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04 août 2022

En chemin vers la Galilée - 2

Chapitre 1.1 Le désert

Le chemin de notre liberté passe par le désert. Première invitation, ardue, s’il en est, à s’extraire de notre course souvent futile pour entendre l’essentiel. Ce n’est pas dans un bruit incessant que Dieu pourra toucher notre cœur. Il nous conduit au désert dès les livres les plus anciens de la Bible. C’est en effet dans l’un des plus vieux ouvrages, au chapitre 2 d’Osée qu’en retentit le premier appel. 

Qu’est-ce que ce désert ? En quoi est-il le premier pas, nécessaire, incontournable, vers Dieu ? Pourquoi, est-ce par là, d’ailleurs, que le Christ commence, dès le début de sa mission de jeune baptisé ? 

Dieu nous invite, sur la base d’une trame conjugale entre le prophète Osée et Gomer, sa femme perdue : 

« C'est pourquoi, voici que moi je l'attirerai, et la conduirai au désert, et je lui parlerai au cœur » Osée 2,16.


Ici l’on sent une tension, un paradoxe. Comment attirer quelqu’un en l’emmenant au désert ? On perçoit bien que le sens propre ouvre vers autre chose, ce qu’on appelle une métaphore. Ici, l’enjeu est de sauver un peuple qui s’est égaré. L’idée derrière « je l’attirerai » met en valeur les efforts et le charme déployés par Dieu pour reconquérir le cœur de son peuple.

Il y a là les accents dramatiques d’un mari qui a vu sa femme lui échapper et qui cherche à la ramener sur ses sentiers. 


Pourquoi le désert‍ ? 

Probablement parce que la tradition en fait le lieu fondateur : c’est dans le désert que les anciens esclaves de l’Égypte sont devenus un peuple libre. C’est dans le désert que Moïse a trouvé sa voie et a conduit ensuite le peuple,

derrière la nuée, autre analogie, vers la terre promise.

Le désert est dépouillement, mise à nu, fragilité qui nous fait perdre nos fausses certitudes.

Le désert et la soif qui sont, dans d’autres textes, le chemin pris par Dieu pour affiner le cœur de l’homme, ont chez Osée un aspect plus dramatique. Conduire au désert est plus qu’une épreuve physique, un lieu de conversion.

C’est au désert que naît notre soif de l’essentiel. 

Quel est le sens de cette invitation ? 

Une épreuve ? 

Le chemin du désert est-il un chemin de mort‍ ? Une invitation au renoncement ? Probablement, sans pour autant qu’il soit de l’ordre de l’obligation. Je ne veux pas de sacrifices affirme le psaume, mais un cœur brisé.

Les mots sont forts. Une brisure…

D’autres images viennent l’expliquer. Celui qui résiste, qui fait le fier, l’orgueilleux qui pense tout maîtriser lui-même, a perdu la souplesse du roseau qui ploie et se couche sous le souffle du vent…

Le désert est dépouillement d’une carapace inutile. Il est “chemin de nudité”. “Enlève tes vêtements”, dira un des premiers versets d’Exode 33, juste après l’épisode du veau d’or…

Ta parure humaine, ta carapace extérieure ne te permets pas de trouver ton Dieu. 

“Je la mettrai à nu” crie plusieurs prophéties à propos du peuple, dont Osée lui-même.

Nudité où l’homme se sent fragile, quitte toute certitudes ? Est-ce là la voie du désert ? 


Nous touchons là à un point très délicat de toute expérience chrétienne. Le désert n’est pas un parcours forcé, mais bien une invitation. Un franchissement nécessaire, une étape, un passage, un choix.


Dieu cherche à nous séduire…

« Le mot hébreu mə-pat-te-ha est unique dans la bible. La traduction latine de saint Jérôme introduit, par contre, un double sens : en latin "lactabo" peut signifier allaiter ou séduire. C’est ce premier concept qui inspire saint Antoine : « Je l'allaiterai, dit-il, et la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur » (cf. Os 2,14 Vg.). [Pour lui], les trois expressions allaiter, conduire au désert, parler à son cœur désignent les trois étapes de la vie spirituelle : le début, le progrès, la perfection. Le Seigneur allaite le débutant lorsqu'il l'éclaire de sa grâce, pour qu'il grandisse et progresse de vertu en vertu. Il le conduit ensuite à l'écart du vacarme (..) du désordre des pensées, dans le repos de l'esprit ; enfin, une fois amené à la perfection, il parle à son cœur. L'âme éprouve alors la douceur de l'inspiration divine et peut se

livrer totalement à la joie de l'esprit. »


Se laisser conduire au désert implique une démarche personnelle, intérieure, un quitter. Nous reviendrons sur ce point. Il faut peut-être se laisser le temps de suivre ce mouvement, de partir nous aussi au désert pour y trouver l’essentiel. C’est ce que découvrent ceux qui s’avancent vers Compostelle… Le chemin, la marche a cette vertu de travailler notre cœur, par les pieds…


N’est-ce pas aussi le chemin du Christ, poussé par l’Esprit, dès son baptême ? C’est ce que note à l’unisson Luc et Matthieu.

L’idée de Dieu, suggérée par d’autres lectures, comme Proverbes 8, est de changer, séduire celui qu’il appelle, pour l’éloigner du futile, vers l’essentiel. Le Christ lui-même y fait allusion : « J’ai joué de la flute et vous n’avez pas dansé » (Lc 7, 32). La séduction de Dieu pour nous conduire sur ses chemins fait partie de cette pastorale particulière qui permet à l’homme de quitter ses calculs rationnels. Depuis les charmes de la création jusqu’aux élans mystiques, le Dieu de l’Ancien Testament nous prépare à une danse particulière qui sera celle des anges. Il déploie ici, dès les premiers chapitres, une « pédagogie » qui n’a pour but que la séduction respectueuse de l’homme libre.

Séduction parce que Dieu ne s’impose pas. L’homme reste libre. Dieu ne force pas, il appelle. Le chemin auquel nous introduit Osée est un chemin original, fait d’exhortation comme de tendresse. Si l’on y sent parfois la tristesse et la révolte face à l’homme qui s’égare, il transparaît un désir, celui que l’homme change son cœur de pierre en cœur de chair, se convertisse vers son Dieu. Pour cela, Dieu va “déchirer ses entrailles” (Osée 11), comme une mère déchirée de voir son enfant lui échapper. Le désert est la première contemplation d’un Dieu qui se penche vers l’homme, pour le relever et en faire un homme libre.

L’attraction au désert, loin des repères traditionnels, contribue à creuser un désir. En travaillant l’humilité de l’homme, mis à nu devant le « rien », il le met en condition « pour entrer dans sa danse ». C’est dans le désert que l’on retrouve son Dieu. Jésus lui-même y invite ses disciples : « Venez à l’écart, dans un lieu désert » (Mc 6, 31). 

C’est au désert que l’oreille s’affine, se fait écoutante, sensible à la musique de Dieu.

Un des plus beaux passages de la Bible sur le désert est probablement celui qui conduit Élie vers la révélation de Dieu. 

Prenons le temps de suivre ses pas…


Comme indiqué, voici le début du premier chapitre, dans sa version brute de coffrage et déjà je m’aperçois de deux choses : 

1. je retravaille des chemins déjà parcourus. (Ici mon livre, le chemin du désert, publié il y a une dizaine d’années, disponible gratuitement sur Kobo/Fnac cf. https://www.kobo.com/fr/fr/search?query=claude%20j%20heriard). Peut-être parce que l’on n’a jamais fini de manduquer cette parole qui nous dérange…

2. il est dur d’être simple quand la tête se met à penser…

Mais j’élague et cela rend les choses peut-être plus accessibles. À vous de me dire 🙂

01 septembre 2021

Pierres dansantes - 14

L’expression pétrinienne « pierres vivantes » (1 P. 2,5) ne s’écrit qu’au pluriel, tant notre quête individuelle est stérile si elle ne nous ramène pas au Christ, seul maître.

L’idéal du théologien n’est pas de se distinguer mais de participer à cette construction fragile du nouveau temple dont le sommet est un vide laissé par le Crucifié, un manque, un souffle ténu, le bruit d’un fin silence et le chœur des anges (1).

Le sommet d’1Rois 19 n’est pas la victoire d’Elie mais la découverte qu’il n’est pas seul, que le « reste » est un amas de « pierres vivantes » habitées par le souffle et dansantes.

Nos ossements desséchés ont besoin d’une musique venue d’ailleurs…


Comme le souligne saint Jérôme, l’interprétation de l’Ecriture ne peut se faire qu’à plusieurs dans la « course infinie » vers l’insaisissable. 


« Tu as voulu, Seigneur, que la puissance de l’Évangile travaille le monde à la manière d’un ferment ; veille sur tous ceux qui ont à répondre à leur vocation chrétienne au milieu des occupations de ce monde : qu’ils cherchent toujours l’Esprit du Christ, pour qu’en accomplissant leurs tâches d’hommes, ils travaillent à l’avènement de ton Règne. » (oraison de l’office des laudes)


(1) cf. mon analyse dans pédagogie divine…