28 février 2022

Le troisième pas - danse 2.38

Une fois pris dans le tourbillon de la danse, où s’arrêter ? La reprise, le jeudi saint du mime original du lavement des pieds n’a de sens que lorsqu’il prends chair dans un amour en « actes et en vérité ». C’est ce que Jean Zumstein (1) appelle sa deuxième interprétation du lavement des pieds, non plus seulement comme lieu de contemplation d’un Dieu à genoux, mais comme « exemple », exhortation à continuer à faire de même. 

Pour Pierre le premier sens du lavement des pieds est déjà difficile à accepter. Non pas toi Seigneur… Est-il capable de faire le troisième pas ?

Qu’est-ce que le troisième pas et pourquoi parler en effet d’un troisième pas de danse. Parce que pour moi, le premier agenouillement introduit la Croix, le vrai « agenouillement »mais si la Croix est signe élevé, lieu de salut et invitation, non à un sacrifice (unique) par essence, mais à la conversion/metanoia du cœur qui nous met au cœur du mouvement introduit cet axe même qui va du chapitre 13 de Jean (lavement des pieds) au chapitre 19 (croix). Tout dans cette « danse » est orienté pour nous préparer à agir.

Le lavement des pieds est, comme le souligne le Christ lui-même au verset 15, « un exemple [ὑπόδειγμα] pour que, comme moi j’ai fais à vous, vous aussi vous fassiez » (2) Jean 13, 15.

Tout est orienté vers notre agir, notre diaconie véritable.

Zumstein, à propos de ce verset et plus largement du geste de Jésus insiste sur le mot grec ὑπόδειγμα / exemple, là où Léon Dufour parlait de mime. De mon côté je maintiens le mot de danse, car depuis le geste du chapitre 13 au « tragique » de la Croix se révèle l’essence même du mouvement qui va de Dieu à l’homme, descente indicible, POUR que l’humain aille à l’humain… Non pas un agenouillement servil devant Dieu, mais un amour dans cette démesure que nous contemplions dimanche dernier.

Quel chemin que cette humilité de Dieu (kénose).

« Le don que le Christ fait de sa vie et qui porte l’amour à son achèvement est la condition de possibilité de l’amour des disciples. Parce que le Christ instaure l’amour comme une réalité dans le monde - plus précisément comme la réalité [ultime] (…) -, les disciples sont mis en condition d’aimer ».(3). Sont-ils pour autant capables de prendre ce  « toboggan » théologique qui part de la pédagogie divine à jusqu’à la révélation et n’a comme but unique que de nous projeter vers l’essentiel, le commandement unique d’aimer « d’agapè » [sans mesure] ? C’est en tout cas l’inaccessible projet de Dieu qui nécessite le torrent d’amour que décrit Jean au chapitre 19, ce jet d’eau et de sang jaillissant de la faille d’un cœur brisé et donné sans retour qui n’est autre pour lui que le don de l’Esprit.


Ce que les hommes n’avaient pas perçu, semble évidence pour les « amies de Béthanie », qui, dans leur complémentarité salutaire, font de Marthe et Marie les deux faces les plus visibles de la révélation en marche, nous glisse à sa manière Sylvaine dans ses « leçons de Béthanie  » (4) déjà évoquées… 


Pour nous, l’enjeu n’est pas de croire qu’il s’agit d’un acquis, d’une courbette éphémère. Cette danse vers l’homme est inaccessible pour nous sans la force de l’Esprit qui vient cueillir notre désir et nous fait franchir le ravin entre un « peut-être » et l’agir véritable.


Or, il n’est pas innocent de noter, que pour l’auteure, ce sont des femmes qui sont baignées les premières dans ce torrent d’amour et deviennent actrices du salut.


En paraphrasant l’hymne d’aujourd’hui ont peu s’agenouiller devant celles qui ont cru les premières :


Les voici rassemblées

Dans la maison du Père,

Les compagnons d'épreuve

Qui t'ont vu crucifié.

Tu ouvrais le passage,

Elles marchaient sur tes traces,

Ô Seigneur des Vivants.


Elles portaient dans leur cœur

Pour éclairer le monde

La mystérieuse image

De ta gloire humiliée.

Messagers d'espérance,

Elles semaient ta parole

Et c'est toi leur moisson.


Elles ont place au festin

Dans le Royaume en fête,

Pour avoir bu la coupe

De l'amour partagé.

Tu leur montres le Père

Et ta joie les habite,

Ô Jésus, Fils de Dieu !


Nous fêtons aujourd’hui la chaire de Pierre, mais sur quelle pierres vivantes est bâti ce trône ? N’oublions pas celles qui ont lavé leur tuniques dans le sang de l’agneau. Méprisées alors que leurs « voies royales » (5) [toutes leurs souffrances ou dévotion accumulées] les mettent devant ceux qui ont pris la première place en négligeant les toutes aimées de Dieu…

Hommage et humilité…


(1) Jean Zumstein, l’Evangile selon saint Jean (13-21), Labor et Fides, 2007

(2) Jean 13, 15, traduction littérale 

(3) Zumstein, ibid. p. 53

(4) Sylvaine Landrivon, les leçons de Béthanie, Cerf 2022. 

(5) cf. son livre éponyme

20 février 2022

Le premier pas - danse 2.37

Nous sommes venus et nous sommes repartis.

Qu’est ce qui a changé ?

Comment notre vie est-elle bouleversée par Christ ?

Cette question, nous ne pouvons la poser à la dérobade et je n’ai à peine le droit de la poser ici. Et pourtant elle devrait me travailler, nous travailler, au plus profond de notre cœur, car elle est essentielle. Elle est au cœur de notre engagement de chrétien.

Dans la première lecture de ce dimanche, David surprend ses interlocuteurs, alors qu’il s’inscrivait dans une logique de violence, le voici qui est transformé de l’intérieur, qu’il renonce à mettre la main sur son roi et interpelle sa raison.

Dans la deuxième lecture Jacques interpelle de la même façon notre humanité. Sommes-nous des fils d’Adam, des « terreux » ou des fils spirituels ?

Que sont d’ailleurs les fils de l’Esprit ? C’est peut-être ceux qui acceptent d’être changés en profondeur, qui sentent monter en eux la violence et qui la répriment, changent leur « cœurs de pierre en cœur de chair » et se laissent conduire par l’Amour, l’amour avec un grand A, celui qui « ne cherche pas son intérêt » mais entre dans la démesure du don, un don immense, dont le Christ est seul icône parfaite.

Jésus nous parle aujourd’hui dans ce texte particulier de Lc 6, 27-38 qui suit juste le message des béatitudes. Il va un pas plus loin. Et quel pas !

Si l’on te frappe, tends la joue gauche. Ne répond pas. Tends ton regard vers l’agresseur, ne lui tends pas la première joue, celle qui a souffert, ce qui serait du masochisme, mais interpelle-le par ton regard, et en même temps, change ton regard pour changer le sien. Laisse toi envahir par le par-don, par l’Amour. Ce à quoi nous conduit le Christ est plus grand que tout. Il est cet amour que décrit Luc, débordant, démesure, don qui ne compte pas, qui ne juge pas.

Il est agenouillement, devant tous les Judas que nous sommes, comme ceux que nous subissons.

Christ croit en toi, en moi, en nous.

Le voici, à genoux, pleurant, pour que se réveille enfin, l’amour, celui qu’Il porte sur nous, qu’Il nous partage à l’infini, à chaque fois que nous entrouvrons la porte de notre cœur et qu’en nous se glisse le don de l’indicible, et nous conduit au « me voici » qui nous fait danser la musique de Dieu. 

Aujourd’hui, comme tous les dimanches, il est là, à genoux, non pas pour nous mettre à genoux, mais parce qu’il croit en l’impossible, qu’il est Amour.

La veille de sa passion, quand il s’est mis à genoux devant celui qui le livrait, comme devant Pierre, il a fait le premier pas de danse (1). Sommes nous prêts à faire le second. Allons nous communier à cet Amour qui se donne et se redonne dans la démesure d’une eucharistie en actes.

C’est le rêve de Dieu, de toute éternité…






Notes pour l’homélie de ce jour….


(1) peut-être pas le premier comme je le montre dans ma trilogie (cf. Lien sous l’Image 4), mais d’une certaine manière le plus fou, l’unique, celui de cette mesure débordante que nous n’imiterons jamais assez…

19 février 2022

Deux voies ? - danse 2.36

En poursuivant ma lecture (1) je repense à cette histoire découverte récemment de la personnalité particulière de sainte Jeanne Jugan, fondatrice des petites sœurs des pauvres au milieu du 19eme siècle, d’une étonnante clairvoyance pastorale et qui soudain, après quatre années d’intense activité, à été arbitrairement destituée de sa charge de supérieure. Le Père Le Pailleur a décidé en effet de nommer Marie Jamet, âgée de 23 ans, à la tête de la communauté naissante, dans le but de prendre lui-même le crédit et le pouvoir sur la fondation de cette fraternité.

« Devant l’injustice, Jeanne répond par le silence, la douceur et l’abandon. Par amour, elle avait donné son lit, son pain. Maintenant, le Seigneur lui demande de lui céder la responsabilité de ses Pauvres, ses « trésors » comme elle aimait les appeler.

Sans aucun changement extérieur, Jeanne continue à sillonner les sentiers de France pour nourrir les nombreux pauvres qui affluent dans les maisons. De nombreuses jeunes filles se mettent à sa suite, permettant ainsi d’ouvrir des maisons dans toute la France et de franchir la Manche dès 1851.

Au fil des années, l’ombre s’étend de plus en plus sur Jeanne. En 1852, à peine âgée de soixante ans, elle est rappelée à la maison de Rennes. Elle ne sortira plus en quête. Quatre ans plus tard, elle accompagne le noviciat à La Tour Saint Joseph, où elle vivra une longue retraite de vingt-sept ans.

A sa mort, le 29 août 1879, peu de Petites Sœurs savent qui elle est, même si l’influence de son énergie originelle auprès des jeunes est décisive. Par son exemple, Jeanne lègue en héritage à toute sa grande famille l’humilité, la petitesse, la douceur.

Quarante ans après l’accueil de la première personne âgée, les Petites Sœurs sont 2 400, disséminées »dans le monde au service des pauvres et des personnes âgées (2).

Ce n’est que bien plus tard que l’on découvre la supercherie. Le Pailleur l’a volontairement écartée pour prendre le pouvoir…

Jeanne Jugan ne fut vraiment reconnue comme sainte que sous Benoît XVI…

Quelle histoire !

De la même manière, pourquoi les premières femmes de l’Evangile ont elles disparues au profit d’une hiérarchie très masculine. Comment expliquer que les femmes agissantes, les Marthe, les Maries, les Junia et Lydie sont devenues des pierres oubliées dans la fondation de l’Église ? La question que soulève de manière lumineuse Sylvaine Landrivon (1) à partir de son analyse de Jean 11 mérite d’être posée car elle est finalement au cœur de ce qui se révèle actuellement comme la grande faille de notre Église. 

Alors que le grand vase d’argile, en dépit de ses enluminures et de ses dorures, se fissure, il est temps d’écouter celles que nous avons écartées pour reconstruire sur des bases plus collégiales. Est-ce l’enjeu du synode ?

Va t-on chercher ensemble une autre voie ? 


(1) Sylvaine Landrivon, les leçons de Béthanie, Cerf 2022. 

(2) biographie de Jeanne Jugan 

18 février 2022

La danse de l’agapè 2.35

Il y a une danse particulière qui m’habite, celle d’un Christ à genoux qui se fait petit et suppliant, comme en Jn 13 devant Pierre et Judas. Humilité fondamentale d’un Dieu qui appelle la seule réponse possible : non un agenouillement servil ou rituel mais une descente intérieure, une plongée dans la mer de Galilée où, comme Pierre, nu en Jean 21, et conscient de nos 7x77 reniements nous pouvons glisser d’une voix hésitante : tu sais bien que je t’aime, avec cette humble nuance du grec qui différencie notre réponse humaine (Philo te), seule réponse réaliste à « l’agapas me ? » divin. Jamais nous n’atteignerons l’amour du Christ mais c’est à cette danse kénotique que nous sommes conviés.

Relisons l’échange en grec : «ἀγαπᾷς με » Jean 21,15 ‭‭  Agapas me : M’aimes-tu d’agapè ? demande par deux fois Jésus à Pierre. 

M’aimes tu de cet agape dont parlera si bien Paul (et que nous avons contemplé récemment en 1 Co 13) ?

La question résonne encore sur nos routes. Elle ne fait que donner écho à « l’où es-tu ? » de Dieu a lancé au jardin en Gn 3. (1)


Nous sommes au cœur de cette danse trinitaire d’un Dieu qui s’efface devant le don du Fils et d’un Fils qui s’agenouille en attendant la seule réponse possible : m’aimes-tu ? Oui Seigneur tu sais bien que je [cherche] à t’aimer.  

Philo te... φιλῶ σε. 


Pierre n’aura finalement que cette humble réponse, encore marqué par son triple reniement. C’est probablement ce qui conduira Jésus à changer sa troisième question en « Phileis me ? » reprenant le même verbe que Pierre.


Ultime agenouillement d’un Christ qui vient de crier son « J’ai soif ( de ton amour) » en Jn 19. Un Christ dont le cœur transpercé nous donne la seule chose qui lui reste à donner, son sang mêlé d’eau qui est, pour Jean, Esprit de paix...


Entre la « philo » et cette « agapè » se dresse l’océan de nos fragilités...


Je reprend cette introduction tirée de mon dernier livre « danse avec ton Dieu » pour en venir à l’essentiel. Une des grandes révélations pour moi du nouveau livre de Sylvaine Landrivon (Les leçons de Béthanie) est ce même petit mot grec glissé au début du verset 5 de Jean 11. Ma lecture du grec reste balbutiante et je n’avait pas remarqué cet « agapè » que cite Jean 11,5 entre Jésus et ses amies de Béthanie : « Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. ». L’êgapa est à mettre en écho et en tension avec ce « philo te » cité plus haut de Pierre en Jean 21. Pierre ne l’atteint pas… 


Que Jean l’utilise ici, comme il l’utilisera pour évoquer le disciple « préféré » (Jn 13,23 ; 19, 26 ; 21, 7 & 20) est une interpellation. 

Cet amour là, cette danse particulière entre Jésus et ces deux femmes de Béthanie, qu’en avons nous fait ? Va-t-on continuer à l’effacer ? 

Il faut lire toutes les nuances qu’apporte l’auteure pour percevoir ce qui est pour moi soudain lumineux. Ephata… Avons nous été aveugles, sourds ou muets sur ce sujet  ? 

Avons nous ignoré une évidence ? Cette nécessaire complémentarité du vis à vis ?

J’ai déjà été long.

Mais j’y reviendrais 

A suivre.

17 février 2022

Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

 Reprise - Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

Peut-on véritablement comprendre le mystère de la Cène à laquelle nous sommes invités ? Probablement qu’à moitié. Ce qu’on perçoit à la fraction du pain, si l’on en croit Luc 24, ce n’est pas tant le prêtre qu’il soit blanc, noir, homme ou femme, mais la charité en actes de Celui qui disparaît alors, à Emmaüs en nous laissant trouver seul le chemin pour le suivre. L’essentiel est alors de se remettre en marche, car la fraction du pain n’est que le mime (1) d’un don qui va jusqu’au bout de l’amour et qu’il nous faut conjuguer à notre manière en fonction de nos dons, de nos « talents » à l’image de Celui qui disparaît tout en étant bien présent par les traces vives de la Parole et du Pain, manduqués à nouveau ensemble en souvenir douloureux et fécond de nos incapacités et de nos joies mêlées... et dans l’espérance de trouver un jour notre façon de rompre le pain dans une dynamique sacramentelle (2)  qui dépasse le rite, le mime (au sens donné par  X. Léon Dufour) pour devenir sacrement réel, signe efficace et fécond. L’essentiel est que notre façon d’agir reflète une pâle mais vraie image de Celui qui nous a invité à sa table. La fraction du pain est alors plus que le rite, elle devient Vie, Vérité, Amour partagé et donné, diaconie et communion. Tous les autres débats sur la présence ou non, la forme, l’orientation vers l’Est ou la tenue deviennent alors des frémissements futiles et ridicules... 


Il est temps qu’on retourne au centre au lieu de s’étriper sur la forme. Je n’ai jamais compris le sens des insistances sur la forme alors qu’on est invitée à une danse plus essentielle, à devenir ce que nous disons, à vivre ce que nous prêchons dans nos églises qui se vident non par la faute de l’un ou de l’autre, mais parce que nous oublions l’essentiel. Ce n’est pas nos débats sur la qualité du rite qui fera avancer ce à quoi nous invite le Christ, qui se moquait bien des lavements de mains rituelles, leur préférant une autre forme de diaconie à genoux devant l’homme (cf. Jn 13). 

Arrêtons de réguler ou d’exclure certains du partage de la Table par ce qu’ils seraient moins dignes, moins purs... que celui qui n’a pas péché jette la première pierre (cf. Jn 8 )...

Discours moralisateurs et stériles que celui qui veut fermer la porte de l’Église à certains. L’essentiel est ailleurs comme nous le rappelle François (3).

Je ne cesse de contempler cette hymne de la Fédération dont j’ai été longtemps le porte parole pour la France : «  je voudrais qu’en vous voyant vivre les gens puissent se dire : voyez comme ils s’aiment ».(4)

L’essentiel est là. C’est l’appel de Mat 25.(5).

—-

Ajout au texte original 

Je rêve en parcourant le livre de Sylvaine déjà évoqué en 2.33 à une refonte de nos liturgies, à une 5eme prière eucharistique qui ne soit plus cette fois prononcée par le prêtre seul mais donne véritablement écho à ce chœur des chercheurs de Dieu que nous sommes. Une sorte de symphonie polyédrique à plusieurs voix qui se tait soudain devant le pain et le vin, car qui peut véritablement prononcer les paroles du Christ si ce n’est le bruit d’un fin silence, le souffle ténu venu d’ailleurs ?

Alors notre communion sera pleine et entière. 

Le sera-t-elle d’ailleurs ? Probablement pas tant que le fruit reçu ne soit devenu agapè, don véritable, vécu et partagé, agenouillement non plus devant un Dieu distant mais devant les souffrants d’aujourd’hui en qui se révèle la Présence du Grand absent qui est bien là car il les porte dans ses bras…


(1) cf. Xavier Léon Dufour dans son commentaire de Jean tome 2

(2) C’est en tout cas ce que je cherche à décrire dans mon livre éponyme téléchargeable gratuitement sur Kobo

(3) cf. son entretien avec Spadaro : «  ne soyons pas ceux qui se tiennent à la porte pour empêcher d’entrer ».

(4) hymne de la fédération internationale des CPM - FICPM


(*) Je retombe sur ce texte écrit il y a 14 mois et qui n’a pas pris beaucoup de ride… dont le titre a inspiré le titre de mon dernier livre… et qu’on retrouve p. 112  voir ici https://www.amazon.fr/Danse-avec-ton-Dieu-campagne-ebook/dp/B09PQ9FJRR/

16 février 2022

Ode à la grâce - Danse 2.34

Qui sommes-nous pour revendiquer une part du Royaume..

Nous sommes des serviteurs bien inutiles.

C’est ce que nous glisse la liturgie d’aujourd’hui…

Entre Isaïe, Paul ou Pierre, les trois lectures invitent à déceler ce que Bernanos dévoile à la fin de son chef d’œuvre  « tout est grâce ».

Pierre en fait l’expérience dans l’évangile… « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre » Luc 5 

Et cependant cette impuissance peut-être un chemin pour nous quand nous percevons que Dieu travaille au sein même de nos incompétences pour faire de nous des passeurs… 

A condition bien sur de ne pas oublier qu’il est la source unique de ce fleuve immense dont nous sommes comblés… 

Le fleuve d’Ezéchiel est bien large par rapport à nos petites amphores, soulignait Bonaventure.

«Ce n’est pas celui qui plante qui importe, ni celui qui arrose, mais Dieu, qui fait croître.»

‭‭Première aux Corinthiens‬ ‭3:7‬

À méditer

15 février 2022

Agenouillement et danse 2-33

Erreur de casting ? Est-ce que l’humanité aurait été sauvée de bien des erreurs si Jean avait précisé que Jésus avait lavé aussi les pieds des femmes au Cénacle, signalant ainsi l’importance de leurs rôles dans la fondation de l’Église ? Dans le contexte juif de l’époque et pendant des millénaires, cela aurait été une bombe !

Il faut lire mon livre sur Jean(1) pour percevoir que l’agenouillement de Jésus devant la femme adultère est un pas d’une danse qui a commencé à Cana et se termine au Golgotha avec la Magdaléenne. Il faut surtout lire les « Leçons de Béthanie » (2) dont je poursuis doucement la lecture, pour compléter cette impression de danse de Jésus avec les femmes de Sion qui, d’une certaine façon, n’ont rien à envier aux hommes dans leur clairvoyance théologique.

Peut-être en tout cas n’avait elle pas besoin de voir Jésus à genoux pour percevoir que la diaconie primait sur le pouvoir… et que le rite est stérile face à l’amour en actes et en vérité…

Marthe ou Marie nous précèdent-elles en Galilée ?

Si les « Marie » de Luc et de Jean, si toutes les femmes évoquées par Marc vont si loin(3), y compris jusqu’à la Croix, c’est qu’elles portent peut-être en elles ce que beaucoup d’hommes n’ont reçu souvent que par grâce (4) : le goût ou l’appel de l’indicible. 

Marie a été « visitée » par l’Esprit et a porté l’indicible bien avant la Pentecôte. Les amies de Béthanie vont bien plus loin que les apôtres dans la pré-compréhension du mystère de la Croix que Pierre, en dépit de l’épisode de la Transfiguration…

La foi des disciples est finalement bien plus fragile. Marc et Matthieu ne les évoquent pas au Golgotha. Ils ont fuit et ne vont pas jusqu’à accompagner celui qui était pourtant leur ami. 

Certes Luc 23, 49 parle des amis à distance, mais probablement pour citer le Ps 38, 12…  

Du coup se pose la question : Jean était il vraiment aux pieds de la croix ? Ou est-ce une revendication tardive ? Une image symbolique instillée par une communauté en lutte avec celle de Pierre. 

Je découvre p.41 que Sylvaine (5) se pose la même question.

L’enjeu n’est pas de dire ici qu’il y a une supériorité de la femme sur l’homme, mais de découvrir enfin que l’Eglise est danse polyédrique, symphonie où chacun à sa place, son rôle, ses talents à porter, pour faire Corps, pour faire grandir cette Église en chemin qui reste à construire, dans le souffle de l’Esprit et la grâce des dons reçus. 

A suivre…


(1) A genoux devant l’homme

(2) Sylvaine Landrivon, Les leçons de Béthanie, De la théorie à la pratique, parution le 17/2 au Cerf, p.30 sq

(3) voir danse 2.32

(4) voir danse 2.34

(5) Les leçons, ibid.

14 février 2022

Liberté et danse, 2-32

Clin Dieu ? La juxtaposition liturgique entre les textes de mardi et mercredi mérite un commentaire. Au delà de certaines interprétations que l’on peut trouver abusives et très freudiennes du texte, la tension théologique mise en scène par Marc 5 interpelle entre deux excès : celle de la loi qui enfermerait la fille de Jaïre dans des préceptes stériles de pharisiens pointilleux et celle qui met au banc une femme parce qu’elle a des pertes de sang. 

Dans les deux cas, la venue du Christ libère et le « lève toi et marche », comme le « va en paix » résonne loin de cette emprise tragique sur le destin féminin.

Il fait renaître en moi cette invitation à la danse de Dieu vers l’humanité au sens large, au delà de toute tradition enfermante et jugeante.

Agenouillement du Christ devant cette condition féminine enfermée par la toute puissance virile des hommes depuis des millénaires ? Il faut voir les « hirondelles de Kaboul » ou passer de la « purification de la vierge » que nous fêtions d’antan à la contemplation de son mystère intérieur pour sentir l’importance et l’enjeu des  «  leçons de Béthanie » que nous ouvre Sylvaine Landrivon (1) comme un dernier cri face à la honte….

« Un nouveau regard s’impose »(2)

Hâte de danser avec ce livre reçu hier…


(1) Sylvaine Landrivon, Les leçons de Béthanie, De la théorie à la pratique, parution le 17/2 au Cerf…

(2) ibid. p.10


13 février 2022

Chemin de danse fragile…2.31

Notes pour l’homélie de samedi

Nous fêtons aujourd’hui dans le diocèse de Chartres la fête de saint Gilduin (en principe le 27/1) qui a refusé d’être évêque et préféré être diacre par humilité. Il a été jusqu’à Rome pour demander ce droit et est mort près de Chartres à son retour. Suivre ses pas est peut-être un enjeu pour nous diacres ?

Guilduin est patron des diacres de notre diocèse. 

Qui sont les diacres ? Au delà de votre serviteur, la réalité diaconale est bien vaste. Elle est en partie visible ici, avec ces 15 diacres réunis, mais j’aimerais évoquer aussi les absents (Marc, qui est enfin autorisé à visiter à nouveau aujourd’hui la prison dont il est aumônier Claude, qui s’occupe de ses migrants…)

Les diacres sont une réalité bien vaste dont je ne suis qu’un pâle exemple. Mais je dirais surtout que la diaconie est bien plus large que les diacres.

Nous avons la robe blanche, l’étole de travers, mais notre amour est il cet agape dont parle Paul ds la 2eme lecture ?

Souvent je vois dans un frère ou une sœur plus d’amour que je ne suis capable de donner. 

Ce que notre pape appelle les saints ordinaires, ceux qui soignent leurs parents vieillissants, les infirmières, les aides soignantes sont plus « serviteurs » que nous qui en avons l’étiquette.


Qu’est-ce que cet amour qu’évoque Paul aux Corinthiens dans le texte de ce dimanche.

Le mot agapè qu’utilise Paul pour nous parler d’amour évoque pour moi le dialogue entre Pierre et Jésus sur le bord du lac en Jean 21. Il nous faut comprendre que même si nous rêvons d’aimer comme le dit Paul, cet amour n’est pas accessible à l’homme. Il nous parle de Dieu. 

« M’aimes tu d’agapè » demande 2 fois Jésus à Pierre…

Pierre a bien conscience qu’il n’y arrive pas… pas comme Jésus…

Paul en est conscient et il faudrait relire sa colère du chapitre 1 Cor 11 pour comprendre la dimension qu’il donne au chapitre 13.

Aimer d’agapè est peut-être, comme le suggère notre pape le rêve de Dieu. Qui peut dire en effet qu’il est amour qui prend patience ; l’amour qui rend service ; l’amour qui ne jalouse pas ; Qui  ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ?


Ce que dit Paul sur l’amour, ce qu’accomplit Jésus est plus grand que ce dont nous sommes l’image, ce que nous témoignons de l’amour ne vient pas de nous, l’amour est cette force qui vient de Dieu seul, théologal, don, force intérieure qui vient de Dieu et nous fait grandir. C’est cette force au delà de nos efforts que nous venons demander à Dieu….


Redisons le, les vrais saints, suggère François ne sont pas ceux qui portent des robes blanches, mais ces saints ordinaires qui vibrent du feu intérieur que Dieu a attisé en eux… de cette charité qui n’est pas cymbale retentissante mais humilité et miséricorde.

Comme saint Guilduin, cherchons d’abord la charité et nous serons signes que Dieu est amour, que le rêve de Dieu est possible.


Venons en a ce que nous dit l’Evangile. 

Quel est le passage d’Isaie qui fait dire à Jésus cette phrase : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre »

Le texte d’aujourd’hui ne nous le dit pas.

Il nous faut donc faire un travail intérieur pour nous rappeler ce que nous avons entendu dimanche dernier.


Entrons  dans cette contemplation du mot accomplissement.., 

Il nous invite à percevoir, au delà du contexte du chapitre 4 de Luc, ce lent travail de Dieu dans la révélation qui aboutit en Christ.

La vocation de prophète que décrit Jérémie dans la première lecture est celle de celui qui dérange, nous vient d’Ailleurs, de cet indicible de Dieu qui vient soudain nous retourner et nous conduit à l’amour.

 C’est tout l’amour de Dieu qui se dévoile dans cette troisième épiphanie…


Que pensais Jésus en dévoilant ici l’indicible ? 

D’une certaine manière c’est la première fois qu’il murmure le premier « Je suis… » qui le conduira à la mort.. 

« c’est moi le Messie, l’oint de Dieu… 

Alors que son rêve, le rêve de Dieu est de nous dévoiler l’amour, s’ouvre dans cet aujourd’hui que nous fait revivre Luc 4 un chemin de déni et de souffrance, qui sera celui du Christ, mais aussi, simultanément, la petite espérance que traduit cet aujourd’hui qu’évoque le Christ. Tout n’est pas vain, l’amour vaut la peine d’être vécu jusqu’au bout…


Je parle de troisième d’épiphanie après le baptême car ce qui suit va révéler les premiers signes de l’amour de Dieu à partir de cette lecture du Christ à la synagogue est le chemin d’une extraordinaire Révélation dont le point ultime est la Croix.

C’est cela notre chemin, jusqu’à concevoir que nos pas sont bien titubants, comme le fait Pierre en Jean 21 devant cet agapè inimitable d’un Christ qui va jusqu’au bout, jusqu’à cette déréliction qui rejoint tous les souffrants et trace soudain chez nous un chemin d’espérance….

07 février 2022

Cana ou l’impossible danse ? 2-30

Arrivera-t-on à construire une véritable kononia (1), cette communauté visée par Paul, décrite par Luc et rêvée par Jean ou Ignace d’Antioche. Est-ce un rêve téléologique ? Ce que nous disent les 2 premières lectures d’aujourd’hui (Isaïe 62 ou 1 Co 12)à  la lumière de 1Co 10 et 11 donne à penser. Cela demande peut-être un effacement de nos volontés de puissance, de valoir, pour privilégier cette quête de l’unité qui n’est pas fusion ou uniformité de pensée, mais écoute, respect, attention, agenouillement peut-être devant les germes du Verbe et de l’Esprit (2) présents et brûlant comme des flammes fragiles en tout homme. Peut-être est-ce là la véritable théologie pratique et pastorale que certains s’efforcent à définir(3). En lisant ce matin Ignace d’Antioche, je me suis pris à rêver en l’écoutant parler : « dans la concorde de vos sentiments et l'harmonie de votre charité, vous chantez Jésus Christ. Chacun de vous, devenez un chœur de chant, afin que, dans l'harmonie de votre concorde, adoptant la mélodie de Dieu dans l'unité, vous chantiez pour le Père, d'une seule voix, par Jésus Christ. Alors le Père vous écoutera et reconnaîtra en vous, grâce à vos bonnes actions, les membres de son Fils. Il est donc utile pour vous que vous soyez dans une irréprochable unité, pour être toujours participants de Dieu. » (4) Est-ce accessible ? Est-ce que François appelle le polyèdre(5). Cette semaine il recevait une délégation des mouvements d’action catholique en France. Il est touchant d’entendre leurs témoignages (6).


Il y a là aussi une invitation à la danse, à cette vision symphonie du mot basar (chair en hébreu) que je commentais hier soir à un jeune couple en chemin vers le mariage(7). Non pas fusion mais symphonie féconde de nos différences où chacun apporte sa pierre à la (re)construction d’une Église vivante, de cet impossible Corps du Christ auquel nous souhaitons communier en s’avançant chaque dimanche et prononçant le « je ne suis pas digne » qui fond nos aspérités pour faire de nous des porteurs de Dieu fragiles… temples de Dieu ? 


Comme je le glissais à propos de Cana en 2.28, nous avons tous à remplir nos jarres pour faire de notre Église un chemin vers la danse à laquelle le Christ nous a précédés. C’est probablement ce troisième jour/temps que Jean cherche à dévoiler en racontant la participation du Christ à Cana. Quand l’heure viendra mon Corps pour faire de l’Église un corps… aujourd’hui ou pour le Royaume ?


(1) cf. 1 Cor 10 et 11 et mes balises http://chemin.blogspot.com/search/label/Koinonia 

(2) Hans Urs von Balthasar,  Théologique III, L’•Esprit de Vérité, p.15 voir aussi une discussion sur thème in https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4921219631285815/ ainsi que mes balises « semence » dont http://chemin.blogspot.com/search/label/Semence

(3) voir notamment mon essai « Pastorale du Seuil » http://chemin.blogspot.com/2014/09/50-ans-decriture.html

(4) Ignace d’Antioche, lettre aux Éphésiens

(5) voir aussi mes balises : http://chemin.blogspot.com/search/label/Poly%C3%A8dre

(6) https://youtu.be/MtE0vVL2c-U

(7) cf. mes développements dans Aimer pour la vie - voir le lien en note 3.


PS : je continue sur la lancée de mon livre « Danse avec ton Dieu » en ajoutant peut-être ce point d’interrogation qui aurait pu/du figurer à la fin du titre… 😉

PS2 : voir dans mes commentaires ceux apportés par J. Fournier et MN Thabut dans le même sens.

06 février 2022

Doctrine ou conversion 2.29

Transforme nos cœurs givrés en sources jaillissantes…

Le chemin de l’homme vers Dieu n’est pas le résultat d’une doctrine mais de l’ordre du dépouillement nous dit en substance Bonaventure : « il importe de laisser là toute spéculation intellectuelle. Toute la pointe du désir doit être transportée et transformée en Dieu. Voilà le secret des secrets, que personne ne connaît sauf celui qui le reçoit, que nul ne reçoit sauf celui qui le désire, et que nul ne désire, sinon celui qui au plus profond est enflammé par l'Esprit Saint que le Christ a envoyé sur la terre. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit que cette mystérieuse sagesse est révélée par l'Esprit Saint.

Si tu cherches comment cela se produit, interroge la grâce et non le savoir, ton aspiration profonde et non pas ton intellect, le gémissement de ta prière et non ta passion pour la lecture, interroge l'Époux et non le professeur, Dieu et non l'homme, l'obscurité et non la clarté ; non point ce qui luit mais le feu qui embrase tout l'être et le transporte en Dieu avec une onction sublime et un élan plein d'ardeur. Ce feu est en réalité Dieu lui-même dont la fournaise est à Jérusalem. C'est le Christ qui l'a allumé dans la ferveur brûlante de sa Passion. Et seul peut le percevoir celui qui dit avec Job : Mon âme a choisi le gibet, et mes os, la mort. Celui qui aime cette mort de la croix peut voir Dieu ; car elle ne laisse aucun doute, cette parole de vérité : l'homme ne peut me voir et vivre.

Mourons donc, entrons dans l'obscurité, imposons silence à nos soucis, à nos convoitises et à notre imagination. Passons avec le Christ crucifié de ce monde au Père. Et quand le Père se sera manifesté, disons avec Philippe : Cela nous suffit. Écoutons avec Paul : Ma grâce te suffit. Exultons en disant avec David : Ma chair et mon cœur peuvent défaillir : le roc de mon cœur et mon héritage, c'est Dieu pour toujours. Béni soit le Seigneur pour l'éternité, et que tout le peuple réponde : Amen, amen. »

Metanoia, fission intérieure…

L’enjeu n’est pas l’endoctrinement, la récitation servile, mais bien de laisser le Verbe nous traverser jusqu’à la jointure de l’âme.


(1) Saint Bonaventure, itinéraire de l’âme vers Dieu, source office des lectures - fête du 15/7

04 février 2022

La danse du Verbe 2.28 [v2]

Il faut souvent reculer d’un pas pour comprendre les enchaînements et les effacements silencieux de l’Ecriture qui réveillent en nous des correspondances subtiles entre les événements de la vie du Christ et leurs interprétations par les évangélistes. 

Comment l’insaisissable (1) se laisse-t-il trouver ?

Nous contemplions dimanche dernier chez l’un des synoptiques, l’agenouillement du Verbe de Dieu dans l’eau du Jourdain et cette invitation à la danse humble et particulière de celui qui vient rejoindre et « épouser » notre humanité. Voici qu’il nous faut maintenant contempler les eaux usées de notre baptême et remplir à nouveaux de lourdes jarres de pierre (Jn 2) pour entrer dans l’espérance que le Verbe transforme cela en vin nouveau ou dans cette eau vive et légère que Jésus évoquera à la Samaritaine (Jn 4) à l’ombre d’un puis mythique où les patriarches rencontraient leurs épouses.

Danse subtile du Verbe qui cherche à nous rejoindre dans ce qu’il y a de plus intime et de plus fragile en nous.

Invitation toute intérieure, dans le silence de nos nuits, à poursuivre vers l’essentiel, à faire de notre agir une danse amoureuse…

Chemin d’humilité, cet inaccessible que nous tentons d’atteindre, et que Dieu seul peut transformer (transsubstantier ?).


J’ai clôturé temporairement mon livre « Danse avec ton Dieu », (2) mais comme souvent, j’en sens déjà ses limites, car l’écriture comme la tradition ne peut être statique et figée. Elle n’est, comme le dit, Paul que balayure par rapport à notre course infinie pour tâcher de la saisir et d’être saisi par lui…(Ph 3)


(1) merci à Geneviève de nous avoir rediriger vers cet entretien sublime de Maurice Bellet qui en parle si bien https://youtu.be/imRjTSNT4iY


(2) voir la version gratuite sur Kobo ou Fnac.com ou la version papier à prix coûtant ici : https://www.amazon.fr/dp/B09PQ9FJRR

09 janvier 2022

La danse de l’eau - 2.27

En Jn 3 on voit Jésus baptiser à côté de Jean.
Pourquoi cette concomitance si ce n’est qu’il y a un déplacement à faire ? Il y a un rapport insaisissable entre l’eau et le Corps à contempler. Depuis le jour où le Verbe a séparé les eaux, jusqu’au jour où elle a jailli du rocher le mystère est resté bien opaque à l’homme. 
On peut suivre le chemin de l’eau chez Jean d’un chapitre à l’autre. La voir transformée en vin, sentir la soif du Fils de l’homme qui, pourtant, promet l’eau vive à la femme étrangère, la contempler bouillonnante près de Siloē avant de se laisser laver les pieds, à côté de disciples inquiets. 
Ce n’est qu’au bout du chemin, après un « j’ai soif » qui révèle tout l’amour de Dieu pour l’homme, que, soudain, dans une nuit mystérieuse, jaillira les premiers filets d’un fleuve immense qui va ruisseler sur l’humanité. C’est quand elle jaillit d’un cœur transpercé, que cette eau révèle son cours mystérieux et la danse sublime d’un Dieu qui vient rejoindre notre humanité en s’y trempant totalement, en jouant avec l’onde, comme avec la mort, en commandant son apaisement ou la foulant de son pied nu.
Il aurait pu marcher dessus, mais a plongé pour nous, avec nous, dans l’humilité particulière (kénose) où l’homme-Dieu « trempe tout son pain/Corps » avec/pour nous. 
Le baptême de Jésus, nous disent les synoptiques, est la première théophanie. Elle en reprend les codes de l’Ancien Testament, mais ouvre déjà une porte vers l’essentiel.
Il vient se plonger jusqu’au bout et tout entier, dans l’eau de nos vies, jusqu’à en perdre souffle, jusqu’à en mourir pour nous…
Est-ce pour cela qu’a jailli le cri de Dieu : Oui, vraiment « tu ES mon Fils bien aimé, en toi je trouve ma joie » ?
C’est dans cette danse inquiète que Dieu nous invite, c’est là que se dévoile le mystère sacré du baptême. C’est à cela que Dieu veut participer et nous inviter...
Inter ou circumincession ?
Déplacement ?
Nos jarres sont à remplir d’une eau tarie et transformée pour que dans sa danse discrète Dieu se dévoile un vin nouveau, après la plongée finale sur le bois…
L’onde est chemin… 



L’eau est danse.

06 janvier 2022

Un petit pas de danse 2.26

Καὶ εὐθὺς -> Aussitôt, v’la t’y pas… Marc 6,45

Juste après avoir été nourris, v’la t’y pas qu’il nous faut grimper dans la barque…

Cette liaison de Marc est à contempler à l’horizon de nos vies… de ses tempêtes et de ses grâces, de ses douleurs et de la foi…

N’ayez pas peur…

Je suis avec vous…

Dans nos vies marquées par la crainte, par la tempête et la mort, la liturgie d’hier (multiplication des pains) et d’aujourd’hui, lecture cursive de Marc 6 nous emmène sur cette barque fragile, symbole puissant et bien secoué de notre Église.



N’ayez crainte, je suis avec vous…

Il est là, le Dieu d’amour, celui qui nous cherche depuis l’où es tu de Gn 3 et à qui nous posons pourtant sans cesse la même question… où es-tu ? Mon Dieu…

« Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! »

Il monta ensuite avec eux dans la barque et le vent tomba…

Tu étais là et je ne le savais pas..

04 janvier 2022

Épiphanie et danse tragique ? 2-25

Quel est notre roi ? Quel chemin vers le royaume… ?

Il faut peut-être mettre en perspective ce que révèle la lecture de l’office des lectures d’aujourd’hui pour saisir la tension même de l’Évangile d’aujourd’hui et percevoir que le seul récit des mages nous conduit bien plus loin. L’office des lectures reprend toutes les attentes royales des psaumes 71 et 95 et d’Isaīe 60, qui mettent en contexte l’attente d’Israēl, cristallisée par ce récit des mages de Matthieu. Pour un juif baignant dans les Écritures il n’est pas difficile de sentir qu’elle était la pression derrière cette quête royale. 

Prenons le temps d’en relire certains versets avant de comprendre le chemin à parcourir :

« Des peuplades s’inclineront devant lui,

ses ennemis lècheront la poussière. Les rois de Tarsis et des Iles apporteront des présents.

Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande. Tous les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront. » Ps 71, 9 à 11


« Rendez au Seigneur, familles des peuples

rendez au Seigneur la gloire et la puissance » Ps 95,7


« rendez au Seigneur la gloire de son nom. 

« Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » (Is 60,8)


Matthieu nous y prépare par son Evangile de l’enfance et son récit des mages. Il glisse par l’évocation de la myrrhe une direction particulière, mais c’est son Evangile entier qu’il faut contempler car l’attente messianique a besoin d’être convertie.  Cela ne constitue qu’une infime partie du fil rouge de l’évangéliste qui de l’épiphanie au manteau rouge et à la couronne d’épine, va venir convertir cette attente en autre chose et quel chemin !


Quelle déception en effet pour les juifs ordinaires, et notamment Judas, de voir le roi qu’il attend, trainé dans la poussière et la dérision jusqu’à cet épisode sordide du couronnement d’épines : 

« Ils emmenèrent Jésus dans la salle du Prétoire (...)  lui enlevèrent ses vêtements et le couvrirent d’un manteau rouge. Puis, avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient devant lui en disant : « Salut, roi des Juifs ! » Et, après avoir craché sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frappaient à la tête. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier. » Matthieu 27, 28-31


La danse où nous conduit Matthieu n’est pas un chemin de gloire humaine mais bien le chemin de dépouillement. Et c’est peut-être Jean 21 qui, des évangélistes, en aura le dernier mot, signe pour Pierre et d’une certaine manière, pour toute notre Église : 

« Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » 


Notre Dieu est nu et là est sa gloire… son royaume est autre…


Aujourd’hui nous contemplons son épiphanie, mais, à la suite des mages, ce que nous venons contempler n’est pas une toute puissance, mais bien le dépouillement de nos idées de puissance et de gloire. Il est chemin par sa faiblesse et son humilité.

29 décembre 2021

Pro-position comme danse - 2.24

Il y a un petit mot courant en grec (« pros ») qu’on a parfois du mal à bien traduire tant il évoque un mouvement vers l’autre. J’écrivais quelque chose à ce sujet il y a quelques jours dans ma méditation sur le prologue de Jean que la liturgie nous donne à manduquer à Noël. Par son « πρὸς τὸν Θεόν » Jean nous parle d’amour, de don, d’un Verbe tourné vers le Père, tendu vers Dieu, trace, là encore ténue, de ce qu’on nommera Trinité. Mais Jean n’en est qu’au prologue et ce qu’il évoque est juste un chemin d’espérance qui se précisera à la fin de son Évangile dans ce dialogue final du Fils qui remet tout au Père.

Noël est le début du chemin. Nous savons que du bois de la mangeoire se dessine déjà le bois de la Croix. Il nous faut peut-être du temps pour comprendre que ce non-événement est le lieu où le Père se retire pour laisser grandir un fils d’homme qui deviendra Christ, l’oint de Dieu, qui révèlera, au bout du voyage qu’il est lumière pour le monde. Jean le suggère mais ne dit pas tout, car il nous faut faire tout le chemin de la mangeoire à la Croix, pour que le sens même de cette incarnation devienne lumineux. »

Cette traduction poétique partait du petit « pros » que glisse Jean dans le grec de son prologue. Dynamique particulière que perçoit Jean entre les personnes divines tournées l’une vers l’autre.

Ce qui est intéressant est peut-être d’aller plus loin au delà d’un Dieu immanent ou immobile, vers ce Dieu qui nous invite à cette danse, dans une pro-position(1). 

Ce qui se joue, notamment dans les sacrements et en particulier dans l’eucharistie, est plus que la mémoire douloureuse qu’évoque JB Metz dans sa théologie, c’est un donateur qui s’efface, dans cette hostie fragile et que nous recevons ou pas dans sa pleine dimension de don.

Je te propose la vie…

Ce « pros » est celui du Dieu nu et à genoux devant Judas lui proposant une dernière bouchée (Jn 13), mais bien plus encore, sans espoir (?) que l’autre se laisse toucher par cette humble posture.


Dieu se propose à nous…

François Cassingena-Trévedy le dit très bien : « Jésus se fait pour nous, en cet instant crucial de son convivre (convivium [incarnation ?] avec nous, le poète de sa propre existence »(...) Jésus ne prend rien que le Père ne lui ait donné (…) « pro-position », pour nous. Jésus se pose dès le principe, comme destiné à nous, et c’est ce qu’il ressaisis en un geste exhaustif, tandis qu’il prend du pain (Mr 26,26) »(2)


Dans l’axe de la mangeoire à la croix le don du pain n’est autre que cette invitation fragile à entrer dans la danse, à se laisser habiter par le don… 

Proposition répétée souvent qui rime avec « l’où es-tu ? » de Gn 3, cette quête éternelle, cet agenouillement particulier de Dieu vers l’homme…


Prenez et mangez…

Peut-on consommer l’insaisissable sans se laisser habiter par une voix contagieuse (3) par l’immensité du don qui se révèle dans un petit enfant. 

Le cri du vieux Siméon se fait nôtre quand on perçoit l’ampleur de ce dévoilement.



« Maintenant, ô Maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur s’en aller

en paix, selon ta parole.

Car mes yeux ont vu le salut

que tu préparais à la face des peuples :

lumière qui se révèle aux nations

et donne gloire à ton peuple Israël. » Luc 2


Il a enfin, un autre stade, qui n’est pas un jeu de mots mais une conversion, celle de changer de position, comme une boussole qui cherche le Nord et se tourne vers l’autre (pros) au lieu de s’enfermer sur soi. Alors nous formons un Corps, nous dansons ensemble dans la musique de Dieu avant d’atteindre celle des anges…


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III p. 165

(2) ibid.

(3) cf. son livre éponyme

25 décembre 2021

Double agenouillement et ouverture - 2.23

Avant d’arriver au cœur du mystère de l’incarnation, peut-être fallait-il descendre jusqu’au point où l’on écoute, dans le silence, le bruit du monde, sa plainte, son désarroi, ses impasses et ses chemins stériles, ses fausses joies, son désespoir et plus fondamentalement la violence qui demeure. 

Ce chemin je viens de tenter de le parcourir. Ce n’est en effet qu’en descendant très bas, aussi bas que possible, dans le silence de la nuit, quand le cri de l’enfant martyrisé, abusé, violenté, ou plus sournoisement nié et tué que l’on peut comprendre l’agenouillement de Dieu devant la femme qui va porter en son sein un Sauveur.

Au delà de toutes polémiques, il est demandé à l’homme de s’interroger pour savoir comment il est possible que le Père s’agenouille aussi bas…

C’est quand on perçoit le double agenouillement de Dieu et de la femme qui,  dans leur « me voici / fiat » mêlés, que peut apparaître une lueur, un fragile rayon de lumière et que l’espérance jaillit.

La lecture très spirituelle de Luc et de Matthieu n’est-elle pas finalement au dessus de toute rationalité historique et charnelle ? 

Ne devient elle pas chemin d’espérance ? 

La kénose du Père et la réponse mariale mérite d’arrêter tout discours et de contempler à la fois dans le silence, l’innommable, l’impossible, l’imposture et l’insaisissable…

Comment l’infini s’approche-y-il de l’humain, au plus loin de toutes « périphéries » pour rejoindre sans violence ce monde pris dans le tumulte d’une suffisance.

Le double agenouillement de la femme et de Dieu, l’intercession, la rencontre, la danse, au sein même de la circumincession des Personnes divines, laisse finalement une seule voie fragile, celle de notre propre agenouillement…


À l’épaisseur du mystère et du voile qui recouvrent l’incarnation et cette question souvent discutée de celle qui s’ouvre à ce mystère, que cherche à percer les deux « évangiles de l’enfance », répond pour moi, comme en écho, deux voies / voix tout aussi fragiles, celles qui :

1. aboutit au cri / sommet sorti de la gorge du centurion infidèle (Mc 15, 39) que Marc fait suivre au déchirement du voile (*) 

2. ou l’agenouillement sponsal d’un Christ (*) qui se dépouille de son vêtement pour laver les pieds de l’homme en Jn 13, dans ce X. Leon Dufour appelle un mime d’une extrême densité symbolique.

C’est au creux de ces quatre voies, dans la polyphonie des Écritures que prend chair, pour moi, la symphonie fragile des Évangiles…(1) et que peut se concevoir ce que l’Église cherche à contempler, y compris sur la virginité. 


En ce jour du martyre des saints innocents peut on dire plus, espérer plus que de tracer un chemin fragile qui va d’un souffrant à l’autre jusqu’à la contemplation de la déréliction, ce silence de Dieu qui accompagne la mort du crucifié et nous appelle à croire que Dieu est vainqueur de la mort par ce mystère fragile qui va de l’incarnation à la résurrection ? Et qui, ce faisant, « a besoin de nos mains », comme le disait Etty Hillesum au camp de Westerbroch (2)


(*) cf. mes essais « Le voile déchiré » et « À genoux devant l’homme »

(1) un beau thème développé par Hans Urs von Balthasar dans la fin de sa trilogie 

(2) cf. Une vie bouleversée

22 décembre 2021

La trilogie - lectures pastorales

Écrire ou se taire ?
Contempler ou faire silence...
La kénose ou l’humilité de Dieu est au cœur de ce travail intérieur.
Ici se présente à vous ma trilogie :


Une suite presque complète de mes lectures pastorales rassemblée en trois gros volumes à découvrir gratuitement sur Kobo et le site de la Fnac... (ou en 5 tomes « papier » à prix coutant sur Amazon (1)
Environ 2000 pages de lectures commentées de la Parole de Dieu, lent travail interactif entre la lettre et l’agir, éternelle interpellation d’un glaive tranchant qui interpelle et fait grandir.
Ces pages constituent en quelques sortes le fondement de ma vocation.
Le tome central (A genoux devant l’homme) est intégré dans le premier volume, mais se distingue tellement qu’il peut être aussi une porte d’entrée...
Une série plus vaste de mes travaux de recherche est détaillée partiellement dans le billet précédent.
Quel est l’enjeu de cette écriture toujours évolutive ? 
Peut-être est-ce de retracer mon propre chemin intérieur. Si j’ai résisté 25 ans à l’appel au diaconat, honte à moi ? (*)  Il fallait probablement que je me transforme de l’intérieur et ce chemin n’est pas terminé. Me voici diacre depuis deux ans. Qu’est-ce que cela fait de plus ? La question mérite d’être posée. Comme le dit Paul en Ph. 3 le passé est balayure. L’important c’est de « se laisser saisir par le Christ ». Mon ordination ne fait pas de moi un surhomme, mais continue de m’interpeller. Pourquoi ? En vue de quoi ?  Je travaille sur la réponse... je reviendrai vers vous sur ce point. Ce qui est certain, c’est que le grand danger est d’entrer dans le système de ce que j’appelle la « tentation cléricale » au lieu de percevoir et de stimuler le mouvement complet de l’Église vers sa dimension diaconale. 
Pour moi, c’est toute l’Église qui doit basculer d’une tentation ritualisante vers une dynamique diaconale (2), pour retrouver comme le suggère Jean, à la différence des synoptiques que l’important n’est pas le faire mémoire d’un repas partagé mais l’agenouillement devant l’homme qu’est la kénose. 
Passer d’un « entre soi » à un « pour autrui... » c’est en tout cas la thèse que je commence à développer ici. Saint Augustin le dit très bien entre les lignes dans sa méditation sur les pasteurs (cf. L’office des lectures du mardi 22/9 que je viens de méditer par hasard). Aux ossements desséchés doit faire place des pasteurs qui ne cherchent pas leur intérêt mais la vigne, celle du Seigneur. Cette transformation est totale...
Écoutons Augustin : « Par toutes les montagnes et toutes les collines, mes brebis sont dispersées sur toute la surface de la terre. Que signifie : sont dispersées sur toute la surface de la terre ? Cela désigne ceux qui s’attachent à tous les biens terrestres, à ce qui brille sur la surface de la terre ; voilà ce qu’ils aiment, ce qu’ils chérissent. Ils ne veulent pas mourir pour que leur vie soit cachée dans le Christ. Sur toute la surface de la terre, parce que les brebis égarées par l’amour des biens terrestres sont sur toute la surface de la terre. ~ Elles sont en divers lieux, mais elles ont toutes été enfantées par une seule mère, la fierté orgueilleuse, de même que notre seule mère, l’Église catholique, a enfanté tous les fidèles chrétiens répandus dans le monde entier.
Il n’est donc pas étonnant que l’orgueil enfante le désaccord, tandis que la charité enfante l’unité. Cependant la Mère catholique elle-même, avec le pasteur qui est en elle, cherche partout les égarés, fortifie les faibles, soigne les malades, bande les membres fracturés ; elle s’occupe de ceux-ci aussi bien que de ceux-là ; ils ne se connaissent pas entre eux, mais elle-même les connaît tous, car elle est répandue partout. ~
Elle est comme une vigne qui, en se développant, se répand partout ; eux sont comme des sarments inutiles, coupés par la serpe du vigneron à cause de leur stérilité, pour que la vigne soit élaguée, mais non pas ravagée. Ces sarments-là demeurent à l’endroit où ils ont été coupés. Tandis que la vigne se développe de tous côtés, et elle connaît ses sarments ; ceux qui sont restés sur elle et près d’elle, ceux qui ont été coupés.
C’est pourquoi elle rappelle les égarés, car l’Apôtre dit des rameaux brisés : Dieu a le pouvoir de les greffer de nouveau. Que tu parles des brebis égarées loin du troupeau, que tu parles des branches détachées de la vigne, Dieu peut bien ramener les brebis et greffer les branches, car il est le souverain berger, il est le vrai vigneron. Elles ont été dispersées sur toute la surface de la terre, personne ne s’en préoccupe, personne ne va les chercher, parmi les mauvais pasteurs, personne ne s’en préoccupe, mais il y a eu un homme pour cela.
C’est pourquoi, berger, écoutez la parole du Seigneur : Aussi vrai que je suis vivant, parole du Seigneur Dieu.Voyez comment cela commence. C’est comme un serment de Dieu, une attestation de sa vie. Aussi vrai que je suis vivant, parole du Seigneur. Les pasteurs sont morts, mais les brebis sont en sécurité, car le Seigneur est vivant. Aussi vrai que je suis vivant, parole du Seigneur Dieu. Quels sont les pasteurs qui sont morts ? Ceux qui cherchent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus Christ.  Y en aura-t-il donc, en trouvera-t-on, des pasteurs qui ne cherchent pas leurs propres intérêts mais ceux de Jésus Christ ? Oui, il y en aura ; oui, on en trouvera, ils ne manquent pas et ils ne manqueront pas » (3)
(1) Les titres des 5 tomes papier équivalent à cette trilogie numérique et disponibles notamment sur Amazon sont les suivants : Pédagogie divine, chemins de miséricorde, chemins croisés, à genoux devant l’homme, Serviteur de l’homme.(2) cf. mon essai La dynamique sacramentelle  
(3) Saint Augustin, sermon sur les pasteurs, office des lectures de la 25eme semaine.
(*) mon épouse plus que moi encore 



Noël autrement, les limites du rite ? 2 - 22


Qu’allons nous célébrer à Noël ? 

Une fête païenne ou la Parole fragile, le silence ténu, le cri d’un enfant ? Prendre le temps de ruminer lentement Luc 2,1-18 (*), nous conduit « Ailleurs ». Noël est bien autre chose. C’est surtout, dans l’axe du cri de Marie [« il relève les humbles »] une semence d’espérance pour les pauvres, loin de nos excès et probablement de nos suffisances ? 


La liturgie a trop découpé le sens donné par Luc 2.

Il faut peut-être aller plus loin… 

Nos rites désuets ne remplaceront jamais ce que révèle la paille rêche d’une crèche. 

Dans le silence de la nuit se murmure à nouveau en effet le psaume dit de David : « tu n'as demandé ni holocauste ni sacrifice. Alors j'ai dit: Je viens / [Me voici ] avec le livre-rouleau écrit pour moi. (...) Moi, je suis pauvre et déshérité; mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon secours et mon libérateur: mon Dieu, ne tarde pas! » Psaumes‬ ‭40:7-8, 18‬ ‭

Le dépouillement de Noël est d’une certaine manière le même que celui de Jésus lors du dernier repas.

Avant d’ouvrir des yeux faussement béa sur l’enfant né, n’oublions pas ce qu’il ouvre dans l’espace temps. N’oublions pas de tracer dans nos cœurs la ligne qui va du bois de la mangeoire à celui de la Croix jusqu’à un geyser, signe du fleuve immense des dons de Dieu.

Noël est le prélude discret de la Passion. 

Luc prépare Jean dans la même danse spirituelle.

Quand le fils de l’homme retire son vêtement en Jn 13, il redevient l’enfant pauvre, au milieu des pauvres. Noël n’est pas un simple rituel, mais d’une certaine manière le premier « signe efficace », un sacrement de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes au sein d'une communauté vivante, car il nous révèle l’essentiel : ce qui prime est l'attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux migrants, aux nouveaux esclaves à qui Jésus s'identifie ici. 

Et cette direction est celle là même qui est évoquée par l’appel des bergers, de ces parias du judaisme de l’époque, rejetés car impurs, [au contact des animaux]. 


Que célébrons-nous ? Et avec qui ?

Noël n’est pas le confinement familial qu’il est devenu, mais le lieu même du don.

On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l'absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n'avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Luc nous conduit aux mêmes conclusions que Jean par son évangile de l’enfance. Il est peu historique mais très spirituel.


Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d'attacher de l'importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l'eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui… 

Notre communion est stérile si elle se contente de satisfaire notre entre soi.

Comme Luc en introduction, Jean dans sa conclusion nous conduit au même décentrement, mais ajoute une dimension différente. Le rite de l'eucharistie est depassé par une dynamique sacramentelle (cf. mon livre éponyme) qui n'est pas centré sur un mime du dernier repas, mais sur l'agenouillement kénotique et la croix, exhortation finale de Jean. 

Entre les lignes, on peut lire une injonction qui prend aujourd'hui une dimension plus urgente et fait écho avec ce que nous dit entre les lignes le pape François : Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir" ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"[3] comme cette auberge de Béthleem chez Luc.

« Allez à la périphérie », sous entendu (mais je force volontairement le trait) ne restez pas dans vos églises à mimer le premier  Noel ou le dernier repas, mais agenouillez vous devant l'homme blessé (Jn 1), criez votre soif (Jn 4), agenouillez vous devant les souffrants (Jn 5), partagez et donnez (Jn 6), agenouillez vous devant les pècheurs (Jn 8 et Jn 13), ou courrez vers eux (Luc 15), comme vers les étrangers (Mat 11), pleurez avec les souffrants (Jn 11). Vivez dans l'agapè.


Je rejoins là d’une certaine manière la belle l'injonction de François Cassingena-Trévedy qui nous a longuement préparé au désert par la contemplation des terres froides de son pays avant de nous offrir ses roses de Noël… https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3746631415561337/ Elles font écho aux danses fragiles de mes « tulipes » trinitaires développés dans les 75 billets précédents :-)


[1] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »

Voir aussi François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

* Cf. nos essais fragiles dans la Maison d’Évangile - La Parole Partagée




[1] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »

Voir aussi François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

21 décembre 2021

Chute et frémissement ? 2-21

Il y a peut-être une leçon à tirer de cette situation particulière qui voit l'effondrement de nos babylones anciennes. Au delà du style particulier du message de Jean, de ses exhortations datées, il nous faut peut-être transposer ce qui interpelle l’aujourd’hui dénoter Église, non pour dire que tout est accompli, mais parce qu’il reste un chemin. Écoutons d’abord le cri sous ce prisme : « Malheur ! Malheur ! la grande ville, Babylone, ville puissante : en une heure, ton jugement est arrivé ! (...) les marchands de la terre pleurent et prennent le deuil à cause d'elle, puisque personne n'achète plus leur cargaison : cargaison d'or, d'argent, (...) « Les fruits mûrs de tes convoitises sont partis loin de toi, tout ce qui était brillance et splendeur est perdu pour toi, et cela plus jamais ne se retrouvera. » (...) « Malheur ! Malheur ! La grande ville, vêtue de lin fin, (...) toute parée d'or, (...) , car, en une heure, tant de richesses furent dévastées ! » Ap 18, 10 sq




De quoi parle l'apôtre Jean si ce n'est peut-être de nos constructions humaines, notre monde financier, certes, mais peut-être aussi nos églises de pierre maintenant vidées de leur peuple. Face à ce désert et ce dépouillement, il nous faut revisiter ce qui est essentiel, ce qui compte vraiment, au delà des « cymbales retentissantes »(1Co 13).

Ce qui demeure est peut-être ce qui est dépouillé du faste. C'est ce qui est de l'ordre de l'amour. 

Le rideau s’est déchiré (1) et seule la croix nue et décharnée sur un ciel sombre luit de vérité. « je suis le chemin, la vérité et la vie ». (Jn 14).

La croix est loin de tout faste et de tout or, elle est cet amour désintéressé d'un donateur qui s'efface et meurt après avoir tout donné.

Christ est humilité et kénose...loin de nos splendeurs factices et peut-être même du faste ancien de nos liturgies.

Abandonnons l'or et contemplons le bois transpercé, la chair meurtrie de ceux qui donnent et se taisent, de nos soignants épuisés et vidés. 

Ils brlllent d'un amour plus essentiel que nos ors et nos paroles humaines, voire de certains de nos discours ou de nos prières machinales qui oublient ce qui est voilé et silencieux au fond de nous-mêmes : l'appel à l'humilité et à l'agenouillement.


« Le Christ Jésus, +

ayant la condition de Dieu, *

ne retint pas jalousement

le rang qui l'égalait à Dieu.

7 Mais il s'est anéanti, *

prenant la condition de serviteur.

Devenu semblable aux hommes, +

reconnu homme à son aspect, *

8 il s'est abaissé,

devenant obéissant jusqu'à la mort, *

et la mort de la croix.

9 C'est pourquoi Dieu l'a exalté : *

il l'a doté du Nom

qui est au-dessus de tout nom,

10 afin qu'au nom de Jésus

tout genou fléchisse *

au ciel, sur terre et aux enfers,

11  et que toute langue proclame :

« Jésus Christ est Seigneur » *

à la gloire de Dieu le Père.(Ph 2, 5-11)


Le suis le chemin...

Et quel chemin ?

Peut-être l’humilité de Dieu, la kénose du Père puis du Fils qui se répand ensuite silencieusement dans nos cœurs et loin de tout discours surfait.

Il est vérité et vie.

À quelle vie nous appelle le Christ sinon de tenter cette voie ardue, presqu’inacessible de l’amour donné et partagé ? 

Je suis...

Il est chemin, il est présent.

Présent dans le cri du frère, blessé, abandonné ou, comble de l’horreur, abusé. Il est dans l’appel ténu que nous ne savons pas entendre, dans cette main que nous refusons et ignorons sans cesse...


Déposer son vêtement pour le lavement des pieds c'est aussi, pour le Christ, commencer le dépouillement final. 

On pourrait faire une lecture spirituelle qui voit le dénuement du Christ suivi de son action de verser l'eau dans le bassin puis de s'agenouiller devant l'homme comme une symbolique de la soumission finale et du sang versé. 

C'est comme on le verra plus loin sous la plume de Xavier Léon-Dufour (2), comme un premier « mime symbolique » de la croix qui se déroule ici. 

Il y a alors dans cet axe de lecture une dimension que Pierre ne comprend pas encore, faute d'en avoir la clé ultime. Le lavement des pieds, c'est déjà la Passion, le don final, le sang versé, c'est le jusqu'au bout de l'amour... 

Le refus de Pierre prend alors une autre ampleur : au delà du refus de la kénose c'est le refus de la souffrance et de la mort qui est en jeu. 


La deuxième piste à méditer est peut-être celle du signe, du sacrement et de la distance qui peut se créer entre le rite et l'agir. 

Le rite du jeudi saint n'est rien s'il demeure un mime, un discours en geste au lieu d'être un amour en actes... 

On dit que le lavement des pieds n'est pas un sacrement parce que la vie et la mission de l'Église doit être un éternel lavement des pieds... cela reste à prouver dans l'aujourd'hui de nos vies, de nos agir... 

À méditer 


(1) cf. mon livre éponyme

(2) Xavier Léon-Dufour, Évangile selon saint Jean, tome 3, p. 26 & 60.


PS : je revisite ici des textes déjà parus il y a 18 mois, mais qui me semblent plus pertinents que jamais…

« Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez… ». Ce cher Boileau avait du bon. Comme l’argile que traverse à nouveau la charrue, nos cœurs en cet hiver ont des espoirs à faire renaître, pour que grandisse en nous le germe de l’Esprit, si bien enterré dans nos cailloux profonds…

Stérilité et agenouillement - 2-20

Quel avenir pour notre Église ?

Le tressaillement de Jean au sein de l’ancienne femme stérile nous ramène bien loin et nous projette bien haut. Quelle va être notre fécondité ? Sommes nous encore dans l’espérance ?

« Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. »

Si l’on oublie les premiers mythes d’Ecriture tardive et nous concentrons sur celui que l’on considère comme le premier « croyant », il nous faut peut-être contempler, comme le fait Heb 11, les gestes d’Abram et de Sara, voir le père des nations  à genoux à Mambré devant cette triple danse de feu (cf. billet 2.17.6 ), partir de l’origine pour retrouver LA direction.

À l’origine tout commence par un acte de charité.

Tradition culturelle d'hospitalité, le lavement des pieds proposé par Abraham, n'est certes pas à la hauteur du lavement des pieds proposé par Jésus en Jean 13. 

Et pourtant... 

Il devient lieu intérieur de conversion.

Il s'inscrit dans cette dynamique même de dépouillement en dépouillement, d'agenouillement en et agenouillement qui conduira Jésus à prendre la place, à la suite des femmes de Galilée, de celle qui revient à l'esclave, pour nous montrer la voie de l'amour humble de Dieu. 

C'est ce que nous avons peut-être à méditer dans le silence et dans l'attente d'Abram au chêne de Mambré. 

Sur le sable fragile d'un homme et d'une femme, stériles malgré leur union, Dieu veux construire un peuple, une descendance. 

Que dire, de la même façon, de cette leçon d'humilité, s'il en est, que cette stérilité de Sarah qui va jusqu'à rire du projet de Dieu et découvrir pourtant en sa chair que Dieu peut faire germer une graine sur un terrain aride. 

Dieu a besoin de nous ! De nos mains…

Si nous prêtons nos corps stériles et voués à la ruine, nos églises désertées, à la construction d'un Corps, nous devenons participants, malgré notre indignité à l'édification du Temple. 

Il ne s'agit pas cette fois d'une Babel éphémère si notre dépouillement reste entier. Il faut accepter de mourir à nos rêves humains de puissance, à nos prosélytismes moralisateurs, pour que le grain prenne enfin  corps. C'est dans l'argile de nos échecs que le Seigneur dessine un chemin amoureux... 



C'est dans le terreau de nos erreurs que Dieu fait jaillir le grain du Verbe. 

C'est sur le reniement d'Abram que jaillira la descendance. 

C'est sur le reniement de Pierre que se construit l'Église. 

Nous ne sommes que des pécheurs pardonnés. 

De nos échecs Dieu fera des victoires. 

Du cri des victimes jaillira-t-il enfin l’espérance…?

Du jamais plus, combien de fois répété, peut germer un nouvel élan.

Sur la boue des « terreux », sur l'argile du potier, Dieu modèle des amphores. 

De la quête attentive de l'homme, de l'accueil humble d'autrui, jaillit le signe ultime, l'agenouillement de Dieu devant l'homme qui crie que l'amour est possible. 

Si tu veux... 

Laissons Dieu agir. 

Laissons-nous nous dépouiller de nos désirs humains, de nos quêtes de pouvoir, pour qu'au fond d'un vase brisé, d'un rideau déchiré, d'un corps mutilé, d'un rêve cassé, d'un cœur transpercé, jaillisse une source nouvelle...

Laissons le nous laver les pieds, s’agenouiller devant l’homme, percevoir que ce Dieu à genoux est sommet, don, unique geste, mime fécond, car il nous conduit à terre et veut de nos cœurs stériles, de nos églises malades, faire germer la semence.

20 décembre 2021

D’une perle à l’autre

D'une perle à l'autre

Avis de publication de ma saga en téléchargement libre : « D’une perle à l’autre »

Ce livre est un triple hommage :
A la vallée d’Avre
À Jacques et Claude, deux amis prêtres décédés chacun à 93 ans et des poussières.
Il est aussi au cœur de ma propre façon de concevoir l’homme, comme un éternel agenouillement (*)

Deux textes s’y répondent :

«Sur ma couche, pendant la nuit, j'ai cherché celui que mon coeur aime; je l'ai cherché et je ne l'ai point trouvé
‭‭Cantique des Cantiques‬ ‭3:1‬ ‭
Et dans le plus ancien des textes de la Genèse :
« Ils quitteront père et mère et feront une seule chair... » Gn 2, 22

Qu'est-ce qui déchire le cœur de l'homme ?
Qu'est-ce qui suscite en lui un cri ?
Quelle est la course qui le conduit à l'amour ?
Qu'est-ce qu'une seule chair sinon une symphonie ?
Comment faire chair sans rejoindre le Corps ?

Qu'elle est cette perle fine qui mérite un quitter ?
Quel est le cri qui conduit à se dépouiller ?

De l'éros à l'agace.
D'un amour fugace au grand amour...
D'une perle à l'autre...

"Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherchait de belles perles. Ayant trouvé une perle de grand prix, il s'en alla vendre tout ce qu'il avait, et l'acheta
‭‭Matthieu‬ ‭13, 45-46‬ ‭

D'une perle à l'autre.

Après la perle fine qui fait une apparition discrète dans le « collier de Blanche », après « une dernière valse » ou « le chant du large », « D'une perle à l'autre » est un roman de plus de 800 pages. Il raconte l’histoire de deux hommes en quête d’infini.
Le livre est disponible en deux tomes en téléchargement libre et gratuit sur Kobo et le site de la Fnac. Version papier toujours en ligne sur le « vilain site marchand... »



Cf. https://www.fnac.com/livre-numerique/a15025825/Claude-Heriard-D-une-perle-a-l-autrehttps://www.fnac.com/livre-numerique/a15025825/Claude-Heriard-D-une-perle-a-l-autre

PS : Tous mes romans comme mes essais sont ou seront maintenant offerts en téléchargement par le même biais...
Déjà disponibles gratuitement :
Une dernière valse
La barque de Solwenn
Le mendiant et la brise (Intégré dans le tome 1)
Le désir brisé (d'une perle à l'autre, t.2)

19 décembre 2021

Mystère de l’incarnation - 2 - 19


On peut écrire beaucoup de chose sur l’incarnation, évoquer des certitudes et des dogmes. Il me semble que tout commence par une contemplation, au delà de l’apparente violence des éléments, des vents et du feu, il demeure une tendresse et une espérance qui demeure et fissure nos certitudes, comme cette attente du Printemps qui habite nos hivers.

Les terres arides ne peuvent demeurer stériles, une jeune fille va enfanter crie Michée au milieu de la nuit.



Dans les ombres et marécages de notre propre humanité, dont l’Ancien Testament fait écho, un germe d’espérance se prépare, tressaillement dont Jean-Baptiste se fait le premier écho, marquant une page qui se tourne.

Tout ce qui suit quitte l’histoire pure, pour devenir chemin de foi, d’espérance et de charité.

L’amour divin n’est pas violent, il est brise légère, courant d’air, humilité, incarnation, visitation, alliance. 

Avant même les Évangiles, Paul avait déjà compris l’essentiel, à la fois à travers sa propre expérience, même s’il existe trois récits, et surtout dans son approche de Ph 2. « Il n’a pas retint le rang qui l’égalait à Dieu », mais s’est dépouillé, agenouillé… humilité de Dieu, kénose trinitaire, danse de Dieu vers l’homme.

On peut taxer Paul de visionnaire, il va plus loin sur ce thème que bien des évangiles. Ce n’est pas de l’ordre du dogme, mais chemin à contempler, contemplation et agenouillement, lieu de frémissement et de méditation. Les crispations postérieures ne sont souvent que des bulles de l’histoire 😉

Un sauveur vient, il est là, il reviendra.

18 décembre 2021

Image, ressemblance et danse - 2.17.6

Sommes nous créés, comme le suggère Gn 1 à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Lui dont on ne peut représenter l’infinie tendresse. 

La question que me pose Marie Josèphe en commentaire du point 17.5 est à cet égard intéressante.

En quoi pouvons-nous même prétendre être image de Dieu, lui l’insaisissable ?

Je développe ici ma réponse qui ne peut être que vectorielle, puisque notre image est bien mouvante. Notre apparence extérieure, notre « visage » est bien éphémère. Ce qui compte est plutôt vers quoi nous allons, la dynamique, la direction.

En Gn 1, 26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »

Mais au verset 27 « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » il n’est plus fait mention de ressemblance.

Cela  interroge d’ailleurs certains commentateurs. Pourquoi la ressemblance évoquée au verset 26 n’est pas reprise dans l’acte créateur du verset 27. 

Est-ce pour souligner la distance entre le rêve de Dieu : nous créer à « l’image et la ressemblance » et ce que nous sommes : une bien pâle et fragile image du divin, quand nous ne devenons pas, aussi, il faut le reconnaître, un repoussoir, ou un cauchemar de Dieu, en dépit de ses rêves d’alliance.

Est-ce dans sa capacité de relation entre un homme et une femme que se révèle quelque chose de la Danse trinitaire ? Ce thème est vaste (*).

De quoi parle-t-on ? 

Augustin déjà parlait de trois degrés : la trace, l’image et la ressemblance. La fleur est trace de Dieu, l’homme peut être à l’image, mais seul le Christ atteint, pour lui, la ressemblance véritable. 


Pour saint Bonaventure, nous rappelle longuement Hans Urs von Balthasar(1)  il y a plutôt six degrés : chacun des trois degrés est :

- soit un renvoi, 

- soit une représentation. 

Quand on est image de Dieu, c’est soit « comme un miroir, soit comme un réceptacle, signe immanent de l'inhabitation de Dieu »

Que veut-il dire ?

Un miroir n’ajoute rien…

Une représentation pourrait être comme un arbre qui gémit, tressaille, se transforme et sème peut-être quelques fruits ?

Passer du renvoi à la représentation, c'est finalement déchiffrer combien l'être créé qui renvoie vers Dieu est habité par Dieu et ce travail de déchiffrage est un chemin qui invite à s’interroger sur sa propre ressemblance avec Dieu, qui ne sera totale qu'en Christ. En déchiffrant les traces et notre capacité à être image, nous tendons vers la ressemblance. Et ce chemin nous fait rejoindre notre destinée, ce pourquoi nous avons été créés : « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26), un état que nous ne retrouverons qu’à la fin.


Le rêve de Dieu du verset 26 n’est pas encore réalisé, sauf en Christ qui seul déchire le voile de l’insaisissable. Et notre chemin se trace alors.


On saisit mieux ces propos de Paul que je cite (trop ?) souvent : 

« À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des [skubala = déchets / ordures], afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (Ph 3, 8-15)


Jean-Luc Marion revient à propos de Ph 3, 8, (p. 544) sur cette notion originale de déchet/ordure décrit par Paul, qui faisant suite à ses propos sur l’humilité de Dieu (Ph 2/kénose) ajoute une couche au nécessaire renoncement de l’homme à sa capacité à être « ressemblance » de Dieu. Comme il l’explique mieux que moi, l’important ce n’est pas ce que j’ai tenté de faire seul, mais se laisser saisir par Lui et tâcher de le saisir, c’est-à-dire se laisser transformer par l’Esprit. 

Seul le don de l’Esprit fait briller en l’homme des éclats de la lumière divine, comme nous le dévoile l’ange chez la jeune fille de Galilée…

Pour cela il faut un renoncement à notre propre image, être dé-figuré pour laisser passer la lumière. 

Ignace d’Antioche dirait « devenir farine » ou « froment de Dieu »(2), moulu par Dieu pour laisser/abandonner ce qui nous encombre et entrer dans sa danse…


« Je suis ce que je suis [uniquement] par la grâce de Dieu »(1 Co 15,10) (...) qu’as tu que tu n’aies reçu (1 Co 4,7).(3)


Nous ne valons que si Dieu nous donne d’être. Ce qui fait de nous des images vient de notre capacité d’inhabiter la grâce divine (au sens Rahnérien- 4), en faisant fructifier les semences reçues de Dieu, sans perdre de vue qu’elles sont théologales, c’est-à-dire qu’elles ne viennent pas de nous, mais d’Ailleurs, qu’elles sont dons divins.

Et peut-être est-ce là le chemin de l’Esprit en nous, cette « économie » intérieure qui nous fait entrer discrètement dans la danse trinitaire.

Nous dessaisir de toutes volontés d’être « image » pour entrer dans le feu ardent d’un amour qui nous embrase et nous rend participant de la lumière divine. 


Comme le note François Cassingena-Trévedy  : A Mambré « Abraham est au plus haut du jour et pour se rafraîchir il invite le Feu ! Le Feu qui va (...) les trois Flammes qui (...) dansent autour de l’arbre »… tout un programme !


Une méditation de l’agenouillement d’Abraham, premier lavement des pieds de la Bible peut conduire à méditer, d’agenouillements en agenouillements, la Révélation de Dieu à genoux devant l’homme, le Christ qui dévoile Dieu de Jn 13 à Jn 21. (6).


(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la Croix, Styles, tome 2

(2) Ignace d’Antioche, lettre aux Romains, 4, 1

(3) cité par Jean Luc Marion, D’Ailleurs la Révélation, Grasset p. 546

(4) Karl Rahner, cf. TFF.

(5) Étincelles 3 p. 157

(6) cf. mon « Dieu dépouillé » https://www.fnac.com/livre-numerique/a14771999/Claude-J-Heriard-Dieu-depouille#FORMAT=ebook%20(ePub)


(*) voir sur ce point mon essai « Aimer pour la vie »