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19 août 2022

En route vers la Galilée - 10 - la danse du puits…

 

Jean 4, 1-45 sur La Samaritaine n’est pas en apparence une manifestation extraordinaire de Dieu, mais une scène particulière de la vie de Jésus. Cependant, nos premiers pas à la suite de Jean montrent que rien n’est écrit au hasard chez Jean. Ici, Jean entre notamment en écho à des textes présentés plus haut, dans le cadre de notre analyse de l’Ancien Testament.

Le lieu de la rencontre mérite déjà un commentaire : 

« Près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. 6. Or, là était le puits de Jacob » 


Ce n’est pas une terre anodine, ni un puits ordinaire, mais celui de cet homme présenté plus haut comme celui qui a lutté contre Dieu (Gn 32, 25), un homme en recherche, un homme simple, y compris dans ses bassesses et à qui, pourtant, revient la descendance des douze tribus d’Israël. L’Évangéliste nous prépare, par cette seule mention, à contempler le récit d’une quête. Notons également que parmi les douze fils, la mention de Joseph, le fils de Rachel, n’est pas neutre, non plus, tant cette figure précède celle du Christ. S’il en est encore besoin, on perçoit par ce détail que Jean n’a pas pour vocation de refaire l’histoire des synoptiques, mais bien de nous conduire, par son récit sur un plan supérieur. 

 

« Jésus, fatigué de la route, s'assit tout simplement au bord du puits » 


Que de fois n’avons-nous pas été fatigués par la vie, harassés par la chaleur de la route et par la sécheresse apparente ? Jésus, lui aussi nous rejoint dans ce temps apparent du désert où l’on ne trouve plus la force de repartir, le vide et le silence. Il ne se fait pas d’abord Dieu, inaccessible, mais homme parmi les hommes. Avant qu’on ne contemple la profondeur de sa Passion, cette phrase nous révèle déjà l’humanité de Jésus. Elle nous permet de contempler son aptitude à rejoindre l’homme. 

La vulnérabilité de Jésus prépare à la précarité de l’issue finale.  On conjugue ici le don de Dieu avec l’idée d’un don qui s’efface, se fait petit, semble inutile. L’humble don d’un homme qui se met « à genoux ».    

Notre lecture diffère ici, quelque peu, de celle des affirmations du concile de Chalcédoine qui voyait, dans le contexte de la philosophie grecque, Dieu comme omnipotent et immuable. Ici, nous contemplons un homme que la résurrection nous a confirmé ensuite comme fils de Dieu et qui pourtant, dans ce récit, ressent la soif et la fatigue. N’y a-t-il pas souci d’humilité ? En parcourant le texte, nous en comprendrons peut-être le sens. Dans l’humilité du Fils, résonne comme une note symphonique qui répond à un phrasé plus ancien, ce petit être, déposé dans une mangeoire, que contemplera Luc en remontant au temps de la naissance et sous-entendant par là, à demi-mot, le pain offert au monde. Ici, de la même manière, le Fils d’homme se fait pauvre parmi les pauvres… 

 

« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (4, 5-6) 

Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, nous l’avons dit, n’est pas un lieu anodin. Il s’insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d’Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine. Et dans cette évocation, l’évangéliste nous introduit au sein même de la quête entre Dieu et l’homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l’histoire de la faiblesse de l’homme. 

Dans la tradition biblique, le puits - ou la source selon la traduction littérale du grec - fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d’une certaine manière, sa reprise par l’évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d’autres passages porteurs de sens. 

Puiser l’eau du puits est l’acte emblématique qui établit une alliance dans l’Ancien Testament. On peut relire la rencontre du serviteur d’Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l’alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d’épouser à nouveau l’humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l’importance, pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires, de cette rencontre et des déplacements auxquels l’évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l’évêque d’Hippone, jusqu’à une méditation des fiançailles du Christ avec l’Église païenne symbolisée par la Samaritaine.

 Derrière cette évocation résonne également avec notre première évocation de l’un des textes les plus anciens de l’Ancien Testament, celui d’Osée, où Dieu invite le prophète à reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d’accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au coeur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai c?ur à c?ur » (Osée 2, 16). 

Comme nous l’avons souligné, le texte grec ne parle pas d’ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d’une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.

D’autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d’Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l’homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l’autre. C’est en bas de la tour d’orgueil, dans la soif d’une rencontre que se trouve la source vive.

En deux phrases nous voici plongés au coeur même de la pastorale de l’Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s’agenouille devant l’homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l’homme et qui s’assoit pour tenter une ultime rencontre. 

s vivant parmi nous est notre seule raison d'être et notre unique objectif. Pouvons-nous en dire autant de nous-mêmes, à savoir que cela est notre seule raison de vivre ? » 

« Il était environ midi. » Jean 4, 6b. Quels sont les « midis » de Dieu ? Une pierre angulaire dans la longue histoire de l’humanité. L’instant aussi où la chaleur est la plus haute, la plus intense. Pour Jésus comme pour la Samaritaine, le choix de l’heure n’est pas anodin. Pour le Christ, c’est comme un sommet de la révélation, pour la Samaritaine, l’heure où, à cause de la chaleur, personne n’osera venir, elle ne se sentira pas jugée. C’est l’heure où règne le soleil et où l’homme se cache… 

 

« Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l'eau. » Jn 4, 7. 

On pourrait s’attendre encore, comme le raconte le chapitre précédent, à une autre rencontre au sommet avec un pharisien savant. Ici, ce n’est pas Nicodème et sa science, mais bien l’humanité dans sa pauvreté. Samaritaine, elle est paria aux yeux des juifs, descendante de cette race exilée de Babylone qui a adopté la religion juive, à moitié par contrainte. La Samarie s’est séparée définitivement du monde juif depuis quelques années déjà, même si l’ancien royaume du Nord a été à l’origine d’une étonnante fécondité théologique, la chute de Samarie (722), l’exil, le repeuplement et l’histoire ont conduit à d’importantes divergences de point de vue entre les deux peuples. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le récit. Cette femme peut être comparée à la nouvelle Gomer, comme l’aboutissement de la quête d’Osée. Faire un lien entre la femme d’Osée et la Samaritaine n’est pas anodin. Il nous plonge au cœur même du sens de l’alliance, d’un Dieu qui fera tout pour le « séduire » - au double sens d’allaitement et de séduction développé ai chapitre 1 - pour ramener son peuple à la source. Il rejoint ce à quoi notre pape nous invite : une pastorale de la périphérie.

La Samaritaine n’est pas meilleure que nous. Au contraire, on la considère comme une moins que rien et le contraste avec Nicodème devient source d’espérance. « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu… », dira Paul (1 Co 3, 19)… En quittant le sommet de Jérusalem, en montrant que Nicodème n’a pas réussi à trouver la voie, Jean nous conduit plus loin, jusqu’au puits de Jacob, sur le terrain de l’humanité telle qu’elle était à l’origine. Et sur ce lieu où l’homme reste accessible par son humanité, se tient une rencontre entre le nouvel Adam et l'Ève qui continue de chercher Dieu. N’est-on pas, là encore, dans le domaine de l’« où es-tu ? » (Gn 3, 9) qui résonne, à nouveau, dans le jardin du monde ? Dieu est à la recherche de l’humanité sans fard, de la brebis perdue… Les orthodoxes traduiront cela dans une icône remarquable où Jésus est représenté, relevant Adam et Ève de l’enfer pour le sauver. Ce qui se passe est l’incroyable toujours renouvelé d’un Dieu qui se révèle à l’homme, quelle que soit sa situation, son état. Comme le précise le théologien K. Rahner, l’homme en toute condition peut faire une rencontre surnaturelle. Il lui reste un accès possible à Dieu. 


Jésus lui dit : » Donne-moi à boire. » Jean 4, 7b . 

Le voici donc ce cri. Là encore, il nous surprend parce qu’il ne vient pas de l’homme, mais du Fils de Dieu. Ici se révèle la faiblesse de l’homme fatigué qui crie sa soif. Plus qu’ailleurs de nombreuses résonances sont possibles dans cette simple affirmation. Elles nous ouvrent encore à la musique de Dieu. On peut entendre, au fond de l’histoire d’Israël, tous les psaumes du désert où l’homme crie sa soif de Dieu. On perçoit également, tous les assoiffés du monde qui lancent leur cri. En prononçant ce premier « j’ai soif », Jésus danse à nos côtés la danse des hommes perdus, desséchés, abandonnés et ce faisant, il se révèle plus encore homme parmi les hommes. N'y a-t-il pas, encore plus qu'ailleurs, un dévoilement de l'humilité du Fils... 

Le cri n’est pas, pour autant, lancé dans le vide. Comme l’ « où es-tu ? » de Genèse 3, il est aussi celui du Serviteur qui, en s’adressant à l’humanité, demande à boire. Il ne résonne pas comme le « retire tes sandales » d’Exode 3, mais à l’opposé même, comme en négatif, sur la « note » plus humble de celui qui se mettra « à genoux » pour laver les pieds de ses disciples. Il chante ainsi, comme nous le verrons, le même cri que sur la Croix. C’est donc la symphonie des cris de son amour pour l’homme qui se mêle dans une seule phrase. Elle se charge de tous ces cris passés et futurs. Dieu assis devant l’Ève debout et qui demande de l’eau. À la lumière de la croix et de la résurrection, nous percevons plus encore l’ampleur de cette « danse » de Jésus au pied de la femme… 


La Samaritaine lui dit : » Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.) Jean 4, 9 


Le cri surprend. Il nous surprend, car venant de Dieu. Pour expliquer l’incongru, l’évangéliste nous précise l’absence des disciples. Cela n’enlève pas pour le lecteur de l’époque l’effet de surprise. Il surprend d’ailleurs la femme, car tous les codes qui régissent les contacts entre juifs et païens sont ici bouleversés. Jésus se rend impur dans ce contact, au nom de la loi juive. Au coeur des rejets réciproques, des haines ancestrales accumulées, un dialogue ténu s’est installé, entre une femme de rien et celui dont Jean nous a déjà dévoilé l’importance, mais qu’il nous montre ici, faible et fragile. Langage paradoxal où le plus grand rejoint le plus petit pour nous interpeller au cœur même de nos petitesses. Le dialogue n’est pas dans un rapport de force, mais dans la magie des mots de l’homme, dans l’expression d’un désir, d’un besoin, d’un manque… Derrière la soif de Jésus, peut-on aussi sentir celle de la femme, qui tout en venant à midi reste en quête de rencontres, demeure avide de relations ? 


Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. » Jean 4, 10 


Ici l’évangéliste insiste sur l’écart entre la demande et la réalité du personnage. Pour un lecteur non averti, on pourrait croire qu’il s’agit du rétablissement d’une erreur. Mais n’oublions pas que ce texte est écrit et lu à la lumière de la croix et de la résurrection. Il introduit à cette vision de l’eau vive qui jaillit entre les lignes dans de nombreux chapitres de cet Évangile. Il nous amène à un aller-retour que l’on ne peut éviter entre la soif et la source évoquée dans ce texte (Jean 4) et la soif et la source du Christ en Croix (Jean 18, 28 & 34). Contempler l’échange de Jean 4, en ayant en tête le « j’ai soif » du Christ en Croix et l’eau qui jaillit du cœur transpercé, nous permet de voir qu’ici, Jésus ouvre une brèche que Nicodème ne voulait percevoir. Face au pharisien il était resté énigmatique – ou, pour le moins, l’évangéliste nous l’a présenté comme tel – ici, il donne à voir le mystère. Dans la tension ouverte entre la soif de Dieu et l’eau jaillissante, la Samaritaine est introduite au paradoxe central de la révélation. Derrière la faiblesse apparente de Dieu se cache une force vive. Derrière l’homme fatigué et assoiffé, Dieu est là, prêt à combler le chercheur de Dieu. Derrière le dieu « mort » pour les hommes, se révèlera le « Ressuscité ». 

Dans cet épisode de la Samaritaine, une nouvelle source se prépare. Et elle n’est pas réservée au peuple juif, mais offerte à toute l’humanité. Le passage évoque pour moi l’attente de Dieu. Sa soif est éternelle. Elle suit et précède son don toujours plus intense.

Plus loin, au chapitre 7, Jean affirmera : « Des fleuves d’eau vive jailliront de son coeur ». (Jn 7,38). Pour Benoît XVI deux types d’analyses sont possibles. La traduction alexandrine inaugurée par Origène (254), saint Jérôme et Augustin pense « que l’homme qui croit devient lui-même source, une oasis dont jaillit l’eau ». Une autre traduction moins répandue, mais plus proche de Jean, Irénée, Hippolyte, Cyprien et Éphrem modifie la ponctuation. « Celui qui a soif qu’il vienne à moi ; celui qui croit en moi qu’il boive ». Chez Thomas, 10, 6 (apocryphe) on lit « celui qui boit de ma bouche deviendra comme moi ». Le croyant s’unit au Christ. Il a part à sa fécondité. « L’homme qui croit et qui aime avec le Christ devient un puits qui dispense la vie ». On peut aussi y rattacher l’interprétation donnée par la parabole de la vigne et des sarments. Si l’on est soi-même source, c’est que l’on est rattaché à la vigne. Mais si l’on perd ce rattachement, ce qui coule « à travers nous » se tarit ou coule malgré nous, ajouterais-je presque.

La source de Jacob, qui divisait le monde juif de Samarie n’a finalement plus d’importance. Maintenant se dessine une nouvelle « eau vive » et si le Christ l’évoque ici, ce n’est pas aux sages et aux puissants, mais bien à celle qui se croyait abandonnée, jugée, méprisée et qui ne voulait plus s’afficher aux heures de foules. Le geste de Jésus qui vient puiser son eau est aussi fort que celui où il s’abaisse pour rejoindre la femme adultère, il se fait petit auprès des petits, avant d’être souffrant auprès des souffrants.

Elle lui dit « Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l'eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob (...).  Jn 4, 11-12 

Comme sur les chemins d’Emmaüs, la révélation n’est pas pour autant éblouissante dès le premier instant. Elle demande un accompagnement. Le chemin intérieur parcouru par la Samaritaine est essentiel. Elle a été interpellée par l’affirmation. Elle entre, au-delà de la surprise, dans un dialogue plus profond. De co-assoiffée, elle devient co-chercheuse de Dieu. 


Jésus lui répondit : » Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. » Jean 4, 13-14 


Alors Jésus poursuit son chemin. Il dévoile une ouverture nouvelle. Comme et au-delà de Nicodème, il s’agit d’une nouvelle naissance, d’un au-delà du contingent, de la soif humaine, une ouverture vers l’infini de Dieu, la vie éternelle. À la chaîne inéluctable, dans laquelle semble enfermé l’homme, une espérance surgit dans les mots de Jésus. La soif peut être surmontée, l’impossible humain peut laisser place à une autre vie. La mort peut donner naissance à une nouvelle vie. S’il a quitté le chemin de l’humilité, en affirmant son « je », ce n’est qu’au terme d’un parcours. Est-ce de la manipulation, une séduction malsaine, ou simplement un chemin de vérité ? L’humilité de départ n’était pas feinte. Elle n’avait qu’un but, rejoindre et aimer. Et le cœur aimant de Jésus, en introduisant la prédiction d’une eau vive, ne dévoile pas le prix qu’il payera pour que cette source jaillisse du désert de nos vies. 

Car la source jaillissante évoque déjà le sang et l’eau versés. Isolé, ce texte ne dévoile pas grand-chose. Rattaché à l’agonie et à la croix, il nous introduit dans le mystère même de la révélation. Du Jésus fatigué nous passons à celui qui est source pour le monde. Que de chemin parcouru !


La femme lui dit : » Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. » Jean 4, 15 


La « danse » de Jésus a réveillé le désir. On perçoit ici le chemin pastoral qui s’est ouvert par cette attitude et ces échanges. À petits pas, en utilisant la surprise voire l’ironie, le récit nous montre comment Jésus a ouvert le coeur de la femme à un autrement… 

 

« Va, appelle ton mari et reviens ici » Jean 4, 16 


Ici, la pastorale prend une autre tournure. Non seulement elle réveille notre soif, mais elle met le doigt sur nos propres « adhérences* », sur ce qui nous retient loin de la source. Où sont « nos » cinq maris ? Sont-ils dans la course folle du monde, dans l’inutile ou l’éphémère, l’argent, le pouvoir, l’avoir ou le valoir ? En repartant sur la soif essentielle à l’homme, Jésus interroge la femme, l’interpelle sur l’essence même de sa quête. 

La suite du dialogue va poursuivre cette interpellation. Quels sont nos modes d’adoration ? Adorons-nous en esprit et en vérité ? Le chemin qui surgit à nous est celui d’une descente équivalente ou pour le moins, dans la direction de celui qui nous conduit. 

Alors, au bout de l’échange, vient la révélation ultime. 


« Moi je le suis (ego eimi) qui te parle…» (Jn 4, 26). 


Comme on le verra au jardin de Gethsémani, le « moi je suis » est l’éternelle réponse de Dieu à l’homme en quête. Viens et suis-moi… En reprenant les mots même de Dieu au Sinaï (cf. Ex 3 : « je suis celui qui suis »), on peut arguer que le Christ dépasse l’attitude de l’humble marcheur. Car ce qui se dit « ego eimi » en grec est réservé à Dieu et nombreux sont les textes où son emploi est reproché au Christ. Il nous faut donc mettre plusieurs bémols. 

Jésus n’est pas apparu, ici, en « Christ de gloire », pour les aider à croire à l’impossible de Dieu, comme il le fera aux trois apôtres – cf. la manière dont les synoptiques le présentent dans le récit de la Transfiguration. Ici, il ne fait que reprendre la phrase intraduisible (« je suis » d’Exode 3), que certains se proposent, comme nous l’avons vu plus haut, de traduire en un « je serais ce que je serais », l’affirmation humble d’un avenir qui révélera seulement qui il est… Nous sommes bien, comme suggéré plus haut, dans l’axe de la Croix.

Mais nous anticipons. Avant d'en arriver là, il y a encore des descentes et des montées et d’autres « Je suis » égrené dans le texte. Pour l'instant, c'est l'appel à la foi de l'homme qui est en jeu. Descendra-t-il lui aussi jusqu'à dire « j'ai soif » ?

Il faut accepter de continuer la lecture. C’est en effet, l’officier du Roi qui nous y préparera (Jn 4, 46). Il s'apprête à descendre. Et pourtant, avant même que son mouvement soit accompli, par la foi seule, son fils est guéri.

Il a été plus vite que Zachée, pour lequel Jésus avait dû descendre jusqu'à Jéricho... Descendre à Jéricho, nous disent les pères de l’Église, c’est, à l’inverse de la montée vers Jérusalem, une descente vers le monde. Ici, l’officier royal n'a même pas eu besoin de faire le voyage. Une leçon d'humilité ? Cette rencontre où l’un comme l’autre font acte de confiance : Jésus qui croit en l’homme malgré sa fonction et l’homme qui croit à Jésus nous fait entrer dans un double agenouillement : Jésus, à genoux devant la foi de l’homme de pouvoir, à genoux devant Jésus…

Commentaire du pape François :

Dans une belle méditation sur la Samaritaine, la première chez Jean à se laisser transformer pour annoncer la bonne nouvelle, le pape François a souligné combien la soif du Christ devient une « soif de rencontre » communicative, une source de dialogue et de joie,  le pape nous invite à vivre dans cette une unité qui « se fait sur le chemin (...) en marchant ».

« L’engagement commun à annoncer l’Évangile permet de dépasser toute forme de prosélytisme et la tentation de compétition », a-t-il souligné à ce sujet.  « Nous sommes tous au service de l’unique et même Évangile ! », a-t-il conclu, faisant de nouveau ressortir le fait que ceux qui persécutent aujourd’hui les chrétiens dans le monde ne distinguent pas l’Église à laquelle ils appartiennent. C’est ce que le pape François appelle « l’oecuménisme du sang », un chemin de sainteté qui n’est pas individuel, mais collectif.


À suivre


Extrait des références : 


- W. H. Vanstone, Love’s Endeavor, Love’s Expense, Londres, Darton, Longman & Todd, 1977, p. 57, d’après D. Brown, op. cit. p. 171.

- saint Augustin (Traité 15)

- R. Simon, Éthique de la responsabilité », Cerf, 1993,  p. 260

- pape François  Homélie à Saint-Paul-hors-les-murs du 25 janvier 2015.

- Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, p. 124

04 février 2022

La danse du Verbe 2.28 [v2]

Il faut souvent reculer d’un pas pour comprendre les enchaînements et les effacements silencieux de l’Ecriture qui réveillent en nous des correspondances subtiles entre les événements de la vie du Christ et leurs interprétations par les évangélistes. 

Comment l’insaisissable (1) se laisse-t-il trouver ?

Nous contemplions dimanche dernier chez l’un des synoptiques, l’agenouillement du Verbe de Dieu dans l’eau du Jourdain et cette invitation à la danse humble et particulière de celui qui vient rejoindre et « épouser » notre humanité. Voici qu’il nous faut maintenant contempler les eaux usées de notre baptême et remplir à nouveaux de lourdes jarres de pierre (Jn 2) pour entrer dans l’espérance que le Verbe transforme cela en vin nouveau ou dans cette eau vive et légère que Jésus évoquera à la Samaritaine (Jn 4) à l’ombre d’un puis mythique où les patriarches rencontraient leurs épouses.

Danse subtile du Verbe qui cherche à nous rejoindre dans ce qu’il y a de plus intime et de plus fragile en nous.

Invitation toute intérieure, dans le silence de nos nuits, à poursuivre vers l’essentiel, à faire de notre agir une danse amoureuse…

Chemin d’humilité, cet inaccessible que nous tentons d’atteindre, et que Dieu seul peut transformer (transsubstantier ?).


J’ai clôturé temporairement mon livre « Danse avec ton Dieu », (2) mais comme souvent, j’en sens déjà ses limites, car l’écriture comme la tradition ne peut être statique et figée. Elle n’est, comme le dit, Paul que balayure par rapport à notre course infinie pour tâcher de la saisir et d’être saisi par lui…(Ph 3)


(1) merci à Geneviève de nous avoir rediriger vers cet entretien sublime de Maurice Bellet qui en parle si bien https://youtu.be/imRjTSNT4iY


(2) voir la version gratuite sur Kobo ou Fnac.com ou la version papier à prix coûtant ici : https://www.amazon.fr/dp/B09PQ9FJRR

02 avril 2021

Homélie du vendredi saint... - La Croix 12.0 - la danse finale (n.45)

Projet 2

Qu’est-ce que nous contemplons ce soir ?

Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

  1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :
    • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.
    • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)
    • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)
  2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 
  3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)
  4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...
  5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.
  6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)
  7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 
  8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).
  9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)
  10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 
  11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précède en Galilée 
  12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter ;-). On n’épuisa jamais la révélation de la Croix. 


Jean nous conduit aussi à une interrogation particulière. Nous l’avons vu, quand Jésus, au jardin, affirme par trois fois Je suis, c’est à la fois une révélation du mystère même de l’homme Dieu et un écho aux trois « je ne suis pas » de Pierre. 

Ego eimi / ouk eimi


Et nous qu’allons nous dire. Je suis ? Je te suis ? Ou je ne suis pas, je ne te suis pas.


Laissons la question résonner dans le silence. Est-ce que Jésus est mort en vain... est-ce que notre marche vers Pâques est stérile ou sommes-nous prêts à avancer, à répondre enfin à l’où es-tu de Dieu, aidé par la contemplation de la croix et sa miséricorde ? 



Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »


05 septembre 2020

Évangélisation...- 5


Ma lecture du texte cité de Michel Rondet dans le billet précédent s'inscrit dans la même lignée que la contemplation d'un Dieu « agenouillé devant l'homme(*) » depuis « l'où es-tu ? » lancé par Dieu au Jardin de Gn 3, alors que l'homme cherche la puissance jusqu'au « donne-moi à boire » de Jésus à la Samaritaine.



« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (Jn 4, 5-6) Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, n'est pas un lieu anodin. Il s'insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d'Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine… Et dans cette évocation, l'évangéliste nous introduit au sein même de toute la recherche entre Dieu et l'homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l'histoire de la faiblesse de l'homme.
Dans la tradition biblique, le puits ou la source (selon la traduction littérale « du grec) fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d'une certaine manière, sa reprise par l'évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d'autres passages porteurs de sens.
Puiser l'eau du puits est l'acte emblématique qui établit une alliance dans l'Ancien Testament. On retrouve ce récit dans la rencontre du serviteur d'Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l'alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d'épouser à nouveau l'humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l'importance pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires de cette rencontre et des déplacements auxquels l'évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l'évêque d'Hippone, jusqu'à une méditation des fiançailles du Christ avec l'Église païenne symbolisée par la Samaritaine.
Dieu a soif de voir grandir ces « semences du verbe plantées loin de ses frères juifs, semble dire Jean en écho aux méditations de Jésus devant la syrophénicienne chez Matthieu.
 Derrière cette évocation résonne également l'appel d'un des textes les plus anciens de l'Ancien Testament, celui d'Osée, où Dieu invite le prophète à « reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d'accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au cœur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai cœur à cœur » (Osée 2, 16).
Comme nous l'avons souligné, le texte grec ne parle pas d'ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d'une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.
D'autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d'Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l'homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l'autre. C'est en bas de la tour d'orgueil, dans la soif d'une rencontre que se trouve la source vive.
En deux phrases nous voici plongés dans le cœur même de la pastorale de l'Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s'agenouille devant l'homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l'homme et qui s'assoit pour tenter une ultime rencontre. « Saint Augustin, dans son commentaire sur Jean[traité 15] commente ainsi l'attitude du Christ : « Jésus est venu, il est venu près d'un puits, c'est-à-dire qu'il s'est humilié; il s'est fatigué à venir, parce qu'il s'est chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce que c'était le sixième âge du monde. Il est venu près d'un puits, parce qu'il est descendu jusque dans l'abîme qui faisait notre demeure. C'est pourquoi il est écrit au psaume: « Du fond de l'abîme, Seigneur, j'ai crié vers vous». Enfin il s'est assis près d'un puits, car je l'ai dit déjà, il s'est humilié.  Augustin note par ailleurs que « Jésus avait soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes pour lesquels il a répandu son sang ». Le « donne-moi à boire » fait résonner alors plus encore ce que l'on peut interpréter comme un « j'ai soif de votre humanité », que nous entendrons à nouveau dans le cri du Christ en Croix. Le « J'ai soif » est le dernier cri lancé au monde avant que ne jaillisse de son sein, comme en retour, le fleuve d'eau et de sang, geyser d'amour qui inonde le monde.

Cette lecture se poursuit jusqu'à ce qu'elle soit portée à son paroxysme dans la théologie de la joie gauche ou l'agenouillement devant Judas. C'est la contemplation d'un Dieu miséricordieux qui n'impose pas une morale, mais croit en l'homme, n'arrache pas l'ivraie, mais contemple le grain qui pousse, ne juge pas la femme adultère mais l'invite à se relever.
Cette lecture n'est pas celle du prosélytisme conquérant, du moralisme pharisien, du juge qui abuse de son autorité, du clerc certain de sa supériorité sur le laïc. Elle est, pour moi, dans le jusqu'au bout de la kénose (Ph 2) : « Il n'a pas retenu le rang qui l'égalait à Dieu, mais s'est fait serviteur, [en grec : ekenosen : il s'est vidé de lui-même/ dépouillé/ humilié dans un « j'ai soif » qui s'étend de Gn 3 à Jn 19, dans un « donne-moi à boire » qui résonne de Jn 4 (Samaritaine) au « j'ai soif de toi » que lit Mère Teresa...
Je pourrais continuer à explorer et contempler cela pendant des années, mais il est temps pour moi de rentrer dans le silence, car c'est au fond du cœur de l'homme que cette conversion doit se faire. Et qui suis-je pour oser dire comme Irénée, Varillon ou Zundel que « la gloire de Dieu est l'homme vivant ».
Quelques lecteurs m'ont demandé où et comment comprendre cette théologie particulière. Elle est offerte gratuitement à votre contemplation dans ces quatorze et quelques ouvrages qui ont construit ma foi. Il est temps que je me taise. j'ai trop parlé. La bruit d'un fin silence suffit, ouvrez vos portes au courant d'air, creusez en vous cet appel discret d'un Dieu agenouillé...
C’est pour cela que j’ai répondu au bout de 25 ans à l'appel au diaconat. Je crois dans la « pastorale de l'engendrement » de Bacq et Theobald, au fait que « l'évangile sauvera l'Église » de Moingt et en l'importance du « retour au centre » qu'est le Christ de Hans Urs von Balthasar.
Ma morale est vectorielle. Elle prend chacun là où il est et l'invite à faire un pas en avant. Qu'il soit au fond du gouffre ou près de la crête. Chacun est invité au fond de son cœur à entendre la plainte d'un Dieu souffrant, et assoiffé de notre amour. C'est dans « le rideau déchiré » (*) que se révèle le mystère, c'est en levant les yeux sur un corps décharné que l'on aperçoit sa fragilité.
L'office des lectures a cette nuit le dernier mot.

Comment es-tu foyer de feu
   et fraîcheur de la fontaine,
une brûlure, une douceur
   qui rend saines nos souillures ?

Comment fais-tu de l'homme un dieu,
   de la nuit une lumière,
et des abîmes de la mort
   tires-tu la vie nouvelle?

Comment la nuit vient-elle au jour ?
   Peux-tu vaincre les ténèbres,
porter ta flamme jusqu'au cœur
   et changer le fond de l'être ?

Comment n'es-tu qu'un avec nous,
   nous rends-tu fils de Dieu même ?
Comment nous brûles-tu d'amour
   et nous blesses-tu sans glaive ?

Comment peux-tu nous supporter,
   rester lent à la colère,
et de l'ailleurs où tu te tiens
   voir ici nos moindres gestes ?

Comment de si haut et de si loin
   ton regard suit-il nos actes ?
Ton serviteur attend la paix,
   le courage dans les larmes !

(*) pour lire À genoux devant l'homme (dont est tiré un extrait de ce billet), Dieu agenouillé, Retire tes sandales, Le rideau déchiré, Humilité et Miséricorde, Serviteur de l'homme, Pédagogie divine, Les chemins du désert, Dieu n'est pas violent, ou la Pastorale du Seuil, pour ne citer que 9 des 14 livres évoqués, suivez cette piste... : http://chemin.blogspot.com Je ne suis pas aussi prolixe que Teilhard mais j'y travaille... la piste vous conduira aussi à des romans offerts à ceux qui ont peur de la théologie et de « ses gros mots » et préfèrent un récit : d'une Perle à l'autre (800 pages) ou « le vieil homme et la brise » (80 pages) sont les meilleures pistes. Tout est offert gratuitement en numérique chez Kobo ou en papier à prix coutant chez Amazon. Bon vent. Ces livres sont auto-publiés, ceux qui portent mon nom aux éditions de L'Atelier ou chez Bayard sont épuisés. Je vais de mon côté chercher à suivre « celui qui m'a saisi et tacher de le saisir » (Ph. 3) en essayant de moins parler mais d'agir dans la périphérie où mon évêque m'a envoyé.


25 mai 2020

Esprit et eau - Cyrille de Jérusalem - Amour en toi 57

« L'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. C'est une eau toute nouvelle, vivante, et jaillissante, jaillissant pour ceux qui en sont dignes.



Pour quelle raison le don de l'Esprit est-il appelé une « eau » ?

C'est parce que l'eau est à la base de tout ; parce que l'eau produit la végétation et la vie ; parce que l'eau descend du ciel sous forme de pluie ; parce qu'en tombant sous une seule forme, elle opère de façon multiforme. ~ Elle est différente dans le palmier, différente dans la vigne, elle se fait toute à tous. Elle n'a qu'une seule manière d'être, et elle n'est pas différente d'elle-même. La pluie ne se transforme pas quand elle descend ici ou là ,mais, en s'adaptant à la constitution des êtres qui la reçoivent, elle produit en chacun ce qui lui convient.

L'Esprit Saint agit ainsi. Il a beau être un, simple et indivisible, il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. De même que le bois sec, associé à l'eau, produit des bourgeons, de même l'âme qui vivait dans le péché, mais que la pénitence rend capable de recevoir le Saint-Esprit, apporte des fruits de justice. Bien que l'Esprit soit simple, c'est lui, sur l'ordre de Dieu et au nom du Christ, qui anime de nombreuses vertus.

Il emploie la langue de celui-ci au service de la sagesse ; il éclaire par la prophétie l'âme de celui-là ; il donne à un prêtre le pouvoir de chasser les démons ; à un autre encore celui d'interpréter les divines Écritures. Il fortifie la chasteté de l'un, il enseigne à un autre l'art de l'aumône, il enseigne à celui-ci le jeûne et l'ascèse, à un autre il enseigne à mépriser les intérêts du corps, il prépare un autre encore au martyre. Différent chez les différents hommes, il n'est pas différent de lui-même, ainsi qu'il est écrit: Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit en vue du bien de tous. ~

Son entrée en nous se fait avec douceur, on l'accueille avec joie, son joug est facile à porter. Son arrivée est annoncée par des rayons de lumière et de science. Il vient avec la tendresse d'un défenseur véritable, car il vient pour sauver, guérir, enseigner, conseiller, fortifier, réconforter, éclairer l'esprit : chez celui qui le reçoit, tout d'abord ; et ensuite, par celui-ci, chez les autres.

Un homme qui se trouvait d'abord dans l'obscurité, en voyant soudain le soleil, a le regard éclairé et voit clairement ce qu'il ne voyait pas auparavant: ainsi celui qui a l'avantage de recevoir le Saint-Esprit a l'âme illuminée, et il voit de façon surhumaine ce qu'il ne connaissait pas. »

Sans autre commentaire que de noter une correspondance spirituelle entre mon homélie de dimanche et ce beau texte de Cyrille découvert ce matin dans l'office des lectures du 7eme lundi de Pâques.

Plus encore, il y a cette même trame que je vous invite à découvrir dans la balise « amour en toi ». Cette 57eme balise donne en effet un surcroît de sens au 56 premiers billets (2). L'Esprit qui habite en nous depuis le baptême fait renaître en nos cœurs une flamme secrète, une source profonde. Capax dei.Dieu n'attends qu'un cœur ouvert pour libérer de nos cœurs de pierre, la lumière et la gloire qui jaillit de sa charité en actes.

Au fonds de chacun d'entre nous repose la capacité d'aimer en actes et en vérité et l'Esprit de Pentecôte est le révélateur de cette aptitude secrète que nous ne cessons de mettre sous le boisseau.

(1) Saint Cyrille de Jérusalem, catéchèse sur l'Esprit Saint, source AELF
(2) je rêve depuis longtemps d'avoir le temps de mettre en livre cette trame discrète... née un jour de la lecture de « Pour toi quand tu pries » de François Cassingena-Trévédy - un livre qui, bien que dense et un peu ardu à la lecture reste pour moi le plus beau livre spirituel du XXIeme siècle naissant. Suis-je objectif ? Peut-être pas. Le fait qu'il soit écrit par un moine de Ligugé, cette abbaye où a pris corps, il y a 45 ans m'a vocation de baptisé puis de diacre trouble peut-être mon objectivité...toujours est-il que je manduque depuis cette idée de développer un livre qui fasse jaillir au sein du lecteur cette prise en compte que le but ultime de la danse trinitaire est de faire jaillir en l'homme cette source secrète déposée en lui par le baptême ou même cette semence du Verbe qu'il a reçu malgré lui. Capax dei...

15 mars 2020

Au fil de Jean 4 - La Samaritaine - Saint Augustin

En guise de corrigé de mon homélie, Écoutons saint Augustin sur Jean 4 :

« Arrive une femme. Elle représente l'Église ; l'Église qui n'était pas encore justifiée, mais déjà appelée à la justification. Car c'est de cela qu'il est question. Elle arrive sans savoir, elle trouve Jésus, et la conversation s'engage.

Voyons comment, voyons pourquoi arrive une femme de Samarie qui venait puiser de l'eau. Les Samaritains n'appartenaient pas au peuple des Juifs, car à l'origine ils étaient des étrangers. ~ C'est un symbole de la réalité qu'arrive de chez les étrangers cette femme qui était l'image de l'Église, car l'Église devait venir aussi des nations païennes, être étrangère à la descendance des Juifs.
Écoutons-la donc : en elle, c'est nous qui parlons ! Reconnaissons-nous en elle et, en elle, rendons grâce à Dieu pour nous. Elle était la figure, non la vérité ; car elle-même a présenté d'abord la figure, et la vérité est venue. Car elle a cru en celui qui, en elle, nous présentait cette préfiguration. Donc, elle venait puiser de l'eau, tout simplement, comme font ordinairement des hommes ou des femmes.
  
Jésus lui dit : Donne-moi à boire. (En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger). La Samaritaine lui dit : Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.
Vous voyez que c'étaient bien des étrangers : les Juifs n'employaient jamais leurs récipients. Et, parce que cette femme avait emporté une cruche pour puiser l'eau, elle s'étonne de ce qu'un Juif lui demande à boire, ce qui n'était pas la coutume des Juifs. Mais celui qui cherchait à boire avait soif de la foi de cette femme.

Écoute enfin quel est celui qui demande à boire. Jésus lui répondit : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi à boire, c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. Il demande à boire, et il promet à boire. Il est dans le besoin, comme celui qui va recevoir, et il est dans l'abondance, comme celui qui va combler. Si tu savais le don de Dieu, dit-il. Le don de Dieu, c'est l'Esprit Saint. Mais Jésus parle encore à cette femme de façon cachée et peu à peu il entre dans son cœur. Peut-être l'instruit-il déjà. Qu'y a-t-il de plus doux et de plus bienveillant que cette invitation : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi a boire, c'est peut-être toi qui demanderais, et il te donnerait de l'eau vive. ~
Quelle eau va-t-il lui donner, sinon cette eau dont il est dit : En toi est la source de vie ? Comment auraient-ils soif, ceux qui seront enivrés par les richesses de ta maison ?
Il promettait donc la nourriture substantielle et le rassasiement de l'Esprit Saint, mais la femme ne comprenait pas encore. Et, parce qu'elle ne comprenait pas, que répondait-elle ? La femme lui dit : Seigneur, donne-la moi, cette eau :  que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. Sa pauvreté l'obligeait à peiner, et sa faiblesse refusait cette peine. Elle aurait dû entendre cette parole : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos ! Jésus lui disait cela pour qu'elle cesse de peiner. Mais elle ne comprenait pas encore.(1) »

(1) Augustin d'Hippone, commentaire de l'Evangile de Jean, source: office des lectures du 3eme dimanche de carême

14 mars 2020

Homélie du 3eme dimanche de carême - La Samaritaine - Jean 4

Homélie du 3eme dimanche de carême - La Samaritaine - Jean 4

Projet 2
Connaissons-nous le don de Dieu ?

C'est peut-être la contemplation centrale des textes de ce dimanche. Si nous avons accepté de quitter nos habitudes pour marcher dans le « désert » et rencontré la soif véritable, alors nous rejoignons le grand assoiffé d'amour : Jésus Christ, celui qui se présente au puits à l'heure la plus chaude et nous demande à boire.
Avant-dernier agenouillement du Fils devant « l'homme » - ici une femme qui ne cesse d'avoir soif malgré ses cinq maris.
Le contraste est saisissant et c'est pourtant là que tout se joue.

Le puits est le lieu de la rencontre typique de l'ancien testament. C'est donc de nos épousailles qu'il s'agit. Allons nous répondre à cette demande en mariage ?
« Donne moi à boire ? »

Pouvons nous apporter l'eau pour qu'il serve au vin des noces ?
Qui sont nos cinq maris et celui avec qui nous restons englués ? Orgueil, suffisance, avarice, luxure... (je parle pour moi...) ?

Pouvons-nous quitter ce qui nous empêche de comprendre que l'eau de la vie vient de Dieu ? Que l'eau n'est autre que cet amour déposé au fond de notre cœur et qui ne demande qu'à jaillir.
    
Méditons d'abord sur ce don de Dieu, même si l'actualité nous détourne le coeur des chemins d'espérance.

Dieu n'est pas dans le drame, mais dans l'amour qui jaillit, dans ces chants qui emplissent les maisons italiennes en ce moment et traduisent que l'amour est plus fort que la mort.

« Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle. »

Le Christ est le Rocher d'où jaillit l'amour. C'est ce qu'affirme en tout cas de nombreux commentaires sur l'épisode du Rocher : « Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb.
Tu frapperas le rocher, il en sortira de l'eau, et le peuple boira ! » Exode 17

Ils ont transpercé le cœur de Dieu et de cette plaie offerte jaillit un fleuve immense : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. » Jean 4

L'eau jaillissante...

« l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné. » Romains 5
Précise saint Paul...

Ce qui jaillit du cœur transpercé est l'Esprit d'amour. Laissons nous inonder de l'intérieur par cette eau vive. La vie est là. Même si nous sommes privés d'eucharistie, elle est au fond de nous, dès que nous quittons ce qui obscurcit notre regard...



09 novembre 2019

Notre Dame de Paris, une cathédrale vivante ? - Dédicace

Après avoir fêté hier les saints du diocèse le fait que nous fêtions la dédicace du Latran et à travers elle celle de nos églises interpelle à l'aune de ce que nous dit le pape François sur la dimension polyédrique de notre Église et en écho à l'expression petrinienne de "pierres vivantes".

"Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, construisez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d'offrir des sacrifices spirituels, agréés de Dieu, par Jésus-Christ; car voici ce qu'on trouve dans l'Ecriture: Je vais poser en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse" (cf. 1P2, 4sq)

Une cathédrale est signe efficace de la présence du Christ incarné reposant sur sa pierre angulaire.



Du temple coule un fleuve immense nous dit Ezékiel 47.

Les propos du cardinal Newman nous invitent à entrer dans cette contemplation :
"Une cathédrale est-elle le fruit d'un désir passager ou quelque chose qu'on puisse réaliser à volonté ? À coup sûr, les églises dont nous héritons ne sont pas une simple affaire de capitaux, ni une pure création du génie ; elles sont le fruit du martyre, de hauts faits et de souffrances. Leurs fondations sont très profondes ; elles reposent sur la prédication des apôtres, sur la confession de la foi par les saints, et sur les premières conquêtes de l'Évangile dans notre pays. Tout ce qui est si noble dans leur architecture, qui captive l'œil et va au cœur, n'est pas le pur effet de l'imagination des hommes, c'est un don de Dieu, c'est une œuvre spirituelle.
La croix est toujours plantée dans le risque et dans la souffrance, arrosée de larmes et de sang. Nulle part elle ne prend racine et ne porte de fruit si sa prédication n'est accompagnée de renoncement. Les détenteurs du pouvoir peuvent porter un décret, favoriser une religion, mais ils ne peuvent pas la planter, ils ne peuvent que l'imposer. Seule l'Église peut planter l'Église. Personne d'autre que les saints, des hommes mortifiés, prédicateurs de la droiture, confesseurs de la vérité, ne peut créer une vraie maison pour la vérité.
C'est pourquoi les temples de Dieu sont aussi les monuments de ses saints. (...) Leur simplicité, leur grandeur, leur solidité, leur grâce et leur beauté ne font que rappeler la patience et la pureté, le courage et la douceur, la charité et la foi de ceux qui, eux, n'ont adoré Dieu que dans les montagnes et les déserts ; ils ont peiné, mais non en vain, puisque d'autres ont hérité des fruits de leur peine (cf Jn 4,38). À la longue, en effet, leur parole a porté fruit ; elle s'est faite Église, cette cathédrale où la Parole vit depuis si longtemps. Heureux ceux qui entrent dans ce lien de communion avec les saints du passé et avec l'Église universelle. Heureux ceux qui, en entrant dans cette église, pénètrent de cœur dans le ciel" (1)

C'est dans cet axe que nous pouvons alors entrer dans la dynamique donnée par Paul en 1 Cor 3 : "j'ai posé la pierre de fondation. Un autre construit dessus. Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction.
La pierre de fondation, personne ne peut en poser d'autre que celle qui s'y trouve : Jésus Christ.
Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?
Si quelqu'un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c'est vous.(2)

(1) Bienheureux John Henry Newman PPS, vol 6, n° 19 , source : l'Évangile au Quotidien
(2) cf. 1 Co 3, 9c sq


Envoyé de mon iPhone

20 juillet 2019

Grâce et Gloire 2

Quand le Créateur, une fois son travail achevé, contemple son œuvre et la trouve très bonne (tob) - et dans le bon est inclus le beau - le caractère bon et beau du cosmos n'est certainement pas séparable de l'acte et de la vision du Créateur puisque c'est dans la lumière rayonnante que baigne le monde ; malgré tout, ces biens de la grâce sont réellement donnés par Dieu au monde et il peut les garder légitimement aussi longtemps qu'il les restitue au Créateur en le louant et en lui rendant hommage. Cette transcendance et cette immanence du bon et du beau sont  (...) [rayonnement et resplendissement ] divins. Ce ne serait pas la grâce si elle ne faisait que rayonner au-dehors sans affecter intérieurement l'être doué de grâce. Si la grâce est sans cesse comparée avec la source d'eau vive jaillissant de Dieu (Isaïe 12,3 ; 55,1 Jérémie 2,13, Ezéchiel 47, 1 ; Psaume 36,9-10 ;  46,5 ; Zacharie 14,8 ;  Jean 4,14 7,37 ; Apocalypse 7, 17 ; 22, 17), ce n'est pas seulement pour que l'homme s'y baigne extérieurement, mais pour qu'il la boive et étanche sa soif. La grâce avec sa suavité peut devenir intérieure et propre à la créature dans la mesure même où celle-ci est prête à restituer le don divin : Ainsi Abraham n'a jamais possédé plus intimement son fils qu'après avoir passé par le suprême renoncement. (1)

Que retenir de ce long passage ? Balthasar insiste beaucoup sur la restitution. A méditer à l'aune des dons que Dieu nous fait...

(1) Hans Urs von Balthasar, ibid p. 129

20 juin 2019

Postorale périphérique - 6 - Le malentendu

"Toute rencontre doit nécessairement traverser des malentendus. (...) [comme avec] la Samaritaine: "Donne-moi de cette eau pour que je n'aie plus soif, que je n'aie plus à venir puiser ici" (Jn 4, 15).
Le malentendu dans une rencontre hospitalière peut durer très longtemps, et même être entretenu (...) Le chemin du malentendu, vers une entente passe par l'interrogation, et d'abord une auto-interrogation : la mise en question de soi-même est sans doute la condition ultime d'une rencontre réussie. Je suis interrogé par la présence d'autrui ; et je m'interroge sur mes préjugés, sur mes représentations, sur mes images, en raison de l'incontournable altérité de l'autre" (1)

Quel est l'enjeu ? Probablement cette inversion des rapports, cet effacement souvent prêchée par Jean Vanier dans ses discours sur la fragilité partagée. Elle est loin de tout enseignement d'en haut mais véritable rencontre, apostolat du seuil(2).

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 94-95
(2) cf. Pastorale du seuil

23 mars 2019

2eme Scrutin, Homélie du troisième dimanche de carême, année A - La samaritaine

De quoi avons nous soif ? 
Quel est le point commun entre ces textes que nous venons d’entendre ?  On y parle beaucoup de soif et de désert, d’eau et de source, pourtant le cœur de ces textes est ailleurs ? Quel est le centre, la pointe commune à ces trois textes ? 

Les mots du texte nous conduisent à une contemplation, puis à une interpellation 

Les Hébreux sont conduits par Dieu au désert, comme nous à ce temps de carême. Quel est finalement l’enjeu si ce n’est de nous amener à l’essentiel ?

De quoi avons nous soif ?

Qu’est-ce que cherche la femme de Samarie, la femme aux  6 maris. 
De quoi avons nous soif ? D’aimer, d’être aimé, d’argent, de pouvoir, de reconnaissance ? Ces soifs du monde qui deviennent des addictions ?


La Samaritaine vient au puits à l’heure la plus chaude, probablement pour éviter de rencontrer les femmes bien de son village. Et pourtant c’est là où elle rencontre Jésus. Ce qui est le plus surprenant, ce n’est pas son discours, mais la manière dont il l’aborde.  Lui le juif qui ne devait pas, selon sa loi, parler à un étranger, une impure, au risque de se rendre impure...

Quels sont ses mots ?  Donne moi à boire. Pour Mère Teresa qui a beaucoup médité ce texte, c’est un « j’ai soif » qu’il faut entendre. Un j’ai soif de ton humanité. Jésus est au bord du puits, là où la tradition nous décrit les fiançailles des patriarches. Il est là et il cherche à rencontrer l’humain de cette femme. Un peu comme le cri de Dieu au jardin d’Eden, après qu’il ait mangé le fruit interdit. Où es-tu  ? Où es-tu Adam ? Où es-tu Ève ? Où es-tu Samaritaine au 5 maris plus un (7 étant le chiffre de la plénitude, le 6 est le manque absolu) donne moi à boire, où es-tu ? Que cherches-tu vraiment ?

Peut-être doit on entendre nous aussi ce cri de Dieu, dans le silence, dans le désert où nous conduit notre marche du carême.  Alors nos soifs trouverons ce que notre cœur désir. L’amour véritable, un Dieu qui nous aime.  Quel est en effet le centre, la pointe commune à ces trois textes ? C’est le Rocher d’où coule l’eau qui apaise notre soif, c’est l’eau vive qui comble nos cœurs en quête d’amour?

Écoutons à nouveau l’échange pour comprendre leur liens. Dans la première lecture, Moïse entend la soif du peuple il frappe le rocher de son bâton faisant jaillir l’eau tant attendu par les hébreux. La Samaritaine elle parle à Jésus de la montagne que ses frères vénèrent comme étant le centre de la religion. Pourtant le centre est ailleurs, le centre est en Jésus-Christ. Il est le centre parce qu’il nous aime. Le J’ai soif qu’il dit-il entre les lignes, ce j’ai soif de toi, d’un amour en vérité, il le redira à la Croix juste avant d’être transpercé du glaive d’où sortira, comme pour le rocher frappé par Moise, la source immense d’un Dieu immense, l’eau vive, celle qui comble toute soif.

Le désert conduit à l’amour et le plus grand amour c’est Dieu cloué sur une croix, un Dieu qui se fait faible pour nous laisser, pour nous transmettre l’esprit, l’amour, source de vie, au delà de la mort...

Quelle activation pratique ? Au bout de cette quête n’oublions pas l’essentiel. Cet eau qui comble nos soifs ne nous appartiens pas. Comme la Samaritaine il nous faut courir au village et répandre la bonne nouvelle. Comme le dit le Cantique des Cantiques il nous reste à crier au monde : «  j’ai trouvé celui que mon cœur aime »....

22 janvier 2019

Tension johannique - Hans Urs von Balthasar

Je poursuis ma lecture interrompue de La prière contemplative et tombe sur une longue relecture par Hans Urs von Balthasar des épisodes de révélations successives chez Jean. Au travers des rencontres de Jean-Baptiste, Nicodème, la Samaritaine et les autres personnages de l'Evangile, se succèdent, pour le théologien, toute une série de dévoilement qui forment autant de theophanies d'un Dieu qui se dévoile et se révèle comme la Vérité et la Vie. Cette succession prend sens et donne une étonnante clé de lecture de l'évangile, cohérente avec celle que j'ai entreprise dans « A genoux devant l'homme » mais éclairante à bien des aspects.
Quel est l'enjeu pour Balthasar et donc pour nous ? Toute rencontre est contemplatio et oratio. C'est pour moi aussi un agenouillement croisé entre l'homme et Dieu. Dieu trouve en l'homme une terre féconde dans lequel les semences du verbe peuvent germer. L'homme est invité à découvrir et contempler ce Dieu qui vient à nous et se révèle en nous tirant plus haut. 
Comme le disait un commentaire, la « hauteur, la profondeur, la largeur du mystère » évoqué par Paul est révélé en Christ et culmine en Croix.

A découvrir in La prière contemplative, ibid p. 224sq


13 octobre 2018

Homélie de Baptême - 1 - Au fil de Marc 9, 39

Regardez ce petit enfant, dans sa fragilité, dans sa quiétude relative.
Qu'est-ce qui vous frappe ?
Pourquoi Jésus le met au centre dans cet Évangile (Mc 9, 30-37) que nous avons lu, une seconde fois ?
Prenons le temps, un instant de nous poser la question.

Pourquoi Jésus met l'enfant au centre dans cet Évangile ?

Je vous propose une réponse, fragile. Car je suis, moi aussi un petit enfant « diacre », tout juste sortie du grand berceau de la cathédrale de Chartres, mystérieusement réceptacle d'un don particulier dont je n'ai pas encore mesuré l'importance.

Ce don est le même, d'une certaine manière, que celui reçu par X. Il est donné par « le grand donateur qui s'efface » . Un grand donateur qui va jusqu'à nous donner son Fils et se taire. Pourquoi ce silence ? Pourquoi se tait-il ?

Le silence de Dieu, qui nous interpelle tous, un jour ou un autre, est sa marque de fabrique. Il donne et se tait.
Qu'a-t-il donné ?

Je vous propose une réponse, en tout cas la plus essentielle : Il nous donne la Foi, l'Espérance et la Charité.

X a confiance en sa maman, et même foi dans sa maman. Quand il la regarde, il sait qu'elle le comblera. Enfant, il n'en doute pas encore.
Et nous, doutons-nous de Dieu ?
Redevenons comme un enfant nous dit Jésus.

X vit dans l'espérance. Il sait que même si sa maman s'est absentée, elle reviendra.
Nous avons plus de mal à espérer…
Surtout quand la souffrance nous tombe dessus.

Notre vie entière, même embourbée dans le marécage de nos addictions, devrait être, pourtant, comme lui, dans l'attente de cette branche d'olivier rapportée par la colombe le jour du déluge (Gn 7). Un jour il reviendra. « Il est ressuscité » nous disent les 4 Évangiles.

X a, en lui, une réelle capacité d’Amour et de Charité. Il l’a reçu de Dieu, Elle dort en lui et ne demande qu'à’ “servir”.
Il va y travailler ! Il va recevoir, comme nous, l’Esprit de charité dans le silence de son baptême. Nous aussi, nous pouvons, comme lui, en faire usage.

C'est pour moi ma première mission de diacre et je me trouve, comme X très démuni.

Pourtant, il y a, autour de moi, des parrains dans la foi, qui m'aideront à me libérer de mes adhérences au mal’.

C’est cette sortie des eaux de la mort que nous allons exprimer tout à l’heure.

Mes parrains dans la foi vont m’aider à traverser encore et toujours les tentations qui m’embournent pour me conduire et m’accompagner au désert (Os 3), celui de l'attente, du silence, de la prière.

Parrain, marraine, et nous tous autour de lui, c'est notre premier rôle. Faire découvrir chez X, que seul l'amour véritable vaut la peine d'être vécu.
« Si vous n'avez pas la charité », X ne l'aura pas. Si elle n'est chez nous « qu'une cymbale qui sonne creux »(1 Co 13), X devra la trouver tout seul, et traverser le désert bien démuni.

Il aura soif (Jn 4, Jn 19) et c'est à vous de lui apporter l'eau. Cette eau vive (Jn 4) qui guérit et vivifie.

Si vous ne savez plus où se trouve cette source, penchez vous à nouveau vers la Croix. C'est de la Croix qu'elle jaillit. C'est le don de Dieu. Le seul, l'unique : la charité vient de Lui, elle se ressource en Lui, elle se contemple dans la Croix.

Je vais vous confier un secret. A chaque eucharistie, je contemple la Croix. (...)

Pourquoi je lève la tête? Parce que le pain offert et consacré n'est rien, s'il n'est compris comme le don total, immense, d'un amour qui se donne et s'efface. Et c’est ce que j’ai besoin de contempler.

Le seul amour est celui qui se donne et s’efface ensuite.
C’est celui de cette maman et de ce papa qui nous apportent X.
C’est celui auquel nous sommes appelés, chacun à notre manière.
C’est celui de ce Christ, reçu il y a quelques instants dans notre coeur.

Il nous faut prendre le temps de nous disposer à l'accueillir. Lui laisser une place.
Et pour cela, laisser l’Esprit creuser en nous un espace, un temple (1 Co 3), pour que Dieu laisse fasse en nous jaillir sa source, pour que nous puissions y puiser, et agir.

04 avril 2016

Sur le toit du monde - 2

Après avoir laissé résonner le silence du tombeau vide, la voix d'un fin silence nous fait entendre son chant. Il se murmure depuis l'éternité.  On l'entend dans l'entre-deux entre la terre et le ciel, où dans la nuit du jardin de l'homme,  alors que nous sommes emportés par le sommeil.
J'étais là (1)
Je suis celui qui suis (2)
Je serai qui je serai (2)
Je suis.(3)
Un "je suis" (ego eimi) répété trois fois auquel Pierre réponds,  à notre image un je ne suis pas (ouk eimi)
Il n'est que murmure,  car c'est la voix du silence(4) et de l'abaissement,  de l'humilité et du renoncement.  Et pourtant,  il ne cesse de résonner dans nos déserts, de crier sa soif de nous rejoindre.
Donne-moi à boire (5)
J'ai soif (6)
Sur la croix, le chant du Christ semble s'éteindre.  Il est remit au Père.
Et pourtant,  alors qu'on croit venue la fin, résonne un ultime chant. Est-ce le chant des anges ?
Je serai avec vous (7)
Allez
Il vous attend au coeur de l'humain,  en Gallilée
À ceux qui doutent encore,  il demeure un signe, celui d'un fleuve immense jailli du sein du Fils de l'homme.
Pour aller plus loin
(1) Proverbes 8, 27 - cf. C. Gripon, op. Cit. p.  61
(2) Ex 3
(3) Jn 18
(4) 1 Rois 19, cf. La voix d'un fin silence,  in L'amphore et le fleuve
(5) Jn 4
(6) Jn 19, cf. aussi Sur les pas de Jean
(7) Mt 28, 20

13 septembre 2015

Signes et miracles - Cohérence 2


"Pour le croyant qui se tient au centre (1), les miracles du Christ ne sont pas d'abord ce qui rend subjectivement la foi plus facile (car il en a à peine besoin), mais le rayonnement, sur le domaine sensible, de la gloire divine déjà vue spirituellement" (2).

Là encore la finesse de l'analyse de Balthasar nous conduit dans l'axe de ce que nous contemplons dans ce qu'il appelle (à la suite de nombreux exégètes) la "théologie des signes" chez Jean.

Depuis Cana, la guérison du fils, le relèvement (même mot grec que résurrection) du malade de Bethesda , Jean nous conduit en effet à la contemplation de la Passion et de la résurrection...

Toute la vie de Jésus est alors symboliquement organisée vers la révélation du Père. On retrouve ce que je notais plus haut à propos de la cohérence sacramentelle...

Saint Augustin l'exprimait ainsi : "ce que notre Seigneur a fait corporellement, il voulait le savoir compris spirituellement. Il n'acomplissait‎ pas de miracles pour le plaisir d'en faire, mais afin que le fait accompli apparaisse à ceux qui le voyait comme merveilleux, à ceux qui le comprenaient comme vrai. (....) celui qui ne sait pas lire (...) admire la beauté des lettres, mais ce que les lettres veulent dire, il ne sait pas. (...) un autre, au contraire, célèbre l'oeuvre d'art et en comprend le sens (...) c'est de tels disciples que nous devons être à l'école du Christ (3)

On perçoit, à la différence des balbutiements de l'analyse historico-critique que nous avons commenté chez John P. Meier (4), qu'il y a là ce que Jean de Lubac appelle véritablement une lecture spirituelle (5)‎ rejoignant l'esthétique de la gloire que cherche à démontrer Balthasar.

‎(1) cf. le livre éponyme de Balthasar : retour au centre
(2) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 172
(3) Serm. 98, 3 (PL. 38. 592), cité ibid
(4) cf par ailleurs nos travaux sur John P. Meier, Un certain juif...
(5) Henri de Lubac, Exégèse Médiévale, Les quatre sens de l'Écriture. 1, Cerf, DDB, 1993, p. 110ss



12 juin 2015

Oecumenisme du sang - pape François

Dans une belle méditation sur la Samaritaine et la soif du Christ qui est une "soif de rencontre" et de dialogue,  le pape nous invitait à une unité qui "se fait sur le chemin,  (...) en marchant"

« L’engagement commun à annoncer l’Évangile permet de dépasser toute forme de prosélytisme et la tentation de compétition », a-t-il souligné à Saint-Paul hors les murs le 25 janvier 2015.  « Nous sommes tous au service de l’unique et même Évangile ! », a-t-il conclu, faisant de nouveau ressortir le fait que ceux qui persécutent aujourd’hui les chrétiens dans le monde ne distinguent pas l’Église à laquelle ils appartiennent. Ce que le pape François appelle « l’œcuménisme du sang ».

Cela souligne aussi pour moi cette inguérissable souffrance de la séparation. Pouvons nous continuer à déchirer la tunique unique au lieu de travailler sens à construire l'unité, dans et au seuil de nos églises.

03 mai 2015

Beauté de Dieu, Barth 2

‎Poursuivons sur ce thème. Barth, dans son réquisitoire pour remettre un peu d'esthétique après les critiques froides du début du 20ème siècle (Kierkegaard, Bultmann), défend une thèse qu'un chercheur en pastorale ne peut ignorer. Le sérieux, la morale manque de "joie, d'éclat et d'humour" (1).
La voie qu'il trace entre en tension avec la question que nous ne cessons de soulever sur la souffrance. Barth ne l'ignore pas en affirmant que si "l'on cherche la beauté du Christ dans une gloire qui ne serait pas celle du Crucifié, on la cherchera toujours en vain" (2).
"La beauté de Dieu, en se révélant elle-même, englobe la mort et la vie, la crainte et la joie, ce que nous trouvons laid comme ce que nous trouvons beau". (3)
Cela rejoint ce que je lisais récemment chez Thérèse d'Avila qui insistait sur la contemplation de la Croix (4) que l'on ne peut mettre de côté.
Peut être qu'une véritable esthétique n'entre pas dans les canons de la beauté mondaine. Elle part dans cette quête "du désert" que nous cherchons à entreprendre, en quittant la douceur apparente du monde pour trouver un ailleurs, un autrement qu'être qui n'ignore ni le bien, ni la souffrance, qui trace un chemin autre, visant la joie des assoiffés de Dieu, visant cette source qui bouleverse la Samaritaine et la conduit à chanter sa joie, à courir au village (Jn 4, 29), criant un "j'ai trouvé celui que mon coeur aime" qui nous rapproche du Cantique des Cantiques.


(1) Karl Barth ibid. p. 737, cité par Hans Urs von Balthasar, GC 1, ibid. p. 45
(2) ibid.
(3)‎ ibid. 750, GC p. 46