La suite d’Exode 33 que la liturgie découpe en tranches fines et éparses nous a permis avant hier de contempler rapidement l’effet de la Révélation sur un Moïse en quête d’absolu.
Avant qu’elle nous propulse trop vite au chapitre 40, dans une construction symbolique et hors contexte du temple idéal, elle nous fait contempler en Ex 34 le retour de la montagne, ce que Moïse a découvert de lumineux dans le « dos de Dieu ».
Cette danse particulière touche à ce que Marion appelle le « paradoxe »(1) que je traduirais plus théologiquement par tension ou aporie.
Moïse est illuminé par la rencontre au point qu’il doit porter un voile pour que sa lumière intérieure ne trouble pas le peuple.
Souci de pédagogie divine ou préparation à l’enfermement cultuel de l’inaccessible derrière le voile du saint des saints que certaines liturgies excluantes réservent encore à une élite, alors que Dieu a pourtant déchiré ce voile en Marc 15, de haut en bas (2) ?
Ne cachons pas l’homme Dieu même si la lumière encore aperçue par Moïse et Élie au mont Thabor a révélé sa divinité, notre chemin à nous, n’est pas toujours lumineux mais souvent une nuit obscure et parfois douloureuse(3).
Le covid fait apparaître en creux le silence de Dieu, alors que la mort est pourtant exposée sur le bois de la croix depuis 2000 ans.
Le paradoxe c’est que Dieu s’est révélé non dans la lumière mais dans la nuit et que Moïse illuminé n’est peut-être qu’une figure fragile ou une idole temporaire. Il n’aura même pas accès à la terre promise.
Attention donc à nos ors et nos patènes rutilantes. Le réel est ailleurs, dans une lumière toute intérieure qui nous échappe bien vite de peur qu’elle nous aveugle ?
La lumière divine s’éteint dès qu’elle se révèle et les pèlerins d’Emmaüs en font vite les frais. Dieu s’est approché, a donné et repris aussitôt, de peur qu’en le réduisant au pain rompu on l’utilise et le réduise à ce qu’il n’est pas…
Ce qu’il reste est un tressaillement, une Révélation fugace qui nous fait courir vers nos frères… sans briser notre liberté…
Et en même temps, peut-être, au bout du chemin, un soupçon d’espérance…
Quel Dieu !
Dieu caché,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que ce fruit nouveau-né
Dans la nuit qui t'engendre à la terre ;
Tu dis seulement
Le nom d'un enfant :
Le lieu où tu enfouis ta semence.
℟Explique-toi par ce lieu-dit :
Que l'Esprit parle à notre esprit
Dans le silence !
Dieu livré,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que ce corps partagé
Dans le pain qui te porte à nos lèvres ;
Tu dis seulement :
La coupe du sang
Versé pour la nouvelle confiance. ℟
Dieu blessé,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que cet homme humilié
Sur le bois qui t'expose au calvaire !
Tu dis seulement :
L'appel déchirant
D'un Dieu qui apprendrait la souffrance. ℟
Dieu vaincu,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que ces corps décharnés
Où la soif a tari la prière ;
Tu dis seulement :
Je suis l'innocent,
A qui tous les bourreaux font violence. ℟
Dieu sans voix,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que ce signe levé,
Edifié sur ta pierre angulaire !
Tu dis seulement :
Mon peuple est vivant,
Debout, il signifie ma présence. ℟
Dieu secret,
Tu n'as plus d'autre Parole
Que ce livre scellé
D'où l'Agneau fait jaillir ta lumière.
Tu dis seulement
Ces mots fulgurants :
Je viens! J'étonnerai vos patiences !
℟Explique-toi par ce lieu-dit :
Que l'Esprit parle à notre esprit
Dans le silence ! (4)
(1) D’ailleurs la Révélation, op cit. p. 49 sq
(2) cf. mon « Rideau déchiré »
(3) voir l’excellent livre de François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017
(4) office des lectures
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