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14 juillet 2021

 Prophète en son pays ? - vocation et danse 2

L’office des lectures nous conduit depuis hier dans la manducation du cycle d’Elie. Après la belle espérance de la veuve de Sarepta, nous méditons aujourd’hui le défi lancé par Élie aux prêtres de Baal. Souvent la lecture s’arrête avant la fin du chapitre nous épargnant le massacre des prêtres par un Elie vainqueur, qui n’est pas simple à commenter sauf à prendre du recul et contempler l’ensemble du cycle. 


La figure même du prophète est délicate. Les chapitres 17 et 18 du premier livre des Rois préparent sa lente conversion, même si la fin du chapitre 18 montre qu’il reste empreint d’un désir de puissance.

Déjà, des similitudes apparaissent néanmoins avec ce que nous avons vu à propos de Moïse (cf. notamment Ex. 2). Le chapitre 19 semble nous plonger plus encore dans la question de la légitimité du prophète.

Comme le souligne d’ailleurs A. Wénin, la toute-puissance du prophète s’est exprimée par ses seules forces et l’on peut se demander à juste titre dans cette

introduction si Dieu est bien présent : « Selon le narrateur, Élie n’a pas reçu mission du Seigneur pour lancer son défi et provoquer la sécheresse.

Pas plus d’ailleurs que le Seigneur ne lui dira de convoquer les 450 prophètes de Baal (1 R 18 17-46).

Au contraire, le Seigneur lui avait seulement dit, la 3ème année de la sécheresse, d’annoncer à Akhab que la pluie allait revenir. Élie continue de professer un « super Baal », logique de puissance et de concurrence qui n’engendre que la mort (1R19, 1-5) (1)

Mais s’arrêter là serait oublier la suite du récit qui raconte la fuite de « Superman » au désert. 

L’enjeu du récit est finalement le basculement, la transformation d’Élie, qui après son excès de zèle devient plus passif, jusqu’à la limite de l’agonie et du découragement, (début du chapitre 19) jusqu’à son interpellation double « que fais tu Élie ?  » qui rime avec l’où es-tu ? de Gn3 et va encadrer sous forme de chiasme (2) la révélation de la brise légère lieu délicat transformation du prêtre autonome en un « agissant » POUR Dieu,  capable d’accomplir des gestes pour Yhwh : appeler, oindre, justifier… Il y a-t-il là, comme dans nos autres récits un véritable chemin d’humilité,

un peu forcé, d’Élie, source d’une descente de tours, d’une conversion intérieure qui rend la rencontre possible ? 

Il faut prendre le temps de manduquer doucement ce texte pour comprendre que nos désirs de puissance, nos fantasmes de Dieu porteur du feu et du tonnerre doivent s’effacer devant cet « invu » qu’évoque Jean Luc Marion dans son dernier livre(3)

Le bruit d’un fin silence est le mystère qui prépare le déchirement ultime du voile et révèle que Dieu est amour.(4)


PS: Toute ressemblance avec une certaine forme de cléricalisme actuel est fortuite 😉 


(1) André Wénish, l’homme biblique, p.163

(2) un chiasme est une structure littéraire qui encadre par une répétition un point essentiel 

(3) D’ailleurs la révélation 

(4) cf. aussi François Varonne Ce Dieu censé aimer la souffrance et ma « Pédagogie divine »…

11 juillet 2021

Prédestination et danse

La deuxième lecture de ce dimanche m’a toujours interpellé. 

Qu’est ce que vise l’auteur de cette lettre, 

probablement un disciple de Paul ? 

Que veut dire ce mot « prédestiné » qui écorche ma lecture par le sens détourné du mot français ? 


Comme le souligne MN Thabut « Paul y déploie la grande fresque du projet de Dieu, et il nous invite à nous associer à sa contemplation émerveillée. Ce projet que nous avons pris l’habitude (avec la traduction oecuménique TOB) d’appeler « le dessein bienveillant de Dieu » est de rassembler l’humanité au point de ne faire qu’un seul Homme en Jésus-Christ, à la tête de la création tout entière : « récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. »(1) 


Prenons le temps d’entendre ce que nous dit Paul, son insistance sur le mot « par le Christ », sur cette notion de « récapitulation » qui donne en Christ la clôture d’une pédagogie divine(2), voire d’un agenouillement (3). 


      « Il nous a choisis, 

DANS le Christ,

       avant la fondation du monde,

POUR  que nous soyons saints, immaculés 

DEVANT lui, 

DANS l’amour.

       Il nous a prédestinés

       à ÊTRE, 

POUR lui, des fils adoptifs

PAR Jésus, le Christ.

        Ainsi l’a voulu sa bonté,

        à la louange de gloire de sa grâce,

        la grâce qu’il nous donne

DANS le Fils bien-aimé.

EN lui, 

PAR son sang,

        nous avons la rédemption,

        le pardon de nos fautes.

        C’est la richesse de la grâce

        que Dieu a fait déborder 

JUSQU’A nous

EN toute sagesse et intelligence. 

        Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,

        selon que sa bonté l’avait prévu 

DANS le Christ :

POUR mener les temps à leur plénitude,

         récapituler toutes choses 

DANS le Christ,

         celles du ciel et celles de la terre.

EN lui, nous sommes devenus

          le domaine particulier 

DE Dieu,

          nous y avons été prédestinés 

          selon le projet de celui qui réalise 

          tout ce qu’il a décidé :

          il a voulu  que nous vivions 

          à la louange de sa gloire,

          nous qui avons d’avance espéré 

DANS le Christ. »


(Eph 1)


J’ai souligné certains conjonctions qu’il faut déguster doucement, en soulignant cet « en Christo » qui rappelle les longs développements d’Hans Urs von Balthasar dans sa dramatique divine.


En Christ, par Lui, dans son amour…

Pour nous.

Dans… pour…


« Providentiellement, la liturgie de ce dimanche nous fait chanter le psaume 84/85 qui est une variation sur le même thème ; et c’est peut-être bien le meilleur écho à la méditation de Paul » (4) 

« J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ? 

Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple. 

Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. 

Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; 

la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. 

Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits, 

et notre terre donnera son fruit. 

La justice marchera devant lui, 

et ses pas traceront le chemin. »


« Première bonne nouvelle, Dieu a un projet sur nous et sur l’ensemble de la création ; l’histoire humaine a donc un sens, ce qui veut dire à la fois direction et signification ; pour les croyants, les années ne se succèdent pas toutes pareilles, notre histoire avance vers son accomplissement : nous allons, comme dit Paul, vers « la plénitude des temps ». Ce projet, nous ne l’aurions pas deviné tout seuls, c’est un « mystère » pour nous, car il nous dépasse infiniment, alors Dieu nous le révèle.(5)


Cette notion de prédestination dans Ephesiens est intéressante à contempler, non comme nous l’entendons en une voie rectiligne qui nous enlèverait toute liberté mais comme le « rêve de Dieu » (6) pour l’homme, ce pourquoi il est prêt à tout donner à commencer par son Fils.


En contemplant le don de Dieu, nous percevons ce rêve - celle d’un Dieu qui a sorti sa flûte et aimerait nous voir danser….


Et nous pouvons entendre, comme une musique de fond, ténue et fragile, cet « où es-tu ? » de Dieu qui résonne depuis l’appel de Dieu au jardin de Gn 3 (7)


Alors que l’office des lectures nous fait entrer dans le cycle d’Elie et avant de goûter et sentir la brise légère du chapitre 19 de Rois, goûtons à l’espérance d’un Dieu qui aime et nous invite à aimer…


Être prédestiné, n’est pas être forcé mais bien invité. Je m’énerve parfois sur cette prière trop insistante : « donne nous des saints prêtres ». Ce dont nous avons besoin est plus vaste : Seigneur, donne nous des marcheurs, qui portent la nouvelle de ton amour, avec une seule paire de sandale et dansent ainsi avec leur Dieu. 


(1) Marie Noëlle Thabut, https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/517019-commentaires-du-dimanche-11-juillet/

(2 et 3) voir sur Fnac mes livres éponymes 

(4 et 5) Marie Noëlle Thabut, ibid

(6) expression chère à François, cf. notamment un temps pour changer 

(6) cf mon post https://www.facebook.com/100003508573620/posts/3884736641653250/

07 juillet 2021

Danse ou lutte de Jacob ?

Le texte d’hier est une belle source de méditation.  Selon Paul Beauchamp les deux rencontres, celles de Dieu et celle d’Esaü, sont liées. Jacob lutte pour franchir le torrent, mais cette lutte symbolique face « aux forces qui dépassent l'homme » reste énigmatique et pleine de sens. Car la force de l'adversaire est sans limites. 


Qui était l'adversaire ? écrit Beauchamp, homme ou Dieu‍ ? Le Targum considère que c’est un ange : « Laisse-moi aller, dit-il, car le moment est arrivé pour les anges d’aller célébrer ; et c’est moi le chef de ceux qui célèbrent »

Quelle que soit la nature de cet opposant, Beauchamp considère que l’on peut inférer de sa réponse, que tout ce qui s'était joué jusqu'ici avec les hommes, audace ou ruse, se jouait ici avec Dieu. 


Comme le souligne F. Garcia, l’homme/ange sans nom symbolise chacun des personnages contre qui Jacob a lutté (Esaü, Isaac, Laban). Celui qui apparaît comme un homme au début du récit se révèle en finale être « Dieu ».


Et cela préfigure le destin d’Israël, mais aussi de tout homme. 

(…)


Est-ce à dire que, dans une démarche de pardon, il nous faut franchir le pas de la lutte intérieure contre notre désir ?

Trouver dans l’isolement le temps d’un décentrement véritable. Le franchissement est une étape. Beaucoup de textes présentent le franchissement d’un fleuve (Jos 3,…) ou de la mer (Ex 14) comme un rite initiatique. À nous de repérer puis de traverser cet obstacle. Les chrétiens ont donné plus de sens à ce type de franchissement, à la suite de la plongée du Christ dans le Jourdain, en instituant le sacrement du baptême. Un baptême qui nous fait traverser la mort pour naître d’une vie nouvelle. Un franchissement que nous sommes appelés à renouveler, à actualiser, face aux reculs de la vie.


Mais la cristallisation chrétienne sur un sacrement ne doit pas occulter les autres obstacles qui nous empêchent d’aimer, nos adhérences.

La lutte de Jacob prend alors une “ne doit pas occulter les autres obstacles qui nous empêchent d’aimer, nos adhérences.

La lutte de Jacob prend alors un sens plus vaste. Elle symbolise nos combats entre ce qui mène à la vie et ce qui mène à la mort. Ce combat se rejoue à chacune de nos rencontres, dans notre capacité à croiser un frère, à dépasser nos désirs de victoire et de pouvoir sur l’autre. Le passage du fleuve signe la mort de notre désir tout puissant et l’ouverture d’un dialogue. Et la blessure reçue n’est pas qu’une marque qui fait souffrir, elle peut être aussi lieu de progression et de

discernement. Dans ce combat, le pardon donné au frère prend une place privilégiée. Alors le fruit de ces rencontres surmontées peut être chemin vers la rencontre de Dieu.


A méditer

06 juillet 2021

Silence et danse

 

Certains ont fuit la maison de Dieu faute d’y trouver un accueil à la hauteur de leur espérance.

D’autres mettent sous le boisseau leur bouillonnements intérieurs et se réfugient 

dans le silence.

Certes le désert est lieu intime de conversion et de purification (1) et cependant vient un temps où il faut parler, crier, pour faire entendre sa voix.

La lettre d’estive (2) de François Cassingena-Trévedy mérite à ce titre un écho substantiel tant il touche à l’essentiel. Nous avons besoin de voix qui portent, qui touchent « à la jointure de l’âme », réveillent nos torpeurs et se répètent à l’envie jusqu’à ce qu’une communauté d’orants se lèvent ensemble, loin des clivages anciens pour transformer l’Église en une force neuve. Des chrétiens qui inventent, sans rétroviseurs, un nouveau vivre ensemble et revêtent le Christ, non pas en for externe, en noir ou en blanc, mais dans la transcendance revisitée d’âmes qui vibrent et dansent avec leur Dieu…

Lumières fragiles qui reflètent en mille feux des lueurs discrètes d’un feu qui vient d’ailleurs.


(1) cf. mon chemin du désert 


https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3604442796446867/?d=n

27 juin 2021

Mourir ou Danser

 Mourir ou danser ?  - Essai de méditation sur les textes de dimanche, version 5 😉

Quel est le contexte de l’Evangile ? 

Jésus regagna en barque l’autre rive

L’autre rive…

Est-elle inaccessible cette autre rive…? 

Rappelons nous ce « passons sur l’autre rive » de la semaine précédente ou cet « avance au large » qui lui fait écho… 

Quitter nos certitudes…

Quitter nos peurs…

Contempler la lumière…


Regardons d’abord le contexte..

Jésus est au bord de la mer.

La mer pour les juifs c’est la mort…

Marc nous parle de mort 

Marc va nous parler d’espérance…

Peut-être faut-il voir là ce qu’on appelle une « tension théologique » au lieu de se figer dans la critique perpétuelle…?

Nous sommes empêtrés dans ce qui conduit à la mort. Peut-être nous faut il entendre l’appel au milieu de la tempête ?


Face à cela deux attitudes, celle de Jaire qui renonce à toute sa puissance de chef et tombe à genoux(1), et cette femme perdue qui rêve de guérison mais n’a pas la force de demander, deux extrêmes et une autre tension qui interpelle notre propre façon de croire… et notre façon de prier…

Osons nous demander ?

(Sachant que les dons de Dieu dépassent notre requête comme le souligne Paul)..


Quel est l’enjeu ? 


Que nous disent finalement les textes de ce dimanche ? 

En écho à dimanche dernier ?


« Dieu n’a pas fait la mort… » (Sg 1, 13)

« Dieu est fort comme la mort » dira le cantique

« Dieu est plus fort que la mort » nous dit le Ressuscité…

Contemplons cette progression..


Sommes-nous déjà capables d’affirmer que « Dieu n’a pas fait la mort… » comme le fait le livre de la Sagesse ?

Est-ce pour nous une certitude ? 

Un point central de notre foi ?


En ce 13eme dimanche, c’est peut-être ce que nous sommes invités à contempler dans nos vies…

Certes le mal nous envahit…

Le mal de peine comme le mal causé…(2)

Certes nous avons perdu, autour de nous, des êtres chers et ce sont pour nous autant d’épines dans notre foi et dans notre confiance en Dieu…

Mais Dieu n’a pas fait la mort…ni voulu le mal…

La mort n’est ni punition ni désir d’un Dieu sadique…

Elle est…

Et Dieu ne la désire pas…

Et il souffre comme nous…

Il se contente de pleurer à nos côtés 

D’aimer la vie

De guérir nos blessures 

De purifier nos cœurs comme le lépreux croisé vendredi.

D’arrêter en nous ces flots de sang et de larmes

De mettre en nous l’espérance 


Osons lui demander la vie !

Osons tomber à genoux comme il se met à genoux devant nous !

Car seul Dieu peut nous relever de toute désespérance…


Talitha Koum

Lève toi…

Dieu a besoin de tes mains

Dieu a besoin de tes forces

De ton espérance 

De ta joie

De ta foi…


Laissons en nous résonner les paroles du psaume.

« Avec le soir, viennent les larmes,

mais au matin, les cris de joie.

Tu as changé mon deuil en une danse,

mes habits funèbres en parure de joie. »


Le monde est figé dans la mort

l’Église est figée dans ses turpitudes passées 

Mais entend elle la voix du Seigneur qui ne cesse de dire « où es-tu ? » depuis Gn 3….? (3)


Écoutons Jésus dire et redire :

« Avance au large

N’aie pas peur

Je t’attends sur l’autre rive… »

Viens danser 😉


Approchons nous de Lui.

Cherchons à le toucher comme cette femme…

Laissons nous toucher par lui

Saisir et être saisi

Transformé.

Car il est vie, espérance, chemin…


Crédits pour cette homélie (4) : 

Etty Hillesum pour le « Dieu a besoin de tes mains »

Isabelle Laurent pour la joie 

Patricia Leleu-bell pour l’espérance 

Marie-Odile Dervin pour sa danse 

Marie Noëlle Thabut in https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/516585-commentaires-du-dimanche-27-juin/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-27-juin


(1) cf. En écho « À genoux devant l’homme »

2) cf. Thomas d’Aquin et sa distinction entre mal de peine et mal de faute in STh.

(3) cf. ma deuxième contemplation 

(4) voir les échanges sur Maison d’Évangile - La Parole Partagée


PS : après avoir fêté la nativité de Jean Baptiste comment ne pas penser à cette opposition faite par Jésus entre la mort et la danse : « Pour vous, nous avons joué un air de flûte, mais vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté un chant de funérailles, mais vous n’avez pas pleuré!”»

‭‭ Matthieu‬ ‭11:17‬

Le texte oppose-t-il la théologie de Jean Baptite et de Jésus comme le souligne certains commentaires ?

Ou va t il tout simplement un pas plus loin…

Vers l’autre rive, encore inaccessible mais qui demeure notre espérance…

15 juin 2021

Contemplation - 2 De la tempête à la danse

En ce dimanche où la tempête envahit notre petit monde tranquille, alors que nous cherchons à passer sur l’autre rive (cf. Marc 4, 35sq) peut-être faut-il revenir aux origines. 

L’homme a-t-il compris que le don de Dieu au jardin était démesuré ?

A-t-il écouté la parole qui lui donnait un chemin de vie ?

En croyant au serpent, est-il parti sur une fausse piste, celle d'un Dieu qu'il croyait tout-puissant et jaloux de son pouvoir. Pensait-il que Dieu ne voulait pas lui donner sa place, le laisser être « capax dei » à côté de lui. Et pourtant, s'il avait su...

Mais le Dieu de nos fantasmes, celui que nous imaginons, le Dieu gâteux, vieux sage, jaloux de ses droits est-il le vrai Dieu ?

S'il avait su, l'homme...

Il n'aurait pas cru ce serpent intérieur, ce doute qui vient quand on n'a plus confiance en soi et en l'autre, ce faux Dieu qui s'installe quand on se ferme à l'écoute... 

A t-Il entendu l'appel du jardin ?

Pendant que l'homme se cachait d'un faux dieu, le vrai Dieu cherchait l'homme. Le texte de Gn 3 nous le montre avec une insistance particulière.

Les exégètes, ces vieux savants qui passent leur vie à scruter le sens des textes, appellent cela une forme concentrique.

Ainsi des affirmations qui comportent une série d'éléments,de phrases ou d’expressions A, puis B, puis C, puis à nouveau B et A, qui se répètent ainsi sous cette forme A B C B A doivent être lues comme une insistance sur le C :


A - Ils connurent qu'ils étaient NUS; (…) 

B  - (…) la voix de Yahweh Dieu passant dans le

      JARDIN  à la brise du jour, et l'homme et sa femme 

       se cachèrent de devant Yahweh Dieu 

C  - au milieu des arbres du jardin. 

        Mais Yahweh Dieu appela l'homme et lui dit : 

                    

                 " Où es-tu? " 

       

B  -   Il répondit: "J'ai entendu ta voix, dans le JARDIN , 

           et j'ai eu peur, 

A  -   car je suis NU ; et je me suis caché. "11 

        Et Yahweh Dieu dit : " Qui t'a appris que tu es NU ?”


Et si l'essence du texte était là, dans cet extrait méconnu de Gn 3, dans cette question posée qui déjà révèle que si l'homme croit trouver Dieu ailleurs que là où il est, Dieu est là qui cherche à rencontrer l'homme...

On retient le Dieu violent, celui qui chasse du paradis, qui enlève à l’homme la jouissance des biens. Cela peut se comprendre, à première vue, si l’on regarde

l’état apparent du monde, la dureté des choses, de la nature comme celle de l’homme pour l’homme. C’est aussi ce qu’a dû penser le rédacteur du texte qui écrit dans un monde dur, alors qu’il a perdu le confort de la terre de ses ancêtres. On se demande maintenant si ce texte n’a pas été en effet rédigé ou pour le moins corrigé dans les derniers siècles avant Jésus Christ par des scribes qui se sont vus chassés des jardins de Palestine et se retrouve en exil. Le rédacteur cherche alors à exprimer par ce récit mythique de la chute une explication à sa peine, à la dureté de ses travaux de la terre. Mais cette interprétation, bien humaine laisse aussi transparaître une trace ténue, celle d’un Dieu qui donne, qui cherche, qui s’inquiète…


Alors, qui est Dieu ? 


Est-il ce Dieu violent et cruel imaginé par l’homme comme la source de sa peine, de son exil, ou autre chose, un au-delà des mots… ? Est-ce cet autre Dieu plus attentif qui se cache dans la voix qui résonne dans le jardin, révélation d’une autre voix qui résonne, même si nous rejetons la contemplation de ce qui est beauté dans le monde ? Ne fermons pas trop vite ce point d’interrogation. Laissons le ouvert pendant toute cette traversée…

La jeune juive Etty Hillesum avait la même pensée quand elle s’émerveillait sur une fleur de printemps, (1) alors même que son peuple était déporté et massacré par le régime nazi. Il demeurait dans son jardin une trace différente, au-delà du dieu des puissants. Et cette fragilité même était pour elle source d’espérance et d’action. Elle y a puisé le courage de devenir par ses mains l’instrument de l’amour et de la miséricorde, pour ses frères et ses sœurs marqués par l’horreur des camps. Ce décentrement qu’il est peut-être possible d’entamer (2) est-il ce « passer sur l’autre rive » auquel nous conduit la contemplation de l’Evangile d’aujourd’hui ? 

Dieu est il dans la tempête où « à genoux devant l’homme »(3) lançant cet éternel « où es-tu ? » du jardin. Lointain et si prégnant appel à l’homme pour qu’il danse avec lui au milieu des flots ? 


(1) cf. Etty Hillesum, une vie bouleversée et notre billet contemplation 1

(2) l’amphore et le fleuve, ch. 2

(3) cf. mon autre livre éponyme

26 mai 2021

La danse de l’Esprit 50.5.2


« Tenter de penser Dieu dans l’horizon de la liberté ne veut pas dire spéculer abstraitement sur Dieu, mais écouter concrètement dans le monde si et où se trouvent les traces de la révélation libre de Dieu et comprendre dans la lumière de ces traces la réalité de façon nouvelle comme espace de liberté, comme histoire » (1)


Je retombe sur cette citation de Kasper mise en exergue en première page de l’un de mes livres (2).


Alors que nous sombrons souvent dans le pessimisme et la peur de voir ce à quoi nous tenons s’effondrer, il faut garder en soi cette « petite espérance » (3) farouche qui sait discerner où travaille l’Esprit. 


« L’Église ne peut signifier à l’extérieur que ce qu’elle vit à l’intérieur. (...). L’Église sera plus modeste et humble (...)  On risque le prosélytisme quand l’annonce de l’Évangile se fait sans respect de l’autre, avec le seul souci de recruter comme cela s’est passé parfois avec certaines communautés nouvelles. C’est l’amitié qui évangélise. La rencontre a du sens en elle-même : ce n’est pas une tactique missionnaire. Je voudrais que les personnes en contact avec l’Église soient bien accueillies, respectées, écoutées, sans jugement. N’oublions pas qu’il y a ce que je peux faire et ce que Dieu fait : je peux témoigner, rencontrer, être ce que je suis, mais je ne peux pas donner la foi à un autre. C’est le Seigneur. L’Esprit Saint est à l’œuvre et Il ne dépend pas de l’expansion de l’Église. » (3)


Ce petit témoignage d’un grand homme paru récemment mérite un détour. Contemplation qui jaillit d’une phrase et nous fait aimer ce grand corps malade où l’Esprit continue d’agir à sa manière en suscitant parfois de beaux fruits.


Nous contemplons aujourd’hui le cœur de Notre Seigneur. Il n’en coule pas toujours l’eau vive et pure que nous attendions, ce fameux rêve d’Ézéchiel 47 que nous contemplons le soir de Pâques, mais un geyser de sang et d’eau mêlée, de souffrance et de joie, de peines et de bonheur. Sachons retrouver l’espérance.


« Tout discours sur Dieu ne peut être, à mon sens, qu’une contemplation. 

Une affirmation serait réduction. 

Une contemplation peut être comprise comme la mise en résonance de ces traces de l’indicible qui nous parviennent d’ailleurs et dont nous devenons passeurs par nos écrits, nos actes, et nos paroles… »(5)


(1) “Walter Kasper, in Le Dieu des chrétiens, p. 155

(2) L’amphore et le fleuve, une contemplation des dons de Dieu, sur une idée première de saint Bonaventure

(3) Charles Péguy, le porche de la troisième vertu

(4) Card. Joseph de Kesel, La Croix du 28/5, une belle affirmation qui rentre en écho avec ma Pastorale du Seuil et ce beau texte de Rondet souvent cité ici…

(5) L’amphore et le fleuve p.2

https://kobo.com/fr-FR/ebook/l-amphore-et-le-fleuve

24 mai 2021

Trinité et danse 50.4.2

 Trinité et danse 50.4.2

Comme annoncé voici une longue suite au billet précédent qui ne faisait qu’effleurer le sujet….

Danse tragique 

« Si l’on prend en compte l’humanité pleine et entière du Fils, il semble que l’on ne peut effacer la douleur, au risque de faire de l’expérience de la Croix un simulacre, loin de notre propre expérience de la souffrance. Dans le ballet tragique qui se joue ici, Jésus n’est pas, comme le souligne Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique divine, un acteur d’une scène de théâtre. Il vit, souffre et meurt, comme l’ont fait et le feront tant d’hommes. Ce qui se joue sur la Croix est donc au cœur de notre humanité, de notre économie(2). La danse tragique d’un Dieu qui vient habiter notre chair va jusqu’à éprouver à nos côtés le tourment, jusqu’au sentiment d’abandon qui lui est caractéristique(3). Dans la danse, le Fils n’a « pas oublié une passe », il a été flagellé sous les ordres de Pilate, crucifié. Il a souffert la Passion.

Et pourtant – c’est l’espérance de notre foi – nous croyons qu’au-delà de cette humanité blessée et compatissante du Fils qui meurt sur la Croix pour accompagner l’homme jusqu’au bout de ses souffrances, le Fils de l’homme n’était pas seul, même s’il a pu être privé, comme le seront tant d’hommes, de ce secours d’un Dieu compatissant.

La danse tragique du Père, son rôle pré-décidé pourrait être, comme le pensent certains, de ne rien dire tout en ressentant dans sa tendresse de Père le gouffre de cette souffrance de l’être aimé. D’une certaine manière, on peut affirmer, à leurs côtés, que si Dieu n’était pas atteint par la mort du Fils, alors il ne pourrait être ce Dieu d’amour, il ne pourrait être Père [et Mère]. Un Père peut-il voir son enfant mourir sans être pris aux entrailles ? Le terme n’est d’ailleurs pas nouveau. On trouve souvent cette compassion de Dieu dans des textes plus anciens. Jusqu’à y mêler la notion de paternité et de maternité.

Ils ont déjà conduit Dieu à entrer dans la danse, comme en Exode 3, où Dieu se révèle dans le buisson ardent pour exprimer la tendresse d’un Père qui souffre de voir ses fils réduits à l’esclavage (4)

Entre le Fils et le Père, apparaît aussi, plus que jamais, la force de l’Esprit. Elle se manifeste dans ce soutien du Fils, dans cette force qui lui permet d’avancer et de dire « Me voici ». Comment un homme aurait-il pu faire le pas, entrer dans la danse, sans cette force d’amour qui inondait le Fils et lui faisait prendre conscience de la musique du Père ? Comment qualifier l’Esprit ? Musique intérieure, force de vie quand la mort emplit l’homme de son ombre ? C’est le mystère de Dieu. Mais nous le sentons bien, là où Pierre, comme tout homme, aurait reculé, le Christ est habité d’autre chose, de ce lien qui fait de lui un homme et aussi plus qu’un homme, un homme de Dieu, un Fils.


Arrêtons-nous un peu. Prenons de la distance sur ce qui se joue dans cet instant sublime. Ne voit-on pas, ici, plus qu’ailleurs, les pas d’une danse tragique, dont la musique était conçue dans le sein du Père de toute éternité, mais qui attendait l’Heure, ce temps sublime, où les danseurs étaient prêts à exécuter leurs mouvements, en toute liberté, pour révéler au monde la danse d’un Dieu amour en trois personnes ?


Le danger, porté par une vision platonicienne d’un Dieu qui est loin des hommes est de croire que la Trinité des personnes divines est un vase clos, fermé sur lui-même. Ce n’est pas la révélation du Dieu biblique. Bien au contraire, ce qui nous est révélé est un Dieu qui intervient humblement dans l’histoire. Au-delà de la fidélité immuable de Dieu, le mouvement des personnes divines va ainsi jusqu’à être source d’un débordement, d’un jaillissement. Au sein même du ballet tragique qui se joue, au cœur même de la danse trinitaire, Dieu se donne et s’étend, ne se limite pas… Il tend vers plus… Alors du cœur transpercé jaillit ce qui reposait caché au sein même du Fils, un jet de sang et d’eau, de vie partagée et redonnée, un fleuve immense qui invite à la danse…


Croix et résurrection – une clé de lecture


Sur ce sujet, le théologien Joseph Moingt (5) nous invite à percevoir en quoi ce sommet de la révélation n’est que la phase visible d’un long processus complexe qui ne se réduit pas la seule préexistence de l’homme Jésus, mais s’étend dans ce que je qualifierais, à l’écoute de ses mots, comme une danse plus vaste, la danse préliminaire du Dieu trinitaire, c’est-à-dire un jeu sublime où Dieu n’a cessé de danser vers la Croix et la Résurrection. Il nous faut, pour cela, faire marche arrière, remonter dans le temps, pour percevoir ces traces multiples du Verbe, c’est-à-dire tous ces lieux où les mouvements de Dieu ne se réduisent pas à un Dieu lointain, un Dieu bien connu, mais plutôt aux pas de Dieu vers l’homme.

Comme les apôtres qui depuis le tombeau vide sont face au grand saut de la foi, nous sommes invités à creuser ce qui dans notre histoire est « trace » de la danse de Dieu. 

Cela passe, pour les premiers disciples de Jésus, à l’image des compagnons d’Emmaüs, par un long travail de compréhension des écritures, sous l’éclairage de ce prisme nouveau. La clé de la lecture de l’action de Dieu dans le monde, comme dans nos vies, est dévoilée dans la croix et la résurrection. C’est forts de cette découverte que nous devons revenir sur nos pas, comprendre le passé à la lumière de ce dévoilement fragile donné dans la Passion.

« Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? " Et commençant par Moïse et (continuant) par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. » Luc 24, 26-27

C’est ce travail de « retour arrière » que je vous invite à parcourir avec, comme clé, cette vision des mouvements de Dieu, cette danse où le Père s’efface pour laisser le Fils être lui-même mourant, afin que l’Esprit agisse…


La danse préliminaire

La première vision rétrospective est celle des mouvements du Fils vers l’homme. Il nous a fallu contempler dans un lent ralenti arrière ce que nous avons tendance à lire chronologiquement. La dernière image donnée sur la croix, nous l’avons noté(6), est le « j’ai soif », qui exprime, ces multiples facettes, cette danse inouïe de Dieu vers l’homme. On peut y voir le cri du supplicié, mais nous avons souligné aussi, entre-les-lignes, le « j’ai soif de toi » qui transparaît, quand nous reculons dans le temps et contemplons le Fils à genoux devant Pierre et Judas (Jn 13), alors même que l’un et l’autre vont renier leur amour. Ici s’éclaire la danse fragile de celui qui aime et qui invite, par le comble d’une faiblesse, et d’un agenouillement, l’homme à danser les pas de Dieu.

Cette danse n’est pas moins tragique que celle de la Croix. Elle est celle d’un fils qui sait combien ceux qu’il aime refuseront de danser, mais qui n’en effectue pas moins les pas, parce que si l’homme ne danse pas, Dieu ne cesse de danser. La musique de l’amour n’a de cesse de résonner aux oreilles du Fils. En cela, il danse avec le Père qui « ne veu[t] pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (cf. Ez 18, 21). Il rejette tout jugement pour n’être qu’amour et compassion.

Dans la tête de Pierre, qui ne sait pas où conduisent les pas de Jésus, le geste du lavement des pieds n’a pas de sens. C’est pourquoi il le refuse d’abord. Ce n’est qu’éclairé par la Croix que le lecteur pourra comprendre à la fois ce qui s’est joué et le refus du disciple. C’est pourquoi, sans le savoir, notre lecture est une lecture en « marche arrière »…

Continuons notre remontée dans le temps. Nous avons vu Marie de Béthanie qui a compris la danse et qui s’est agenouillée devant l’homme-Dieu. À ses côtés, Judas ne veut pas danser. Il juge et critique, évalue le poids du parfum et pense à une autre « économie »…

Plus en amont, nous avons vu le Fils qui s’est agenouillé par deux fois devant la femme adultère. Danse sublime de Jésus qui refuse le quadrille des pharisiens au profit d’une invitation à l’amour plus vaste, plus ouverte. Il s’abaisse et se relève avant d’inviter l’homme à danser la danse de Dieu en oubliant celle des hommes : « va et ne pêche plus ». Quelle musique sublime n’a éveillé chez nous un air plus symphonique que cette confiance renouvelée dans l’homme ? Elle résonne avec la danse du père qui court enlacer le fils prodigue, elle s’anime à l’image d’un Jésus que l’on pourrait imaginer, dans la même lancée, comme descendant en courant la colline jusqu’à Jéricho pour venir danser avec Zachée : Descendre à Jéricho, nous l’avons noté chez les Pères de l'Église, c’est, à l’inverse de la montée vers Jérusalem, une descente vers le monde.

Continuons notre mouvement inversé. Nous avons vu Jésus à l’heure la plus chaude. La Samaritaine qui n’ose plus danser avec les hommes, près du puits des amours d’antan, a reçu une invitation amoureuse. « J’ai envie de danser avec toi » peut-on entendre à travers les lignes dans ce « donne-moi à boire ». Et oubliant les convenances, la voici qui danse de joie, va chercher ceux mêmes qu’elle fuyait à l’heure la plus chaude, pour les inviter à la danse.

Reculons encore. Nicodème ne vient pas à l’heure du jour, mais à l’heure de la nuit. Il n’a pas encore entendu la musique de Dieu. Jésus l’invite pourtant à l’incroyable mouvement intérieur qui consiste à laisser les pas des hommes pour une musique nouvelle. Viens danser les pas de Dieu… Si tu ne meurs pas, tu ne pourras valser dans l’amour éternel…


Danse baptismale

Chez les synoptiques, le récit du baptême, met en lumière, là encore, les pas invisibles. Le fils s’enfonce dans l’eau de la mort, à la suite de l’humanité blessée. Alors le Père se manifeste comme présent, dans la danse de la colombe, symbole imagé, mais expressif de cette symphonie trinitaire. Ce signe pourrait paraître surfait en lecture avant. En lecture arrière, il se lit comme une répétition de la danse tragique. Éclairé par la Mort, il devient signe de vie et de renaissance. En plongeant dans l’eau du Jourdain, Jésus s’enfonce symboliquement dans la mort. L’eau profonde est symbole des ténèbres pour les juifs. Pourquoi le Fils de Dieu accepte-t-il d’y pénétrer ? Sans notre clé de lecture, le texte n’est qu’un récit imagé. À la lumière de la croix et de la résurrection, c’est la danse des trois Personnes qui apparaît ici révélée.

On rejoint d’ailleurs d’autres symboliques de l’Évangile. Ce sera ainsi les pas dansants de l’homme-Dieu sur le lac de la mort. Ce peut être aussi ce repas partagé, où le Corps est distribué, partagé au monde. Dieu nous invite à une danse nouvelle. Le baptême est l’apprentissage de ce premier pas de deux…


La danse de la naissance

Dans la poésie de Luc ou de Matthieu, la danse peut alors prendre forme dans la contemplation de ce fils nouveau-né, signe de l’amour du Père. À la différence de Marc ou de Jean, ils iront plus loin dans leur « parcours arrière ». Chez Luc, on notera le tressaillement de Jean-Baptiste au sein d’Élisabeth, à la venue de son cousin, comme l’illustration d’une valse particulière, celle du don de Dieu qui s’est fait chair et auquel l’Esprit répond par un tressaillement d’allégresse.

Et dans la joie de cette contemplation, on peut comprendre comment les deux évangélistes veulent inviter à danser les bergers ou les mages. Car rien n’est plus sublime, à la lumière glorieuse de la Croix, que ce mystère d’un enfant qui va naître. Pour eux, dès la naissance, se révèle la symphonie de Dieu.

La danse du verbe et de l'esprit

Le chemin arrière peut être poursuivi. Peut-être avec moins de clarté dans une lecture littérale. L’Ancien Testament est rempli de ces mouvements de Dieu vers l’homme. L’étude des théophanies dévoile les pas de danse, souvent présentés en variations symphoniques d’un style littéraire défini. Doit-on y voir les traces spécifiques du Verbe ou de l’Esprit ? Il me semble que le plus simple et, probablement, le moins « dangereux » théologiquement, est de saisir, un peu comme le sous-entend J. Moingt, qu’il s’agit d’une série de mouvements où l’unité de Dieu prime sur la différence. Ce qui se révèle dans le « Malak », cet ange qui apparaît avant chaque manifestation de Dieu dans l’Ancien Testament, ou même dans le récit imagé des trois visiteurs de Mambré, c’est qu’il n’y a pas ici un Dieu « bien connu » au sens d’un monstre impassible et froid, mais la perception par un peuple, de la danse de Dieu vers l’homme, une succession de rencontre et d’agenouillements croisés entre l’homme et Dieu.

Arrêtons-nous par exemple sur ces chefs d’œuvre littéraire de l’Exode. La lecture littérale du buisson ardent nous introduit déjà à une danse, celle de Moïse qui « retire ses sandales ». La relecture, en « marche arrière » depuis la Croix, comme a pu la faire déjà Grégoire de Nysse dans sa Vie de Moïse, nous fait apercevoir, dans la danse du feu sur le buisson-ardent, les traces d’un Christ qui meurt, sans consumer le buisson, c’est-à-dire qui demeure Fils. La mort n’aura pas de prise sur l’homme-Dieu.

On perçoit alors que la danse de l’homme vers Dieu se fait devant celle de Dieu vers l’homme et notre contemplation ne peut alors se contenter d’un mouvement arrière, elle doit faire des « allers et retours » entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, entre toutes les danses de l’homme et tout ce qui transparaît de la danse trinitaire.

Cette compréhension était cachée par le voile des hommes. Il nous fallait cette clé de lecture particulière du Fils et de l’Esprit. Comme l’affirmait déjà Origène : « Avant la venue du Christ, la loi et les prophètes ne contenaient pas l’annonce qui implique la définition du mot évangile. [Avec le Christ] (...) "un peu de levain fait lever la pâte" (Ga 5, 9). Car, enlevant le voile (2 Co 3, 15) qui recouvrait la loi et les prophètes, Il montra le caractère divin de toutes les Écritures ».

Cela n’empêche pas les apôtres et, à leur suite, les Pères de l'Église de chercher à saisir la présence et la danse des personnes divines dans l’Écriture. Ainsi pour Paul, la marche des Hébreux au désert était-elle accompagnée par le Christ : « Un rocher spirituel qui les accompagnait et ce rocher c’était le Christ » (1 Co 10, 1-4), alors que Grégoire de Nysse confirmera plus tard ce que Luc affirmait déjà en Lc 1 : la nuée, c’était « la grâce de l’Esprit-Saint »

Au bout du voyage peut-on voir la danse du vent sur les eaux ? Au-dessus du Tohu wâbohû, de ce chaos originel, l’Esprit plane et imprime déjà sur l’eau froide les rides d’une danse, un entre-les-lignes où Dieu se révèle.

On peut alors contempler soudain, comme si un voile s’était déchiré, que la création même de Dieu serait un agenouillement devant l’homme. Un don où, pour reprendre les termes de J.L. Marion, le donateur s’efface et disparaît.

C’était déjà l’affirmation de Fairbairn, en 1894, qui n’approuvait pas l’idée que la kénose divine ne devienne évidente que dans l’Incarnation. Cela pouvait trop facilement « suggérer [pour lui] deux types de Dieu différents. Au lieu de cela, [Faibairn] insiste sur le fait que la création elle-même montre un modèle similaire, Dieu faisant place à ce qu’il crée ».

Le sens de ce travail de relecture n’est donc pas anodin. Il rejoint aussi celui des Pères de l'Église qui n’ont eu de cesse de retraverser l’Écriture, à la recherche de ces traces. Nous devons écouter ces lectures spirituelles, ces méditations, qui prennent distance sur l’histoire et ne cessent de mêler le passé avec la révélation du Christ, comme des invitations à la contemplation de la danse de Dieu dans nos vies…


2ème Mouvement

1er pas – Étienne

Nous avons fait un long chemin vers le passé. Voyons maintenant comment la danse rythme le mouvement du monde après la révélation finale. On peut commencer par l’allégresse d’Étienne, qui au soir de son supplice apparaît comme le premier danseur à la suite du Christ. Il voit les cieux s’ouvrir et la symphonie de Dieu emplit déjà son cœur. À cette union mystique, une invitation est faite. Elle plane sur l’entourage, s’efface comme une parcelle infime jusqu’à pénétrer dans le jeune homme qui garde les vêtements des persécuteurs. Son nom est Saul.


2ème pas – Paul

Au départ, il ne dansera pas la danse de Dieu, mais celle des hommes. N’y a-t-il pas pour nous ici un chemin d’espérance ? Celui qui était persécuteur est devenu apôtre. Il a reçu en lui cet ineffable appel, comme le feront tant d’autres. « Je suis celui que tu persécutes… » Viens plutôt danser avec moi…

Alors, celui que l’on croyait voué à la mort devient le fou de Dieu. Ce qui était scandale pour l’homme, il en a fait sa joie.


Les pas de l'Église

Il serait présomptueux de continuer ainsi à décrypter ce qui reste de l’ordre du mystère. La danse à laquelle nous invite Dieu est celle de l’amour. Elle n’exclut personne et pourtant, nous restons souvent sur le bord.

L’une des plus belles images de cette invitation à la danse, peut-être le mystère de l’Eucharistie, où cette table de la Parole et de la chair partagée peut être comprise comme l’invitation symbolique faite aux fidèles d’entrer dans la communion trinitaire. À la suite de Maxime le Confesseur, on peut entrer dans cette vision d’une Église qui s’ordonne autour du Christ.

Réduire l’eucharistie à la seule présence du Fils serait en effet en réduire le sens. Ce qui se joue, dans ce « faire mémoire », c’est la participation de l’humanité aux noces de l’Agneau, c’est-à-dire une invitation à entrer dans la danse des noces éternelles.

On peut simuler la danse, comme nous l’avons vu plus haut, à propos du lavement des pieds, où « danser sur les places » en allant jusqu’à cirer les chaussures de ceux qui les cirent…

Par sa Croix, Jésus nous a livré le sang et l’eau mêlés, symboles naissants d’un Esprit qui vient habiter en nous comme le fait le Corps partagé. N’est-ce pas à la danse trinitaire que nous sommes finalement conviés ?

Reprenons à ce sujet une belle image de J. Moingt : « Le Verbe s'éloigne du Père : il lui devient étranger. La même parole qui engendre le Verbe le sépare du Père, le tient à distance de lui, et cette distanciation est l'acte même de faire advenir autre chose entre eux. Rien ne peut s'interposer entre eux que du rien, rien de plein, rien qui soit quelque chose, seulement du néant, du vide, mais ce vide est infini, qui s'insinue dans la déchirure de l'être infini ; produit par l'éloignement du Verbe il n’est pas absolument rien, mais capacité de recevoir, suscitée et creusée par l'invitation que le Père adresse au Verbe à faire advenir de l'autre, de telle sorte que ce vide est aussitôt rempli par l’Esprit-Saint, qui est l'indéchirable communion du Père et du Verbe. L'Esprit remplit ce vide de la même manière qu’il circule entre eux deux et par l'acte même de les faire communiquer, (...) qui est d'être l'unité dans l'altérité : il prend dans le Verbe le désir que le Père y a mis de communiquer son bien (Jn 16,15) à d'autres êtres possibles, à des êtres que la liberté du Verbe de devenir autre est en puissance de faire advenir, et sollicité par le vide qui gémit de n'être rien de ce qu'il pourrait être (Rm 8, 22), l'Esprit se répand en lui en semence de vie : il rend effectif le partage de vie que rend possible (...) l'acte de se vider de son égalité avec le Père (Ph 2, 6), pour enrichir d'autres êtres de sa pauvreté (2 Co 8, 9), pour laisser se répandre en eux l'amour du Père en devenant lui-même ce rien qu'il appelle à exister de surcroît par participation à sa propre vie ».

Plus loin, il nous parle de la pleine « liberté et gratuité de donner et de recevoir » qui caractérise cet amour de Dieu. N’est-ce pas, au-delà de toutes les théologies d’un Dieu distant, le cœur de notre foi, que de croire en cet amour donné et partagé, comme dans une danse ?

« C'est la circulation de l'amour, de la béatitude et de la gloire (…) entre les Personnes divines qui se fait par l'excès même de ce qui se communique de la Trinité dans l'homme ».

Dans l’idéal, cette danse pourrait être vivante dans l'Église. Dans les faits, elle ne reste qu’une direction à suivre, un chemin… Ce décalage entre l'Église réelle et l'Église idéale a son équivalent entre notre désir de danser et notre capacité à rejoindre les pas de Dieu.


(1) Extrait de ma « danse trinitaire »

(2) cf. notamment le traité rahnérien sur la Trinité 

(3) voir sur ce point la théologie d’Adrienne von Speier et son écho dans la Dramatique divine d’ Hans Urs von Balthasar 

(4) voir mes essais et notamment Pédagogie divine

(5) cf. notamment Joseph Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2 p.196 sq

(6) cf. mes développements in « A genoux devant l’homme » également disponible gratuitement sur Kobo.com

23 mai 2021

Trinité et danse 50.4.1

Certains semble découvrir cette notion de danse que j’évoque à propos de la Trinité alors que je ne fais que commenter cela depuis plus d’un an sur RT. Il me faut peut-être reprendre depuis le début cette invitation à la danse qui nourrit depuis 30 ans mes lectures pastorales et ses 17 tomes. Je crois que tout est né dans la contemplation par mon frère jésuite de Jean 8… qui n’a cessé de m’inspirer. 

En voici une nouvelle manducation (1) :  


« Jésus s'en alla sur la montagne des Oliviers. » Jn 8,1.


Que nous dit l’évangéliste ? Il y a là, d’abord, montée de Jésus. À l’inverse d’une descente à Jéricho – vers le monde – ici le Fils se tourne vers le Père. Il monte vers une certitude, non comme une affirmation mais comme vers une source et un appel. Sa montée est prière et interrogation. Vers quoi monte-t-il ?

Est-ce que le mont des Oliviers serait plus élevé que le temple ? Le fait est qu’il le domine et l’on peut se demander si cette comparaison implicite ne nous introduit pas à quelque chose, ne nous alerte pas à une différence de hauteur. Il y a le temple bâti de mains d’hommes, pis-aller que Dieu n’habite qu’à reculons, si l’on en croit le livre de Samuel [on pourrait dire cela de nos églises:-)] et cette montagne qui sera celle de l’élévation (sur la Croix), lors de la prière « finale », le lieu d’une communion avec le Père quand viendra cette « heure » à laquelle il ne cesse de se préparer. Le lecteur est prévenu. Un drame se joue déjà ici…


« Mais, dès le point du jour, il retourna dans le temple. Et s'étant assis, il les enseignait. Alors les Scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère, et l'ayant fait avancer, ils dirent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. » Jn 8, 2-5


On imagine ces hommes debout face à Jésus assis. Ils dominent le maître, qui pourtant cherchait à les enseigner. Ils semblent le dominer de leurs lois, de leurs savoirs, de leurs certitudes. Maîtres du temple, maître du savoir, ils sont en haut de leurs « tours » bien humaines et lui est assis. Il est monté à la montagne, mais il est maintenant assis. Le drame se précise…


« Comme ils continuaient à l'interroger, il se releva et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » Jn 8, 6-7


Il a consenti à se relever. Est-ce pour condamner la femme ? Est-ce pour se mettre à leur niveau ? Non ! Ce qu’il propose est d’une autre hauteur. Il ne juge pas, mais, en se relevant, en appelle à plus grand que lui. 


Celui qui est sans péché… Qui est-il ? 


Il se garde bien d’affirmer qu’Il peut être celui-là… Il interpelle et pour ne pas faire preuve d’orgueil, « s'étant baissé de nouveau, il [écrit] sur la terre ». La loi qu’il prône n’est pas celle que l’on grave sur les tables de pierre, comme le Moïse de la tradition juive. Ce n’est pas celle que prêchent ces pharisiens hypocrites [que nous sommes, nous aussi, parfois souvent tour à tour]. Sa loi est fragile, écrite sur du sable, au cœur de l’homme. 


Signe humble d’un Dieu humble qui vient interpeller l’homme au cœur de sa faiblesse. Fragile appel où résonne, encore une fois, « l’où es-tu ? » que Dieu adresse à l’homme, après la faute (Gn 3, 9). Qui peut répondre ? Cet appel de l’humble travaille la conscience.

« Ayant entendu cette parole, et se sentant repris par leur conscience, ils se retirèrent les uns après les autres, les plus âgés d'abord, puis tous les autres, de sorte que Jésus resta seul avec la femme qui était au milieu ».

N’a-t-on pas là plus que tous les discours ? N’y a-t-il pas ici, comme le suggère à sa manière Paul Beauchamp, une autre montagne ? La loi de Dieu trace ici un sillon fragile au cœur de l’homme et vient l’éveiller à autre chose. Ce chemin d’humilité que nous cherchions à débroussailler dans cette longue traversée de l’Écriture (2) est ici mis à nu…


« 10. Alors Jésus s'étant relevé, et ne voyant plus que la femme, lui dit : « Femme, où sont ceux qui t’accusent ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ? 11. Elle répondit : « Personne, Seigneur »; Jésus lui dit « Je ne te condamne pas non plus. Allez, va ne pèche plus. »


Il y a, dans les mouvements du Christ, une indication claire de cette danse de Dieu vers l’homme que nous commenterons plus loin. Si l’on relit le texte, en notant ces gestes, on sent, entre les lignes, ce double abaissement du Christ qui, assis, s’était relevé, puis s’est penché à nouveau au sol pour écrire. On le suppose alors tout près de la femme, pour se relever à nouveau. Les gestes de Jésus parlent ici la langue de l’humilité. 


D’agenouillements en agenouillements… dont Jn 13 est le point culminant avant la Croix. 


Qui peut édicter une loi qui touche le cœur ? Le pharisien, le modèle, dressé par la rigidité d’une règle qui condamne ou l’humble chercheur qui trace, aux côtés de l’homme, des traits que le vent vient effacer et qui, pourtant, s’inscrivent au plus profond du cœur et sont plus inflexibles qu’une loi humaine, car enracinés dans la seule loi de l’amour qui fait avancer l’homme. 

N’est-ce pas là ce que les théologiens tentent d’appeler « l’économie » de Dieu(4), ces gestes qui révèlent l’indicible ?

On peut objecter à cette vision un laxisme de Dieu. Ce à quoi répond Augustin : « Quoi, Seigneur ? Tu favorises le péché ? Certes non. Écoute ce qui suit : Va, et désormais ne pèche plus. Le Seigneur a porté condamnation, lui aussi, mais contre le péché, et non pas contre l'homme». (1) 

La danse du Fils n’est ici qu’une petite théophanie de la danse trinitaire. Je vais développer cela, mais je voulais commencer par ce texte, car c’est dans cet agenouillement que tout m’est venu à l’idée.


La Trinité n’est pas une invention romaine comme le suggère un commentateur de RT, mais bien une contemplation dont on trouve les traces à Mambré ou dans Gen 1 et qui sous-tend le discours de Jesus chez Jean. Je l’ai toujours vu comme une danse, traduction poétique du terme « périchorèse » des pères de l’Église (cf. mon essai gratuit sur Kobo « la danse trinitaire »). C’est ce mouvement particulier d’un Dieu qui se retire pour laisser place à un Christ qui s’efface à son tour humblement (en kénose) pour nous confier l’Esprit… sur la pointe des pieds….

La trinité est expression fragile, révélation et jeu subtil d’une pédagogie de Dieu…

Cette danse, on la contemple depuis la création jusqu’à l’incarnation, la mort et la résurrection, avant le vide et le silence qui précède la brise discrète de l’Esprit. Elle s’aperçoit déjà dans le prologue de Jean avec ce « tourné vers l’autre », mais devient aussi une danse « sur la place » où Dieu joue de la flûte et rêve de nous voir danser jusqu’à cette danse des anges si bien peinte par Fra Angelico…


Perichorèse ou circumincession rappelle E. Durand(3), trinité économique souligne Karl Rahner »(4), harmonie glissait Gregoire de Nysse(5),… unité… La trinité est mystère mais invitation, jusqu’à ce passage de l’une seule chair au Corps(6)… elle est inaccessible et en même temps éternelle invitation… d’un Dieu « à genoux »(1) devant cette femme et qui d’agenouillements en agenouillements jusqu’au lavement des pieds… nous prépare à la Croix…


À suivre : Trinité et danse chez J. Moingt 50.4.2


(1) Extrait de « Á genoux devant l’homme », voir aussi  « Dieu dépouillé » et « danse trinitaire »

(2) cf. mon « pédagogie divine »

(3) cf. sa thèse sur la périchorèse des personnes divines

(4) voir son traité sur la Trinité 

(5) cf. notamment sa vie de Moïse 

(6) voir mes développements dans « Aimer pour la vie »

Méditation sur la Pentecôte - danse 50.3

C’est peut-être à partir du Buisson Ardent (1) que l’on peut considérer l’ensemble de la pédagogie divine(1) sur la Pentecôte. Le but ultime de notre réconciliation « en Christo »  est de rejoindre ce grand feu lumineux, qui nous purifie sans nous détruire, qu’est finalement la danse en Christ, dont on fait l’expérience les disciples au mont Thabor…

N’allons pas trop vite. Revisitons d’abord nos premiers pas, nos « Chemins du désert » (1) où nous cherchons à tâtons la lumière. 

« Poussé par l’Esprit au désert » où nous suivons le Christ, il nous faut d’abord subir la grande épreuve de la nuit, épreuve difficile que souligne depuis des siècles les mystiques de puis la nuit obscure de saint Jean de La Croix, jusqu’à celle de nos doutes confinés, comme ces nuits des mystiques que nous traduit magnifiquement François Marxer, « Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017 ».

Rappelons nous aussi nos pas encore fragiles, dans cette fausse nuit pré couvre feu 2021. 

Comme dans toutes les  Pâques, nous avons cherché à contempler ce feu béni hors de nos églises au bout de notre nuit spirituelle très symbolique des 40 jours de Carême. C’est alors une bien fragile lumière qui pénètre symboliquement dans l’église encore sombre,  brandie par le diacre en une triple évocation : « Lumière du Christ »avant qu’il n’entonne l’exultet. 

Qu’est ce à dire ?

Jésus est lumière et notre capacité à la contempler dans sa vraie clarté, n’est finalement possible qu’au bout du chemin. 

Il nous faut encore 40 jours de crainte, de doutes et d’hésitation. 

La liturgie nous a encore fait manduquer les hésitations de Pierre en Jean 21 ces derniers jours, derniers soubresauts d’une Église en devenir avant ces flammes de feu qui rendent tout lumineux.

« M’aimes-tu ? » demande trois fois Jésus à Pierre dans un decrescendo kénotique qui le fait passer en grec d’un « agapas me » à un « phileis me »…(2). M’aimes-tu d’agapé ou as tu seulement de l’affection pour moi… ? triple questionnement que l’école johannique inflige symboliquement à Pierre au terme du chemin qui prépare pour eux et symbolise sa réintégration dans la mission ecclésiale qui l’attend…(2) après la démarche à la fois kénotique et miséricordieuse qu’est finalement cette triple interpellation qui fait écho à son triple reniement… (3)


N’est-ce pas finalement le chemin de tout baptisé qui reçoit un cierge alors qu’il est encore tout endormi de ses nuits obscures et qu’il n’a pas encore fini son chemin ?

Les sacrements d’initiation vont devoir encore lui faire franchir de sacrés pas avant qu’il puisse confirmer de lui-même sa foi…

Il lui faudra percevoir comme Pierre, d’abord son insuffisance et son incapacité à aimer, percevoir qu’il nous faut retirer ses sandales(1), pour découvrir que le feu intérieur qui brûle déjà en nous par le sacrement du baptême n’est pas encore lumière dans nos vies et qu’il nous faut le souffle de l’Esprit pour que nos sarments intérieurs trop souvent desséchés (4) prennent feu en Dieu. Alors pourrons nous percevons que Dieu ne cesse de nous appeler à choisir la lumière face à la nuit…


« Esprit de Dieu, tu es le feu,

Patiente braise dans la cendre,

A tout moment prête à surprendre

Le moindre souffle et à sauter

Comme un éclair vif et joyeux

Pour consumer en nous la paille,

Eprouver l'or aux grandes flammes

Du brasier de ta charité.


Esprit de Dieu, tu es le vent,

Où prends-tu souffle, à quel rivage?

Élie se cache le visage

A ton silence frémissant

Aux temps nouveaux tu es donné,

Soupir du monde en espérance,

Partout présent comme une danse,

Eclosion de ta liberté.


Esprit de Dieu, tu es rosée

De joie, de force et de tendresse,

Tu es la pluie de la promesse

Sur une terre abandonnée.

Jaillie du Fils ressuscité,

Tu nous animes, source claire,

Et nous ramènes vers le Père,

Au rocher de la vérité. »(5)




(1) cf. mon « Retire tes sandales » - une contemplation de la trilogie des 21 volumes d’Hans Urs von Balthasar et « Pédagogie divine »

(2) voir plus d’explication dans « A genoux devant l’homme »

(3) on peut reprocher à Zumstein de faire l’impasse là dessus dans son commentaire pourtant très exhaustif.

(4) cf. Ez 37 que nous contemplons la veille au soir

(5) hymne de l’office des lectures du dimanche de Pentecôte 

20 avril 2021

Danse avec la nouvelle Ève - 50


«Marie, était fiancée à Joseph; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint.» Matthieu‬ ‭1:18‬ ‭‬

Le commentaire de François Cassingena-Trévedy  soulève chez moi plusieurs vagues contemplatives. Écoutons-le d’abord : « Inventa est un utero habens de Spiritu Sancto » - l’homme découvrit que la femme avait quelque chose dans le ventre. Au milieu de sa province la plus familière, l’homme découvrit que la femme était une terre habitée. Et lui, l’homme du petit pays, il découvrait que la femme était habitée par l’étranger, par l’inconnu. La femme tenait du Saint-Esprit. La femme était toute chose. La femme depuis quelques temps avec quelque chose d’étrange. Quelque chose d’autre. Quelque chose. Et l’homme, un instant égaré dans le sous-bois de la femme, ne savait pas encore que cet indéfini était l’Infini même. (1)


La profondeur de ces textes suscite souvent des résonances. Ici, j’ai été un pas plus loin puisque cela rime avec d’autres échanges que je vous partage ce soir.

 

1er pas de danse

C’est peut-être ce cri de l’homme devant la femme au jardin d’Eden, cet autre, ce vis à vis(2), à la fois différente et fait de la même chair, qui nous conduit à percevoir à la fois l’altérité et notre vulnérabilité (3).

Il y a pour nous les « terreux », quelque chose à méditer qui vient fissurer nos désirs de puissance, de pouvoir et d’autorité. Elle est là, fragile parfois, vulnérable souvent, elle interpelle notre moi profond par sa différence et sa sensibilité, souvent plus intérieure, qui réveille chez nous notre propre sensibilité, ce qui peut être féminin en nous et que nous n’osons voir... premier pas d’une symphonie à construire.

 

2eme pas de danse

C’est peut-être, plus loin encore que la première Ève, cette Marie qui porte en elle l’Infini de Dieu. Première inhabitée qui interpellera toujours nos propres tressaillements intérieurs. Sans idolâtrer la « première en chemin », il faut considérer combien elle trace une route pour nous, dans cette capacité à recevoir Celui qui veut demeurer chez nous, Celui qui descends de Jérusalem à Jéricho, aux plus profond de nos sous-bois, pour dire comme à Zachée : je veux habiter chez toi. Comment recevons-nous le Verbe qui s’invite dans nos rendez-vous espacés pour danser avec nous la triple valse du croire, de l’espérance et de l’amour. Ève nouvelle qui va porter dans sa chair, le glaive d‘une présence jusqu’aux « jointures de l’âme » (Heb 4,12) et la double Pâques de l’enfantement et de la mort du Fils. Chemin qui précède notre capacité à traverser la souffrance ? (4).

 

3eme pas de danse

Peut-être cet hommage aux femmes délaissées, ignorées, méprisées par une Église qui ne cesse de croire que Jésus ne se conjugue qu’au masculin sans percevoir combien la communion et la collégialité polyédrique passe par le relèvement du féminin pour qu’enfin nos Églises retrouvent la dimension première qu’elle a perdue depuis Hippolyte de Rome (5)

 

4eme pas de danse

C’est peut-être contempler, à la suite de l’invitation du pape François, l’humilité de Joseph, silence qui permet la naissance de l’Infini chez l’autre

 

5eme pas de danse

Voir en l’autre la flamme fragile de l’Esprit qui couve doucement au cœur du silence les graines délicates semées par le Verbe, pour que le dit murmuré par Dieu devienne un Dire au sens lévinassien (6)

 

6eme pas de danse

C’est plus essentiellement la contemplation de cette danse trinitaire qui se prépare. « Les mouvements en Dieu, le simple amour du Père et du Fils ne produit qu’une « binité » (Binität). Ce qui manque, ajoute Hans Urs von Balthasar, c’est « le miracle de la fécondité, du cadeau qui dépasse l’un et l’autre ». (7) On ne peut s’empêcher de penser, quand on a la joie d’être père, à ce « toujours plus » que constitue l’enfant. Car c’est bien de la même « image et ressemblance » qu’il s’agit. Le conjugal s’épuise quand il est tourné sur soi-même et qu’il n’intègre pas le don, ce débordement que constitue toute fécondité, dont l’enfant naturel n’est que la face la plus visible.

À partir du don de l’enfant se prépare celui de l’Esprit que la liturgie nous prépare lentement à recevoir, cet Esprit envoyé au monde, invitation non contraignante à un retour. Rêve de Dieu (8) ? que l’homme réponde par sa danse à l’invitation que lui fait la danse trinitaire (9).


7eme pas de danse... suggéré dans le cadre d’une autre discussion avec Marie-Odile Dervin  qui avait « une pensée pour les couples qui ne connaissent pas la joie de donner la vie. Quand le sacrement de mariage donné l’un à l’autre se vit sous le regard de Dieu, la relation devient fécondité. »


Une belle remarque que celle-là ! Pour avoir souffert de cette non fécondité charnelle avec mon épouse - je danse avec cette idée... La fécondité est un concept large qui dépasse de loin celle de la naissance d’un enfant et en même temps elle est déchirement et vulnérabilité, soit parce que l’enfant ne vient pas (ou ne vient plus, c’était notre cas, Dieu nous ayant fait deux beaux cadeaux), soit parce que l’enfant qui naît est différent de notre rêve et nous fait grandir en grandissant...

Dieu élargit toujours notre regard, lui qui est source de nos fécondités...

Il faut néanmoins souligner combien la stérilité est d’abord souffrance. Comme toute souffrance elle passe d’abord par une saine révolte, un cri, une nécessaire conversion intérieure avant de trouver en soi l’embryon d’une réponse, souvent délicate à articuler avant de devenir chemin d’espérance. Là Dieu devient aidant.


L’enjeu de ce septième pas serait alors de trouver une fécondité commune - par l’enfant, mais plus largement par tous les fruits que Dieu nous confie et qui deviennent par nos mains une co-création...


Huitième pas de danse qui reprend celui de toute la valse (proposée par Sylvaine Landrivon, suite également à un bel échange) :

« Mouvement de danse qui commence, en effet, par la stupeur du masculin se reconnaissant autonome face à celle qui se tient devant lui, à la fois semblable et autre, issue de la même chair du premier humain. Tellement proche et pourtant si différente que cet humain, devenant « il » en vis-à-vis de celle qui naît à l’être « elle », ne sait comment entrer en dialogue ni comment s’en dissocier autrement qu’en se l’appropriant par une série de dangereux possessifs « os de mes os, chair de ma chair »

Est-ce que le masculin n’est  pas souvent  en train de lutter contre cette emprise inaugurale, sauf dans l’union des corps où se lâche sa crainte d’être privé d’autrui? 

Il ne pourra sortir de la solitude délétère qui l’enferme et n’apprendra à danser qu’en apprivoisant le rythme de la création jusqu’à ce que murmure en lui l’appel d’une valse nouvelle. Il parviendra enfin à ce à quoi ils sont tous deux appelés : une valse à trois temps, symphonie réorchestrée par les valeurs théologales que sont l’amour, la  foi et l’espérance.

 

Dieu est bel et bien le musicien dont parle Saint Irénée. La « mélodie harmonieuse »  (A.H. IV, 20, 7) que Dieu compose est nécessaire à la réalisation de l’œuvre, et n’a d’autre but que de faire danser la vie jusqu’à la divinisation de ses créatures humaines. Il nous envoie son Fils pour nous emporter dans les ondes de l’Esprit. Et la valse commence.

Au premier temps de la valse, se dit l’amour de Dieu qui, dans la création nouvelle, vient s’incarner dans le corps consentant de Marie. Femme puissante porteuse du poids (kavôd = pesant et sacré) du Dieu Unique, elle porte le Verbe qui irradie dans l’intimité de sa toute faiblesse humaine. Il vient révéler la dimension trinitaire et universelle  du Don.

Au deuxième temps de la valse, Joseph unit ses pas aux siens et sa foi virevolte dans la lumière de la bonne Nouvelle, conjuguant les charismes du masculin et du féminin pour assurer l’harmonie qui vibre dans l’inouï du don offert. Au troisième temps de la valse, la promesse de joie éternelle par le salut à jamais donné, enlace la communauté d’amour dans l’espérance apaisante.

« Rêve de valse » ou « Apothéose de la danse », il faut savoir danser sa foi comme Claude Hériard nous y invite, car la danse est la plus belle des métaphores pour exalter la beauté des harmoniques masculines et féminines au service de la gloire de Dieu.(10) ».


À méditer...


Le 9eme pas de danse que suggère ce 8ème pas est peut-être ce à quoi nous conduit tout cela, ce double agenouillement du Fils et de sa mère, « pas de danse » kénotiques où l’un et l’autre s’effacent devant l’infini de Dieu à venir, entrent dans le vrai silence, celui de l’intime et en cela dans un « fiat » à deux voix, un « tout est accompli », avant de s’effacer comme à Emmaüs et nous conduire, en « Galilée », au bout d’un long chemin, à entrer aussi dans cette kénose tant attendue de l’Église qui seule rend possible une véritable harmonie entre l’homme et Dieu...


10eme pas de danse qui nous ramène à François Cassingena-Trévedy qui fait écho au premier texte d’où est partie cette valse, de Jésus qui « dans sa mort, les yeux ouverts et loin de chercher à rentrer, à régresser dans sa mère, nous la donne [au contraire], mais incomparablement plus large » (11). Que veut-il nous dire ? Peut-être que cette matrice nouvelle est dans l’oxymore de l’effacement et de la proximité, un royaume « ouvert », un Corps, une cathédrale fragile dont nous sommes les pierres vivantes, chacune utiles, chères aux yeux de Dieu, comme nous le rappelle le pape Francois dans son insistance sur le polyèdre...


« En confiant l’un à l’autre le Bien-aimé et Marie, Jésus sur la croix offre l’universalité au peuple d’Israel que symbolise sa mère. Il donne ses fondations à notre Église précisément là... et annonce ce qu’il dira ensuite à la Magdaléenne : Son Père devient Notre Père parce que, par le lien nouveau créé à la croix, nous sommes tous devenus les frères et sœurs du Christ » (10).


Je ne trouve pas encore de 11 eme pas de danse..., à vous de l’écrire 😉

 


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III, op.cit. p.101

(2) cf. Sylvaine Landrivon, La femme remodelée

(3) voir mes échanges récents avec Isabelle Laurent et son mémoire « Vulnérabilité et unité de la personne

Une lecture des tentations du Christ au désert » Mémoire de licence canonique de théologie, Septembre 2017

(4) cf. mon « Quelle espérance pour l’homme souffrant ? »

(5) cf. sur ce point Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018.

(6) Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Poche, 1975?

(7) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, III – L’Esprit de Vérité p. 39

(8) j’emprunte cette belle image du rêve de Dieu à François, in Un temps pour changer

(9) cf. mon livre éponyme

(10) Sylvaine Landrivon, inédit 🙂

(11) Étincelles p. 109

31 mars 2021

Étincelles et danse - 46

Je déguste doucement le tome 3 d’Etincelles de François Cassingena-Trévedy(*). Quelques pages mérite, comme souvent chez lui, un détour. Notamment quand il critique notre attrait du nombre. Avons-nous une nostalgie des grandes assemblées de chrétiens ? Pour lui ce qui compte n’est pas le volume, le nombre, mais le Reste. 

Qu’est-ce que le Reste ? 

Je dirais que ce n’est pas se croire l’Unique comme Elie, en 1 Rois 18 puis 19, (2) mais découvrir comme le prophète qu’il n’est pas seul, concevoir un christianisme qui n’est ni celui des grands nombres, ni celui des automatismes ou des rites, mais de l’intelligence de la foi, de l’échange, de la communion de vie. 

Avec l’auteur, je crois que le christianisme doit devenir non plus une majorité puissante, mais un minorité, qui contemple le germe, le travail discret des semences, de la Parole enfouie au cœur des hommes et des femmes, « un christianisme de la célébration comme œuvre vive (...) plus humble, plus accessible »(3) plutôt qu’un christianisme des « cérémonies ».

Un christianisme de l’intelligence et de la tendresse, ajoute François Cassingena-Trévedy...

Là dessus je pense que Moingt danserait aussi avec nous...


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III, 2006-2009, p. 27

(2) cf. mon analyse dans L’amphore et le fleuve

(3) François Cassingena-Trévedy, ibid p. 30


(*) je n’ai pas encore acheté ses nouvelles « chroniques du temps de peste », me rappelant que je n’avais pas poursuivi la lecture de ce tome 3, bien dense, mais plein de surprises...


https://livre.fnac.com/a15575936/Francois-Cassingena-Trevedy-Chroniques-du-temps-de-peste

25 mars 2021

La femme et Jésus - danse 43


 

L’Evangile d’aujourd’hui (Jn 8 ) est pour moi une danse. Jésus qui s’accroupît devant la femme adultère est loin de tout moralisme...


Il y a, dans les mouvements du Christ, une indication claire de cette danse de Dieu vers l’homme que nous avons déjà commenté. Si l’on relit le texte, en notant ces gestes, on sent, entre les lignes, ce double abaissement du Christ qui, assis, s’était relevé, puis s’est penché à nouveau au sol pour écrire. On le suppose alors tout près de la femme, pour se relever à nouveau. Les gestes de Jésus parlent ici la langue de l’humilité. Qui peut édicter une loi qui touche le cœur ? Le pharisien, le modèle, dressé par la rigidité d’une règle qui condamne ou l’humble chercheur qui trace, aux côtés de l’homme, des traits que le vent vient effacer et qui, pourtant, s’inscrivent au plus profond du cœur (1) et sont plus inflexibles qu’une loi humaine, car enracinés dans la seule loi de l’amour qui fait avancer l’homme. N’est-ce pas là ce que les théologiens tentent d’appeler « l’économie » de Dieu, ces gestes qui révèlent l’indicible ? (2) 


La danse de Jésus commence très loin, rime avec les lavements des femmes à Bethanie ou ailleurs et se poursuivent jusqu’au lavement des pieds.

A contempler ou à danser 🙂 


(1) cf. l’alliance nouvelle de Jr 31 d’hier

(2) Extrait de mon livre « À genoux devant l’homme ». Voir aussi mon roman également téléchargeable gratuitement sur Kobo, « d’une perle à l’autre »...

22 mars 2021

Dynamique sacramentelle 41. Danse avec ton Dieu


Plus nos discussions avancent plus je me demande s’il n’y a pas une autre voie que les baptisés n’osent pas prendre et qui pourrait résoudre bien des problèmes. 

Au lieu de se cristalliser sur la messe, sa forme, ses rites, et sa présidence, il nous faut inventer, pousser par l’Esprit, d’autres voies alternatives qui ne font pas concurrence à la messe dominicale mais constituent d’autres chemins complémentaires pour faire Église.

Sommes-nous en effet réduits à réciter sans cesse des phrases prémâchées comme si l’intelligence de la foi nous était retirée ?

Nous ne sommes plus au XIXeme siècle, la Bible est ouverte et des laïcs sont formés pour l’ouvrir, la lire, la commenter et en vivre.

Il est temps que ceux qui sont nourris par l’Ecriture inventent d’autres lieux de rencontre, d’autres maisons d’Evangile (*) lieux de « réflexion théologique » qui interpellent le monde par l’intelligence du cœur et non par des automatismes.

C’était l’intuition fondamentale de Joseph Moingt que de dire que l’Evangile sauvera l’Église.

Comment écrivons-nous l’Église au delà des sept sacrements qui ne constituent pas un tout mais un moyen, non exclusif de vivre en Dieu.

Ce que j’ai longuement développé dans mon livre « la dynamique sacramentelle » (1) mérite d’être complété ici...


Il y a vingt ans, quand nous avons créé avec un groupe de laïcs un premier lieu de discussion informelle en semaine entre midi et deux à l’heure de la messe en semaine, dans une paroisse parisienne où travaillaient 150.000 personnes, le curé s’est inquiété qu’on lui pique des followers. Mais force est de constater que ceux qui participaient à ce groupe à la même heure que sa messe sont devenus les piliers de la paroisse de semaine car loin d’une répétition rituelle ils constituaient une « maison » habitée par l’Evangile.


Dans ma paroisse de week-end l’expérience est la même, ceux qui se réunissent le samedi une fois par mois pour lire ensemble l’Evangile sont les acteurs de la vie paroissiale dans sa dimension la plus large. Et leur élan qui s’inscrit dans la durée est autant porteur que les curés qui se succèdent, car s’y conjugue une saine complémentarité entre prêtres et laïcs.


Depuis mon billet 40.2 d’autres initiatives de ce type se sont manifestées à moi et conforte cette idée qu’il est temps d’inventer d’autres voies... n’hésitez pas à les partager ici.


Nous rejoindrons alors la force que représentait l’action catholique d’après guerre, les initiatives lancées par Theobald dans la Creuse ou « la messe qui prend son temps » à saint Ignace ?


Pourquoi l’action catholique a perdu son élan ? Il faut peut-être revisiter cela. Probablement parce qu’elle s’est détachée de la source qu’était l’évangile pour se perdre dans l’activisme. Ses fruits ont pourtant été nombreux.


Il y a une vigilance à déployer pour que nos actes ne soient pas séparés des sacrements mais en soient habités par une saine intelligence de la foi, un souci de discernement et une « danse » féconde entre vie humaine, prière, discernement partages et rites. C’est cette articulation qui est clé et que j’appelle la dynamique sacramentelle dans laquelle tout baptisé à sa place qu’il soit célibataire marié ou divorcé remarié !


Je relisais récemment dans La Croix (2) un bel article sur les Xavières et la fécondité de ce mouvement poussé à travailler pour survivre. Illustration différente et complémentaire des intuitions de Madeleine Delbrel ou des prêtres ouvriers, d’une nouvelle diaconie dans l’Église qui pense, prie et agit... Troisième voie ? 


« On doit reconnaître, concluait Michel Quesnel, que de plus grandes responsabilités pourraient être accordées aux femmes dans l’Église catholique si l’on tenait davantage compte des textes de Paul, disait un autre article »(3)


La messe n’est pas le tout. N’ayons pas peur d’inventer d’autres chemins qui ne l’excluent pas, mais déploient sa dynamique et en font un sommet mais non l’unique manifestation de la communauté.


Écoutons ce que disait déjà saint Léon le Grand : 

« Soyez les imitateurs de Dieu,�(...)  Que les fidèles scrutent donc leur âme et discernent par un examen loyal les sentiments profonds de leur cœur. S'ils découvrent que leur conscience a en réserve des fruits (...)  ils peuvent être certains que Dieu est en eux ; et pour se rendre de plus en plus accueillants à un tel hôte, qu'ils se dilatent par les œuvres d'une miséricorde inlassable. En effet, si Dieu est amour, la charité ne doit pas avoir de bornes, car la divinité ne peut s'enfermer dans aucune limite.»(4)


Le chemin tracé par Léon n’est pas exclusif mais s’insère dans la même direction.


La première lecture d’aujourd’hui (Ez 47) est une belle illustration de la fécondité des sacrements. Du Verbe peut couler un fleuve immense.


(1) cf. mon livre éponyme téléchargeable gratuitement sur Kobo.

(2) Les xavières, cent ans de « troisième voie »

Youna Rivallain, La Croix du 2/2/21, à l’occasion de leur centenaire 

(3) La Croix du 18/2/21 sur Paul et les femmes. Ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire de Michel Quesnel Médiaspaul.

(4) Saint Léon le Grand, sermon de Carême, source office des lectures du 16/3/21

(*) Voir aussi : 

https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/

05 mars 2021

Danse avec Michel Rondet - 38

 Danse avec Michel Rondet -38

Pour continuer dans l’hommage à la spiritualité de Michel Rondet, et en écho à une longue discussion que j’ai eu avec lui à la Baume les Aix il y a plus de 20 ans, je dirais que son souci de l’accompagnement inductif est, d’une certaine manière en phase avec la pastorale d’engendrement longtemps développée par P. Bacq et C. Theobald(1).

Il s’agit d’abandonner un enseignement de certitudes figées pour partir de cette inhabitation en l’homme qui l’appelle et le pousse à aimer.

Un chemin en fait très rahnérien et probablement aussi très ignacien, qui cherche à pousser l’homme au discernement intérieur et le conduit sur ses chemins sans forcer un discours.

Agenouillement devant l’homme(2), pédagogie du polyèdre(3), pastorale du seuil (4) et de la périphérie...?

L’enjeu est finalement d’oublier nos catéchismes trop scolaires pour retrouver l’homme dans son éternelle quête du divin.

N’est-ce pas finalement le chemin kénotique du Christ à Emmaüs, qui rejoint l’homme perdu sur les routes de Palestine, donne un sens à leurs quêtes et disparaît dans la fraction du pain, de peur d’imposer une présence qui est déjà semence en l’homme.

Nos quêtes se rejoignent quand la danse du Verbe vient réveiller chez nous une flamme vacillante, fait vibrer nos cordes intérieures à la musique divine.

C’est ce que j’appelle la danse trinitaire (5).


Ramener au centre(6) n’est-ce pas, comme le souligne aussi Kasper, en venir à résumer le problème en « Jésus-Christ oui, l'Église non ! Ce qui les intéresse, ce n'est pas le Christ que prêchent les Églises ; ce qui les rend attentifs, c'est Jésus lui-même et son affaire[7].» La réponse que l'on tend à donner, selon lui, c'est de montrer que le christianisme est devenu objectif dans l'Église. Mais alors, souligne-t-il, Jésus Christ risque d'être accaparé par l'Église et l'Église risque de prendre la place de Jésus[8] ». 

« La "pastorale d'engendrement" [qui] puise son inspiration dans une certaine manière de se référer aux récits fondateurs ne prétend pas se substituer aux autres modèles pastoraux (…). Elle renvoie à l'expérience humaine (…), évoque tout d'abord les paroles et les gestes de l'homme et de la femme qui s'aiment et qui s'unissent pour donner la vie. En s'offrant ainsi l'un à l'autre (…), ils s'engendrent mutuellement et donnent la vie à un nouvel être qui, à son tour, les engendre à devenir parents[9] ».

Il s'agit de transmettre une manière d'être, faite d'accueil et de don, mais surtout redonner une certaine « fécondité à l'Évangile », susciter une « contagion relationnelle » autour de la Parole de Dieu, vecteur de relecture et d'interpellation personnelle et communautaire. »(10).

On n’est pas éloigné de ce que prêchait aussi Joseph Moingt dans « l’Evangile sauvera l’Église » et finalement de ce que j’ai lancé sur la pointe des pieds dans mon projet de Maison d’Evangile sur FB (11). Un lieu où la Parole danse avec nous.



(1) « Une nouvelle chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, sous la direction de Philippe Bacq, sj et Christoph Théobald, sj, Lumen Vitae, Novalis, Éditions de l'Atelier, Bruxelles 2004 »

(2) (4) et (5) cf. mes livres éponymes librement téléchargeables sur Kobo

(3) pour reprendre l’expression fréquente de notre pape.

(6) pour paraphraser le titre d’un beau livre d’Hans Urs von Balthasar

(7) « W. Kasper, Jesu der Christus [Jésus le Christ], Matthaus Grünewald Verlag Mayence 1974, Tr. fr. J. Désigaux et . Lefooghe 4° Edition, Cogitatio Fidéi, Oct 1991, p. 33

[8]     ibid. p. 34

[9]   Une nouvelle chance pour l’Evangile, op. cit. p. 16-17

(10) Extrait de Pastorale du seuil, Claude J. Heriard, op. cit.

(11) https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/

16 février 2021

Nu devant l'autre - danse et contre danse 33.7

Tous deux ne feront plus qu'un. Tous les deux, l'homme et sa femme, étaient nus, et ils n'en éprouvaient aucune honte l'un devant l'autre. (Gn 2, 24-25)

Deux questions se posent. De quelle nudité parle-t-on ? À la lumière de ce que nous venons d'esquisser, ce ne peut-être seulement la nudité du corps, mais bien une notion plus vaste, celle de s'exposer, de se mettre à nu, en vérité devant l'autre. Oser quitter ses défenses et faire le pas de la confiance ? Nous reviendrons sur ce point.

La deuxième question est dans la nature de ce désir qui permet d'être tendu l'un vers l'autre, sans en avoir honte. Quel est-il ?

Ce n'est plus le manque, le désir pulsionnel, mais une recherche plus grande. Un Désir qui touche à l'idéal, une crête impossible à atteindre ? Non, un état, une relation, une unité, une symphonie où l'autre est autre. Un chemin, un appel, une interpellation pour le couple. Ce désir de l'autre ne le réduit plus à un objet, mais entre dans la danse d'une relation de réciprocité où chacun a le droit d'exister, de vivre dans sa différence. Une relation. Elle trace, à son échelle, le début d'une approche de la Trinité.

Le lien qui va unir les époux ne peut que s'inscrire en effet dans cette relation du don et du recevoir qui en fera le cœur de l'échange « sacramentel ». Et quelle sera la nature de cet échange si ce n'est un amour qui, idéalement, est à une distance infinie de soi-même comme le dit M. Zundel ? Ce qu'il dit là à propos de la Trinité peut être chemin de crête pour le couple. Quitter son moi pour être don. « Te recevoir et me donner. Non pas me prêter, mais me donner tout entier ». Il n'est pas neutre que ces versets de la Genèse servent de référence au Christ quand il évoque le couple (Mat. 19,5) et que Paul les reprenne dans Éphésiens 5,31. Ils traduisent cette tension à chercher, cet appel, ce chemin ascendant que nous qualifierons à la lumière de Paul Ricoeur de métaphore vive(1) ou d'hyperbole, c'est-à-dire l'entrée dans une dynamique ascendante (2) qui fait passer de l'amour humain à un amour plus grand qui nous dépasse. La relation sera à l'image d'une relation plus belle encore.

Être nu devant l'autre, c'est aussi s'exposer. Avoir l'un pour l'autre une relation vraie. En actes et en vérité (3) Exposer son corps comme on expose son visage, dans la beauté d'une relation qui respecte son corps et le corps de l'autre. Tracer les chemins d'un don, d'un échange mutuel dont on n'a pas honte.

Il y a enfin dans cette phrase une bénédiction. Dès la création, l'homme et la femme sont relation en devenir. Échange en vérité. L'exposition mutuelle du regard, l'échange d'un cri qui vient du cœur et va au cœur, ouvre à une relation où l'on quitte soi-même et son histoire pour mettre en commun son cœur, mais aussi son corps.

Tel semble être le chemin tracé par Dieu, d'après la Genèse. Elle exprime dès l'origine une vision positive sur l'homme et son potentiel d'amour. L'homme est appelé dans cette voie ascendante, ce que j'appelle l'hyperbole. En sera-t-il digne ?


Quelle Chute ?

Le chapitre 3 de la Genèse trace néanmoins un deuxième écueil. Plusieurs interprétations ont été données sur ce texte pivot du mystère de l'homme face au mal. J'en retiendrai deux.

Selon une première clé de lecture, dans la Divine Origine, M. Balmary parle d'un repas qui n'est pas partagé. On quitte la vision positive du chapitre 2 qui introduisait une relation vraie, une unité dans l'échange. On n'est plus dans le fait de quitter père et mère et soi-même, mais on reste dans une recherche personnelle du plaisir. « Je mange, tu manges ». Il n'y a plus repas et unité, mais plaisir personnel où l'autre n'est plus proche, mais concurrent ou serviteur de mon plaisir et de mon bonheur.

Il n'y a donc plus un rapport de Personne à Personne, une danse globale, mais une relation de Personne à objet. Tu es objet de mon désir, je te désire pour que tu sois source de plaisir. Et lorsque ce désir sera assouvi dans le plaisir, viendra la chute de mon manque. Jean Luc Marion décrit ainsi l'après-rencontre comme une falaise(4), où tout s'effondre, mon désir, mon plaisir et mon manque. Cette chute brutale du désir peut conduire à un esclavage, comme un dom Juan qui court vers une nouvelle recherche de plaisir. La rencontre, n'étant pas rencontre véritable, n'a pu porter ses fruits, il lui manque les deux autres aspects qui en font une danse : la construction du Nous et l'ouverture à la Vie.

P. Beauchamp, dans son analyse de ce chapitre de la Genèse(5) parle quant à lui d'un rapport de puissance. Vouloir accéder à la connaissance de l'autre (le verbe connaître a ici un sens de consommation), devient une façon de renforcer son Moi, d'accéder à une toute-puissance du Moi. Une recherche qui défie Dieu pour en prendre le pouvoir. Je défie l'ordre divin parce qu'il m'empêche d'être son égal.

En cela le serpent déforme la parole de Dieu pour orienter l'homme vers sa chute. Il déforme le « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras pas » (Gn 2, 16-17), et suggère que Dieu craint cette « divinité », cette concurrence de l'homme.

La chute devient un enfermement sur soi, un enroulement sur soi-même, son égoïsme, ses certitudes. La chute, c'est vouloir être Dieu tout seul, sans Dieu. Construire sa tour d'orgueil et ne plus en descendre. S'enfermer dans un égo-centrisme, dans l'orgueil d'une toute-puissance qui ne laisse plus de failles à l'altérité.

Il y a aussi, dans cette analyse, un chemin de discernement pour le couple. Il peut se traduire dans ce que l'on appelle le conflit des « deux tours ». Il est à l’opposé de la « descente de tour », où l’on se met à nu pour d'atteindre le même niveau de vérité que celui évoqué dans Gn 2,25. « Être nu devant l'autre et ne pas en avoir honte ». S'exposer dans la nudité de celui qui demande et de celui qui reçoit. Trouver le chemin d'un amour dans la réciprocité. Ce chemin n’est pas celui du Serpent qui travestit la vérité pour masquer son désir de puissance.

De fait, suite à ce don du jardin et de la femme, l’homme est resté ignorant. Il n’a pas compris que le don était démesuré et il n’a pas écouté la parole qui lui donnait un chemin de vie.

L'homme a cru au serpent, il est parti sur une fausse piste, celle d'un Dieu qu'il croyait tout-puissant et jaloux de son pouvoir. Il pensait que Dieu ne voulait pas lui donner sa place, le laisser être Dieu à côté de lui. Et pourtant, s'il avait su...

Mais le Dieu de nos fantasmes, celui que nous imaginons, le Dieu gâteux, vieux sage, jaloux de ses droits est-il le vrai Dieu‍ ?

S'il avait su, l'homme...

Il n'aurait pas cru ce serpent intérieur, ce doute qui vient quand on n'a plus confiance en soi et en l'autre, ce faux Dieu qui s'installe quand on se ferme à l'écoute... Il aurait entendu l'appel.

Depuis l’alerte donnée par ce récit, il nous faut entendre et réaliser que le serpent se glisse partout, jusque dans nos certitudes. Jésus lui-même le rencontre au désert (cf. Mat 4 // Lc 4) (6)et il réapparaît au milieu de ses amis, le dernier soir (cf. Jn 13). Restons attentifs, gardons nos lampes allumées, car la tentation nous guette, elle s’insère dans les failles de nos certitudes, déforme jusqu’à la voix de Dieu.


Et n’oublions pas que Dieu est là. Il nous attend et nous appelle : « où es-tu ? » crie t il encore d’Eden à Gethsémani. À suivre


(1) voir son livre éponyme mais aussi l’insistance de Paul Beauchamp in L'un et l'autre testament,

(2) cf. La dynamique sacramentelle 

(3) cf. Alphonse d’Heilly, Aimer en actes et en vérité 

(4) Jean Luc Marion, le phénomène érotique, Grasset, Figure, 2003, p. 212ss,

(5) Paul Beauchamp, L'un et l'autre testament

(6) cf. Le chemin du désert

15 février 2021

La voie royale ? - une danse kénotique 33.6

Je reviendrais sur la nudité et la chute qui forment une agrafe entre Gn 2 et Gn 3. En complément de mon billet 33.5 je voudrais aller plus loin sur le terme de la « chair de la chair » et en intersection et résonance avec le texte de la liturgie d’aujourd’hui sur une des facettes de l’expression, le « donner naissance ».

Il y a dans le mystère très intime de l’accouchement dans la douleur que défend avec brio Sylvaine Landrivon dans son dernier livre (1) une piste de lecture spirituelle qui reste à poursuivre et à tracer plus en détail.

La « voie différente » des femmes qu’elle souligne, à la suite de Caroll Gilligan, est sa manière une voix très intérieure. Cela commence par un tressaillement (2) et va jusqu’à un combat - à la manière de Jacob (3)-, un renoncement et une délivrance, nous avons là aussi une Pâque mais aussi une danse kénotique particulière qui transforme la jeune fille en mère, qui ouvre à son tour non plus comme l’homme son « côté » à la manière anesthésiée (4) de Gn 2, mais laisse place, bien au contraire, non sans douleurs, à autrui, au visage d’autrui, au Fils, comme un Père très maternel dont les entrailles se retournent (Osée 11) pour révéler l’amour...

Lent accouchement intérieur qui rejoint à sa manière ma web série sur les tressaillements(5), moi qui ne suit qu’un terreux, indigne de connaître cette voie royale faute de ne pouvoir être femme, je perçois ici un chemin de contemplation particulier du mystère des mères (6), de leur aptitude non violente à se donner pour autrui dans le « cadre » appris douloureusement par cette voie royale. Je renverrai aussi volontiers à ce dernier opus qui trace pour moi une voie particulière de combat pour celles qui passent parfois bien difficilement à cette occasion du statut de « fille de » à « mère ». Un décentrement qui est là aussi kénose. 

Le sommet s’exprime discrètement chez Sylvaine Landrivon, entre les lignes, dans cette comparaison avec le cycle d’Exode 33-34 (7) où l’homme rejoint l’inaccessible Dieu dans une rencontre incomplète (8). Mais ce que connaît Moïse sur la montagne n’est que le mime fragile d’un déchirement plus dramatique, celui d’une mère qui voit son enfant mourir en Croix et laisse ainsi déchirer le voile (9) qui nous cachait le mystère final, la danse kénotique de Dieu.

Comme nous sommes complémentaires, vis à vis, et chemins de danse symphonique. L’homme par sa semence donnée dans une danse nuptiale et somptueuse ne perçoit pas toujours la dimension symphonique de ce « corps à corps » qui ira jusqu’au « peau à peau »d’une mère qui laisse aller la chair de sa chair dans un cri digne de celui, final, d’un Dieu qui s’efface en un geyser d’eau et de sang versés (Jn 19). Passage qui prépare la traversée d’une mer rouge sang...

Comme le souligne Sylvaine, est-ce vraiment une malédiction (Gn 3) que cet engendrement (10) dans la douleur ? 

Non, bien au contraire, c’est une fission du cœur, une kénose qui devient féconde par ce qu’elle libère. Car dans ce mouvement kénotique par excellence se joue un don véritable. Une mère en accouchant sans refuser la douleur devient don. Elle le ressent jusque dans ses entrailles et ce déchirement est le premier d’un laisser aller sans fin.


À méditer.


(1)  Sylvaine Landrivon, La voie royale, Cerf, 2020

(2) cf. http://chemin.blogspot.com onglets tressaillement 

(3) cf. La voie royale p. 270

(4) ibid. p. 291

(5) cf. note 2, http://chemin.blogspot.com/search/label/tressaillement

(6) cf. le livre éponyme de Catherine Bergeret Amsalek et notre échange du 25/8/20.

(7) Pédagogie divine p. 300 à 322

(8) la voie royale, op.cit. p. 323

(9) voir mon « rideau déchiré » repris dans Pédagogie divine.

(10) genèse d’une pastorale en devenir ? au sens donné par Bacq et Théobald ? privilège féminin ?


PS1 : J’ai toujours eu du mal à comprendre la troisième vocation du baptisé. Prêtre parfois, prophète aussi, mais roi en quoi ? Serviteur du Royaume par la voie royale que seules les femmes peuvent atteindre in utero...? 


PS2 : Voir aussi en contrepoint ma petite nouvelle « La danse intérieure »

13 février 2021

Danse, symphonie et liturgie 33.5

J’ose poursuivre mon analyse. Même si le texte de la Genèse est trop court et trop dense pour que l'on saisisse la portée de ce qui est sous-tendu. Il y a  une « esthétique » des origines. C'est un peu comme si les deux auteurs de ces chapitres de la Genèse se taisaient devant l'indicible. Comment décrire en effet ce paradis perdu ?

Il faut d’abord peut-être inverser le sens de la lecture, ce que les deux premiers chapitres de la Genèse décrivent n’est pas une situation passée, mais probablement une situation future ou en tout cas une invitation dans ce sens. Ce qui est décrit n’a pas existé comme tel sauf peut-être dans le plan de Dieu. Cela était voulu par Dieu pour l’homme et cette relation sera, à la fin des temps, quand le mal sera vaincu... 

Peut-on tracer une voie dans ce sens ? 

Il n’est pas anodin que Jésus lui-même cite ces versets dans l'une de ses seules allusions au mariage (Mat 19,5) pour exprimer le bonheur qui nous attend.

Le protestant J. G. Hamann nous donne une image très belle de cette « étincelle esthétique » en décrivant ainsi le paradis ou « tout voyait et goûtait, de première main et de toute sa fraîcheur, la bienveillance du maître d'œuvre, qui jouait sur la terre et trouvait sa joie avec les enfants des hommes. » « Toute manifestation de la nature était une parole. (...) Tout ce que l'homme entendait, voyait et considérait de ses yeux, touchait de ses mains était une parole vivante ; car Dieu était la Parole ». (1) Hans Urs von Balthasar complète cette description en ajoutant que tout le sensoriel était Parole de Dieu à l'homme et réponse de l'homme à Dieu. Il s'agit bien d’une symphonie entre la création, le créateur et l'homme.

Une symphonie où chacun s'efface pour être et transmettre l'amour. Une forme « humaine » et qui reste donc imparfaite de la Trinité pourrait-on dire, dans laquelle l'homme et la femme sont invités à être à l'image et ressemblance de cette Trinité déjà existante, mais que Dieu voulait rendre visible au sein même de la création à travers l'amour d'un homme et d'une femme :

« Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1,27) »

« Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait : c'était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le sixième jour » (Gn 1,31).

 

Introduire un parallèle entre le couple et la Trinité est délicat, mais suit finalement la logique d’Eph. 5. (2) Si la Trinité est cet admirable échange entre le Père, le Fils et Esprit Saint, un échange d'amour, l'humanité, fruit de l'acte libre et gratuit de la création, est invitée de fait à participer à cet amour trinitaire par le don de l'Esprit. En effet, l'amour du Père se manifeste à travers le don et l'incarnation de son Fils, qui rejoignant notre humanité se fait don. Il reçoit son amour du Père et se donne d'un don total, jusqu'au bout. Et cet échange est suivi, transmis à l'humanité par l'Esprit, généré de cet échange d'amour entre le Père et le Fils et inscrit dans le cœur de l'homme avec la discrétion d'un Dieu aimant qui se donne, tout en respectant notre liberté.

Dire ainsi que le projet de Dieu sur l'homme et la femme repose sur cette admirable invitation de Dieu à participer à cet amour trinitaire, c'est signifier que l'amour conjugal est, dans le plan de Dieu, appelé à signifier à sa manière, le mystère invisible de cet amour des trois Personnes au sein du Dieu unique.

Ce projet de Dieu sur l'homme s'entend comme une vision eschatologique, c'est-à-dire qu'il ne sera pleinement réalisé et visible qu'à la fin des temps. Le couple est invité à signifier par la symphonie de son amour imparfait cette bonté même de la création.

Le deuxième récit, de tradition plus ancienne, reprend cette image d'une symphonie en insistant sur la différence homme - femme, sous-entendant le désir. Mais cette description ajoute une touche plus réaliste à cette première description.

Il faudrait ici résumer tout mon livre « aimer pour la vie »(3) que je vous invite à découvrir car il poursuit et manduque longuement ces versets 24 à 26 en partant du « quitter » jusqu’au « faire une seule chair ». On y voit que le mariage humain, qui a pris sa source dans la matrice du désir (éros) humain, devient ainsi signe d'un autre dépouillement (kénose), celui où l'homme quitte ce qui l'attache à sa matrice pour s'ouvrir à l'autre, pour le recevoir dans son immensité, mais en même temps se donner dans sa propre nudité, exposition de tout son être à la grâce. Ce dépouillement visé par le mariage est également double, tout en étant réciproque. Le « Je te reçois et je me donne à toi... » est prononcé par chacun des époux et sous-entend cette double dimension.

D'abord, il appelle à une réceptivité extrême de l'autre et de Dieu en l'autre et invite, en même temps, au don total de soi-même et donc à un renoncement à « l'être-pour-moi » vers un « être-pour-l'autre ». Cet échange ne doit pas pour autant être une violence faite à l'autre. Par cette limitation de moi, je m'élance vers l'autre tout en le laissant être autre...

On se souvient du chemin du Christ décrit par Paul dans l'hymne aux Philippiens :

« Lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur » (Philippiens 2).

 

Nous sommes appelés à quitter nos parents, comme le Christ quitte son Père pour se faire homme, et même serviteur, don de soi hors de soi.

Le visage de l'autre m'appelle à cette sortie de moi-même. Elle m'assigne au don. Je dois faire un pas en avant dans la confiance en autrui, différent de moi-même. Et ce pas est rupture de mon enfermement sur moi-même ou mon semblable (mêmeté) qui m'enfermait dans mon confort intérieur.

Le pas en avant vers l'autre permet de trouver en soi un au-delà de soi. Ce décentrement autorise une sortie de sa tour, pour planter une tente dans un ailleurs, une relation véritable, une ouverture à l'autre et à l'être véritable qui apparaît dans le visage de l'autre. Cela permet une projection dans l'avenir, dans la confiance, cette foi en l'autre, auquel j'accepte de me donner. (...) Quitter père et mère, c'est finalement accepter qu'un ailleurs puisse être, qu'un autre visage soit devant moi.

Et l'irruption du visage de l'autre devient possible lorsque mes yeux se sont ouverts et que mon cœur est prêt à franchir cette distance.

Une seule chair...?

Il quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme et les deux ne feront qu'une seule chair … (Gn 2,25).

 

Quitter un cocon pour en retrouver un autre ? De quelle union s'agit-il ? Sylvaine Landrivon dans sa thèse déjà citée (4) développe très bien ce danger fusionnel. L'unité à trouver est le cœur de la spiritualité conjugale. Elle est cette symphonie de l'âme et du corps où l'un et l'autre ne perdent pas leur essence, mais conjuguent à l'infini, désir et complétude. Une symphonie où l'autre cœxiste, préexiste parfois à soi-même. Le texte hébreu ne vise pas une fusion. Le terme employé (basar) est plus vaste. Il évoque plus une relation qu'une fusion. La sagesse juive qui est partie du manque ne parle pas d'une réponse à ce manque, mais évoque plutôt une construction, une escalade du désir que le récit de la chute (Gn 3) viendra compléter…

Le terme hébreu basar porte un sens plus large que le sens français; il exprime une symphonie des corps et des cœurs que nous avons du mal à percevoir dans notre monde marqué par la chute, mais qui transparaît dans le sens sacramentel d'une relation conjugale (cf. mes chapitres 10 et 11 d’aimer pour la vie).

Le long soupir d'un violon solitaire ne remplacera jamais les harmonies d'une symphonie ou d'un concerto. La musique n'est pas un plaisir solitaire, mais la rencontre d'instruments. En se répondant, jouant sur les contrastes et les spécificités de chacun, ils parviennent à exprimer une beauté intérieure souvent indicible. La musique est le lieu de la rencontre, de l'expression et du don. Elle n'est pas centrée sur elle-même, mais ouverture à la beauté. Pour beaucoup, elle atteint même le sommet de l'expérience esthétique et ouvre au spirituel. 

Cette symphonie qui consiste à vivre en actes et en vérité le « je te reçois et je me donne à toi » peut tendre vers cette dépossession de l'homme au service de l'amour. Dans cette direction qui devient exercice d'une certaine chasteté peut poindre cette image de la Trinité que nous avons esquissée plus haut.

Il y a, dans le concept même de chair, une dimension de relation au sens trinitaire dans le sens où l'unité est danse entre les Personnes, chacune toute tournée vers l'autre (cf. jean 1). En effet, il ne s'agit plus alors du seul désir humain, mais d'une danse, c'est-à-dire d'une véritable conjugaison des corps et des cœurs au service d'un amour qui les dépasse. Une Personne entre en relation avec une Personne prise dans sa totalité. C'est dans ce sens que le pape Jean Paul II dans ses Catéchèses du mercredi (5) dit que « le langage des corps devient la langue de la liturgie » (…) et élève le langage du corps « aux dimensions du mystère ». Le mot liturgie, qui dans son sens étymologique signifie action du peuple, prend ici son sens chrétien de culte, de célébration de l'amour divin. Cette célébration dépasse le seul amour humain. La danse des corps et des cœurs peut devenir ainsi célébration de l'amour reçu, une manière de rendre grâce aux dons reçus du créateur, mais aussi d'être signe de cet amour.

On retrouve cette même idée de liturgie évoquée par X. Lacroix dans le Corps de Chair lorsqu'il souligne le sens multiple, la polysémie du mot chair qui porte un sens corporel et spirituel. Dans une vision personnaliste qui considère que l'homme est une Personne, telle que celle reprise par Jean Paul II, cette multiplicité du sens appelle en fait à ce qu'il qualifie de « totalité unifiée ».

« Unifier le cœur, le corps et l'esprit, c'est justement entrer dans cette symphonie où mon corps et ton corps sont les humbles instruments d'un dialogue qui fait intervenir tous les langages, celui du visage, de la tendresse, et surtout cette harmonie du cœur sans laquelle la musique reste solitaire. Tu es corps, mais aussi Personne, digne de tendresse et de respect, porteur d'une flamme qui te dépasse… » Cette symphonie est ouverture et s'inscrit dans cet échange.

Dès le chapitre 4 de la Genèse, la Bible emploie à ce sujet le mot hébreu « yd » (connaître) pour décrire la rencontre intime d'Adam et d'Ève : « L'homme connut Ève sa femme » (Genèse 4,1), Mais comme le souligne Ève dans le même verset : « J'ai procréé un homme, avec le Seigneur », soulignant ainsi que cette connaissance est plus vaste qu'une simple relation entre deux humains. Dans l'Ancien Testament, la connaissance est d'ordre existentielle, c'est-à-dire exprime toute une série de liens et de relations qui vont de la connaissance intime, familiale à la connaissance de Dieu, dans l'Alliance et à travers sa révélation.

Dans cette direction, le théologien protestant J. G. Hamann va un pas plus loin dans cette analyse de la Genèse en décrivant le connaître de l'enfantement comme une véritable connaissance symphonique. Ce sens plein du terme biblique traduit une forme de révélation.

Cette image d'une femme qui vibre de tout son corps et tressaille d'allégresse dans cette co-création d'un petit homme est alors une connaissance nouvelle, une révélation intérieure, qui dépasse la seule sensation d'un corps présent dans un autre corps, mais évoque une transcendance, c'est-à-dire la perception d'une présence plus intérieure, plus intime. Cette communion avec le créateur, qui conduit à la naissance d'un petit homme, rejoint à sa manière cette communion du Père et du Fils dans l'Esprit Saint. Elle rappelle aussi ce tressaillement du Fils au sein de la Vierge lors de sa visite à Élisabeth.

Nous irons plus loin dans ce sens, mais il faudra ouvrir un autre livre de Sylvaine avec qui j’ose ici entrer en résonance sur la pointe des pieds.


(1) G. Hamann, Ritter von Rosenkreuz n3 p. 32, cf. Urs von Balthasar in la Gloire et Croix, Styles T2.2 p.147 

(2) disponible gratuitement sur kobo

(3) voir mon billet danse 33

(4) Sylvaine Landrivon, La femme remodelée, op. cit., not. p.205sq

(5) Jean Paul II, L'Amour Humain dans le plan divin, Cerf, p. 30. Ses catéchèses ont été reprises en un tome dans Homme et femme il les créa aux éditions du Cerf