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19 juin 2020

La revanche de Dieu - 2 - saint Bonaventure

En guise de corrigé sur mon homélie de dimanche

« Considère attentivement, toi qui as été racheté, quel est celui qui, pour toi, est suspendu à la Croix, quelle est sa grandeur, quelle est sa sainteté, lui dont la mort rend la vie à ceux qui sont morts, lui dont le trépas met en deuil le ciel et la terre, et fait se briser les pierres les plus dures.

Pour que, du côté du Christ endormi sur la Croix, surgisse l'Église, et pour que soit accomplie la parole de l'Écriture : Ils contempleront celui qu'ils ont transpercé, la sagesse divine a bien voulu que la lance d'un soldat ouvre et transperce ce côté. Il en sortit du sang et de l'eau, et c'était le prix de notre salut qui s'écoulait ainsi. Jailli de sa source, c'est-à-dire du plus profond du cœur du Christ, il donne aux sacrements de l'Église le pouvoir de conférer la vie de la grâce et, à ceux qui ont déjà en eux la vie du Christ, il donne à boire de cette eau vive qui jaillit jusque dans la vie éternelle.

Debout ! toi qui es aimé du Christ, sois donc comme la colombe qui fait son nid sur le bord de l'abîme. Et là, comme l'oiseau qui a trouvé un nid, ne te relâche pas de ta vigilance ; là, comme la tourterelle, viens cacher les enfants de ton amour chaste, et de cette plaie approche tes lèvres pour puiser de l'eau à la source du Sauveur. C'est là qu'on trouve la source qui jaillissait au milieu du Paradis et qui, se partageant en quatre bras puis répandue dans les cœurs aimants, arrose et féconde la terre tout entière.

À cette source de vie et de lumière, accours donc, animé d'un brûlant désir, qui que tu sois, toi qui es donné à Dieu, et de toute ta force, du plus profond de ton cœur, crie vers lui : Ô beauté ineffable du Dieu très-haut, éclat très pur de l'éternelle lumière, vie qui communique la vie à tous les vivants, lumière qui donne son éclat à toute lumière, toi qui conserves dans leur immuable splendeur et leur diversité les astres qui brillent, depuis la première aurore, devant le trône de ta divinité !

Ô jaillissement éternel et inaccessible, plein de lumière et de douceur, de cette source cachée à tous les regards humains ! profondeur sans fond, hauteur sans limite, grandeur incommensurable et pureté inviolable !

C'est de toi que coule ce fleuve qui réjouit la cité de Dieu et c'est grâce à toi qu'aux accents des acclamations et des actions de grâce, nous pouvons te chanter le cantique de louange, car nous pouvons témoigner, par expérience, qu'en toi est la source de la vie, et que par ta lumière, nous verrons la lumière.(1)


J'ai vu la source
devenir un fleuve immense, alléluia !
Les fils de Dieu rassemblés
chantaient leur joie d'être sauvés, alléluia !

℟Alléluia, alléluia, alléluia.

(1) saint Bonaventure, l'arbre de vie, source office des lectures, AELF - fête du sacré cœur

11 janvier 2019

Au fil de Luc 5, 12-14 - le lépreux

"Jésus était dans une ville quand survint un homme couvert de lèpre ;
voyant Jésus, il tomba face contre terre et le supplia :
« Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. »
Jésus étendit la main et le toucha en disant :
« Je le veux, sois purifié. »
À l'instant même, la lèpre le quitta."

Quelle est notre lèpre ? Sommes-nous aujourd'hui capable de tomber face contre terre et de demander le pardon de Dieu ?

Ce mouvement intérieur d'introspection n'est pas inutile. Il nous fait prendre conscience de toutes nos addictions, nos paresses, nos adhérences au monde. 

Comme le psalmiste nous pourrions dire : “oui mes péchés me submergent, leur poids trop pesant m’ecrase. Mes plaies sont puanteur et pourriture, c’est la le prix de ma folie. Plus rien n’est sain dans ma chair (Ps 37, 5-8)

Nous sommes loin du Christ qui reste en permanence tourné vers le Père. Et pourtant c'est dans ce lien spirituel au Père qu'il se penche vers nous, s'agenouille probablement pour nous toucher, malgré nos infirmités. 

La première lecture (1 Jn 5) parle d'Esprit, d'eau et de sang. Qu'est-ce à dire ? Le don de Dieu, c'est d'abord l'Esprit, ce qui au fond de notre coeur vient nous tourner vers le Père et nous aide à crier Abba (ou vers le Christ en disant « Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. »

C'est en ensuite l'eau vive, cette eau qui coule du coeur transpercé et qui nous inonde de consolation et de vie, nous purifie et nous relève comme Naaman au Jourdain. L’eau du Jourdain celle la même où Il s’est plongé pour nous inviter à faire de même...

C'est ensuite le sang, celui versé pour nous et devant qui notre coeur fond et devient sans repos. 
Le sang, c'est en effet cette conversion du coeur qui nous fait aller plus loin. 
Écoutons sur ce point Bonaventure : 
« Un jour que François priait dans la solitude et que, emporté par sa ferveur, il était tout absorbé en Dieu, le Christ en croix lui est apparu. À cette vue, « son âme s'est fondue » (Ct 5,6) et le souvenir de la Passion du Christ l'a percé si profondément qu'à partir de ce moment il pouvait difficilement se retenir de pleurer et de soupirer lorsqu'il venait à penser au Crucifié ; lui-même en a fait un jour l'aveu peu de temps avant sa mort. Et voilà comment il a compris que c'était à lui que s'adressait la parole de l'Évangile : « Si tu veux venir après moi, renonce à toi-même, prends ta croix et suis-moi » (Mt 16,24).
Il s'est abandonné dès lors à l'esprit de pauvreté, au goût de l'humilité et aux élans d'une piété profonde. Alors que jadis non seulement la compagnie, mais la vue d'un lépreux, même de loin, le secouait d'horreur, il se mettait dorénavant, avec une parfaite insouciance pour lui-même, à leur rendre tous les services possibles, toujours humble et très humain, à cause du Christ crucifié qui, selon la parole du prophète, a été considéré et « méprisé comme un lépreux » (Is 53,3).(1)

(1) Saint Bonaventure, Vie de Saint François, Legenda major, ch. 1 (trad. cf. Vorreux, Éds franciscaines 1951, p. 572), source Évangile au quotidien 


24 octobre 2018

Au fil de luc 12 - Paix et division - Homélie du 25/10/18

Les textes d’aujourd’hui ne sont pas simples. Il y a une apparente contradiction entre ces deux lectures. D’un côté nous avons l’Épître aux Éphésiens qui déjà, comme nous l’avons entendu mardi, dans le chapitre 2, nous annonçait «La bonne nouvelle de la paix » (Éphésiens‬ ‭2:17‬) ‭et qui nous invite aujourd’hui à une des plus belles contemplations de l’amour de Dieu en Christ. De l’autre, nous avons Jésus qui nous parle de division. Il y a là ce qui s’appelle une tension. Un terme qui en théologie est toujours constructif. Prenons le temps de contempler d’abord la première lecture avant de saisir l’enjeu de cette tension apparente.

Goûtons d'abord aux métaphores vives : « Restez enracinés dans l'amour, établis dans l'amour. Alors vous serez comblés jusqu’à entrer dans toute la plénitude de Dieu »

L’auteur nous appelle même à  « tomber à genoux devant le Père » (...) à contempler le don que Dieu nous fait et surtout à  saisir l’immensité de ce don (...) « la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… ».

Quand on se tourne en arrière et contemple le don de Dieu, il y a bien, en effet, de quoi tomber à genoux. C’est peut-être la première étape. La contemplation...
Bonaventure avait sur ce point une image très belle : nous sommes comme un homme à genoux dans le fleuve de l’amour et muni d’une petite amphore. Un récipient qui reste bien menu par rapport « au don de Dieu ». Quel est ce don ? C’est « l’amour du Christ » nous précise l’auteur. Un amour sans limite.

« Toute la terre, Seigneur, est remplie de ton amour. (cf. Ps 32, 5b) avons nous répété dans l’antienne du psaume.

Mais voilà que saint Luc nous parle de division. Que veut-il nous dire ? Un premier indice est qu’il évoque le feu. Qu’est-ce que le feu ?
Dès les premiers livres du premier testament, comme en Exode 3, dans le récit du buisson ardent, le feu est marqué comme signe de Dieu. Il est d’origine divine. Et Moïse entends le même appel que celui de la première lecture. Enlève tes sandales. Contemple le feu. C’est une première piste. Il est intéressant de noter à ce stade que pour certains commentateurs de cet épisode du buisson ardent (1) le feu est déjà une évocation de la Croix.
Quand Jésus dit à ses disciples :  « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » il parle clairement de sa Croix. Et c’est bien cela que nous devons contempler dans la foulée de notre première lecture (Éphésiens 3).
Prenons le temps d’en voir la hauteur, la profondeur. La Croix est l’amour jusqu’au bout. Il ne fait plus de concessions. Le choix de l’amour est sans retour. Et c’est là où Jésus nous interpelle.
Aimons nous au point de lui préférer nos attaches humaines ?
Sommes-nous prêts à tout abandonner pour le suivre ?

Une première piste de lecture est de mettre l'affirmation de Luc au contexte de l’époque. On se situe en 80. Dans le contexte historique d’une scission entre juifs et chrétien, la division devait être à son comble : «  cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fil et le fils contre le père. » (2).  Luc décrit probablement une réalité de son temps, mais aussi celle des temps derniers.

Mais peut-on s'arrêter là ?
Que dire aujourd’hui ? Ne sommes nous pas aussi divisés ?
On peut avoir trois autres lectures. La première est d’ordre morale.
Si nous restons tranquilles dans nos habitudes, dans le confort d’une foi personnelle, nous pouvons éteindre le feu de l’amour.
S’il brûle en nous, il nous faut affronter le monde, y compris nos plus proches pour mettre Dieu au centre, pour mettre l’amour au centre. Et c’est peut-être là que Dieu nous attend. Si l’on sort le feu de Dieu du boisseau où nous le cachons trop souvent, il doit nous embraser… Mais le danger est de sombrer dans la morale, d’être source de division. Ce n’est pas le chemin de la Croix.

La dernière lecture est plus intérieure. Elle est liée. C’est celle du combat spirituel. Le feu va être alors le moyen de purifier ce qui, en nous, reste divisé.
Au bout du chemin, nous le sentons, l’enjeu est de ne pas fuire dans la contemplation. Il est plutôt de se laisser mouvoir par l’amour. Les deux textes sont là pour nous inviter à avancer, même s’il faut pour cela déranger nos proches, aller à l’essentiel, quitter notre confort, cesser d’être immobiles.

La troisième piste de lecture est probablement la plus intéressante. Elle est cursive. C’est à dire qu’elle reprend la direction donnée par Luc dans son Evangile.

« Soyez sans crainte », Lc 12, 7 disait déjà Luc au début du chapitre. C’est nos paralysies qui freinent sans cesse la diffusion de la bonne nouvelle. Nul n’échappe à ces enfermements intérieurs, à cette peur du jugement des autres et des divisions qu’il génère. Seigneur donne nous ton Esprit. Allume en nous le feu. À l’image de celui qui a saisi les apôtres, du feu qui les a fait sortir de leur tanière et proclamez la bonne nouvelle.

Le feu qui brûle en nous est celui du buisson ardent. Il ne nous détruit pas. Il nous conduit à genoux devant la Croix. Il est amour. En étant amour, nous entrons dans les pas de Dieu. La tension du départ prend sens. Nous sommes porteurs de la bonne nouvelle de la Paix. Les divisions viennent de ceux qui ne reconnaissent pas la Croix. Notre feu c’est l’amour.
« Sois sans crainte » glissait déjà l'ange à Marie, selon les premiers versets de Luc, [qu'il dit aussi à Zacharie et aux anges](1). « L'esprit te couvrira de son ombre » (...) et si « un glaive te transperce » (Lc 1, 35) et te divise jusqu'aux « jointures de l'âme » (Heb 4, 12), Dieu sera avec toi. 

Le feu trinitaire est dans La Croix. Il est plus que le feu des prêtres de l'ancienne Alliance (cf. notamment 1R18). Il est plus que la Croix. Il en est le fruit. Il est don de Dieu, c'est l'Esprit de Dieu lui même qui vient nous visiter. C'est l'Esprit de Paix, la bonne nouvelle de la Paix dont parle Éphésiens 2.
La tension prend sens...


  1. Cf. Benoit XVI, in  Jésus de Nazareth
  2. Eph 3 et Luc 11, source Textes liturgiques AELF

11 octobre 2018

Au fil de Luc 11,5-13 - Les trois pains

Une lecture spirituelle du texte nous est donnée par Saint Bonaventure. Elle nous conduit très loin dans la contemplation : « Si l'un d'entre vous ayant un ami s'en va le trouver au milieu de la nuit pour lui dire : "Mon ami, prête-moi trois pains, car l'un de mes amis est arrivé de voyage et je n'ai rien à lui offrir" » : Selon l'intelligence spirituelle, par cet ami, on entend le Christ. « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis » (Cf. Jn 15, 15). Il faut aller vers cet ami, de nuit, c'est-à-dire dans le silence de la nuit, comme vint Nicodème au sujet duquel il est dit « qu'il vint trouver Jésus de nuit » (Cf. Jn 3,2). Et en premier lieu parce que dans le silence secret de la nuit, il faut frapper par la prière, selon Isaïe : « La nuit, mon âme te désire » (Is 26,9). Ou bien dans la nuit, c'est-à-dire dans la tribulation, selon Osée : « Dans leurs tribulations, ils se lèveront dès le matin » (Os 5,15 Septante).
En effet, l'ami qui arrive de voyage, c'est notre esprit qui revient à nous aussi souvent qu'il s'est éloigné par les biens temporels. Le plaisir fait s'éloigner cet ami, mais la tribulation le ramène, comme il est dit plus loin, en Luc , au sujet du fils prodigue qui s'est éloigné à cause de la luxure et qui est revenu à cause de la misère (Cf Lc 15,11-32). Celui qui revient rentre en lui-même, mais il se trouve vide de la consolation des nourritures spirituelles.
Pour cet ami affamé, il faut donc demander à l'ami véritable trois pains, c'est-à-dire l'intelligence de la Trinité, soit le nom des trois personnes, afin qu'il trouve sa nourriture dans la connaissance du Dieu unique. Ou bien ces trois pains sont la foi, l'espérance et la charité, par lesquelles est nommée une triple vertu dans l'âme. À leur sujet, au livre des Rois, [on lit] : « Quand tu arriveras au chêne de Tabor, tu y rencontreras trois hommes montant vers Dieu à Béthel, l'un portant trois chevreaux, l'autre trois miches de pain et le dernier portant une outre de vin » (1R 10,3 Septante =1S 10,3), afin qu'en cela soient comprises l'unité de la grâce et la trinité des vertus par lesquelles l'image de Dieu est formée dans l'âme. »(1)

(1) Saint Bonaventure, Commentaire de l'Évangile selon S. Luc, (trad. André Ménard, Études Franciscaines 2008, p.44, rev.), source Evangile au quotidien