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09 avril 2021

La kénose de Pierre - danse 49.2

L’évangile d’aujourd’hui, bien que triste saucisson du chapitre 21 de Jean nous conduit bien loin.

Simon-Pierre veut pêcher tout seul ou entre amis, mais les poissons ne sont pas là. N'est-ce pas la leçon de Dieu face à nos ambitions humaines. « Cette nuit-là, ils ne prirent rien » (Jn 21, 3). 

Dans une lettre à Louise Brunot, Madeleine Delbrêl insiste sur l’importance de mourir à nous-mêmes afin que nous puissions renaître dans le sens développé par Jean 3, 5-7. Pour elle notre naissance se fait « à proportion » de notre mort. C'est-à-dire que tout abandon, de l'obéissance à notre père spirituel  jusqu'au renoncement à « obéir au métro qu'on rate », est à la fois obéissance au monde, renoncement à « sa volonté propre » et de ce fait abandon de notre autonomie pour se couler dans le vouloir de Dieu sur nous. Plus qu'un regard mystique sur le monde, c'est aussi une hygiène de vie, un retour au centre. « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux » (Luc 22,42 // Matt 26,42). Leçon d’humilité qui nous rend réceptifs à la miséricorde.

Pourquoi évoquer tout cela à propos de la pêche miraculeuse ? À la question de Jésus sur le rivage : « Enfants, n'avez-vous rien à manger ? », ils doivent reconnaître l'échec de leurs volontés humaines. Ce n'est finalement qu'en obéissant à l'ordre du Christ que se révèle les dons de Dieu. Une leçon intérieure qui se poursuivra pour Pierre, comme on le verra, jusqu'à sa fin : « tu étendras la main et c'est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira jusqu'ou tu ne voudras pas ». (v. 18)

Il nous faut passer au-delà de l’illusion de se croire capable seul de réussir, ébaucher une démarche de pardon, de mise à nu. Comme il est dur, souvent de consentir, alors que l'illusion de notre valoir nous semble justifier nos actes. Et pourtant nous ne sommes que des serviteurs, instruments fragiles d'un plan de Dieu qui nous dépassera toujours.

9. Quand ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson mis dessus, et du pain. 10. Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » 11. Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. 12. Jésus leur dit : « Venez et mangez. » Et aucun des disciples n'osait lui demander : « Qui êtes-vous ? » parce qu'ils savaient qu'il était le Seigneur.

13. Jésus s'approcha, et prenant le pain, il leur en donna; il fit de même du poisson.

14. C'était déjà la troisième fois que Jésus apparaissait à ses disciples, depuis qu'il avait ressuscité des morts.

Notons, en passant, que John P. Meier considère que la version de Jean de la pêche miraculeuse est probablement plus plausible que celle placée par Luc avant la mort de Jésus, même si Jean a instillé dans le texte, comme en Jn 11, un important ajout théologique et symbolique que nous commentons plus loin.


La contemplation du Dialogue avec Pierre Jean 21, 15-25 nous conduit plus loin. 

Il est dangereux de couper le chapitre alors que l’ensemble du récit à sa structure propre. Rappelons le contexte. Il y a d’abord l’opposition nuit/jour que nous avions déjà notée entre Nicodème et la Samaritaine. Ici, comme nous l’avons vu, la nuit du pêcheur a été stérile et c’est à l’appel du Christ que la pêche devient féconde.

Il y a ensuite la symbolique du vêtement. Pierre est à nu (v. 8). Il ne se cache plus derrière son assurance. Depuis son reniement, il est probablement couvert de honte. C’est à ce moment-là que Jésus choisit l’ultime appel. Le dernier « où es-tu ? » vient le relever. Il passe un vêtement, mais est-ce suffisant ? Il lui faut plonger dans la mer pour accéder au repas. Est-ce une allusion au baptême de l'Église ?

Le questionnement montre qu’il a encore du chemin à parcourir jusqu’au décentrement final où l’amour pourra être un amour d’agapè et d’une certaine manière, un « lavement des pieds » au sens où il devient imitation de « l’amour-serviteur » de Jésus :

« Quand tu deviendras vieux, un autre te ceindra et t’entraînera, là où tu ne veux pas aller ». Jn 21, 18.

Ramenée à l'Église, cette dernière arche fait résonner ce que nous avons découvert, dans cette longue traversée de la Passion. Au pas de Dieu qui s’agenouille devant l’homme doit répondre ceux de l’homme vers Dieu. Il ne peut en tirer gloire, puisque Dieu seul emplit les filets. Mais au bout du chemin sera la pêche abondante, le repas partagé et la gloire de voir Dieu…

Pierre, lors du lavement des pieds, n’avait pas saisi l’enjeu du geste. Il restait crispé sur l’apparence. Ce que nous fait découvrir l’ensemble du récit, c’est que l’invitation du Christ n’est pas rituelle, mais totale. Ce qui est demandé à l’homme, par l’agenouillement de Dieu, est d’entrer dans une réciprocité totale, une participation à la danse trinitaire qui va jusqu’à l’amour total, sans limites, et peut conduire à la croix, non comme un autosacrifice, mais comme la conséquence d’un dépouillement, d’un décentrement de l’homme, jusqu’à l’extrême, en Dieu.

Au bout de cette traversée, nous retrouvons un schéma qui traverse l’ensemble de nos recherches, celle de la « descente de tours », ce lieu où l’homme, en quittant toutes ses certitudes, y compris pour Pierre, l’illusion de tenir dans l’adversité, parvient à la nudité d’une rencontre, « sous la tente légère ». En rencontrant Jésus lui-même dépouillé de sa toute-puissance, il parvient à l’entre-vue véritable, celle d’un Dieu aimant.

C’est ainsi que ce dernier pont peut nous apparaître, comme une révélation finale :

Décentrement                            Réception

Ils étaient nus Gn 2                Don du Jardin

Où es-tu ? Gn 3                Don de la vie

Retire tes sandales Ex 3                     Je suis

 Retire tes vêtements Ex 33     Tente de la rencontre

Il retira son vêtement Jn 13 Il lave les pieds

Ils lui enlevèrent sa tunique Jn 19

J’ai soif

        Tout est accompli

     Jaillissement du cœur

     Tombeau vide Jn 20

       Don de l’Esprit Jn 20


Le Seigneur ne demande pas plus que ce que nous pouvons porter. Il considère chacun comme s'il était la perle unique en qui il avait mis tout son amour.  Contemplons le dialogue sublime qui réunit Pierre avec Jésus au bord du lac de Tibériade. Le dialogue commence par une subtilité des deux verbes grecs utilisés par Jésus dans son questionnement.  Il demande d'abord si Pierre l'aime d'amour (agapas me) avant d'utiliser le verbe qu'utilise Pierre à chaque fois pour lui répondre. Philo te ! Je t'aime d'amitié.  

On sait que Pierre sort de son reniement,  qu'il doit avoir la honte du fils prodigue, qu’il a plongé nu dans la mer – un geste à la forte symbolique baptismale – pour se présenter devant le Seigneur et pourtant Jésus se remet à genoux devant lui, en le rejoignant dans ses mots mêmes. Et lui dit "paix mes brebis".

Écoutons ce commentaire de saint Augustin : « Le Seigneur demande à Pierre s'il l'aime, ce qu'il savait très bien ; et il le lui demande non pas une fois, mais deux et même trois fois. Et chaque fois Pierre répond qu'il l'aime, et chaque fois Jésus lui confie le soin de faire paître ses brebis. À son triple reniement répond une triple affirmation d'amour. Il faut que sa langue serve son amour, comme elle a servi sa peur ; il faut que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'elle l'a été devant la menace de la mort. Il faut qu'il donne une preuve de son amour en s'occupant du troupeau du Seigneur, comme il a donné une preuve de sa timidité en reniant le Pasteur. »

N'est-ce pas nos tentations pastorales,  qui ne sont autres que celles que Mat 4 décrit au désert.  L'avoir, le pouvoir, le valoir.

Saint Augustin poursuit : « Ceux qui s'occupent des brebis du Christ avec l'intention d'en faire leurs brebis plutôt que celles du Christ se montrent coupables de s'aimer eux-mêmes au lieu d'aimer le Christ. Ils sont conduits par le désir de la gloire, de la domination ou du profit, et non le désir aimant d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Cette parole trois fois répétée par le Christ condamne ceux que l'apôtre Paul gémit de voir chercher leurs intérêts plutôt que ceux de Jésus Christ (Ph 2,21). »

Prenons le temps de relire  ce texte de Philippiens 2, dans son contexte, c'est-à-dire depuis l'évocation de la kénose du Christ (qui n’est autre qu’une illustration théologique du lavement des pieds évoqué en Jn 13).

« Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé (en grec : ekenosen) lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. (...) Agissez en tout sans murmures ni hésitations, afin que vous soyez sans reproche, simples, enfants de Dieu irrépréhensibles au milieu de ce peuple pervers et corrompu, dans le sein duquel vous brillez comme des flambeaux dans le monde, étant en possession de la parole de vie; et ainsi je pourrai me glorifier, au jour du Christ, de n'avoir pas couru en vain, ni travaillé en vain. (...) Car je n'ai personne [hormis Timothée] qui me soit tant uni de sentiments, pour prendre sincèrement à cœur ce qui vous concerne; tous, en effet, ont en vue leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (Ph2, 5-8, 14-16, 20-21) ».

C'est dans l'esprit kénotique de Paul et sous l'éclairage de la triple tentation (Mt 4 / Lc 4) que l'on peut entendre l'évêque d'Hiponne. « Que signifient, en effet, ces paroles : « M'aimes-tu ? Pais mes brebis » ? C'est comme s'il disait : « Si tu m'aimes, ne t'occupe pas de ta propre pâture, mais de celle de mes brebis ; regarde-les non comme les tiennes, mais comme les miennes. En elles, cherche ma gloire, et non la tienne ; mon pouvoir, et non le tien ; mes intérêts, et non les tiens »... Ne nous préoccupons donc pas de nous-mêmes : aimons le Seigneur et, en conduisant ses brebis vers leur pâturage, recherchons l'intérêt du Seigneur sans nous inquiéter du nôtre. »

À nous les pécheurs pardonnés, Jésus nous met l'anneau,  nous revêt du manteau du pardon (Luc 15) et nous comble de sa grâce. Louange et gloire à notre Dieu.

02 avril 2021

Homélie du vendredi saint... - La Croix 12.0 - la danse finale (n.45)

Projet 2

Qu’est-ce que nous contemplons ce soir ?

Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

  1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :
    • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.
    • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)
    • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)
  2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 
  3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)
  4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...
  5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.
  6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)
  7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 
  8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).
  9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)
  10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 
  11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précède en Galilée 
  12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter ;-). On n’épuisa jamais la révélation de la Croix. 


Jean nous conduit aussi à une interrogation particulière. Nous l’avons vu, quand Jésus, au jardin, affirme par trois fois Je suis, c’est à la fois une révélation du mystère même de l’homme Dieu et un écho aux trois « je ne suis pas » de Pierre. 

Ego eimi / ouk eimi


Et nous qu’allons nous dire. Je suis ? Je te suis ? Ou je ne suis pas, je ne te suis pas.


Laissons la question résonner dans le silence. Est-ce que Jésus est mort en vain... est-ce que notre marche vers Pâques est stérile ou sommes-nous prêts à avancer, à répondre enfin à l’où es-tu de Dieu, aidé par la contemplation de la croix et sa miséricorde ? 



Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »


16 février 2021

Nu devant l'autre - danse et contre danse 33.7

Tous deux ne feront plus qu'un. Tous les deux, l'homme et sa femme, étaient nus, et ils n'en éprouvaient aucune honte l'un devant l'autre. (Gn 2, 24-25)

Deux questions se posent. De quelle nudité parle-t-on ? À la lumière de ce que nous venons d'esquisser, ce ne peut-être seulement la nudité du corps, mais bien une notion plus vaste, celle de s'exposer, de se mettre à nu, en vérité devant l'autre. Oser quitter ses défenses et faire le pas de la confiance ? Nous reviendrons sur ce point.

La deuxième question est dans la nature de ce désir qui permet d'être tendu l'un vers l'autre, sans en avoir honte. Quel est-il ?

Ce n'est plus le manque, le désir pulsionnel, mais une recherche plus grande. Un Désir qui touche à l'idéal, une crête impossible à atteindre ? Non, un état, une relation, une unité, une symphonie où l'autre est autre. Un chemin, un appel, une interpellation pour le couple. Ce désir de l'autre ne le réduit plus à un objet, mais entre dans la danse d'une relation de réciprocité où chacun a le droit d'exister, de vivre dans sa différence. Une relation. Elle trace, à son échelle, le début d'une approche de la Trinité.

Le lien qui va unir les époux ne peut que s'inscrire en effet dans cette relation du don et du recevoir qui en fera le cœur de l'échange « sacramentel ». Et quelle sera la nature de cet échange si ce n'est un amour qui, idéalement, est à une distance infinie de soi-même comme le dit M. Zundel ? Ce qu'il dit là à propos de la Trinité peut être chemin de crête pour le couple. Quitter son moi pour être don. « Te recevoir et me donner. Non pas me prêter, mais me donner tout entier ». Il n'est pas neutre que ces versets de la Genèse servent de référence au Christ quand il évoque le couple (Mat. 19,5) et que Paul les reprenne dans Éphésiens 5,31. Ils traduisent cette tension à chercher, cet appel, ce chemin ascendant que nous qualifierons à la lumière de Paul Ricoeur de métaphore vive(1) ou d'hyperbole, c'est-à-dire l'entrée dans une dynamique ascendante (2) qui fait passer de l'amour humain à un amour plus grand qui nous dépasse. La relation sera à l'image d'une relation plus belle encore.

Être nu devant l'autre, c'est aussi s'exposer. Avoir l'un pour l'autre une relation vraie. En actes et en vérité (3) Exposer son corps comme on expose son visage, dans la beauté d'une relation qui respecte son corps et le corps de l'autre. Tracer les chemins d'un don, d'un échange mutuel dont on n'a pas honte.

Il y a enfin dans cette phrase une bénédiction. Dès la création, l'homme et la femme sont relation en devenir. Échange en vérité. L'exposition mutuelle du regard, l'échange d'un cri qui vient du cœur et va au cœur, ouvre à une relation où l'on quitte soi-même et son histoire pour mettre en commun son cœur, mais aussi son corps.

Tel semble être le chemin tracé par Dieu, d'après la Genèse. Elle exprime dès l'origine une vision positive sur l'homme et son potentiel d'amour. L'homme est appelé dans cette voie ascendante, ce que j'appelle l'hyperbole. En sera-t-il digne ?


Quelle Chute ?

Le chapitre 3 de la Genèse trace néanmoins un deuxième écueil. Plusieurs interprétations ont été données sur ce texte pivot du mystère de l'homme face au mal. J'en retiendrai deux.

Selon une première clé de lecture, dans la Divine Origine, M. Balmary parle d'un repas qui n'est pas partagé. On quitte la vision positive du chapitre 2 qui introduisait une relation vraie, une unité dans l'échange. On n'est plus dans le fait de quitter père et mère et soi-même, mais on reste dans une recherche personnelle du plaisir. « Je mange, tu manges ». Il n'y a plus repas et unité, mais plaisir personnel où l'autre n'est plus proche, mais concurrent ou serviteur de mon plaisir et de mon bonheur.

Il n'y a donc plus un rapport de Personne à Personne, une danse globale, mais une relation de Personne à objet. Tu es objet de mon désir, je te désire pour que tu sois source de plaisir. Et lorsque ce désir sera assouvi dans le plaisir, viendra la chute de mon manque. Jean Luc Marion décrit ainsi l'après-rencontre comme une falaise(4), où tout s'effondre, mon désir, mon plaisir et mon manque. Cette chute brutale du désir peut conduire à un esclavage, comme un dom Juan qui court vers une nouvelle recherche de plaisir. La rencontre, n'étant pas rencontre véritable, n'a pu porter ses fruits, il lui manque les deux autres aspects qui en font une danse : la construction du Nous et l'ouverture à la Vie.

P. Beauchamp, dans son analyse de ce chapitre de la Genèse(5) parle quant à lui d'un rapport de puissance. Vouloir accéder à la connaissance de l'autre (le verbe connaître a ici un sens de consommation), devient une façon de renforcer son Moi, d'accéder à une toute-puissance du Moi. Une recherche qui défie Dieu pour en prendre le pouvoir. Je défie l'ordre divin parce qu'il m'empêche d'être son égal.

En cela le serpent déforme la parole de Dieu pour orienter l'homme vers sa chute. Il déforme le « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras pas » (Gn 2, 16-17), et suggère que Dieu craint cette « divinité », cette concurrence de l'homme.

La chute devient un enfermement sur soi, un enroulement sur soi-même, son égoïsme, ses certitudes. La chute, c'est vouloir être Dieu tout seul, sans Dieu. Construire sa tour d'orgueil et ne plus en descendre. S'enfermer dans un égo-centrisme, dans l'orgueil d'une toute-puissance qui ne laisse plus de failles à l'altérité.

Il y a aussi, dans cette analyse, un chemin de discernement pour le couple. Il peut se traduire dans ce que l'on appelle le conflit des « deux tours ». Il est à l’opposé de la « descente de tour », où l’on se met à nu pour d'atteindre le même niveau de vérité que celui évoqué dans Gn 2,25. « Être nu devant l'autre et ne pas en avoir honte ». S'exposer dans la nudité de celui qui demande et de celui qui reçoit. Trouver le chemin d'un amour dans la réciprocité. Ce chemin n’est pas celui du Serpent qui travestit la vérité pour masquer son désir de puissance.

De fait, suite à ce don du jardin et de la femme, l’homme est resté ignorant. Il n’a pas compris que le don était démesuré et il n’a pas écouté la parole qui lui donnait un chemin de vie.

L'homme a cru au serpent, il est parti sur une fausse piste, celle d'un Dieu qu'il croyait tout-puissant et jaloux de son pouvoir. Il pensait que Dieu ne voulait pas lui donner sa place, le laisser être Dieu à côté de lui. Et pourtant, s'il avait su...

Mais le Dieu de nos fantasmes, celui que nous imaginons, le Dieu gâteux, vieux sage, jaloux de ses droits est-il le vrai Dieu‍ ?

S'il avait su, l'homme...

Il n'aurait pas cru ce serpent intérieur, ce doute qui vient quand on n'a plus confiance en soi et en l'autre, ce faux Dieu qui s'installe quand on se ferme à l'écoute... Il aurait entendu l'appel.

Depuis l’alerte donnée par ce récit, il nous faut entendre et réaliser que le serpent se glisse partout, jusque dans nos certitudes. Jésus lui-même le rencontre au désert (cf. Mat 4 // Lc 4) (6)et il réapparaît au milieu de ses amis, le dernier soir (cf. Jn 13). Restons attentifs, gardons nos lampes allumées, car la tentation nous guette, elle s’insère dans les failles de nos certitudes, déforme jusqu’à la voix de Dieu.


Et n’oublions pas que Dieu est là. Il nous attend et nous appelle : « où es-tu ? » crie t il encore d’Eden à Gethsémani. À suivre


(1) voir son livre éponyme mais aussi l’insistance de Paul Beauchamp in L'un et l'autre testament,

(2) cf. La dynamique sacramentelle 

(3) cf. Alphonse d’Heilly, Aimer en actes et en vérité 

(4) Jean Luc Marion, le phénomène érotique, Grasset, Figure, 2003, p. 212ss,

(5) Paul Beauchamp, L'un et l'autre testament

(6) cf. Le chemin du désert

19 décembre 2020

De l’agenouillement au relèvement ? - danse 19

Il y a une ligne ténue à ne pas franchir entre agenouillement et sacrifice, humilité et soumission et il ne faut pas tomber dans cet excès fréquent qui fait que tout s’effondre dans l’asservissement. il ne faudrait pas interpréter mon billet 18 dans le mauvais sens. 

La clé est complexe à comprendre. C’est peut-être dans une dynamique conjugale qu’elle s’éclaire le mieux. L’échange sacramentel se dit dans un seul sens, je te reçois et je me donne à toi. 


L’interprétation d’Ephesiens 5 cristallise cette difficulté. Loin d’une soumission délétère de la femme à l’homme c’est dans la compréhension de la réciprocité essentielle qui fait que l’homme est invité au don total de sa vie, comme le Christ, que la logique de l’auteur de l’épître peut être acceptable.



Mais on néglige trop souvent cette réciprocité et l’on sombre alors dans l’asservissement.


Il faut concevoir les choses comme deux tours moyenâgeuses. Deux tours où le dialogue ne se fait pas parce que nos carapaces humaines sont coriaces. On peut s’envoyer des flèches ou des fleurs du haut de la tour, on n’atteindra pas l’autre. L'enjeu est dans cette "descente de tour", où l’on atteint le même niveau de vérité que celui évoqué dans Gn 2,25. 

Etre nu devant l'autre et ne pas en avoir honte. 

S'exposer dans la nudité de celui qui ose s’agenouiller, perdre sa superbe, demander pardon, entrer dans le déssaisissement pour que le dialogue et la réciprocité se fasse. 

Le dépouillement du Christ que nous contemplons à la crèche, ce qu’on appelle kénose, n’est finalement que le premier pas de danse. C’est quand la magie de la réciprocité se fait que la danse devient joie, symphonie, partage, une seule chair, un seul corps.... avec un grand C au bout du voyage. Mais je résume trop ici ce que je développe en plusieurs centaines de page ici... 

https://kobo.com/fr-FR/ebook/aimer-pour-la-vie

Peut-être est-ce Philippiens 2 auquel on doit revenir pour saisir que l’agenouillement est la clé du « c’est pourquoi Dieu lui a donné le nom de Dieu sauve ».

Ce n’est qu’à ce prix que le lavement des pieds du Christ, en Jn 13, est le premier geste ecclésial et sublime du Christ car il devient, loin de tout « cléricalisme », la clé centrale d’interprétation de Jean 15, 15 : je ne fais pas de vous des serviteurs mais des amis... :


« 12 Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. 13 Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.

14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. 15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. »

17 novembre 2020

Dieu est nu - Hymne à la divine fragilité - danse trinitaire 9

Le livre de Simon Pierre Arnold (1) au delà du concept de « Dieu nu » qui rejoint des thèmes qui me sont chers (2) a cette phrase qui m'interpelle : « j'ai pris conscience que le tohu-bohu constituait bien le premier pas de la création » (p. 6), que l'auteur complète en p. 21 : « l'ordre n'est pas la raison d'être de l'univers, mais bien une condition toujours partielle et incomplète pour qu'affleure la surprise et l'inattendu au cœur de ce magma chaotique. L'à-peu près est l'Âme de la création en éternel devenir ». 




Pourquoi cette interprétation est-elle pour moi lumineuse ?

Parce qu'elle laisse à la fois une place à Dieu et à l'homme, à la liberté et la révélation.

Elle donne aussi une esquisse fragile de réponse à la question sans réponse du mal. En créant le tohu-bohu, Dieu n'exclut pas qu'il puisse conduire au chaos et donc au mal. Il ne le désire pas, envoie un « souffle fragile » (4) qui cherche à ordonner le chaos, mais laisse aussi peut-être cette possibilité comme prix à payer de la liberté, comme condition d'une existence qui échappe à une création trop figée et trop pure qui serait dictature du bien sans vis à vis.
Créer l'imparfait c'est ouvrir au bien, au don, y compris au Fils, et in fine à l'amour en retour...

L'auteur poursuit ainsi « L'incarnation est, dans son fondement une option délibérée pour l'échec et le nom pouvoir. La kénose [humilité et dépouillement de Dieu au sens donné par Ph. 2] est une décision, et non une erreur stratégique. Elle est le point de départ de toute véritable nouveauté (p. 28).

On rejoint là la question du Donateur qui s'efface (3), d'un Dieu qui nous aime au point de laisser au sein du tohu-bohu une lueur fragile, un signe élevé, un Dieu dépouillé (2).

Personnellement je vibre avec cette analyse trinitaire qui rejoint ce que je décris de mon côté comme une danse trinitaire (2) de Dieu vers l'homme, agenouillement successif du Père puis du Fils...

Mais plus encore, cette insistance sur la kénose est aussi pour moi le chemin qui devrait être notre chemin, le chemin de l'Église. Il l'exprime assez bien à sa manière (cf. p. 39 sq).

Son « Dieu en manque » [de l'homme] que je découvre à l'instant page 66 et qui résonne avec mon Dieu « à genoux devant l'homme » est si loin du Dieu impassible que nous a servi la théologie, que j'en frémis de joie...

Quelques pépites de plus de peur des les oublier : « L'incarnation est un processus collectif et cosmique universel, avec ses progrès et ses reculs, comme tout engendrement. C'est cette divine incertitude qui dit le mieux la kénose de Dieu » ibid p. 71

On rejoint cette notion de fragilité amoureuse de Dieu dont les entrailles se retournent en Osée 11 🙂

On vibre aussi sur une notion de dynamique loin de toutes traditions figées. Le souffle agit encore sur le monde (pas étonnant qu'il cite Teilhard)

On entend aussi le mot engendrement déjà cité souvent ici

(1) Dieu est nu. Hymne à la divine fragilité, Simon Pierre Arnold, Lessius 2019
(2) cf. notamment mes « Dieu dépouillé », « le rideau déchiré » et la « danse trinitaire ».
(3) allusion à la fois aux travaux d'Hans Jonas, de M. Mauss et Jean Luc Marion
(4) S.P. Arnold a cette belle image de la Ruah comme matrice maternelle de Dieu p. 57.



Quelques pépites de plus de peur des les oublier : 

Dieu en manque de l’homme p. 66
« L’incarnation est un processus collectif et cosmique universel, avec ses progrès et ses reculs, comme tout engendrement. C’est cette divine incertitude qui dit le mieux la kénose de Dieu » ibid p. 71

On rejoint cette notion de fragilité amoureuse de Dieu dont les entrailles se retournent en Osée 11 🙂

On vibre aussi sur une notion de dynamique loin de toutes traditions figées. Le souffle agit encore sur le monde (pas étonnant qu’il cite Teilhard) 

On entend aussi le mot engendrement déjà cité dans mon dernier billet...

« Avant de proposer une quelconque Bonne Nouvelle nous devons nous guérir de la maladie et du goût du pouvoir. Sans ce dépouillement kénotique de nos ambitions cléricales notre mission aujourd’hui est nulle et non avenue, du moins du point de vue du Dieu nu, le seul dans lequel je crois... » p. 190

Le temps de la danse est venu (...) comme une perpétuelle improvisation communautaire de la joie  (...) libre de toute culpabilité ». P. 195

« Le temps est venu de la simple Présence (...) l’enracinement solidaire et discret de l’Église au creux de la douleur quotidienne du monde » p. 204 

On rejoint pour moi ce que j’évoquais sur J.B. Metz, une mémoire qui actualise la Présence, souffre avec les souffrants dans l’espérance d’une joie encore inaccessible... c’est en tout cas ce que je ressens en soulevant le calice en communion avec tous les souffrants qui me sont confiés... geste pour moi diaconal par essence... 

Non qu’il soit réservé mais en profonde communion avec les soignants, qui participe à leur manière à la liturgie de cette Présence fugace.




22 juillet 2020

Dépouillement 27 - Détachement et nudité (18eme Dimanche - Année C revisité)

Quel est notre attachement aux biens de ce monde ?

L'insistance de la Parole est presque abusive. Elle est comme un cri de Dieu lancé dans le désert et qui retentit depuis le premier cri de Dieu au jardin.

Où es-tu ? Que cherches -tu ? Où es-ta priorité ?

On peut passer à côté, refuser de l'entendre.

Mais c'est se détourner de l'essentiel. Se détourner de la croix qui crie encore ce « Que cherches -tu ? »

Le matin de Pâques les disciples entendront encore ce qui cherchez-vous qui nous ramène à notre quête.

L'essentiel n'est pas dans l'avoir, la vanité ou la puissance. Il est dans le dépouillement, la nudité, le don...

L'inversion à laquelle nous conduit ce texte c'est le don....

Chez Marc, au jeune homme riche, Jésus redit, comme il le fait à sa manière viens et suis moi.
Donne...
Donne sans compter
Donne sans attendre de retour
Donne jusqu'au bout

Donne jusqu'au bout de ta vie
Car donner c'est aimer.

Le mariage, dis-je souvent à ce que je marie est signe de ce don.
Je me donne à toi..... et je ne le reprendrai pas.
Il est signe seulement de l'indicible don qui jaillit du cœur du Christ et continue de se donner à chaque eucharistie...

L'amour est don
L'amour est dépouillement
L'amour ne cherche pas son intérêt
L'amour prend patience
L'amour c'est donner sans retour

Dieu est amour.

Paul nous fait aller, comme souvent, un pas de plus...
« vous vous êtes revêtus de l'homme nouveau
qui, pour se conformer à l'image de son Créateur,
se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance"
.
Tout est rien, pourrait il dire comme l'a fait la grande Thérèse tout est rien, tout est vanité
« mais il y a le Christ :  il est tout, et en tous. »

Quand nous communions avec lui, il ne s'agit pas de recevoir, mais d'entrer dans la dynamique de Dieu, dans le don...

Porter le Christ c'est être nu, à genoux devant l'homme et donner le meilleur de soi-même. Le dépouillement du Christ qui enlève ses vêtements en Jn 13 pour s'agenouiller devant l'homme et laver les pieds devient le signe du don ultime, du dépouillement d'un Dieu nu, exposé sur la Croix. C'est là où Dieu se révèle, c'est là où Dieu apparaît derrière le déchirement du voile...

17 juillet 2020

Nudité ultime - Dépouillement 21

Il y a un verset du chapitre 33 d'Exode que je ne cesse te contempler et méditer. Il suit Ex 32, et l'épisode du veau d'or et prépare Ex 34 et la révélation lumineuse du Dieu de tendresse à Moïse, dernière marche des épiphanies avant la Transfiguration.
Ce verset invite à « enlever ses vêtements de fête » (Ex 33,5) (1).
Qu'est-ce à dire ? Si ce n'est entrer dans ce dépouillement qui permet d'aller jusqu'à la vision de Dieu. Quel est le point ultime de ce mouvement, si ce n'est contempler la nudité du Christ dans son premier dépouillement, celui de l'enfant donné, dans le vêtement retiré du laveur de pieds, jusqu'à son dernier dépouillement, un Christ défiguré de l'amour versé, un Christ transpercé par nos violences et nos abandons, un Christ révélé derrière le rideau déchiré du Temple, un Christ lumineux de la grâce jaillissante d'un cœur brisé ?

Le dépouillement de Dieu est le prélude musical de la kénose de l'Église qui ne fait que commencer.
Il s'inscrit dans la dynamique même de la « séparation » entre ciel et terre de Gn 1 ou du « quitter » de Gn 2 où l'homme quitte père et mère pour ne faire qu'une seule chair avec l'aimé(e), et parvenir à cette nudité sans honte de l'être dépouillé qui danse avec autrui et y découvre une autre danse plus essentielle, celle qui le fait parvenir à l'en Christo(2), l'en Christ où le don danse avec son Donateur et devient co-createur de l'amour, passeur, engendrement de l'autre (3) à qui il insuffle l'amour reçu d'ailleurs et qu'il ne peut conserver sans perdre. La manne ne dure pas. Le pain reçu ne persiste que partagé...
La dynamique sacramentelle part de l'aride liturgie pour nous propulser de dépouillement en dépouillement jusqu'au don de soi, l'ultime diaconie...

La danse nuptiale du Christ et de son Église va de dépouillement en dépouillement(4).



(1) cf. L'amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar développe abondamment ce thème dans la deuxième partie de sa trilogie.
(3) au sens charnel mais surtout au sens spirituel donné par P. Bacq et C. Théobald dans leur Pastorale de l'engendrement...
(4) « Dépouillement » est la web série qui complète la publication récente de « Dieu dépouillé », une exclusivité gratuite de 1200 pages sur fnac.com

01 avril 2020

Homélie du dimanche des Rameaux et de la passion année A - Isaïe 50…

Projet 2


Jusqu'où peut-on aimer ?

À l'heure où de nombreux soignants donnent tout ce qu'ils peuvent et parfois leur vie pour sauver les plus fragiles d'entre nous, il nous faut rentrer dans le silence et la contemplation de la Passion.

« Ceci est mon corps (...) et mon sang versé »

On cherche trop Dieu dans les miracles et les bonheurs apparents alors qu'il est là dans le don, la souffrance, les outrages (cf. Is. 50, 6) et se révèle sur la croix. Dieu est nu...

Jamais Dieu ne se révèle mieux que dans la croix.

Si le rideau du temple se déchire de haut en bas, (Mat 27, .Mc 16) c'est que Dieu lui-même dévoile ce qui était caché.

C'est ce que nous dit Paul dans cet hymne magnifique des Philippiens 2 qui révèle le cœur du mystère :


Le Christ Jésus,
 ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l'égalait à Dieu.
    Mais il s'est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
Reconnu homme à son aspect,
    il s'est abaissé,
devenant obéissant jusqu'à la mort,
et la mort de la croix.
    C'est pourquoi Dieu l'a exalté :
il l'a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,
    afin qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,
    et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.

Il n'y a rien à ajouter... Sauf peut-être à ne pas fermer notre porte. Dieu se fait proche, petit, faible pour que nous puissions le laisser germer en nous. Ne laissons-pas cette lumière sous le boisseau, laissons-là transparaître.

Il y a une interaction subtile entre la lente révélation de Dieu et la prise de conscience intérieure de sa présence et surtout l'ouverture du cœur qui en résulte.
Ceux qui on compris cela ne demeure pas dans une contemplation stérile, mais deviennent acteurs, co-créateurs, mains de Dieu.

C'est peut-être ce que nous contemplons aujourd'hui dans cette belle mobilisation des aidants.
Nos soignants sont, par leur sacrifice, les nouveaux prêtres du saint mystère de l'amour donné, livré et nu, car fragile et exposé...

Nous autres clercs n'arriverons pas forcément à égaler cela. Ce que nous symbolisons virtuellement ils le rendent visible par leur vie.
Prions pour eux

21 juillet 2019

Grâce et Gloire 3 - Nu devant Dieu

J'ai souvent commenté ce concept à propos de Gn 3 ou Exode 33(1). Balthasar développe dans GC3AT une thèse comparable : "Au bon sens du terme, est nu celui dont le coeur est dévoilé dans l'amour devant Dieu qui se dévoile à lui par amour : un tel homme est revêtu d'éclat et de gloire. Mais celui qui est privé de la grâce, et par là de la nudité de l'amour, doit se revêtir de la ceinture de feuilles de figuier, il est couvert de honte comme un manteau" (Jr 3,25, Mi 7, 10, Ps 35, 26 et 109, 29) (2)

Que dire de cette nudité véritable ? Jean Paul II développe ce thème dans ses catéchèses du mercredi (cf. homme et femme il le créa). On peut aller un cran plus loin dans l'analogie sponsale : la nudité conjugale qui appelle à une véritable exposition et transparence est image fragile de cette nudité réciproque entre un Dieu crucifié et mis à nu et l'homme qui conscent à son tour à l'humilité et la dépendance.
À méditer
(1) cf. notamment l'amphore et fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, Théologique 3, Ancien Testament GC3AT, ibid. p. 130

30 mai 2019

Nudité et silence - Adrienne von Speyr - Kénose 161 (et déréliction)

Version 2 :
A la nudité à laquelle nous appelle Dieu au début d'Exode 33, Adrienne von Speyr semble, si l'on suit F. Marxer (1) percevoir au bout de la déréliction la « nudité sans recours du Fils abandonné, dont la nuit spirituelle revêtira l'âme de nos mystiques (...) la seule parole qui puisse se déployer est le silence, le silence partagé par le Père et le Fils (...) il est devenu le Verbe muet du Père (...) la chair se meurt, le Père se tait pour ne faire qu'un avec le Fils qui se tait (...) silence de la mort du Fils et silence de la réponse du Père ».

Pourquoi ? veux-t-on crier...
« Adrienne précise et explicite les raisons de cette nuit qui refuse au Fils tout soulagement. Le Père ne persécute pas le Fils selon quelque sadique inclination, mais en accord parfait avec la volonté salvifique du Fils qui n'a pas d'autre choix (...) l'Agapè, par sa seule force, sans aide ni répit quelconque [doit] venir à bout des ténèbres »(1)

C'est, précise F. Marxer, aussi le chemin de Marie de la Trinité et Mère Teresa. C'est aussi l'impasse apparente de tout homme face à la souffrance. Sans explication, sans autre présence que le Silence, l'appel intérieur qui nous conduit à continuer d'aimer, d'espérer et de croire alors que tout nous pousse à fuir. Je citais au début Exode 33. Comme je l'ai longuement montré, ce passage où Moïse cherche Dieu après le veau d'or est clé, il passe par l'échec et la nudité, le quiproquo et l'erreur pour aboutir à la vision...

La nuit qu'évoque Adrienne et qu’il faudrait reprendre plus longuement
n’est qu’une facette de la nuit du combat des ténèbres où le Christ avance seul, première victime innocente de ce qui au XXème siècle deviendra le chaos sans nom du crime organisé. En cela le Silence de Dieu est le prélude d’un grand silence qui dure. De ce silence que dire ? Seule la croix éclaire fragile la violence inouïe des hommes dont nous sommes tous un peu responsables, dès que nous tournons le dos à l’amour.

La croix est le signe inouï de Dieu, Père et Fils. Signe incompris, méprisé, bafoué et pourtant lueur de ce qui est notre Salut...

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 318-9

30 octobre 2016

Suivre nu, le Christ nu...

Jusqu'où va le don ? Il n'est pas simple de mettre la limite. Et pourtant la porte est étroite pour celui qui as des biens. Quel chemin avant d'entendre le message du Christ, que de détours dans notre disponibilité à l'appel.

Saint Jérôme, lui, n'hésite pas : "Si l'Évangile ordonne à ceux qui ont des terres et des richesses de tout vendre, de tout donner aux pauvres, et de suivre, nus, le Christ nu, tu dois, mon respectable ami, dans le cas où tu serais riche, faire ce qui t'est commandé. (...) cette humble veuve de l'Évangile qui mit dans le tronc deux petites pièces de monnaie est au dessus de tous les riches. Toi donc, ne cherche pas ce que tu dois donner, mais donne ce que tu as acquis afin que le Christ reconnaisse le courage (...) et que le Père aille joyeux à ta rencontre (...) et te donnes l'anneau (Lc 15) (1)".

(1) Saint Jérome, Lettre 146 au prêtre Evangelius, cité par Claude Ollivier, op. Cit p. 62

25 août 2016

La circoncision du coeur

Il existe une correspondance subtile entre Jr 4, 1-4 et Rom 2, 29, c'est celle qui conduit l'homme à quitter sa tour d'orgueil pour s'exposer à la lumière divine(1). 

Relisons les deux textes :

Romains 2:27-29 BCC1923

Bien plus, l'homme incirconcis de naissance, s'il observe la Loi, te jugera, toi qui, avec la lettre de la Loi et la circoncision, transgresses la Loi. Le vrai Juif, ce n'est pas celui qui l'est au dehors, et la vraie circoncision, ce n'est pas celle qui paraît dans la chair. Mais le Juif, c'est celui qui l'est intérieurement, et la circoncision, c'est celle du cœur, dans l'esprit, et non dans la lettre: ce Juif aura sa louange, non des hommes, mais de Dieu.

Jérémie 4:1-4 BCC1923

Si tu veux revenir Israël, - oracle de Yahweh, reviens vers moi. Et si tu ôtes tes abominations de devant moi, tu ne seras plus errant! Et si tu jures "Yahweh est vivant!" avec vérité, avec droiture et avec justice, les nations se diront bénies en lui; et se glorifieront en lui. Car ainsi parle Yahweh aux hommes de Juda et de Jérusalem: Défrichez vos jachères, et ne semez pas dans les épines. Circoncisez-vous pour Yahweh, et enlevez les prépuces de votre cœur, hommes de Juda et habitants de Jérusalem, de peur que ma colère n'éclate comme un feu et ne consume, sans que personne éteigne, à cause de la méchanceté de vos actions.

N'est ce pas le chemin d'Exode 33 et de Gn 2, 25, quittez son vêtement pour se retrouver nu devant l'Autre ? A contempler...

(1) intéressante interprétation d'Annick de Souzenelle sur ce thème

19 juin 2016

Nudité transfigurée

Pourquoi Jean ne parle t-il pas de la transfiguration ? Pour Balthasar qui commente là la figure sacramentelle du Christ et insiste sur la kénose, la métamorphose de Jésus devant ses disciples se trouve dans sa nudité. Seul Jean est pour lui "capable de contempler l'une dans l'autre ces deux mises à nu : celle du Cantique des Cantiques, où l'époux se découvre corporellement dans l'ardeur de l'éros - et celle de l'amour souffrant, corporel lui aussi, du Dieu trinitaire. Cette amplitude inouïe de l'amour corporel : à la fois dégrisé, vidé jusqu'à la moelle en face de la Croix, devant l'agapè divine qui prend le langage du corps, et, ravi au-dessus de lui-même, élevé jusqu'à l'éternité en face de ce langage enivrant de la chair et du sang répandus, pour devenir, éros de la créature, le tabernacle et la demeure de l'amour de Dieu !" (1)

Cette tension qui rejoint celle décrite dans notre dynamique sacrementelle nous donne à penser. Elle rejoint ce qu'écrivait Christophe Gripon dans son hymne sur Christ-Sophia (2).

(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la croix, tome 1, Apparition, op. cit. GC1 p. 151
(2) Eros, un chemin vers Christ Sophia, op. Cit. ch. 2 et 3

24 août 2015

Paternité spirituelle - 2 (la figure d'Abraham)

‎L'auteur (1) poursuit son analyse sur la pa‎ternité spirituelle en évoquant la figure d'Abraham comme évocatrice des renoncements du prêtre. Il ne s'agit pas seulement pour lui de renoncer à la vie conjugale, mais d'accepter tous ces sacrifices qui littéralement 'make holy' (rendent sacré) les dons que le prêtre fait de sa vie. 
Pour moi, ce sacrifice n'est pas vu alors dans l'ordre du renoncement que dans le registre du décentrement. La figure d'Abraham prend sens : quitter un monde auto-centré, prendre le chemin du désert (2) et avancer à nu (3) devant son Dieu, percevoir alors que la paternité spirituelle du ministre prend un autre sens, celui de l'engendrement à la vie en Dieu. Cela évoque pour moi, outre les travaux de Bacq/Theobald(4), un vieux texte de Michel Rondet qui parle de ceux qui quittent la certitude des ports, pour avancer sur un chemin dont on ne connaît pas les pierres. 
‎(1) Melville C. Blanchette, ‎PSS, Just call me father, generativity in the spiritual life of diocesan priest in Bulletin SS n• 37-38, op. Cit p. 216ss
(2) cf. mon étude éponyme.‎
(3) cf. posts précédents.
(4) cf. Bibliographie et mes longs commentaires dans 'Pastorale du seuil'
(5) publié dans un numéro d'Etudes

16 août 2015

Nudité 2

Mes propos précédents sur la nudité doivent se lire dans l'axe de la contemplation de la croix. :"Si quelqu'un veut marcher à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera." (Mat 16, 24-26)

Écoutons à ce sujet le Padre Pio :"Pendant ta vie, le Christ ne te demande pas de porter avec lui toute sa lourde croix, mais juste un petit morceau, en acceptant tes souffrances. Tu n'as rien à craindre. Estime-toi au contraire très heureuse d'avoir été jugée digne d'avoir part aux souffrances de l'Homme-Dieu. Il ne s'agit pas, de la part du Seigneur, d'un abandon ni d'une punition ; au contraire, il te témoigne de l'amour, un grand amour. Tu dois en rendre grâce à Dieu et te résigner à boire le calice de Gethsémani.     Parfois le Seigneur te fait sentir le poids de la croix. Ce poids te semble insupportable, et pourtant tu le portes parce que le Seigneur, qui est plein d'amour et de miséricorde, te tend la main et te donne la force nécessaire. Le Seigneur a besoin de personnes qui souffrent avec lui devant le manque de piété des hommes. C'est pour cette raison qu'il me mène sur les voies douloureuses dont tu me parles dans ta lettre. Mais qu'il soit toujours béni, parce que son amour apporte de la douceur au milieu de l'amertume ; il change les souffrances passagères de cette vie en mérites pour l'éternité." (1)


(1) Saint [Padre] Pio de Pietrelcina, FSP, 119 ; Ep 3,441 ; CE, 21 ; Ep 3,413 (trad. Une pensée, Médiaspaul 1991, p. 32) Source AELF 




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15 août 2015

Mettre à nu

Dans Bonheur dans le couple, tome 2, je développe le thème de cette nudité dont "ils n'avaient pas honte" de Gn 2, 25, comme le lieu de la vérité et de la difficile transparence.  Je reviens sur ce thème dans "l'amphore et le fleuve" à propos d'Exode 33 où Yahwhé invite à quitter ses vêtements de fête un peuple qui vient de se corrompre avec le veau d'or.
Après mon travail sur le "chemin du désert", je tombe sur ce verset d'Osée 2, 5 qui entre en correspondance : "de peur que je ne la déshabille à nu, et que je ne la mette telle qu'au jour de sa naissance, que je ne la rende pareille au désert, faisant d'elle une terre desséchée, et que je ne la fasse mourir de soif."
Quel est ce chemin où Dieu nous conduit.  Est-ce celui de l'effacement, du décentrement,  de la soif, qui seul conduit au désir de Dieu ?

La suite du texte trace un chemin à contempler : "C'est pourquoi voici que je vais fermer ton chemin avec des ronces ; j'élèverai un mur, et elle ne trouvera plus ses sentiers.  Elle poursuivra ses amants et ne les atteindra pas ; elle les cherchera et ne les trouvera pas. Puis elle dira : " J'irai et je retournerai vers mon premier mari, car j'étais plus heureuse alors que maintenant. "  Elle n'a pas reconnu que c'est moi qui lui ai donné le froment, le vin nouveau et l'huile, qui lui ai multiplié l'argent et l'or, qu'ils ont employés pour Baal.  C'est pourquoi je reprendrai mon froment en son temps, et mon vin nouveau dans sa saison, et je retirerai ma laine et mon lin, qui servent à couvrir sa nudité.  Et maintenant je découvrirai sa honte, aux yeux de ses amants, et personne ne la dégagera de ma main.  Je ferai cesser toutes ses réjouissances, ses fêtes, ses nouvelles lunes, ses sabbats et toutes ses solennités." (1)

On notera l'allusion à la fête qui entre en correspondance avec Ex 33. La suite trace néanmoins un chemin d'espérance : 

 "C'est pourquoi, voici que moi je l'attirerai, et la conduirai au désert, et je lui parlerai au coeur ;  et de là je lui donnerai ses vignes, et la vallée d'Achor comme une porte d'espérance ; et elle répondra là comme aux jours de sa jeunesse, et comme au jour où elle monta hors du pays d'Egypte.  En ce jour-là,-oracle de Yahweh, tu m'appelleras : " Mon mari ", et tu ne m'appelleras plus : " Mon Baal ".  J'ôterai de sa bouche les noms des Baals, et ils ne seront plus mentionnés par leur nom.  Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai à moi! dans la justice et le jugement, dans la grâce et la tendresse ;  je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras Yahweh.  Et il arrivera en ce jour je répondrai, - oracle de Yahweh, je répondrai aux cieux, et eux répondront ,"  la terre ; la terre répondra au froment, au vin nouveau et à l'huile, et eux répondront à Jezrahel.  J'ensemencerai pour moi Israël dans le pays, et je ferai miséricorde à Lô-Ruchama ; je dirai à Lô-Ammi : " Tu es mon peuple ! " et il dira : " Mon Dieu ! " (2)

(1) Osée 2:8-13, 16-19
(2) Osée 2:21-25 Traduction Crampon 1923

26 juillet 2015

Le sentiment de solitude - 1

Qui peut saisir l'âme humaine,  descendre dans ses profondeurs, traverser ses contradictions,  dépasser les impasses qu'elle prend parfois et découvrir,  in fine, la petite flamme qui brûle. Il faudrait avoir la perspicacité et la clairvoyance d'un Dieu. Dans nos rencontres, nous n'égratignons souvent que la surface de l'humain,  nous ne sentons pas les bouillonnements intérieurs,  les questionnements,  les frustrations, mais aussi les joies profondes de l'homme. Nos paroles atteignent rarement l'intériorité de l'autre,  car pour y accéder,  il faudrait oser se mettre à nu, s'exposer,  faire état de nos faiblesses et de nos fragilités.
Il est loin le temps de la nudité originelle qu'évoquait Gn 2 : "ils étaient nus et ils n'en avaient pas honte". Et pourtant, comme l'affirme certains commentaires,  ne doit on pas en avoir une lecture eschatologique, y voir une direction.  N'est ce pas aussi le chemin de la kénose ? 

24 juin 2015

Il s'enfuit tout nu

Marc 14:51-52 BCC1923

Un jeune homme le suivait, couvert seulement d'un drap; on se saisit de lui; mais il lâcha le drap, et s'enfuit nu de leurs mains.

Un chiasme est à observer dans la version grecque de petit récit de Marc 14 entre les deux évocations du drap et de la fuite, au jardin des Oliviers.
Certains y voient une évocation possible de l'évangéliste. Moi j'y contemple surtout ma fuite du réel.

04 novembre 2009

La nudité

Le père de François voulait le faire comparaître devant l'évêque pour
qu'il renonce à tous ses droits d'héritier et lui restitue tout ce qu'il
possédait encore. François, en véritable amant de la pauvreté, se prête
volontiers à la cérémonie, se présente au tribunal de l'évêque et, sans
attendre un moment ni hésiter en quoi que ce soit, sans attendre un ordre
ni demander une explication, enlève aussitôt tous ses habits et les rend à
son père... Rempli de ferveur, emporté par l'ivresse spirituelle, il quitte
jusqu'à ses chausses et, complètement nu devant toute l'assistance, déclare
à son père : « Jusqu'ici je t'ai appelé père sur la terre ; désormais, je
puis dire avec assurance : ' Notre Père qui es aux cieux ', puisque c'est à
lui que j'ai confié mon trésor et donné ma foi. »
L'évêque, un homme saint et très digne, pleurait d'admiration à
voir les excès où le portait son amour de Dieu ; il s'est levé, a attiré le
jeune homme dans ses bras, l'a couvert de son manteau et a fait apporter de
quoi l'habiller. On lui a donné le pauvre manteau de bure d'un fermier au
service de l'évêque. François l'a reçu avec reconnaissance et, ramassant
ensuite sur le chemin un morceau de gypse, y a tracé une croix ; ce
vêtement signifiait bien cet homme crucifié, ce pauvre à moitie nu. C'est
ainsi que le serviteur du Grand Roi a été laissé nu pour marcher à la suite
de son Seigneur attaché nu à la croix.

Source : lEvangileauquotidien.org