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27 mars 2021

La Croix 12.0 - danse finale ? (Billet n.45)


Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

 1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :

 • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.

 • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)

 • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)

 2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 

 3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)

 4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...

 5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.

 6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)

 7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 

 8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).

 9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)

 10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 

 11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précèdes en Galilée 

 12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter 😉. On n’épuisa jamais la révélation dans un billet sur FB ni d’ailleurs dans les milliers de pages citées ci-dessous.


Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »

22 août 2020

Le message de Jean - une actualité brûlante

Le message de Jean - une actualité brûlante

Une concordance osée entre l'injonction du psaume 40 et Jn 13 mais plus globalement ma lecture actuelle de Jean (*) me conduit à cette conclusion un peu disruptive que je voudrais tester avec vous.

Extrait...
Rappelons le psaume 40 :
«Tu n'as pas pris plaisir au sacrifice ni à l'offrande: tu m'as ouvert les oreilles; tu n'as demandé ni holocauste ni sacrifice pour le péché. Alors j'ai dit: Je viens / [Me voici ] avec le livre-rouleau écrit pour moi. (...)
Moi, je suis pauvre et déshérité; mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon secours et mon libérateur: mon Dieu, ne tarde pas! » Psaumes‬ ‭40:7-8, 18‬ ‭

On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n'était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les quatre recensions n'ont pu déroger à une lecture semblable[237]. Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n'est raconté que par Jean et remplace, nous l'avons dit, le récit de l'institution de « l'eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées dans ce cadre.
Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d'une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité dans l'amour.
Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique[238]. Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes au sein d'une communauté vivante.
Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l'attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s'identifie ici.
On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l'absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n'avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.
Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d'attacher de l'importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l'eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui… 
Jean nous conduit aux mêmes conclusions, mais donne une dimension différente. Le rite de l'eucharistie est presque depassé par une dynamique sacramentelle (cf. mon livre éponyme) qui n'est pas centré sur un mime du dernier repas, mais sur l'agenouillement kénotique, qui devient l'exhortation finale de Jean. Entre les lignes, on peut lire une injonction qui prend aujourd'hui une dimension plus urgente et fait écho avec ce que nous dit entre les lignes le pape François : Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir" ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"[239]
« allez à la périphérie », sous entendu (mais je force volontairement le trait) ne restez pas dans vos églises à mimer le dernier repas, mais agenouillez vous devant l'homme blessé (Jn 1), criez votre soif (Jn 4), agenouillez vous devant les souffrants (Jn 5), partagez et donnez (Jn 6), agenouillez vous devant les pêcheurs (Jn 8 et Jn 13), les étrangers (Mat 11), pleurez avec les souffrants (Jn 11). Vivez dans l'agapè.

Je rejoins là l'injonction récente de François Cassingena-Trévédy : « Ne faudrait-il pas envisager courageusement, pour l'avenir, et jusque dans nos communautés religieuses encore privilégiées, des messes plus espacées dans le temps, des messes qui viendraient consacrer, non pas un azyme insipide d'habitudes et de vies parallèles, mais le pain chaleureux, laborieux et complet de vies résolues à entrer pratiquement en communion profonde, à soutenir l'effort d'un pardon explicite et réciproque, et surtout ce partage fraternel de la Parole de Dieu » [240]


[237] cf. DODD, La tradition historique du IV° Évangile, Lectio Divina n° 128, Éditions du Cerf, 1987, trad° Maurice et Simone Montabrut, Éd. Originale : Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge Press, 1963, p. 38.
[238] On parle déjà de la fraction du pain en Act 20, 7. 
[239] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »
[240] François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

(*) cf. « À genoux devant l'homme » dont je prépare une troisième édition (disponible déjà en version bêta sur le site de la Fnac)

Qui est Jésus - homélie du 21ème (et 22eme) dimanche du Temps Ordinaire, Année…

Projet 5 - allégé

Pour vous qui suis-je ?
La question que pose Jésus résonne encore aujourd'hui. Il nous la pose personnellement et en même temps la réponse nous échappe et reste ouverte car qui sommes nous pour parler du mystère de Dieu fait homme ?

Trois clés de lecture.
Le contexte
La pédagogie sous jacente
L'enjeu pour Pierre et surtout pour nous.

Paul nous le glisse dans Romains 11, rien n'est réductible quand on aborde la nature de Dieu :
« Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? » Tout au plus pouvons nous contempler sa pédagogie.
Si vous n'avez jamais fait l'expérience, je vous invite à lire un évangile de bout en bout, comme le tente dans notre paroisse les maisons d’Évangile. C'est probablement la meilleure façon de préparer votre réponse à cette question du « qui suis-je pour vous? ».
Et en même temps, il ne s'agit pas d'étaler nos connaissances de l'inconnaissable, mais bien de témoigner d'une révélation intérieure comme celle de Pierre. L'idée de Dieu vient à nous du fond de notre cœur.

Le contexte
Il y a notamment une pédagogie propre à chaque évangéliste. Le texte de l'évangile d'aujourd'hui est central, pour Marc 8 (27-30) comme pour Matthieu 16 13-20 et Luc (9, 18-21) qui se lisent souvent en miroir. Ce texte est en effet un point de passage. Les experts (exégètes) le disent : la question posée à Césarée est un point charnière. Il y a l'avant et l'après.
L'avant, c'est le chemin de l'homme. Jésus qui se révèle par ses actes, comme un personnage peu ordinaire. Jusqu'à cet épisode de la multiplication des pains et chez Marc de l'aveugle né. [Que l'aveugle vienne juste avant la question peut être considéré comme un clin d'œil de Marc...
Marc semble dire : Avant vous étiez aveugle. Maintenant c'est officiel : Il est l'oint de Dieu... ]
L'après c'est la marche vers Jérusalem, l'annonce de la mort.
Dans tous ces textes se traduit aussi une pédagogie particulière. Jésus n'est pas arrivé avec fanfare et trompette en proclamant sa divinité ou son titre de Messie.
Non. Il a commencé par être homme, aimant, attentif, vrai en paroles et en vérité. Cette pédagogie s'inscrit dans la pédagogie même de Dieu...
La question qu'il pose à Pierre est donc centrale.
Qui suis-je ?


La réponse de Pierre montre qu'il a compris, qu'en lui s'est révélé quelque chose. Et pourtant, dans le texte suivant que nous verrons dimanche prochain [la liturgie coupe et c’est dommage un ensemble cohérent] Pierre va refuser la Croix.. Paradoxe également pédagogique.
Pierre a une révélation sur la nature du Christ et pourtant il ne saisit pas la Passion. Qui pourrait à ce stade d'ailleurs ?
Soulignons le, c'est entre la révélation et l'erreur de Pierre que Jésus donne à l'apôtre sa mission. Au cœur d'une tension...

Que dire aujourd'hui.
L'erreur est de croire que nous savons répondre.
Je ne sais pas qui est Jésus.
Je suis en recherche.
Nous le sommes tous.
Le danger est de se croire arrivé, d'avoir tout saisi.
Le mystère est plus grand, plus profond, plus large.
Tout ce que nous avons compris est « balayures »  dit Paul, notre course est de « le saisir et de se laisser saisir par lui (Ph 3) ».

Quel est alors notre mission pour aujourd’hui ?
Peut-être réentendre la question du Christ : Pour vous qui suis-je ?
Est-ce un Dieu que l’on vénère du bout des lèvres le dimanche ou au contraire quelqu’un qui transforme nos façons d’agir? Nous émeut et nous met en mouvement ? Pouvons nous affirmer qu’il est le chemin la vérité et la vie.

La semaine dernière nous avons fêté les 40 ans de sacerdoce de notre curé. 40 ans de vie donnée. Gageons que cette mise en mouvement est fondée sur une réponse à la question du Christ. Nous sommes petits face à cette dynamique du don...

La question que nous pose Jésus reste valable et la réponse vient de l’Esprit. Restons attentif à cela, car c’est l’Esprit qui a conduit Pierre, qui conduit l’Église et qui conduit chacun de nous à être des pierres vivantes de cette Église fondée sur Pierre.


14 août 2020

Dépouillement - ce pain nommé désir

Que cherchons nous ?
Vers quoi courrons nous ?
Y a-t-il un terme à notre faim ?

Notre monde s'est enroulé dans cyclone du même. Nous voulons le même. Nous cherchons le même. Nous courrons dans cette spirale mimétique qui touche jusqu'à nos églises, nos rites, nos façons de faire.

Mais Dieu n'est pas là...
Il est aux abonnés absents de cette quête. Il ne répond pas à ces désirs de mêmeté.

Où est-il ?
On croit le saisir et il nous échappe encore.
Il n'apporte pas « d'émotions volatiles, des consolations immédiates et des certitudes paresseuses »(1). Il ne guérit pas les foules à la volée, ne console pas les affligés sur demande. Il nous précède juste en Galilée, nous accompagne sur les chemins d'Emmaüs puis disparaît, échappe aux tentatives de réduction.
Il se donne en miette de peur de nous rassasier, d'éteindre notre faim et notre soif...

« Travaillez dans le calme » (1), labourez la terre, Dieu est un trésor caché au fond du champ. Il est là où on ne l'attend pas.

Aimez jusqu'au bout, jusqu'à plus soif, jusqu'à ce que cela pèse, car là est l'amour véritable, l'agape, dont l'Eros n'est que l'étincelle...

A la passion du même, aux trains nommés désirs, doivent se substituer la quête ultime, la traversée du désert, la conversion du cœur...

Marchez...
Allez au large...
Quitter le confort du même.
Laissez-vous dépouiller de vos certitudes.
Laissez le travailler en vous jusqu'aux jointures de l'âme.
Ne cédez pas sur le chemin.
Et si vous reculez, laissez-vous porter, embrasser, consoler, car il est chemin, miséricorde et vie.

(1) cf. François Cassingena-Trévédy, La voix contagieuse, 2017, ibid. p. 143

12 août 2020

De dépouillement en dépouillement - à genoux devant l’homme

Il y a une danse presqu'éternelle entre l'homme et Dieu. Elle commence par le don et l'appel d'un « où es-tu ? » (Gn 3, 9) où Dieu cherche l'homme en dépit de sa faute. Y répond les pas de l'homme vers son Dieu qui l'appelle. On les entr'aperçoit dans le « quitter » et l'agenouillement qu'entreprend Abraham (cf. Gn 12 et Gn 18)
Dans ce mouvement, c'est à la fois Dieu qui se penche vers l'homme et demande son amour en dépit de ses fuites et du mal qui l'habite, mais aussi l'homme qui retire ses sandales (Ex 3) ou son vêtement (Ex 33) pour s'agenouiller devant son Dieu.
En premier, nous avons, comme le souligne sainte Catherine « cet amour incompréhensible qui t'a poussé à créer l'homme à ton image et ressemblance. ~ Quel motif avais-tu d'établir l'homme dans une telle dignité ? Certainement, c'est uniquement l'amour incompréhensible par lequel tu as considéré ta créature en toi-même et tu t'en es épris.(1) »
Mais l'amour infini de Dieu n'est pas resté sans réponse, sa pédagogie et son dépouillement (2) ne cesse de briser le cœur fier de l'homme.
La dynamique est bien double.
L'agenouillement de l'homme est plus habituel. On l'aperçoit dans chacune des théophanies. Celui de Dieu est plus discret dans l'Ancien Testament, on le sent pourtant entre les lignes. Il se révèle dans cette miséricorde qui affleure déjà chez les prophètes (3), devient plus visible dans cet agenouillement de l'ange devant la Vierge qui dans l'émerveillement d'un « fiat »(c'est en tout cas l'interprétation de Fra Angelica ou d'Arcabas - cf. Luc 1, 26-38) esquisse un mouvement vers le sol. Ce n'est que lorsque le voile de la kénose se déchire que Dieu pudique laisse apparaître enfin Jésus à genoux devant Pierre ou Judas.



On retient souvent l'agenouillement des Maries de Béthanie ou d'ailleurs... on ignore trop souvent que l'humilité de Dieu et son dépouillement est esquissé bien avant la Croix, dans cette alliance improbable et presqu'incompréhensible qu'il tente avec l'homme en dépit de tous ses reniements depuis David jusqu'à Pierre, depuis Abraham jusqu'à Judas...
Contempler l'agenouillement de Dieu, c'est prendre conscience de son amour infini. Le livre que je viens de mettre en ligne gratuitement n'est qu'une fenêtre sur un mystère qui nous dépasse, ce Dieu « à genoux devant l'homme » (4) qui nous demande de l'aimer comme il nous aime.
Il constitue l'essence de ma foi...

(1) sainte Catherine de Sienne, dialogue sur la providence, source office des lectures du 9/8.
(2) cf. Pédagogie divine in Dieu dépouillé
(3) cf. Osée 11sq. Voir aussi lire « lire l'ancien testament, tome 1 »
(4) voir le lien ou sur le site de la Fnac

08 août 2020

Dépouillement et participation - Méditation sur les textes du 19ème…

Il y a dans ces textes une contemplation particulière de Dieu, comme une tension entre plusieurs facettes apparement contradictoires. Dans l'Evangile se révèle un Christ ayant apparemment toute puissance sur les éléments alors qu'1 Rois 19 fait apparaître la caresse discrète de Dieu, loin des éléments violents.

Et pourtant ces deux opposés se rejoignent. Dieu n'est pas dans la colère. Il nous apporte la paix.

Pour comprendre cela il faut probablement aller très loin en arrière dans ce qu'on appelle le cycle d'Élie, le voir égorger les prêtres de Baal en croyant faire la volonté de Dieu puis le suivre dans la fuite, le désespoir et la faim jusqu'à comprendre que la colère ne mène à rien, que Dieu n'est pas dans la violence mais dans le « bruit d'un fin silence (1) », que Dieu est amour. Le chemin d'Élie va être celui des disciples. Il peut être notre chemin.
Loin de nos tentations de puissance la contemplation de la croix conduit au déchirement du voile...
Dieu apparaît vraiment dans la nudité d'un corps défiguré qui nous guérit de toute violence.

Paul, comme souvent, apporte une touche finale. Il souffre de voir ses frères juifs « qui ont l'adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; (...) les patriarches,
» ne pas comprendre ce que Jésus révèle par la Croix.

Dans cette croix offerte, dans cette « maison » fragile d'un Dieu dépouillé qui n'a plus d'endroit où reposer sa tête, se dévoile, derrière le déchirement du voile, l'invitation finale d'un Dieu qui nous invite à participer à notre manière à la vie divine, à la « danse amoureuse » de Dieu. Il s'agit bien, comme le souligne saint Jean de la Croix de devenir participants de cette unité fragile et amoureuse qui s'offre à nous.
La danse des personnes divines, circumincession des amours divins et trines, nous invitent à une symphonie qui dépassent l'illusion des tempêtes extérieures.
Dieu nous invitent à la danse. « Les âmes possèdent donc par participation les mêmes biens que lui par nature : d'où elles sont véritablement dieux par participation, égales à Dieu et ses compagnes. C'est ce que dit saint Pierre par ces paroles : Que la grâce et la paix vous soient accordées en abondance par la véritable connaissance de Dieu et de Jésus notre Seigneur. En effet, sa puissance divine nous a fait don de tout ce qu'il faut pour vivre en hommes religieux, grâce à la véritable connaissance de Celui qui nous a appelés par la gloire et la force qui lui appartiennent. Ainsi, Dieu nous a fait don des grandes richesses promises et vous deviendrez participants de la nature divine. Ces paroles montrent que l'âme participe à la nature de Dieu, en accomplissant en lui et avec lui l'œuvre de la Très Sainte Trinité, de la manière dont nous avons parlé, à cause de l'union substantielle qu'il y a entre l'âme et Dieu. »(2)

(1) 1 Rois 19, la traduction est d'Emmanuel Lévinas. Voir sur ce thème mon essai éponyme.
(2) saint Jean de la Croix, cantique spirituel, source office des lectures du 7/8.

23 juillet 2020

Dépouillement 25 - homélie du 17ème dimanche

Où courons nous ?

Que nous dit Jésus sur le marchand de perles dans l’Evangile de Matthieu ?  « il va vendre tout ce qu'il possède et achète cette perle.»»
‭‭Matthieu‬ ‭13:46‬ 
« Tu t'agites pour beaucoup de choses, une chose est essentielle » glisse Jésus en écho à Marthe (Lc 10, 41). Il faudrait maintenant se taire et méditer sur ce qui est essentiel. Entendre le discours de Jésus au jeune homme riche : « une seule chose te manque : va vends tous tes biens et suis moi ».(Mc 10, Mat 19, Luc 18). Selon certaines interprétations Marc est probablement celui des trois évangélistes Synoptiques qui a le mieux compris cela au point qu'on l'associe à ce jeune homme qui s'enfuit tout nu au jardin de Gethsémani. Pourquoi Marc nous raconte t il cette scène non reprise par Matthieu et Luc ? Peut-être a-t-il compris le message ultime. Tout vendre, renoncer, se dépouiller, se mettre à nu... Jusqu'au déchirement du voile qui révèle l'amour.

La nudité à laquelle nous sommes appelés est celle qui nous oblige à sentir qu'il n'y a qu'une voie, qu'une sagesse, qu'un chemin, qu'un trésor, qu'un médiateur, Jésus Christ, celui qui s'est dépouillé de tout parce qu'en faisant cela il va jusqu'au bout de l'amour.

La route est longue et ardue... Au bout du chemin, quand on a fait, en nous, le tri final, il ne reste qu'une voie de sagesse, insiste à sa manière saint Jean de La Croix : suivre le Christ. Cette voie, est celle que décrit Salomon (1Rois 3), c'est celle qui peut faire de nous des « justes » comme le dit saint Paul en Romains 8.

Combien de fois nous arrêtons nous pour voir la frénésie de notre agir, de nos agitations ?
La porte est étroite et la question lancée par Matthieu sur le tri des anges doit nous interpeller. Sommes nous prêts comme les jeunes filles et leurs lampes ?
Prendre la voie du Christ est « impossible à l'homme mais possible en Dieu » glisse Mat. 19... le Christ lui-même a eu besoin d'être poussé par l'Esprit au désert pour prendre de la distance sur cette agitation intérieure qui nous éloigne du Chemin.

« Seul l'Esprit, parle à notre esprit dans le silence ». Sommes nous des « écoutants » ? Laissons nous place à l'Esprit pour agir ? Entrouvrons-nous la porte à ce « courant d'air (1) » qui pénètre au fond de notre cœur et nous fait découvrir la perle, le trésor, le royaume.

Entrons dans le silence et écoutons Dieu interpeler notre cœur. Où est ta priorité ?





« Il s'agit [alors] de transporter notre cœur dans la vie du ciel, en sorte qu'on puisse dire : « Notre patrie est dans les cieux » (Ph 3,20). Surtout c'est commencer à devenir semblable au Christ, « qui, de riche qu'il était, s'est fait pauvre pour nous » (2Co 8,9).(2)

Le grand enjeu devient, dans la dynamique de la troisième parabole d’entrer dans un véritable discernement, trier ce qui nous empêche d’aller dans ses pas, ce qui est « balayure » et nous laisser « saisir » par lui (cf, Ph 3)

(1) François Cassingena-Trévédy, pour toi quand tu pries, op.cit. 
(2) Saint Basile Grandes Règles monastiques, § 8 (trad. L. Lèbe osb, Éd. Maredsous, 1969, p. 71 rev.)

22 juillet 2020

Dépouillement 27 - Détachement et nudité (18eme Dimanche - Année C revisité)

Quel est notre attachement aux biens de ce monde ?

L'insistance de la Parole est presque abusive. Elle est comme un cri de Dieu lancé dans le désert et qui retentit depuis le premier cri de Dieu au jardin.

Où es-tu ? Que cherches -tu ? Où es-ta priorité ?

On peut passer à côté, refuser de l'entendre.

Mais c'est se détourner de l'essentiel. Se détourner de la croix qui crie encore ce « Que cherches -tu ? »

Le matin de Pâques les disciples entendront encore ce qui cherchez-vous qui nous ramène à notre quête.

L'essentiel n'est pas dans l'avoir, la vanité ou la puissance. Il est dans le dépouillement, la nudité, le don...

L'inversion à laquelle nous conduit ce texte c'est le don....

Chez Marc, au jeune homme riche, Jésus redit, comme il le fait à sa manière viens et suis moi.
Donne...
Donne sans compter
Donne sans attendre de retour
Donne jusqu'au bout

Donne jusqu'au bout de ta vie
Car donner c'est aimer.

Le mariage, dis-je souvent à ce que je marie est signe de ce don.
Je me donne à toi..... et je ne le reprendrai pas.
Il est signe seulement de l'indicible don qui jaillit du cœur du Christ et continue de se donner à chaque eucharistie...

L'amour est don
L'amour est dépouillement
L'amour ne cherche pas son intérêt
L'amour prend patience
L'amour c'est donner sans retour

Dieu est amour.

Paul nous fait aller, comme souvent, un pas de plus...
« vous vous êtes revêtus de l'homme nouveau
qui, pour se conformer à l'image de son Créateur,
se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance"
.
Tout est rien, pourrait il dire comme l'a fait la grande Thérèse tout est rien, tout est vanité
« mais il y a le Christ :  il est tout, et en tous. »

Quand nous communions avec lui, il ne s'agit pas de recevoir, mais d'entrer dans la dynamique de Dieu, dans le don...

Porter le Christ c'est être nu, à genoux devant l'homme et donner le meilleur de soi-même. Le dépouillement du Christ qui enlève ses vêtements en Jn 13 pour s'agenouiller devant l'homme et laver les pieds devient le signe du don ultime, du dépouillement d'un Dieu nu, exposé sur la Croix. C'est là où Dieu se révèle, c'est là où Dieu apparaît derrière le déchirement du voile...

20 juillet 2020

La danse des brebis - dépouillement 24

« J'ai joué de la flûte » (Mat 11,17)
Quel écho cela a-t-il pris en nous ?

Tendre l'oreille.
Entendre la musique du Verbe.

« Aussitôt que la voix de ta salutation à atteint mon oreille, voici que l'enfant a tressailli en moi » (Luc 1,42)

Entendre et tressaillir.
Sentir le Verbe en soi...

Entendre la voix de Dieu, en reconnaître les notes.
Reconnaître la voix.
La laisser vibrer en nous.

«Le gardien lui ouvre la porte et les brebis écoutent sa voix. Il appelle ses brebis chacune par son nom et les mène dehors. Quand il les a toutes fait sortir, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu'elles connaissent sa voix.» Jean‬ ‭10:3-4‬ ‭

Tressaillir aux échos de Dieu dans les profondeurs intérieures de notre être.
Secouez les résistances, les fausses notes, les contre-temps.
Se dépouiller des ornements (Ex33,5) qui freinent l'écho de Dieu...
Entrer en résonance avec le Verbe.
Entrer dans la danse.
Participer à la symphonie du Verbe.

Quitter nos enclos et nos terres...
Quitter nos enfermements et nos doutes...
Quitter son père et sa mère
Se lever...
Porter le fardeau léger
Prendre son bâton
Se laisser conduire au désert.
N'emporter ni bourse, ni rechange
Marcher dans les pas de Dieu.
Entrer dans sa danse.

Avancer, un pas après l'autre.
Trébucher et se relever.
Se laisser porter.
Découvrir ses chemins de miséricorde
Ne pas se laisser distraire par les bruits alentours.
Se concentrer sur la mélodie.
Danser avec son Dieu...
Se laisser emporter par la danse trinitaire
Quitter son vêtement de fête
Retirer ses sandales.
Aimer et se laisser aimer.
Jusqu’au bout
Mourir à soi même
Espérer contre toute espérance



(1) Variation et hommage au « maître de chant », in François Cassingena-Trévédy, la voix contagieuse, chap. VII, op. cit.

Kénose de l’Eglise - dépouillement 23

La sainteté de l’Église est plus que jamais en question.
Comment y rester fidèle après les révélations récentes ?
Pourquoi et comment évoquer encore le mot de sainteté ?
Quelles sont les pistes d’une réforme ?
Peut on parler d’une nécessaire kénose de l’Église au sens d’un dépouillement salutaire...
Comment interpréter l’incendie de nos cathédrales, la désertion des fidèles...
Autant de sujets brûlants qui nécessitent une prise de hauteur.
Le livre suivant, écrit à partir de 2010, dans la foulée de celui du Père Vidal « Cette église que je cherche à comprendre » ne perd pas sa pertinence.
Reprenant les analyses de J. Moltmann, de H de Lubac ou Y. Congar, il trace aussi un chemin très personnel en tension entre contemplation et révolte.
Il est maintenant disponible gratuitement sous ce lien chez Fnac.com et kobo au format ePub :


La liste des 13 ouvrages déjà mis en ligne gratuitement est disponible plus bas ou sous ce lien...


« De même donc que le Seigneur n'a rien fait, ni par lui-même ni par ses Apôtres, sans son Père, avec qui il ne fait qu'un, ainsi vous-mêmes ne faites rien sans l'évêque et les presbytres. N'essayez pas de donner une apparence de raison à vos activités privées, mais faites tout en commun : une seule prière, une seule supplication, un seul esprit, une seule espérance dans la charité, dans la joie irréprochable ; un seul Jésus Christ, qui est au-dessus de tout. Concourez tous à former comme un seul temple de Dieu, autour d'un seul autel, en l'unique Jésus Christ, qui est sorti du Père unique, qui était auprès du Père unique, et qui est retourné à lui ». (1)

(1) saint Ignace d’Antioche, lettre aux Magnésiens, source : office des lectures de la 16 semaine 

19 juillet 2020

Dépouillement 22 - le bon grain, l’ivraie et La Croix


Il y a une lecture pascale et johannique du texte de Matthieu 13 en Jean 13. Elle illustre et complète la parabole du bon grain et de l'ivraie, dans l'agenouillement du Christ devant Pierre et Judas.
C'est « l'où es-tu ? » final de Dieu devant l'homme, lancé depuis Gn 3....Le Christ a vécu dans sa chair, ce dépouillement. Il s'est mis à genoux devant les deux « graines » qu'était Judas et Pierre, il a lavé les pieds des deux apôtres.
Judas a refusé l'amour et s'est pendu dans la géhenne, la vallée maudite qui jouxte Jérusalem
Pierre a renié le Christ jusqu'au bout, par trois fois, mais le Verbe semé en lui a étouffé l'ivraie de la discorde, le germe de violence qui cohabitait en lui. Pierre n'a pas pris pas l'épée, il accepte de se laisser laver tout entier par les larmes... Au lieu de choisir la mort, il a choisi douloureusement le repentir puis la vie.


Dans la mort du Christ Pierre a entamé son dépouillement ultime. Aux triple questions du Christ qui répondent à son triple reniement, s'amorce la naissance de la plante fragile et immense qui sera l'Eglise (Jn 21).
« Pierre m'aimes-tu ? »
De Jean 13 à  Jean 21 s'étend la clé qui ouvre et met à jour l'amour de Dieu pour l'homme.
Je l'ai compris dans la chair le jour où j'ai senti le Christ à genoux devant moi. Cette révélation, à Penboc'h un jour de retraite ignatienne il y a une dizaine d'années est le germe ultime de ma vocation de diacre.
Ne soyons pas source de discorde, laissons l'Église entamer le dépouillement final...poussé par l'Esprit qui travaille sans cesse en l'homme pour faire jaillir les semences du Verbe.

Nos cathédrales peuvent être réduites en cendres... le germe divin ne sera pas atteint. La moisson vient, le grain semé germe au fond de l'homme. l'Église est le creuset, le Corps de l'espérance de Dieu, le fruit ultime de son agenouillement et de son dépouillement 
Le dépouillement et l'agenouillement de Dieu est la clé cachée de la parabole. Écoutons le Christ à genoux nous demander « m'aimes-tu ? ». « Supportez-vous les uns les autres avec amour. Ayez à cœur de garder l'unité dans l'Esprit par le lien de la paix » (Ep 4,2-3). N'y a-t-il rien en toi qu'un autre n'ait à supporter ? (1)

(1) Saint Augustin Commentaire sur le psaume Ps 99, 8-9, PL 37, 1275-1276 (Saint Augustin, maître de vie spirituelle; trad. A. Tissot, S.J.; Éd. X. Mappus 1960, p. 115-116 rev.), source  : l'Évangile au Quotidien 




17 juillet 2020

Nudité ultime - Dépouillement 21

Il y a un verset du chapitre 33 d'Exode que je ne cesse te contempler et méditer. Il suit Ex 32, et l'épisode du veau d'or et prépare Ex 34 et la révélation lumineuse du Dieu de tendresse à Moïse, dernière marche des épiphanies avant la Transfiguration.
Ce verset invite à « enlever ses vêtements de fête » (Ex 33,5) (1).
Qu'est-ce à dire ? Si ce n'est entrer dans ce dépouillement qui permet d'aller jusqu'à la vision de Dieu. Quel est le point ultime de ce mouvement, si ce n'est contempler la nudité du Christ dans son premier dépouillement, celui de l'enfant donné, dans le vêtement retiré du laveur de pieds, jusqu'à son dernier dépouillement, un Christ défiguré de l'amour versé, un Christ transpercé par nos violences et nos abandons, un Christ révélé derrière le rideau déchiré du Temple, un Christ lumineux de la grâce jaillissante d'un cœur brisé ?

Le dépouillement de Dieu est le prélude musical de la kénose de l'Église qui ne fait que commencer.
Il s'inscrit dans la dynamique même de la « séparation » entre ciel et terre de Gn 1 ou du « quitter » de Gn 2 où l'homme quitte père et mère pour ne faire qu'une seule chair avec l'aimé(e), et parvenir à cette nudité sans honte de l'être dépouillé qui danse avec autrui et y découvre une autre danse plus essentielle, celle qui le fait parvenir à l'en Christo(2), l'en Christ où le don danse avec son Donateur et devient co-createur de l'amour, passeur, engendrement de l'autre (3) à qui il insuffle l'amour reçu d'ailleurs et qu'il ne peut conserver sans perdre. La manne ne dure pas. Le pain reçu ne persiste que partagé...
La dynamique sacramentelle part de l'aride liturgie pour nous propulser de dépouillement en dépouillement jusqu'au don de soi, l'ultime diaconie...

La danse nuptiale du Christ et de son Église va de dépouillement en dépouillement(4).



(1) cf. L'amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar développe abondamment ce thème dans la deuxième partie de sa trilogie.
(3) au sens charnel mais surtout au sens spirituel donné par P. Bacq et C. Théobald dans leur Pastorale de l'engendrement...
(4) « Dépouillement » est la web série qui complète la publication récente de « Dieu dépouillé », une exclusivité gratuite de 1200 pages sur fnac.com

Aride liturgie - dépouillement 20

Aride liturgie - dépouillement 20

Combien de fois la liturgie nous rebute, les symboles nous échappent, les gestes passent à côté de nos réalités humaines.

Je suis un des premiers à la décrier et la conspuer, à avoir en horreur ses fastes et ses excès. Et en même temps je dois avouer que parfois l'aridité de ces répétitions, la profondeur de sens de ce qui est prononcé, la face cachée des gestes et des symboles révèlent autre chose que l'apparence et le rideau se déchire (1). Arrière Satan...!

Dans l'aridité d'un chemin du désert (2), dans le dépouillement attendu d'un carême, dans la symbolique d'une misérable hostie offerte, Dieu se fait signe.

Paradoxe et oxymore que cette liturgie que nous détestons souvent sans en chercher le sens caché. Benoît XVI, avant d'être pape avait cette phrase assassine qui interpelle dans l'esprit du christianisme : « le prêtre peut-être un imbécile, le sacrement reste valide » (3) ce qui tempère nos ardeurs jalouses et notre aptitude fréquente à jeter le cœur du symbole avec l'eau du bain.

« Si ce que tu admires est une ombre, une préfiguration, combien grande est la réalité dont l'ombre excite déjà ton admiration. Écoute bien : ce qui s'est réalisé pour nos ancêtres n'était que l'ombre de la réalité à venir. Ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ. Cependant la plupart n'ont fait que déplaire à Dieu, et ils sont tombés au désert. Ces événements se sont réalisés en figure à notre intention. Tu sais maintenant ce qui a le plus de valeur: la lumière l'emporte sur les ténèbres, la vérité sur la figure, le corps du Créateur sur la manne venue du ciel.(4)

Je dois reconnaître qu'il m'a fallu près de 50 ans de pratique brouillonne et revêche avant de découvrir à travers l'enseignement lumineux d'un moine de Lérins à l'ICP (5) le sens caché de cette échange entre les fidèles et le prêtre qui ouvre la consécration et donne à ce dernier le droit temporaire et fragile de monter à l'autel pour célébrer le mystère eucharistique. (6)

Nous passons bien souvent à côté de l'essentiel. Et pourtant, combien de fois, au cœur d'une assemblée brouillonne, malgré mes réticences et mes distractions Dieu soudain m'a fait signe et s'est révélé soudain dans sa fragilité me faisant tomber à genoux devant lui, en dépit de mon orgueil et de ma suffisance.

« Tu étais là et je ne le savais pas » (7) résonne alors en nous les phrases d'Augustin, alors qu'un « Seigneur je ne suis pas digne » traverse notre esprit et nous découvre l'amour et notre faiblesse mêlée.

Le cléricalisme est-il le prix à payer, la pilule amère de ce mystère qui se cache derrière des années de tradition accumulées...?

L’eucharistie est le sommet d’une dynamique qui commence et rejoint l’agir. Elle cristallise en un temps et un lieu un double mouvement de Dieu vers l’homme, agenouillement sans fin et de l’homme vers Dieu, agenouillement rare et fragile, comme celui auquel Etty Hillesum s’est retrouvée conduite à adopter (8) suite au long travail intérieur de Dieu.


L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse,
car nous ne savons pas prier comme il faut. » (Rom 8, 26)

(1) cf. Le rideau déchiré ou mon livre fleuve « pédagogie divine » in « Dieu dépouillé » gratuit sur Fnac.com
(2) cf. Le chemin du désert ibid.
(3) je cite de mémoire
(4) Ambroise de Milan, traité sur les mystères, source office des lectures du 16/7, 15ème semaine du temps ordinaire
(7) confessions, chap. VIII
(8) cf. Une vie bouleversée

Le titre de cet article m’a été partiellement inspiré par la méditation de François Cassingena-Trévédy sur l’aridité in « La voix contagieuse »

16 juillet 2020

Ordination des femmes - Dépouillement 19 - espoir et conversion

Jusqu’où l’Eglise doit-elle se dépouiller ?
Le premier pas reste un appel toujours personnel adressé à chacun, dans la foulée de ce que je décris dans ma web série...(Dépouillement 1 à 18).

Il y en a un autre, plus difficile et double à mon avis :
1. celui des clercs (dont je fais maintenant partie) qui ne doivent jamais renoncer à s’éloigner de l’éternelle tentation du pouvoir et de l’orgueil qui s’attache à la fonction très symbolique de « ministre » - fonction qui est par essence d’abord une fonction de serviteur à l’image du Christ décrit par Jean (1).
2. et celui du féminisme qui s’attache à une égalité forcenée alors que les femmes ont des qualités qui leur sont propres...(ce qui n’exclut pas, comme on le verra plus loin une nécessaire réforme).

Depuis la candidature d'Anne Soupa au primat des gaules, des arguments valables ont été émis dans les deux sens, mais un chemin ardu est, j'espère, avancé. J´ai moi même souligné l'intérêt que l’on pourrait trouver dans une distanciation de plus en plus nécessaire entre pouvoir, surveillance, autorité, service et responsabilité.

A cette occasion je soulignais combien le rôle de surveillance attribué aux évêques par la plus ancienne des traditions pourrait fort bien échoir à des femmes, dans une urgence nettement appuyée par la crise récente.

Plus généralement c’est la notion même de sacrement qu’il serait nécessaire d´étendre pour ne pas réduire aux rites ce qui devrait être une dynamique sacramentelle (2)

Il y a enfin une dynamique post conciliaire à soutenir en faveur de la collégialité.

Je découvre tardivement un article de Charles Delhez qui a précisé notamment en juin dans La Croix que « Jésus a donné aux femmes une place plus importante que ses contemporains. Saint Paul (...) ajoute-t-il, « a proclamé haut et clair l'égalité de l'homme et de la femme.(...)(3)Réserver la prêtrise aux hommes est pour elle une question de cohérence symbolique [soulignant] deux manières différentes d'être au monde. » le jésuite belge précise néanmoins que  « Si l'on veut maintenir le dialogue avec la culture moderne et si on promeut une conception moins sacrée du prêtre, ordonner des femmes serait un pas en avant dans la ligne du tournant opéré par Jésus. Cela irait dans le sens de l'histoire et lèverait une réserve importante de nos contemporains vis-à-vis de l'institution ecclésiale. Ce ne serait pas un non-sens, me semble-t-il. (...)  La première étape serait dès lors la réinstauration de diaconesses et le choix de femmes cardinales. L'onction des malades pourrait aussi être donnée par le baptisé, femme ou homme, qui a mission d'accompagner spirituellement la personne souffrante. Ne doit-on pas desserrer l'étau sacramentel devenu un quasi-monopole sacerdotal et masculin (exception faite pour le mariage et le baptême) ? (...) La première question n'est cependant pas, selon moi, celle du sacerdoce, féminin ou masculin – ce serait encore du cléricalisme –, mais celle de la vitalité des communautés appelées à être davantage responsables et adultes. On peut d'ailleurs se demander si la figure actuelle du clergé n'est pas dépassée » (4)
Cette question rejoint ce que j'ai noté dans mon livre de 2013 : « Cette église que je cherche à aimer » (5) un plaidoyer que je ne renie pas en dépit de mon changement d'état.
S'il est important pour chacun de comprendre l'étendue de sa différence il n'est pas incompatible de concevoir l'intérêt pour chacun d'une certaine humilité entre fonction reçue et place effective, pouvoir donné et humilité.
Je reste persuadé qu'une conversion intérieure des clercs doit se faire pour réaliser l'impasse où nous sommes, comme il est utile, pour la femme de percevoir que la fonction n'est qu'un leurre et que l'important est d'aimer.

On relira sur ce thème la notion de polyèdre souvent soulignée dans ce blog, à la suite des propos de François.

Le plus urgent reste de percevoir que notre Église reste pécheresse, tout en espérant sa conversion individuelle et collective. L'ampleur des dégâts mis en avant par la commission Sauvé devrait interpeller sur les dérives du pouvoir.

La noirceur de l'Église est-elle chemin de salut ? Rappelons ce que disait saint Ambroise

« Le Seigneur dit par la bouche d'Isaïe : Si vos péchés sont comme la pourpre, je les rendrai blancs comme neige. L'Église, qui porte ces vêtements blancs pour les avoir endossés grâce au bain de la nouvelle naissance, dit dans le Cantique des cantiques : Je suis noire et belle, filles de Jérusalem. Noire par la fragilité de la nature humaine, belle par la grâce ; noire parce que composée de pécheurs, belle par le sacrement de la foi. En voyant ces vêtements, les filles de Jérusalem disent, dans leur stupéfaction : Qui est celle-ci qui monte toute blanche ? Elle qui était noire, comment est-elle devenue blanche tout à coup ?

Quant au Christ, voyant son Église en vêtements blancs — c'est pour elle, dit le prophète Zacharie, qu'il avait pris des vêtements sales —, ou bien voyant l'âme purifiée et lavée par le sacrement de la nouvelle naissance, il lui dit : Que tu es belle, mon amie, que tu es belle : tes yeux sont beaux comme ceux de la colombe, cette colombe dont le Saint-Esprit avait pris l'apparence pour descendre du ciel. (...)
Aussi rappelle-toi que tu as reçu l'empreinte de l'Esprit : Esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de piété, esprit de crainte religieuse, et garde bien ce que tu as reçu. Dieu le Père t'a marqué de son empreinte, le Christ Seigneur t'a confirmé, et il a mis l'Esprit dans ton cœur, comme un premier don, ainsi que tu l'as appris par la lecture de l'Apôtre. » (6)

(1) cf. mon livre « à genoux devant l’homme »
(2) cf. Dynamique sacramentelle 
(3) cf. aussi, dans ce sens, l’exégèse du P. Morin qui distingue deux rédactions différentes au sein des lettres de Paul entre ce qui semble égalitaire  (qu’il attribue à Paul) et misogyne (plus tardif) voir aussi mon « serviteur de l’homme »
(4) Charles Delhez sj, Ordination des femmes, une évolution possible (La Croix, jeudi 4 juin 2020)
(5) en téléchargement libre sur Fnac.com à partir du 18/7
(6) Ambroise de Milan, traité sur les mystères, source office des lectures du 16/7, 15ème semaine du temps ordinaire

15 juillet 2020

Dépouillement 18 - baptême du Christ (Matthieu 3, Mc 1, Luc 3)

 S'il y a un dépouillement à contempler, c'est peut-être celui du baptême du Christ. Le voici en effet qui s'avance, se met à nu pour se plonger dans l'eau du monde, se plonger dans le monde. Dénuement total (Kénose) que celui d'un Dieu qui accepte de plonger dans l'eau du Jourdain jusqu'à nous rejoindre dans ce qu'il y a de plus humain. Dénuement premier et symbolique de Celui qui a accepté de mourir à sa nature divine pour rejoindre notre humanité dans ces eaux usées, dans ces eaux de la mort, pour nous permettre de renaître dans l'Esprit (cf. Jn 3) jusqu'au déchirement des cieux...

Plongée jusqu'à l'homme, agenouillement sublime de celui qui préfigure l'agenouillement final qui le portera à la croix.

Il y a dans le déchirement du ciel, la même symbolique que le déchirement du voile du Temple (cf. Mc 15, 38) et le cri divin qui reconnaît dans le nouveau baptisé la filiation première « Celui ci est mon Fils bien aimé en qui j'ai mis tout mon amour » est celui qui annoncera la résurrection et résonne dans le « c'est pourquoi » de l'hymne au Philippiens (cf. 2, 12 sq).

Le baptême du Christ est le prélude symphonique de la Croix. Et la colombe qui étend ses ailes est la symbolique synoptique du jaillissement de l'eau et du sang qui inonde encore le monde de sa grâce.

Symphonie de l'Évangile que cette révélation multiple qui rime avec ce que nous perpétuons dans le baptême de nos enfants.

Entrer dans le Jourdain à la suite du Christ c'est accepter de venir laver ce qui nous empêche d'aimer, c'est renoncer à tout ce qui fait obstacle à notre vocation originelle, c'est nous laisser modeler dans la forme originale et nue de l'homme créé par Dieu et pour Dieu.

Se laisser baptiser à nouveau dans chacun des lavement des pieds que le Christ nous propose au travers du sacrement de la réconciliation c'est accepter de laisser laver « tout entier »(cf. Jn 13), nous séparer de ce qui nous retient par le péché à ce qu'il y a de plus humain pour rentrer enfin dans la danse symphonique de Dieu avec l'homme, pour rentrer dans la vie en Christ, dans l'Esprit.

Renaître est à ce prix...

PS : méditation à la suite de « la voix contagieuse », chapitre 4, de François Cassingena-Trévédy, op. cit.
Dans la foulée et en 17ème complément de mon livre « Dieu dépouillé »

Dépouillement 17 - saint Bonaventure

Le chemin de l'homme vers Dieu n'est pas un chemin intellectuel, mais de l'ordre du dépouillement nous dit en substance Bonaventure en écho avec Mat 11, 25-27 : « Quittant l'Égypte, il entre au désert pour y goûter la manne cachée et reposer avec le Christ au tombeau, comme mort extérieurement mais expérimentant dans la mesure où le permet l'état de voyageur - ce qui a été dit sur la croix au larron compagnon du Christ : Aujourd'hui avec moi tu seras dans le paradis.
En cette traversée, si l'on veut être parfait, il importe de laisser là toute spéculation intellectuelle. Toute la pointe du désir doit être transportée et transformée en Dieu. Voilà le secret des secrets, que personne ne connaît sauf celui qui le reçoit, que nul ne reçoit sauf celui qui le désire, et que nul ne désire, sinon celui qui au plus profond est enflammé par l'Esprit Saint que le Christ a envoyé sur la terre.
Et c'est pourquoi l'Apôtre dit que cette mystérieuse sagesse est révélée par l'Esprit Saint.
Si tu cherches comment cela se produit, interroge la grâce et non le savoir, ton aspiration profonde et non pas ton intellect, le gémissement de ta prière et non ta passion pour la lecture, interroge l'Époux et non le professeur, Dieu et non l'homme, l'obscurité et non la clarté ; non point ce qui luit mais le feu qui embrase tout l'être et le transporte en Dieu avec une onction sublime et un élan plein d'ardeur. Ce feu est en réalité Dieu lui-même dont la fournaise est à Jérusalem.
C'est le Christ qui l'a allumé dans la ferveur brûlante de sa Passion. Et seul peut le percevoir celui qui dit avec Job : Mon âme a choisi le gibet, et mes os, la mort. Celui qui aime cette mort de la croix peut voir Dieu ; car elle ne laisse aucun doute, cette parole de vérité : l'homme ne peut me voir et vivre.
Mourons donc, entrons dans l'obscurité, imposons silence à nos soucis, à nos convoitises et à notre imagination.
Passons avec le Christ crucifié de ce monde au Père. Et quand le Père se sera manifesté, disons avec Philippe : Cela nous suffit. Écoutons avec Paul : Ma grâce te suffit. Exultons en disant avec David : Ma chair et mon cœur peuvent défaillir : le roc de mon cœur et mon héritage, c'est Dieu pour toujours. Béni soit le Seigneur pour l'éternité, et que tout le peuple réponde : Amen, amen. »


(1) Saint Bonaventure, itinéraire de l'âme vers Dieu, source office des lectures - fête du 15/7
Cf. aussi, sur le même thème mon « chemin du désert »


12 juillet 2020

Le bon grain - Dépouillement trinitaire - Mat 15 - 15ème dimanche ordinaire A

Le bon grain - Dépouillement trinitaire Mat 13 - 15ème dimanche du Temps Ordinaire

Contemplation, Projet 1

Dépouillement de Dieu que ce grain jeté en terre, dans la profusion des dons et l'espoir que quelque chose sortira de ce don immense et gratuit.



Dépouillement que ce grain jeté
Dépouillement qui va jusqu'au don du Fils et de l'Esprit
Retrait de Dieu après le don.
Un Dieu qui s'efface et laisse pousser en nous le fruit de ses dons.
Espérance de Dieu, aussi...
Espérance du Père qui va jusqu'à la désespérance du Fils et jusqu'au silence de la déréliction
Espérance du Fils contre toute espoir dans un Gethsémani renouvelé à chaque eucharistie donnée et dépouillée jusqu'au cœur de l'homme.
Espérance et dépouillement de l'Esprit qui a mis en nous le grain et rêve du grain qui pousse.
Espérance de Dieu qui observe en nous la semence et rêve de la plante.
Espérance et dépouillement trinitaire donc de Dieu qui attend nos premiers pas de danse et se réjouit de nos petits pas vers lui, comme un Père qui regarde son enfant marcher et tituber pour la première fois...
Joie immense quand le fruit germe, l'enfant marche, la brebis trébuche et se retourne vers le berger en pleurant...


PS : voir en contrepoint mon hommage à une amie d'hier, comme la joie des anges devant un fruit mûr et une plante qui porte des fruits...

07 juillet 2020

Le cri du cœur...

Concevoir les homélies comme autant de « rencontre[s], de relation[s], d'entretien[s] familier[s]», nous rappelle François Cassingena-Trévédy (1), j'ajouterai d'interactions entre la Parole inaccessible et l'intériorité inatteignable de l'homme, tel est l'enjeu du ministre, à qui revient la charge, combien délicate de commenter le « dit » de Dieu...

Dans Autrement qu'être, Emmanuel Lévinas distingue fort bien le dire et le dit. Au dire inaccessible le dit reste réduction, déformation, oxymore.

Qui sommes-nous pour oser ajouter un iota à la Révélation ?

La Parole agit en nous par bien des manières et il serait prétentieux de la réduire à un commentaire. 

C'est toujours difficile d'écrire alors qu'il faudrait entrer dans le silence ou prononcer à peine quelques phrases pour réveiller chez l'autre quelque chose de plus grand. 

N'approche pas d'ici, « retire ses sandales »...(Ex 3) La Parole te dépasse, la Parole est plus grande que toi. Il faudrait rester à la « lisière du silence (1)», rester silencieux et pourtant on s'essaye, on ose, parce que la Parole manduquée appelle à être partagée. Elle bouillonne en toi et te dépasse. L'exercice partagé sur mon blog (2) en temps réel avec ses versions successives est osé. Il est un éternel appel à réaction, non pas parole assénée mais quête, recherche, dynamique et dépouillement...

Agenouillement aussi.
Agenouillement devant ce texte qui nous parle.
Agenouillement devant l'homme (3), cet auditeur anonyme que l'on ne saurait juger, tant il peut être lui-même traversé au plus intime de lui-même par le courant d'air, le bruit d'un fin silence (1 Rois 19)qui vient révéler en lui une présence secrète et aimante, douce et miséricordieuse, fragile et pourtant interpellante.

Retire tes sandales ô lecteur.
Derrière l'orgueil toujours trop présent du prêcheur se cache, ténu, le frisson intérieur qui l'a conduit à murmurer un chant, à esquisser un pas de danse avec ce Dieu qui vient nous visiter...

Si, depuis des années, je danse discrètement avec d’autres ou seul sur ce vecteur fragile, une valse légère nos contacts quotidien avec la Parole génère en nous des mouvements intérieurs qu'il est impossible de laisser sous le boisseau.

Pardon si l’on dérange, mais le dit ne cesse de frapper à la porte et nous appelle à crier : « Écoute ! Dieu te parle. Arrête de courir, entre au fond de toi (...)  déchire « ton vêtement de fête » (Ex 33). Dieu veut te parler dans le silence bruyant d'un livre inachevé, en dépit du rideau déchiré (4) qui a pourtant révélé sur la Croix le cri d'un où es-tu ? (Gn 3)

Dieu est là en toi, plus présent que tu ne l’espères, présence fugace, insaisissable. Il affleure le discours, se révèle en dépit de l’orateur n’est qu’un indigne passeur d’une Parole qui t’appelles à aimer.

Fais que tressaille son silence
Sous ton Esprit ;
Dieu, fais en nous ce que tu dis,
Et les aveugles de naissance
Verront enfin le jour promis
Depuis la mort de ta semence.(5)

(1) François Cassingena-Trévédy, La voix contagieuse, Editions Tallandier, 2017, p. 9sq.
(2) cf. http://chemin.blogspot.com
(3) voir mon livre éponyme téléchargeable sur Fnac.com
(4) idem.
(5) hymne de l’office des lectures


01 juillet 2020

Dépouillement 14 - Homélie du 14ème Semaine du Temps Ordinaire, Année…

Projet 2

Quelles sont les trois grandes tentations ? Elles se résument, nous dit Jean, dans l'Avoir, le valoir et le pouvoir...
Nous avons là les trois tentations principales de l'homme... y compris celles de Jésus au désert...

Les textes d'aujourd'hui nous invitent à méditer leurs contraires, comme autant de facettes de Dieu.

A la tentation de l'avoir s'oppose la pauvreté du Christ
Au valoir s'oppose l'humilité de Dieu
A l'excès de pouvoir et la violence s'oppose la douceur...

Ces trois mots clés résonnent dans les textes d'aujourd'hui. Pauvreté, humilité et douceur...

Ces attributs de Dieu j'aimerais prendre le temps d'y faire écho...

Car notre chemin humain se résume dans l'écart creusé entre ces six tensions...

Choisir le dépouillement contre la tentation de l'avoir
Choisir la douceur contre nos tentations de pouvoir
Choisir l'humilité contre l'orgueil.

Écoutons maintenant à nouveau les textes de ce dimanche avec ces clés :
Pauvreté :
 « Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d'une ânesse. » Za 9, 9-10
Zacharie nous fait contempler cette pauvreté de Dieu face à laquelle nos richesses deviennent bien pâles. Heureux les pauvres de cœur, le dépouillement les rendra libres...
Cherchons cette pauvreté du cœur qui transforme notre regard sur autrui pour devenir contemplation du visage de l'autre. La pauvreté est la première clé...
Ce qu'annonce Zacharie c'est la pauvreté et l'humilité de Dieu, c'est le Christ entrant à Jérusalem assis sur un ânon au lieu d'être debout sur un char de feu....
Il en est de même de cette douceur qu'évoque à nouveau Zacharie....
Le roi qui nous est promis n'est pas un violent il « fera disparaître d'Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l'arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. » Za 9, 10
Ce que Zacharie proclame à sa manière n'est t'il pas ce Christ doux et humble de cœur que nous décrit Matthieu 11.

Il y a une libération qui est ici en jeu... sortir de l'emprise de la chair, comme le suggère Paul (Rom 8) c'est retrouver la liberté de ceux qui se dépouillent de ces tentations qui nous empêchent d'atteindre douceur et humilité.

Choisir la vie, c'est se libérer de ce qui conduit à la mort intérieure : pouvoir avoir valoir.

Il y a finalement un pas à faire dans notre dépouillement, c'est celui de prendre le chemin du Christ, ce qu'il appelle son joug, ce fardeau léger qui est le chemin de la vérité et de la vie.
N'est-ce pas d'entrer dans la danse de Dieu. Suivre Jésus devient léger quand on renonce au pouvoir à l'avoir ou au valoir.

La Pauvreté du cœur, l'humilité et la douceur. Là sont les moyens de rendre le fardeau léger.

Quand vous avancerez devant l'autel, tout à l'heure prenez le temps de ce dépouillement intérieur, de ce renoncement à l'avoir au pouvoir et au valoir. Choisissez l'humilité et la douceur....

PS : il y a une phrase dans l’Évangile qui peut nous faire trébucher, c’est cette condition posée.
« personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils choisit de le révéler »
Au delà de la lecture littérale : deux pistes. La piste historique ou Mathieu se demande pourquoi les juifs n’ont pas suivi Jésus, pourquoi le Fils ne s’est pas révélé ?
La deuxième piste, consiste à  contempler la révélation comme un chemin dans lequel Dieu nous invite. Choisir de découvrir le Christ est un chemin complexe qui prend du temps. Certains refusent d’entrer dans cette voie. Ils ferment eux-mêmes la porte. Mais à ce qui choisissent d’avancer, Mathieu en parlant deux fois de révélation nous montre qu’il y a un chemin de révélation commencé dès le début de l’Évangile et qui se complète dans ce texte de Mathieu. 

27 juin 2020

Dépouillement 13 - prendre sa croix - 13eme dimanche

Projet 3

Les textes de ce treizième dimanche de l’année A nous demande un pas de plus, mais quel pas !
Je regardais cette semaine, faute d'y avoir assisté à l'ordination diaconale d'une dizaine de jésuites à saint Ignace.



Dans le rituel d'ordination des diacres en vue du sacerdoce, on leur demande de s'engager au célibat en avançant d'un pas...
C'est pour eux une vie nouvelle, une belle façon de prendre sa croix, non pas un effort contre nature, mais peut-être une mort à sa nature pour entrer dans une dynamique différente.
A la lumière de cet « impossible à l'homme » de Mathieu 19, que soulignait Pierre Grelot (cf. mon billet précédent) l'enjeu est d'avancer vers cette « vie nouvelle » qu'évoque Paul dans Romains 6... un vrai dépouillement...
Il faut méditer sans cesse ce « non pas ma volonté mais la tienne » de Jésus à Gethsemani pour comprendre qu'à l'impossible humain, nul n'est tenu, mais que nous sommes appelés à nous en remettre à Dieu pour avancer, prendre sa croix et continuer la course au sens donné par Paul en Philippiens 3.
Je suis diacre, non en vue du sacerdoce mais ce qu'on appelle permanent. Je ne suis pas engagé au célibat mais « dans mon état » c'est à dire que si ma tendre épouse me « quittait » je devrais rester alors dans le célibat. J'ai donc fait à ma manière un petit peu ce pas, inouï de m'engager à une vie de dépouillement. Je me sens bien petit...
Ma vie maintenant est d'accueillir - le mot reviens souvent dans l'Evangile d'aujourd'hui...donner un verre d'eau, accueillir le prochain, le migrant, l'étranger. Je trébuche à chaque pas, je recule bien souvent au lieu d'avancer. C'est déjà un chemin impossible à l'homme. Seigneur donne moi la force d'avancer, de prendre, soulever cette croix, à ta suite, de me dépouiller de cette paresse constante, de tout ce qui m'empêche d'aimer.

Revenons à Grelot :  « En  face  de  ce  mystère  du  mal  qui  pèse  sur  notre  liberté  et auquel  nous  participons  à  notre  tour,  deux  attitudes  complémentaires  sont  en  même  temps  nécessaires.  D’une  part,  il  y  a place  pour  la  conversion  (...) d’autre  part,  cette  conversion même  est  affaire  de  grâce.  C’est  pourquoi (...)  l’auteur du  Ps 51  implore  de  Dieu  une purification  intérieure  (51,  3-4.  9), un changement de son cœur,  un don de l’Esprit divin  (51,  12-13), qui  seuls  lui  assureront  la  joie  du  salut  (51,  14-17).  Il  ne  s’agit pas   seulement   d’un   pardon   accordé   au   pécheur   repentant (cf.  Ps  32,  1-5  ;  130),  mais  d’une  recréation  de  son  être  qui  le rendra  capable  de  fidélité  (Ps  51,  12).  La  grâce  ainsi  demandée anticipe  sur  les  dons  rattachés  ailleurs  à  l’économie  eschatologique. » 

Au bout du chemin il y a l’inaccessible... mais sur la route, se trouve les dons de Dieu, la foi, la charité et l’espérance. L’espérance est si petite disait Péguy. On peut le comprendre à la lumière de nos limites humaines. Elle est là pourtant et la première lecture nous laisse, à ce titre, quelque chose à espérer.

(1) P. Grelot, ibid. p.29