14 juin 2022

Danse eucharistique 2.66 bis

 Mon dernier billet à remis à nouveau en question cette phrase imprononçable du nouveau missel : « Que votre sacrifice soit aussi le nôtre ».

Il va nous falloir encore du temps pour en faire ce qu’on appelle une saine « réception », comme ce concile qui tarde à être reçu dans notre Église.


Pourquoi ?

Probablement parce que le sacré conserve son côté magique et que l’on ne cesse de sacraliser ceux qui sont ordonnés pour « exécuter » le rituel sans percevoir que la dynamique sacramentelle (1) est bien plus vaste que le sacrement que l’on a cristallisé dans un rite et une tradition.


Les travaux de C. Theobald (2) et notamment son petit schéma que je reproduis ici mérite d’être commenté. Le sacrement ne se limite pas au rite. Ce dernier n’est que la face visible d’une transformation intérieure qui fait de l’union des hommes et de Dieu ce que j’appelle une danse. « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. »




La flûte n’est que le premier pas de l’agir et comme le montre le schéma le sacrement signifie ce que l’agir « transpire »…


Comme le disait l’hymne de la FICPM, «  je voudrais qu’en vous voyant vivre, les gens puisse dire, voyez comme ils s’aiment »…


L’échange ancien entre l’assemblée et le prêtre signifiait finalement mieux que la nouvelle phrase qui nous accroche autant. Il signifiait en substance : puis je célébrer au nom de tous ? Oui disait en coeur l’assemblée. Venait le « vraiment il est juste et bon… »


Ce qui compte est peut-être de percevoir que l’essentiel est dans le lien. C’est parce qu’il est LIEN que le célébrant à sa place. C’est en insistant sur le lien qui se démarque de la notion de pouvoir que le prêtre devient signe. Il ne peut d’ailleurs célébrer seul dit le droit canonique (canon 906). Il est le garant fragile du lien. C’est peut-être cela que la phrase veut dire et qu’on ferait mieux de prononcer avec d’autres mots du style : « que votre action de grâce devienne celle de notre assemblée toute entière, que vos paroles expriment notre unité, que vos gestes signifient ce que notre vie veut devenir, des artisans du Royaume, des pierres vivantes de l’Église… »

Ce serait bien plus parlant que d’évoquer le « sacrifice ».


François Varillon le suggérait en disant que Dieu vient diviniser ce que nous voulons humaniser (3)


Le sacrement de mariage, par exemple, n’est pas contenu dans une belle célébration, il est le commencement d’une dynamique qui fait de l’amour d’un homme et d’une femme la danse subtile et fragile d’une symphonie qui s’étend sur toute une vie. L’eucharistie n’est pas une heure dominicale, c’est la source d’un fleuve immense qui fait de nos communautés un arbre aux fruits fragiles et délicats, dont la source est en Dieu et les fruits le signe d’une unité théologale, c’est à dire, don de Dieu. 


Benoît XVI avait cette phrase qui m’a toujours marqué : « Dans la réalisation concrète du service ecclésial, [le prêtre doit] se livrer totalement à l'inclusion dans le Christ; non pas construire un être à côté de lui, mais seulement en lui ; et permettre ainsi que devienne enfin réalité cette exclusivité qui ne détruit pas, mais libère toute chose en la faisant entrer dans sa propre immensité »(*). Alors peu importe sa nature. « Cela donne aux paroles d'un prédicateur, fût-il minable, le poids des siècles » et cela inclut la liturgie, « si démunie soit-elle » dans une dynamique qui la dépasse. « En acceptant de devenir sans importance en lui-même, il pourra « devenir vraiment important parce qu'il sera pour le Seigneur un lieu d'irruption dans ce monde »(**).


En agissant in Persona Christi, en lui se substitue Celui pour qui il vit. La dynamique sacramentelle devient alors signe à travers son effacement au-delà du signe. Il se fait « creuset » où le fleuve du Verbe prend son lit, pour arroser le monde, depuis le coeur blessé du Christ jusqu'aux confins de l'humanité.


Que peut faire le laïc devant tout cela ? Probablement

à la fois s’agenouiller lui aussi, car Dieu se révèle là, mais également - et c’est là que cela devient intéressant - rester debout, car ce qui se joue ici, c’est son accession à la résurrection à venir. C’est pourquoi, en principe, le « dimanche, au nom de la puissance salvatrice de la mort et de la résurrection il est en droit de rester debout, car l’agenouillement du Christ l’a relevé et le conduit à la victoire. »(4)


Plus encore, en participant au mystère, il devient progressivement Co-acteur de ce qui ce célèbre jusqu’à devenir porte-Christ, comme le suggère la catéchèse des premiers chrétiens dans la ligne de ce que nous affirmons des nouveaux baptisés : serviteurs et prophètes au service du Royaume. 


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) Christoph Theobald, in Lire les Evangiles et l'Apocalypse en Algérie et ailleurs, Ed. de l'Atelier, 2011

(3) François Varillon, joie de croire, joie de vivre

(4) Extrait de mon « Danse avec ton Dieu »

(*) J. Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Téqui, 1982, p. 315. 

(**) ibid. p. 318

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