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03 août 2016

Se laisser manger...

Dure condition humaine que de sentir Dieu nous échapper alors qu'on croit le saisir. Le chemin du désert, c'est aussi connaître Son silence qui creuse en nous le désir.

"Entrer dans le travail intérieur (1) qui consiste à laisser agir Dieu, ce travail qui, par-delà l'action et la passion, les embrasse toutes deux. Cette oeuvre correspond à la vie eucharistique de Jésus : manger Dieu et être mangé par Dieu, avoir comme nourriture la volonté divine et être soi même une nourriture pour Dieu (2)".

Plus encore, il nous faut aussi renoncer à l'idée d'imiter la souffrance du Christ, prendre conscience de la distance qui nous sépare de lui et nous placer en "un grand cercle" avec le Crucifié au centre, sans prétendre atteindre celui qui révèle l'amour le plus fort et le plus caché, dans une "insondable et mystérieuse nuit" jusqu'à sentir que la sagesse divine " se révèle parfaitement "dans la folie et la faiblesse de la Croix" et dans les "mystères de l'abandon souffrant et sacrifié"  (3).

Notre désert n'est en effet qu'un avant goût de la déréliction...


(1) Jean Tauler, Predigten 54 II 49
(2) 60c II 98-99, cité par Balthasar, GC7, p. 129
(3) GC7, p. 130, citant Henri Suso.


02 août 2016

Dieu dans nos mains

"C'est dans notre activité que Dieu agit"(1). C'est dans notre silence que Dieu fait entendre son appel et nous invite à replonger dans notre origine. (..) quand l'homme se met en quête de Dieu, il y a bien longtemps que Dieu est en quête de lui. (2)

En lisant ces extraits de Jean Tauler, je repense à l'homélie entendue dimanche. Le jeune prêtre qui s'exprimait nous parlait d'un Dieu sans changement. Quel est le fondement scripturaire de son affirmation ? On y sent plutôt l'influence d'une doctrine grecque, probablement aristotélicienne ou néo thomiste. Elle a ses mérites mais conduit pour moi à un désert pastoral, car elle annonce un Dieu froid et juge, loin de la kénose intratrininitaire, de la circumincession des personnes divines et surtout de ce qui est probablement à ses yeux un anthropomorphisme : un‎ père qui se penche vers l'homme, un Christ serviteur, un esprit qui s'enfouit dans l'humanité pour le rejoindre et l'habiter.
Que Dieu soit éternel, fidèle et bon et son amour infini oui. Mais que l'amour divin soit sans changement, sans compassion ou sans miséricorde, j'ai du mal...

(1) Jean Tauler, Predigten n. 43 I 191
(2) n. 53 II 43, cité par Hans Urs von Balthasar, GC7 p. 127

29 juillet 2016

La tentation raisonnante

"Celui qui veut éprouver Dieu doit éprouver tout dans l'Un et ne s'opposer à aucune souffrance, mais cela c'est le Christ", disait déjà Denys (1)‎. Cette phrase introduit un long développement de Balthasar sur l'évolution de la pensée rationnelle au delà de Jean Tauler et de ses pairs. Il y décrit la tentation de tout ramener à la raison au point de sortir Dieu pour y substituer "la transcendance impersonnelle de notre esprit".

On sent bien à ce stade le risque qui pointe de ne plus vouloir accepter l'inconnu de Dieu. Ce qui est inconcevable par l'homme ne peut être. Mais la tentation de tout raisonner laisse-t-elle une place au souffle divin ?

Nous entrons là dans l'ère moderne. Notre chemin n'est-il pas d'entendre cet ultime défi de l'orgueil humain qui veut refuser ce qu'il considère comme étant la faiblesse de la foi. Notre tâche est immense car l'écart entre Dieu et l'homme n'a cessé depuis de s'étendre. Pour. Le rejoindre  "Il faut une Église qui n'ai pas peur d'entrer dans leur nuit. Il faut une Église capable de les rencontrer sur leur chemin. Il faut une Église en mesure de se mêler à leurs conversations. Il faut une Église qui sache dialoguer avec ces disciples, qui quittent Jérusalem, errent sans but, seuls avec leur désenchantement, avec la désillusion d'un christianisme considéré comme un terrain stérile, infécond, incapable de générer du sens." (2)

(1) GC7 p. 124
(2) Pape François, discours à l'épiscopat brésilien à Rio le 27/7/2013, cité par Spadaro op. Cit p. 98



20 octobre 2014

Christ serviteur - II

"Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour.
S'il revient vers minuit ou plus tard encore et qu'il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! "

On retrouve ce paradoxe révolutionnaire du Christ serviteur.  Quel est le contexte ? Il est parti en voyage de Noces. Les serviteurs pourraient de leur côté faire la fête, mais certains veillent, signe d'un attachement particulier.  Selon la justice humaine,  ils mériteraient un petite récompense.  La logique du Christ est ici diaconique. Dans sa kénose poussée jusqu'au bout, c'est le maître qui se met à servir.

Un petit texte de Jean Tauler, nous aide à percevoir que souvent nous passons à côté de ce Christ à genoux : "Ces noces, d'où le Seigneur vient, ont lieu au plus intime de l'âme, dans son fond, là où se trouve la noble image. Quel contact intime l'âme a avec Dieu dans ce fond et Dieu avec elle, et quelle œuvre merveilleuse Dieu fait là ! Quelle jouissance et quelle joie il y trouve ! Cela dépasse tout sentiment et toute intelligence, et pourtant l'homme n'en sait rien et n'en éprouve rien" (1).

Cet amour de Dieu, nous passons trop souvent à côté sans le voir. C'est ce que nous rappelle Augustin : "Je t'ai aimée bien tard, Beauté si ancienne et si nouvelle, je t'ai aimée bien tard ! Mais voilà : tu étais au-dedans de moi quand j'étais au-dehors, et c'est dehors que je te cherchais ; dans ma laideur, je me précipitais sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi, et je n'étais pas avec toi. Elles me retenaient loin de toi, ces choses qui n'existeraient pas si elles n'existaient en toi. Tu m'as appelé, tu as crié, tu as vaincu ma surdité ; tu as brillé, tu as resplendi, et tu as dissipé mon aveuglement ; tu as répandu ton parfum, je l'ai respiré et je soupire maintenant pour toi ; je t'ai goûtée, et j'ai faim et soif de toi ; tu m'as touché et je me suis enflammé pour obtenir la paix qui est en toi". (2)


(1) Jean Tauler, Sermon 77, pour la fête d'un Confesseur (trad. Cerf 1991, p. 626)
(2) Saint Augustin, Confessions §8