoisses des hommes de notre temps." (2)
Je trouve que ces paroles qui terminent ma longue lecture commentée de cet excellent recueil se suffisent à elle-mêmes, j'espère que cette mise en bouche vous permettra d'en entamer la lecture...

(1) d'après J. Ratzinger, ibid p. 426
(2) p. 437 et ss.
Rappel : Source des récents commentaires : Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie Catholique, Essais et Matériaux, Téqui, 1982, ed. 2005.


Pour retrouver la plupart des billets sur ce thème : Ratzinger Vatican II Concile Réception

21 février 2006

Vatican - II

Cette phrase me semble primordiale à noter : "ce qui est décisif c'est qu'il y ait des hommes - des saints - qui par un engagement de leur personne que nul ne peut leur imposer créent quelque chose de vivant et de neuf. La décision définitive, en ce qui concerne la valeur historique de Vatican II dépend de l'existence d'homme qui réuniront en eux même le drame de la séparation du bon grain et de l'ivraie et donneront là à l'ensemble cette clarté de sens qu'on ne saurait tirer de la lettre seule (..). Le concile a ouvert des voies qui conduisent inévitablement au coeur du christianisme (...) Il dépend des hommes qui transforment la parole en vie. " (1)
Et comment ne pas voir combien des hommes de notre temps on ainsi porté et amplifié plus que jamais cette fécondité conciliaire, de mère Thérésa à Jean-Paul II, mais plus simplement aussi, ces hommes et ces femmes qui nous entourent et qui sont signes à la foi de l'aour miséricordieux de Dieu et d'une transcendance réelle. Nous ne pouvons ignorer l'extraordinaire fécondité de notre Eglise...
Comme le disait Gaudium & Spes "l'Eglise coopère avec le monde pour construire le monde".
(1) d'après J. Ratzinger, ibid p. 420ss

Sur ce thème : Vatican II, Ratzinger, saint

20 février 2006

Conciles

On a souvent l'impression que Vatican II date de l'histoire ancienne, alors qu'en fait, il continue d'avoir sur notre Eglise une force de mouvement voire d'opposition virulente. J'ai découvert d'ailleurs que la "réception" du concile n'avait pas encore commencé...

"Tout les conciles ont d'abord pour effet d'ébranler l'équilibre, agissant comme facteurs de crise." (1) Et cet ébranlement est source de tensions et de failles, comme un tremblement de terre.
Au delà de la crise inévitable, J. Ratzinger note que Vatican II a réinséré dans l'Eglise une doctrine de la primauté qui restait encore dangereusement isolée, il a réintégré dans le mystère du corps du Christ une conception de la hiérarchie trop isolée elle aussi, il a rattaché au grand ensemble de la foi une mariologie trop isolée. Il a rendu à la parole biblique la plénitude de son rang. Il a rendu la liturgie à nouveau accessible et avec tout cela a fait un pas dans le sens de l'unité des chrétiens.
Voir les faits, et l'on peut maintenant essayer de construire, sur des bases nouvelles. Progresser dans lConcilesa réception de ce qui a été lancé. Certes l'agressivité y compris dans l'Eglise n'est pas du pessimisme mais de l'objectivité.... "On ne fait pas une omelette sans casser des oeufs" dit le vieux dicton populaire. Et il est plein de sagesse... Ratzinger note cependant que l' "on n'a pas le droit d'exagérer la part de Vatican II dans l'évolution la plus récente et dans un contexte de crise spirituelle généralisée.
Vatican II a amplifié la conception de l'Eglise pécheresse, conduit à la radicalisation de l'exigence biblique fondamentale et à une incertitude concernant notre propre identité qui reste toujours en question. (2)
"Il faut susciter à nouveau la joie de posséder intacte en sa réalité la société de foi qui provient de Jésus-Christ. Il est nécessaire de redécouvrir la voie de lumière qui est l'histoire des saints, l'histoire de cette réalité magnifique où s'est exprimé victorieusement au cours des siècles la joie de l'Evangile. (...)
Ne plus avoir dans l'image du Moyen-Age que l'inquisition mais des images de lumière...
Et de fait, même s'il s'exprime en 1982, il faut souligner que "la réception correcte de Vatican II n'a pas encore commencé
".

(1) d'après J. Ratzinger, ibid p. 412
(2) p. 415-6

18 février 2006

Sages et artisans de paix...

Travailler à la paix, chercher par tous les moyens à rétablir la paix, n'est-ce pas être au service de l'amour véritable ? Il ne s'agit pas de construire une paix factice, un mensonge ou une inégalité forcée, mais une paix du coeur...

A ce sujet, J. Ratzinger note une correspondance chez Augustin entre les béatitudes de l'esprit et les dons de l'esprit. (1) Il y a pour lui une unité interne de la vie spirituelle et les paroles du Seigneur ne peuvent pas, en fin de compte, présenter un autre modèle d'existence que celui offert dans la description de la plénitude intérieure apportée par l'Esprit-Saint. Pour Augustin le don de la sagesse est donné aux artisans de paix (cf. Mt 5,9)
Je retrouve là ce critère de discernement enseigné dans les exercices ignatiens. C'est lorsque l'on trouve la paix intérieure que l'on est proche de ce que Dieu nous murmure à l'oreille. Au delà des tempêtes de la pensée, de l'orgueil des mots, il y a dans le bruit d'un fin silence une musique qui se dessine, une harmonie qui s'établit. C'est le souffle discret de l'amour véritable, de la loi du coeur. Tenons notre lampe allumée.

(1) De Sermone Domini in monte I, Ic4 (PL 34, col 1235) et De Trinitate XII 19,24, d'après J. Ratzinger, ibid p. 408

17 février 2006

Foi, porte de la sagesse.

Je retrouve, cette affirmation de Jean Paul à Lourdes en 2005 : "femme sentinelles de l'invisible". Qu'est-ce qui donne à la femme une sagesse plus grande que celle de nos savants et nos philosophes. N'est-ce pas cette intelligence du coeur qui fait que l'amour prime sur les passions, que le coeur calme les élans par une raison profonde et que la foi y trouve une source incomparable.

16 février 2006

Sagesse - II

A la suite de la réflexion sur le suivre Jésus, on peut s'interroger sur la nature de cette sagesse qui n'est pas celle des homme mais celle de Dieu.
Dans les "loggia", on met dans la bouche de Jésus des paroles de sagesse, dans cette idée que Jésus était la sagesse de Dieu parlant parmi les hommes. Il y a d'une certaine manière "personnification de la sagesse dans la figure de Jésus" qui était "préparée par les écrits tardifs de l'Ancien Testament (...) la sagesse de Dieu est une personne, et pourtant elle est Dieu". S'il en est ainsi, on ne passe plus par le passage obligé à la raison philosophique tel qu'apporte Platon. La sagesse est en lien avec la foi. En cela, saint Augustin, note Ratzinger, par rapport à la philosophie élitiste de Platon, ouvre la sagesse à tous les hommes.
Bonaventure, voyant une femme à la foi profonde avait dit à ses frères étonnés que cette femme avait en définitive plus de sagesse que de grands savants. (1)
Pour Thomas d'Aquin, l'amour devient pour l'homme un oeil qui lui permet de voir (2)
Il y aurait donc une sagesse du coeur, qui est différente de toute connaissance. Elle s'apprend peut-être dans la méditation, le silence et la prière.
Tout un chemin...

(1) d'après J. Ratzinger, ibid p. 406-407
(2) in III Sent. 35,1

Autres pages sur ce thème : Prier sagesse Thomas Ratzinger Jesus suivre

15 février 2006

Suivre le Christ

Suivre le Christ sur le Chemin de la Perfection avec sainte Thérèse de Jésus par Sr Pascale Dominique de Sainte Thérèse
"La perfection de la religion est d'imiter Celui que tu adores. Saint Augustin"

Je voudrais étudier la suite du Christ dans le Chemin de Perfection. Des travaux traitent des
livres de sa Vie et des Demeures, mais je n'ai pas trouvé d'étude qui aborde le Chemin sous cet
angle. Nous allons aborder les textes avec les Constitutions des Carmélites à l'appui car nous y
trouvons parfois d'excellentes synthèses de deux points de vues complémentaires : premièrement
en posant la question de la personne de Jésus dans le Chemin. Qui est-il aux yeux de sainte
Thérèse et comment le présente-t-elle à ses filles ; Ensuite nous allons considérer comment elle
leur propose de Le suivre.

Lire la suite... (PDF)

Appel à la sagesse...

Dans Isaïe 11,5, la sagesse est décrite comme le propre de l'Esprit de Dieu. Pour Platon déjà la sagesse au sens propre appartient cependant à Dieu seul mais l'homme peut être philosophe c'est à dire "en quête amoureuse de la sagesse". C'est en cela qu'il a reçu l'Eros, cette ouverture de l'homme qui l'oblige à dépasser toujours les limites du connaissable pour accéder à l'éternel.
Ce n'est pas le même Eros qui règne sur le monde. On en est loin, même si ce dernier ignore ce qu'il cherche au fond de lui...
"Dans un monde totalement rationalisé où on en arrive précisément à une dictature terrifiante de l'irrationnel incontrôlé, là au contraire où dans l'Eros visant à l'Eternel, se fondent connaissance et amour, là vient s'illuminer la sobriété du rationnel, là le rationnel rejoint la fécondité et chaleur, à partir des profondeurs de l'esprit dans lequel vérité et amour sont inséparablement une même réalité" (1)
La sagesse rime plus avec la patience, le discernement, la prise de distance. Ce n'est pas la culture du zapping mais la persévérance au-delà de l'ennui, de la routine, dans la fidélité à un chemin plus escarpé...

(1) d'après J. Ratzinger, ibid p. 406

14 février 2006

Jésus et la Samaritaine...(Jn 4)

J'ai toujours été frappé par la correspondance entre le "J'ai soif" prononcé par Jésus à la Samaritaine et son cri lancé sur la Croix. Il y a dans cette interpellation de l'humanité, tout un discours, une invocation du coeur.
Au delà d'une discussion sur la soif de l'eau (bios) en opposition à la soif de la vie proprement dite (zoé), Jésus face à la Samaritaine nous enseigne le chemin d'une pastorale.
La nouvelle étape survient lorsque la femme, à partir de la question de la soif de vivre se met en jeu dans la totalité de la personne (...) La demande de Jésus : "appelle ton mari" est nécessaire "parce que c'est sa vie en tant que tout, avec toute sa soif qui est en question. Par là apparaît comme de lui même ce dilemme essentiel, l'orientation en profondeur de son existence : elle est placée en face d'elle même. Plus généralement, nous pourrions ramener ce qui se joue ici à la formule : l'homme doit nécessairement se reconnaître lui-même, reconnaître sa réalité profonde pour pouvoir reconnaître Dieu. Le milieu propre, l'expérience originelle où se situent toutes les expériences c'est que l'homme est lui-même le lieu dans lequel et par lequel il fait l'expérience de Dieu" (...) passer de l'empirique à l'expérimental jusqu'à l'expérientel. "Aller jusqu'à l'être le plus profond du moi propre et par là de l'intelligence radicale qui est ce moi-même de l'homme, là où on le découvre derrière la superficialité de quelque chose" tel est pour J. Ratzinger l'essentiel d'une démarche qui conduit à la vérité.
C'est pourquoi, ajoute-t-il nous devons considérer ce dialogue universellement comme le type natif de la catéchèse"ce à quoi l'on doit toujours tendre en dernière analyse dans la catéchèse : elle doit absolument conduire du quelque chose au "je" (...) mettre en jeu l'homme, mettre en évidence l'indigence et le besoin d'être". Il nous faut conduire à cette soif, telle est l'orientation et le sens de toute catéchèse. Elle ne peut faire autrement que de prendre son départ dans la partie sensible de l'homme (...) passer du royaume de quelque chose à l'être.
Pour J. Ratzinger, le but final est d'atteindre la métanoia, la conversion, le retournement de l'homme dont la conséquence est qu'il se trouve devant lui-même. La conversion est identique à la connaissance de soi, et celle ci est le coeur même de toute vraie connaissance (1)

(1) d'après J. Ratzinger, ibid p. 396-7

13 février 2006

Expérience de Dieu - II

Pour J. Ratzinger, il y a 3 moyens d'entrer dans l'expérience chrétienne.
a) la vie en commun de la foi et de la liturgie à travers la paroisse, la communauté
b) la découverte du croyant qui est lumière pour les autres.
c) le saint qui est figure vivante jusqu'à avoir le "goût du divin"
Comme il le souligne, on ne peut goûter à la lumière (cf. Ps 34,9, 1 P 2,3, Hb 6,4) sans être transformé tout entier. Et cependant toute expérience mystique est une expérience rare. Elle ne doit pas être un but en soi car alors "la foi deviendrait une jouissance en soi au lieu d'être un dépassement de soi et serait infidèle à sa nature. La découverte de Dieu, l'expérience du bien en Dieu doit être soumise à ce qu'on appelle la loi du mont Thabor (là où les apôtres témoins de la transfiguration voulaient planter une tente). L'expérience joyeuse de Dieu n'est pas un lieu de séjour mais "un encouragement, une confort pour pénétrer de façon nouvelle la vie quotidienne, muni de la Parole de Jésus Christ et pour comprendre que le faisceau de la lumière de la proximité divine est présent là où on va de l'avant, muni de la parole..." (1)
Cela rejoint ce que je soulignais plus haut sur la croix. La joie n'a de sens que parce qu'elle prépare au dépouillement. Les amis de l'époux ne jeûnent pas tans que l'époux est là. Mais viendra un temps où ils jeûneront... (cf. Mt 9,15). Prenons garde à ne pas rester au Thabor dans nos rassemblements, car c'est dans la persévérance et le dépouillement que la puissance de Dieu se manifestera vraiment.
Pour J. Ratzinger nos catéchéses peuvent stagner, si elles ne sont pas une dynamique de progrès propre, dans la mesure où elle se contenterait, se réduirait à un "cercle élémentaire d'offre et de demande" (2) qui enfermerait l'homme dans le donné, sans aller jusqu'à une interrogation, une interpellation véritable "juste au moment où il devrait être libéré et conduit au large" (2)

(1) d'après J. Ratzinger, ibid p. 394
(2) ibid p. 395

10 février 2006

L'expérience de Dieu

Comment l'expérience de Dieu se manifeste-t-elle en l'homme ?
Comment la liberté est elle laissée à l'homme face à l'infini de Dieu ?
Quelques éléments de réponse :

Pour J. Morroux, l'expérience chrétienne peut être de trois ordre :
a) l'expérience empirique
b) l'expérimentale
c) l'expérientielle...

Comment expliquer cela. Cela repose d'après Ratzinger sur plusieurs notions (1).
Chez Aristote on trouve que rien ne peut entrer dans l'intellect s'il n'est d'abord entré dans les sens.
A l'inverse chez Platon, rien n'est perçu sans une intellection préalable. Nous interpellons la nature (c'est pourquoi Heidegger parle de "mise en demeure").
La découverte expérientielle ou expérience existentiale serait d'assumer le principe spirituel tout en lui laissant la liberté. En cela l'autre est laissé libre
"Ce n'est que par le renoncement à toute expérience partielle que se donne à nous la totalité de l'être. Dieu a besoin de vases vides de tout intérêt personnel pour y infuser son essentiel désintéressement." (2)

Cela a pour moi des conséquences importantes : "l'éducation qui veut mener à une expérience religieuse dans la vie de l'homme telle qu'elle se présente restera sans résultat, si elle n'est pas dès le début une éducation au renoncement" (3)
"Bienheureux ceux qui ont le coeur purs car ils verront Dieu (Mt 5,8).

Pour les Pères de l'Eglise poursuit Ratzinger, voir Dieu, le connaître "dépend de la purification du coeur, ce qui signifie un processus global dans lequel l'homme devient transparent, ne reste pas enfermé sur lui-même, apprend le libre don de soi et devient par là-même un "voyant". Du point de vue de la foi chrétienne, on pourrait exprimer cela de la sorte : l'expérience religieuse, au sommet de l'exigence chrétienne a le caractère de la croix. Elle comporte ce qui est la marque fondamentale de l'être humain : le dépassement de soi. La croix libère, elle donne d'être voyant" (4)

Dans le billet précédent nous cherchions où se trouve l'infini de Dieu. Peut-être peut-il apparaître de bien des manières, mais ces apparitions ne prennent leur ultime lumière que lorsque le voile se déchire (Marc 15,38 - katapétasma) de haut en bas. Tout nos efforts et nos "bonnes nouvelles" sont fragiles s'ils ne conduisent pas, s'ils ne préparent pas à la révélation de l'amour d'un Christ nu et exposé sur une croix. Ne pas croire cela, c'est refuser deux mille ans de tradition qui voit en Christ l'unique médiateur. Le mystère glorieux de la Croix domine et transcende toute catéchèse. Et s'éloigner de cette annonce, c'est masquer l'essentiel. Cela ne veut pas dire que nous devons brandir la croix à quatre vents, mais cela sous-entend qu'une pastorale qui fait l'impasse de la mort ET de la résurrection du Christ est une pastorale qui ignore l'essentiel.

(1) ibid p.388
(2) Hans Urs von Balthasar, in Gottesfahrung biblisch und patristisch
(3) d'après J. Ratzinger, ibid p. 388 à 392
(4) ibid p.393

Sur le même sujet : Expérientiel Liberté Croix Ratzinger Médiateur

09 février 2006

Dieu "semper major..."

On peut toujours chercher à philosopher, à faire de notre vision de Dieu, un modèle bien carré et bien polissé. La réalité de Dieu est toujours plus grande que nos expériences, plus grande aussi que nos expériences même de Dieu et c'est peut-être en cela qu'il est Dieu, infini...
Face à cette interpellation du divin, on peut s'interroger sur nos essais d'évangélisation. La foi, en effet ne peut simplement être transmise selon le seul schéma de l'offre et de la demande car elle ne pourrait plus rayonner sa propre réalité. L'homme s'interroge trop peu et pas nécessairement de façon correcte souligne Ratzinger (1). Nous avons a tout mettre en oeuvre pour que La Rencontre soit une irruption, une épiphanie et en cela l'apparition de l'infini au delà de nos schémas et de nos explications rationalisantes. Et ce chemin est valable pour tous nos efforts de pastorale. On croit qu'en répondant à la faible demande par une offre légère on ne brusque pas la personne et que l'on respecte son cheminement. C'est je pense important. Et je n'ai cessé de défendre cette thèse. Et cependant, je conçois qu'à trop aller dans ce sens nos pastorales soient trop gentillettes. Nous mêmes sommes parfois endormis dans la routine du "on sait faire", mais ne sommes nous pas alors comme le frère du fils prodigue, assis à côté d'un trésor et incapable de le partager...
Que faire ? La tentation de certains est de foncer dans le prosélytisme forcené ou la catéchisation à outrance. Le chemin est à mon sens plus subtile. Il s'agit d'accompagner tout en laissant place au travail du coeur. Et ce travail du coeur doit être le fruit d'un jaillissement. "Longtemps je t'ai cherché et tu étais là, et je ne le savais pas" disait saint Augustin...
(1) ibid p. 388

08 février 2006

Comme une danse

Pour être un bon danseur (...) il ne faut pas savoir où cela mène (...) il faut être comme un prolongement agile et vivant, de Vous, et recevoir par Vous la transmission du rythme de l'orchestre. Il ne faut pas à tout prix vouloir avancer, mais accepter de tourner, d'aller de côté. Il faut savoir s'arrêter et glisser au lieu de marcher. Et cela ne serait que des pas imbéciles si la musique n'en faisait une harmonie.
Mais nous oublions la musique de Votre Esprit, et nous faisons de notre vie un exercice de gymnastique ; nous oublions que dans Vos bras, elle se danse, que Votre sainte volonté est d'une inconcevable fantaisie, et qu'il n'est de monotomie et d'ennui que pour les vieilles âmes qui font tapisserie dans le bal joyeux de Votre amour.
Révélez-nous le grand orchestre de vos desseins, où ce que vous permettez jette des notes étranges dans la sérénité de ce que Vous voulez. Faites nous vivre notre vie, comme une danse dans la musique universelle de l'amour.

Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, Seuil, p. 91-92

07 février 2006

L'Eglise

L'Eglise, c'est ma mère. Oui, l'Eglise, toute l'Eglise, celle des générations passées qui m'on transmis sa vie, ses enseignements, ses exemples, ses moeurs, son amour, et celle d'aujourd'hui; toute l'Eglise, non seulement l'Eglise officielle, ou l'Eglise enseignante, ou comme nous disons encore, l'Eglise hiérarchique (....) mais plus largement, plus simplement l'Eglise vivante, celle qui travaille, qui prie, qui agit et se recueille (...) Dans cette communauté, je trouve mon soutien, ma force ma joie. Cette Eglise, elle est ma mère. L'Eglise est ma mère, parce qu'elle m'a enfanté à la vie. Elle est ma mère, parce qu'elle ne cesse de m'entretenir et, si peu que je m'y prête, de s'approfondir dans la vie.

Cardinal Henri de Lubac, sj, Paradoxe et mystère de l'Eglise, Aubier p. 14-16

06 février 2006

Joseph, ministre du salut

La paternité de Joseph s'est exprimée concrètement dans le fait d'avoir fait de sa vie un service, un sacrifice au mystère de l'Incarnation et à la mission rédemptrice qui lui est liée. (1) (...)
Il a fallu que le Christ aussi fût recensé dans ce dénombrement de l'univers, parce qu'il voulait être inscrit avec tous pour sanctifier tous les hommes et être mentionné sur le registre avec le monde entier pour offrir à l'univers de vivre en communion avec lui. (2)
La sanctification de la vie quotidienne à laquelle chacun doit s'efforcer en fonction de son état et qui peut être proposée selon un modèle accessible à tous : "Saint Joseph est le modèle des humbles..." (3)

Cette rapide lecture de l'exhortation apostolique de JP II apporte sa moisson d'éclairages, sur des chemins pourtant déjà parcourus... Comme souvent dans mes périgrinations, je retrouve dans ces textes des éléments qui éclairent ma propre recherche et qui sont toujours des lieux de méditation possible.

(1) Paul VI, allocution du 19 mars 1966
(2) Redemptoris Custos, Exhortation apostolique de Jean-Paul II, § 9
(3) Redemptoris Custos, Exhortation apostolique de Jean-Paul II, § 24

05 février 2006

Lectio Divina - Saint Jean de la Croix

La Sainte Écriture était, pour saint Jean de la Croix, la première des quatre « sources » de vie chrétienne et spirituelle :
1. la Sainte Écriture,
2. l'Église (avec ses ministres),
3. l'expérience et
4. la science.

C'est sur elle qu'il appuya l'enseignement dans ses écrits, tout en les soumettant humblement à la vigilance du Magistère. Au début du prologue de la Nuit obscure il écrit :
je me servirai pour tout ce que, avec la faveur divine, j?aurai à dire (au moins pour le plus
important et obscur à entendre) de la Divine Écriture, laquelle prenant pour guide nous ne
pouvons errer, puisque celui qui parle en elle est le Saint Esprit
.

Lire la suite de l'article de sr P. Nau dans Chemins (PDF de 738 Ko)

Toujours en marche

"Deus semper major" disait saint Ignace de Loyola (Dieu toujours plus grand). Pour J. Ratzinger "il est possible de le percevoir que si nous ne restons pas stationnaire mais lorsque l'on reconnaît l'expérience comme un chemin et où l'on s'efforce à le prolonger..."
Cela fait rebondir pour moi ce que je viens d'esquisser dans le billet précédent sur l'hyperbole. La parabole nous aide à comprendre, nous permet d'accéder à l'insaisissable, mais il nous faut marcher pour entrer dans la voie de l'hyperbole, à laquelle la parabole nous a introduit...

(1) d'après Joseph Ratzinger, ibid p. 387

Sur le même thème : hyperbole Ratzinger ignace

04 février 2006

Un nouveau blogue

Je vous invite à visiter "Un autre regard sur l'actualité" que je viens de créer pour ne pas polluer ce blogue avec des réflexions qui ne sont pas en lien avec les lectures mentionnés et suivies qui constitue l'essence de ce blogue...
Ce blogue est à lire en regard avec ma "Revue de presse catholique" et explique indirectement certains choix éditoriaux fait dans la sélection de cette analyse des flux RSS.

J'en profite pour rappeler l'existence de la chaîne des blogues catholiques ouverte à ceux qui le désirent... ainsi que notre projet de Lectio divina à partir de l'évangile de saint Jean (ouverture le 1er mars 2006)...

La parabole

La parabole est une "structure selon laquelle est ouvert l'accès au mystère du royaume de Dieu. Les paraboles ont deux fonctions principales : a) elles éclairent le domaine de la création en un dépassement qui lui fait atteindre le créateur b) elles assument l'expérience historique de la foi en ce qu'elles prolongent les paraboles nées au sein de l'histoire d'Israël (...) dans la parabole "vient révéler se qui se cachait dans les choses mêmes". La réalité est auto-transcendance et quand l'homme est amené à le transcender il en vient non seulement à percevoir Dieu mais aussi à percevoir enfin la réalité pour la première fois et à faire qu'enfin lui-même et la création accèdent à l'être. (1)

Je retrouve là une correspondance avec la notion d'hyperbole découverte dans Beauchamp ou Ricoeur. Mais là où la parabole fait dans un mouvement ascendant un appel à la transcendance pour expliquer et habiter le réel, l'hyperbole (comme par exemple les béatitudes) sont un envoi vers l'au-delà de ce que nous pouvons porter seul, un appel à l'aide de la grâce ?

(1) d'après Joseph Ratzinger, ibid p. 386

03 février 2006

La voie des sens...

Pour saint Thomas d'Aquin : "Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu". (rien ne peut être par l'intelligence qui ne soit entré d'abord par les sens). Et l'"anima forma corpus" (l'âme est le principe formel du corps). Pour lui, la voie de la connaissance humaine exige toujours la compénétration de l'instrument corporel et de l'assimilation spirituelle. Cette vision était à l'époque un scandale au vue de la tradition augustino-platonicienne mais "il fallait le faire" ajoute J. Ratzinger, car s'il est vrai que dans l'homme l'esprit n'existe qu'incarné cette thèse épistémologique vaut pour toutes les modalités de la connaissance humaine. Pour Thomas, la connaissance de Dieu ne peut se faire sans nos sens. La voie qui permet de penser Dieu passe par la perception des sens et nous est donnée à travers eux. Cela implique que toute catéchèse ou catéchuménat doit passer par les sens. (1)
Ces paroles raisonnent dans tous ces parcours qui font de la "catéchèse par les pieds", comme ces souvenirs de pèlerinage en Terre Sainte où l'on a pu expérimenter ce que veut dire monter à Jérusalem...
(1) d'après Joseph Ratzinger, ibid p. 385

02 février 2006

Pluralisme et liberté

"Un chrétien défendra la pluralité des types d'éducation. La foi chrétienne qui est convaincue de la vocation de chaque homme en particulier mettra plutôt en évidence l'égalité des voies différentes et reconnaîtra dans la symphonie des multiples vocations l'intérêt et l'égale dignité de tous les hommes". (1)
Je crois qu'il y a là une grande sagesse qui devrait faire taire les apôtres de la voie unique, du moi j'ai raison. Car dans cette symphonie peut se construire la véritable cathédrale des coeurs... (1) "La révélation de Dieu a été adressée aux simples, non pas dans un ressentiment contre les grands comme Nietzsche le prétend, mais parce qu'il y avait chez eux cette précieuse naïveté qui ouvre à la vérité et ne succombe pas à la tentation intellectuelle du nihilisme (...). La culture chrétienne sera une parce qu'elle est une éducation du respect." (2)
La culture du respect...
N'est-ce pas ce qui nous manque le plus... Y compris sur certains blogues, ou au nom d'une vérité, on oublie de respecter l'autre pour ce qu'il est : "Une histoire sacrée", faite d'ombre et de lumière mais digne d'attention et de respect. La tentation de l'écriture, comme toute démarche intellectuelle, n'échapppe pas à la tentation de la toute puissance et son lot de jugement et d'orgueil... Mais voila que je sombre moi aussi dans le jeu... Halte au feu... :-)
(1) d'après Joseph Ratzinger, ibid p. 383
(2) ibid p. 384