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04 mai 2015

Beauté et sacrifice, Gerhard Nebel

Bal‎thasar nous conduit encore plus loin, au delà de Barth chez Gerhard Nebel sur les pas de ce qu'il qualifie une "esthétique théologique protestante" : "le beau aspire à rencontrer l'homme. L'esthétique devient le beau (...) dans l'acte par lequel le beau s'offre en sacrifice à lui-même et par là à un autre plus haut". (1)
La logique sacrificielle qui peut être conçue comme un retour au moralisme froid et sec de Luther, prend néanmoins chez Nebel une touche esthétique avec l'apport du concept du Beau. Est-ce un idéalisme ? ‎Probablement dans une logique purement humaine. Pas si l'on rejoint là ce que j'ai longuement décrit comme faisant partie de la danse trinitaire, c'est à dire si l'on contemple ce que Emmanuel Durand décrit comme le principe de la circumincession, de ce Fils qui dans l'amour répond au don que le Père a fait de lui-même par le don encore plus étonnant de sa vie même jusqu'au scandale de la croix. La beauté sort alors des canons humains pour approcher le beau véritable, celui du don.
Je pense alors à ce que nous fêtons cette année, ces vies consacrées au Seigneur et surtout à ce récit que je viens de terminer de la vie de Thérèse où cette belle et jolie jeune espagnole découvre que son bien aimé n'est pas le cousin qu'elle chérit mais celui qui a souffert par amour.
Que Nebel et Avila se rejoignent n'est autre que la confirmation que nous nous situons bien au coeur de la Tradition patristique et chrétienne, que les accents d'Augustin sur la beauté cachée ne sont pas étrangers à cette quête de la véritable beauté. 
Il n'y a pas là l'ombre d'un masochisme sacrificiel. Thérèse le combattait assez pour qu'on puisse l'affirmer. Cette beauté du don est celle qui dépasse tout, embrasse l'homme dans une danse où en se perdant il rejoint le chant du monde, le bruit silencieux de Dieu, la danse des anges.
On peut alors comprendre que Thérèse trouve dans son expérience de "participation à la douleur du Christ" un ravissement à la fois douloureux et joyeux" (2), car il ne s'agit plus d'une joie personnelle, mais bien d'une véritable communion au mystère.

En fait, ce que Nebel ouvre dans sa méditation n'est pas la contemplation du beau comme tel, mais bien le paradoxe que nous avons tenté d'approcher dans "Où es-tu ?", celui du "plus que le beau" (3)‎ qu'est le don. Le don dépasse l'esthétisme, sans toutefois le renier et nous conduit ailleurs, dans la contemplation de l'unique Médiateur. Un chemin qui me conduit à une nouvelle contemplation : au désert (4), où il me semble nécessaire de passer pour dépasser les illusions du seul beau.
Un détour, une frustration‎ nécessaire, qui rendra perceptible l'illusion de cette part du beau qui ne vient pas de Dieu.
Qu'est-ce ? ‎Où est la limite ? Le ravissement de la mondanité nous cache l'envers du décor.
Nebel le nomme "daimon du beau" (5), le beau pour soi, celui ‎qui n'est pas tourné vers l'autre mais vers soi, narcissisme stérile qui conduisait le peuple juif a rejeter l'image. Comprendre cela c'est percevoir à la suite de Nebel et Hamann  que le "festival de la beauté ne nous mène qu'au seuil" (6), qu'il doit "s'éteindre pour que l'inouï puisse se produire"(7) : "mourir et ressusciter avec le Christ" (8).
Nebel conclut étonnamment sa contemplation par une phrase qui rejoint ma quête : "celui qui veut glorifier le Crucifié en est réduit [à défaut des styles passés et révolus] à celui du désert. L'art de révélation ne peut pas plus être restauré que l'Empire ou une cathédrale détruite" (9)

(1) Gerhard Nebel, Das Ereignis des Schoenberg, Klein, 1955, p. 19 cité par Hans Urs von Balthasar GC I, op. Cit. p. 49
(2) livre de vie, chap. 20 et 21, op. Cit.
(3) Nebel, ibid. p. 85, GC1, p. 50
(4) Le chemin du désert. A paraître.
(5) ‎Nebel, p. 148
(6) p. 195
(7) Hans Urs von Balthasar, ibid. p. 54
(8) Nebel, ibid.
‎(9) ibid. p. 195-196