13 août 2022

En route vers la Galilée - 7 - danse johannique

 

Je poursuis ce long travail de relecture et de simplification de mes « lectures pastorales » et parviens, sur la pointe des pieds vers la contemplation de Jean 1.

Voici un extrait de ce qui consistera une partie du chapitre 15.

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Jean 1, 29-34 – La descente de l’Esprit

29. Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui, et il dit : « Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. 30. C'est de lui que j'ai dit : « un homme vient après moi, qui est passé devant moi, parce qu'il était avant moi. » 31. Et moi, je ne le connaissais pas, mais c'est afin qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. » 32. Et Jean rendit témoignage, en disant : » J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, et il s'est reposé sur lui. 33. Et moi je ne le connaissais pas; mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit: Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint. 34. Et moi j'ai vu et j'ai rendu témoignage que celui-là est le Fils de Dieu. »


En face du Baptiste s'avance un homme qu’il décrit comme l'agneau de Dieu. Dans les autres récits de baptême, chez les Évangiles que l’on appelle « synoptiques », on peut observer l’insistance sur le geste de soumission de Jésus. Il accepte de recevoir le baptême de l’eau. L'évangéliste Jean ne reprend pas ce détail, à la différence des trois autres. Par contre, il introduit cette image, très chargée symboliquement de l’agneau. Si Jean-Baptiste utilise ce symbole, c’est peut-être pour traduire une impression plus profonde... Le baptême par Jean n’est finalement que le symbole/sacrement de ce qu’il annonce : la mort véritable, celle de l’agneau. On est donc à un deuxième stade d’écriture et on contemple et prépare ici le sacrifice de celui qui va être « immolé » à Pâques (cf. Exode). Il rappelle donc, dès le début de l’Évangile, la Pâque du Seigneur. 

Cette référence dépasse donc la simple humilité d’un Jésus qui se mettrait sous la coupe de Jean pour recevoir le baptême. Elle ouvre dès le départ une tension. Entre le symbole de l’agneau et le Christ, s’esquisse un chemin qui passant par l’humilité et la Croix rendra possible la gloire. Par les mots du Baptiste se résume l’axe humilité - gloire qui lui permet d’affirmer qu’il a vu « l'Esprit, telle une colombe, descendre du ciel et demeurer »... L’humilité du Fils est la clé de sa gloire : » j'ai vu et j'atteste qu'il est lui le Fils de Dieu »... (1, 34). Comme dans le passage de la kénose* à la gloire de Philippiens 2, il y aurait donc un lien étroit entre l'abaissement du Fils et la gloire qui se manifeste... Le rédacteur nous introduit, dès le début à cette liaison, certes complexe, mais constitutive de cette relecture post-Pascale des événements.

Étudions de plus près comment cela est construit : « Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui. »  Nous avons changé de jour et l’arrivée du Christ modifie le sens global de la scène. Jean n’est plus seul, il a une vision. Rappelons-nous ce que nous avons esquissé plus haut et qui prend maintenant sens, ces récits des théophanies* de l’Ancien Testament dont on retrouve les traces « types » dans ce récit. Elles sont souvent structurées par un temps d’humilité de celui qui assiste, puis la manifestation de la gloire (ici la colombe) suivie d’une crainte. Même si, ici, les choses sont plus succinctes, tout est symbolisé et l’insistance est la même : Jean Baptiste n’est plus à la hauteur. Il vient le Messie, l’oint de Dieu. 

« Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. » Ce n’est pas un simple animal prêt pour le sacrifice, mais l’agneau « de Dieu », celui qui libère le monde de tout ce qui l’empêche d’aimer. Contemplons cette affirmation, prenons le temps de comprendre le lien étroit, affirmé ici entre le sacrifice de l’unique et le salut. La mort de l’agneau innocent est, comme le dira si bien René Girard, le signe que le monde se trompe. En sacrifiant l’innocent, il fait apparaître sa folie, il dévoile nos mimétismes violents. La mort de l’agneau révèle le mal. On entend déjà ce que E. Wiesel suggérait à propos d’un jeune condamné dans un camp nazi : quand la folie du monde va jusque-là, le Christ est là, non du côté des bourreaux, mais des victimes. La mort de l’agneau, c’est l’échec de l’homme sans Dieu, et la révélation de l’amour. C’est l’aboutissement [et la victoire] de ce plan particulier qui, par l’humilité de Dieu, nous dévoile sa tendresse.

30. C'est de lui que j'ai dit : « un homme vient après moi, qui est passé devant moi, parce qu'il était avant moi. » : On retrouve le verset 15 et du même coup le thème du prologue, agrafé ici en arrière-plan. Décortiquons maintenant ce verset. Il vient après, en tant qu’homme, mais il passe/passera devant par son humilité, car il est avant moi, il est le Verbe, du commencement. Gymnastique conceptuelle d’une étonnante concision, mais qui recentre le prologue, le résume et ouvre à la théophanie, à la révélation du mystère.

 31. Et moi, je ne le connaissais pas, mais c'est afin qu'il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. » :  Je ne le connaissais pas. Chez Jean, on oublie les évangiles de l’enfance de Luc et Matthieu. Ou plutôt, ils deviennent anecdotiques, car la non-connaissance évoquée par Jean est probablement sa non-perception de l’ampleur de ce qui va être révélé : il ne le connaissait pas, parce qu’il ne peut connaître Dieu. Souvenons-nous du « je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure ». Jean se sent petit et pourtant, il a perçu, ou peut-être est-ce l’évangéliste qui le présente comme tel, qu’il est précurseur, premier annonciateur d’un mystère « inconnaissable ». À lui revient de manifester à Israël celui qui est…

32. Et Jean rendit témoignage, en disant : « J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, et il s'est reposé sur lui ». Prenons le temps de contempler ici ce que l’évangéliste révèle, tout en rappelant que chez Marc, cette affirmation, esquissée en Marc 1, 9 par la voix du Père : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j'ai mis mes complaisances. » n’est véritablement révélé que dans la bouche du centurion, à la fin de l’Évangile. Ici, nous sommes face, dès le départ au coeur de l’extrait du message porté par le prologue. Il n’est plus énoncé dans l’ordre conceptuel, mais au sein d’un témoignage. Les versets 32 et suivants décrivent cette manifestation indescriptible que le prologue annonçait : « l’Esprit repose sur lui ». Il est l’oint de Dieu… 

Pour le lecteur juif, cette petite phrase fait résonner l’ensemble du texte d’Isaïe qui annonçait la venue du Messie et qui commence par cette phrase : « Voici mon serviteur, j’ai mis mon Esprit sur lui ; il répandra la justice parmi les nations ». (Isaïe 42, 1). Mais il ajoute aussi cette vision particulière de la descente de l’Esprit : une vision qu’il ne peut qualifier que par un « comme une colombe »… Ce texte, cette révélation est soulignée par la grande structure concentrique qui forme comme une explosion de répétitions enchevêtrées – on compte ici jusqu’à 5 niveaux –  aperçues entre les lignes et que nous représenterons comme suit en faisant apparaître les oppositions successives entre la non-connaissance et l’apparition, ces « j’ai vu successifs » qui forment contraste et soulignent, insistent, reviennent sur le coeur du message. Jean joue avec les expressions, les fait danser, insiste au point que le lecteur ne peut plus ignorer l’importance de ce qui se joue là. Écoutons-en la musique :


26. « Moi je baptise dans l'eau; mais au milieu de vous il y a quelqu'un que vous ne connaissez pas, 

27. C'est celui qui vient après moi; 

je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure. » 

29. Le lendemain, Jean vit Jésus qui venait vers lui, et il dit : « Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde. 30. 

 « un homme vient après moi, (...) 

31. Et moi, je ne le connaissais pas,   (...) 

que je suis venu baptiser dans l’eau. »

J'ai vu l'Esprit descendre du ciel comme une colombe, 

et il s'est reposé sur lui. 33. 

Et moi je ne le connaissais pas; 

mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau 

 m’a dit 

tu verras l'Esprit descendre 

et se reposer, 

c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint. 34. 

Et moi j'ai vu et j'ai rendu témoignage que 

celui-là est le Fils de Dieu. »


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Pour mémoire, la version très détaillée avec notes, de ce que je retravaille et cherche à simplifier ici est déjà téléchargeable gratuitement sur Kobo sous le titre « Dieu dépouillé » (1700 pages) ou publié sur Amazon dans le tome 2 de ma trilogie : À genoux devant l’homme. 


Photo : baptême de Jésus, cathédrale de Chartres.

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