30 avril 2019

Le fruit inattendu du silence - Edith Stein - Amour est en toi - 33

Quel est le fruit du silence sur l'âme ? Faut-il, comme le suggère Edith Stein, « attendre avec patience l'heure qu'il a fixé ; cheminer dans l'obscurité comme nous conduit le souffle léger de l'Esprit, et, sans être vu d'aucun regard humain, cueillir les fleurs qui fleurissent au chemin(1) ». L'enjeu est cette présence fortuite et silencieuse qui tout d'un coup éclaire nos âmes à jamais :
 «  Un éclat de ciel reste dans l'âme 
Une profonde lueur reste dans les yeux,
Un flottement dans le son de la voix. »
Cette trace est cicatrice d'un lumineux rayon venu d'ailleurs –rayon de nuit -, qui éclaire chacun des instants présents que je vis comme émerveillement, dans la reconnaissance.(2)
Telle est le fruit inattendu d'une prière au désert, quand au-delà d'une sécheresse qui frise le désespoir, nous percevons dans un frisson inattendu qu'il était là mais qu'on le cherchait ailleurs.
« Nous ne pouvons que nous étonner, balbutier et nous taire »(2)
Où comme le fit Moïse retirer nos sandales car ici le voile se déchire et le buisson ardent illumine nos âmes.

« Centre de tous les cœurs humains
Qui nous prodigue la vie divine.
Il nous attire à lui avec une force mystérieuse ; 
En lui il nous attire dans le sein du Père
Et nous inonde avec le Saint-Esprit (3).

« Tu viens et tu t'en vas, mais reste la semence
Que tu semas pour ta gloire future
Cachée dans le corps de poussière ». (4)



« Nos paroles tremblent : à quelle justesse peut-elle prétendre, quelle vérité peuvent-elles revendiquer (...) sinon celle de la kénose de ce Dieu qui s'anéantit pour moi et en moi ? »

(1) Edith Stein, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 270.
(2) Edith Stein, ibid. p. 271.
(3) p. 272.
(4) 273.
(5) François Marxer, ibid. p. 275.

Au fil de Jean 3 - L’amour est en toi - Edith Stein

« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin qu'en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. » Jean 3, 15
La contemplation de la Croix et notre union spirituelle au Christ est l'unique chemin qui conduit à la vie. Seule la Croix nous décentre de nous mêmes et nous permet d'entrer dans cette Danse où nous devenons « tournés vers Dieu ». 


Écoutons sur ce thème Edith Stein : « Mon Seigneur et mon Dieu,
tu m'as guidée sur un long chemin obscur, pierreux et dur.
Mes forces semblaient souvent vouloir m'abandonner,
je n'espérais presque plus voir un jour la lumière.
Mon cœur se pétrifiait dans une souffrance profonde
quand la clarté d'une douce étoile se leva à mes yeux.
Fidèle, elle me guida et je la suivis
d'un pas d'abord timide, plus assuré ensuite.
(....)
Et ta bonté permet qu'elles m'éclairent dans mon chemin vers toi.
Le mystère qu'il me fallait garder caché au profond de mon cœur,
je peux désormais l'annoncer à haute voix :
Je crois, je confesse ma foi !
(...)
J'ai porté à la main le cierge dont la flamme annonce
qu'en moi brûle ta vie sainte.
Mon cœur est désormais devenu la crèche qui attend ta présence.
Pour peu de temps !
Marie, ta mère, qui est aussi la mienne, m'a donné son nom.
À minuit elle dépose en mon cœur son enfant nouveau-né.
Oh ! nul cœur humain ne peut concevoir
ce que tu prépares à ceux qui t'aiment (1 Co 2,9).
Tu es à moi désormais et jamais plus je ne te quitterai.
Où que puisse aller la route de ma vie, tu es auprès de moi.
Rien jamais ne pourra me séparer de ton amour (Rm 8,39).(1)

(1) Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix [Édith Stein], Poésie « Heilige Nacht » (trad. Malgré la nuit, Ad Solem 2002, p.21)


29 avril 2019

Proverbes - Hans Urs von Balthasar - Liberté et grâce 3

"Plus clairement que partout ailleurs dans l'Écriture, on voit ici [dans les Proverbes] que le Dieu créateur ne contredit pas ou ne rejette pas l'effort de sa créature pour comprendre la vie et pour s'établir dans un rapport juste avec le principe divin, mais qu'il achève cette effort en le dépassant (gratia non destruit naturam, sed elevat et perficit), même si les pressentiments ils essayent de nature à la sagesse doivent devenir folie pour être introduit dans la sagesse tout aux autres de Dieu"(1)

Cette élévation par Dieu correspond en quelque sorte à ce que j'exprima plus haut sur la danse. En effet le travail de l'Esprit en nous nous élève et nous fait grandir. Que la grâce ne détruit pas la nature mais l'élève et nous rend perfectible faites entrer notre chemin de liberté dans une dimension plus immense, plus sublime, celle qui nous fait correspondre à la volonté de Dieu. En cela le Christ, plus que jamais, nous conduit par son oui "me voici" sur le chemin où déjà sa mère par son fiat de liberté nous appelle.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974, p. 115

Au fil de Jean 17, Sainte Catherine de Sienne - Danse Trinitaire

«afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous, pour que le monde croie que c'est toi qui m'as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous, nous sommes un, – moi en eux et toi en moi – pour qu'ils soient accomplis dans l'unité et que le monde sache que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.»
‭‭Jean‬ ‭17:21-23‬ 
La contemplation de Jean 17 a conduit les Pères de l'Église à élaborer une trilogie particulière sur la Trinité qui se nourrit des affirmations de Paul et de Jean dans une contemplation du jeu des Personnes divines, entre unité (un seul Dieu), deux natures, trois Personnes et quatre relations (paternité ; la filiation ; la spiration active ; la spiration passive). Pourtant comme je l'ai souvent exprimé ici, c'est l'image de danse qui me semble la plus éclairante, même si elle est comme toute image réductrice de l'infinie nature de Dieu.
Ce que les grecs appellent en effet périchorèse (littéralement danser en rond) et les latins « circum-incession » décrit bien cette complexe et géniale ronde et inhabitation des personnes divines, expression de l'amour infini du Père et du Fils dans l'Esprit, qui nous emporte dans une ronde amoureuse et sublime. 
En cette fête de sainte Catherine écoutons là exprimer cela : « Ô Divinité éternelle, ô éternelle Trinité, par l'union de la divine nature tu as donné un si grand prix au sang de ton Fils unique ! Toi, éternelle Trinité, tu es comme un océan profond : plus j'y cherche et plus je te trouve ; plus je trouve et plus je te cherche. Tu rassasies insatiablement notre âme car, dans ton abîme, tu rassasies l'âme de telle sorte qu'elle demeure indigente et affamée, parce qu'elle continue à souhaiter et à désirer te voir dans ta lumière, ô lumière, éternelle Trinité. ~
J'ai goûté et j'ai vu avec la lumière de mon intelligence et dans ta lumière, éternelle Trinité, et l'immensité de ton abîme et la beauté de ta créature. Alors, j'ai vu qu'en me revêtant de toi, je deviendrais ton image, parce que tu me donnes, Père éternel, quelque chose de ta puissance et de ta sagesse. Cette sagesse est l'attribut de ton Fils unique. Quant au Saint-Esprit, qui procède de toi, Père, et de ton Fils, il m'a donné la volonté qui me rend capable d'aimer. Car toi, éternelle Trinité, tu es le Créateur, et moi la créature ; aussi ai-je connu, éclairée par toi, dans la nouvelle création que tu as faite de moi par le sang de ton Fils unique, que tu as été saisie d'amour pour la beauté de ta créature.
Abîme ! Éternelle Trinité ! Divinité ! Océan profond ! Et que pourrais-tu me donner de plus grand que toi-même ? Tu es le feu qui brûle toujours et ne s'éteint jamais ; tu consumes par ton ardeur tout amour égoïste de l'âme. Tu es le feu qui dissipe toute froideur, et tu éclaires les esprits de ta lumière, cette lumière par laquelle tu m'as fait connaître ta vérité. ~
C'est dans la foi, ce miroir de la lumière, que je te connais : tu es le souverain bien, bien qui surpasse tout bien, bien qui donne le bonheur, bien qui dépasse toute idée et tout jugement ; beauté au-dessus de toute beauté, sagesse au-dessus de toute sagesse : car tu es la sagesse elle-même, tu es l'aliment des anges qui, dans l'ardeur de ton amour, s'est donné aux hommes.
Tu es le vêtement qui couvre ma nudité, tu nourris les affamés de ta douceur, car tu es douce, sans nulle amertume, ô éternelle Trinité.(1)



(1) Sainte Catherine de Sienne, dialogues, source Office des Lectures AELF 
Pour aller plus loin :
  • Jean Noël Besançon, Dieu n'est pas bizarre
  • Danse trinitaire chez Elisabeth de la Trinité 
  • Emmanuel Durand, Périchorèse des Personnes divines, Immanence mutuelle, réciprocité et communion, Éditions du Cerf, Cogitatio Fidéi n° 243, Paris, 2005.
  • Karl Rahner Dieu Trinité, Fondement transcendant de l'histoire du salut, Cerf 1999 Traduction Yves Tourenne
  • Saint Augustin, De Trinitate
  • Hans Urs von Balthasar, Théologique (troisième partie de sa Trilogie en 18 volumes)
  • Et, dans une plus humble mesure, Claude Heriard, Danse trinitaire, in l'Amphore et le Fleuve

28 avril 2019

Mystère et ministères de la femme - Louis Bouyer

Je découvre ce petit bijou de Louis Bouyer dans sa réédition chez Ad Solem préfacé par mon ami Jean Duchesne.
Une étonnante prise de distance vis à vis des problématiques actuelles et une ode très respectueuse de la féminité dans sa transcendance et son lien au divin.
Le style est ancien (1976), mais garde sa pertinence si l'on veut bien prendre le temps de méditer le sens de la maternité et de la virginité à l'aune de la réceptivité et du don.
Petit verbatim qui n'est pas dénoué d'humour:
"La femme est comme naturellement religieuse, alors que l'homme doit le devenir et, chose plus difficile encore, le rester par un effort toujours à poursuivre, voire à reprendre. Un rabbin m'expliquait naguère, avec un humour non dénoué de sens, que la loi juive prescrive à l'homme ses obligations religieuses, alors qu'elle n'impose rien de défini à la femme, en observant que cela, loin de supposer quelque supériorité de l'homme, implique bien au contraire qu'il ne servirait pas Dieu si celui-ci ne prenait pas la peine de le lui rappeler sans cesse, alors que la femme n'a pas besoin qu'on le lui dise."(1)



L'auteur précise que la femme n'a pas de mérite. C'est en effet propre à sa nature. On pourrait en effet ajouter qu'elle a un accès à la dynamique du don de Dieu tout particulier. Cela creuse en elle, pour moi, une réceptivité toute particulière alors que l'homme n'a pas souvent cette clé de lecture. C'est la femme qui l'ouvre peut-être à ce regard, à cette dimension particulière.
Cela peut-être ce que signifie cette image bien mal comprise de la côte d'Adam. Ce manque, cette dépendance du féminin donne à l'homme accès à l'autre.

(1) Louis Bouyer, Mystèrev et ministère de la femme, Paris, Éditions ad Solem, 2019 p. 72

25 avril 2019

Catéchèse des baptisés

Baptisés dans la mort et la résurrection du Christ.
Vous avez été conduits par la main à la piscine du baptême, comme le Christ est allé de la croix au tombeau qui est devant vous.
On a demandé à chacun s'il croyait au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit. Vous avez proclamé la confession de foi qui donne le salut et vous avez été plongés trois fois dans l'eau, et ensuite vous en êtes sortis. C'est ainsi que vous avez rappelé symboliquement la sépulture du Christ pendant trois jours.
De même, en effet, que notre Sauveur a passé trois jours et trois nuits au cœur de la terre, c'est ainsi que vous, en sortant de l'eau pour la première fois, vous avez représenté la première journée du Christ dans la terre ; et la nuit, en étant plongés. Celui qui est dans la nuit ne voit plus rien, tandis que celui qui est dans le jour vit dans la lumière. C'est ainsi qu'en étant plongés comme dans la nuit vous ne voyiez rien ; mais en sortant de l'eau vous vous retrouviez comme dans le jour. Dans un même moment vous mouriez et vous naissiez. Cette eau de salut est devenue à la fois votre sépulture et votre mère.
Ce que Salomon dit à un autre sujet pourrait s'appliquer à vous : Il y a un temps pour enfanter, et un temps pour mourir. Mais pour vous c'était l'inverse : un temps pour mourir et un temps pour naître. Un seul temps a produit les deux effets, et votre naissance a coïncidé avec votre mort.
Chose étrange et incroyable ! Nous n'avons pas été véritablement morts ni véritablement ensevelis, et nous avons ressuscité sans être véritablement crucifiés. Mais si la représentation ne réalise qu'une image, le salut, lui, est véritable.
Le Christ a été réellement crucifié, réellement enseveli, et il a ressuscité véritablement. Et tout ceci nous est accordé par grâce. Unis par la représentation de ses souffrances, c'est en toute vérité que nous gagnons le salut.
Bonté excessive pour les hommes ! Le Christ a reçu les clous dans ses mains toutes pures, et il a souffert ; et moi, qui n'ai connu ni la souffrance ni la peine, il me fait, par pure grâce, participer au salut !
Personne donc ne doit penser que le baptême consiste simplement dans le pardon des péchés et la grâce de la filiation adoptive ; il en était ainsi pour le baptême de Jean, qui ne procurait que le pardon des péchés. Mais nous savons très précisément que notre baptême, s'il est purification des péchés et nous attire le don de l'Esprit Saint, est aussi l'empreinte et l'image de la passion du Christ. C'est pourquoi saint Paul proclamait : Ne le savez-vous pas ?  Nous tous, qui avons été baptisés en Jésus Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons donc été mis au tombeau avec lui par le baptême.  (1)



Hommes nouveaux                                Stance
baptisés dans le Christ, alléluia,
vous avez revêtu le Christ, alléluia !
Héritiers avec lui d'un Royaume de lumière,
vous possédez la liberté des fils de Dieu
pour annoncer au monde :

Nous sommes au Christ,
et le Christ est à Dieu.
Alléluia ! Alléluia !
Oraison
Dieu qui as uni tant de peuples divers dans la même confession de ton nom, accorde à tous les baptisés d'avoir au cœur la même foi et dans la vie le même amour.
(1) Catéchèse de Jérusalem aux nouveaux baptisés suivi de l’oraison de l'Office des lectures du jeudi de l'octave de Pâques Source : Textes liturgiques © AELF.

21 avril 2019

Alléluia - il est ressuscité - saint Jean Chrysostome - Benedictus - Pâques - Homélie

Alléluia 
Christ a vaincu la mort.
Il nous relève de nos tombeaux, nous libère de nos servitudes.
Jour de la résurrection, jour de joie

« Voici le jour que le Seigneur a fait ; passons-le dans la joie et dans l'allégresse ! » (Ps 117,24) Pourquoi ? Parce que le soleil n'est plus obscurci, mais tout s'illumine ; (...) ; nous ne tenons plus des rameaux de palmier, mais nous entourons les nouveaux baptisés.
« Voici le jour que le Seigneur a fait »... Voici le jour au sens propre, le jour triomphal, le jour consacré à fêter la résurrection, le jour où l'on se pare de grâce, le jour où l'on partage l'Agneau spirituel, le jour où l'on abreuve de lait ceux qui viennent de naître, le jour où se réalise le plan de la Providence en faveur des pauvres. « Passons ce jour dans la joie et dans l'allégresse »..
Voici le jour où Adam a été libéré, où Ève a été délivrée de sa peine, où la mort sauvage a frémi, où la puissance des pierres a été brisée, où les verrous des tombeaux ont été arrachés..., où les lois immuables des puissances des enfers ont été abrogées, où les cieux se sont ouverts quand le Christ, notre Maître, est ressuscité. Voici le jour où, pour le bien des hommes, la plante verdoyante et fertile de la résurrection a multiplié ses rejetons dans tout l'univers comme dans un jardin, où les lys des nouveaux baptisés se sont épanouis..., où la foule des croyants se réjouissent, où les couronnes des martyrs reverdissent. « Voici le jour que le Seigneur a fait ; passons-le dans la joie et dans l'allégresse.(1)



Dieu a fait de son Fils le « Juge des vivants et des morts. C'est à lui que tous les prophètes rendent ce témoignage : Tout homme qui croit en lui reçoit par lui le pardon de ses péchés. » (Actes 10, 42-43)

Voici le jour que fit le Seigneur, 
jour de fête et de joie.
Peuples, rayonnez de joie ; 
voici la Pâque du Seigneur.
Voici le jour où le Christ, notre Dieu, 
nous conduit de la mort à la vie.

Le soleil s'est levé : ne cherchez plus parmi les morts le Fils de l'homme : il a brisé les verrous de la mort, alléluia !

« Il a fait surgir la force qui nous sauve
dans la maison de David, son serviteur,
comme il l'avait dit par la bouche des saints,
par ses prophètes, depuis les temps anciens :
salut qui nous arrache à l'ennemi,
à la main de tous nos oppresseurs,
amour qu'il montre envers nos pères,
mémoire de son alliance sainte,
serment juré à notre père Abraham
de nous rendre sans crainte,
afin que, délivrés de la main des ennemis, +
nous le servions dans la justice et la sainteté,
en sa présence, tout au long de nos jours.
(...) tendresse, l'amour de notre Dieu,
quand nous visite l'astre d'en haut,
[qui vient] illuminer ceux qui habitent les ténèbres
et l'ombre de la mort, *
pour conduire nos pas
au chemin de la paix. (2) 

Gloire à toi, Jésus, notre vie !
Ô Christ, radieuse lumière qui brille dans nos ténèbres, 
tu as sanctifié pour toujours notre condition mortelle.
Seigneur, toi qui as marché sur la voie du calvaire, 
tu nous appelles à te suivre pour mourir et ressusciter avec toi.
Fils du Père, notre frère et notre maître, 
tu fais de nous un peuple de prêtres et de rois.
Roi de gloire, 
nous attendons le jour éclatant de ta manifestation : 
alors nous te verrons tel que tu es, 
et nous serons semblables à toi.(3)

Aujourd'hui, Dieu notre Père, tu nous ouvres la vie éternelle par la victoire de ton Fils sur la mort, et nous fêtons sa résurrection. Que ton Esprit fasse de nous des hommes nouveaux pour que nous ressuscitions avec le Christ dans la lumière de la vie. Lui qui règne.(4)
Alléluia 

(1) Homélie attribuée à saint Jean Chrysostome (trad. SC 187, p. 321 rev. Brésard)
(2) Benedictus Luc 1, 70-78
(3 et 4) Antienne et oraison des Laudes du jour de Pâques, source AELF 

20 avril 2019

Homélie de la veillée pascale.

Première ébauche

La Parole en silence
se consume pour nous.
L'espoir du monde
a parcouru sa route.
Voici l'heure où la vie
retourne à la source (1)
« Les ténèbres ne sont point ténèbres devant toi ; la nuit comme le jour illumine » (Ps 138,12)
« Nous les mortels, nous devons dormir pour réparer nos forces et donc interrompre notre vie par cette image de la mort, qui nous laisse au moins des bribes de vie. Ainsi, tous ceux qui veillent dans la chasteté, l'innocence et la ferveur se préparent sans nul doute à la vie des anges ; contre ce fardeau de mort, ils trouvent grâce dans l'éternité... Maintenant, mes frères, écoutez les quelques mots que je vais dire sur la veille que nous accomplissons cette nuit...
Notre Seigneur Jésus Christ est ressuscité d'entre les morts le troisième jour : nul chrétien n'a de doute là-dessus. Les saints évangiles attestent que l'événement s'est produit en cette nuit... Ce n'est pas de la lumière aux ténèbres mais des ténèbres à la lumière que nous nous efforçons de monter. L'apôtre Paul nous y engage : « La nuit est bien avancée ; le jour est arrivé. Laissons là les œuvres de ténèbres et revêtons les armes de lumière » (Rm 13,12)... Nous veillons donc en cette nuit où le Seigneur est ressuscité et où il a commencé en sa propre chair la vie dont je vous parlais à l'instant, qui ne connaît ni mort ni sommeil. Et cette chair qu'il a relevée du tombeau ne mourra plus, et ne retombera plus sous la loi de la mort.
Les femmes qui l'aimaient sont venues à l'aube visiter son tombeau ; au lieu de trouver son corps, elles entendirent des anges leur annoncer la résurrection. Il est donc clair qu'il est ressuscité la nuit qui précédait cette aube. Ainsi, celui dont nous célébrons la résurrection en nos veilles prolongées, celui-là nous donnera de régner avec lui dans une vie sans fin. Et quand bien même, à l'heure où nous veillons, son corps soit encore dans la tombe et qu'il ne soit pas encore ressuscité, notre veille garderait tout son sens : car il a dormi pour que nous veillions, Lui qui est mort pour que nous vivions. »(2)
En effet, le rideau s’est déchiré. Ce qui cachait Dieu s’est dévoilé.
Après ces quarante jours dans les ténèbres entrons dans la lumière...
Nos yeux ont encore du mal à croire l’impossible. Comme l’aveugle guéri par Jésus, comme les pèlerins d’Emmaus, comme Pierre au tombeau laissons Dieu nous travailler de l’intérieur.
Oui l’amour de Dieu n’est pas un rêve. L’Amour a gagné
Le Jour va surgir du tombeau.
Il est là dans l’espérance qui nous conduit sur le chemin
Il est là dans la foi qui nous fait avancer ensemble au delà de nos peurs.
Il est là à chaque fois que l’Amour embrase notre cœur.
Il est là dans cette grâce qui nous rend libre....
Comme Madeleine au tombeau écoutons le parler à notre cœur.

Dieu est ressuscité.
Il a vaincu la mort.
Il est descendu au plus bas, chercher Adam dans la nuit, relever Ève des profondeurs.

Il est le chemin, la vérité et la vie.
(1) Hymne de l’office des lectures source AELF 
(2) Saint Augustin, 2e Homélie pour la Nuit Sainte, Guelferbytanus 5; PLS 2,549-522 ; cf. Homélie 221 (trad. Coll. Icthus 10, p. 199s)



19 avril 2019

Au fil de Marc 15 - La Passion - Augustin d’Hipponne


« Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s'écria : 'Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu' » (Mc 15,39)
« Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu. » (Jn 1,1) Il est identique à lui-même ; ce qu'il est, il l'est toujours ; il ne peut changer, il est l'être. C'est le nom qu'il fit connaître à son serviteur Moïse : « Je suis celui qui suis » et « Tu diras : Celui qui est, m'a envoyé » (Ex 3,14)... Qui peut le comprendre ? Ou qui pourra parvenir à lui –- à supposer qu'il dirige toutes les forces de son esprit pour atteindre tant bien que mal celui qui est ? Je le comparerai à un exilé, qui de loin voit sa patrie : la mer l'en sépare ; il voit où aller, mais n'a pas le moyen d'y aller. Ainsi nous voulons parvenir à ce port définitif qui sera nôtre, là où est celui qui est, car lui seul est toujours le même, mais l'océan de ce monde nous coupe la voie...
Pour nous donner le moyen d'y aller, celui qui nous appelle est venu de là-bas ; il a choisi un bois pour nous faire traverser la mer : oui, nul ne peut traverser l'océan de ce monde que porté par la croix du Christ. Même un aveugle peut étreindre cette croix ; si tu ne vois pas bien où tu vas, ne la lâche pas : elle te conduira d'elle-même. 
Voilà mes frères ce que j'aimerais faire entrer dans vos cœurs : si vous voulez vivre dans l'esprit de piété, dans l'esprit chrétien, attachez-vous au Christ tel qu'il s'est fait pour nous, afin de le rejoindre tel qu'il est, et tel qu'il a toujours été. C'est pour cela qu'il est descendu jusqu'à nous, car il s'est fait homme afin de porter les infirmes, de leur faire traverser la mer et de leur faire aborder dans la patrie, où il n'est plus besoin de navire parce qu'il n'y a plus d'océan à passer. À tout prendre, mieux vaudrait ne pas voir par l'esprit celui qui est, mais embrasser la croix du Christ, que le voir par l'esprit et mépriser la croix. Puissions-nous, pour notre bonheur, à la fois voir où nous allons et nous cramponner au navire qui nous emporte... ! Certains y ont réussi, et ils ont vu ce qu'il est. C'est parce qu'il l'a vu que Jean a dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était face à Dieu, et le Verbe était Dieu. » Ils l'ont vu ; et pour parvenir à ce qu'ils voyaient de loin, ils se sont attachés à la croix du Christ, ils n'ont pas méprisé l'humilité du Christ. (1) 



La Parole en silence
se consume pour nous.
L'espoir du monde
a parcouru sa route.
Voici l'heure où la vie
retourne à la source :
dernier labeur de la chair
mise en croix.

Serviteur inutile,
les yeux clos désormais,
le Fils de l'homme
a terminé son œuvre.
La lumière apparue
rejoint l'invisible,
la nuit s'étend sur le corps :
Jésus meurt.

Maintenant tout repose
dans l'unique oblation.
Les mains du Père
ont recueilli le souffle.
Le visage incliné
s'apaise aux ténèbres,
le coup de lance a scellé
la passion.

Le rideau se déchire
dans le Temple désert.
La mort du juste
a consommé la faute,
et l'Amour a gagné
l'immense défaite :
demain, le Jour surgira

du tombeau.(2)

(1) Saint Augustin, Sermons sur l'évangile de saint Jean, n°2 (trad. cf E. de Solms, Christs romans, Zodiaque 1966, p. 72s)
(2) Hymne du vendredi saint, office des Lectures, source AELF 

18 avril 2019

Silence et liberté 2 - Edith Stein - L'amour est en toi - 31

Le repos en Dieu...
Prendre le temps du silence comme celui du désert c'est atteindre un "état de totale suspension de toute activité de l'esprit, dans lequel on ne peut plus ni dresser de plans, ni prendre de décision, ni même rien faire, mais où, ayant remis tout l'avenir au vouloir divin, on s'abandonne entièrement à son destin. Cet état, je l'ai éprouvé quelque peu, à la suite d'une expérience qui, dépassant mes propres forces, consomma totalement mes énergies spirituelles et me déroba toute possibilité d'action. Comparé à l'arrêt de l'activité faute d'élan vital, le repos en Dieu est quelque chose de tout à fait nouveau et d'irréductible. Auparavant, c'était le silence de la mort. À sa place succède un sentiment d'intime sécurité, de délivrance de tout ce qui est souci, obligation et responsabilité par rapport à l'agir. Et tandis que je m'abandonne à ce sentiment, voici qu'une vie nouvelle commence peu à peu à me combler et - sans aucune tension de ma volonté – à me pousser vers de nouvelles réalisations. Cet aflfux vital semble venir d'une Activité et d'une Force qui n'est pas la mienne et qui, sans violence, devient active en moi" (1)

Ce détachement, ce décentrement est peut-être ce que Duchesne décrit comme la grâce de la liberté. Il se nourrit de cette quête intérieure, est souffle au sein de la chambre haute, travail de l'Esprit, communion avec cette Activité et cette Force dont parle Edith Stein en utilisant des majuscules.

(1) Edith Stein, La causalité psychique, article de 1922, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 268

La grâce d’être libres - Jean Duchesne


Je découvre dans le dernier livre de mon ami Jean Duchesne un point de vue qui mérite d'être approfondi : "La liberté [des chrétiens], héritée de Dieu selon la gratuité qui le caractérise, est une grâce - un don gracieux qui ne se conquiert pas, parce que c'est une dynamique dans laquelle on est emporté et qui dope littéralement les ressources naturelles. On peut dire que, si la liberté est une grâce, elle n'est pas le fruit du désir et de la volonté, mais qu'à l'inverse cette grâce aiguise le désir et fortifie la volonté"(1)


Au delà de mes travaux sur le don de Dieu in l'Amphore et le Fleuve(2), percevoir la liberté comme une grâce divine a bien des atouts. Elle ouvre une piste pastorale au delà d'une morale excessive. 
Cela rejoint la tension kénotique exprimée dans ma courbe en V (Dieu se fait chair pour nous conduire à lui) (3). 

Au cœur de l'incarnation, contempler un Dieu qui s'agenouille pour nous emporter sur son chemin fait du  "Me voici" que l'on prononce à la suite de "l'où es-tu ?" (Gn 3) et du psaume 39 un acte libre. Choisir la vie. 
En suivant Duchesne, ce choix devient une grâce, c'est-à-dire que Dieu nous fait ce don, nous y conduit et nous y accompagne. A nous de nous laisser porter par ce fleuve...

(1) Jean Duchesne, Chrétiens, La Grâce d'être libre, Par delà les conformismes et les peurs, Paris, Artege, 2019, p. 9
(2) cf. mon livre éponyme
(3) cf. Au fil de Jn 18 et 19, homélie du vendredi Saint

17 avril 2019

Au fil de Jean 18-19 - Homélie du vendredi saint, La passion de notre seigneur selon saint Jean.

Cinquième ébauche...

Frères sœur entendons-nous le cri de Dieu vers l’homme ?
Entrons dans le silence. Entendons-nous son « J’ai soif »
Son « j’ai soif de toi », crié à l’humanité ?

Je vous propose de regarder d'abord un détail du texte lu ce soir avant de prendre un peu de recul.


Il y a entre les lignes, dans l'Évangile une triple affirmation de Jésus : « Je suis ». Il l'a redit trois fois dans le jardin ! Si vous ne l’avez pas entendu, prenez le temps ce soir de le relire.
Je suis… Comme nous l’expliquait Vital dernièrement, le « Moi Je suis » est l’affirmation propre de Dieu. On l’entend dans le récit du buisson ardent : Moi je Suis… (Ex 3). Le Christ nous révèle son Je suis, car il ne renie pas sa place. Si Dieu se tait sur la Croix c'est après avoir affirmé qu'il était Dieu. 
Face à ce "Je suis", devant qui tous tombent à terre, Pierre lance trois fois son « Je ne suis pas »… En grec, cela sonne très proche « ego eimi / ouk eimi » Je suis / Je ne suis pas…

Et nous, frère et sœurs… Qu'aurions nous répondu ? 
La question est difficile...  « Je suis avec toi ? Où, je ne suis pas… Il serait prétentieux d’affirmer que nous sommes plus forts que Pierre. Nous le savons, trop souvent nous fuyons.

Il nous faut maintenant prendre un peu de recul au delà de ce récit. 
S’il y a en effet un mouvement que cette triple affirmation et négation révèle et que l’on peut observer dans la nuit du vendredi Saint, c’est celui d'un grand V… Et je vous invite à le voir se dessiner dans votre cœur, en fermant les yeux...

Ce signe a commencé à être tracé par le Verbe de Dieu, dès le commencement du monde. C’est le signe de l’amour de Dieu qui sépare le ciel et la terre et nous donne déjà son amour par la finesse inouïe de sa Création.
C’est le signe donné à l’homme dans le jardin d’Eden, en plantant en son milieu un arbre fragile, que l’homme ne va pas voir…
Après ces merveilles qui font écho avec les dons que Dieu nous fait, résonne une question, qui amorce la descente de Dieu... Le mouvement du V se trace alors vers le bas. Alors qu'Adam cherche à monter, Dieu descend, se fait "plus bas"...

Où es-tu ? Demande Dieu à Adam… (cf. Gn 3, 9)
Cet où es-tu ? nous l’avons entendu tout au long de l'Évangile de Jean. Je vous l’ai déjà évoqué lors du récit de la Samaritaine, dans son « Donne moi à boire ». Il s’est entendu aussi, très discrètement hier dans le récit du lavement des pieds, quand Jésus se met à genoux devant l’homme et lui demande son amour.
Où es-tu homme ?

Le V trouve aujourd’hui son point bas, sur une Croix…
J’ai soif… (1) J'ai soif de toi...
Nous entrons maintenant dans le silence qui suit ce point bas… Dieu semble se taire...
Quand nous souffrons, nous avons du mal à l'entendre...
Et pourtant déjà Jean nous donne un signe que Dieu nous relève, dans ce cœur transpercé. Ce qui jaillit du coeur du Christ transpercé nous arrose de ses biens et nous introduit à la lumière éternelle de Dieu. Pour saint Jean en effet, l'eau et le sang, jaillissant du cœur du Christ est le signe d'un amour débordant, de ce grand fleuve que nous annonçait déjà Ezéchiel. 

Nous allons vite remonter vers l’autre face du V, vers la Résurrection. Mais ne remontons pas trop vite. Méditons d'abord ce V de Dieu vers l’homme, son agenouillement et son cri. « J’ai soif de toi ». A ce cri, dans le silence de la nuit répond le cri de l’homme souffrant. Jésus en allant jusqu’au bout de « Me voici » en répondant Oui à l’appel de Dieu dans le jardin, nous conduit jusqu’à l’heure où à notre tour nous ne répondrons plus, comme Pierre au jardin "je ne suis pas"… Disons dans notre cœur, devant un Dieu à genoux, ce « Me voici » qu’il attend depuis toute éternité. 

Le vendredi saint nous fait entrer dans le grand silence intérieur qui se poursuit jusqu'à Pâques. C’est d’abord le silence abasourdi de contempler ce qui a conduit l’homme Dieu à la Croix. Il peut ensuite devenir “silence habité de la Parole divine, laissant celle-ci agir et donner son fruit de louange et d‘action”(2).

Ce silence, nous le partageons avec tous les hommes. La grâce de Dieu qui nous habite nous permet peut-être de répondre à l’"où es-tu ?" Elle devient grâce de liberté(3), agir, réponse libre aux cris de l’homme. Écoutons ce soir, dans le silence, cet où es-tu de Dieu. C'est dans le silence que nous trouverons la force qui faisait défaut à Pierre. Nous avons reçu ce qu'il n'avait pas encore. Au fond de nous, la force de l'Esprit, au fond de notre cœur, nous appelle sans cesse à répondre, en toute liberté à l'appel. Alors, dans le silence, glissons un "Me voici, Seigneur"...

Écoutons sur ce point Edith Stein : "Auparavant, c'était le silence de la mort. À sa place succède un sentiment d'intime sécurité, de délivrance de tout ce qui est souci, obligation et responsabilité par rapport à l'agir. Et tandis que je m'abandonne à ce sentiment, voici qu'une vie nouvelle commence peu à peu à me combler et - sans aucune tension de ma volonté – à me pousser vers de nouvelles réalisations. Cet afflux vital semble venir d'une Activité et d'une Force qui n'est pas la mienne et qui, sans violence, devient active en moi" (4)

Ce détachement, ce décentrement est peut-être ce que Jean Duchesne décrit comme la grâce de la liberté. Il se nourrit de cette quête intérieure, est souffle au sein de la chambre haute, travail de l'Esprit, communion avec cette Activité et cette Force dont parle Edith Stein en utilisant des majuscules.

 Amen…

(2) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 267
(3) cf. Jean Duchesne, Chrétiens, la grâce d’être libres, Paris, Artege, p. 9
(4) Edith Stein, La causalité psychique, article de 1922, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 268

16 avril 2019

La chambre haute - Edith Stein

La chambre la plus intime de l'âme humaine 
Est le séjour favori de la Trinité
Son trône céleste sur la terre. (1)
"Le Seigneur est ma chambre haute" écrit Etty Hillesum sur une carte postale, alors que le convoi l'emmène vers l'extermination.
"Dieu est bien en nous, toute la Trinité sainte. Si nous apprenons seulement à construire à l'intérieur de nous, une cellule bien scellée et à nous y retirer aussi souvent que possible, rien ne peut nous manquer, en quelque endroit du monde que nous soyons." (2)
"Aucun de nous n'arrive jamais à pénétrer totalement dans son fond intime (...) la liberté de l'esprit est plénitude (3)

(1) Edith Stein, Je demeure parmi vous. Source. Œuvres spirituelles Ad solem- Cerf, 1998, p. 327-334. François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 259
(2) Ibid. lettre du 20/19/38
(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 261

Hommage à Notre Dame de Paris en feu - Les pierres crient

Quand le fouet a déchiré
L'homme-Dieu,
Quand on a frappé l'amour innocent,
On attendait ce jour-là
Que les pierres crient.


 Mais les pierres se sont tues,
La colère s'est perdue
Dans l'oubli.

Quand l'épine a couronné
L'homme-Dieu,
Quand on a montré l'amour enchaîné,
On attendait ce jour-là
Que les pierres crient.


 Mais les pierres se sont tues,
La colère s'est perdue
Dans l'oubli.

Quand on a cloué au bois
L'homme-Dieu,
Quand on a dressé l'amour sur la croix,
On attendait ce jour-là
Que s'ouvre le ciel.


 Le ciel n'a pas répondu,
La prière s'est perdue
Dans la nuit.
Quand on a percé au flanc
L'homme-Dieu,
Quand on a jeté l'amour
Au tombeau,
On attendait ce jour-là
Que s'ouvre le ciel.


 Le ciel n'a pas répondu,
La prière s'est perdue
Dans la nuit. (1)


Images (DR) CHD, Hymne, source AELF, Office des lectures du 16 avril

14 avril 2019

Homélie des Rameaux - Saint André de Crète

Gloire au Christ vainqueur de la mort. 
Venez, gravissons ensemble le mont des Oliviers ; allons à la rencontre du Christ. Il revient aujourd'hui de Béthanie et il s'avance de son plein gré vers sa sainte et bienheureuse passion, afin de mener à son terme le mystère de notre salut.
Il vient donc, en faisant route vers Jérusalem, lui qui est venu du ciel pour nous, alors que nous étions gisants au plus bas, afin de nous élever avec lui, comme l'explique l'Écriture, au-dessus de toutes les puissances et de toutes les forces qui nous dominent, quel que soit leur nom.
Mais il vient sans ostentation et sans faste. Car, dit le prophète, il ne protestera pas, il ne criera pas, on n'entendra pas sa voix. Il sera doux et humble, il fera modestement son entrée. ~
Alors, courons avec lui qui se hâte vers sa passion, imitons ceux qui allèrent au-devant de lui. Non pas pour répandre sur son chemin, comme ils l'ont fait, des rameaux d'olivier, des vêtements ou des palmes. C'est nous-mêmes qu'il faut abaisser devant lui, autant que nous le pouvons, l'humilité du cœur et la droiture de l'esprit afin d'accueillir le Verbe qui vient, afin que Dieu trouve place en nous, lui que rien ne peut contenir.
Car il se réjouit de s'être ainsi montré à nous dans toute sa douceur, lui qui est doux, lui qui monte au dessus du couchant, c'est-à-dire au-dessus de notre condition dégradée. Il est venu pour devenir notre compagnon, nous élever et nous ramener vers lui par la parole qui nous unit à Dieu.
Bien que, dans cette offrande de notre nature humaine, il soit monté au sommet des cieux, à l'orient, comme dit le psaume, j'estime qu'il l'a fait en vertu de la gloire et de la divinité qui lui appartiennent. En effet, il ne devait pas y renoncer, à cause de son amour pour l'humanité, afin d'élever la nature humaine au-dessus de la terre, de gloire en gloire, et de l'emporter avec lui dans les hauteurs.
C'est ainsi que nous préparerons le chemin au Christ : nous n'étendrons pas des vêtements ou des rameaux inanimés, des branches d'arbres qui vont bientôt se faner, et qui ne réjouissent le regard que peu de temps. Notre vêtement, c'est sa grâce, ou plutôt c'est lui tout entier que nous avons revêtu : Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ. C'est nous-mêmes que nous devons, en guise de vêtements, déployer sous ses pas.
Par notre péché, nous étions d'abord rouges comme la pourpre, mais le baptême de salut nous a nettoyés et nous sommes devenus ensuite blancs comme la laine. Au lieu de branches de palmier, il nous faut donc apporter les trophées de la victoire à celui qui a triomphé de la mort.
Nous aussi, en ce jour, disons avec les enfants, en agitant les rameaux qui symbolisent notre vie : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d'lsraël !
Saint André de Crète, Homélie pour le dimanche des Rameaux, source Bréviaire AELF

Au fil de Luc 22 et 23, dimanche des Rameaux, homélie 3

Troisième ébauche
Frères et sœurs, en ce jour des Rameaux se pose une grande question, comme le point ultime de notre vie : En quoi croyez-vous ? 
Qui est votre roi ? 
Est-ce un roi de toute puissance ou un roi de faiblesse ? 

Une tension apparaît en effet entre le roi acclamé pour les rameaux et ce Christ mort sur une croix. C’est dans l’intervalle entre notre rêve de royaume et de protection et cette faiblesse du Christ en croix que se situe le cœur de notre foi et qu’il nous faut méditer aujourd’hui. 

C'est une question essentielle et qui interpelle aujourd'hui jusqu'à l'essence même de notre Église. [sans plus de commentaire]

Si nous croyons en un roi tout-puissant, alors pourquoi le mal, pourquoi la liberté, pourquoi l'amour...

Méfions nous de nos désirs de puissance, nos projections. Si nous projetons nos désirs sur un Dieu tout puissant c'est que nous avons nous-mêmes un désir de puissance et de pouvoir. Le pouvoir, la toute puissance c'est ce qu'attendaient un peu cette foule qui acclame Jésus aux Rameaux. La protection d'un roi ?

Et nous qu'attendons nous de Dieu ?

Les textes que nous avons entendu, la première lecture, Isaïe 50 et les Philippiens nous aide à rentrer dans cette tension particulière. ces textes nous aide à contempler le Christ dans sa faiblesse, faiblesse qui n’est pas une lâcheté mais une humilité et une faiblesse au sens particulier que lui donne Paul (c’est quand je suis faible que je suis fort" (2 Co 12) et qui nous dévoile l’amour. 

L’amour de Dieu porté jusqu’au bout, jusqu’à son paroxysme. L’amour qui va jusqu’au silence, qui va jusque dans la bienveillance vis-à-vis de Judas, dans ce refus de la violence, un refus de sortir l’épée pour se laisser entraîner comme un agneau à l’abattoir, un silence qui n’a d’autres buts que de montrer l’échec de la violence, le non sens de mon désir de puissance.

La leçon des Rameaux, la leçon de Jésus c’est que ce Dieu tout puissant que nous vénérons n’est pas le vrai Dieu. C’est le Dieu de nos désirs et non le Dieu amour.

Pourquoi en effet Jésus monte-il sur un petit âne fragile et non sur un cheval ?

Pourquoi se laisse-t-il conduire « à l’abattoir ? »
Comme un agneau sans tâche au milieu des loups. Relisons ce que dit Isaïe 
« Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
    J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.. »

Pourquoi s’enfermer dans le silence devant ses accusateurs 
La clé de lecture des Rameaux se révèle dans l’hymne aux Philippiens, Prenez le temps de méditer cette lettre de Paul cette semaine. Elle est centrale pour comprendre la passivité de Jésus dans sa Passion. Son silence, sa douleur, son abandon de tout pouvoir fait de lui un véritable compagnon de nos souffrances.

« Le Christ Jésus,
    ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.
    Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
Reconnu homme à son aspect,
    il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort »

La toute puissance de Dieu n’est pas violence. Elle n’est pas un royaume au sens des hommes. Elle est faiblesse, humilité, kénose. Elle est amour.

« Ai-je autant aimé les anges ? Non, c'est toi, le misérable, que j'ai chéri. J'ai caché ma gloire et moi, le Riche, je me suis fait pauvre délibérément, car je t'aime beaucoup. Pour toi, j'ai souffert la faim, la soif, la fatigue. J'ai parcouru montagnes, ravins et vallons en te cherchant, brebis égarée ; j'ai pris le nom de l'agneau pour te ramener en t'attirant par ma voix de pasteur, et je veux donner ma vie pour toi, afin de t'arracher à la griffe du loup. Je supporte tout pour que tu cries : « Tu es béni, toi qui viens rappeler Adam ».(1)

Dieu n’est qu’amour nous disait le père Varillon (2)
Dieu n’est qu’amour... C’est en contemplant la Croix que se révèle en nous la clé de ce « que ». Et dans cette folie de l’amour divin se joue l’invitation fragile de Dieu à le suivre.

La puissance de Dieu est folie pour les hommes. Elle se contemple sur la croix. Pourquoi le rideau se déchire de haut en bas ? Parce que ce qui était caché aux juifs dans le temple est maintenant dévoilé : l’amour de Dieu est visible. Il est cloué sur la Croix. Il se donne aujourd’hui dans cette eucharistie que nous allons célébré : 
Soyons à notre tour, amour. Ne laissons pas le Christ mourir pour rien (3)

(1) Saint Romanos le Mélode, Hymne 32 (trad. SC 128, p. 31s, rev)
(2) François Varillon, Joie de croire, joie de vivre
(3) Sur ce thème voir mes développements en Sur les pas de Jean et Dieu n’est pas Violent.