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03 juillet 2022

Le don, la danse ou le troc 2.69

 

« Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Marc 14, 22-24


Méditation 

Est-ce que nos rites sont aussi gratuits que les dons de Dieu ? Quel est le sens et le sommet de nos eucharisties ? A l’aube de la belle parabole du bon samaritain que nous allons entendre dimanche, il nous faut peut-être nous laisser interpeler par cette question qui interpelle nos rapports avec Dieu.

Pourquoi agissons nous ?

Que visons nous dans nos rites.




Même s’il force volontairement le trait, je crois que ce que Martin Pochon évoque dans son analyse déjà cité (1) interroge le fondement même de nos dynamiques sacramentelles.

Le sacrifice est-il un troc avec Dieu ? 

Je te donne pour que tu me donnes ? 

Ou est-il une véritable action de grâce, un don gratuit à l’image du grand Donateur qu’évoque Jean Luc Marion dans Étant donné…(2) ou D’ailleurs la Révélation (3) un don qui nous conduit au don…


La liturgie du mariage, dans sa troisième formule insiste sur le recevoir avant le don…

« Je te reçois et je me donne à toi. » 

L’ordre est important car il entre en contemplation du don…

Ce matin l’office des lectures en rappelant ce vieux texte de la Didaché souligne l’importance de l’action de grâce : « Voici comment vous rendrez grâce. D'abord sur la coupe : « Nous te rendons grâce, notre Père, pour la sainte vigne de David ton serviteur, que tu nous as fait découvrir par Jésus, ton serviteur; à toi la gloire pour les siècles. »Puis, sur le pain rompu : « Nous te rendons grâce, notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as fait découvrir par Jésus, ton serviteur; à toi la gloire pour les siècles. Comme ce pain rompu, qui était dispersé sur les montagnes et les collines, a été rassemblé pour ne plus faire qu'un, ainsi que ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton Royaume. Car c'est à toi qu'appartiennent la gloire et la puissance, par Jésus Christ, pour les siècles. »(...)« Nous te rendons grâce, Père saint, pour ton saint Nom que tu as fait habiter dans nos cœurs, pour la connaissance, la foi et l'immortalité que tu nous as fait connaître par Jésus, ton serviteur ; à toi la gloire pour les siècles. » C'est toi, Maître tout-puissant, qui as créé l'univers pour la gloire de ton Nom, qui as donné aux hommes nourriture et boisson pour qu'ils en jouissent, afin qu'ils te rendent grâce. Mais nous, tu nous as gratifiés d'une nourriture et d'une boisson spirituelles et de la vie éternelle, par ton Serviteur. Avant tout, nous te rendons grâce parce que tu es puissant ; à toi la gloire pour les siècles. Souviens-toi. Seigneur, de ton Église, pour la préserver de tout mal et la rendre parfaite dans ton amour. Et rassemble-la des quatre coins du monde dans ton Royaume que tu lui as préparé, cette Église que tu as sanctifiée. Car c'est à toi qu'appartiennent la puissance et la gloire pour les siècles. Que la grâce vienne, et que ce monde passe ! » (1)


Pochon insiste sur cette action de grâce dans la Didaché en soulignant qu’elle prime à la notion sacrificielle trop mise en valeur dans les (nouvelles) formules du rituel qui pourrait à l’inverse conduire à cette mésinterprétation déjà évoquée dans mes billets précédents….


Mettre l’action de grâce d’abord, c’est entrer dans la contemplation d’un Dieu qui s’abaisse jusqu’à se donner totalement et nous invite à entrer dans la danse du don…


Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. » Marc 14, 22-24


1) Martin Pochon, L’épître aux Hébreux au regard des Evangiles, (Lectio divina), Paris, Éditions du Cerf, 2020.

(2) Jean Luc Marion, Étant donné? Essai d'une phénoménologie de la donation? Collection:  Quadrige

2013

(3) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020

(4) Didaché, source office des lectures du 6/7/22

18 décembre 2021

Image, ressemblance et danse - 2.17.6

Sommes nous créés, comme le suggère Gn 1 à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Lui dont on ne peut représenter l’infinie tendresse. 

La question que me pose Marie Josèphe en commentaire du point 17.5 est à cet égard intéressante.

En quoi pouvons-nous même prétendre être image de Dieu, lui l’insaisissable ?

Je développe ici ma réponse qui ne peut être que vectorielle, puisque notre image est bien mouvante. Notre apparence extérieure, notre « visage » est bien éphémère. Ce qui compte est plutôt vers quoi nous allons, la dynamique, la direction.

En Gn 1, 26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »

Mais au verset 27 « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » il n’est plus fait mention de ressemblance.

Cela  interroge d’ailleurs certains commentateurs. Pourquoi la ressemblance évoquée au verset 26 n’est pas reprise dans l’acte créateur du verset 27. 

Est-ce pour souligner la distance entre le rêve de Dieu : nous créer à « l’image et la ressemblance » et ce que nous sommes : une bien pâle et fragile image du divin, quand nous ne devenons pas, aussi, il faut le reconnaître, un repoussoir, ou un cauchemar de Dieu, en dépit de ses rêves d’alliance.

Est-ce dans sa capacité de relation entre un homme et une femme que se révèle quelque chose de la Danse trinitaire ? Ce thème est vaste (*).

De quoi parle-t-on ? 

Augustin déjà parlait de trois degrés : la trace, l’image et la ressemblance. La fleur est trace de Dieu, l’homme peut être à l’image, mais seul le Christ atteint, pour lui, la ressemblance véritable. 


Pour saint Bonaventure, nous rappelle longuement Hans Urs von Balthasar(1)  il y a plutôt six degrés : chacun des trois degrés est :

- soit un renvoi, 

- soit une représentation. 

Quand on est image de Dieu, c’est soit « comme un miroir, soit comme un réceptacle, signe immanent de l'inhabitation de Dieu »

Que veut-il dire ?

Un miroir n’ajoute rien…

Une représentation pourrait être comme un arbre qui gémit, tressaille, se transforme et sème peut-être quelques fruits ?

Passer du renvoi à la représentation, c'est finalement déchiffrer combien l'être créé qui renvoie vers Dieu est habité par Dieu et ce travail de déchiffrage est un chemin qui invite à s’interroger sur sa propre ressemblance avec Dieu, qui ne sera totale qu'en Christ. En déchiffrant les traces et notre capacité à être image, nous tendons vers la ressemblance. Et ce chemin nous fait rejoindre notre destinée, ce pourquoi nous avons été créés : « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26), un état que nous ne retrouverons qu’à la fin.


Le rêve de Dieu du verset 26 n’est pas encore réalisé, sauf en Christ qui seul déchire le voile de l’insaisissable. Et notre chemin se trace alors.


On saisit mieux ces propos de Paul que je cite (trop ?) souvent : 

« À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des [skubala = déchets / ordures], afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (Ph 3, 8-15)


Jean-Luc Marion revient à propos de Ph 3, 8, (p. 544) sur cette notion originale de déchet/ordure décrit par Paul, qui faisant suite à ses propos sur l’humilité de Dieu (Ph 2/kénose) ajoute une couche au nécessaire renoncement de l’homme à sa capacité à être « ressemblance » de Dieu. Comme il l’explique mieux que moi, l’important ce n’est pas ce que j’ai tenté de faire seul, mais se laisser saisir par Lui et tâcher de le saisir, c’est-à-dire se laisser transformer par l’Esprit. 

Seul le don de l’Esprit fait briller en l’homme des éclats de la lumière divine, comme nous le dévoile l’ange chez la jeune fille de Galilée…

Pour cela il faut un renoncement à notre propre image, être dé-figuré pour laisser passer la lumière. 

Ignace d’Antioche dirait « devenir farine » ou « froment de Dieu »(2), moulu par Dieu pour laisser/abandonner ce qui nous encombre et entrer dans sa danse…


« Je suis ce que je suis [uniquement] par la grâce de Dieu »(1 Co 15,10) (...) qu’as tu que tu n’aies reçu (1 Co 4,7).(3)


Nous ne valons que si Dieu nous donne d’être. Ce qui fait de nous des images vient de notre capacité d’inhabiter la grâce divine (au sens Rahnérien- 4), en faisant fructifier les semences reçues de Dieu, sans perdre de vue qu’elles sont théologales, c’est-à-dire qu’elles ne viennent pas de nous, mais d’Ailleurs, qu’elles sont dons divins.

Et peut-être est-ce là le chemin de l’Esprit en nous, cette « économie » intérieure qui nous fait entrer discrètement dans la danse trinitaire.

Nous dessaisir de toutes volontés d’être « image » pour entrer dans le feu ardent d’un amour qui nous embrase et nous rend participant de la lumière divine. 


Comme le note François Cassingena-Trévedy  : A Mambré « Abraham est au plus haut du jour et pour se rafraîchir il invite le Feu ! Le Feu qui va (...) les trois Flammes qui (...) dansent autour de l’arbre »… tout un programme !


Une méditation de l’agenouillement d’Abraham, premier lavement des pieds de la Bible peut conduire à méditer, d’agenouillements en agenouillements, la Révélation de Dieu à genoux devant l’homme, le Christ qui dévoile Dieu de Jn 13 à Jn 21. (6).


(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la Croix, Styles, tome 2

(2) Ignace d’Antioche, lettre aux Romains, 4, 1

(3) cité par Jean Luc Marion, D’Ailleurs la Révélation, Grasset p. 546

(4) Karl Rahner, cf. TFF.

(5) Étincelles 3 p. 157

(6) cf. mon « Dieu dépouillé » https://www.fnac.com/livre-numerique/a14771999/Claude-J-Heriard-Dieu-depouille#FORMAT=ebook%20(ePub)


(*) voir sur ce point mon essai « Aimer pour la vie »

14 décembre 2021

L’Esprit comme don - 2-18

Nous approchons de la conclusion. Et comme esquissé plus bas, la place de l’Esprit se précise comme le travail intérieur et mystérieux qu’il est.

Est-il visible, saisissable cet Esprit qui souffle où il veut ?

Marion nous guide vers un sujet sur lequel il excelle, cette notion du divin comme « grand donateur qui s’efface ». Dans le jeu trinitaire, l’Esprit ne déroge pas à ce concept d’effacement (kénose), au même type d’invisibilité puisqu’il est don, gratuit, icône mêlée et danse d’un don de ce grand Donateur qui disparaît en se dévoilant, à la fois « don du donateur (Le Fils) et le donateur du don (le Père) » (1) qui dans leur communion invisible se donne puis s’efface dans cette triple kénose qu’évoque Hans Urs von Balthasar. 


Danse…


La Trinité nous est finalement invisible parce qu’elle demeure insaisissable étant par essence un don gratuit, qui s’efface totalement après avoir tout donné (comme le Christ après sa mort dans la discrétion d’une résurrection non tangible sans le regard de la foi et le prisme de l’Esprit, cf. 17.5) de peur de devenir une dette qui forcerait notre liberté.


Ici la théologie pratique du baptême peut trouver une piste de méditation de même que les concepts de vertus théologales (cf. 1 cor 13) qui sont les fruits visibles de ces dons gracieux. En donnant à l’homme, foi, espérance et charité, Dieu se donne et se retire tout en invitant, dans le bruit d’un fin silence à danser de ces dons.


Flamme fragile que cet Esprit qui vient et s’enfouit dans le silence intérieur pour germer dans le désert de nos terres desséchées et répandre en nos cœurs des fruits surprenants qui se distinguent de nos habitus.

Comme cet Esprit qui pousse Jésus au désert pour affiner l’homme et le rendre capable d’attendre sa mission de Fils, laissons nous interpeller d’Ailleurs, pour qu’agisse en nos cœurs ce don gratuit et discret que Dieu nous fait…


Je ne me lasse pas, en pastorale du mariage de faire découvrir cette humilité du père qui accepte le départ du fils prodigue (Luc 15) et guette de loin son retour pour courir à sa rencontre. N’est-ce pas l’écho subtile de cet « où es-tu ? » lancé à l’homme dans le premier jardin…


Seul l’Esprit est don fragile qui distille en nous, par le biais du Verbe, le chemin discret de Dieu dans nos déserts. 


Il « donne le premier don, donne en premier (...) dans le secret (...) on ne sait ni ne voit comment on reçoit ce qui se donne »(2), mais on entre dans la danse… 


Cette danse passe par cette découverte toute intérieure, cette contemplation, de l’immensité du don reçu, comme ce fiancé qui s’extasie devant celle qu’il reçoit avant d’entrer à son tour dans le don [je te reçois et me donne à toi]… Contemplation du don immense quel Dieu nous fait, de son pardon et de la communion (danse) à laquelle se destine toute l’économie trinitaire…(3)


Tourbillon…

Kénose…(4)

Danse.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, ibid. p. 503sq

(2) p. 512

(3) sacrifice, pardon et communion, ibid. p. 527-28

(4) p. 529

13 décembre 2021

Danse Trinitaire 17.5

Je crois que Marion mérite à ce stade d’être cité dans le texte. Comment l’Esprit agit-il dans la Révélation ? Comment ouvre-t-il nos coeurs comme celui du Centurion en Mc 15,39 ? Une question qui a fait couler beaucoup d’encre chez les Pères de l’Église. 

Pour Marion, et pour tenter de le dire simplement, seul un regard travaillé par l’Esprit peut approcher l’insaisissable de Dieu en descellant derrière le visage du Christ ce qu’il révèle de l’amour du Père. 

Ce que Jean Luc Marion appelle « Anamorphose »(*) mérite-t-il un détour ? Essayons d’écouter sa manière de le dire… L’anamorphose est pour lui « le dispositif où le regard de l’homme se placerait dans le site exacte qu’exige pour se faire reconnaître en pleine manifestation, l’icône elle-même ; il faudrait se placer dans l’axe du regard iconique, qui soudain et d’un coup, jaillit de la face du Christ enfin appréhendée comme Fils, donc comme manifestation du Père. Placer le regard d’un homme en ce point d’anamorphose, seul l’Esprit le peu : il « guide » et « oriente », « conduit » et place le regard humain à l’endroit précis où (comme une image en deux dimensions, qui, placée sous un angle précis du regard avec la lumière réverbérée, soudain surgit en trois dimensions) sa « puissance optique » et « illuminatrice » « met en icône » une fois pour toute le visage visible et y fait éclater, en profondeur « la vision plus belle que l’Archétype ». L’Esprit Saint met en scène, met en vue, bref dé-couvre et fait jaillir la gloire du Père dans la gloire paternelle du Fils ». (1)


Il faut avoir lu peut être son « idole et la distance » pour percevoir à quoi il parvient à ce stade.


Cela évoque surtout pour moi ce que rappelle Hans Urs von Balthasar de Bonaventure dans sa quête sur l’image et la ressemblance.(2)


Course infinie qui nous prépare à découvrir l’insaisissable. Course que l’on retrouve, au delà du quiproquo d’Exode 33 en Exode 34 où le regard de Moïse s’éclaire dans l’axe qui ira de Noël, au baptême, à la Transfiguration jusqu’à la Croix et le cri déjà évoqué du Centurion…


PS [ajout v2] : Au risque de perdre le lecteur, je dois dire qu’il est frustrant de citer un passage, même si celui ci est magnifique, quand on déchiffre doucement un livre plein de mots difficiles, car on prend le risque de perdre ceux qui n’ont pas lu l’ensemble. Faut-il taire ce que l’on découvre ou simplement inviter le lecteur à se plonger dans un livre si difficile ? Pour moi après 3 mois de lecture poussive faute de temps, je crois que progressivement la lumière vient. Ce passage, je cherchais déjà à l’expliquer dans mon billet 17.4, mais en le relisant j’ai trouvé qu’il parlait de lui même à condition de comprendre ce terme difficile d’anamorphose (dont le sens courant est une « déformation de l’image ») mais qui chez Marion va un pas plus loin. Je crois, même si j’ai encore du mal à tout saisir, qu’il s’agit d’une sorte d’illumination intérieure qui conduit à la conversion du cœur quand Dieu nous vient vraiment d’Ailleurs…

N’est ce pas cela la conversion ou metanoia - inaccessible lumière d’un Dieu qui vient en s’incarnant nous visiter…

A ceux qu’il guérit il demande de se taire. Pourquoi si ce n’est pour que le voile termine son œuvre et en se déchirant révèle sur la Croix et dans la résurrection ce que nous ne pouvions percevoir sans cette « anamorphose » du regard… ?

Pour Marion tout de la Trinité est invisible et c’est l’Esprit qui vient à notre aide et aligne la lumière pour dévoiler le mystère… en dévoilant dans le Fils incarné la lumière cachée.

« L’Esprit ne se voit pas, parce qu’il fait voir » ajoute-t-il p. 490, dans une phrase qui résume bien cette danse trinitaire que je cherche à thématiser ici.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation p. 489

(2) La gloire et La Croix, tome 2, autour des pages 249sq

09 décembre 2021

Danse trinitaire 17.4 - semences

Quelle est cette quête de l’homme qui le pousse à chercher la lumière ?

Quelle est la source de ce désir qui nous conduit à Dieu, ci ce n’est cette graine enfouie au plus profond de nous ?

« Ils se réveilleront, crieront de joie, ceux qui demeurent dans la poussière, car ta rosée, Seigneur, est rosée de lumière, et le pays des ombres redonnera la vie. » (Isaïe 26, 19)

N’est-ce pas cette part silencieuse et secrète que l’on nomme Esprit, don de Dieu, depuis toute éternité, amour qui brûle en nous d’un désir insaisissable et insatisfait. 

Dans un sermon que je découvre cette nuit, saint Pierre Chrysologue le décrit assez bien :

 « Dieu, voyant le monde ravagé par la crainte, agit sans cesse pour le rappeler à lui avec amour, le solliciter par la grâce, le soutenir par la charité, et l'envelopper de tendresse. (...) L'amour engendre le désir, s'enflamme d'ardeur, son ardeur le porte au-delà de ce qui lui est accordé. À quoi bon insister ?


« Il est impossible que l'amour ne voie pas ce qu'il aime ; voilà pourquoi tous les saints ont jugé sans valeur tout ce qu'ils avaient obtenu, s'ils ne voyaient pas le Seigneur.


« Voilà pourquoi l'amour qui désire voir Dieu, s'il manque de jugement, a pourtant une piété ardente.


« Voilà pourquoi Moïse ose dire : Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, montre-moi ton visage. Et le psalmiste : Montre-moi ton visage. Enfin, c'est pour cela que les païens ont fabriqué des idoles : afin de voir de leurs yeux, au milieu de leurs erreurs, ce qu'ils adoraient. »(1)


Dans le regard du centurion qui affirme « vraiment celui ci était Fils de Dieu » (Marc 15, 39) se produit de la même manière, un alignement des planètes, une danse particulière où l’Esprit révèle à l’homme que le Fils est icône du Père.

Chez Marc cela constitue le sommet de son évangile.

Pourquoi chez le centurion et non ailleurs ?

Parce que Dieu est accessible à tous ?


N’est ce pas le but de toute pastorale que d’éveiller chez l’homme cette grâce de reconnaître le Fils comme face visible de l’invisible. ? 

C’est en tout cas ce que je comprends de Marion(2).

Cela rejoint mon essai sur la « pastorale du Seuil »(3). Cette révélation n’est pas le but de nos efforts mais le travail final d’une mise en place de l’essentiel, d’une invitation qui nous dépasse car elle est le fait de Dieu.

C’est ce que Hans Urs von Balthasar décrit comme les « semences de l’Esprit » (4) ce don de Dieu, cette soif de Dieu qui nous ramène toujours au Père, cette grâce particulière faite à tout homme, et qui, plus particulièrement, mais pas exclusivement (!), repose dans le don baptismal et nous conduit à Dieu. Est-ce cela ce qu’Irenée appelle notre divinisation ? Je n’aime pas ce terme parce qu’il nous fait croire trop vite que nous sommes capables du divin. Je préfère croire, à la suite de Paul (Ph3) ou du cappadocien, que cela reste une course infinie (5), mais je veux bien entendre qu’il est ce don fragile que Dieu nous fait, depuis qu’à l’origine, nous ayant transmis le souffle originel (Gn 2), il nous appelle, par notre nom, d’un « où es-tu ?) qui n’est autre pour moi qu’une invitation à danser dans cette musique trinitaire de l’amour.. 

Noël nous révèle le projet de Dieu : « Ce projet de la création de l'univers, non sous forme d'un plan d'organisation de toutes choses, mais d'une semence de liberté et d'amour jetée dans l'univers en formation pour que naisse en son sein une créature spirituelle avec qui Dieu pourrait entrer en communication intime, semence que Dieu confiait au monde (...) un appel, un souhait, une parole, un logos, l'invitation à naître adressée à un Premier-né destiné à ramener à Dieu toute sa famille humaine" (6) tout cela donne du sens à notre aujourd'hui. 


Le don de Dieu est appel... Il s'origine dans un don (Gn 1 et 2) et l'appel d'un "où es-tu ?" (Gn 3) qui est plus qu'un cri, une plainte d'un Dieu qui aime sa création et n'a pour but que de le ramener à lui... 


PS : En écho aux illustrations de François Cassingena-Trévedy sur Isaïe 25 et aux questions sur la théologie pratique de Thibaut Girard


(1) saint Pierre Chrysologue, sermon sur l’incarnation, office des lectures du 9/12 à lire en entier sur AELF.org 

2) Jean Luc Marion, d’Ailleurs la Révélation, op. cit p. 489

(3) cf. https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/pastorale-du-seuil (ebook gratuit).

(4) Théologique III, L’•Esprit de Vérité, p.15 voir aussi une discussion sur thème in https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4921219631285815/

(5) cf. La vie de Moïse et mon essai éponyme 

(6) Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, pages finales

03 décembre 2021

Danse trinitaire - 17.3

L’Esprit qui « fait et fraye le chemin (odêgei) » Jean 16,13

J’aime le commentaire de Marion qui souligne que « frayer ainsi le chemin consiste à guider la marche de celui qui ne sait pas à l’avance où aller et s’en remet au guide (odêgos) qui lui seul, sait où il faut aller. Un tel guidage ouvre un chemin qui mène bien quelque part (1), mais sans que le marcheur sache où il mène, ni même s’il y mène. Le guide qui ouvre la voie procède (avance et s’avance) exactement ainsi à l’inverse de la méthode (methodos) qui sait, elle, à l’avance où elle va (et avance sans jamais se risquer). Ouvrir une voie en montagne ou une piste en skiant ne consiste pas en effet à construire un chemin balisé (…) [à l’inverse] l’ego méthodique s’efforce de garder le même point de vue sur son voyage, s’avance d’un lieu connu vers un autre lieu, d’emblée prévu » (2)


Trois échos à ce texte au moins.

 1. Non pas ma volonté mais la tienne…

 2. Ce beau texte de Michel Rondet déjà souvent cité sur les chemins et non les ports fermés (cf note 3)

 3. Peut-être là encore cette danse trinitaire où Dieu nous fait entrer sous la pression délicate de l’Esprit dans une valse qui nous échappe, nous décentre et nous fait perdre pieds et certitudes

Est-ce que ce n’est pas cela le « bon berger ». Comment l’adapter en pastorale. Privilégier celui ou celle qui nous conduit sans bâton mais en tendresse vers des verts pâturages.

On est loin d’une posture autoritaire, plutôt sur des sentiers inconnus où le guide ne connaît pas la « voie » mais se doute qu’au sommet apparaît la joie…


(1) même si j’aime bien ces « Chemins qui ne mènent nulle part » d’Heidegger

(2) Jean Luc Marion ,D’Ailleurs la Révélation p. 475

(3) paru dans Études fév 97

« les nouveaux chercheurs de sens (...) frappent à toutes les portes, sauf à celles qui justement sont dépositaires d'une tradition spirituelle qui semblerait pouvoir répondre à leur attente. Pourquoi ?

Parce que, trop souvent, nous proposons des réponses là où l’on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes. Ceux qu'ils aimeraient rencontrer, ce sont les mages dans leur marche à l'étoile, pas les scribes de Jérusalem qui, eux, savent. Or, trop souvent, l'Église a pour eux le visage des scribes de Jérusalem.

Trop occupés des vérités à transmettre, nous sommes peu sensibles à l'attente de ceux qui ne nous demandent pas encore ce qu'il faut croire, mais ce que c'est que croire. Nous partons d'une tradition à transmettre, alors qu'il faudrait accompagner une naissance. Mais qui d'entre nous est assez libre dans sa foi pour oser la nouveauté, dans une fidélité créatrice au don qu'il a reçu ? »

30 novembre 2021

Danse trinitaire - 17

Est-ce que nous déformons la Trinité par notre prisme trop humain ?

Difficile de dire cela en des mots simples… 

Telle est en tout cas la question posée par Jean Luc Marion alors que j’approche de la fin de son livre (1)

Après une éloge et une critique mêlée des sentiers tracés par Schelling, Barth et de l’adage Rahnérien(2) le philosophe interpelle notre manière de lire historiquement la Trinité dans une succession pour lui trop « chronologique » qui met le Fils puis l’Esprit après la Révélation du Père. 

Je m’explique : est-ce que l’Esprit n’existe qu’après la révélation de la relation Père Fils qui n’existe lui-même qu’en temps que Fils ? Où la Trinité est-elle entre 3 Personnes, circumincession * ou cercle parfait, unité virevoltante, spirale infinie préexistante dans leurs processions que j’ose qualifier de danse…


C’est peut-être aborder, d’une certaine manière cette fameuse et difficile notion de « consubstantialité » beaucoup critiquée avec le nouveau missel.


La réalité n’est pas forcément dans ce que montre l’histoire de la révélation nous dit Marion, qui tente de privilégier l’immanence à ce qu’on appelle l’économie…


Comment expliquer cela avec des mots accessibles ? Faut-il du coup, se laisser interpeller, y compris par l’Esprit qui ne peut être réduit à un don, daté, du Fils, mais fait bien partie de cette danse infinie (3) qui fait des trois Personnes une valse, à laquelle nous sommes conviés de toute éternité. 


L’amour divin n’est pas successif ou généalogique mais bien danse…


L’Esprit, trop souvent oublié, est là, de toute éternité. Est-ce Celui qui souffle déjà sur les eaux originaires ?. Il vient en tout cas jusqu’au cœur de l’homme dans des germes fragiles (4) ou dans la grâce du baptême. S’il nous embrase, n’oublions pas qu’il souffle où il veut, semble nous habiter, mais s’enfuit bien vite, parfois, loin des ors de nos églises, il vient d’Ailleurs et nul ne peut le saisir tout en ne cessant d’avoir à se laisser « saisir par Lui » (cf. Ph 3).


L’Esprit est sortie de soi, il pousse au désert(5), à quitter(6), il est invitation presque forcée à sortir de soi (anamorphose dit Marion).


Faut-il rapprocher cela d’une image de

Balthasar qui va loin dans une analogie avec le mariage :


« L'image de Dieu doit se trouver aussi dans [un] mouvement opposé (...) , qui le force à sortir de lui-même : du Je au Toi, et au fruit de la rencontre, que celle-ci soit la rencontre sexuelle de l'homme et de la Femme (le fruit peut alors être l'enfant, mais aussi, au delà, un fruit intéressant tout l'humain, qui dépasse la sexualité) ou une autre rencontre dans laquelle le Je se donnant au Toi, deviens pour la première fois lui-même, tout deux se réalisant dans un nous, dépassant la recherche du Je. Ce n'est que dans un tel dépassement que se produit la première image, immanente à l'esprit et puisque ces dépassements sont innombrables dans la société humaine, ils brisent toujours ainsi le modèle clos (par exemple d'un mariage) et forment de nombreux mouvements […] comme des vagues. » (7)


Je trouve cette image très belle, parce qu'elle élargit encore plus la notion d'image et en même temps elle la relativise. Nous sommes à l'image de Dieu quand nous parvenons à vivre une véritable relation ouverte et féconde, homme et femme, vis-à-vis constructif(8), dansant et fécond(9). Pourtant nos petites épiphanies, constituent, avec d'autres, une immense tapisserie, que l'on ne peut percevoir, comme le disait saint Augustin, qu'en prenant de la distance. 

Toutes ces lueurs d'amour sur terre, éclaire le monde de l'intérieur. C'est le fourmillement de Dieu qui s'incarne dans nos mains et nos coeurs. Nous sommes les fourmis de Dieu. 

Même si la métaphore a ses limites, car nous restons des êtres libres et ce n'est que scintillements, à l'image des étoiles qui reflètent à leur manière, la beauté d'une création vivante et agissante.


La Trinité est perte de pouvoir, déchaussement (cf. Retire tes sandales) qui dévoile la danse du feu divin, en des langues qui dépassent les récipiendaires et signifient l’amour.


Chant en langues ? Démaîtrise, renoncements ou consentements, la danse nous fait perdre pied, dans une spirale du don qui nous échappe car elle vient et ramène à Dieu…


(1) Jean Luc Marion, d’Ailleurs la Révélation, p. 463sq et chapitre 17, op. cit.

(2) cf. notamment la Dogmatique de Barth et Karl Rahner, Dieu Trinité « La Trinité qui se manifeste dans l'économie du Salut est la Trinité immanente, et réciproquement »

Voir aussi : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2006-3-page-453.htm#re58no58

(*) voir la thèse d’E. Durand sur la Périchorèse 

(3) cf. ma danse trinitaire reprise in A genoux devant l’homme 

https://www.fnac.com/livre-numerique/a14805155/Claude-J-Heriard-La-danse-trinitaire

(4) les semences de l’Esprit est un beau thème que l’on trouve dans la fin de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar 

(5) voir « Le chemin du désert »

(6) chemin d’Abraham

(7) Urs von Balthasar, Dramatique Divine 2,2 p. 416

(8) cf. Sylvaine Landrivon, la femme remodelée 

(9) je développe ce point dans « Aimer pour la vie »

18 octobre 2021

Danse avec la Parole - 12

Et si la Parole était ce que l’Invisible nous donne à voir de sa face ? suggère à sa manière Marion (1)

Certes le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous.

Certes le Christ n’a écrit que des traits sur le sable.

Certes la Bible est parole humaine parfois mêlée et habitée par le Souffle divin.

Pourtant il reste au travers de tout cela ce que nous appelons sur le bout des lèvres la Parole de Dieu, ce « Dit » de Dieu qui nous permet, comme en Ex 33 & 34 d’apercevoir le dos de son visage, sans en maîtriser la face (2)

Emmanuel Lévinas, dans autrement qu’être (3) a de très belles pages sur la différence entre le Dire et le Dit qui nous appelle à beaucoup d’humilité dans nos interprétations.

La dimension symphonique des Évangiles (4) est, par ses paradoxes et ses apories le chemin d’une théologie négative jusqu’à ce que d’Ailleurs nous vienne l’étincelle de compréhension fugace du mystère.

Laissons la Parole nous atteindre jusqu’au jointures de l’âme (Heb 4), dans le silence propices aux « courants d’air »(5) de la brise légère.


La Parole est notre chemin. Elle a besoin d’être méditée et manduquée à plusieurs, hommes et femmes(6), lentement et sûrement. Nous n’avons pas fini d’en faire le tour, et heureusement car le dos de l’Invisible masque le feu ardent de notre joie et de notre espérance.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, op. cit. p. 285

(2) cf. Marion, ibid p. 287 et mes travaux dans Pédagogie divine

(3) cf. Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être et au delà de l’essence 

(4) je tiens l’image de Hans Urs von Balthasar

(5) François Cassingena-Trévedy, Pour toi quand tu pries.

(6) cf. La Maison d’Évangile - La Parole Partagée et mon billet n.11

17 octobre 2021

Danse avec le Verbe - 10

L’humilité de Dieu va jusqu’à pousser son abaissement à la limite de ce que nous pouvons saisir sans mettre à mal, pour autant notre liberté. 

On pourrait en effet, comme nous le faisions à propos des miracles s’interroger sur le pourquoi de leurs limites, de leur rareté…

C’est ce que j’apprécie à nouveau chez Jean Luc Marion (1). Après sa lecture cursive de Jean 4 où Jésus commence par demander à boire à la Samaritaine avant de parler d’eau vive (une interprétation est très classique (2), mais qui s’intègre bien dans son développement, Marion a cette phrase qui m’interpelle, peut-être parce qu’elle fait écho à mes travaux sur la pédagogie divine : « Dans le décèlement [du mystère], ce qui se donne à voir reste à niveau avec celui qui le voit » (1)


On a là déjà une piste, mais Marion distingue pourtant plus loin décèlement (ou vérité) et découvrement (apokalupsis) qu’il faudrait comprendre, par contre (2), comme le début d’une interaction, de notre capacité à recevoir ou rejeter… à réagir, voire à mettre en actes.

Le decouvrement de Dieu appelle une réponse, un mouvement, une danse… comme cette semence fragile qui fait germer en nous ce que Dieu nous révèle.


On a bien là une trace des enjeux de cet agenouillement de Dieu que je cherche à thématiser depuis des années (3). 

Ce que la théologie appelle kénose est bien cette attitude pastorale de Dieu qui ne nous invite pas à un saut dans l’insissable qu’Il est, mais cherche toujours à rejoindre l’homme jusque dans ses impasses culturelles et les méandres de sa quête, jusqu’à réveiller sans forcer sa conscience.


C’est pour moi ce qui distingue les théophanies de l’Ancien Testament des révélations du NT(4), mais aussi peut justifier que les apparitions de Fatima ou de Lourdes puissent avoir pour nous des colorations culturelles vieillottes alors qu’elles parlaient aux petits bergers de là bas, les rejoignant, comme dit Marion, « à leur niveau » de compréhension. Cela ne dénature ni la profondeur de la rencontre, ni la personne, respectée pour ce qu’elle est.


Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Il s’est fait homme.


En contemplant cet abaissement on peut comprendre toute la tendresse de Dieu qui ne mésestime pas l’homme mais au contraire l’aide à grandir, depuis son état, dans cette logique « vectorielle » que j’évoque souvent.


A cela s’ajoute ce que le regretté B. Sesboué disait dans sa « Pédagogie du Christ », la réalisation par le Christ de l’étendue de sa mission est progressive, ce qui pour nous le rend plus humain.


John P. Meier(5) le soulignait aussi. Il n’est pas sûr que le Christ ait perçu, au début du moins, la dimension universelle de sa venue, ce qui explique l’épisode des petits chiens avec la Syro-Phénicienne , ce qui laisse dire, avec raison, à nos amies, que Jésus avait besoin d’un regard féminin, pour ouvrir son cœur aux dimensions du monde. Elles n’ont pas tort. La dimension ecclésiale doit s’ouvrir au fait que la danse du Verbe est Kononia et non interprétation figée d’un savant ou d’un mystique solitaire. C’est ensemble que nous progressons doucement vers la Révélation. C’est notre espérance…


Les temps actuels, nous rappellent que les frasques de l’Ancien Testament sont aussi nos horreurs présentes comme le soulignait G. Hamman : « c’est notre histoire ! » (6) et que nos églises ont encore besoin de travailler ensemble vers une sainteté toujours inaccessible à l’homme hormis quelques étincelles fragiles. Le grand Pierre pouvait affirmer à la fois à Césarée la réalité du Christ et juste après se planter magistralement sur le sens de la Croix. 

Humilité donc. Nous sommes tous à la fois proches et loins de la Vérité.

Mais celle ci n’est pas lumière vive et aveuglante mais au contraire buisson ardent d’un amour fragile qui se donne dans la nuit et réveille chez nous un feu de braise, pour qu’ensemble brille ce que Dieu veut nous signifier dans le silence.


« Parce que le phénomène se manifeste à fond et se donne en soi à fond, il ne peut pas précisément s’imposer à moi sans moi ; il ne peut que se pro-poser en face de moi, qui peut ne pas en recevoir la survenue, donc décider de ne pas le voir. » (ibid p. 248)


« J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas dansé » laisse transparaître le drame du danseur repoussé, de l’amant trahi, les larmes de Dieu qui entend les pleurs de Rama… 


(1) Jean Luc Marion, « D’ailleurs la Révélation », op. cit p. 236

(2) p. 239sq

(3) cf. aussi mon « À genoux devant l’homme », troisième édition.

(4) cf. Dieu dépouillé

(5) John P. Meier, Un certain juif nommé Jésus, tome 1 à 5.

(6) cité par Hans Urs von Balthasar dans le tome 2 ou 3 de sa trilogie

27 septembre 2021

Révélation et don - 5

Pourquoi les français ne croient-ils plus ? 

On peut facilement sombrer dans le désespoir quand on sent la fragilité et les échecs de nos pastorales, il nous faut peut-être prendre de la hauteur pour saisir que nous n’avons pas pour tâche de convertir mais de labourer une terre qui puisse s’ouvrir à la foi. Creuser un sillon fragile, non par des mots mais par des signes et des actes, des questions et des sourires, loin des certitudes imposées ? 


La foi reste un don, une grâce, un surgissement non programmable d’une rencontre entre Dieu et l’homme…

La foi d’autrui nous échappe. Elle est réservée aux moissonneurs, quand nos semailles seront achevées en dépit des larmes de nos efforts souvent stériles..


Comment l’insaisissable se donne-t-il à voir alors que sa lente pédagogie échoue à le rendre visible et qu’un voile demeure en dépit de la lumière des signes successifs que l’Exode met notamment en scène.

Le visage rayonnant de Moïse d’Ex 34 n’est probablement qu’un conte du 6eme siècle avant Jésus-Christ même s’il nous prépare à des épiphanies plus rayonnantes. 

Et la Transfiguration ou la résurrection ?

Esquisses mais inaccessibles et réservées à des privilégiés…


Nos perceptions fragiles de l’invisible, sont peut-être que des signes avant coureurs qui nous préparent à l’incroyable ?

Les signes ou « miracles » comme tous les phénomènes non saturés, nos tressaillements intérieurs sont peut être à compter dans les faibles étincelles qui précèdent et complètent le feu ardent, le don total, inouï d’un Père qui laisse son Fils mourir pour révéler la danse trinitaire et tragique.  Le grand Donateur s’efface sur une croix et jusque dans les profondeurs de l’humain, « terreux » souvent inconscient de ce qui lui est offert.


Pourquoi l’homme passe t il à côté ?


Tout est du vent s’il ne se concentre sur l’essentiel, sur ce qui n’est finalement visible que dans le déchirement du voile. La Croix est le seul signe élevé comme un nouveau serpent, nouvel Adam si différent de l’ancien qu’il devient figure de guérison et de conversion pour un centurion inculte. « Vraiment cet homme était fils de Dieu » révèle Marc au bout d’un long chemin.


Semences….

Agapè

Don


Trois mots qui révèlent à eux seuls l’inouï divin et cette invitation fragile d’un Dieu à genoux.


Kénose…

Triple kénose.


En poursuivant la lecture de Marion (1) je ne fais que danser une fois encore avec cette triple kénose qu’il cite chez Hans Urs von Balthasar et qui ne cesse de me faire tressaillir depuis que je me suis plongé dans sa trilogie.


De Bultmann à Barth, de Pannenberg à Rahner(2), la théologie bute sur des oxymores quand Dieu se joue de nos hésitations et de nos théories pour se concentrer sur une seule chose, simple et subtil : « tout est don ». 

Si l’Evangile de dimanche se résumait à une chose, ce n’était peut-être que dans une invitation presque anodine, « un verre d’eau » qui est en fait la première marche de l’agapè…


Dieu n’est qu’amour, disait le bon François Varillon sur la pointe des pieds.


(1) Jean-Luc Marion, d’ailleurs la Révélation, p. 164-186…

(2) ibid.


PS: pour aller plus loin sur ce thème voir : 

1. Le beau texte publié par A. Fossion, cf. supra 

et les réflexions de Michel Rondet 

2. mes essais fragiles  : Pédagogie divine, Le rideau déchiré, A genoux devant l’homme et Danse trinitaire tous rassemblés dans « Dieu dépouillé » disponible gratuitement sur Fnac.com mais aussi Pastorale du Seuil, qui pourraient avoir pour sous titre, échecs et humilité.

3. Mon billet 48 sur danse et silence https://www.facebook.com/100003508573620/posts/3669493763177540/

17 septembre 2021

Parole et danse - 4


« La Parole provoque une décision (...)[ou en tout cas] un appel lancé et qui résonne (...) voilement et dévoilement (...) qui surpasse notre écoute et notre décision. Ainsi demeure-t-elle toujours eschatologique [c’est-à-dire qu’elle n’a pas fini son œuvre et nous saisit au sens de Ph.3]. Le secret de la Parole revient à l’Esprit(1). Ce que la Parole veut me dire et la réponse qu’elle attend de moi, cela seul l’Esprit le sait, pas moi(2). »


Marion nous introduit pour moi à cette danse sublime qui ne peut être que trinitaire car elle n’est que le courant d’air d’une brise légère qui vient troubler notre intérieur le plus profond, déjoue nos enfermements et nos peurs et nous fait tressaillir au vent de Dieu, au rêve de Dieu(3).


À tout ceux qui n’ont pas encore passé le porche, venez danser dans notre maison d’évangile(4). Elle n’est pas un lieu de totalité mais une école de danse 🙂 


(1) Jean Luc Marion cite ici la Dogmatique de Barth

(2) Marion, op. cit p. 164-165

(3) belle expression que je tient de François 

(4) et danser ou contredanser avec nous aujourd’hui sur Ez 16 cf. Maison d’Évangile - La Parole Partagée

14 septembre 2021

Surnaturel ou incarnation - 4

Le choix des textes que nous propose la liturgie d’aujourd’hui sur la Croix glorieuse est cornélien.

 

1. Soit nous optons pour le livre des Nombres qui nous conduit à une méditation sur le cycle mimétique de la violence qu’un serpent dressé vient guérir et suivons la piste de René Girard. Nous avançons alors sur le discernement tout intérieur de ce qui nous conduit à la violence et de ce qui peut nous en sauver.

 

2. Soit nous contemplons le don de Dieu dans la triple kénose : 

- d’un Père qui donne un Fils et s’efface, 

- d’un Fils qui se vide par amour 

- et de la musique ténue de l’Esprit en nous… Danse trinitaire (1) ?


Dilemme ?

Non, il faudrait au contraire faire danser les deux, mesurer la distance entre le don de Dieu et notre petite amphore bien faible au milieu du fleuve (2) comme l’évoquait Bonaventure.


Je te reçois et je me donne à toi. 

Ce n’est pas qu’un échange matrimonial mais la danse à laquelle Dieu nous invite.


Le don de Dieu précède toujours notre réponse.


Jn 3, proposé comme Évangile, récapitule les deux, mais la profondeur théologique qui se joue dans ces trois textes d’aujourd’hui est abyssale. 


Elle est prélude à la contemplation de cette danse divine qui ne cesse d’engendrer des tressaillements intérieurs et de multiples interpellations (3)


(1) cf. mon livre éponyme gratuit sur fnac.com

(2) voir L’amphore et le fleuve

(3) cf, le rideau déchiré ou À genoux devant l’homme 


Illustration : crypte de la cathédrale de Bayeux ?

12 septembre 2021

Foi, surnaturel et danse - 3

Où est le vrai Dieu ? 

Est-il visible grâce aux miracles, fruit de nos intuition, imagination, concepts ou un rêve, une projection ? 

Notre raison et notre psychologie nous jouent sans cesse des tours, dans notre capacité à cerner, percevoir Dieu. 

Depuis plus de 2500 ans on croit le cerner, le définir et il nous échappe et nous « précède en Galilée », lui l’insaisissable.


Après les tâtonnements Juifs, l’apologie des premiers siècles, la réduction thomiste et organisée du divin, de concepts en définitions, à force de fausses théologies, l’idée même de Dieu s’est effritée dans des philosophies successives jusqu’à se réduire à une projection morale et idolâtre du divin, dernière statue que Nietzsche viendra déboulonner. 


Que reste-il ? 


Peut-être Dieu lui-même, irréductible par nature. Et Jean-Luc Marion de conclure sa deuxième partie par une question : « Dieu peut-il devenir accessible autrement qu’en venant d’ailleurs ? »(1)


Il nous reste en effet, souvent, dans nos nuits obscures, que la Parole à méditer. C’est dans la danse symphonique de ce Verbe aux couleurs multiples, que vient nous interpeller « l’ailleurs », jusqu’aux « jointures de l’âme », sans qu’on puisse pour autant l’enfermer dans des interprétations littérales ou trop anthropologiques.


La Parole en effet nous échappe loin d’une lecture littérale et figée elle est dire, loin du dit, pointait Lévinas (2) et reste chemin d’Ailleurs. (3) « Elle est sur nos lèvres et dans nos cœurs [mais pourtant] dans le secret de l’Esprit, qui est le Seigneur » (4)


Elle est énonciation ou Annonciation/ tressaillements qui nous surprennent.

Elle s’accomplit ou nous transforme dans le processus très rahnérien de l’auto-communication intérieure, tout en restant secrète (5) car il demeure toujours une distance entre la trace et l’accomplissement en nous de notre metanoia/conversion, tant le saisissement reste un devenir, une « course infinie »….(6)


Secret qui nous invite néanmoins à sortir du boisseau pour que la lumière intérieure se transforme en buisson ardent, contagion et joie, danse…


Quand elle nous parle, enfin, nous vient la joie profonde du « Tu étais là et je l’avais pas senti, tu m’aimes et je l’ai pas cru, tu m’as appelé et je n’ai pas répondu… »


Nous sommes de ces Zachee qui grimpent aux arbres sans entendre parfois le « je veux demeurer chez toi » d’un Dieu qui nous guette chaque dimanche sur la place de l’Église et qui pleure de voir son morceau de flûte rester une invitation à la danse qui résonne dans le silence…


Me voici est là musique que rêve d’entendre un Dieu à genoux devant l’homme….


(1) D’ailleurs la Révélation, op.cit. p. 149

(2) cf, Autrerment qu’être 

(3) Karl Barth, kirchliche dogmatik, 1/1, p. 194, cité par JLM, p. 163

(4) Maison d’Évangile - La Parole Partagée

(5) je résume ici encore Marion, ibid. p. 163sq.

(6) voir Ph. 3, Gregoire de Nysse, la vie de Moise, et mon livre éponyme 


Vitrail de Saint Martin de Nonancourt, détail

05 septembre 2021

Foi et surnaturel - 2

Miracle, intuition, sensation, détermination, logique, certitudes, dogmes, révélation.

La juxtaposition de ces termes traduisent ils l’ampleur de l’inconnaissable ?

En lisant Jean-Luc Marion (1) on perçoit tout l’enjeu de ces nuances entre ce qui vient de Dieu et ce qui est propre à l’homme, entre raison et révélation, psychologie et certitudes. 

Face à ces « mouvements » une introspection est nécessaire ! Il nous faut discerner entre nature et surnaturel.


Suis-je en train d’inventer Dieu au sens décrit par Tomas Römer (2) ou m’est il révélé d’Ailleurs.

Comment Dieu me parle-t-il ? 

Quels sont les traces de sa présence ?

Y suis-je à l’écoute ?

S’impose-t-il ?

Vient-il quand je l’appelle ou me surprend-t-il ?

Et pourquoi son silence, mes nuits ?(3)


Certains textes nous ouvrent à la question de cette présence particulière à côté de laquelle nous passons sans Le voir. Je repense notamment à ce poème d’Ademar de Barros qui conclut que Dieu nous porte dans ses bras (4) ou ce cri d’Augustin « tu étais là et je ne le savais pas » (5)


Passons-nous à côté de la Présence sans ouvrir notre porte intérieure à la brise…à ce que François Cassingena-Trévedy appelle avec humour le « courant d’air ». (6)


On rejoint la question que je posais récemment à propos d’Effata…

Écouter vraiment demande le silence… sentir sa présence demande de partir au désert…

Chemin du désert (7)


(1) D’ailleurs la Révélation, op.cit. pages 130-150

(2) cf. l’invention de Dieu, Seuil 2014-2017

(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) cf. ci dessous 

(5) confessions VIII

(6) François Cassingena-Trévedy, pour toi quand tu pries…

(7) voir mon essai gratuit sur https://www.fnac.com/livre-numerique/a14819117/Claude-J-Heriard-Le-chemin-du-desert


« J'ai rêvé que je cheminais sur la plage en compagnie du Seigneur, et que, dans la toile de ma vie, se réfléchissaient tous les jours de ma vie. J'ai regardé en arrière, et j'ai vu qu'à ce jour où passait le film de ma vie surgissaient des traces sur le sable ; l'une était mienne, l'autre celle du Seigneur. Ainsi nous continuions à marcher jusqu'à ce que tous mes jours fussent achevés. Alors, je me suis arrêté, j'ai regardé en arrière. J'ai retrouvé alors qu'en certains endroits, il y avait seulement une empreinte de pied. Et ces lieux coïncidaient justement avec les jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse, de plus grande peur et de plus grandes douleurs. J'ai donc interrogé : Seigneur, Tu as dit que Tu étais avec moi, tous les jours de ma vie, et j'ai accepté de vivre avec Toi. Mais, pourquoi m'as-Tu laissé seul, dans les pires moments de ma vie ? Et le Seigneur me répondit : Mon Fils, je t'aime, j'ai dit que je serai avec toi durant la promenade, et que je ne te laisserai pas une seule minute. Je ne t'ai pas abandonné : les jours où tu n'as vu qu'une trace sur le sable sont les jours où je t'ai porté ! Amen. »

30 juillet 2021

Lumière et danse - 8

La suite d’Exode 33 que la liturgie découpe en tranches fines et éparses nous a permis avant hier de contempler rapidement l’effet de la Révélation sur un Moïse en quête d’absolu.

Avant qu’elle nous propulse trop vite au chapitre 40, dans une construction symbolique et hors contexte du temple idéal, elle nous fait contempler en Ex 34 le retour de la montagne, ce que Moïse a découvert de lumineux dans le « dos de Dieu ».

Cette danse particulière touche à ce que Marion appelle le « paradoxe »(1) que je traduirais plus théologiquement par tension ou aporie.


Moïse est illuminé par la rencontre au point qu’il doit porter un voile pour que sa lumière intérieure ne trouble pas le peuple. 

Souci de pédagogie divine ou préparation à l’enfermement cultuel de l’inaccessible derrière le voile du saint des saints que certaines liturgies excluantes réservent encore à une élite, alors que Dieu a pourtant déchiré ce voile en Marc 15, de haut en bas (2) ?


Ne cachons pas l’homme Dieu même si la lumière encore aperçue par Moïse et Élie au mont Thabor a révélé sa divinité, notre chemin à nous, n’est pas toujours lumineux mais souvent une nuit obscure et parfois douloureuse(3).

Le covid fait apparaître en creux le silence de Dieu, alors que la mort est pourtant exposée sur le bois de la croix depuis 2000 ans.


Le paradoxe c’est que Dieu s’est révélé non dans la lumière mais dans la nuit et que Moïse illuminé n’est peut-être qu’une figure fragile ou une idole temporaire. Il n’aura même pas accès à la terre promise.


Attention donc à nos ors et nos patènes rutilantes. Le réel est ailleurs, dans une lumière toute intérieure qui nous échappe bien vite de peur qu’elle nous aveugle ?


La lumière divine s’éteint dès qu’elle se révèle et les pèlerins d’Emmaüs en font vite les frais. Dieu s’est approché, a donné et repris aussitôt, de peur qu’en le réduisant au pain rompu on l’utilise et le réduise à ce qu’il n’est pas…


Ce qu’il reste est un tressaillement, une Révélation fugace qui nous fait courir vers nos frères… sans briser notre liberté…

Et en même temps, peut-être, au bout du chemin, un soupçon d’espérance…


Quel Dieu ! 


Dieu caché, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce fruit nouveau-né

Dans la nuit qui t'engendre à la terre ;

Tu dis seulement 

Le nom d'un enfant : 

Le lieu où tu enfouis ta semence.


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence !


Dieu livré, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce corps partagé

Dans le pain qui te porte à nos lèvres ;

Tu dis seulement : 

La coupe du sang 

Versé pour la nouvelle confiance. ℟


Dieu blessé, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que cet homme humilié

Sur le bois qui t'expose au calvaire !

Tu dis seulement : 

L'appel déchirant 

D'un Dieu qui apprendrait la souffrance. ℟


Dieu vaincu, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ces corps décharnés

Où la soif a tari la prière ;

Tu dis seulement : 

Je suis l'innocent,

A qui tous les bourreaux font violence. ℟


Dieu sans voix, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce signe levé,

Edifié sur ta pierre angulaire !

Tu dis seulement : 

Mon peuple est vivant, 

Debout, il signifie ma présence. ℟


Dieu secret, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce livre scellé

D'où l'Agneau fait jaillir ta lumière.

Tu dis seulement 

Ces mots fulgurants : 

Je viens! J'étonnerai vos patiences ! 


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence ! (4)


(1) D’ailleurs la Révélation, op cit. p. 49 sq

(2) cf. mon « Rideau déchiré »

(3) voir l’excellent livre de François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) office des lectures

28 juillet 2021

Du cléricalisme à la danse ? - 7

Si l’on contemple la première lecture donnée hier dans son contexte complet (Exode 33),  il faut peut-être méditer sur quatre  points. 

 1. Ce texte suit l’épisode du veau d’or, un rite stérile 

 2. Il commence par une invitation à se dépouiller de nos vêtements d’apparat (Ex 33,5)

 3. Moïse ne verra pas Dieu mais son dos

 4. La rencontre de Dieu ne peut se faire qu’en abandonnant ses certitudes, quittant ses tours d’ivoire pour aller à la rencontre de Dieu sous une tente légère. Et c’est cette « tente de la rencontre » qui préfigure la direction à prendre, est un lieu ouvert à l’Esprit et non fermé sur lui même. La tente n’est pas d’ailleurs dans le camp, donc dans les murs établis, au sein même du savoir, des certitudes humaines, mais hors du camp. 

Ce mouvement est d’ailleurs souligné par l’attitude du peuple dans les déplacements de Moïse vers la tente. Il doit regarder, se prosterner, sans pouvoir participer. Il n’est donc plus au centre du récit, mais accompagne cependant, par le regard et donc la pensée, le mouvement de médiation.(1)


Cette « réduction » au sens donné par Jean-Luc Marion (2), ce « décentrement » est à la fois un appel et un risque. 


Il y a en effet un travers dans ce mouvement qu’on note déjà chez Cyrille de Jérusalem dans une vieille catéchèse : « le Seigneur ordonne dans le Lévitique : Convoque toute la communauté à l'entrée de la Tente du Témoignage. Il est à noter que le mot « convoque » (ekklèsiason) est employé ici pour la première fois dans l'Écriture, lorsque le Seigneur établit Aaron dans la charge de grand prêtre. Et dans le Deutéronome, Dieu dit à Moïse : Convoque devant moi le peuple, et qu'ils entendent mes paroles pour apprendre à me craindre. Il fait encore mention de ce nom d'Église, quand il dit au sujet des tables de la Loi : Sur elles étaient écrites toutes les paroles que le Seigneur vous a dites sur la montagne, au jour de l'Ekklèsia (de la convocation), ce qui revient à dire, plus explicitement : « Au jour où vous vous êtes réunis sur la convocation du Seigneur ». Le Psalmiste dit aussi : Je te rendrai grâce dans la grande assemblée (ekklèsia), dans un peuple nombreux je te louerai. (...)  Mais, dans la suite, le Sauveur institua, à partir des nations païennes, une seconde assemblée : notre sainte Église, celle des chrétiens, celle dont il a dit à Pierre : Et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. (...) Lorsque la seule « Église » qui était en Judée a été rejetée, les Églises du Christ se sont multipliées par toute la terre.

(...) C'est de la même Église sainte et catholique que Paul écrit à Timothée : Tu dois savoir comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité. »(3)


Un travers possible dans la lecture de Cyrille est probablement celui de toute institution : se prendre pour le Christ qui est le seul médiateur (cf. Heb), le Corps, la seule assemblée. 

De même que le peuple juif a institutionnalisé la fonction de médiation en donnant des successeurs à Moïse, de même l’Église peut faire des successeurs de Pierre des substituts à la Personne du Christ.


La question centrale est peut-être de se poser pour comprendre que le « faites ceci en mémoire de moi », n’est pas l’institution rituelle du geste mais de ce qu’il représente : le don total du corps sur une croix.

Jean en déplaçant en Jean 6 le rituel vient mettre une faille dans le parallélisme synoptique. Il décrit aussi un Christ qui enlève ses vêtements (Jn 13,1), mais surtout substitue le lavement des pieds à l’eucharistie pour déplacer le risque institutionnel (4)…


En méditant cela, nous déplaçons le sacré ailleurs que dans le rite pour le placer dans l’imitation du don christique par excellence dont la Croix est le signe ultime, indépassable et non reproductible car il n’y a qu’un seul sacrifice, l’unique, celui du Christ qui ne souhaite pas être dépassé mais qui indique la direction vectorielle de l’amour. 


En disant cela je ne nie pas le sommet eucharistique mais je tente d’en dépasser la cristallisation rituelle vers autre chose que le célébrant, vers un ailleurs qui n’est pas dans le rite, la manière ou la personne, mais dans l’essentiel, la direction, la visée : la présence réelle n’est pas contenue dans le pain et le vin, elle devient chemin commun, assemblée, corps, insaisissable, fragile, extase éphémère, danse, buisson ardent, que nous ne pouvons contenir, conserver, enfermer, car déjà Il nous échappe alors même qu’Il danse avec nous… (5).


(1) cf. Dieu dépouillé 

(2) Ailleurs la révélation 

(3) cf. Saint Cyrille de Jérusalem, catéchèse pré-baptismale, Office des lectures d’aujourd’hui 

(4) voir mon « A genoux devant l’homme » en téléchargement gratuit à la Fnac

(5) Dans un certain monastère on ne conserve pas d’hostie, car le Christ n’est pas enfermable…comme le dit si bien Teilhard dans son « Custode », il nous échappe si l’on veut le retenir…

20 juillet 2021

Contredanse ? -6 - Marion


La Révélation n’est pas évidence mais éternelle déplacement. Loin de nos prêches parfois surfaits, de nos morales étriquées, de nos rites enfermants, l’incompréhensible creuse en nous un vent venu d’ailleurs.

Des témoignages multiples et contradictoires du premier Testament à la discordance apparente des évangiles (1)

la méditation de l’Ecriture laisse place, selon Jean Luc Marion  à « une profondeur, qui creuse le décalage des témoignages, maintient l’écart et permet surtout de préserver l’ailleurs d’où provient la signification des signes »(2).

Cette diversité est, ajoute-t-il le lieu de résistance qu’il décline en plusieurs contre-danses :

1. Entre les sachants et la Révélation venue d’ailleurs 

2. Entre la Révélation et le doute du témoin 

3. Entre les témoins entre eux qui partagent et se divisent en même temps « qu’ils s’imaginent en concurrence »

Avec le motu proprio se réveille des divergences qu’il nous faudrait idéalement réduire dans la contemplation de l’unique rêve de Dieu pour l’homme.

Quand on met vraiment le Christ au centre le reste n’est il pas superflu, lutte de pouvoir et d’égo…


(1) Pascal, Pensées L318.

(2) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020, p. 45

D’ailleurs la Révélation - 5 - Jean Luc Marion

Il fallait oser passer d’un geste sportif à la geste érotique pour aider à percevoir que dans la rencontre inouïe d’une symphonie érotique se distingue soudain l’ailleurs, l’incontrôlable, l’inoubliable, le non reproductible et en même temps la Révélation(1).

Après l’idole et la distance(2), le phénomène érotique(3) ou sa philosophie du don, Jean Luc Marion me surprend toujours…

Sa manière d’aborder la théologie n’est pas en contradiction avec ce que je vient d’évoquer dans mes trois premières contemplations de l’Amphore et le Fleuve(4). On reconnaît sa proximité avec Hans Urs von Balthasar (5) qui m’a également et différemment inspiré.

Je ne fait que commencer la lecture. Au delà d’un vocabulaire pas très accessible il y a là des pistes à creuser pour aborder autrement la théologie. 

L’enjeu ici est de s’exposer « grâce au « non-savoir pourtant certain du témoin qui accepte de comprendre d’ailleurs » (6)

La quête intérieure n’est pas de tout repos. C’est en butant sur ses propres contradictions et ses impasses que « l’invu » se laisse trouver, quand on ne l’attend pas.

À suivre dans l’axe de mes précédents billets.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020

(2 et 3) du même auteur

(4) voir mon livre éponyme 

(5) cf. Retire tes sandales

(6) Marion, D’ailleurs, la Révélation ibid. p. 43

28 mai 2020

Abandon et dépouillement - 9 - Cyrille d’Alexandrie

L'abandon temporaire du Christ exprimé en Luc 24 à Emmaüs et repris et « transformé » dans l'Ascension s'inscrit dans l'axe même du dépouillement que je continue d'explorer depuis quelques jours.

Il fait écho aujourd'hui avec la méditation de Cyrille d'Alexandrie trouvée ce matin dans l'office des lectures : « Tout ce que le Christ avait à faire sur la terre était maintenant accompli ; mais il fallait absolument que nous devenions participants de la nature divine du Verbe, c'est-à-dire que nous abandonnions notre vie propre pour qu'elle se transforme en une autre, qu'elle se transfigure pour atteindre la nouveauté d'une vie aimée de Dieu. Et cela ne pouvait se faire autrement que par union et participation à l'Esprit Saint. »(1)

Cet abandon, ce dépouillement est au cœur de notre chemin de vie. Inaccessible à l'homme sans la force de l'Esprit.

Écoutons encore Cyrille : « Le moment le plus indiqué et le plus opportun pour l'envoi de l'Esprit et sa venue en nous était celui où le Christ notre Sauveur nous quitterait.
En effet, aussi longtemps qu'il demeurait dans la chair auprès des croyants, il leur apparaissait, je crois, comme le donateur de tout bien. »

On rejoint la thèse du grand donateur qui s'efface repris par Jean Luc Marion, qui n'est autre qu'une variation sur la kénose.

Poursuivons notre lecture : « Mais lorsque viendrait le moment où il devrait monter vers son Père des cieux, il faudrait bien qu'il soit présent par son Esprit auprès de ses fidèles, qu'il habite par la foi dans nos cœurs. Ainsi, le possédant en nous-mêmes, nous pourrions crier avec confiance : Abba, Père ; nous porter facilement vers toutes les vertus et, en outre, montrer notre force invincible contre tous les pièges du démon et toutes les attaques des hommes, puisque nous posséderions l'Esprit tout-puissant.

Les hommes en qui l'Esprit est venu et a fait sa demeure sont transformés ; ils reçoivent de lui une vie nouvelle comme on peut facilement le voir par des exemples pris dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Samuel, après avoir adressé tout un discours à Saül, lui dit : L'Esprit du Seigneur fondra sur toi et tu seras changé en un autre homme. Quant à saint Paul : Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire, comme il convient au Seigneur qui est Esprit. Car le Seigneur, c'est l'Esprit.

Vous voyez comment l'Esprit transforme pour ainsi dire en une autre image ceux en qui on le voit demeurer. Il fait passer facilement de la considération des choses terrestres à un regard exclusivement dirigé vers les réalités célestes ; d'une lâcheté honteuse à des projets héroïques. Nous constatons que ce changement s'est produit chez les disciples : fortifiés ainsi par l'Esprit, les assauts des persécuteurs ne les ont pas paralysés ; au contraire, ils se sont attachés au Christ par un amour invincible. C'est absolument indubitable. » (1)

(1) Saint Cyrille d'Alexandrie, commentaire de l'évangile de Jean, source AELF, office des lectures du jeudi du 7eme dimanche de Pâques


29 février 2020

Pédagogie divine 18 - Hans Urs von Balthasar

Hans Urs von Balthasar nous introduit à sa manière à un croisement théologique entre plusieurs mouvements de compréhension (1). Je vais tenter de traduire avec mes mots son long développement et, par nature, sa contemplation de cette pédagogie divine que je cherche à dévoiler.

  1. Il y a d'abord la contemplation du grand Donateur, de ce Dieu qui est source de tout don et à qui tout appartient sans pour autant, comme le dira plus tard Jean-Luc Marion, être celui qui réclame - mais au contraire s'efface.
  2. Il y a ensuite ce Dieu qui nous convie à découvrir que notre repos est en lui, que l'amour n'est autre que de se réfugier dans ses bras miséricordieux : « en toi est la source de la vie » Ps 36,9
  3. A cet amour l'homme est appelé à répondre dans une alliance qui ne lui laisse pas de repos : « c'est de tout son cœur et de toute son âme » (cf. notamment Dt 18) que l'on doit répondre.
  4. Et pourtant nos échecs laisse percevoir la distance entre cette lente révélation de la gloire qui tranche avec la « nudité » de l'homme. Face à cette gloire, presque inaccessible, apparaît la nécessité d'un médiateur, serviteur souffrant qui, à l'image de Moïse, conduit à la terre promise sans pouvoir y accéder (Nb 20, 12).
Tout cela est, à sa manière, pédagogie, car Dieu s'y révèle doucement comme ce Dieu qui prépare à la révélation finale, dans ce sublime dévoilement trinitaire de l'incarnation, de la Croix et de la résurrection tout en gardant pour nous un sens, une immédiateté presque palpable tant le don de Dieu, sa révélation en nous, l'humilité et le besoin de médiation reste constitutif de notre « christianité ».

Il en vient une réflexion qui réhabilite à sa manière la figure du prêtre comme médiateur lui aussi de quelque chose.
En théorie il est appelé à personnifier cet entre deux. La difficulté est que le prêtre reste homme, fragile, blessé et qu'en dépit de sa vocation à la « ressemblance » il reste souvent pâle image de celui qu'il représente.

L'actualité récente est à ce titre une leçon d'humilité...

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p. 155