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19 août 2022

En route vers la Galilée - 10 - la danse du puits…

 

Jean 4, 1-45 sur La Samaritaine n’est pas en apparence une manifestation extraordinaire de Dieu, mais une scène particulière de la vie de Jésus. Cependant, nos premiers pas à la suite de Jean montrent que rien n’est écrit au hasard chez Jean. Ici, Jean entre notamment en écho à des textes présentés plus haut, dans le cadre de notre analyse de l’Ancien Testament.

Le lieu de la rencontre mérite déjà un commentaire : 

« Près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. 6. Or, là était le puits de Jacob » 


Ce n’est pas une terre anodine, ni un puits ordinaire, mais celui de cet homme présenté plus haut comme celui qui a lutté contre Dieu (Gn 32, 25), un homme en recherche, un homme simple, y compris dans ses bassesses et à qui, pourtant, revient la descendance des douze tribus d’Israël. L’Évangéliste nous prépare, par cette seule mention, à contempler le récit d’une quête. Notons également que parmi les douze fils, la mention de Joseph, le fils de Rachel, n’est pas neutre, non plus, tant cette figure précède celle du Christ. S’il en est encore besoin, on perçoit par ce détail que Jean n’a pas pour vocation de refaire l’histoire des synoptiques, mais bien de nous conduire, par son récit sur un plan supérieur. 

 

« Jésus, fatigué de la route, s'assit tout simplement au bord du puits » 


Que de fois n’avons-nous pas été fatigués par la vie, harassés par la chaleur de la route et par la sécheresse apparente ? Jésus, lui aussi nous rejoint dans ce temps apparent du désert où l’on ne trouve plus la force de repartir, le vide et le silence. Il ne se fait pas d’abord Dieu, inaccessible, mais homme parmi les hommes. Avant qu’on ne contemple la profondeur de sa Passion, cette phrase nous révèle déjà l’humanité de Jésus. Elle nous permet de contempler son aptitude à rejoindre l’homme. 

La vulnérabilité de Jésus prépare à la précarité de l’issue finale.  On conjugue ici le don de Dieu avec l’idée d’un don qui s’efface, se fait petit, semble inutile. L’humble don d’un homme qui se met « à genoux ».    

Notre lecture diffère ici, quelque peu, de celle des affirmations du concile de Chalcédoine qui voyait, dans le contexte de la philosophie grecque, Dieu comme omnipotent et immuable. Ici, nous contemplons un homme que la résurrection nous a confirmé ensuite comme fils de Dieu et qui pourtant, dans ce récit, ressent la soif et la fatigue. N’y a-t-il pas souci d’humilité ? En parcourant le texte, nous en comprendrons peut-être le sens. Dans l’humilité du Fils, résonne comme une note symphonique qui répond à un phrasé plus ancien, ce petit être, déposé dans une mangeoire, que contemplera Luc en remontant au temps de la naissance et sous-entendant par là, à demi-mot, le pain offert au monde. Ici, de la même manière, le Fils d’homme se fait pauvre parmi les pauvres… 

 

« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (4, 5-6) 

Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, nous l’avons dit, n’est pas un lieu anodin. Il s’insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d’Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine. Et dans cette évocation, l’évangéliste nous introduit au sein même de la quête entre Dieu et l’homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l’histoire de la faiblesse de l’homme. 

Dans la tradition biblique, le puits - ou la source selon la traduction littérale du grec - fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d’une certaine manière, sa reprise par l’évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d’autres passages porteurs de sens. 

Puiser l’eau du puits est l’acte emblématique qui établit une alliance dans l’Ancien Testament. On peut relire la rencontre du serviteur d’Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l’alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d’épouser à nouveau l’humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l’importance, pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires, de cette rencontre et des déplacements auxquels l’évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l’évêque d’Hippone, jusqu’à une méditation des fiançailles du Christ avec l’Église païenne symbolisée par la Samaritaine.

 Derrière cette évocation résonne également avec notre première évocation de l’un des textes les plus anciens de l’Ancien Testament, celui d’Osée, où Dieu invite le prophète à reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d’accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au coeur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai c?ur à c?ur » (Osée 2, 16). 

Comme nous l’avons souligné, le texte grec ne parle pas d’ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d’une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.

D’autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d’Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l’homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l’autre. C’est en bas de la tour d’orgueil, dans la soif d’une rencontre que se trouve la source vive.

En deux phrases nous voici plongés au coeur même de la pastorale de l’Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s’agenouille devant l’homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l’homme et qui s’assoit pour tenter une ultime rencontre. 

s vivant parmi nous est notre seule raison d'être et notre unique objectif. Pouvons-nous en dire autant de nous-mêmes, à savoir que cela est notre seule raison de vivre ? » 

« Il était environ midi. » Jean 4, 6b. Quels sont les « midis » de Dieu ? Une pierre angulaire dans la longue histoire de l’humanité. L’instant aussi où la chaleur est la plus haute, la plus intense. Pour Jésus comme pour la Samaritaine, le choix de l’heure n’est pas anodin. Pour le Christ, c’est comme un sommet de la révélation, pour la Samaritaine, l’heure où, à cause de la chaleur, personne n’osera venir, elle ne se sentira pas jugée. C’est l’heure où règne le soleil et où l’homme se cache… 

 

« Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l'eau. » Jn 4, 7. 

On pourrait s’attendre encore, comme le raconte le chapitre précédent, à une autre rencontre au sommet avec un pharisien savant. Ici, ce n’est pas Nicodème et sa science, mais bien l’humanité dans sa pauvreté. Samaritaine, elle est paria aux yeux des juifs, descendante de cette race exilée de Babylone qui a adopté la religion juive, à moitié par contrainte. La Samarie s’est séparée définitivement du monde juif depuis quelques années déjà, même si l’ancien royaume du Nord a été à l’origine d’une étonnante fécondité théologique, la chute de Samarie (722), l’exil, le repeuplement et l’histoire ont conduit à d’importantes divergences de point de vue entre les deux peuples. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le récit. Cette femme peut être comparée à la nouvelle Gomer, comme l’aboutissement de la quête d’Osée. Faire un lien entre la femme d’Osée et la Samaritaine n’est pas anodin. Il nous plonge au cœur même du sens de l’alliance, d’un Dieu qui fera tout pour le « séduire » - au double sens d’allaitement et de séduction développé ai chapitre 1 - pour ramener son peuple à la source. Il rejoint ce à quoi notre pape nous invite : une pastorale de la périphérie.

La Samaritaine n’est pas meilleure que nous. Au contraire, on la considère comme une moins que rien et le contraste avec Nicodème devient source d’espérance. « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu… », dira Paul (1 Co 3, 19)… En quittant le sommet de Jérusalem, en montrant que Nicodème n’a pas réussi à trouver la voie, Jean nous conduit plus loin, jusqu’au puits de Jacob, sur le terrain de l’humanité telle qu’elle était à l’origine. Et sur ce lieu où l’homme reste accessible par son humanité, se tient une rencontre entre le nouvel Adam et l'Ève qui continue de chercher Dieu. N’est-on pas, là encore, dans le domaine de l’« où es-tu ? » (Gn 3, 9) qui résonne, à nouveau, dans le jardin du monde ? Dieu est à la recherche de l’humanité sans fard, de la brebis perdue… Les orthodoxes traduiront cela dans une icône remarquable où Jésus est représenté, relevant Adam et Ève de l’enfer pour le sauver. Ce qui se passe est l’incroyable toujours renouvelé d’un Dieu qui se révèle à l’homme, quelle que soit sa situation, son état. Comme le précise le théologien K. Rahner, l’homme en toute condition peut faire une rencontre surnaturelle. Il lui reste un accès possible à Dieu. 


Jésus lui dit : » Donne-moi à boire. » Jean 4, 7b . 

Le voici donc ce cri. Là encore, il nous surprend parce qu’il ne vient pas de l’homme, mais du Fils de Dieu. Ici se révèle la faiblesse de l’homme fatigué qui crie sa soif. Plus qu’ailleurs de nombreuses résonances sont possibles dans cette simple affirmation. Elles nous ouvrent encore à la musique de Dieu. On peut entendre, au fond de l’histoire d’Israël, tous les psaumes du désert où l’homme crie sa soif de Dieu. On perçoit également, tous les assoiffés du monde qui lancent leur cri. En prononçant ce premier « j’ai soif », Jésus danse à nos côtés la danse des hommes perdus, desséchés, abandonnés et ce faisant, il se révèle plus encore homme parmi les hommes. N'y a-t-il pas, encore plus qu'ailleurs, un dévoilement de l'humilité du Fils... 

Le cri n’est pas, pour autant, lancé dans le vide. Comme l’ « où es-tu ? » de Genèse 3, il est aussi celui du Serviteur qui, en s’adressant à l’humanité, demande à boire. Il ne résonne pas comme le « retire tes sandales » d’Exode 3, mais à l’opposé même, comme en négatif, sur la « note » plus humble de celui qui se mettra « à genoux » pour laver les pieds de ses disciples. Il chante ainsi, comme nous le verrons, le même cri que sur la Croix. C’est donc la symphonie des cris de son amour pour l’homme qui se mêle dans une seule phrase. Elle se charge de tous ces cris passés et futurs. Dieu assis devant l’Ève debout et qui demande de l’eau. À la lumière de la croix et de la résurrection, nous percevons plus encore l’ampleur de cette « danse » de Jésus au pied de la femme… 


La Samaritaine lui dit : » Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.) Jean 4, 9 


Le cri surprend. Il nous surprend, car venant de Dieu. Pour expliquer l’incongru, l’évangéliste nous précise l’absence des disciples. Cela n’enlève pas pour le lecteur de l’époque l’effet de surprise. Il surprend d’ailleurs la femme, car tous les codes qui régissent les contacts entre juifs et païens sont ici bouleversés. Jésus se rend impur dans ce contact, au nom de la loi juive. Au coeur des rejets réciproques, des haines ancestrales accumulées, un dialogue ténu s’est installé, entre une femme de rien et celui dont Jean nous a déjà dévoilé l’importance, mais qu’il nous montre ici, faible et fragile. Langage paradoxal où le plus grand rejoint le plus petit pour nous interpeller au cœur même de nos petitesses. Le dialogue n’est pas dans un rapport de force, mais dans la magie des mots de l’homme, dans l’expression d’un désir, d’un besoin, d’un manque… Derrière la soif de Jésus, peut-on aussi sentir celle de la femme, qui tout en venant à midi reste en quête de rencontres, demeure avide de relations ? 


Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. » Jean 4, 10 


Ici l’évangéliste insiste sur l’écart entre la demande et la réalité du personnage. Pour un lecteur non averti, on pourrait croire qu’il s’agit du rétablissement d’une erreur. Mais n’oublions pas que ce texte est écrit et lu à la lumière de la croix et de la résurrection. Il introduit à cette vision de l’eau vive qui jaillit entre les lignes dans de nombreux chapitres de cet Évangile. Il nous amène à un aller-retour que l’on ne peut éviter entre la soif et la source évoquée dans ce texte (Jean 4) et la soif et la source du Christ en Croix (Jean 18, 28 & 34). Contempler l’échange de Jean 4, en ayant en tête le « j’ai soif » du Christ en Croix et l’eau qui jaillit du cœur transpercé, nous permet de voir qu’ici, Jésus ouvre une brèche que Nicodème ne voulait percevoir. Face au pharisien il était resté énigmatique – ou, pour le moins, l’évangéliste nous l’a présenté comme tel – ici, il donne à voir le mystère. Dans la tension ouverte entre la soif de Dieu et l’eau jaillissante, la Samaritaine est introduite au paradoxe central de la révélation. Derrière la faiblesse apparente de Dieu se cache une force vive. Derrière l’homme fatigué et assoiffé, Dieu est là, prêt à combler le chercheur de Dieu. Derrière le dieu « mort » pour les hommes, se révèlera le « Ressuscité ». 

Dans cet épisode de la Samaritaine, une nouvelle source se prépare. Et elle n’est pas réservée au peuple juif, mais offerte à toute l’humanité. Le passage évoque pour moi l’attente de Dieu. Sa soif est éternelle. Elle suit et précède son don toujours plus intense.

Plus loin, au chapitre 7, Jean affirmera : « Des fleuves d’eau vive jailliront de son coeur ». (Jn 7,38). Pour Benoît XVI deux types d’analyses sont possibles. La traduction alexandrine inaugurée par Origène (254), saint Jérôme et Augustin pense « que l’homme qui croit devient lui-même source, une oasis dont jaillit l’eau ». Une autre traduction moins répandue, mais plus proche de Jean, Irénée, Hippolyte, Cyprien et Éphrem modifie la ponctuation. « Celui qui a soif qu’il vienne à moi ; celui qui croit en moi qu’il boive ». Chez Thomas, 10, 6 (apocryphe) on lit « celui qui boit de ma bouche deviendra comme moi ». Le croyant s’unit au Christ. Il a part à sa fécondité. « L’homme qui croit et qui aime avec le Christ devient un puits qui dispense la vie ». On peut aussi y rattacher l’interprétation donnée par la parabole de la vigne et des sarments. Si l’on est soi-même source, c’est que l’on est rattaché à la vigne. Mais si l’on perd ce rattachement, ce qui coule « à travers nous » se tarit ou coule malgré nous, ajouterais-je presque.

La source de Jacob, qui divisait le monde juif de Samarie n’a finalement plus d’importance. Maintenant se dessine une nouvelle « eau vive » et si le Christ l’évoque ici, ce n’est pas aux sages et aux puissants, mais bien à celle qui se croyait abandonnée, jugée, méprisée et qui ne voulait plus s’afficher aux heures de foules. Le geste de Jésus qui vient puiser son eau est aussi fort que celui où il s’abaisse pour rejoindre la femme adultère, il se fait petit auprès des petits, avant d’être souffrant auprès des souffrants.

Elle lui dit « Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l'eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob (...).  Jn 4, 11-12 

Comme sur les chemins d’Emmaüs, la révélation n’est pas pour autant éblouissante dès le premier instant. Elle demande un accompagnement. Le chemin intérieur parcouru par la Samaritaine est essentiel. Elle a été interpellée par l’affirmation. Elle entre, au-delà de la surprise, dans un dialogue plus profond. De co-assoiffée, elle devient co-chercheuse de Dieu. 


Jésus lui répondit : » Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. » Jean 4, 13-14 


Alors Jésus poursuit son chemin. Il dévoile une ouverture nouvelle. Comme et au-delà de Nicodème, il s’agit d’une nouvelle naissance, d’un au-delà du contingent, de la soif humaine, une ouverture vers l’infini de Dieu, la vie éternelle. À la chaîne inéluctable, dans laquelle semble enfermé l’homme, une espérance surgit dans les mots de Jésus. La soif peut être surmontée, l’impossible humain peut laisser place à une autre vie. La mort peut donner naissance à une nouvelle vie. S’il a quitté le chemin de l’humilité, en affirmant son « je », ce n’est qu’au terme d’un parcours. Est-ce de la manipulation, une séduction malsaine, ou simplement un chemin de vérité ? L’humilité de départ n’était pas feinte. Elle n’avait qu’un but, rejoindre et aimer. Et le cœur aimant de Jésus, en introduisant la prédiction d’une eau vive, ne dévoile pas le prix qu’il payera pour que cette source jaillisse du désert de nos vies. 

Car la source jaillissante évoque déjà le sang et l’eau versés. Isolé, ce texte ne dévoile pas grand-chose. Rattaché à l’agonie et à la croix, il nous introduit dans le mystère même de la révélation. Du Jésus fatigué nous passons à celui qui est source pour le monde. Que de chemin parcouru !


La femme lui dit : » Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. » Jean 4, 15 


La « danse » de Jésus a réveillé le désir. On perçoit ici le chemin pastoral qui s’est ouvert par cette attitude et ces échanges. À petits pas, en utilisant la surprise voire l’ironie, le récit nous montre comment Jésus a ouvert le coeur de la femme à un autrement… 

 

« Va, appelle ton mari et reviens ici » Jean 4, 16 


Ici, la pastorale prend une autre tournure. Non seulement elle réveille notre soif, mais elle met le doigt sur nos propres « adhérences* », sur ce qui nous retient loin de la source. Où sont « nos » cinq maris ? Sont-ils dans la course folle du monde, dans l’inutile ou l’éphémère, l’argent, le pouvoir, l’avoir ou le valoir ? En repartant sur la soif essentielle à l’homme, Jésus interroge la femme, l’interpelle sur l’essence même de sa quête. 

La suite du dialogue va poursuivre cette interpellation. Quels sont nos modes d’adoration ? Adorons-nous en esprit et en vérité ? Le chemin qui surgit à nous est celui d’une descente équivalente ou pour le moins, dans la direction de celui qui nous conduit. 

Alors, au bout de l’échange, vient la révélation ultime. 


« Moi je le suis (ego eimi) qui te parle…» (Jn 4, 26). 


Comme on le verra au jardin de Gethsémani, le « moi je suis » est l’éternelle réponse de Dieu à l’homme en quête. Viens et suis-moi… En reprenant les mots même de Dieu au Sinaï (cf. Ex 3 : « je suis celui qui suis »), on peut arguer que le Christ dépasse l’attitude de l’humble marcheur. Car ce qui se dit « ego eimi » en grec est réservé à Dieu et nombreux sont les textes où son emploi est reproché au Christ. Il nous faut donc mettre plusieurs bémols. 

Jésus n’est pas apparu, ici, en « Christ de gloire », pour les aider à croire à l’impossible de Dieu, comme il le fera aux trois apôtres – cf. la manière dont les synoptiques le présentent dans le récit de la Transfiguration. Ici, il ne fait que reprendre la phrase intraduisible (« je suis » d’Exode 3), que certains se proposent, comme nous l’avons vu plus haut, de traduire en un « je serais ce que je serais », l’affirmation humble d’un avenir qui révélera seulement qui il est… Nous sommes bien, comme suggéré plus haut, dans l’axe de la Croix.

Mais nous anticipons. Avant d'en arriver là, il y a encore des descentes et des montées et d’autres « Je suis » égrené dans le texte. Pour l'instant, c'est l'appel à la foi de l'homme qui est en jeu. Descendra-t-il lui aussi jusqu'à dire « j'ai soif » ?

Il faut accepter de continuer la lecture. C’est en effet, l’officier du Roi qui nous y préparera (Jn 4, 46). Il s'apprête à descendre. Et pourtant, avant même que son mouvement soit accompli, par la foi seule, son fils est guéri.

Il a été plus vite que Zachée, pour lequel Jésus avait dû descendre jusqu'à Jéricho... Descendre à Jéricho, nous disent les pères de l’Église, c’est, à l’inverse de la montée vers Jérusalem, une descente vers le monde. Ici, l’officier royal n'a même pas eu besoin de faire le voyage. Une leçon d'humilité ? Cette rencontre où l’un comme l’autre font acte de confiance : Jésus qui croit en l’homme malgré sa fonction et l’homme qui croit à Jésus nous fait entrer dans un double agenouillement : Jésus, à genoux devant la foi de l’homme de pouvoir, à genoux devant Jésus…

Commentaire du pape François :

Dans une belle méditation sur la Samaritaine, la première chez Jean à se laisser transformer pour annoncer la bonne nouvelle, le pape François a souligné combien la soif du Christ devient une « soif de rencontre » communicative, une source de dialogue et de joie,  le pape nous invite à vivre dans cette une unité qui « se fait sur le chemin (...) en marchant ».

« L’engagement commun à annoncer l’Évangile permet de dépasser toute forme de prosélytisme et la tentation de compétition », a-t-il souligné à ce sujet.  « Nous sommes tous au service de l’unique et même Évangile ! », a-t-il conclu, faisant de nouveau ressortir le fait que ceux qui persécutent aujourd’hui les chrétiens dans le monde ne distinguent pas l’Église à laquelle ils appartiennent. C’est ce que le pape François appelle « l’oecuménisme du sang », un chemin de sainteté qui n’est pas individuel, mais collectif.


À suivre


Extrait des références : 


- W. H. Vanstone, Love’s Endeavor, Love’s Expense, Londres, Darton, Longman & Todd, 1977, p. 57, d’après D. Brown, op. cit. p. 171.

- saint Augustin (Traité 15)

- R. Simon, Éthique de la responsabilité », Cerf, 1993,  p. 260

- pape François  Homélie à Saint-Paul-hors-les-murs du 25 janvier 2015.

- Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, p. 124

03 juillet 2022

Le don, la danse ou le troc 2.69

 

« Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Marc 14, 22-24


Méditation 

Est-ce que nos rites sont aussi gratuits que les dons de Dieu ? Quel est le sens et le sommet de nos eucharisties ? A l’aube de la belle parabole du bon samaritain que nous allons entendre dimanche, il nous faut peut-être nous laisser interpeler par cette question qui interpelle nos rapports avec Dieu.

Pourquoi agissons nous ?

Que visons nous dans nos rites.




Même s’il force volontairement le trait, je crois que ce que Martin Pochon évoque dans son analyse déjà cité (1) interroge le fondement même de nos dynamiques sacramentelles.

Le sacrifice est-il un troc avec Dieu ? 

Je te donne pour que tu me donnes ? 

Ou est-il une véritable action de grâce, un don gratuit à l’image du grand Donateur qu’évoque Jean Luc Marion dans Étant donné…(2) ou D’ailleurs la Révélation (3) un don qui nous conduit au don…


La liturgie du mariage, dans sa troisième formule insiste sur le recevoir avant le don…

« Je te reçois et je me donne à toi. » 

L’ordre est important car il entre en contemplation du don…

Ce matin l’office des lectures en rappelant ce vieux texte de la Didaché souligne l’importance de l’action de grâce : « Voici comment vous rendrez grâce. D'abord sur la coupe : « Nous te rendons grâce, notre Père, pour la sainte vigne de David ton serviteur, que tu nous as fait découvrir par Jésus, ton serviteur; à toi la gloire pour les siècles. »Puis, sur le pain rompu : « Nous te rendons grâce, notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as fait découvrir par Jésus, ton serviteur; à toi la gloire pour les siècles. Comme ce pain rompu, qui était dispersé sur les montagnes et les collines, a été rassemblé pour ne plus faire qu'un, ainsi que ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton Royaume. Car c'est à toi qu'appartiennent la gloire et la puissance, par Jésus Christ, pour les siècles. »(...)« Nous te rendons grâce, Père saint, pour ton saint Nom que tu as fait habiter dans nos cœurs, pour la connaissance, la foi et l'immortalité que tu nous as fait connaître par Jésus, ton serviteur ; à toi la gloire pour les siècles. » C'est toi, Maître tout-puissant, qui as créé l'univers pour la gloire de ton Nom, qui as donné aux hommes nourriture et boisson pour qu'ils en jouissent, afin qu'ils te rendent grâce. Mais nous, tu nous as gratifiés d'une nourriture et d'une boisson spirituelles et de la vie éternelle, par ton Serviteur. Avant tout, nous te rendons grâce parce que tu es puissant ; à toi la gloire pour les siècles. Souviens-toi. Seigneur, de ton Église, pour la préserver de tout mal et la rendre parfaite dans ton amour. Et rassemble-la des quatre coins du monde dans ton Royaume que tu lui as préparé, cette Église que tu as sanctifiée. Car c'est à toi qu'appartiennent la puissance et la gloire pour les siècles. Que la grâce vienne, et que ce monde passe ! » (1)


Pochon insiste sur cette action de grâce dans la Didaché en soulignant qu’elle prime à la notion sacrificielle trop mise en valeur dans les (nouvelles) formules du rituel qui pourrait à l’inverse conduire à cette mésinterprétation déjà évoquée dans mes billets précédents….


Mettre l’action de grâce d’abord, c’est entrer dans la contemplation d’un Dieu qui s’abaisse jusqu’à se donner totalement et nous invite à entrer dans la danse du don…


Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Marc 14, 22-24


1) Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles, (Lectio divina), Paris, Éditions du Cerf, 2020.

(2) Jean Luc Marion, Étant donné? Essai d'une phénoménologie de la donation? Collection:  Quadrige

2013

(3) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020

(4) Didaché, source office des lectures du 6/7/22

13 juin 2022

Danse eucharistique ? 2.66

 

En cette fête du Saint Sacrement, il peut-être important de vérifier ce que nous voulons dire par sacrifice. Sur ce chemin délicat, la lecture du livre de Martin Pochon montre bien les grandes différences entre la lettre aux Hébreux(1), et ce que dit les quatre Évangiles, en soulignant notamment l’approche trop sacrificielle de l’auteur. 

Cela nous interpelle. 

Plus je poursuis cette lecture, plus je perçois l’écueil de l’auteur, qui pourrait être Apollos, selon Pochon. 

Son interprétation du sacrifice est un sacrifice au Père, il vise à apaiser sa colère, sous-entend un Dieu courroucé par le mal, qui a besoin de la mort du Fils pour être apaisé. 


On est loin d’une vision évangélique, d’un don pour l’homme, d’un pain partagé, signe de l’amour conjoint du Père ET du Fils qui va jusqu’au bout du don de soi pour montrer que l’amour est le seul chemin, que l’amour est plus fort que le mal et la mort. 


On est loin du Dieu Trinitaire et de la triple humilité que j’évoquais récemment (2).


Le commentaire de Thomas d’Aquin que reproduit l’office des lectures de cette nuit est-il influencé d’ailleurs par la thèse de l’auteur de la lettre aux Hébreux ? 

C’est en tout cas ce que dit, probablement avec raison, Martin Pochon. Et cette piste qui distingue le Dieu amour et le « sacrifiel » est peut-être à entendre. Cela conditionne beaucoup de choses sur notre vision de l’Église, du sacrifice, du pain de vie, etc…


Que célébrons nous aujourd’hui ? 

Est-ce un sacrifice sanglant comme celui de Moïse, un sacrifice à un Dieu qui exige la mort d’Isaac, ce Dieu violent des nomades de l’époque que décrit bien Beauchamp et Thomas Römer (3), ou le don immense d’un Dieu qui nous fournit à la fois le blé et la vigne et son Fils bien aimé, agneau fragile, Celui va jusqu’à mourir pour changer notre vision de Dieu ?



La dérive sacrificielle, voire parfois cléricale du sacrificateur, celle qu’Apollos (?} veut remettre à l’honneur, est bien différente de celle que Jean nous enseigne dans ses chapitres 6 (multiplication) et 13 (lavement des pieds) en évitant d’ailleurs de revenir sur le récit de la Cène et présentant une autre approche ou prime le partage, le don, l’humilité. 


Non le sacrifice à un Dieu vengeur, mais un autre chemin, celui de celui qui va accepter d’avoir le cœur transpercé par la violence des hommes, pour être signe et source qui jaillit des entrailles maternelles (cf. Osée 11) et frémissantes d’un Dieu qui s’abaisse jusqu’à laver (baiser ?) les pieds de Judas pour nous montrer jusqu’où va l’amour…


C’est ce Dieu « à genoux » qui est chemin(2). C’est avec Lui que je veux danser avec mes frères (4)


(1) Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles, (Lectio divina), Paris, Éditions du Cerf, 2020.


(2) cf. ma trilogie et notamment Dieu à genoux devant l’homme


(3) cf. Thomas Römer, L’invention de Dieu 


PS : vient de paraître ma 3eme édition de « Danse avec ton Dieu », gratuit sur Kobo/Fnac en numérique, à prix coutant sur Amaz… en version papier

10 juin 2022

Danse trinitaire ? 2.64

 Paul dans la deuxième lecture de ce dimanche évoque notre détresse, bien présente aujourd’hui. Il nous introduit pourtant à la persévérance puis à l’espérance… (Rom 5) 

Pouvons nous voir la lumière ?

Peut-être en écoutant ce que nous glisse Jésus, à la veille même de sa mort…

Vous ne pouvez pas encore porter tout cela…

Mais…

Mais « quand il viendra (...) l’Esprit vous conduira à la Vérité toute entière » Jn 16 

Le mot conduire n’est il pas à entendre dans cette discrétion particulière de Dieu, qui ne s’impose pas, mais nous accompagne sur ses chemins de liberté… ? 


Le livre des Proverbes nous donne la clé de cette tendresse discrète de Dieu. 

« je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes (...) , j’étais là, (...) je grandissais à ses côtés »


La sainte Trinité que nous fêtons dimanche nous est présentée par Jésus comme le point ultime de la révélation au terme de son grand discours du chapitre 16 de Jean.


Révélation mais sommet aussi de cette lente pédagogie d’un Dieu qui nous fait goûter cette danse (1) discrète d’une Trinité qui se penche amoureusement vers l’homme.


Depuis cette danse originelle du souffle sur les eaux, que nous chante à sa manière le livre des Proverbes, jusqu’à la triple humilité, au delà des nos détresses évoquées par Paul se révèle la triple humilité / miséricorde de Dieu.

 1. Ce Père qui se retire devant l’amour du Fils jusqu’à cette « gloire » fragile évoquée par Jésus qui ne sera qu’un homme nu, signe de l’amour, dressé sur le bois de la Croix. 

 2. Nudité qui révèle cette humilité du Fils qui s’efface maintenant pour concéder, à son tour que la vérité viendra en nous par l’Esprit

 3. Esprit, enfin, souffle fragile que la Pentecôte rend à peine visible dans des langues de feu avant de s’effacer dans nos profondeurs intérieures. Esprit qui demeure en nous comme une flamme légère, avant de s’embraser à nouveau quand, ouvrant notre cœur, se réveille le feu joyeux de l’Amour.

C’est bien d’une danse qu’il s’agit…

Danse humble, des trois personnes [triple humilité/kénose (3)] qui s’efface tour à tour devant l’autre et que le prologue grec de Jean résume dans un petit mot « pros ». Tourné vers. (2).

Le Fils tout tourné vers le Père dont il reçoit et transmet l’amour…


Amour et dessaisissement. Ce que nous fait goûter l’évangile se perçoit si bien dans le regard croisé de la belle icône de Roublev qui nous fait percevoir que chacun s’efface tour à tour pour laisser l’autre devenir.




N’est-ce pas cela l’amour d’agapè qui est effacement, qui « ne cherche pas son intérêt mais prend patience, endure tout, excuse tout ».(1 Co 13).


Tourbillon(4), danse ? 

C’est dans cette symphonie du retrait réciproque que l’amour se révéle et nous entraîne loin de nos détresses.

Amour, Inaccessible rêve ? (5)

Non !

Dieu est là. À nos côtés. Il est le chemin…

Et l’Esprit, enfin révélé dans cette révélation finale, qui nous conduit de la persévérance à l’espérance est la force qui nous conduit, par la danse fragile en nos cœurs blessés à dépasser nos insuffisances bien humaines…pour devenir les mains fragiles de l’amour donné.


(1) cf. la thèse d’Emmanuel Durand Emmanuel Durand, La Périchorèse des Personnes divines, Cerf, Collection Cogitatio Fidei - N° 243. 416 pages - mars 2005. https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/1993/la-perichorese-des-personnes-divines qui m’a bcp inspiré dans ce sens.


(2) voir sur Kobo Fnac mes essais Dieu dépouillé et À genoux devant l’homme https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/pedagogie-divine-3


(3) cf. la 3eme partie de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar 


(4) Ce mystère trinitaire que les pères de l’Église appelaient d’un mot double évoquant cercle et intériorité (circumincession) un ami l’évoque sous le beau concept de tourbillon.


(5) révélation pour moi dans cette belle interprétation de Monteverdi, lamentatio de la Ninja https://youtu.be/zsL4MGFh6QI

06 juin 2022

La danse de l’Esprit 2.63

 

Esprit de feu ? 

Il y a une continuité et une disruption entre les manifestations relatées par l’ancien Testament et ce que nous vivons aujourd’hui en cette fête de Pentecôte.

Continuité car ce souffle qui plane sur les eaux de la Genèse et que le grand potier insuffle aux terreux (Adam - cf. Gn 2) que nous sommes est à la fois un feu qui purifie, mais aussi un souffle fragile qui ne nous consume pas. 

Il vient brûler en nous l’inessentiel pour faire sa demeure en nos cœurs, nous défendre de l’inutile et nous ramener sans cesse vers l’unité.

Souffle fragile face aux vents violents qui nous secouent dans la mer déchaînée de nos existences, il se révèle quand nous faisons silence.

Loin du tonnerre et des flammes de destruction qu’imaginaient les marcheurs de l’Exode (16 sq), il est « bruit d’un fin silence » (1 Rois 19) (1) chant imprononçable car louange des petits, sourire des démunis, espérance des délaissés, don délicats d’un Dieu qui nous aime et nous invite à sa danse.


« Esprit de Dieu, tu es le feu,

Patiente braise dans la cendre,

A tout moment prête à surprendre

Le moindre souffle et à sauter

Comme un éclair vif et joyeux

Pour consumer en nous la paille,

Eprouver l'or aux grandes flammes

Du brasier de ta charité.


Esprit de Dieu, tu es le vent,

Où prends-tu souffle, à quel rivage?

Élie se cache le visage

A ton silence frémissant

Aux temps nouveaux tu es donné,

Soupir du monde en espérance,

Partout présent comme une danse,

Eclosion de ta liberté.


Esprit de Dieu, tu es rosée

De joie, de force et de tendresse,

Tu es la pluie de la promesse

Sur une terre abandonnée.

Jaillie du Fils ressuscité,

Tu nous animes, source claire,

Et nous ramènes vers le Père,

Au rocher de la vérité. »(1)


(1) l’expression est d’Emmanuel Lévinas. J’en ai fait le titre d’un de mes essais, première édition de ce qui est devenu « Pédagogie divine »

(2) hymne de l’office des lectures 

Voir l’excellent commentaire de Marie-Noēlle Thabut et notamment sa conclusion : « notre vrai bonheur, c’est de nous laisser modeler chaque jour par le potier à son image. »


https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/527249-commentaires-du-dimanche-5-juin-2/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-5-juin-2

06 mai 2022

Danse des grains

 Danse des grains 2.55 (v2) - Demeurer et faire corps. La lecture de Jean 6 que nous donne à manduquer la liturgie d’hier et d’aujourd’hui va loin. Comme un appel à danser ensemble vers une communion toujours plus intense et signifier ainsi que Dieu seul est « sacrement de notre unité ».

Il y a peut être là une piste à creuser, à travers cette dimension communautaire de l’eucharistie qui n’est pas individuelle mais collective dans cet « en Christo » qu’évoque Hans Urs von Balthasar, dans la deuxième partie de sa trilogie, à la suite de Paul. 

Vivre « en Christ », qu’est-ce à dire ?


Saint Augustin a une belle image à ce sujet :

« Le pain est formé d'une multitude de grains; (...)« Si nombreux que nous soyons, dit en effet l'Apôtre, nous sommes tous un seul pain, un seul corps ». (...) Ce pain sacré nous apprend donc combien nous devons aimer l'union. 

En effet, est-il formé d'un seul grain? N'est-il pas au contraire composé de plusieurs grains de froment? Ces grains, avant d'être transformés en pain, étaient séparés les uns des autres; l'eau a servi durant ces jours passés vous étiez en quelque sorte écrasés (...) . L'eau du baptême est venue comme vous pénétrer ensuite, afin de faire de vous une espèce de pâte spirituelle. Mais il n'y a pas de pain sans la chaleur du feu. De quoi le feu est-il ici le symbole ? Du saint chrême : car l'huile qui entretient le feu parmi nous

est la figure de l'Esprit saint. » (1)


A cette lecture on voit que le « demeurer » n’est plus seulement un élan mystique individuel(2) comme cette tente que voulait planter Pierre au mont Thabor, mais bien la réponse à cette danse à laquelle nous sommes appelés au delà de l’humilité/kénose/danse trinitaire qui nous y invite notamment dans le « faites ceci en mémoire de moi »…


Cette dimension communautaire est à travailler pour dépasser ce qui, dans le rite, réduit l’enjeu du « faites ceci » en ce que XL Dufour appelait un mime. 


L’eucharistie n’est pas ce que nous en faisons souvent : une succession de rites magiques, mais bien un lieu de transformation fondamentale de notre vie.


La communion de tous les baptisés n’a de sens que si elle transforme la communauté en une véritable solidarité « polyédrique » au sens donné par François, où chacun a sa place active et essentielle. Le prêtre est utile, mais n’a, comme le souligne Benoît XVI lui même(3), qu’un rôle d’intermédiaire dans le mouvement collectif de l’assemblée qui, uni en Christ, devient corps dans sa manière d’être, transformé par le travail intérieur et un interactif entre le don reçu et le don donné, qu’exprime à sa manière aussi le couple chrétien dans son échange sacramentel (et dans sa vie) : « je te reçois et je me donne à toi ».


Ajoutons que le Christ n’est pas mort pour moi, je ne le reçois pas pour moi. Il est mort pour que nous participions ensemble à cette « dynamique sacramentelle » (4) qui dépasse le rite pour devenir l’aujourd’hui d’un royaume à construire. En ce sens ce n’est pas le ministre qui compte mais le Corps qui se construit, pour que cette inhabitation de Dieu en nous nous rende véritablement participants au plan de salut.


Zachée,  descends de ton arbre solitaire. Je veux demeurer chez/en toi… La phrase étonnante de Jésus est transformante et voici que son cœur de publicain éclate en don… 

Seigneur vient demeurer en nous pour que nos cœurs deviennent danse…


(1) SAINT AUGUSTIN, Sermon CCXXVII,

pour le jour de Pâque, aux nouveaux baptisés, cité par Martin Pochon dans son livre sur « la lettre aux hébreux » op. cit. p.188

(2) cf. Bernard SESBOUE dans son livre, Comprendre l'Eucharistie, Paris, Salvator2020, p-39-65, regrette que la tradition liturgique ait quelque peu effacé de sa symbolique cette dynamique unificatrice : la communion est devenue un acte individuel. B. Sesboüé cite encore sur ce thème le sermon 229 de saint Augustin, PL 38, col. 1103, et La Cité de Dieu, X, 6, NBA. Ibid.

(3) in J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui, 1982, p. 315

(4) cf http://chemin.blogspot.com/2020/05/lectures-pastorales-2-livres-en.html

05 avril 2022

Triangles 2.45


Une amie m’a glissé une belle image de triangle qui complétée à mon concept de danse donnerait quelque chose d’intéressant.


« Au lieu d’opposer homme et femme en vis à vis, il faudrait mettre le Christ dans le triangle pour que cela ne demeure pas une éternelle confrontation » me dit-elle, « mais ce que vous appelez une danse ».

Avec dans une main l’autre et dans l’autre le Christ, ajoute-t-elle. 

Si l’on associe cela à mon concept/image de danse trinitaire nous aurions quelque chose de ce genre : 


Père 


                                 Esprit


                  Fils.   


     femme        homme


Faites tourner cela dans une danse symphonique ou comme une douce série d’engrenages et vous approchez de ce qui me semble « le rêve de Dieu » pour reprendre la métaphore de François…




Avons-nous trop tendance à opposer hommes et femmes ? Cherchons nous l’unité dans son sens symphonique ? Passe-t-il par l’humilité ?Dans mon livre « aimer pour la vie » je développe ce concept de « descente de tours » qui suppose une humilité réciproque devant l’inaccessible de l’autre. Un chemin qui s’approche de l’agenouillement du Christ. Lui seul descend jusqu’à terre. Et son geste est chemin.


Mais sommes-nous prêts à descendre dans la folie d’une nudité et du don jusqu’à ce que signifie la troisième formule du consentement : « je te reçois et je me donne à toi » ?. « Ils étaient nus et n’en n’avaient pas honte… ». Cette nudité qui rejoins celle du don total du Christ en Croix…


« je te reçois… » 

La réception prime… 

Le don, trop mis en avant, serait écrasement ou masochisme. 

La danse ne fonctionne que lorsqu’elle est symphonique et kénose… 

Et cet agapè est ce que Christ nous apprend…

Dieu est la source de tout don. 

A l’aube de la semaine sainte, c’est peut-être ce qu’il nous reste à contempler…


PS : certains diront qu’on peut se passer d’un des éléments du schéma. Peut-être, mais je crois qu’au sein même de chaque personne humaine repose à la fois une part de féminité et de masculinité, comme en germe, la trace fragile d’une semence trinitaire. Cette cohabitation ne se révèle que lorsque nous nous ouvrons à l’autre dans ce cri originel et réciproque qui vient à nos lèvres devant le « visage de l’autre » habité par le souffle qui nous fait sortir d’une auto suffisance.

29 mars 2022

L’eau et la danse 2.43

La liturgie met en lien aujourd’hui deux textes magnifiques autour du thème de l’eau. Ils sont chacun à contempler à la lumière de ce passage de Jean 19 où le cœur du Christ transpercé fait jaillir une source inépuisable qui n’est autre pour Jean que l’Esprit. C’est ainsi qu’il faut lire il me semble ce récit d’Ezéchiel 47 avec cette source immense jaillissante dont on ne peut plus évaluer la profondeur. 

Saint Bonaventure avait cette belle image dont j’ai fait le titre d’un de mes livres «  l’amphore et le fleuve (1)». Si nous contemplons avec bienveillance notre vie, nous pouvons apercevoir l’ampleur des dons de Dieu que notre amphore ne peut parvenir à recueillir tellement elle dépasse notre propre contenant. De la fleur fragile à l’amour reçu d’autrui le grand Donateur ne cesse de combler ses enfants. Encore faut-il ouvrir son cœur à cette source immense. Et c’est l’enjeu du discours de Jean, depuis la nouvelle naissance évoquée à Nicodème (Jn 3), en passant par le « j’ai soif de toi » que nous fait comprendre la question à la samaritaine (Jn 4) jusqu’au j’ai soif final, la question que pose Jésus au paralytique en Jean 5 est un écho de « l’où es tu ? » originel de Gn 3.

Veux-tu être guéri ? Le veux-tu vraiment ? Crois-tu à la bonté de Dieu ? Vais-je mourir en vain ? M’aimes-tu ? Veux-tu danser avec moi ? 

« J’ai joué de la flûte sur la place du marché », viendras tu jusqu’au bout ?


Écoutons saint Augustin sur ce thème… :

« Les miracles du Christ sont des symboles des différentes circonstances de notre salut éternel (...) ; cette piscine est le symbole du don précieux que nous fait le Verbe du Seigneur. En peu de mots, cette eau, c'est le peuple juif ; les cinq portiques, c'est la Loi écrite par Moïse en cinq livres. Cette eau était donc entourée par cinq portiques, comme le peuple par la Loi qui le contenait. L'eau qui s'agitait et se troublait, c'est la Passion du Sauveur au milieu de ce peuple. Celui qui descendait dans cette eau était guéri, mais un seul, pour figurer l'unité. Ceux qui ne peuvent pas supporter qu'on leur parle de la Passion du Christ sont des orgueilleux ; ils ne veulent pas descendre et ne sont pas guéris. « Quoi, dit cet homme hautain, croire qu'un Dieu s'est incarné, qu'un Dieu est né d'une femme, qu'un Dieu a été crucifié, flagellé, qu'il a été couvert de plaies, qu'il est mort et a été enseveli ? Non, jamais je ne croirais à ces humiliations d'un Dieu, elles sont indignes de lui ».

Laissez parler ici votre cœur plutôt que votre tête. Les humiliations d'un Dieu paraissent indignes aux arrogants, c'est pourquoi ils sont bien éloignés de la guérison. Gardez-vous donc de cet orgueil ; si vous désirez votre guérison, acceptez de descendre. Il y aurait de quoi s'alarmer, si on vous disait que le Christ a subi quelque changement en s'incarnant. Mais non (...) votre Dieu reste ce qu'il était, n'ayez aucune crainte ; il ne périt pas et il vous empêche vous-même de périr. Oui, il demeure ce qu'il est ; il naît d'une femme, mais c'est selon la chair. (...) C'est comme homme qu'il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d'outrages, enfin crucifié et mis à mort. Pourquoi vous effrayer ? Le Verbe du Seigneur demeure éternellement. Celui qui repousse ces humiliations d'un Dieu ne veut pas être guéri de l'enflure mortelle de son orgueil.

Par son incarnation, notre Seigneur Jésus Christ a donc rendu l'espérance à notre chair. Il a pris les fruits trop connus et si communs de cette terre, la naissance et la mort. La naissance et la mort, voilà, en effet, des biens que la terre possédait en abondance ; mais on n'y trouvait ni la résurrection, ni la vie éternelle. Il a trouvé ici les fruits malheureux de cette terre ingrate, et il nous a donné en échange les biens de son royaume céleste » (2)


Ses paroles sont puissantes, dérangeantes, mais comme Naaman, ne faut-il pas se laisser secouer, de temps en temps jusqu’à la jointure de l’âme. L’appel de Dieu est irrésistible à qui veut bien entrouvrir sa porte à l’indicible…


(1) Claude Heriard, l’amphore et le fleuve, gratuit sous ce lien : https://www.fnac.com/ia9587875/Claude-J-Heriard

(2) Saint Augustin  Sermon 124

09 mars 2022

Danse avec ton Dieu - le livre - 2eme édition

 Danse avec ton Dieu - Bouquet final ?

 Comment Dieu vient-il à l’homme ? Plusieurs réponses sont possibles. Celle la plus méditée est cette lente pédagogie de plusieurs millénaires, qui montre que Dieu a choisi de se révéler, après bien des échecs, dans la trace fragile d’un homme. 

Depuis l’enfant nu jusqu’à la Croix, le dévoilement d’un Dieu tout amour touche en effet à l’indicible, pas à pas d’une danse subtile et bien fragile, qui va jusqu’au tragique.  

La danse de Dieu vers l’homme a sa source bien loin, mais, d’inaccessible, elle s’est faite plus palpable, plus humaine, et surtout nous a tracé un chemin, un pas de deux, puis à trois, avant de se retirer dans le silence, tout en nous invitant à une valse. 

Ce mystère reste chemin éternel de contemplation. 

Ce chemin que je trace avec vous depuis plus d’un an méritait d’être rassemblé dans un livre. Il fait suite à de nombreux écrits et recherches personnelles sur nos liens entre l’Écriture, la Révélation et la vie. Le principal est peut-être le petit essai « Danse trinitaire » pour lequel ces réflexions constituent comme de lointains échos à une trame déjà orchestrée dans cette musique particulière qui m’habite depuis des années.  Si ce premier essai a donné naissance à d’autres ouvrages que j’ai tenté de résumer dans  «  Dieu dépouillé », il manquait une mise en résonance entre un travail solitaire et d’autres chercheurs. 

Diacre dans un village du monde rural, à la périphérie du bruit du monde, mais aussi dans le monde, plongé à l’écoute de cette rumeur que l’on n’entend pas toujours dans nos paroisses trop policées, ce texte est une composition de petits écrits dont la trame est un fil rouge fragile, mais qui ne cesse de danser dans ce tourbillon particulier auquel Dieu nous invite sans cesse.

Ce recueil reprend donc des notes spirituelles rédigées pendant les nuits de mai 2020 à 2022. Nuits de confinement, mais aussi de dialogue intérieur et de réflexions théologiques d’abord solitaires puis progressivement d’interactions avec une communauté de chercheurs. Dialogue ouvert, souvent respectueux, parfois plus difficile, mais loin d’une théologie fermée, académique ou dogmatique. Le tout s’est nourri de lectures croisées entre la Parole, des livres, des essais, des mémoires et des thèses échangées librement.

Les textes qui suivent s’organisent en trois « saisons » : Dépouillement puis « danse trinitaire saison 1 et 2 ».

Pourquoi ce recueil ?

D’abord pour tracer le chemin personnel parcouru, les impasses, les répétitions et les lumières venues d’ailleurs. Pour rendre accessible à tous, certains travaux plus difficiles, comme le dernier livre de Jean Luc Marion, qui a servi de base à la troisième saison. Pour mettre en lumière quelques autres lectures « dansantes » comme celles du « Dieu nu » d’Arnold, la découverte de certains ouvrages de T. Römer et de livres de François Cassingena-Trévedy et de Sylvaine Landrivon.

Pour mettre aussi, en parallèle, certains textes ayant été rendus publics en chaire, homélies paroissiales, rarement écrites seules, le plus souvent travaillées à plusieurs. Le résultat est là, avec ses impasses et le désir toujours recherché d’un consensus fragile et de cette invitation à la danse trinitaire, thème central, insaisissable d’un Dieu qui se révèle à nous et se donne..





A vous lecteurs qui avaient dansé avec moi parfois sur quelques notes, voici maintenant proposé, gratuitement sur Kobo  (en PDF par MP) ou sous forme papier à prix coutant sur Amazon, une centaine de méditations nocturnes qui constituent, par petites touches, des pas de danse avec un Dieu trine.

28 février 2022

Le troisième pas - danse 2.38

Une fois pris dans le tourbillon de la danse, où s’arrêter ? La reprise, le jeudi saint du mime original du lavement des pieds n’a de sens que lorsqu’il prends chair dans un amour en « actes et en vérité ». C’est ce que Jean Zumstein (1) appelle sa deuxième interprétation du lavement des pieds, non plus seulement comme lieu de contemplation d’un Dieu à genoux, mais comme « exemple », exhortation à continuer à faire de même. 

Pour Pierre le premier sens du lavement des pieds est déjà difficile à accepter. Non pas toi Seigneur… Est-il capable de faire le troisième pas ?

Qu’est-ce que le troisième pas et pourquoi parler en effet d’un troisième pas de danse. Parce que pour moi, le premier agenouillement introduit la Croix, le vrai « agenouillement »mais si la Croix est signe élevé, lieu de salut et invitation, non à un sacrifice (unique) par essence, mais à la conversion/metanoia du cœur qui nous met au cœur du mouvement introduit cet axe même qui va du chapitre 13 de Jean (lavement des pieds) au chapitre 19 (croix). Tout dans cette « danse » est orienté pour nous préparer à agir.

Le lavement des pieds est, comme le souligne le Christ lui-même au verset 15, « un exemple [ὑπόδειγμα] pour que, comme moi j’ai fais à vous, vous aussi vous fassiez » (2) Jean 13, 15.

Tout est orienté vers notre agir, notre diaconie véritable.

Zumstein, à propos de ce verset et plus largement du geste de Jésus insiste sur le mot grec ὑπόδειγμα / exemple, là où Léon Dufour parlait de mime. De mon côté je maintiens le mot de danse, car depuis le geste du chapitre 13 au « tragique » de la Croix se révèle l’essence même du mouvement qui va de Dieu à l’homme, descente indicible, POUR que l’humain aille à l’humain… Non pas un agenouillement servil devant Dieu, mais un amour dans cette démesure que nous contemplions dimanche dernier.

Quel chemin que cette humilité de Dieu (kénose).

« Le don que le Christ fait de sa vie et qui porte l’amour à son achèvement est la condition de possibilité de l’amour des disciples. Parce que le Christ instaure l’amour comme une réalité dans le monde - plus précisément comme la réalité [ultime] (…) -, les disciples sont mis en condition d’aimer ».(3). Sont-ils pour autant capables de prendre ce  « toboggan » théologique qui part de la pédagogie divine à jusqu’à la révélation et n’a comme but unique que de nous projeter vers l’essentiel, le commandement unique d’aimer « d’agapè » [sans mesure] ? C’est en tout cas l’inaccessible projet de Dieu qui nécessite le torrent d’amour que décrit Jean au chapitre 19, ce jet d’eau et de sang jaillissant de la faille d’un cœur brisé et donné sans retour qui n’est autre pour lui que le don de l’Esprit.


Ce que les hommes n’avaient pas perçu, semble évidence pour les « amies de Béthanie », qui, dans leur complémentarité salutaire, font de Marthe et Marie les deux faces les plus visibles de la révélation en marche, nous glisse à sa manière Sylvaine dans ses « leçons de Béthanie  » (4) déjà évoquées… 


Pour nous, l’enjeu n’est pas de croire qu’il s’agit d’un acquis, d’une courbette éphémère. Cette danse vers l’homme est inaccessible pour nous sans la force de l’Esprit qui vient cueillir notre désir et nous fait franchir le ravin entre un « peut-être » et l’agir véritable.


Or, il n’est pas innocent de noter, que pour l’auteure, ce sont des femmes qui sont baignées les premières dans ce torrent d’amour et deviennent actrices du salut.


En paraphrasant l’hymne d’aujourd’hui ont peu s’agenouiller devant celles qui ont cru les premières :


Les voici rassemblées

Dans la maison du Père,

Les compagnons d'épreuve

Qui t'ont vu crucifié.

Tu ouvrais le passage,

Elles marchaient sur tes traces,

Ô Seigneur des Vivants.


Elles portaient dans leur cœur

Pour éclairer le monde

La mystérieuse image

De ta gloire humiliée.

Messagers d'espérance,

Elles semaient ta parole

Et c'est toi leur moisson.


Elles ont place au festin

Dans le Royaume en fête,

Pour avoir bu la coupe

De l'amour partagé.

Tu leur montres le Père

Et ta joie les habite,

Ô Jésus, Fils de Dieu !


Nous fêtons aujourd’hui la chaire de Pierre, mais sur quelle pierres vivantes est bâti ce trône ? N’oublions pas celles qui ont lavé leur tuniques dans le sang de l’agneau. Méprisées alors que leurs « voies royales » (5) [toutes leurs souffrances ou dévotion accumulées] les mettent devant ceux qui ont pris la première place en négligeant les toutes aimées de Dieu…

Hommage et humilité…


(1) Jean Zumstein, l’Evangile selon saint Jean (13-21), Labor et Fides, 2007

(2) Jean 13, 15, traduction littérale 

(3) Zumstein, ibid. p. 53

(4) Sylvaine Landrivon, les leçons de Béthanie, Cerf 2022. 

(5) cf. son livre éponyme

19 février 2022

Deux voies ? - danse 2.36

En poursuivant ma lecture (1) je repense à cette histoire découverte récemment de la personnalité particulière de sainte Jeanne Jugan, fondatrice des petites sœurs des pauvres au milieu du 19eme siècle, d’une étonnante clairvoyance pastorale et qui soudain, après quatre années d’intense activité, à été arbitrairement destituée de sa charge de supérieure. Le Père Le Pailleur a décidé en effet de nommer Marie Jamet, âgée de 23 ans, à la tête de la communauté naissante, dans le but de prendre lui-même le crédit et le pouvoir sur la fondation de cette fraternité.

« Devant l’injustice, Jeanne répond par le silence, la douceur et l’abandon. Par amour, elle avait donné son lit, son pain. Maintenant, le Seigneur lui demande de lui céder la responsabilité de ses Pauvres, ses « trésors » comme elle aimait les appeler.

Sans aucun changement extérieur, Jeanne continue à sillonner les sentiers de France pour nourrir les nombreux pauvres qui affluent dans les maisons. De nombreuses jeunes filles se mettent à sa suite, permettant ainsi d’ouvrir des maisons dans toute la France et de franchir la Manche dès 1851.

Au fil des années, l’ombre s’étend de plus en plus sur Jeanne. En 1852, à peine âgée de soixante ans, elle est rappelée à la maison de Rennes. Elle ne sortira plus en quête. Quatre ans plus tard, elle accompagne le noviciat à La Tour Saint Joseph, où elle vivra une longue retraite de vingt-sept ans.

A sa mort, le 29 août 1879, peu de Petites Sœurs savent qui elle est, même si l’influence de son énergie originelle auprès des jeunes est décisive. Par son exemple, Jeanne lègue en héritage à toute sa grande famille l’humilité, la petitesse, la douceur.

Quarante ans après l’accueil de la première personne âgée, les Petites Sœurs sont 2 400, disséminées »dans le monde au service des pauvres et des personnes âgées (2).

Ce n’est que bien plus tard que l’on découvre la supercherie. Le Pailleur l’a volontairement écartée pour prendre le pouvoir…

Jeanne Jugan ne fut vraiment reconnue comme sainte que sous Benoît XVI…

Quelle histoire !

De la même manière, pourquoi les premières femmes de l’Evangile ont elles disparues au profit d’une hiérarchie très masculine. Comment expliquer que les femmes agissantes, les Marthe, les Maries, les Junia et Lydie sont devenues des pierres oubliées dans la fondation de l’Église ? La question que soulève de manière lumineuse Sylvaine Landrivon (1) à partir de son analyse de Jean 11 mérite d’être posée car elle est finalement au cœur de ce qui se révèle actuellement comme la grande faille de notre Église. 

Alors que le grand vase d’argile, en dépit de ses enluminures et de ses dorures, se fissure, il est temps d’écouter celles que nous avons écartées pour reconstruire sur des bases plus collégiales. Est-ce l’enjeu du synode ?

Va t-on chercher ensemble une autre voie ? 


(1) Sylvaine Landrivon, les leçons de Béthanie, Cerf 2022. 

(2) biographie de Jeanne Jugan 

18 février 2022

La danse de l’agapè 2.35

Il y a une danse particulière qui m’habite, celle d’un Christ à genoux qui se fait petit et suppliant, comme en Jn 13 devant Pierre et Judas. Humilité fondamentale d’un Dieu qui appelle la seule réponse possible : non un agenouillement servil ou rituel mais une descente intérieure, une plongée dans la mer de Galilée où, comme Pierre, nu en Jean 21, et conscient de nos 7x77 reniements nous pouvons glisser d’une voix hésitante : tu sais bien que je t’aime, avec cette humble nuance du grec qui différencie notre réponse humaine (Philo te), seule réponse réaliste à « l’agapas me ? » divin. Jamais nous n’atteignerons l’amour du Christ mais c’est à cette danse kénotique que nous sommes conviés.

Relisons l’échange en grec : «ἀγαπᾷς με » Jean 21,15 ‭‭  Agapas me : M’aimes-tu d’agapè ? demande par deux fois Jésus à Pierre. 

M’aimes tu de cet agape dont parlera si bien Paul (et que nous avons contemplé récemment en 1 Co 13) ?

La question résonne encore sur nos routes. Elle ne fait que donner écho à « l’où es-tu ? » de Dieu a lancé au jardin en Gn 3. (1)


Nous sommes au cœur de cette danse trinitaire d’un Dieu qui s’efface devant le don du Fils et d’un Fils qui s’agenouille en attendant la seule réponse possible : m’aimes-tu ? Oui Seigneur tu sais bien que je [cherche] à t’aimer.  

Philo te... φιλῶ σε. 


Pierre n’aura finalement que cette humble réponse, encore marqué par son triple reniement. C’est probablement ce qui conduira Jésus à changer sa troisième question en « Phileis me ? » reprenant le même verbe que Pierre.


Ultime agenouillement d’un Christ qui vient de crier son « J’ai soif ( de ton amour) » en Jn 19. Un Christ dont le cœur transpercé nous donne la seule chose qui lui reste à donner, son sang mêlé d’eau qui est, pour Jean, Esprit de paix...


Entre la « philo » et cette « agapè » se dresse l’océan de nos fragilités...


Je reprend cette introduction tirée de mon dernier livre « danse avec ton Dieu » pour en venir à l’essentiel. Une des grandes révélations pour moi du nouveau livre de Sylvaine Landrivon (Les leçons de Béthanie) est ce même petit mot grec glissé au début du verset 5 de Jean 11. Ma lecture du grec reste balbutiante et je n’avait pas remarqué cet « agapè » que cite Jean 11,5 entre Jésus et ses amies de Béthanie : « Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. ». L’êgapa est à mettre en écho et en tension avec ce « philo te » cité plus haut de Pierre en Jean 21. Pierre ne l’atteint pas… 


Que Jean l’utilise ici, comme il l’utilisera pour évoquer le disciple « préféré » (Jn 13,23 ; 19, 26 ; 21, 7 & 20) est une interpellation. 

Cet amour là, cette danse particulière entre Jésus et ces deux femmes de Béthanie, qu’en avons nous fait ? Va-t-on continuer à l’effacer ? 

Il faut lire toutes les nuances qu’apporte l’auteure pour percevoir ce qui est pour moi soudain lumineux. Ephata… Avons nous été aveugles, sourds ou muets sur ce sujet  ? 

Avons nous ignoré une évidence ? Cette nécessaire complémentarité du vis à vis ?

J’ai déjà été long.

Mais j’y reviendrais 

A suivre.

17 février 2022

Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

 Reprise - Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

Peut-on véritablement comprendre le mystère de la Cène à laquelle nous sommes invités ? Probablement qu’à moitié. Ce qu’on perçoit à la fraction du pain, si l’on en croit Luc 24, ce n’est pas tant le prêtre qu’il soit blanc, noir, homme ou femme, mais la charité en actes de Celui qui disparaît alors, à Emmaüs en nous laissant trouver seul le chemin pour le suivre. L’essentiel est alors de se remettre en marche, car la fraction du pain n’est que le mime (1) d’un don qui va jusqu’au bout de l’amour et qu’il nous faut conjuguer à notre manière en fonction de nos dons, de nos « talents » à l’image de Celui qui disparaît tout en étant bien présent par les traces vives de la Parole et du Pain, manduqués à nouveau ensemble en souvenir douloureux et fécond de nos incapacités et de nos joies mêlées... et dans l’espérance de trouver un jour notre façon de rompre le pain dans une dynamique sacramentelle (2)  qui dépasse le rite, le mime (au sens donné par  X. Léon Dufour) pour devenir sacrement réel, signe efficace et fécond. L’essentiel est que notre façon d’agir reflète une pâle mais vraie image de Celui qui nous a invité à sa table. La fraction du pain est alors plus que le rite, elle devient Vie, Vérité, Amour partagé et donné, diaconie et communion. Tous les autres débats sur la présence ou non, la forme, l’orientation vers l’Est ou la tenue deviennent alors des frémissements futiles et ridicules... 


Il est temps qu’on retourne au centre au lieu de s’étriper sur la forme. Je n’ai jamais compris le sens des insistances sur la forme alors qu’on est invitée à une danse plus essentielle, à devenir ce que nous disons, à vivre ce que nous prêchons dans nos églises qui se vident non par la faute de l’un ou de l’autre, mais parce que nous oublions l’essentiel. Ce n’est pas nos débats sur la qualité du rite qui fera avancer ce à quoi nous invite le Christ, qui se moquait bien des lavements de mains rituelles, leur préférant une autre forme de diaconie à genoux devant l’homme (cf. Jn 13). 

Arrêtons de réguler ou d’exclure certains du partage de la Table par ce qu’ils seraient moins dignes, moins purs... que celui qui n’a pas péché jette la première pierre (cf. Jn 8 )...

Discours moralisateurs et stériles que celui qui veut fermer la porte de l’Église à certains. L’essentiel est ailleurs comme nous le rappelle François (3).

Je ne cesse de contempler cette hymne de la Fédération dont j’ai été longtemps le porte parole pour la France : «  je voudrais qu’en vous voyant vivre les gens puissent se dire : voyez comme ils s’aiment ».(4)

L’essentiel est là. C’est l’appel de Mat 25.(5).

—-

Ajout au texte original 

Je rêve en parcourant le livre de Sylvaine déjà évoqué en 2.33 à une refonte de nos liturgies, à une 5eme prière eucharistique qui ne soit plus cette fois prononcée par le prêtre seul mais donne véritablement écho à ce chœur des chercheurs de Dieu que nous sommes. Une sorte de symphonie polyédrique à plusieurs voix qui se tait soudain devant le pain et le vin, car qui peut véritablement prononcer les paroles du Christ si ce n’est le bruit d’un fin silence, le souffle ténu venu d’ailleurs ?

Alors notre communion sera pleine et entière. 

Le sera-t-elle d’ailleurs ? Probablement pas tant que le fruit reçu ne soit devenu agapè, don véritable, vécu et partagé, agenouillement non plus devant un Dieu distant mais devant les souffrants d’aujourd’hui en qui se révèle la Présence du Grand absent qui est bien là car il les porte dans ses bras…


(1) cf. Xavier Léon Dufour dans son commentaire de Jean tome 2

(2) C’est en tout cas ce que je cherche à décrire dans mon livre éponyme téléchargeable gratuitement sur Kobo

(3) cf. son entretien avec Spadaro : «  ne soyons pas ceux qui se tiennent à la porte pour empêcher d’entrer ».

(4) hymne de la fédération internationale des CPM - FICPM


(*) Je retombe sur ce texte écrit il y a 14 mois et qui n’a pas pris beaucoup de ride… dont le titre a inspiré le titre de mon dernier livre… et qu’on retrouve p. 112  voir ici https://www.amazon.fr/Danse-avec-ton-Dieu-campagne-ebook/dp/B09PQ9FJRR/

15 février 2022

Agenouillement et danse 2-33

Erreur de casting ? Est-ce que l’humanité aurait été sauvée de bien des erreurs si Jean avait précisé que Jésus avait lavé aussi les pieds des femmes au Cénacle, signalant ainsi l’importance de leurs rôles dans la fondation de l’Église ? Dans le contexte juif de l’époque et pendant des millénaires, cela aurait été une bombe !

Il faut lire mon livre sur Jean(1) pour percevoir que l’agenouillement de Jésus devant la femme adultère est un pas d’une danse qui a commencé à Cana et se termine au Golgotha avec la Magdaléenne. Il faut surtout lire les « Leçons de Béthanie » (2) dont je poursuis doucement la lecture, pour compléter cette impression de danse de Jésus avec les femmes de Sion qui, d’une certaine façon, n’ont rien à envier aux hommes dans leur clairvoyance théologique.

Peut-être en tout cas n’avait elle pas besoin de voir Jésus à genoux pour percevoir que la diaconie primait sur le pouvoir… et que le rite est stérile face à l’amour en actes et en vérité…

Marthe ou Marie nous précèdent-elles en Galilée ?

Si les « Marie » de Luc et de Jean, si toutes les femmes évoquées par Marc vont si loin(3), y compris jusqu’à la Croix, c’est qu’elles portent peut-être en elles ce que beaucoup d’hommes n’ont reçu souvent que par grâce (4) : le goût ou l’appel de l’indicible. 

Marie a été « visitée » par l’Esprit et a porté l’indicible bien avant la Pentecôte. Les amies de Béthanie vont bien plus loin que les apôtres dans la pré-compréhension du mystère de la Croix que Pierre, en dépit de l’épisode de la Transfiguration…

La foi des disciples est finalement bien plus fragile. Marc et Matthieu ne les évoquent pas au Golgotha. Ils ont fuit et ne vont pas jusqu’à accompagner celui qui était pourtant leur ami. 

Certes Luc 23, 49 parle des amis à distance, mais probablement pour citer le Ps 38, 12…  

Du coup se pose la question : Jean était il vraiment aux pieds de la croix ? Ou est-ce une revendication tardive ? Une image symbolique instillée par une communauté en lutte avec celle de Pierre. 

Je découvre p.41 que Sylvaine (5) se pose la même question.

L’enjeu n’est pas de dire ici qu’il y a une supériorité de la femme sur l’homme, mais de découvrir enfin que l’Eglise est danse polyédrique, symphonie où chacun à sa place, son rôle, ses talents à porter, pour faire Corps, pour faire grandir cette Église en chemin qui reste à construire, dans le souffle de l’Esprit et la grâce des dons reçus. 

A suivre…


(1) A genoux devant l’homme

(2) Sylvaine Landrivon, Les leçons de Béthanie, De la théorie à la pratique, parution le 17/2 au Cerf, p.30 sq

(3) voir danse 2.32

(4) voir danse 2.34

(5) Les leçons, ibid.

14 février 2022

Liberté et danse, 2-32

Clin Dieu ? La juxtaposition liturgique entre les textes de mardi et mercredi mérite un commentaire. Au delà de certaines interprétations que l’on peut trouver abusives et très freudiennes du texte, la tension théologique mise en scène par Marc 5 interpelle entre deux excès : celle de la loi qui enfermerait la fille de Jaïre dans des préceptes stériles de pharisiens pointilleux et celle qui met au banc une femme parce qu’elle a des pertes de sang. 

Dans les deux cas, la venue du Christ libère et le « lève toi et marche », comme le « va en paix » résonne loin de cette emprise tragique sur le destin féminin.

Il fait renaître en moi cette invitation à la danse de Dieu vers l’humanité au sens large, au delà de toute tradition enfermante et jugeante.

Agenouillement du Christ devant cette condition féminine enfermée par la toute puissance virile des hommes depuis des millénaires ? Il faut voir les « hirondelles de Kaboul » ou passer de la « purification de la vierge » que nous fêtions d’antan à la contemplation de son mystère intérieur pour sentir l’importance et l’enjeu des  «  leçons de Béthanie » que nous ouvre Sylvaine Landrivon (1) comme un dernier cri face à la honte….

« Un nouveau regard s’impose »(2)

Hâte de danser avec ce livre reçu hier…


(1) Sylvaine Landrivon, Les leçons de Béthanie, De la théorie à la pratique, parution le 17/2 au Cerf…

(2) ibid. p.10


07 février 2022

Cana ou l’impossible danse ? 2-30

Arrivera-t-on à construire une véritable kononia (1), cette communauté visée par Paul, décrite par Luc et rêvée par Jean ou Ignace d’Antioche. Est-ce un rêve téléologique ? Ce que nous disent les 2 premières lectures d’aujourd’hui (Isaïe 62 ou 1 Co 12)à  la lumière de 1Co 10 et 11 donne à penser. Cela demande peut-être un effacement de nos volontés de puissance, de valoir, pour privilégier cette quête de l’unité qui n’est pas fusion ou uniformité de pensée, mais écoute, respect, attention, agenouillement peut-être devant les germes du Verbe et de l’Esprit (2) présents et brûlant comme des flammes fragiles en tout homme. Peut-être est-ce là la véritable théologie pratique et pastorale que certains s’efforcent à définir(3). En lisant ce matin Ignace d’Antioche, je me suis pris à rêver en l’écoutant parler : « dans la concorde de vos sentiments et l'harmonie de votre charité, vous chantez Jésus Christ. Chacun de vous, devenez un chœur de chant, afin que, dans l'harmonie de votre concorde, adoptant la mélodie de Dieu dans l'unité, vous chantiez pour le Père, d'une seule voix, par Jésus Christ. Alors le Père vous écoutera et reconnaîtra en vous, grâce à vos bonnes actions, les membres de son Fils. Il est donc utile pour vous que vous soyez dans une irréprochable unité, pour être toujours participants de Dieu. » (4) Est-ce accessible ? Est-ce que François appelle le polyèdre(5). Cette semaine il recevait une délégation des mouvements d’action catholique en France. Il est touchant d’entendre leurs témoignages (6).


Il y a là aussi une invitation à la danse, à cette vision symphonie du mot basar (chair en hébreu) que je commentais hier soir à un jeune couple en chemin vers le mariage(7). Non pas fusion mais symphonie féconde de nos différences où chacun apporte sa pierre à la (re)construction d’une Église vivante, de cet impossible Corps du Christ auquel nous souhaitons communier en s’avançant chaque dimanche et prononçant le « je ne suis pas digne » qui fond nos aspérités pour faire de nous des porteurs de Dieu fragiles… temples de Dieu ? 


Comme je le glissais à propos de Cana en 2.28, nous avons tous à remplir nos jarres pour faire de notre Église un chemin vers la danse à laquelle le Christ nous a précédés. C’est probablement ce troisième jour/temps que Jean cherche à dévoiler en racontant la participation du Christ à Cana. Quand l’heure viendra mon Corps pour faire de l’Église un corps… aujourd’hui ou pour le Royaume ?


(1) cf. 1 Cor 10 et 11 et mes balises http://chemin.blogspot.com/search/label/Koinonia 

(2) Hans Urs von Balthasar,  Théologique III, L’•Esprit de Vérité, p.15 voir aussi une discussion sur thème in https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4921219631285815/ ainsi que mes balises « semence » dont http://chemin.blogspot.com/search/label/Semence

(3) voir notamment mon essai « Pastorale du Seuil » http://chemin.blogspot.com/2014/09/50-ans-decriture.html

(4) Ignace d’Antioche, lettre aux Éphésiens

(5) voir aussi mes balises : http://chemin.blogspot.com/search/label/Poly%C3%A8dre

(6) https://youtu.be/MtE0vVL2c-U

(7) cf. mes développements dans Aimer pour la vie - voir le lien en note 3.


PS : je continue sur la lancée de mon livre « Danse avec ton Dieu » en ajoutant peut-être ce point d’interrogation qui aurait pu/du figurer à la fin du titre… 😉

PS2 : voir dans mes commentaires ceux apportés par J. Fournier et MN Thabut dans le même sens.

04 février 2022

La danse du Verbe 2.28 [v2]

Il faut souvent reculer d’un pas pour comprendre les enchaînements et les effacements silencieux de l’Ecriture qui réveillent en nous des correspondances subtiles entre les événements de la vie du Christ et leurs interprétations par les évangélistes. 

Comment l’insaisissable (1) se laisse-t-il trouver ?

Nous contemplions dimanche dernier chez l’un des synoptiques, l’agenouillement du Verbe de Dieu dans l’eau du Jourdain et cette invitation à la danse humble et particulière de celui qui vient rejoindre et « épouser » notre humanité. Voici qu’il nous faut maintenant contempler les eaux usées de notre baptême et remplir à nouveaux de lourdes jarres de pierre (Jn 2) pour entrer dans l’espérance que le Verbe transforme cela en vin nouveau ou dans cette eau vive et légère que Jésus évoquera à la Samaritaine (Jn 4) à l’ombre d’un puis mythique où les patriarches rencontraient leurs épouses.

Danse subtile du Verbe qui cherche à nous rejoindre dans ce qu’il y a de plus intime et de plus fragile en nous.

Invitation toute intérieure, dans le silence de nos nuits, à poursuivre vers l’essentiel, à faire de notre agir une danse amoureuse…

Chemin d’humilité, cet inaccessible que nous tentons d’atteindre, et que Dieu seul peut transformer (transsubstantier ?).


J’ai clôturé temporairement mon livre « Danse avec ton Dieu », (2) mais comme souvent, j’en sens déjà ses limites, car l’écriture comme la tradition ne peut être statique et figée. Elle n’est, comme le dit, Paul que balayure par rapport à notre course infinie pour tâcher de la saisir et d’être saisi par lui…(Ph 3)


(1) merci à Geneviève de nous avoir rediriger vers cet entretien sublime de Maurice Bellet qui en parle si bien https://youtu.be/imRjTSNT4iY


(2) voir la version gratuite sur Kobo ou Fnac.com ou la version papier à prix coûtant ici : https://www.amazon.fr/dp/B09PQ9FJRR

09 janvier 2022

La danse de l’eau - 2.27

En Jn 3 on voit Jésus baptiser à côté de Jean.
Pourquoi cette concomitance si ce n’est qu’il y a un déplacement à faire ? Il y a un rapport insaisissable entre l’eau et le Corps à contempler. Depuis le jour où le Verbe a séparé les eaux, jusqu’au jour où elle a jailli du rocher le mystère est resté bien opaque à l’homme. 
On peut suivre le chemin de l’eau chez Jean d’un chapitre à l’autre. La voir transformée en vin, sentir la soif du Fils de l’homme qui, pourtant, promet l’eau vive à la femme étrangère, la contempler bouillonnante près de Siloē avant de se laisser laver les pieds, à côté de disciples inquiets. 
Ce n’est qu’au bout du chemin, après un « j’ai soif » qui révèle tout l’amour de Dieu pour l’homme, que, soudain, dans une nuit mystérieuse, jaillira les premiers filets d’un fleuve immense qui va ruisseler sur l’humanité. C’est quand elle jaillit d’un cœur transpercé, que cette eau révèle son cours mystérieux et la danse sublime d’un Dieu qui vient rejoindre notre humanité en s’y trempant totalement, en jouant avec l’onde, comme avec la mort, en commandant son apaisement ou la foulant de son pied nu.
Il aurait pu marcher dessus, mais a plongé pour nous, avec nous, dans l’humilité particulière (kénose) où l’homme-Dieu « trempe tout son pain/Corps » avec/pour nous. 
Le baptême de Jésus, nous disent les synoptiques, est la première théophanie. Elle en reprend les codes de l’Ancien Testament, mais ouvre déjà une porte vers l’essentiel.
Il vient se plonger jusqu’au bout et tout entier, dans l’eau de nos vies, jusqu’à en perdre souffle, jusqu’à en mourir pour nous…
Est-ce pour cela qu’a jailli le cri de Dieu : Oui, vraiment « tu ES mon Fils bien aimé, en toi je trouve ma joie » ?
C’est dans cette danse inquiète que Dieu nous invite, c’est là que se dévoile le mystère sacré du baptême. C’est à cela que Dieu veut participer et nous inviter...
Inter ou circumincession ?
Déplacement ?
Nos jarres sont à remplir d’une eau tarie et transformée pour que dans sa danse discrète Dieu se dévoile un vin nouveau, après la plongée finale sur le bois…
L’onde est chemin… 



L’eau est danse.

06 janvier 2022

Un petit pas de danse 2.26

Καὶ εὐθὺς -> Aussitôt, v’la t’y pas… Marc 6,45

Juste après avoir été nourris, v’la t’y pas qu’il nous faut grimper dans la barque…

Cette liaison de Marc est à contempler à l’horizon de nos vies… de ses tempêtes et de ses grâces, de ses douleurs et de la foi…

N’ayez pas peur…

Je suis avec vous…

Dans nos vies marquées par la crainte, par la tempête et la mort, la liturgie d’hier (multiplication des pains) et d’aujourd’hui, lecture cursive de Marc 6 nous emmène sur cette barque fragile, symbole puissant et bien secoué de notre Église.



N’ayez crainte, je suis avec vous…

Il est là, le Dieu d’amour, celui qui nous cherche depuis l’où es tu de Gn 3 et à qui nous posons pourtant sans cesse la même question… où es-tu ? Mon Dieu…

« Confiance ! c’est moi ; n’ayez pas peur ! »

Il monta ensuite avec eux dans la barque et le vent tomba…

Tu étais là et je ne le savais pas..

03 décembre 2021

Danse joyeuse

 Projet d’homélie du 2eme dimanche de l’avent

Le Seigneur vient, il approche…

Sommes nous prêts, comme le suggère Baruc et le psaume à qui quitter notre « robe de tristesse » et entrer dans une joie profonde ?

Avons nous creuser dans l’ombre de nos vallées un chemin pour la joie.


Je me rappelle que petit enfant j’avais découvert qu’il pouvait y avoir une différence entre les « petits bonheurs » et la joie. Cette différence n’est pas une question de mots mais de point de vue.


Ce que j’appelle les « petits bonheurs » viennent est comparable à ces bougies fragiles qui s’éteignent au moindre coup de vent. Petits cadeaux, éclats d’un sourire, etc.


La joie est autre chose, plus intérieure, plus profonde, elle prend racine dans la foi, la charité véritable et l’espérance.


Il y’a 3 semaines et la semaine dernière j’évoquais l’espérance qui nous fait sortir du noir. La joie c’est d’apercevoir la lumière, être sur qu’elle est là, tressaillir intérieurement de cette présence comme cet enfant au sein d’Elisabeth, lui faire de la place, l’entretenir.

Jeudi nous avions ce beau texte sur la Maison fondée sur le roc. Laissons la joie mettre en nous des racines profondes car c’est notre façon de partager ce don de Dieu qui habitera notre agir, fera de nous des signes que Dieu est là, qu’il vient…


Sortirons nous de l’Église habités par la joie, sautant de cette joie de porter en nous le Christ sauveur. Est-ce que notre joie est un feu. ?


C’est peut-être ça se préparer à Noël, au Dieu qui viens nous habiter…


Paul ne dit pas autre chose :  à tout moment, chaque fois que je prie pour vous tous, c’est avec joie que je le fais, à cause de votre communion avec moi (...) J’en suis persuadé, celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus.


Alors aplanissons ces vallées qui cachent en nous la joie, mettons ensemble nos bougies fragiles pour allumer un grand feu…