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19 décembre 2021

Mystère de l’incarnation - 2 - 19


On peut écrire beaucoup de chose sur l’incarnation, évoquer des certitudes et des dogmes. Il me semble que tout commence par une contemplation, au delà de l’apparente violence des éléments, des vents et du feu, il demeure une tendresse et une espérance qui demeure et fissure nos certitudes, comme cette attente du Printemps qui habite nos hivers.

Les terres arides ne peuvent demeurer stériles, une jeune fille va enfanter crie Michée au milieu de la nuit.



Dans les ombres et marécages de notre propre humanité, dont l’Ancien Testament fait écho, un germe d’espérance se prépare, tressaillement dont Jean-Baptiste se fait le premier écho, marquant une page qui se tourne.

Tout ce qui suit quitte l’histoire pure, pour devenir chemin de foi, d’espérance et de charité.

L’amour divin n’est pas violent, il est brise légère, courant d’air, humilité, incarnation, visitation, alliance. 

Avant même les Évangiles, Paul avait déjà compris l’essentiel, à la fois à travers sa propre expérience, même s’il existe trois récits, et surtout dans son approche de Ph 2. « Il n’a pas retint le rang qui l’égalait à Dieu », mais s’est dépouillé, agenouillé… humilité de Dieu, kénose trinitaire, danse de Dieu vers l’homme.

On peut taxer Paul de visionnaire, il va plus loin sur ce thème que bien des évangiles. Ce n’est pas de l’ordre du dogme, mais chemin à contempler, contemplation et agenouillement, lieu de frémissement et de méditation. Les crispations postérieures ne sont souvent que des bulles de l’histoire 😉

Un sauveur vient, il est là, il reviendra.

14 septembre 2021

Surnaturel ou incarnation - 4

Le choix des textes que nous propose la liturgie d’aujourd’hui sur la Croix glorieuse est cornélien.

 

1. Soit nous optons pour le livre des Nombres qui nous conduit à une méditation sur le cycle mimétique de la violence qu’un serpent dressé vient guérir et suivons la piste de René Girard. Nous avançons alors sur le discernement tout intérieur de ce qui nous conduit à la violence et de ce qui peut nous en sauver.

 

2. Soit nous contemplons le don de Dieu dans la triple kénose : 

- d’un Père qui donne un Fils et s’efface, 

- d’un Fils qui se vide par amour 

- et de la musique ténue de l’Esprit en nous… Danse trinitaire (1) ?


Dilemme ?

Non, il faudrait au contraire faire danser les deux, mesurer la distance entre le don de Dieu et notre petite amphore bien faible au milieu du fleuve (2) comme l’évoquait Bonaventure.


Je te reçois et je me donne à toi. 

Ce n’est pas qu’un échange matrimonial mais la danse à laquelle Dieu nous invite.


Le don de Dieu précède toujours notre réponse.


Jn 3, proposé comme Évangile, récapitule les deux, mais la profondeur théologique qui se joue dans ces trois textes d’aujourd’hui est abyssale. 


Elle est prélude à la contemplation de cette danse divine qui ne cesse d’engendrer des tressaillements intérieurs et de multiples interpellations (3)


(1) cf. mon livre éponyme gratuit sur fnac.com

(2) voir L’amphore et le fleuve

(3) cf, le rideau déchiré ou À genoux devant l’homme 


Illustration : crypte de la cathédrale de Bayeux ?

20 avril 2021

Danse avec la nouvelle Ève - 50


«Marie, était fiancée à Joseph; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint.» Matthieu‬ ‭1:18‬ ‭‬

Le commentaire de François Cassingena-Trévedy  soulève chez moi plusieurs vagues contemplatives. Écoutons-le d’abord : « Inventa est un utero habens de Spiritu Sancto » - l’homme découvrit que la femme avait quelque chose dans le ventre. Au milieu de sa province la plus familière, l’homme découvrit que la femme était une terre habitée. Et lui, l’homme du petit pays, il découvrait que la femme était habitée par l’étranger, par l’inconnu. La femme tenait du Saint-Esprit. La femme était toute chose. La femme depuis quelques temps avec quelque chose d’étrange. Quelque chose d’autre. Quelque chose. Et l’homme, un instant égaré dans le sous-bois de la femme, ne savait pas encore que cet indéfini était l’Infini même. (1)


La profondeur de ces textes suscite souvent des résonances. Ici, j’ai été un pas plus loin puisque cela rime avec d’autres échanges que je vous partage ce soir.

 

1er pas de danse

C’est peut-être ce cri de l’homme devant la femme au jardin d’Eden, cet autre, ce vis à vis(2), à la fois différente et fait de la même chair, qui nous conduit à percevoir à la fois l’altérité et notre vulnérabilité (3).

Il y a pour nous les « terreux », quelque chose à méditer qui vient fissurer nos désirs de puissance, de pouvoir et d’autorité. Elle est là, fragile parfois, vulnérable souvent, elle interpelle notre moi profond par sa différence et sa sensibilité, souvent plus intérieure, qui réveille chez nous notre propre sensibilité, ce qui peut être féminin en nous et que nous n’osons voir... premier pas d’une symphonie à construire.

 

2eme pas de danse

C’est peut-être, plus loin encore que la première Ève, cette Marie qui porte en elle l’Infini de Dieu. Première inhabitée qui interpellera toujours nos propres tressaillements intérieurs. Sans idolâtrer la « première en chemin », il faut considérer combien elle trace une route pour nous, dans cette capacité à recevoir Celui qui veut demeurer chez nous, Celui qui descends de Jérusalem à Jéricho, aux plus profond de nos sous-bois, pour dire comme à Zachée : je veux habiter chez toi. Comment recevons-nous le Verbe qui s’invite dans nos rendez-vous espacés pour danser avec nous la triple valse du croire, de l’espérance et de l’amour. Ève nouvelle qui va porter dans sa chair, le glaive d‘une présence jusqu’aux « jointures de l’âme » (Heb 4,12) et la double Pâques de l’enfantement et de la mort du Fils. Chemin qui précède notre capacité à traverser la souffrance ? (4).

 

3eme pas de danse

Peut-être cet hommage aux femmes délaissées, ignorées, méprisées par une Église qui ne cesse de croire que Jésus ne se conjugue qu’au masculin sans percevoir combien la communion et la collégialité polyédrique passe par le relèvement du féminin pour qu’enfin nos Églises retrouvent la dimension première qu’elle a perdue depuis Hippolyte de Rome (5)

 

4eme pas de danse

C’est peut-être contempler, à la suite de l’invitation du pape François, l’humilité de Joseph, silence qui permet la naissance de l’Infini chez l’autre

 

5eme pas de danse

Voir en l’autre la flamme fragile de l’Esprit qui couve doucement au cœur du silence les graines délicates semées par le Verbe, pour que le dit murmuré par Dieu devienne un Dire au sens lévinassien (6)

 

6eme pas de danse

C’est plus essentiellement la contemplation de cette danse trinitaire qui se prépare. « Les mouvements en Dieu, le simple amour du Père et du Fils ne produit qu’une « binité » (Binität). Ce qui manque, ajoute Hans Urs von Balthasar, c’est « le miracle de la fécondité, du cadeau qui dépasse l’un et l’autre ». (7) On ne peut s’empêcher de penser, quand on a la joie d’être père, à ce « toujours plus » que constitue l’enfant. Car c’est bien de la même « image et ressemblance » qu’il s’agit. Le conjugal s’épuise quand il est tourné sur soi-même et qu’il n’intègre pas le don, ce débordement que constitue toute fécondité, dont l’enfant naturel n’est que la face la plus visible.

À partir du don de l’enfant se prépare celui de l’Esprit que la liturgie nous prépare lentement à recevoir, cet Esprit envoyé au monde, invitation non contraignante à un retour. Rêve de Dieu (8) ? que l’homme réponde par sa danse à l’invitation que lui fait la danse trinitaire (9).


7eme pas de danse... suggéré dans le cadre d’une autre discussion avec Marie-Odile Dervin  qui avait « une pensée pour les couples qui ne connaissent pas la joie de donner la vie. Quand le sacrement de mariage donné l’un à l’autre se vit sous le regard de Dieu, la relation devient fécondité. »


Une belle remarque que celle-là ! Pour avoir souffert de cette non fécondité charnelle avec mon épouse - je danse avec cette idée... La fécondité est un concept large qui dépasse de loin celle de la naissance d’un enfant et en même temps elle est déchirement et vulnérabilité, soit parce que l’enfant ne vient pas (ou ne vient plus, c’était notre cas, Dieu nous ayant fait deux beaux cadeaux), soit parce que l’enfant qui naît est différent de notre rêve et nous fait grandir en grandissant...

Dieu élargit toujours notre regard, lui qui est source de nos fécondités...

Il faut néanmoins souligner combien la stérilité est d’abord souffrance. Comme toute souffrance elle passe d’abord par une saine révolte, un cri, une nécessaire conversion intérieure avant de trouver en soi l’embryon d’une réponse, souvent délicate à articuler avant de devenir chemin d’espérance. Là Dieu devient aidant.


L’enjeu de ce septième pas serait alors de trouver une fécondité commune - par l’enfant, mais plus largement par tous les fruits que Dieu nous confie et qui deviennent par nos mains une co-création...


Huitième pas de danse qui reprend celui de toute la valse (proposée par Sylvaine Landrivon, suite également à un bel échange) :

« Mouvement de danse qui commence, en effet, par la stupeur du masculin se reconnaissant autonome face à celle qui se tient devant lui, à la fois semblable et autre, issue de la même chair du premier humain. Tellement proche et pourtant si différente que cet humain, devenant « il » en vis-à-vis de celle qui naît à l’être « elle », ne sait comment entrer en dialogue ni comment s’en dissocier autrement qu’en se l’appropriant par une série de dangereux possessifs « os de mes os, chair de ma chair »

Est-ce que le masculin n’est  pas souvent  en train de lutter contre cette emprise inaugurale, sauf dans l’union des corps où se lâche sa crainte d’être privé d’autrui? 

Il ne pourra sortir de la solitude délétère qui l’enferme et n’apprendra à danser qu’en apprivoisant le rythme de la création jusqu’à ce que murmure en lui l’appel d’une valse nouvelle. Il parviendra enfin à ce à quoi ils sont tous deux appelés : une valse à trois temps, symphonie réorchestrée par les valeurs théologales que sont l’amour, la  foi et l’espérance.

 

Dieu est bel et bien le musicien dont parle Saint Irénée. La « mélodie harmonieuse »  (A.H. IV, 20, 7) que Dieu compose est nécessaire à la réalisation de l’œuvre, et n’a d’autre but que de faire danser la vie jusqu’à la divinisation de ses créatures humaines. Il nous envoie son Fils pour nous emporter dans les ondes de l’Esprit. Et la valse commence.

Au premier temps de la valse, se dit l’amour de Dieu qui, dans la création nouvelle, vient s’incarner dans le corps consentant de Marie. Femme puissante porteuse du poids (kavôd = pesant et sacré) du Dieu Unique, elle porte le Verbe qui irradie dans l’intimité de sa toute faiblesse humaine. Il vient révéler la dimension trinitaire et universelle  du Don.

Au deuxième temps de la valse, Joseph unit ses pas aux siens et sa foi virevolte dans la lumière de la bonne Nouvelle, conjuguant les charismes du masculin et du féminin pour assurer l’harmonie qui vibre dans l’inouï du don offert. Au troisième temps de la valse, la promesse de joie éternelle par le salut à jamais donné, enlace la communauté d’amour dans l’espérance apaisante.

« Rêve de valse » ou « Apothéose de la danse », il faut savoir danser sa foi comme Claude Hériard nous y invite, car la danse est la plus belle des métaphores pour exalter la beauté des harmoniques masculines et féminines au service de la gloire de Dieu.(10) ».


À méditer...


Le 9eme pas de danse que suggère ce 8ème pas est peut-être ce à quoi nous conduit tout cela, ce double agenouillement du Fils et de sa mère, « pas de danse » kénotiques où l’un et l’autre s’effacent devant l’infini de Dieu à venir, entrent dans le vrai silence, celui de l’intime et en cela dans un « fiat » à deux voix, un « tout est accompli », avant de s’effacer comme à Emmaüs et nous conduire, en « Galilée », au bout d’un long chemin, à entrer aussi dans cette kénose tant attendue de l’Église qui seule rend possible une véritable harmonie entre l’homme et Dieu...


10eme pas de danse qui nous ramène à François Cassingena-Trévedy qui fait écho au premier texte d’où est partie cette valse, de Jésus qui « dans sa mort, les yeux ouverts et loin de chercher à rentrer, à régresser dans sa mère, nous la donne [au contraire], mais incomparablement plus large » (11). Que veut-il nous dire ? Peut-être que cette matrice nouvelle est dans l’oxymore de l’effacement et de la proximité, un royaume « ouvert », un Corps, une cathédrale fragile dont nous sommes les pierres vivantes, chacune utiles, chères aux yeux de Dieu, comme nous le rappelle le pape Francois dans son insistance sur le polyèdre...


« En confiant l’un à l’autre le Bien-aimé et Marie, Jésus sur la croix offre l’universalité au peuple d’Israel que symbolise sa mère. Il donne ses fondations à notre Église précisément là... et annonce ce qu’il dira ensuite à la Magdaléenne : Son Père devient Notre Père parce que, par le lien nouveau créé à la croix, nous sommes tous devenus les frères et sœurs du Christ » (10).


Je ne trouve pas encore de 11 eme pas de danse..., à vous de l’écrire 😉

 


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III, op.cit. p.101

(2) cf. Sylvaine Landrivon, La femme remodelée

(3) voir mes échanges récents avec Isabelle Laurent et son mémoire « Vulnérabilité et unité de la personne

Une lecture des tentations du Christ au désert » Mémoire de licence canonique de théologie, Septembre 2017

(4) cf. mon « Quelle espérance pour l’homme souffrant ? »

(5) cf. sur ce point Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018.

(6) Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Poche, 1975?

(7) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, III – L’Esprit de Vérité p. 39

(8) j’emprunte cette belle image du rêve de Dieu à François, in Un temps pour changer

(9) cf. mon livre éponyme

(10) Sylvaine Landrivon, inédit 🙂

(11) Étincelles p. 109

17 novembre 2020

Incarnation et danse trinitaire - 10

L'évangile d'aujourd'hui (Zachée, Luc 19, 1-10) est aussi une belle image de l'incarnation. Comme le soulignent les Pères de l'Églis, le fait de descendre à Jéricho, qui se situe au-dessous du niveau de la mer et géographiquement très en dessous de Jérusalem, évoque un mouvement de Dieu vers l'homme, à l'inverse de la montée à Jérusalem. Non seulement Jésus descend à Jéricho, mais il invite Zachée à descendre lui aussi de son arbre (sa tour) pour se rendre chez « lui, au cœur de lui-même, dans sa maison et en vérité avec lui-même, dans le don de ses biens…

L'incarnation prend ici son sens plein, sa dynamique, à l'instar de cet « où es-tu ? » de Gn 3 où ce « J'ai soif » à lire entre les lignes en Jean 4 (la Samaritaine) où Jésus se met en attitude de demande.

Son « donne-moi à boire » résonne chez Jean, comme chez Luc dans un « j'ai soif de votre humanité» et rejoindra, ainsi le cri du Christ en croix, prononcé avant que ne jaillisse (encore chez Jean) de son sein le fleuve d'eau et de sang, comme un geyser d'amour qui inonde le monde.

Le verbe s'est fait chair, il désire d'un grand désir habiter parmi nous.

L'incarnation se conjugue en plusieurs couleurs dans le NT avec toujours cette dimension de descente et d'humilité si bien décrite par Paul en Ph. 2.

«Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus: bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers » Philippiens‬ ‭2:5-10‬ ‭

Cette descente de Dieu vers l'homme que l'on appelle kénose est aussi illustrée physiquement par l'agenouillement du Christ devant ses apôtres (Jean 13) tout en s'inscrivant en réponse à une série d'agenouillements que l'on peut contempler depuis Exode 3 - Retires tes sandales, jusqu'à la femme adultère au pied de Jésus, un Christ qui demande à boire ou s'abaisse en Jn 8 pour écrire sur le sol, mais aussi en pas de danse avec tous nos agenouillements jusqu'à celui de Marie de Bethanie à genoux aux pieds de Jésus en Jn 12, où celui sublime, d'Etty Hillesum.(1)

C'est pour moi au cœur de ce que j'appelle la danse trinitaire, une danse qui part de Dieu le Père et remonte à lui... une danse où Dieu nous invite.

C'est pour moi au cœur de ce que j'appelle la danse trinitaire, une danse qui part de Dieu le Père et remonte à lui... une danse où Dieu nous invite.

Simon Pierre Arnold le dit aussi magnifiquement à sa manière : « l'abaissement trinitaire du Père dans le Fils et du Fils dans le monde par l'Esprit : tel est le sens absolu éternellement inachevé de l'Incarnation »(2). Et son commentaire d'un Dieu en manque de l'homme résonne avec cette dynamique trinitaire qui nous invite à sa danse (3).


Commentaire 2 :

« Notre Seigneur s'est hâté de lui faire quitter ce figuier desséché, son ancienne manière d'être, afin qu'il ne reste pas sourd. Pendant que flambait en lui l'amour de notre Seigneur, il a consumé en lui l'homme ancien pour façonner en lui un homme nouveau. » (4)

(1) Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Journal Intime 1941-1943 et autres lettres de Westerborck, Paris, Seuil 1995. Une vie bouleversée, Journal Intime 1941-1943 et autres lettres de Westerbrock Seuil 1995.
(2) Dieu est nu - Hymne à la divine fragilité, op. cit. dans mon billet 9
(3) cf. aussi mes nombreuses balises « agenouillement » et « danse trinitaire » in http://chemin.blogspot.com

Pour aller plus loin, mes références préférées sur ce thème :
- Varillon François, L'humilité de Dieu, Centurion, Paris, octobre 1991
- Moingt, Joseph, L'homme qui venait de Dieu, Paris, Cerf, Cogitatio Fidei, 1993-2002 (et autres recueils)
- Urs von Balthasar, Hans Dramatique Divine, Namur, Éditions Culture et Vérité, série «Ouvertures »
- Brown, David, La tradition kénotique dans la théologie britannique, Paris, Mame Desclée, 2010
- Durand, Emmanuel, La Périchorèse des personnes divines. 4) saint Ephrem, Commentaire de l'Évangile concordant, 15, 20-21 ; SC 121 (trad. Louis Leloir; Éd. du Cerf 1966; p. 277-278), source : l'Évangile au Quotidien

Dieu est nu - Hymne à la divine fragilité - danse trinitaire 9

Le livre de Simon Pierre Arnold (1) au delà du concept de « Dieu nu » qui rejoint des thèmes qui me sont chers (2) a cette phrase qui m'interpelle : « j'ai pris conscience que le tohu-bohu constituait bien le premier pas de la création » (p. 6), que l'auteur complète en p. 21 : « l'ordre n'est pas la raison d'être de l'univers, mais bien une condition toujours partielle et incomplète pour qu'affleure la surprise et l'inattendu au cœur de ce magma chaotique. L'à-peu près est l'Âme de la création en éternel devenir ». 




Pourquoi cette interprétation est-elle pour moi lumineuse ?

Parce qu'elle laisse à la fois une place à Dieu et à l'homme, à la liberté et la révélation.

Elle donne aussi une esquisse fragile de réponse à la question sans réponse du mal. En créant le tohu-bohu, Dieu n'exclut pas qu'il puisse conduire au chaos et donc au mal. Il ne le désire pas, envoie un « souffle fragile » (4) qui cherche à ordonner le chaos, mais laisse aussi peut-être cette possibilité comme prix à payer de la liberté, comme condition d'une existence qui échappe à une création trop figée et trop pure qui serait dictature du bien sans vis à vis.
Créer l'imparfait c'est ouvrir au bien, au don, y compris au Fils, et in fine à l'amour en retour...

L'auteur poursuit ainsi « L'incarnation est, dans son fondement une option délibérée pour l'échec et le nom pouvoir. La kénose [humilité et dépouillement de Dieu au sens donné par Ph. 2] est une décision, et non une erreur stratégique. Elle est le point de départ de toute véritable nouveauté (p. 28).

On rejoint là la question du Donateur qui s'efface (3), d'un Dieu qui nous aime au point de laisser au sein du tohu-bohu une lueur fragile, un signe élevé, un Dieu dépouillé (2).

Personnellement je vibre avec cette analyse trinitaire qui rejoint ce que je décris de mon côté comme une danse trinitaire (2) de Dieu vers l'homme, agenouillement successif du Père puis du Fils...

Mais plus encore, cette insistance sur la kénose est aussi pour moi le chemin qui devrait être notre chemin, le chemin de l'Église. Il l'exprime assez bien à sa manière (cf. p. 39 sq).

Son « Dieu en manque » [de l'homme] que je découvre à l'instant page 66 et qui résonne avec mon Dieu « à genoux devant l'homme » est si loin du Dieu impassible que nous a servi la théologie, que j'en frémis de joie...

Quelques pépites de plus de peur des les oublier : « L'incarnation est un processus collectif et cosmique universel, avec ses progrès et ses reculs, comme tout engendrement. C'est cette divine incertitude qui dit le mieux la kénose de Dieu » ibid p. 71

On rejoint cette notion de fragilité amoureuse de Dieu dont les entrailles se retournent en Osée 11 🙂

On vibre aussi sur une notion de dynamique loin de toutes traditions figées. Le souffle agit encore sur le monde (pas étonnant qu'il cite Teilhard)

On entend aussi le mot engendrement déjà cité souvent ici

(1) Dieu est nu. Hymne à la divine fragilité, Simon Pierre Arnold, Lessius 2019
(2) cf. notamment mes « Dieu dépouillé », « le rideau déchiré » et la « danse trinitaire ».
(3) allusion à la fois aux travaux d'Hans Jonas, de M. Mauss et Jean Luc Marion
(4) S.P. Arnold a cette belle image de la Ruah comme matrice maternelle de Dieu p. 57.



Quelques pépites de plus de peur des les oublier : 

Dieu en manque de l’homme p. 66
« L’incarnation est un processus collectif et cosmique universel, avec ses progrès et ses reculs, comme tout engendrement. C’est cette divine incertitude qui dit le mieux la kénose de Dieu » ibid p. 71

On rejoint cette notion de fragilité amoureuse de Dieu dont les entrailles se retournent en Osée 11 🙂

On vibre aussi sur une notion de dynamique loin de toutes traditions figées. Le souffle agit encore sur le monde (pas étonnant qu’il cite Teilhard) 

On entend aussi le mot engendrement déjà cité dans mon dernier billet...

« Avant de proposer une quelconque Bonne Nouvelle nous devons nous guérir de la maladie et du goût du pouvoir. Sans ce dépouillement kénotique de nos ambitions cléricales notre mission aujourd’hui est nulle et non avenue, du moins du point de vue du Dieu nu, le seul dans lequel je crois... » p. 190

Le temps de la danse est venu (...) comme une perpétuelle improvisation communautaire de la joie  (...) libre de toute culpabilité ». P. 195

« Le temps est venu de la simple Présence (...) l’enracinement solidaire et discret de l’Église au creux de la douleur quotidienne du monde » p. 204 

On rejoint pour moi ce que j’évoquais sur J.B. Metz, une mémoire qui actualise la Présence, souffre avec les souffrants dans l’espérance d’une joie encore inaccessible... c’est en tout cas ce que je ressens en soulevant le calice en communion avec tous les souffrants qui me sont confiés... geste pour moi diaconal par essence... 

Non qu’il soit réservé mais en profonde communion avec les soignants, qui participe à leur manière à la liturgie de cette Présence fugace.




05 février 2019

Les larmes du Père - 5 - au pied de la Croix

"Plus grandit le sérieux de la participation à la passion du Seigneur plus grandit aussi la conscience de la différence. Le Seigneur souffre comme un innocent; je souffre, mais comme coupable de souffrance" (1)

La vision de la Croix, comme la contemplation des larmes du père ne doit pas conduire pour autant à une culpabilité malsaine qui nous vient du diviseur. Elle est cette épée tranchante qui nous libère de nos adhérences au mal. Elle nous fait grandir et progresser vers l'espérance de notre salut.

Et dans l'accomplissement final de l'incarnation kénotique du Fils, dans la contemplation de cet aboutissement qui devient révélation de l'amour infini de Dieu, je trouve enfin poindre la joie de croire que Dieu est plus grand que la haine, que l'amour me relève et me rend enfin digne, par sa miséricorde, de m'approcher de lui, même si ma tentation toute pétrinienne est de fuir.

(1) Hans Urs von Balthasar, La prière contemplative, op. cit. p. 273

13 octobre 2018

Erri de Luca - Au nom de la mère

Surprenante interprétation de l’incarnation du Verbe au sein de la Vierge. Par un roman aux accents poétiques, le romancier italien nous plonge dans la culture juive du premier siècle. Marie y est décrite comme rejetée par les siens, à Nazareth. Fille mère ! Et pourtant fille habitée par une Parole, admiratrice d’un Joseph qui prend sa défense et dérangée par une présence toute intérieure, interactive. « Le Verbe qui dort en nous provoque des tressaillements. C’est la trace d’un Dieu fragile qui se réveille sans bousculer notre liberté. Écoutons le ». (2)
J’ai toujours un peu de mal avec une interprétation des sentiments intérieurs d’une figure aussi iconique que la Vierge. Pourtant cette mise en situation (ce que les exégètes appellent un « sitz in Leben ») nous fait goûter à l’indicible.

(1) Erri de Luca - Au nom de la mère Gallimard, édition folio, 2008. La traduction n’étant pas à la hauteur du texte italien.
(2) cf. post précédent 
(3) voir aussi mon essai plus fidèle au texte biblique : Silo, le berger, un conte de Palestine

10 octobre 2018

A la suite de Marie - l’amour est en toi 19

« Marie est l'archétype de l'Église, parce qu'elle est originellement les deux choses en même temps : lieu de l'habitation réelle et corporelle du Verbe jusqu'à l'intimité de l'unique chair de la mère et de l'enfant, mais ceci [à] partir de la condition spirituelle de servante de toute sa personne corporelle et psychique (...) parce qu'elle est vierge, c'est à dire auditrice exclusive de la Parole, elle devient mère, lieu de l'incarnation du Verbe (...) toute contemplation doit prendre Marie comme modèle pour se prémunir d'un double danger : considérer la Parole comme quelque chose d'extérieur, au lieu de la considérer comme le plus profond mystère au centre de nous-mêmes, comme ce en quoi nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Et considérer la Parole comme une parole si intérieure que nous la confondons finalement avec notre propre être, avec une sagesse disponible à notre gré et nous ayant été donnée en partage une fois pour toutes » (1)

(1) Hans Urs von Balthasar, La prière contemplative, Parole et Silence, 2002, 2018, p. 23

08 septembre 2017

Ouvre ta porte

Ouvre ta porte au Mendiant d'amour, car sinon il n'osera pas entrer. Ouvre ta porte, parce qu'il respecte trop ta liberté. Si tu lui ouvres, par contre, Ils entrerons tous les Trois, car à leur danse, ils veulent te convier. Ouvre ta porte et ferme la aux monde, à l'Adversaire qui veut emplir ta chambre de futilités et de distractions. Ouvre ta porte et écoute la musique qui t'invite à danser.
(1) d'après François Cassigena-Trévédy, citant Ambroise, ibid. p. 100ss

02 mai 2017

L'incarnation du Verbe - Athanase

"Le Verbe s'est rendu présent en s'abaissant à cause de son amour pour nous, et il s'est manifesté à nous. 

Il a eu pitié de notre race, Il a eu compassion de notre faiblesse ; il a condescendu à notre corruption ; il n'a pas accepté que la mort domine sur nous ; il n'a pas voulu voir périr ce qui avait commencé, ni échouer ce que son Père avait accompli en créant les hommes. Il a donc pris un corps, et un corps qui n'est pas différent du nôtre. Car il ne voulait pas seulement être dans un corps, ou seulement se manifester. S'il avait voulu seulement se manifester, il aurait pu réaliser cette théophanie avec plus de puissance. Mais non : c'est notre corps qu'il a pris. ~

Dans le sein de la Vierge, il construisit pour lui-même le temple de son corps ; il en fit son instrument adapté, pour se faire connaître et pour y demeurer. Après avoir pris parmi nos corps un corps de même espèce, comme nous sommes tous soumis à la corruption de la mort, il le livra à la mort pour nous tous, et l'offrit à son père. Il a fait cela par amour pour les hommes." (1)

Sans commentaire

(1) Saint Athanase,  discours sur l'incarnation du Verbe,  source AELF

18 mai 2016

Christ, discours de Dieu

Une belle contemplation qui rejoint la joie intérieure de ceux qui communient au corps et au sang du Christ : "Le Christ est ce discours de Dieu, adressé à nous tous. Ce n'est pas du dehors qu'il nous parle, c'est en nous ; il nous atteint au plus intime de notre nature (...) par l'incarnation, nous sommes transportés dans la sphère du dialogue (...) introduit dans la lumière merveilleuse du Verbe" (1)

"Cette lumière du soleil, vue par les yeux de notre corps, annonçait le soleil spirituel, le Soleil de justice. C'est vraiment le soleil le plus doux qui se soit levé pour ceux qui, en ce temps-là, ont eu le bonheur d'être ses disciples, et de le regarder de leurs yeux pendant qu'il partageait la vie des hommes" ( 2)


(1) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 404.
(2) Grégoire d'Agrigente, Commentaire de l'Ecclesiaste

17 mars 2016

Savoir et sentir - Ignace de Loyola

On a souvent une quête de connaissance, y compris sur Dieu, qui nous pousse à creuser les choses de Dieu. Un précepte devrait néanmoins inspirer notre quête : "ce n'est pas l'abondance du savoir qui rassasie l'âme et la satisfait, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement" (1). 
Le chemin tracé par Ignace nous conduit à sentir un Christ incarné, jusqu'à voir "comment il parle et prêche, va et s'arrête (...) inscrire dans son coeur son attitude et ses actions"‎ (2).
Quel est l'enjeu sinon cette mimetai (imitation) dont nous parle Paul.

(1) Ignace de Loyola, exercice 2, cité in GC1, p. 317
(2) Ludolphe le Saxon, Vita Jesu Christian, n•11-12, Paris, Rigollot, 1870, p. 9

10 mars 2016

Les innocentes, Film d'Anne Fontaine

Il m'a fallu du temps pour percevoir l'ampleur du message théologique d'Anne Fontaine,  dans ce film dramatique quii évoque le viol de religieuses par des soldats russes à la libération. 

Ce qui en ressort après huit jours de "digestion" du drame, c'est que l'on est porté par ce film dans le mystère même de l'incarnation. 

Le contraste entre ces chants de moniales et l'horreur est révélé au coeur de ce qui se prépare : des enfants à naître qui sont autant de Christs innocents,  plongés dans le "sang de l'agneau" ( Ap 7.14) et vainqueurs de toutes haines,  parce que "figures d'espérance".

A contempler...

08 mars 2016

Refus de la chair

"De Valentin à Bultmann on a cherché à spiritualiser et à démythiser la chair et le sang (...) jusqu'à un Dieu qui est et reste‎ invisible" (1) nous rappelle Balthasar. Mais cette quête ne conduit-elle pas à s'éloigner du réel, rendre Dieu étranger à l'homme en contradiction même avec le projet de l'incarnation
 N'est ce pas déjà ce qui a conduit au temps de Jésus à la grande séparation entre ceux qui suivaient une idée de Jésus et les apôtres attachés à sa personne. C'est dans la crise de Jean 6, 66 que nous comprenons l'enjeu. "Qui mange ma chair et boit mon sang..." intolérable affirmation pour certains, coeur de notre foi pourtant. Mais l'enjeu n'est il pas dans notre proximité au monde, à ses souffrances et à son réel. "Mets ta main dans mon côté" dit-il à Thomas. Je ne suis pas un pur esprit. J'ai souffert et je souffre pour le monde.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Apparition, 1 (GC1) p. 265

17 novembre 2015

Activisme et agir - 2

Une des illustrations des propos rapportés plus haut sur ce thème est dans la réflexion posée par Madeleine dans "missionnaires sans bateau" en 1943 : "On ne peut être missionnaire sans avoir fait en soi cet accueil franc, large, cordial, à la parole de Dieu , à l'Evangile" (...), pour qu'elle se "fasse chair en nous. Et quand nous serons ainsi habités par elle, nous devenons aptes à être missionnaires" (1)

On est là au coeur de l'inhabitation‎ véritable et nécessaire qui transforme l'homme en instruments de Dieu. Un chemin d'humilité ( kénotique).


(1) Madeleine Delbrêl, Oeuvres complètes, La Sainteté des gens ordinaires, tome 7, Paris Nouvelle Cité, 2009,  p. 89

12 janvier 2007

Incarnation

"Dieu lui-même, par abaissement est et est appelé homme. Et dans la disposition réciproque qui résulte de là, se manifeste la puissance qui divinise l'homme en Dieu par la charité théologale et qui humanise Dieu en l'homme par l'amour qu'il a pour l'homme; puissance qui ainsi, par le merveilleux échange, rend Dieu homme par la déification (théosis) de l'homme et rend l'homme Dieu par l'humanisation (anthropôsis) de Dieu. Car le logos de Dieu qui est Dieu veut que soit produit, toujours et en tous, le mystère de son incarnation" (1)

Il nous reste à rester disponible à ce merveilleux échange. Et comme le montre l'histoire d'Israël, qui n'est pas différente de notre propre histoire, si Dieu est prêt à entrer dans cet échange, c'est bien pour nous que les choses se bloquent et nous ne cessons de refuser ce dépouillement...

(1) Maxime le confesseur, Ambigua 7 (PG 91, 1084 BD) cité par Balthasar, p. 355