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26 juin 2020

Pierre Grelot - Pédagogie divine et salut - 28

Dans l'axe de mes propres essais sur la pédagogie divine il faut peut-être rappeler cette admirable analyse de Pierre Grelot que j'ose citer assez largement en invitation à lire plus l'ouvrage. « Dans le chapitre 3 de la Genèse (...), nous avons [un] péché-type, le péché par excellence, dont l'évocation révèle le mieux la nature même du péché : rendus par Dieu capables de libre choix, les protoplastes ([premiers humains]) tentent de se rendre maîtres du Bien et du Mal (c'est le sens de l'arbre symbolique de la Connaissance), afin de « devenir comme des dieux » en usurpant un privilège divin et en violant le précepte fondamental qui leur a été donné.
D'autre part, la place du récit montre que, pour son auteur, le péché a fait son entrée dans l'histoire par suite d'une décision libre de l'homme, et cela dès l'origine. C'est pour cette raison que [selon ce texte] la destinée de toutes les générations humaines porte les marques de la « colère » de Dieu : les conséquences normales du péché — souffrance et mort — pèsent sur la race entière ; nous en faisons nous-mêmes la tragique expérience. L'histoire sainte montrera Dieu aux prises avec cette humanité pécheresse, qu'il devra châtier trop souvent, mais qu'il a l'intention de sauver finalement du péché et de ses conséquences. Sur tous ces points, les religions anciennes n'ont rien d'analogue à nous offrir. (...) Des recueils prophétiques, (...) derrière l'histoire de la période royale, qui aboutit au désastre national de 586 et à l'exil, se découvre en effet l'expérience spirituelle des péchés d'Israël. Péchés individuels, dont la prédication prophétique nous donne une peinture dénuée d'artifice ; péché des rois, qui ont pour conséquence d'entraîner la nation entière dans les voies du mal ; péchés collectifs du peuple de l'alliance, qui viole le serment ancestral en se rebellant contre la Loi de Dieu. D'une littérature considérable aux formes très variées, nous devons faire ressortir ici les traits caractéristiques qui mettent en évidence la conception biblique du péché. En fait, il n'y a pas d'innovation doctrinale essentielle : les auteurs sacrés ne font qu'accentuer les traits spécifiques déjà décelés dans les textes de l'âge précédent, les dégageant mieux encore du vieux fond oriental dont j'ai marqué les survivances. Sur un point cependant leur message apporte un développement considérable, en annonçant le triomphe eschatologique de Dieu sur le péché humain. (...) Un grand nombre de discours prophétiques a pour thème la dénonciation des péchés d'Israël. La référence explicite à la Loi y est rare (cf. Os 8, 12), contrairement aux discours sacerdotaux du Deutéronome qui ont pour objet essentiel d'exhorter le peuple à pratiquer la Torah. Mais l'énumération des fautes d'Israël, accomplies en violation de la volonté de Dieu, suppose connue cette Loi dont les principaux commandements sont tour à tour évoqués. D'un prophète à l'autre, il y a bien des nuances. Ézéchiel, marqué par le milieu sacerdotal auquel il appartient, paraît mettre sur le même plan les fautes contre la morale sociale (comme l'injustice et le meurtre), les manquements aux préceptes religieux fondamentaux (comme l'idolâtrie ou l'inobservation du sabbat), les violations du droit positif (...) La hiérarchie des valeurs apparaît mal dans cette morale qui véhicule encore des éléments archaïques. Mais généralement, l'accent est mis sur les exigences religieuses et morales les plus hautes, soit celles du Décalogue (par ex. Os 4, 2), soit celles qui ont pour but d'instaurer dans la société une justice et une solidarité effectives (Is 1, 16-17 ; Am 5, 7-12 ; Jr 9, 1-8 ; Is 58, 6-7 ז) et de plier les individus aux vertus les plus nécessaires : fidélité, miséricorde, etc... En prolongement des textes juridiques anciens s'affirme ainsi chez les prophètes un affinement de la conscience, une vue plus lucide de ce que Dieu attend des hommes, une compréhension plus exacte de ce qui est « matière grave ».
Sans mettre pour autant dans l'ombre l'urgence des préceptes cultuels, cet approfondissement de la théologie morale s'attaque directement au ritualisme superficiel qui, en milieu cananéen
ou mésopotamien, constituait l'essentiel des exigences divines (par exemple Is 1, 11-17 ; Am 5, 21-24 ; Is 58, 1-8).
Parallèlement à cette réflexion sur la Loi, les prophètes insistent sur la responsabilité des pécheurs. C'est pour cela que, d'une part, ils annoncent le châtiment des hommes coupables
et finalement d'Israël entier, tandis que, d'autre part, ils appellent à la conversion intérieure, au retournement du cœur : « Lavez-vous, purifiez-vous... (c'est-à-dire : ) cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien» (Is 1, 16-17). Il s'agit de conversion morale, parce que les péchés commis sont d'ordre moral. Mais plus profondément encore, il s'agit de conversion religieuse, parce que les fautes morales elles-mêmes sont des infidélités à Dieu et des rébellions contre lui. A l'arrière-plan de cette intelligence du péché se trouve évidemment le thème de l'alliance. Pécher, c'est pour Israël manquer à la foi jurée, quelle que soit la nature du péché commis. A plus forte raison si le péché en cause est l'idolâtrie, cette tentation permanente du peuple de Dieu vivant au contact des païens. Sous ce rapport l'assimilation métaphorique de l'alliance à certaines relations humaines, comme les rapports entre père et enfants, entre époux et épouse, permet de mettre mieux en évidence la nature profonde et la malice du péché : rébellion d'enfants ingrats qui se révoltent contre leur Père (Os 11, 1-6 ; Is 1, 2-4) ; trahison d'une épouse infidèle qui a méprisé l'amour de son époux (Os 2 ; Jr 2, 20-25 ; 3, 20 ; Ez 16, 15-34). En tant qu'infidélité au Dieu unique, le péché — surtout celui d'idolâtrie — est une prostitution : l'image parle d'elle-même. Plus clairement encore que dans les anciens textes, le péché apparaît ainsi comme se situant au plan spirituel : il introduit le drame dans les rapports entre Dieu et les hommes.

Le récit du péché des origines ne joue aucun rôle dans la prédication prophétique, ce qui ne manque pas d'étonner quelque peu. C'est que l'attention des prophètes se porte moins sur l'origine du péché dans l'histoire que sur sa réalité actuelle.
Or de ce point de vue, ils approfondissent l'ancienne doctrine qui voyait déjà dans le péché plus qu'un acte passager des hommes : un mystère de mal présent au fond de leur cœur.
Le monde que les prophètes ont sous les yeux leur présente l'image d'une corruption universelle : « Il n'y a ni sincérité, ni amour, ni connaissance de Dieu dans le pays » (Os 4, 2). « Parcourez les rues de Jérusalem... Si vous découvrez un homme, un seul, qui observe le droit et recherche la vérité, alors je pardonnerai à cette ville » (Jr 5, 1 ; cf. 9, 1 8 ־ ; Is 59, 1-8). La vieille histoire de Sodome, cette cité perverse où il n'y avait pas dix justes (Gn 18, 22-33), se renouvelle donc pour le peuple de Dieu lui-même. Dieu l'avait choisi pour en faire son peuple de choix, un peuple saint (Ex 19, 6 ; Dt 7, 6). Mais la présence active du mystère du mal a été la plus forte. Malgré tous les dons de Dieu (l'alliance, la Loi, la terre promise, etc.), Israël s'est livré volontairement à ce mal. Il n'est que têtes dures et cœurs endurcis (Ez 2, 7). Il ne veut pas écouter Yahveh qui parle par ses prophètes. Cet endurcissement dans le péché est assurément l'élément le plus tragique du drame. Même les appels à la conversion n'y pourront rien : « Un Éthiopien peut-il changer de peau, une panthère de pelage? Et vous, pouvez-vous bien agir, vous qui êtes accoutumés au mal? » (Jr 13, 23). La doctrine prophétique confine ici au paradoxe. D'une part, elle atteste la responsabilité des pécheurs, que Dieu appelle à la conversion volontaire. Mais d'autre part, elle en vient à tenir la conversion
pour impossible, car la dureté des cœurs humains est inguérissable par les seules forces humaines. Comment donc le drame ouvert ici-bas par la présence du péché pourrait-il se dénouer? Humainement parlant, il ne le peut pas. Il y faudra un miracle de la grâce. (...)
C'est ici que l'eschatologie prophétique trouve son sens. On a souvent tendance à n'en retenir que les promesses de bonheur humain faites au peuple de Dieu pour les « derniers temps »,comme si le mythe du Paradis retrouvé en constituait l'essentiel.
En réalité, cet aspect de l'eschatologie ne s'entend bien que dans un cadre plus vaste : le drame du péché humain. De même que les évocations bibliques de l'histoire sainte insistent sur les
aspects tragiques de la condition humaine en y montrant les conséquences du péché, de même les évocations de l'eschaton (dénouement de l'histoire sainte) décrivent une transformation de la condition humaine, en conséquence du triomphe de Dieu sur le péché. Mais ce triomphe est évidemment la condition de tout le reste.
Il ne s'agit pas, notons-le, d'un triomphe moral de l'homme laissé à lui-même sur les penchants mauvais de sa nature. C'est Dieu, disent les prophètes, qui donnera à l'homme comme une
grâce ce que l'homme n'avait pu réaliser par ses seules forces. Cette grâce de rédemption est présentée, suivant les cas, de façons diverses. Quelques textes émergent parmi lesquels il faut
citer Os 2, 16-22 ; Jr 31, 31-34 et Ez 36, 25-28. Dans les trois cas, le contexte est celui d'une alliance nouvelle, instaurant entre Dieu et les hommes un rapport religieux que l'alliance
sinaïtique avait été impuissante à établir de façon stable. Dans cette alliance, en effet, la Loi divine restait extérieure à l'homme inscrite seulement sur des tables de pierre ; c'est pourquoi l'homme l'a violée et rendue caduque, manifestant en clair la corruption profonde de son être (cf. Os 2, 1-10 ; Jr 31, 32 ; Ez 36, 16). Mais dans l'alliance nouvelle, Dieu va donner aux hommes la justice, l'amour, la fidélité qu'il exige d'eux (Os 2, 21-22) ; il va inscrire la Loi dans les cœurs (Jr 31, 33) ; il va purifier les cœurs, y mettre son Esprit, faire qu'on observe ses préceptes (Ez 36, 25-27) : alors « ils seront son peuple et lui sera leur Dieu » (Jr 31, 33 ; Ez 36, 28). Cela suppose un pardon des péchés commis (Jr 31,34) et une conversion effective des pécheurs (Os 2, 9b).
Mais cela implique surtout une transformation profonde de l'être, que Dieu seul peut opérer.
Cette théologie anticipée de la rédemption projette donc sur le mystère du péché humain une lumière qui en révèle les dimensions véritables. En toute vérité, il serait impossible à l'homme d'échapper à l'emprise du mal : son cœur même en est prisonnier. Mais il n'est pas impossible à Dieu de l'en délivrer gratuitement, par pure miséricorde. Et c'est en cela que consistera justement le don eschatologique du salut. Alors, libéré de ses chaînes spirituelles, l'homme pourra bénéficier du bonheur que Dieu lui réserve depuis l'origine. Un texte précise à quelles
conditions ce salut pourra être accordé. Dans les chants du Serviteur de Yahveh, le mystérieux personnage qui est présenté comme l'artisan du salut et le médiateur de la nouvelle alliance
(Is 42, 6-7) doit subir, quoique innocent, les conséquences du péché humain. Participant à la condition humaine jusqu'à la souffrance et la mort, il accomplira par là l'expiation qui purifiera les hommes de leurs fautes (Is 53, 10-11). En lui, le seul Juste,
la condition humaine prendra donc un nouveau sens : marquée jusque-là par les stigmates du péché, elle deviendra le moyen de la rédemption. La théologie du salut et celle du péché sont
ici corrélatives ; c'est pourquoi leur approfondissement va de pair. » (1)

Ce qui est finalement passionnant dans cette approche de Grelot c'est finalement ce paradoxe propre à Matthieu 19. Nous voyons à la fois l'impossibilité que nous avons de sortir de notre tendance au mal et ce rendu possible, par la médiation du Christ. L'Ancien Testament révèle cette pédagogie divine particulière qui déchire le voile et transparaît en Christ.

«Jésus les regarda et leur dit: «C'est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu
‭‭Matthieu‬ ‭19:26‬ ‭

A méditer.

(1) Pierre Grelot, De la mort à la vie éternelle, chapitre 1, Cerf 1971

17 juin 2020

La revanche de Dieu ? - homélie du 12ème dimanche ordinaire…

5eme et dernière version de mon homélie ?

Les textes de ce 12eme dimanche ne sont pas simples et pourtant il nous faut trouver un chemin de compréhension sans tomber dans les fausses pistes d'une lecture humaine. Il s'agit ici d'un labyrinthe, [un escape game dirait les jeunes] à résoudre en 7 minutes bien sûr !
Pour cela nous avons 3 clés, trois mots qui fâchent : revanche, faute et reniement.
Commençons peut-être par cette phrase qui conclut l'Evangile car c'est la plus complexe.
« celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux ».
Comment traduire cela ? Si vous faites le jeu du mal, je ne pourrais vous conduire au Père puisque vous refusez vous mêmes l'amour.
Si vous faites ce choix, vous ne serez plus « présentables » ? C'est votre choix...
Par contre.... 
Par contre si vous choisissez l'amour, combien plus je serais dans la joie de vous conduire au Père ...puisque pas un moineau ou un cheveu n'échappe à l'amour de mon Père nous dit Matthieu(cf. Mat 10, 26-33).
Il faut insister sur cette tension créée par Matthieu...

Ce renversement est la clé. 
Revenons à Jérémie et cette « Revanche »
C'est ce que Jérémie, persécuté pour sa verve pastorale attend de Dieu... (cf. Jer 20). Il faut peut-être l'éclairer d'abord par d'autres textes de l'Ancien Testament. [en escape game, il faudrait chercher les chapitres précédents le chapitre 20, mais plutôt 1Rois 18 et 19]
[au cours des lectures qui ont débuté le 10 juin, la liturgie nous a [en effet] rappelé l'histoire d'Elie, qui dans la lancée de sa conversion du peuple, avait massacré les prêtres de Baal (1Rois 18) Avait il eu raison ou outrepassé le plan de Dieu ? Il lui faudra 40 jours au désert pour comprendre que Dieu n'est pas dans la violence mais dans le murmure d'une brise légère (1 Rois 19)]. Que dire de sa revanche, comme de celle de Jérémie ?
La réponse de Dieu au mal n'est pas dans la violence, qui reste la réponse humaine, mais par ce qui est le cœur de notre foi... : à la violence du mal, Dieu répond par l'amourPlus le mal se déchaîne plus Dieu est amour. C'est ce qui se manifeste sur la Croix est c'est la condition de la résurrection...
La revanche de Dieu n'est pas la violence mais la victoire glorieuse de l'amour, c'est le Christ élevé sur la Croix (au sens de Jn 3 et Nb 21, le Christ qui refuse la violence, la revanche et le reniement de son Père - le Christ à genoux devant le mal et que Dieu révèle comme la porte étroite... il a fallu plusieurs centaines d'années et toute la pédagogie de Dieu (1) au peuple juif pour comprendre cela.



Dans sa lettre aux Romains, Paul ne dit pas autre chose... Si l'homme est pécheur - ce que nous constatons en nous-mêmes, sans avoir à passer par de grandes théories - une seule victoire vaincra ce mal, c'est la Croix. Vous allez trouver que je radote, mais c'est le message de Paul... si la faute vient par l'homme au sens le plus générique du mot (2), combien plus la victoire du Christ est le chemin, la porte étroite...
Notre seule porte de sortie à l'enchaînement au mal qui nous ronge, c'est de choisir l'amour...

Revenons au reniement 
C'est l'histoire de Pierre qu'il reste à contempler car il est la pierre de l'Église toute entière. Si nous choisissons la revanche, le mal ou le reniement des hommes nous ratons la sortie...
Pierre a pris d'abord ce chemin. Il sort l'épée, il renie, il tombe dans le piège mais la Croix le sauve. Alors Jésus l'appelle presque à genoux : m'aimes-tu ?
Mes frères, écoutons le cri de Dieu en croix. M'aimes-tu ? Jésus pose la question à Pierre autant de fois qu'il l'a renié. (Cf, Jn 21). Nous savons qu'il nous l'a posé également, peut-être même 77 fois 7 fois. Alors courons vers le salut, l'amour, répondons au cri de Dieu vers l'homme. Répondons par la seule réponse possible : je veux t'aimer...

Et tout à l'heure, alors que Jésus nous invite à sa danse(*), répondons du plus profond de nous-mêmes, à la suite de Pierre et du centurion : « Seigneur je ne suis pas digne de te recevoir, mais dit seulement une parole et je serais guéri... ».

« La grâce de Dieu » nous dit Paul « se répandra en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ. » (Rom 5)

La clé de ce jeu de piste est là. En dépit de nos balbutiements, de nos fautes et de nos reniements l'amour de Dieu est grâce. Combien plus nous nous éloignons de Dieu combien plus il court vers nous...

(1) Cf. Pédagogie divine in Dieu dépouillé 
(2) cf. sur ce point la belle analyse de Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 183sq.
(*) cf. billets précédents

29 février 2020

Homélie du 1er Dimanche de Carême - Gn 2-3, Ps 50, Rom 5, Mat 4

Projet 3

Deux questions ce matin, à l'occasion de ce premier dimanche de Carême 
Qu'est-ce qui m'attache au mal ?
Qu'est-ce qui m'en libère ?
  1. Qu'est-ce qui m'attache au mal ?
La première lecture (Gn2 et 3) n'est pas à prendre comme une vision historique des choses mais bien comme une constatation très intérieure de nos désirs de puissance sur l'autre, sur les biens de l'autre, sur nous-mêmes contre Dieu à qui nous refusons la première place, par orgueil et par aveuglement...

Le tentateur s'installe chez nous dès que nous entrons dans cet engrenage...
Notre liberté, notre clair vision est troublée, obscurcie par ces adhérences, ces routines qui nous conduisent progressivement à perdre la vraie liberté : celle de dire non à ce mal qui nous envahit...

L'illusion est de croire que nous échappons à cela. Le mal s'installe parfois dans des fausses pistes qui ont l'apparence du bien...

Matthieu nous dévoile la même chose dans le discours subtile du tentateur à Jésus. « Ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
 Jésus peut-il se servir de sa toute-puissance pour convertir ? Non ?
« Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
 »
Le Fils nous ramène au Père...

« Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas. »
Jésus peut-il sombrer dans l'orgueil ? Non..! :
« Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Jésus veut-il le pouvoir sur la terre ? Non !
« C'est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras »

A la triple tentation qui résume toutes les autres, « l'avoir, le valoir et le pouvoir » le Christ nous conduit à une seule réponse : Dieu est premier. S’il n’est pas premier c’est que nous avons pris un mauvais chemin.
Méditons cela dans nos cœurs.

Nous en venons à ma deuxième question.
Qu'est-ce qui me libère de cette adhérence au mal ?

Paul nous donne sa réponse : Jésus Christ 
Autant notre faute est bien commune, autant le salut est unique. Notre faute est fausse liberté. Le salut est plus grand. Dieu nous libère.
Alors, prenons le temps de la distance, contemplons les dons de Dieu, méditons sur ses pas :
  1. Contre nos désirs « d'avoir » Jésus nous introduit à la générosité 
  2. Contre le valoir Jésus nous conduit à l'humilité 
  3. Contre nos désirs de pouvoir, Jésus nous introduit à  la prise de conscience de nos fragilités...
Le carême est en quelque sorte une station météo pour nous :
Quel est notre degré d’humilité ?
Quelle est la force du vent (pouvoir) ?
Quel est notre température d’avarice.. ?

Prenons alors le temps de méditer le psaume 50
« Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d'être sauvé ;
que l'esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange. » 
Le psaume 50 peut nous conduire pendant ce temps de carême.

Entrons dans ce chemin de purification, ce chemin de désert 
Et n’oublions pas qu’un prêtre nous attend pour recevoir notre confession, les bras grands ouverts au nom du Père.




23 février 2020

Mal originé ou prix de la liberté - Bernard Sesboué

Mal originé ou prix de la liberté - Bernard Sesboué

Je continue ma lecture. Après une longue analyse sur les différentes interprétations du « péché originel » qui nous conduit de Pélage et Augustin au concile de Trente et ses premiers canons (1), l'auteur analyse la réponse des philosophes des Temps Modernes. On quitte la notion étroite d'un mal transmis par Adam vers une interpellation du mal comme « passage de la nature à la liberté ». Pour Kant, la source du mal se « trouve dans un choix libre » fait par tout homme. Hegel évoque quant à lui un mal qui révèle le bien en creux, « les deux connaissances étant inséparables pour [que l'homme devienne] un être moral (...) [qu'il parvienne à un] processus de maturation (...) [au] développement de la conscience de soi (...) Félix culpa (...) [cette chute] nécessaire pour un plus grand bien. (...) Ce qui chez Kant était de l'ordre de la liberté devient chez Hegel le devenir nécessaire de la conscience » (2).

L'enjeu n'est pas de chercher un coupable ailleurs, mais de se rendre compte de l'enchaînement qui nous rend esclave et de trouver une manière d'accueillir cette grâce qui nous en libère.

Tout cela n'est pas éloigné de cette pédagogie divine que nous cherchons à mettre en lumière.
La liberté donnée à Adam n'est pas incompatible avec la sollicitude de Dieu et la question intérieure posée à l'homme : « où es-tu ? »(3)

Mais Sesboué continue, à l'aune des travaux de Rahner, vers une approche qui n'est pas loin de ce que j'appelle la constatation de nos « adhérences » au mal qu'il définit comme un héritage que l'on ne peut trop vite appeler originel mais qui est constitutif de notre état, de notre liberté et de notre chemin de sanctification. C'est à partir de l'homme actuel que la constatation de nos faiblesses permettent d'appréhender l'origine du mal et non une prétendue connaissance historique qui nous conditionnerait au mal, au serf-arbitre ou à tout autre fatalité. Et c'est dans cette condition que Christ a sa place. Si nous ouvrons nos cœurs à ce Dieu sauveur.

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p.199 à 245.
(2) ibid. p. 246-8
(3) cf. mon livre éponyme

14 février 2020

Esclave du mal - 2

La vraie punition du mal est de conduire au mal (1) d'entrer dans une forme d'aliénation et d'adhérence vers un toujours plus qui n'est que l'expression d'une constante insatisfaction. Le danger est de se complaire dans cette course, de d'auto-congratuler dans l'orgueil ou l'avarice qui enferme sur soi, dans cette adhérence qui constitue ce que l'Église appelle péché. Le mot est sur-utilisé et donc connoté, mais l'esclavage est bien là dans cette auto-complaisance.

La sexualité beaucoup utilisée par Augustin pour sa démonstration n'échappe pas à cet esclavage. Même en la masquant derrière la danse sponsale de deux êtres unis pour la vie et l'harmonie qui en sort, il faut reconnaître qu'une certaine animalité reste présente et nécessite toujours au moins discernement si ce n'est prudence. La théologie du corps est en quelque sorte une belle réhabilitation de l'amour conjugal, elle ne doit pas servir pour autant à justifier, comme je le vois parfois, même chez des prophètes du genre, à excuser tout. « L'amour prend patience. Il ne cherche pas son intérêt » nous rappelle Paul (1 Co 13).
L’enjeu est d’éduquer nos pulsions, de les transformer en dynamique de vie et d’amour, pour et au service du couple et de ses fruits. Comme le suggère Sesboué : « humaniser la pulsion sexuelle et faire de la dynamique des corps l’expression efficace (le sacrement en tant que signe et cause) d’un amour vraiment spirituel » (2)
Méfions nous de nous-mêmes et des excuses que l'on se donne. Je parle d'expérience. Nos esclavages ne sont pas apparents. Ils nous tiennent par de belles ruses...

(1) je paraphrase ici une réflexion de Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 204sq.
(2) ibid. p. 208

Esclave du mal - Pédagogie 13

Notre participation au péché originel n'est pas la conséquence de la faute d'un homme hypothétique du nom d'Adam mais la constatation objective de notre enfermement collectif dans une logique pécamineuse dont l'Esprit seul peut nous défaire (1)

L'enjeu du Premier Testament est de nous immerger dans ce contexte non par l'immersion dans une histoire exacte mais par l'interprétation constante entre récit, révélation et relecture personnelle. Comme je ne cesserai de le répéter (2) à la suite d'Hamman le Premier Testament est notre histoire, il révèle sans cesse notre propre adhérence au péché.

(1) cf. à ce sujet le long développement de Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 183sq.
(2) cf. Pédagogie divine à paraître

27 octobre 2018

L'amour est en toi - 22 - saint Augustin

"Elles me retenaient, mes vieilles idées amies, ces bagatelles de bagatelles, ces vanités de vanités ! À petits coups elles me tiraient par ma robe de chair et murmuraient à mi-voix : « Tu nous congédies ? Fini pour jamais ! À partir du moment qui vient nous ne serons plus avec toi, il ne te sera plus permis de faire ceci, de faire cela. » Oh ! ce qu'elles suggéraient, mon Dieu ! J'hésitais à me débarrasser d'elles, à bondir où j'étais appelé ; l'habitude me disait, tyrannique : « Crois-tu que tu pourras vivre sans elles ? » Mais déjà sa voix était molle, car du côté où je tournais mon visage et où je tremblais de passer, la chaste dignité de la continence m'invitait noblement et gracieusement à venir sans plus balancer, me montrant une foule de bons exemples : « C'est le Seigneur leur Dieu qui m'a donnée à eux. Pourquoi t'appuyer sur toi-même alors que tu ne te tiens pas debout ? Jette-toi en lui, n'aie pas peur. Il ne va pas se dérober pour que tu tombes. Jette-toi sans crainte ; il te recevra et te guérira ».
Cette dispute dans mon cœur n'était qu'une lutte de moi-même contre moi-même. Quand mon regard avait enfin tiré du fond de mon cœur toutes mes misères, il s'est levé une grosse tempête de larmes. Pour laisser crever l'orage, je me suis levé et suis sorti. Sans trop savoir comment, je me suis étendu sous un figuier, je lâchais complètement mes larmes, elles ont jailli à flots, sacrifice digne de toi, mon Dieu. Et je t'ai dit sans retenue : « Et toi, Seigneur, jusques à quand ? Jusques à quand seras-tu irrité ? Ne garde pas le souvenir de nos vieilles iniquités » (Ps 6,4 ;78,5). Je poussais des cris pitoyables : « Dans combien de temps ? Combien de temps ? Demain, toujours demain. Pourquoi pas tout de suite ?

Et voici que j'entendais une voix venant d'une maison voisine, voix d'enfant ou de jeune fille, qui chantait et répétait : « Prends et lis ! Prends et lis ! » À l'instant, je me suis repris et cherchais à me rappeler si c'était le refrain habituel d'un jeu d'enfant ; rien de tel ne me venait en mémoire. Refoulant mes larmes, je me suis levé dans l'idée que le ciel m'ordonnait d'ouvrir le livre de l'apôtre Paul et de lire le premier passage sur lequel je tomberais. Je suis rentré en hâte et j'ai pris le livre et j'ai lu ce que j'ai vu en premier : « Non, pas de ripailles et de soûleries, pas de coucheries et d'impudicités, pas de disputes et de jalousies, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ. Ne cherchez plus à contenter la chair dans ses convoitises » (Rm 13,13s). Ce n'était pas la peine d'en lire davantage ; je n'en avais plus besoin. Ces lignes à peine achevées, une lumière de sécurité s'est déversée dans mon cœur et toutes les ténèbres de mon incertitude ont été dissipées." (1)

Une belle approche de ce que j’appelle les adhérences au mal, constitutives de ce que l’Église appelle péché

 (1) Saint Augustin,  Confessions,  livre 8, source Évangile au quotidien

04 novembre 2017

L'adhérence et l'endurcissement

La doctrine du péché originel mise en avant par Augustin en plein développement contre Pélage est à conceptualiser,  relativiser et mettre en perspective.  De même les propos de Sainte Catherine de Sienne sur le même thème.  À l'aune de nos réflexions sur la miséricorde il faut entendre par contre ce qu'elle dit sur la divine providence :
"Dans son ignorance, l'homme croit voir la mort dans ce que je lui donne pour sa vie, et il devient ainsi cruel envers lui-même. Pourtant ma Providence l'assiste toujours. Aussi, je veux que tu le saches : tout ce que je donne à l'homme provient de ma souveraine Providence.Et c'est pourquoi, lorsque je l'ai créé par ma Providence, j'ai regardé en moi-même et j'ai été saisi d'amour par la beauté de ma créature. J'ai voulu la créer à mon image et à ma ressemblance, en y employant largement ma Providence. En outre, je lui ai donné la mémoire pour qu'elle garde le souvenir de mes bienfaits : car je voulais qu'elle participe à ma puissance de Père éternel.Je lui ai encore donné l'intelligence, pour que, dans la sagesse de mon Fils unique, l'homme connaisse ma volonté, car c'est moi qui donne toutes les grâces avec un brûlant amour de Père. Et je lui ai donné aussi la volonté pour aimer, en participant à la douceur du Saint-Esprit, afin qu'il puisse aimer ce que son intelligence ne pouvait connaître et voir.Voilà ce que ma douce Providence a fait, uniquement pour que l'homme soit capable de me comprendre et de me goûter avec une joie parfaite, dans l'éternelle vision qu'il aurait de moi." (1)
Romains 11 nous éclaire sur ce point, comme sur des passages surprenant de l'évangile : "l’endurcissement d’une partie d’Israël s’est produit pour laisser à l’ensemble des nations le temps d’entrer.C’est ainsi qu’Israël tout entier sera sauvé" nous dit Paul.
Aujourd'hui que dire sur la condition de l'homme. Qu'il soit pris dans un jeu d'adhérence au mal, qu'il souffre d'addiction ou soit tenté par la jalousie et la violence ne relève pas d'une malédiction originelle de Dieu mais plutôt de son état de liberté. 
(1) Sainte Catherine de Sienne,  Dialogue sur la divine providence,  source AELF