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14 juin 2022

Danse eucharistique 2.66 bis

 Mon dernier billet à remis à nouveau en question cette phrase imprononçable du nouveau missel : « Que votre sacrifice soit aussi le nôtre ».

Il va nous falloir encore du temps pour en faire ce qu’on appelle une saine « réception », comme ce concile qui tarde à être reçu dans notre Église.


Pourquoi ?

Probablement parce que le sacré conserve son côté magique et que l’on ne cesse de sacraliser ceux qui sont ordonnés pour « exécuter » le rituel sans percevoir que la dynamique sacramentelle (1) est bien plus vaste que le sacrement que l’on a cristallisé dans un rite et une tradition.


Les travaux de C. Theobald (2) et notamment son petit schéma que je reproduis ici mérite d’être commenté. Le sacrement ne se limite pas au rite. Ce dernier n’est que la face visible d’une transformation intérieure qui fait de l’union des hommes et de Dieu ce que j’appelle une danse. « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. »




La flûte n’est que le premier pas de l’agir et comme le montre le schéma le sacrement signifie ce que l’agir « transpire »…


Comme le disait l’hymne de la FICPM, «  je voudrais qu’en vous voyant vivre, les gens puisse dire, voyez comme ils s’aiment »…


L’échange ancien entre l’assemblée et le prêtre signifiait finalement mieux que la nouvelle phrase qui nous accroche autant. Il signifiait en substance : puis je célébrer au nom de tous ? Oui disait en coeur l’assemblée. Venait le « vraiment il est juste et bon… »


Ce qui compte est peut-être de percevoir que l’essentiel est dans le lien. C’est parce qu’il est LIEN que le célébrant à sa place. C’est en insistant sur le lien qui se démarque de la notion de pouvoir que le prêtre devient signe. Il ne peut d’ailleurs célébrer seul dit le droit canonique (canon 906). Il est le garant fragile du lien. C’est peut-être cela que la phrase veut dire et qu’on ferait mieux de prononcer avec d’autres mots du style : « que votre action de grâce devienne celle de notre assemblée toute entière, que vos paroles expriment notre unité, que vos gestes signifient ce que notre vie veut devenir, des artisans du Royaume, des pierres vivantes de l’Église… »

Ce serait bien plus parlant que d’évoquer le « sacrifice ».


François Varillon le suggérait en disant que Dieu vient diviniser ce que nous voulons humaniser (3)


Le sacrement de mariage, par exemple, n’est pas contenu dans une belle célébration, il est le commencement d’une dynamique qui fait de l’amour d’un homme et d’une femme la danse subtile et fragile d’une symphonie qui s’étend sur toute une vie. L’eucharistie n’est pas une heure dominicale, c’est la source d’un fleuve immense qui fait de nos communautés un arbre aux fruits fragiles et délicats, dont la source est en Dieu et les fruits le signe d’une unité théologale, c’est à dire, don de Dieu. 


Benoît XVI avait cette phrase qui m’a toujours marqué : « Dans la réalisation concrète du service ecclésial, [le prêtre doit] se livrer totalement à l'inclusion dans le Christ; non pas construire un être à côté de lui, mais seulement en lui ; et permettre ainsi que devienne enfin réalité cette exclusivité qui ne détruit pas, mais libère toute chose en la faisant entrer dans sa propre immensité »(*). Alors peu importe sa nature. « Cela donne aux paroles d'un prédicateur, fût-il minable, le poids des siècles » et cela inclut la liturgie, « si démunie soit-elle » dans une dynamique qui la dépasse. « En acceptant de devenir sans importance en lui-même, il pourra « devenir vraiment important parce qu'il sera pour le Seigneur un lieu d'irruption dans ce monde »(**).


En agissant in Persona Christi, en lui se substitue Celui pour qui il vit. La dynamique sacramentelle devient alors signe à travers son effacement au-delà du signe. Il se fait « creuset » où le fleuve du Verbe prend son lit, pour arroser le monde, depuis le coeur blessé du Christ jusqu'aux confins de l'humanité.


Que peut faire le laïc devant tout cela ? Probablement

à la fois s’agenouiller lui aussi, car Dieu se révèle là, mais également - et c’est là que cela devient intéressant - rester debout, car ce qui se joue ici, c’est son accession à la résurrection à venir. C’est pourquoi, en principe, le « dimanche, au nom de la puissance salvatrice de la mort et de la résurrection il est en droit de rester debout, car l’agenouillement du Christ l’a relevé et le conduit à la victoire. »(4)


Plus encore, en participant au mystère, il devient progressivement Co-acteur de ce qui ce célèbre jusqu’à devenir porte-Christ, comme le suggère la catéchèse des premiers chrétiens dans la ligne de ce que nous affirmons des nouveaux baptisés : serviteurs et prophètes au service du Royaume. 


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) Christoph Theobald, in Lire les Evangiles et l'Apocalypse en Algérie et ailleurs, Ed. de l'Atelier, 2011

(3) François Varillon, joie de croire, joie de vivre

(4) Extrait de mon « Danse avec ton Dieu »

(*) J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui, 1982, p. 315. 

(**) ibid. p. 318

20 avril 2022

Sur les chemins d’Emmaüs

Nous sommes invités à le toucher, à le rencontrer, à le manger, à nous nourrir de lui et à entrer dans son mouvement pascal d’effacement rappellait C.Théobald, et pourtant, au moment même où l’on croit le saisir, nous savons qu’il s’effacera, comme il nous invite aussi à le faire. Car, quand bien même nous aurons cru le saisir, il disparaîtra dans un « ne me touche pas » (Jn 20, 17), paradoxe d’un Dieu qui cherche à nous maintenir dans une course infinie, pour que, loin de planter, comme Pierre, une tente sur le mont Thabor, nous restions des coureurs, cherchant sans fin « à le saisir » (cf. Ph. 3) et surtout à en vivre, dans un amour contemplé, reçu puis partagé. 

Le Verbe n’a plus de mots, mais qu’un geste, signe de sa mort, où le Christ se révèle par le don de son corps et disparaît dans le silence pour nous laisser creuser en nous son absence et reprendre son chemin. 

Il nous invite dans le monde, en Galilée….

Extrait de mon « Dieu depouillé »

15 octobre 2021

Danse en Eglise - 9

J’aimerais revenir sur la dernière publication de François Cassingena-Trévedy qui ne mâche pas ses mots sans lâcher l’essentiel : cet attachement à l’Église qui nous prend aux tripes en dépit des déceptions et des faillites.

Je vous invite à méditer son denier cri(1).


Oui, notre Église devenue soudain si laide reste à reconstruire, même s’il faut pour cela déboulonner ses lourdeurs et ses impasses, pour assembler à mains nues, avec des pierres vivantes, burinées à l’envie, usées et meurtries, une chapelle ardente plus fragile, mais qui reflète enfin le projet d’un Christ nu, un « Dieu dépouillé »(2)


Nous sommes nous laissés emporter par le succès d’une Église socialement acceptable au point d’oublier l’essentiel ?


Si la lumière de ses ors s’éteint, si ses dogmes s’effritent, si ses monseigneurs en perdent leur titres, notre Église brillera d’un feu plus intérieur mais non moins lumineux. Ce sera une autre lueur, plus fragile, qui n’est autre que la petite espérance du royaume promise et pour autant toujours inaccessible. 


Il y a qui 15 ans j’écrivais « cette Église que je cherche à aimer » (3) paraphasant le titre de Vidal. Elle m’énervait cette Église enfermée dans ses impasses et laissant déjà transparaître ces drames qui éclatent au grand jour aujourd’hui. Et pourtant je l’ai rejoint, car au delà de ses lourdeurs, elle est aussi habitée par des prophètes, souvent maltraités et vilipendés comme ce Congar qui s’est battu pour lui redonner sens. 

Je crois que ce sont ses mémoires du concile, Moingt et Theobald et d’autres prophètes souvent méprisés qui m’ont fait basculer… 

L’Église que j’aime porte l’espérance d’un peuple fragile qu’on ne peut laisser sans lien avec L’unique, le Berger, la Porte.

L’Église reste l’appel et le don d’un Dieu qui s’efface en nous laissant, derrière le voile déchiré du temple(4), un Verbe à déchiffrer ensemble, sans jamais pouvoir prétendre le saisir vraiment…


Pas seul, mais au moins deux ou trois, en Son nom. Il faut voir l’intérêt surprenant à mes yeux de la Maison d’Évangile - La Parole Partagée, créée non sans hésitation, et qui n’a jamais eu autant d’inscriptions que depuis qu’a éclaté le scandale. Qu’est ce qui attire sinon ce partage à la table du Verbe ? 


Refuge, l’Église l’est et demeurera, avant d’être institution, l’espoir d’une Kononia, au sens paulinien, d’une famille humaine qui trouve en son sein le repos annoncé. Prions pour qu’elle écoute ces 45 recommandations du rapport Sauvé, qu’elles soient lues, entendues, et qu’elle avance et redevienne le Corps de celui qui nous précède en Galilée. 


L’Église ne peut plus être comme avant. Elle a besoin comme je l’écrivais samedi d’un chemin au désert(5), mais je crois  qu’en son sein réside l’eklesia originelle, le souffle qui nous échappe dès que nous voulons le dogmatiser ou l’imposer 🙂 


l’Église n’est pas d’abord une institution mais l’espoir réuni d’un peuple qui espère toujours et attend de redécouvrir que nous ne pouvons avancer seul. 


Quand elle aura finie d’être pouvoir et orgueil elle pourra enfin s’agenouiller devant l’homme (6).


Ma plus belle expérience pastorale a été St Séverin, il y a 20 ans, quand après 5 rencontres collective type CPM un jeune homme s’est levé regardant les autres couples (et non moi et ma femme) et a déclaré : « j’ai compris, l’Église c’est nous ! »


C’est cette Koinonia qui me fait vivre.


(1) voir sur sa page

(2) gratuit sur le site de la Fnac https://www.fnac.com/ia9587875/Claude-J-Heriard

(3) voir sous le même lien

(4) voir aussi « Le rideau déchiré »

(5 et 6) voir mes livres éponymes

02 octobre 2021

Présence et danse - 6

Dieu s’invite-t-il à notre table ? 

Je complète ici une réflexion sur Réflexion théologique car elle mérite d’être poursuivie. 

Nous attachons, non sans raison, une importance particulière aux sacrements, qui ont une place privilégiée dans l’Eglise, en faisant passer le jeune baptisé par des étapes d’initiation qui le rende de passif à acteur et « passeur » (1) confirmé. 

Il faut pour moi néanmoins distinguer la construction rituelle, théologique et sacramentelle de l’Église qui garantit conceptuellement une Présence réelle en dépit de la nature du célébrant (ie qu’il soit un  prêtre imbecile ou pas - comme le précise Ratzinger dans un de ses livres) (2) d’un acte non sacramentel mais chargé de sens, qui ne garantit rien, mais reste ouvert à cette insaisissable grâce de la présence. 

À partir de cette distinction se pose deux questions : 


1) est-ce que l’eucharistie valablement célébrée pour un catholique va se traduire par une conversion intérieure et réaliste du récipiendaire (c’est-à-dire la présence réelle au. Récipiendaires, quelque qu’il soit,  bourreau argentin ou nazi qui communie. Sera t il habité/touché et converti par l’amour qui vient le visiter ?)


2) est-ce qu’une célébration non catholique, qu’elle soit une cène protestante, une « ecclesiola domestique » (3) ou une messe sur le toit du monde à la Teilhard, est une récupération et un détournement du sens profond visé par le Christ en instituant le « faire mémoire » ? 


Entre ces deux visions volontairement poussées à l’extrême, le Christ qui est don, trouve probablement sa place, insaisissable, qui relève de l’inhabitation toute intérieure (4) chez l’homme d’un Dieu qui veut danser avec tout homme et y faire sa demeure, comme chez un Zachée pour le rendre aimant… Zachée n’était ni baptisé ni confirmé 😉 et pourtant le Christ est venu chez lui, tout voleur qu’il était, et a transformé sa vie..


« À toute chair, il donne le pain,

éternel est son amour ! » (Ps 135, 25)


Lévinas disait, dans « Difficile liberté », que le monde serait lumineux quand les chrétiens arrêteront de croire qu’ils détiennent seuls la lumière (5). 

Ce qui va s’annoncer le 5/10 va faire s’effondrer nos temples… 


Nos constructions humaines sont bien fragiles et il va nous falloir prouver plus que jamais que nous sommes les pierres vivantes d’une Église universelle et en même temps que nous croyons qu’hors de l’Église le salut peut trouver sa place, fragile, dans ce que Justin appelait les « semences du Verbe ». Une expression probablement reprise par Congar dans Gaudium et Spes et que Hans Urs von Balthasar complète utilement en parlant des semences de l’Esprit.(6)


Nos rites sont limités.

Nos hiérarchies sont fragiles.

Nos sacrements, disait Moingt, réduise la dynamique réelle du christianisme. Il insistait même pour souligner que le lavement des pieds « en actes » (7) dépassent les 7 sacrements car il est le cœur de la diaconie de l’Église. L’Église est amour ou n’est pas (8)

À la suite de Theobald, j’ai longuement montré dans « Dynamique sacramentelle » (9) qu’il est urgent de dépasser cette cristallisation rituelle pour ouvrir et rejoindre le monde dans ce qui fait de lui le signe d’une présence.

Le couple modèle de l’alliance que nous célébrons dimanche est un chemin, soutenu par le cadre fécond du Sacrement de mariage, mais un couple de remariés, des célibataires peuvent être parfois un signe plus lumineux que l’Amour est grand et dépasse les frontières de nos églises (10).


(1) allusion au livre de Ph. Bacq & Chr. Theobald (dir.), Une nouvelle chance pour l'Évangile. Vers une pastorale d'engendrement (coll. Théologies pratiques). 2004 et Passeurs d’engendrement, de 2008.

(2) Les principes de la théologie catholique

(3) je fais allusion à une célébration familiale évoquée par Bruno Amel sur RT

(4) voir sur ce point la thèse de Rahner dans le TFT

(5) je cite de mémoire 

(6) dans la fin de sa trilogie 

(7) c’est-à-dire pas le mime du jeudi saint mais la diaconie d’un agenouillement devant l’homme (cf. mon livre éponyme). 

(8) cf, cette Église que je cherche à aimer

(9) téléchargement libre sur Fnac.com

(10) voir aussi, au même endroit mon roman « Le désir brisé » 

Voir aussi, sur ce même thème : Tressaillement et danse https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4710458732361907/

05 mars 2021

Danse avec Michel Rondet - 38

 Danse avec Michel Rondet -38

Pour continuer dans l’hommage à la spiritualité de Michel Rondet, et en écho à une longue discussion que j’ai eu avec lui à la Baume les Aix il y a plus de 20 ans, je dirais que son souci de l’accompagnement inductif est, d’une certaine manière en phase avec la pastorale d’engendrement longtemps développée par P. Bacq et C. Theobald(1).

Il s’agit d’abandonner un enseignement de certitudes figées pour partir de cette inhabitation en l’homme qui l’appelle et le pousse à aimer.

Un chemin en fait très rahnérien et probablement aussi très ignacien, qui cherche à pousser l’homme au discernement intérieur et le conduit sur ses chemins sans forcer un discours.

Agenouillement devant l’homme(2), pédagogie du polyèdre(3), pastorale du seuil (4) et de la périphérie...?

L’enjeu est finalement d’oublier nos catéchismes trop scolaires pour retrouver l’homme dans son éternelle quête du divin.

N’est-ce pas finalement le chemin kénotique du Christ à Emmaüs, qui rejoint l’homme perdu sur les routes de Palestine, donne un sens à leurs quêtes et disparaît dans la fraction du pain, de peur d’imposer une présence qui est déjà semence en l’homme.

Nos quêtes se rejoignent quand la danse du Verbe vient réveiller chez nous une flamme vacillante, fait vibrer nos cordes intérieures à la musique divine.

C’est ce que j’appelle la danse trinitaire (5).


Ramener au centre(6) n’est-ce pas, comme le souligne aussi Kasper, en venir à résumer le problème en « Jésus-Christ oui, l'Église non ! Ce qui les intéresse, ce n'est pas le Christ que prêchent les Églises ; ce qui les rend attentifs, c'est Jésus lui-même et son affaire[7].» La réponse que l'on tend à donner, selon lui, c'est de montrer que le christianisme est devenu objectif dans l'Église. Mais alors, souligne-t-il, Jésus Christ risque d'être accaparé par l'Église et l'Église risque de prendre la place de Jésus[8] ». 

« La "pastorale d'engendrement" [qui] puise son inspiration dans une certaine manière de se référer aux récits fondateurs ne prétend pas se substituer aux autres modèles pastoraux (…). Elle renvoie à l'expérience humaine (…), évoque tout d'abord les paroles et les gestes de l'homme et de la femme qui s'aiment et qui s'unissent pour donner la vie. En s'offrant ainsi l'un à l'autre (…), ils s'engendrent mutuellement et donnent la vie à un nouvel être qui, à son tour, les engendre à devenir parents[9] ».

Il s'agit de transmettre une manière d'être, faite d'accueil et de don, mais surtout redonner une certaine « fécondité à l'Évangile », susciter une « contagion relationnelle » autour de la Parole de Dieu, vecteur de relecture et d'interpellation personnelle et communautaire. »(10).

On n’est pas éloigné de ce que prêchait aussi Joseph Moingt dans « l’Evangile sauvera l’Église » et finalement de ce que j’ai lancé sur la pointe des pieds dans mon projet de Maison d’Evangile sur FB (11). Un lieu où la Parole danse avec nous.



(1) « Une nouvelle chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, sous la direction de Philippe Bacq, sj et Christoph Théobald, sj, Lumen Vitae, Novalis, Éditions de l'Atelier, Bruxelles 2004 »

(2) (4) et (5) cf. mes livres éponymes librement téléchargeables sur Kobo

(3) pour reprendre l’expression fréquente de notre pape.

(6) pour paraphraser le titre d’un beau livre d’Hans Urs von Balthasar

(7) « W. Kasper, Jesu der Christus [Jésus le Christ], Matthaus Grünewald Verlag Mayence 1974, Tr. fr. J. Désigaux et . Lefooghe 4° Edition, Cogitatio Fidéi, Oct 1991, p. 33

[8]     ibid. p. 34

[9]   Une nouvelle chance pour l’Evangile, op. cit. p. 16-17

(10) Extrait de Pastorale du seuil, Claude J. Heriard, op. cit.

(11) https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/

17 novembre 2020

Écriture et infini - 6.4

Un bel entretien du rabbin et philosophe Marc-Alain Ouaknin dans le Panorama de novembre 2020 donne à penser. On aimerait pouvoir tout citer. Je vous livre quelques pépites dans les limites du droit de citation :
  • « Dans le Talmud, on ne cherche pas à mieux comprendre le texte où à mieux comprendre Dieu. Ce serait une façon de s'approprier Dieu et de tenter d'enfermer l'infini. Non, il s'agit d'interpréter le texte pour que sa parole soit comprise de manière plurielle ».
  • « Dieu se fait « livre », s'incarne dans le livre, mais il doit être libéré pour ne pas devenir une idole (...) rendre au texte un sens infini... (...) rendre à Dieu son statut d'infini (...) s'abstraire de l'immédiateté de la pulsion de compréhension (...) nous délivrer d'automatismes...
  • Un rabbin c'est un allumeur de feu intérieur (...) mettre en mouvement (...) se rencontrer.
On retrouve ici des interpellations proches d'Emmanuel Lévinas qu'il cite d'ailleurs plusieurs fois.

Je résonne personnellement avec cette ouverture dans l'infini des interprétations qui ouvre à l'infini des visages y compris dans les interprétations du divin qui ne fige pas Dieu dans une définition mais ouvre à la fois à un appel et à un peut-être.

J'adhère aussi à cette notion d'allumeur de feu qui me fait penser à cette belle idée de « pastorale d'engendrement » prônée par Philippe Bacq et C. Theobald. Ne figeons pas le texte dans une vision étriquée, laissons le ouvrir en nous des infinis.

05 septembre 2020

Évangélisation...- 5


Ma lecture du texte cité de Michel Rondet dans le billet précédent s'inscrit dans la même lignée que la contemplation d'un Dieu « agenouillé devant l'homme(*) » depuis « l'où es-tu ? » lancé par Dieu au Jardin de Gn 3, alors que l'homme cherche la puissance jusqu'au « donne-moi à boire » de Jésus à la Samaritaine.



« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (Jn 4, 5-6) Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, n'est pas un lieu anodin. Il s'insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d'Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine… Et dans cette évocation, l'évangéliste nous introduit au sein même de toute la recherche entre Dieu et l'homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l'histoire de la faiblesse de l'homme.
Dans la tradition biblique, le puits ou la source (selon la traduction littérale « du grec) fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d'une certaine manière, sa reprise par l'évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d'autres passages porteurs de sens.
Puiser l'eau du puits est l'acte emblématique qui établit une alliance dans l'Ancien Testament. On retrouve ce récit dans la rencontre du serviteur d'Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l'alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d'épouser à nouveau l'humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l'importance pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires de cette rencontre et des déplacements auxquels l'évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l'évêque d'Hippone, jusqu'à une méditation des fiançailles du Christ avec l'Église païenne symbolisée par la Samaritaine.
Dieu a soif de voir grandir ces « semences du verbe plantées loin de ses frères juifs, semble dire Jean en écho aux méditations de Jésus devant la syrophénicienne chez Matthieu.
 Derrière cette évocation résonne également l'appel d'un des textes les plus anciens de l'Ancien Testament, celui d'Osée, où Dieu invite le prophète à « reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d'accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au cœur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai cœur à cœur » (Osée 2, 16).
Comme nous l'avons souligné, le texte grec ne parle pas d'ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d'une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.
D'autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d'Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l'homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l'autre. C'est en bas de la tour d'orgueil, dans la soif d'une rencontre que se trouve la source vive.
En deux phrases nous voici plongés dans le cœur même de la pastorale de l'Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s'agenouille devant l'homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l'homme et qui s'assoit pour tenter une ultime rencontre. « Saint Augustin, dans son commentaire sur Jean[traité 15] commente ainsi l'attitude du Christ : « Jésus est venu, il est venu près d'un puits, c'est-à-dire qu'il s'est humilié; il s'est fatigué à venir, parce qu'il s'est chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce que c'était le sixième âge du monde. Il est venu près d'un puits, parce qu'il est descendu jusque dans l'abîme qui faisait notre demeure. C'est pourquoi il est écrit au psaume: « Du fond de l'abîme, Seigneur, j'ai crié vers vous». Enfin il s'est assis près d'un puits, car je l'ai dit déjà, il s'est humilié.  Augustin note par ailleurs que « Jésus avait soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes pour lesquels il a répandu son sang ». Le « donne-moi à boire » fait résonner alors plus encore ce que l'on peut interpréter comme un « j'ai soif de votre humanité », que nous entendrons à nouveau dans le cri du Christ en Croix. Le « J'ai soif » est le dernier cri lancé au monde avant que ne jaillisse de son sein, comme en retour, le fleuve d'eau et de sang, geyser d'amour qui inonde le monde.

Cette lecture se poursuit jusqu'à ce qu'elle soit portée à son paroxysme dans la théologie de la joie gauche ou l'agenouillement devant Judas. C'est la contemplation d'un Dieu miséricordieux qui n'impose pas une morale, mais croit en l'homme, n'arrache pas l'ivraie, mais contemple le grain qui pousse, ne juge pas la femme adultère mais l'invite à se relever.
Cette lecture n'est pas celle du prosélytisme conquérant, du moralisme pharisien, du juge qui abuse de son autorité, du clerc certain de sa supériorité sur le laïc. Elle est, pour moi, dans le jusqu'au bout de la kénose (Ph 2) : « Il n'a pas retenu le rang qui l'égalait à Dieu, mais s'est fait serviteur, [en grec : ekenosen : il s'est vidé de lui-même/ dépouillé/ humilié dans un « j'ai soif » qui s'étend de Gn 3 à Jn 19, dans un « donne-moi à boire » qui résonne de Jn 4 (Samaritaine) au « j'ai soif de toi » que lit Mère Teresa...
Je pourrais continuer à explorer et contempler cela pendant des années, mais il est temps pour moi de rentrer dans le silence, car c'est au fond du cœur de l'homme que cette conversion doit se faire. Et qui suis-je pour oser dire comme Irénée, Varillon ou Zundel que « la gloire de Dieu est l'homme vivant ».
Quelques lecteurs m'ont demandé où et comment comprendre cette théologie particulière. Elle est offerte gratuitement à votre contemplation dans ces quatorze et quelques ouvrages qui ont construit ma foi. Il est temps que je me taise. j'ai trop parlé. La bruit d'un fin silence suffit, ouvrez vos portes au courant d'air, creusez en vous cet appel discret d'un Dieu agenouillé...
C’est pour cela que j’ai répondu au bout de 25 ans à l'appel au diaconat. Je crois dans la « pastorale de l'engendrement » de Bacq et Theobald, au fait que « l'évangile sauvera l'Église » de Moingt et en l'importance du « retour au centre » qu'est le Christ de Hans Urs von Balthasar.
Ma morale est vectorielle. Elle prend chacun là où il est et l'invite à faire un pas en avant. Qu'il soit au fond du gouffre ou près de la crête. Chacun est invité au fond de son cœur à entendre la plainte d'un Dieu souffrant, et assoiffé de notre amour. C'est dans « le rideau déchiré » (*) que se révèle le mystère, c'est en levant les yeux sur un corps décharné que l'on aperçoit sa fragilité.
L'office des lectures a cette nuit le dernier mot.

Comment es-tu foyer de feu
   et fraîcheur de la fontaine,
une brûlure, une douceur
   qui rend saines nos souillures ?

Comment fais-tu de l'homme un dieu,
   de la nuit une lumière,
et des abîmes de la mort
   tires-tu la vie nouvelle?

Comment la nuit vient-elle au jour ?
   Peux-tu vaincre les ténèbres,
porter ta flamme jusqu'au cœur
   et changer le fond de l'être ?

Comment n'es-tu qu'un avec nous,
   nous rends-tu fils de Dieu même ?
Comment nous brûles-tu d'amour
   et nous blesses-tu sans glaive ?

Comment peux-tu nous supporter,
   rester lent à la colère,
et de l'ailleurs où tu te tiens
   voir ici nos moindres gestes ?

Comment de si haut et de si loin
   ton regard suit-il nos actes ?
Ton serviteur attend la paix,
   le courage dans les larmes !

(*) pour lire À genoux devant l'homme (dont est tiré un extrait de ce billet), Dieu agenouillé, Retire tes sandales, Le rideau déchiré, Humilité et Miséricorde, Serviteur de l'homme, Pédagogie divine, Les chemins du désert, Dieu n'est pas violent, ou la Pastorale du Seuil, pour ne citer que 9 des 14 livres évoqués, suivez cette piste... : http://chemin.blogspot.com Je ne suis pas aussi prolixe que Teilhard mais j'y travaille... la piste vous conduira aussi à des romans offerts à ceux qui ont peur de la théologie et de « ses gros mots » et préfèrent un récit : d'une Perle à l'autre (800 pages) ou « le vieil homme et la brise » (80 pages) sont les meilleures pistes. Tout est offert gratuitement en numérique chez Kobo ou en papier à prix coutant chez Amazon. Bon vent. Ces livres sont auto-publiés, ceux qui portent mon nom aux éditions de L'Atelier ou chez Bayard sont épuisés. Je vais de mon côté chercher à suivre « celui qui m'a saisi et tacher de le saisir » (Ph. 3) en essayant de moins parler mais d'agir dans la périphérie où mon évêque m'a envoyé.


06 mai 2020

Jeûne eucharistique et dynamique sacramentelle - 80 - Saint Hilaire


En ces temps de jeûne eucharistique il est bon de contempler ce que Dieu a déposé en nous par la grâce reçue du sacrement de notre première communion qui fait de nous des porte-Christ (1) dans le mystère particulier de notre vocation de baptisés.

Ce jeûne est l'occasion de revisiter la "puissance structurante" qui jaillit de la faiblesse d'un Dieu qui s'offre à nous dans la double manducation de son Verbe fait chair et de l'Esprit Saint (qui comme le souligne Jean, jaillit de son cœur transpercé).

Cet amour qui brûle en nous est potentiellement un nouveau "buisson-ardent", don ineffable de Dieu qui nous fait grandir et nous rend participant à une communion qui nous dépasse et nous embras(s)e.

Pourquoi, dans ce cadre, faire l’apologie du jeûne ? Peut-être pour percevoir derrière le sacrement la profondeur réelle sur toute notre vie de la dynamique qui est en jeu. On trouve cette insistance dans certains écrits de C. Théobald (cf. tags) qui appellent à élargir la notion de sacrement à la vie dans son sens le plus large. Pour moi il s'agit là du cœur de cette dynamique sacramentelle longtemps évoquée dans ce blog (2) que la lecture de saint Hilaire vient réveiller à nouveau comme une danse (3) très intime de l'homme invité à la circumincession divine : « Parce que véritablement le Verbe s'est fait chair, c'est véritablement aussi que nous mangeons le Verbe incarné en communiant au banquet du Seigneur. Comment ne doit-on pas penser qu'il demeure en nous par nature ? En effet, par sa naissance comme homme, il a assumé notre nature charnelle d'une façon désormais définitive et, dans le sacrement de sa chair donnée en communion, il a uni sa nature charnelle à sa nature éternelle. C'est ainsi que tous nous formons un seul être, parce que le Père est dans le Christ et que le Christ est en nous. ~

Que nous sommes en lui par le sacrement de la communion à sa chair et à son sang, lui-même l'affirme lorsqu'il dit : Et ce monde désormais ne me voit plus ; mais vous, vous me verrez vivant parce que je vis, et vous vivrez aussi ; parce que je suis dans le Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. S'il voulait parler seulement d'une unité de volonté, pourquoi a-t-il exposé une progression et un ordre dans la consommation de cette unité ? N'est-ce pas parce lui-même étant dans le Père par sa nature divine, nous au contraire étant en lui en vertu de sa naissance corporelle, on doit croire que, réciproquement, il est en nous par le mystère sacramentel ? Ceci enseigne la parfaite unité réalisée par le médiateur : tandis que nous demeurons en lui, lui-même demeure en nous. Et ainsi nous progressons dans notre unité avec le Père, puisque le Fils demeure en lui par nature selon sa naissance éternelle et que nous-mêmes aussi sommes dans le Fils par nature, tandis que lui par nature demeure en nous.

Que cette unité soit en nous produite par sa nature, lui-même l'affirme ainsi : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. Car ce n'est pas tout homme qui sera en lui, mais celui en qui il sera lui-même : c'est seulement celui qui mangera sa chair qui aura en lui la chair assumée par le Fils.

Plus haut, il avait déjà enseigné le sacrement de cette parfaite unité, en disant : De même que le Père, qui est la vie, m'a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui mangera ma chair vivra par moi. Donc, il vit par le Père ; et de la manière dont il vit par le Père, nous-mêmes vivons par sa chair.

Tout ce parallèle est à la base de notre intelligence du mystère ; il nous fait comprendre, par le modèle proposé, ce qui se passe. Donc, ce qui nous donne la vie, c'est que, dans les êtres charnels que nous sommes, le Christ demeure en nous par sa chair ; et il nous fera vivre en vertu du principe qui le fait vivre par le Père. »(4)

(1) expression d'une catéchèse des premiers siècles
(2) cf. mon livre éponyme
(3) voir danse trinitaire
(4) saint Hilaire, traité sur la Trinité, source office des lectures du 6/5/20 (4ème semaine de Pâques), AELF



Rappel : l’interêt de ce blog, désormais vieux de 15 ans, réside surtout dans l’interactivité des balises (tags) qui comptent maintenant près de 2.500 billets)

25 juin 2019

Hospitalité et réciprocité - Eucharistie

Si l'on suit le chemin tracé par Christoph Théobald, il y a un malentendu qu'il ne cite qu'entre les lignes, celui du don du corps. Si le récit de Jean 6 est rupture entre suiveurs et vrais disciples c'est parce que ce don infime du corps est malentendu, reste incompréhensible sans le dévoilement de la croix.
Qui sommes-nous pour manger son corps et boire son sang si ce n'est pour nous laisser transformer de l'intérieur par cette présence ineffable et silencieuse ?

Le don du corps est constitutif du christianisme, essence contagieuse de l’amour divin.
« Dieu s’est totalement livré comme mystère entre les mains des hommes ; ce qui est proprement vertigineux » (1)



Prenons le temps de contempler cela, à chaque fois que nous mangeons son corps et buvons à la source de celui qui est le chemin, la vérité et la vie.

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 117

19 juin 2019

Symétrie et réciprocité - Christoph Théobald - Amour en toi 36

Symétrie et réciprocité
"En m'exposant à l'autre, en l'accueillant chez moi, dans ma maison, à ma table ou simplement sur le seuil - et si je suis vrai avec moi dans cet accueil-, je suis toujours en attente que l'autre fasse de même. C'est la trame fondamentale qui traverse les Écritures, de la figured'Abraham jusqu'au souper promis ds l'Apocalypse : "Voici je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper" (Ap 3,20). Alors la symétrie se transforme en réciprocité : "moi avec lui et lui avec moi". (1)

Je trouve dans ce texte des accents levinassiens. Les grands esprits se rencontrent.

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 91
(2) cf. notamment Autrement qu'être et au delà de l'essence

14 juin 2019

Solitude périphérique, effacement et espérance - 5


Nous arrivons à la confluence entre deux sujets déjà développés dans ces pages entre les questions de périphérie et d'effacement. Comme souligne Christoph Theobald (1) en citant Lumen Gentium : « dans ces communautés, même si souvent elles sont petites et pauvres ou vivent la dispersion, est présent le Christ, par la vertu duquel s'assemble l'Église une, sainte et apostolique». LG26.

Même si la dimension cléricale et institutionnelle de l'église est amenée à baisser, voire disparaître (peut-on rêver ?) c'est peut-être là, dans ses périphéries humbles et parfois effacées que le Christ peut rester vivant, rayonner et redonner à l'Église sa fonction et dynamique sacramentelle(2), première et en cela véritablement évangélique. 

L'enjeu est de reconstruire sur l'essentiel : la communauté de base, vivant autant que possible l'Evangile au quotidien loin des positions souvent pharisiennes d'une institution qui en ne cessant de se cléricaliser n'ont cessé de tuer l'esprit du christianisme tel que cherche à le décrire J. Moingt dans son livre éponyme (cf. par ailleurs - ou sa thèse plus ancienne in L'Évangile sauvera l'Église).
Est-ce accessible? Pas humainement mais par le travail de l'Esprit dans les cœurs, en s'effaçant encore plus devant la volonté du Père, kénose de l'Église qui entre en résonance avec la kénose trinitaire. Un chemin ardu mais source de la réelle évangélisation, celle qui agit dans l'intérieur de l'homme.

"L'unité du genre humain ne [passera pas] par la construction d'une civilisation mondiale, elle viendrait, ici et maintenant, dans la plus humble des rencontres... (...) l'Église naît où la foi s'engendre (...) capacité d'un être à faire crédit à la vie, à rester debout", engendrement fragile à l'image de cette naissance évoquée plus haut. (3)




(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 71
(2) cf. mon livre éponyme 
(3) Christoph Théobald, ibid. p. 73

Au fil de l’Apocalypse, 16ss - De l’effacement à l’engendrement 4 - Christoph Théobald

Poursuivons notre lecture (1) à l'aune de nos travaux sur la violence (2) : l'unique signe qui nous est donné quand nous traversons une crise extrême et radicale (...) c'est la non violence absolue de la vie fragile, celle de l'enfant qui naît face à la bête. C'est à partir de ces deux signes - la violence absolue et la vie qui continue à s'enfanter - que les cinq autres signes se décodent. Dans cette situation limite, il s'agit bien d'une expérience de Révélation. Une relation à la fois individuelle et collective avec le Christ est ici en jeu. Le collectif revient continuellement, et l'on voit ainsi combien il est difficile d'avoir du discernement et l'intelligence des situations (...) le mal ne durera pas. Il est dans une telle auto contradiction qui se brise de lui-même. Et le problème de l'homme, au fond, est qu'il se laisse fasciner par le mal et lui donne son pouvoir. Le mal n'est rien, d'une certaine manière : une fois que l'homme a découvert cela, grâce à ses capacités d'écoute et discernement, le mal implose.» (...) c'est l'aspect le plus consolant du livre de l'Apocalypse : susciter, vivifier en nous les forces de résistance intérieure, pour sortir, en traversant l'imaginaire, de la fascination qu'exerce le pouvoir, l'argent, la bestialité ; finalement, le mal lui-même. (...) [L'apocalypse] nous met devant une responsabilité ultime : au fond, seul le martyr, celui qui ouvre la porte, et la foule anonyme de ceux qui suivent l'Agneau peuvent crédibiliser ultimement la venue effective du Seigneur. Personne ne peut le dire à la place d'un autre. Tel est le message, l'effet du Livre. De ce point de vue-là, le temps de la fin est pour maintenant – si quelqu'un ouvre…(1)

Que nous dit Theobald ? Face au mal, la porte s'ouvre par l'effacement, le martyr, seules brèches qui brise le mal de l'intérieur...

Est-ce là où Christoph Théobald rejoint ses propos sur la pastorale de l'engendrement ?

Il y a pour moi une correspondance qui rejoint les débats actuels sur l'évangélisation : face à un monde déboussolé la porte qui conduit au discernement, la faille, comme le suggérait Danielou est dans ce qui implose le mal de l'intérieur : la naissance, l'amour et la mort. La pastorale de l'engendrement peut "pousser la porte" dans ces expériences où l'homme devient fragile.

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 66
(2) cf. mon livre "Dieu n'est pas violent"

10 juin 2019

L’effacement du Fils - Christoph Théobald - kénose n. 163

Au bout du chemin, on parvient à une chose remarquable : « celui qui est en face – le Christ Jésus s'efface. C'est toute la logique des récits évangéliques. Tout commence ainsi : « suis moi », ou chez Paul : « Imitez- moi. » On s'attache à lui, Christ, Parole de Dieu, par une sorte de « fascination », de « séduction d'amour » ; mais si l'on va jusqu'au bout de cette relation avec lui, il nous conduit ailleurs. Il ne s'attache pas aux gens. Le suivre c'est un sens aller là où il s'efface dans le mystère pascal : « il est bien que je m'en aille » (Jean 16,7). C'est dans la tradition chrétienne, un seuil que nous avons du mal à passer, car beaucoup occupe la « place du Christ », qu'il s'agisse des accompagnateurs, des supérieurs, de l'autorité ecclésiale. Saint Augustin nous dit que, s'il faut écouter la parole des maîtres, celle-ci ne peut être autant assimilé à la Parole de Dieu. Les maîtres autour de nous renvoie à l'Unique Maître qui, lui, passe en nous. Il s'efface, je l'ai dit, tout en nous renvoyant à quelqu'un d'autre, à notre origine, à la Parole de Dieu, au Père. c'est une expérience que j'appelle d'inversion, et qui est peut-être le seuil essentiel de l'expérience d'écoute. (…) On ne regarde plus vers Dieu, mais on se voir regardé par Dieu : « dans ta lumière, nous voyons la lumière » (Ps 36,10). Regarder le réel de ses propres yeux avec les yeux de Dieu, c'est approcher de manière radicalement nouvelles les limites des choses – les souffrances, les tragédies –, mais aussi la beauté des hommes et de la création ». (1)

On rejoint peut-être cet agenouillement de Jean 13 qui nous pousse à l'agenouillement devant l'homme. L'inversion (Christoph Théobald ne parle pas de kénose - mais c'est bien de cela qu'il s'agit) nous fait perdre toute tentation cléricale pour se mettre à l'écoute du Verbe incarné dans l'homme, de la Parole de Dieu qui transparait dans la dynamique propre de sa création et fait jaillir devant nous des fruits inattendus...

Écouter, sentir, contempler. Tels sont les fruits à atteindre d'un effacement à la suite du Christ... Danse trinitaire à laquelle on est invité dans la spirale folle de la triple kénose où Dieu se tait pour laisser place à l'Esprit enfoui dans le coeur de l'homme ?

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 24-25

06 juin 2019

Paroles humaines, parole de Dieu - Christoph Théobald

Paroles humaines, parole de Dieu

Qu'est-ce que la parole humaine si on ne remonte à sa source, à Dieu ?Jésus lui-même fait toujours allusion père. Il n'est pas en soi la vraie parole de Dieu, même s'il est médiateur. Il dit des paroles par sa vie, par sa mort et sa résurrection.
L'Ecriture en soi n'est pas Parole de Dieu, la tradition non plus.
« il n'y a pas d'accès à Dieu en dehors d'un acte d'interprétation » (1)
Tout nécessite une interprétation et en même temps doit être traversé par une volonté permanente d'écoute et d'interpellation qui se nourrit de prière et de discernement. (1)

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p.22



Envoyé de mon iPhone

03 février 2018

Le conflit des interprétations

La lecture du livre de 2 Sam 24 cette semaine, et de cette peste qui serait envoyée par Dieu sur Israël pour punir David de sa faute appelle à un commentaire. Où es Dieu ? Qui est-il ? Est-il violent ? Le sujet ne peut être évité dans un contexte de violence religieuse ?
Je regrette que l'on ne prenne pas le sujet à bras le corps en pastorale. Mon livre « Dieu n'est pas violent » esquisse une réponse bien maladroite.
Le conflit des interprétations (sans allusion à ce qu'en dit Ricoeur) est prégnant. Peut-on avoir une lecture spirituelle de ce texte ? Est-ce la peste qui implique une lecture de Dieu ou Dieu qui envoie la peste ? Dieu est-il violent ?
J'ai aussi esquissé cette question dans "le mendiant et la brise"...
En attendant j'adhère à ce qu'en dit Christoph Théobald : Être à l'écoute de « l'imprévisible nouveauté de l'évangile et de ses destinataires infiniment diversifiés, et le courage de l'interprétation qui en découle ici et maintenant, en relation confiante avec les interprètes autorisés de l'Église » (1)
Tout un programme.

(1) Christoph Théobald, Donner un avenir à la théologie, Paris, Bayard, 2017 p. 60

Donner un avenir à la théologie - Christoph Théobald

Comme indiqué plus haut je me plonge dans la lecture de ce petit opus (1) dense et interpellant. Cela met en lumière mes propres interrogations sur l'avenir de la théologie à l'aune de la frustration pastorale ressentie à la fin de ma licence (baccalauréat canonique) à l'ICP. L'enjeu pastoral me semblait pas assez écouté (ou peut-être l'ai-je raté ?).
Un point que ce livre aborde sans fard et que je développe plus loin.

(1) Christoph Théobald, Donner un avenir à la théologie,  Paris, Bayard, 2017

04 décembre 2017

Faire renaître l’Eglise

Je note ici, pour retenir et partager ce que l'on peut résumer du chapitre 9 de Christoph Théobald (1) sur les 7 étapes d'une ecclesiogenèse.
1) créer des espaces hospitaliers
2) lire ensemble l'Écriture
3) être attentifs aux personnes
4) faire une expérience collective
5) donner du corps à nos célébrations
6) voir le travail de l'Esprit
7) contempler l'œuvre de Dieu
(1) Christoph Théobald, Urgences Pastorales, Paris, Bayard, 2017, p. 429sq et notamment la p. 460-1

Rite et intériorité

Deux très belles pages de Christoph Théobald (1) sur le risque très moderne d'une course vers le faire, d'un zapping continuel jusque dans nos temps spirituels et nos rites. Aller à la messe ne sert à rien si nous ne prenons pas le temps du « recueillement » véritable, de cette cueillette des biens reçus à relire dans nos vies. La rencontre de Dieu ne se programme pas. Elle n'est pas le fruit de pratiques et de zèle, elle est don gratuit, surprise, tressaillement (2).
Théobald rejoint ici la quête de François Cassingena-Trévédy déjà décrite dans ces pages. Face au mendiant d'amour toutes nos stratégies échouent. Seuls l'humilité souvent inaccessible et le décentrement laissent place à ce que Christoph Théobald appelle le « miracle », le moment fugace de la brise.

(1) Christoph Théobald , Urgences Pastorales, Paris, Bayard, 2017, p. 398sq
(2) cf. sur ce point ma deuxième édition du Mendiant et la brise, où j'ai ajouté une petite méditation très personnelle sur le tressaillement...

02 décembre 2017

Une lecture triophonique de l’Écriture

Christoph Théobald évoque une lecture « stéréophonique » de l'Écriture qui permet à la fois :
1. d'entendre ce que nous dit le texte, dans son contexte large du monde biblique
2. d'entendre notre conscience et ses appels
3. de voir juger et agir dans le monde.
L'enjeu est de trouver « son unité interne, répondant ainsi à ses souhaits et désirs les plus profonds, à savoir la paix intérieure et la paix messianique entre tous ? »(1)

(1) Christoph Théobald, Urgences Pastorales, Paris, Bayard, 2017, p.396sq

28 novembre 2017

Vie et sacrement - 2

Les options ouvertes par Christoph Théobald dans les pages décrites précédemment sont complétées par son évocation des tentatives(1) de sacrement à deux vitesses qui traduisent une recherche d'adéquation entre demande et sacrement, allant jusqu'à proposer pour les jeunes enfants une « présentation au temple » qui n'est pas sacramentelle mais ouvre un mouvement.
Christoph Théobald cite un texte d'Augustin qui résume bien la problématique : « est esclave d'un signe celui qui fait ou révère un acte signifiant, sans en connaître la signification »(2). Si Augustin se réjouit que les signes de l'Ancienne Alliance se soient simplifiés en des sacrements « faciles à faire et très augustes et à comprendre », on peut s'interroger sur la réalité de cette compréhension dans une société marquée par l'exculturation du catholicisme.
J'apprécie également la distinction soulevée par Congar entre sacrements signes et sacrements personnes(3). Elle rejoint ce que j'ai cherché à exprimer dans ma « dynamique sacramentelle ». L'enjeu de ces sacrements personnes est, par leur seule présence d'être « en relation significative avec d'autres ». Tout cela inaugure dit Christoph Théobald un « état de mutation continuelle et de conversion missionnaire » (...) un appel « à revêtir le Seigneur Jésus-Christ »(Ga 3, 27) et à cette imitation de Jésus-Christ qui nous fait passer de l'image à la ressemblance comme le soulignait Bonaventure.
Je rejoins là l'idée de gradualité et de morale vectorielle déjà commenté dans ces pages...
L'enjeu est probablement d'axer nos élans missionnaires dans la compréhension de ces « vecteurs » de progression ouverts à tous, en direction du sacrement source qu'est le Christ lui-même.


(1) cf. Christoph Théobald, Urgences Pastorales, Paris, Bayard, 2017, p. 349
(2) Saint Augustin, La doctrine chrétienne, livre III, 12 et 13 cité in op. Cit p. 352
(3) Y. Congar, Esquisse du mystère de l'Église, Paris, Cerf, 1966, p. 22