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10 juin 2022

Danse trinitaire ? 2.64

 Paul dans la deuxième lecture de ce dimanche évoque notre détresse, bien présente aujourd’hui. Il nous introduit pourtant à la persévérance puis à l’espérance… (Rom 5) 

Pouvons nous voir la lumière ?

Peut-être en écoutant ce que nous glisse Jésus, à la veille même de sa mort…

Vous ne pouvez pas encore porter tout cela…

Mais…

Mais « quand il viendra (...) l’Esprit vous conduira à la Vérité toute entière » Jn 16 

Le mot conduire n’est il pas à entendre dans cette discrétion particulière de Dieu, qui ne s’impose pas, mais nous accompagne sur ses chemins de liberté… ? 


Le livre des Proverbes nous donne la clé de cette tendresse discrète de Dieu. 

« je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes (...) , j’étais là, (...) je grandissais à ses côtés »


La sainte Trinité que nous fêtons dimanche nous est présentée par Jésus comme le point ultime de la révélation au terme de son grand discours du chapitre 16 de Jean.


Révélation mais sommet aussi de cette lente pédagogie d’un Dieu qui nous fait goûter cette danse (1) discrète d’une Trinité qui se penche amoureusement vers l’homme.


Depuis cette danse originelle du souffle sur les eaux, que nous chante à sa manière le livre des Proverbes, jusqu’à la triple humilité, au delà des nos détresses évoquées par Paul se révèle la triple humilité / miséricorde de Dieu.

 1. Ce Père qui se retire devant l’amour du Fils jusqu’à cette « gloire » fragile évoquée par Jésus qui ne sera qu’un homme nu, signe de l’amour, dressé sur le bois de la Croix. 

 2. Nudité qui révèle cette humilité du Fils qui s’efface maintenant pour concéder, à son tour que la vérité viendra en nous par l’Esprit

 3. Esprit, enfin, souffle fragile que la Pentecôte rend à peine visible dans des langues de feu avant de s’effacer dans nos profondeurs intérieures. Esprit qui demeure en nous comme une flamme légère, avant de s’embraser à nouveau quand, ouvrant notre cœur, se réveille le feu joyeux de l’Amour.

C’est bien d’une danse qu’il s’agit…

Danse humble, des trois personnes [triple humilité/kénose (3)] qui s’efface tour à tour devant l’autre et que le prologue grec de Jean résume dans un petit mot « pros ». Tourné vers. (2).

Le Fils tout tourné vers le Père dont il reçoit et transmet l’amour…


Amour et dessaisissement. Ce que nous fait goûter l’évangile se perçoit si bien dans le regard croisé de la belle icône de Roublev qui nous fait percevoir que chacun s’efface tour à tour pour laisser l’autre devenir.




N’est-ce pas cela l’amour d’agapè qui est effacement, qui « ne cherche pas son intérêt mais prend patience, endure tout, excuse tout ».(1 Co 13).


Tourbillon(4), danse ? 

C’est dans cette symphonie du retrait réciproque que l’amour se révéle et nous entraîne loin de nos détresses.

Amour, Inaccessible rêve ? (5)

Non !

Dieu est là. À nos côtés. Il est le chemin…

Et l’Esprit, enfin révélé dans cette révélation finale, qui nous conduit de la persévérance à l’espérance est la force qui nous conduit, par la danse fragile en nos cœurs blessés à dépasser nos insuffisances bien humaines…pour devenir les mains fragiles de l’amour donné.


(1) cf. la thèse d’Emmanuel Durand Emmanuel Durand, La Périchorèse des Personnes divines, Cerf, Collection Cogitatio Fidei - N° 243. 416 pages - mars 2005. https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/1993/la-perichorese-des-personnes-divines qui m’a bcp inspiré dans ce sens.


(2) voir sur Kobo Fnac mes essais Dieu dépouillé et À genoux devant l’homme https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/pedagogie-divine-3


(3) cf. la 3eme partie de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar 


(4) Ce mystère trinitaire que les pères de l’Église appelaient d’un mot double évoquant cercle et intériorité (circumincession) un ami l’évoque sous le beau concept de tourbillon.


(5) révélation pour moi dans cette belle interprétation de Monteverdi, lamentatio de la Ninja https://youtu.be/zsL4MGFh6QI

09 mars 2022

Danse avec ton Dieu - le livre - 2eme édition

 Danse avec ton Dieu - Bouquet final ?

 Comment Dieu vient-il à l’homme ? Plusieurs réponses sont possibles. Celle la plus méditée est cette lente pédagogie de plusieurs millénaires, qui montre que Dieu a choisi de se révéler, après bien des échecs, dans la trace fragile d’un homme. 

Depuis l’enfant nu jusqu’à la Croix, le dévoilement d’un Dieu tout amour touche en effet à l’indicible, pas à pas d’une danse subtile et bien fragile, qui va jusqu’au tragique.  

La danse de Dieu vers l’homme a sa source bien loin, mais, d’inaccessible, elle s’est faite plus palpable, plus humaine, et surtout nous a tracé un chemin, un pas de deux, puis à trois, avant de se retirer dans le silence, tout en nous invitant à une valse. 

Ce mystère reste chemin éternel de contemplation. 

Ce chemin que je trace avec vous depuis plus d’un an méritait d’être rassemblé dans un livre. Il fait suite à de nombreux écrits et recherches personnelles sur nos liens entre l’Écriture, la Révélation et la vie. Le principal est peut-être le petit essai « Danse trinitaire » pour lequel ces réflexions constituent comme de lointains échos à une trame déjà orchestrée dans cette musique particulière qui m’habite depuis des années.  Si ce premier essai a donné naissance à d’autres ouvrages que j’ai tenté de résumer dans  «  Dieu dépouillé », il manquait une mise en résonance entre un travail solitaire et d’autres chercheurs. 

Diacre dans un village du monde rural, à la périphérie du bruit du monde, mais aussi dans le monde, plongé à l’écoute de cette rumeur que l’on n’entend pas toujours dans nos paroisses trop policées, ce texte est une composition de petits écrits dont la trame est un fil rouge fragile, mais qui ne cesse de danser dans ce tourbillon particulier auquel Dieu nous invite sans cesse.

Ce recueil reprend donc des notes spirituelles rédigées pendant les nuits de mai 2020 à 2022. Nuits de confinement, mais aussi de dialogue intérieur et de réflexions théologiques d’abord solitaires puis progressivement d’interactions avec une communauté de chercheurs. Dialogue ouvert, souvent respectueux, parfois plus difficile, mais loin d’une théologie fermée, académique ou dogmatique. Le tout s’est nourri de lectures croisées entre la Parole, des livres, des essais, des mémoires et des thèses échangées librement.

Les textes qui suivent s’organisent en trois « saisons » : Dépouillement puis « danse trinitaire saison 1 et 2 ».

Pourquoi ce recueil ?

D’abord pour tracer le chemin personnel parcouru, les impasses, les répétitions et les lumières venues d’ailleurs. Pour rendre accessible à tous, certains travaux plus difficiles, comme le dernier livre de Jean Luc Marion, qui a servi de base à la troisième saison. Pour mettre en lumière quelques autres lectures « dansantes » comme celles du « Dieu nu » d’Arnold, la découverte de certains ouvrages de T. Römer et de livres de François Cassingena-Trévedy et de Sylvaine Landrivon.

Pour mettre aussi, en parallèle, certains textes ayant été rendus publics en chaire, homélies paroissiales, rarement écrites seules, le plus souvent travaillées à plusieurs. Le résultat est là, avec ses impasses et le désir toujours recherché d’un consensus fragile et de cette invitation à la danse trinitaire, thème central, insaisissable d’un Dieu qui se révèle à nous et se donne..





A vous lecteurs qui avaient dansé avec moi parfois sur quelques notes, voici maintenant proposé, gratuitement sur Kobo  (en PDF par MP) ou sous forme papier à prix coutant sur Amazon, une centaine de méditations nocturnes qui constituent, par petites touches, des pas de danse avec un Dieu trine.

21 décembre 2021

Stérilité et agenouillement - 2-20

Quel avenir pour notre Église ?

Le tressaillement de Jean au sein de l’ancienne femme stérile nous ramène bien loin et nous projette bien haut. Quelle va être notre fécondité ? Sommes nous encore dans l’espérance ?

« Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. »

Si l’on oublie les premiers mythes d’Ecriture tardive et nous concentrons sur celui que l’on considère comme le premier « croyant », il nous faut peut-être contempler, comme le fait Heb 11, les gestes d’Abram et de Sara, voir le père des nations  à genoux à Mambré devant cette triple danse de feu (cf. billet 2.17.6 ), partir de l’origine pour retrouver LA direction.

À l’origine tout commence par un acte de charité.

Tradition culturelle d'hospitalité, le lavement des pieds proposé par Abraham, n'est certes pas à la hauteur du lavement des pieds proposé par Jésus en Jean 13. 

Et pourtant... 

Il devient lieu intérieur de conversion.

Il s'inscrit dans cette dynamique même de dépouillement en dépouillement, d'agenouillement en et agenouillement qui conduira Jésus à prendre la place, à la suite des femmes de Galilée, de celle qui revient à l'esclave, pour nous montrer la voie de l'amour humble de Dieu. 

C'est ce que nous avons peut-être à méditer dans le silence et dans l'attente d'Abram au chêne de Mambré. 

Sur le sable fragile d'un homme et d'une femme, stériles malgré leur union, Dieu veux construire un peuple, une descendance. 

Que dire, de la même façon, de cette leçon d'humilité, s'il en est, que cette stérilité de Sarah qui va jusqu'à rire du projet de Dieu et découvrir pourtant en sa chair que Dieu peut faire germer une graine sur un terrain aride. 

Dieu a besoin de nous ! De nos mains…

Si nous prêtons nos corps stériles et voués à la ruine, nos églises désertées, à la construction d'un Corps, nous devenons participants, malgré notre indignité à l'édification du Temple. 

Il ne s'agit pas cette fois d'une Babel éphémère si notre dépouillement reste entier. Il faut accepter de mourir à nos rêves humains de puissance, à nos prosélytismes moralisateurs, pour que le grain prenne enfin  corps. C'est dans l'argile de nos échecs que le Seigneur dessine un chemin amoureux... 



C'est dans le terreau de nos erreurs que Dieu fait jaillir le grain du Verbe. 

C'est sur le reniement d'Abram que jaillira la descendance. 

C'est sur le reniement de Pierre que se construit l'Église. 

Nous ne sommes que des pécheurs pardonnés. 

De nos échecs Dieu fera des victoires. 

Du cri des victimes jaillira-t-il enfin l’espérance…?

Du jamais plus, combien de fois répété, peut germer un nouvel élan.

Sur la boue des « terreux », sur l'argile du potier, Dieu modèle des amphores. 

De la quête attentive de l'homme, de l'accueil humble d'autrui, jaillit le signe ultime, l'agenouillement de Dieu devant l'homme qui crie que l'amour est possible. 

Si tu veux... 

Laissons Dieu agir. 

Laissons-nous nous dépouiller de nos désirs humains, de nos quêtes de pouvoir, pour qu'au fond d'un vase brisé, d'un rideau déchiré, d'un corps mutilé, d'un rêve cassé, d'un cœur transpercé, jaillisse une source nouvelle...

Laissons le nous laver les pieds, s’agenouiller devant l’homme, percevoir que ce Dieu à genoux est sommet, don, unique geste, mime fécond, car il nous conduit à terre et veut de nos cœurs stériles, de nos églises malades, faire germer la semence.

19 décembre 2021

Mystère de l’incarnation - 2 - 19


On peut écrire beaucoup de chose sur l’incarnation, évoquer des certitudes et des dogmes. Il me semble que tout commence par une contemplation, au delà de l’apparente violence des éléments, des vents et du feu, il demeure une tendresse et une espérance qui demeure et fissure nos certitudes, comme cette attente du Printemps qui habite nos hivers.

Les terres arides ne peuvent demeurer stériles, une jeune fille va enfanter crie Michée au milieu de la nuit.



Dans les ombres et marécages de notre propre humanité, dont l’Ancien Testament fait écho, un germe d’espérance se prépare, tressaillement dont Jean-Baptiste se fait le premier écho, marquant une page qui se tourne.

Tout ce qui suit quitte l’histoire pure, pour devenir chemin de foi, d’espérance et de charité.

L’amour divin n’est pas violent, il est brise légère, courant d’air, humilité, incarnation, visitation, alliance. 

Avant même les Évangiles, Paul avait déjà compris l’essentiel, à la fois à travers sa propre expérience, même s’il existe trois récits, et surtout dans son approche de Ph 2. « Il n’a pas retint le rang qui l’égalait à Dieu », mais s’est dépouillé, agenouillé… humilité de Dieu, kénose trinitaire, danse de Dieu vers l’homme.

On peut taxer Paul de visionnaire, il va plus loin sur ce thème que bien des évangiles. Ce n’est pas de l’ordre du dogme, mais chemin à contempler, contemplation et agenouillement, lieu de frémissement et de méditation. Les crispations postérieures ne sont souvent que des bulles de l’histoire 😉

Un sauveur vient, il est là, il reviendra.

14 décembre 2021

L’Esprit comme don - 2-18

Nous approchons de la conclusion. Et comme esquissé plus bas, la place de l’Esprit se précise comme le travail intérieur et mystérieux qu’il est.

Est-il visible, saisissable cet Esprit qui souffle où il veut ?

Marion nous guide vers un sujet sur lequel il excelle, cette notion du divin comme « grand donateur qui s’efface ». Dans le jeu trinitaire, l’Esprit ne déroge pas à ce concept d’effacement (kénose), au même type d’invisibilité puisqu’il est don, gratuit, icône mêlée et danse d’un don de ce grand Donateur qui disparaît en se dévoilant, à la fois « don du donateur (Le Fils) et le donateur du don (le Père) » (1) qui dans leur communion invisible se donne puis s’efface dans cette triple kénose qu’évoque Hans Urs von Balthasar. 


Danse…


La Trinité nous est finalement invisible parce qu’elle demeure insaisissable étant par essence un don gratuit, qui s’efface totalement après avoir tout donné (comme le Christ après sa mort dans la discrétion d’une résurrection non tangible sans le regard de la foi et le prisme de l’Esprit, cf. 17.5) de peur de devenir une dette qui forcerait notre liberté.


Ici la théologie pratique du baptême peut trouver une piste de méditation de même que les concepts de vertus théologales (cf. 1 cor 13) qui sont les fruits visibles de ces dons gracieux. En donnant à l’homme, foi, espérance et charité, Dieu se donne et se retire tout en invitant, dans le bruit d’un fin silence à danser de ces dons.


Flamme fragile que cet Esprit qui vient et s’enfouit dans le silence intérieur pour germer dans le désert de nos terres desséchées et répandre en nos cœurs des fruits surprenants qui se distinguent de nos habitus.

Comme cet Esprit qui pousse Jésus au désert pour affiner l’homme et le rendre capable d’attendre sa mission de Fils, laissons nous interpeller d’Ailleurs, pour qu’agisse en nos cœurs ce don gratuit et discret que Dieu nous fait…


Je ne me lasse pas, en pastorale du mariage de faire découvrir cette humilité du père qui accepte le départ du fils prodigue (Luc 15) et guette de loin son retour pour courir à sa rencontre. N’est-ce pas l’écho subtile de cet « où es-tu ? » lancé à l’homme dans le premier jardin…


Seul l’Esprit est don fragile qui distille en nous, par le biais du Verbe, le chemin discret de Dieu dans nos déserts. 


Il « donne le premier don, donne en premier (...) dans le secret (...) on ne sait ni ne voit comment on reçoit ce qui se donne »(2), mais on entre dans la danse… 


Cette danse passe par cette découverte toute intérieure, cette contemplation, de l’immensité du don reçu, comme ce fiancé qui s’extasie devant celle qu’il reçoit avant d’entrer à son tour dans le don [je te reçois et me donne à toi]… Contemplation du don immense quel Dieu nous fait, de son pardon et de la communion (danse) à laquelle se destine toute l’économie trinitaire…(3)


Tourbillon…

Kénose…(4)

Danse.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, ibid. p. 503sq

(2) p. 512

(3) sacrifice, pardon et communion, ibid. p. 527-28

(4) p. 529

13 décembre 2021

Danse Trinitaire 17.5

Je crois que Marion mérite à ce stade d’être cité dans le texte. Comment l’Esprit agit-il dans la Révélation ? Comment ouvre-t-il nos coeurs comme celui du Centurion en Mc 15,39 ? Une question qui a fait couler beaucoup d’encre chez les Pères de l’Église. 

Pour Marion, et pour tenter de le dire simplement, seul un regard travaillé par l’Esprit peut approcher l’insaisissable de Dieu en descellant derrière le visage du Christ ce qu’il révèle de l’amour du Père. 

Ce que Jean Luc Marion appelle « Anamorphose »(*) mérite-t-il un détour ? Essayons d’écouter sa manière de le dire… L’anamorphose est pour lui « le dispositif où le regard de l’homme se placerait dans le site exacte qu’exige pour se faire reconnaître en pleine manifestation, l’icône elle-même ; il faudrait se placer dans l’axe du regard iconique, qui soudain et d’un coup, jaillit de la face du Christ enfin appréhendée comme Fils, donc comme manifestation du Père. Placer le regard d’un homme en ce point d’anamorphose, seul l’Esprit le peu : il « guide » et « oriente », « conduit » et place le regard humain à l’endroit précis où (comme une image en deux dimensions, qui, placée sous un angle précis du regard avec la lumière réverbérée, soudain surgit en trois dimensions) sa « puissance optique » et « illuminatrice » « met en icône » une fois pour toute le visage visible et y fait éclater, en profondeur « la vision plus belle que l’Archétype ». L’Esprit Saint met en scène, met en vue, bref dé-couvre et fait jaillir la gloire du Père dans la gloire paternelle du Fils ». (1)


Il faut avoir lu peut être son « idole et la distance » pour percevoir à quoi il parvient à ce stade.


Cela évoque surtout pour moi ce que rappelle Hans Urs von Balthasar de Bonaventure dans sa quête sur l’image et la ressemblance.(2)


Course infinie qui nous prépare à découvrir l’insaisissable. Course que l’on retrouve, au delà du quiproquo d’Exode 33 en Exode 34 où le regard de Moïse s’éclaire dans l’axe qui ira de Noël, au baptême, à la Transfiguration jusqu’à la Croix et le cri déjà évoqué du Centurion…


PS [ajout v2] : Au risque de perdre le lecteur, je dois dire qu’il est frustrant de citer un passage, même si celui ci est magnifique, quand on déchiffre doucement un livre plein de mots difficiles, car on prend le risque de perdre ceux qui n’ont pas lu l’ensemble. Faut-il taire ce que l’on découvre ou simplement inviter le lecteur à se plonger dans un livre si difficile ? Pour moi après 3 mois de lecture poussive faute de temps, je crois que progressivement la lumière vient. Ce passage, je cherchais déjà à l’expliquer dans mon billet 17.4, mais en le relisant j’ai trouvé qu’il parlait de lui même à condition de comprendre ce terme difficile d’anamorphose (dont le sens courant est une « déformation de l’image ») mais qui chez Marion va un pas plus loin. Je crois, même si j’ai encore du mal à tout saisir, qu’il s’agit d’une sorte d’illumination intérieure qui conduit à la conversion du cœur quand Dieu nous vient vraiment d’Ailleurs…

N’est ce pas cela la conversion ou metanoia - inaccessible lumière d’un Dieu qui vient en s’incarnant nous visiter…

A ceux qu’il guérit il demande de se taire. Pourquoi si ce n’est pour que le voile termine son œuvre et en se déchirant révèle sur la Croix et dans la résurrection ce que nous ne pouvions percevoir sans cette « anamorphose » du regard… ?

Pour Marion tout de la Trinité est invisible et c’est l’Esprit qui vient à notre aide et aligne la lumière pour dévoiler le mystère… en dévoilant dans le Fils incarné la lumière cachée.

« L’Esprit ne se voit pas, parce qu’il fait voir » ajoute-t-il p. 490, dans une phrase qui résume bien cette danse trinitaire que je cherche à thématiser ici.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation p. 489

(2) La gloire et La Croix, tome 2, autour des pages 249sq

09 décembre 2021

Danse trinitaire 17.4 - semences

Quelle est cette quête de l’homme qui le pousse à chercher la lumière ?

Quelle est la source de ce désir qui nous conduit à Dieu, ci ce n’est cette graine enfouie au plus profond de nous ?

« Ils se réveilleront, crieront de joie, ceux qui demeurent dans la poussière, car ta rosée, Seigneur, est rosée de lumière, et le pays des ombres redonnera la vie. » (Isaïe 26, 19)

N’est-ce pas cette part silencieuse et secrète que l’on nomme Esprit, don de Dieu, depuis toute éternité, amour qui brûle en nous d’un désir insaisissable et insatisfait. 

Dans un sermon que je découvre cette nuit, saint Pierre Chrysologue le décrit assez bien :

 « Dieu, voyant le monde ravagé par la crainte, agit sans cesse pour le rappeler à lui avec amour, le solliciter par la grâce, le soutenir par la charité, et l'envelopper de tendresse. (...) L'amour engendre le désir, s'enflamme d'ardeur, son ardeur le porte au-delà de ce qui lui est accordé. À quoi bon insister ?


« Il est impossible que l'amour ne voie pas ce qu'il aime ; voilà pourquoi tous les saints ont jugé sans valeur tout ce qu'ils avaient obtenu, s'ils ne voyaient pas le Seigneur.


« Voilà pourquoi l'amour qui désire voir Dieu, s'il manque de jugement, a pourtant une piété ardente.


« Voilà pourquoi Moïse ose dire : Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, montre-moi ton visage. Et le psalmiste : Montre-moi ton visage. Enfin, c'est pour cela que les païens ont fabriqué des idoles : afin de voir de leurs yeux, au milieu de leurs erreurs, ce qu'ils adoraient. »(1)


Dans le regard du centurion qui affirme « vraiment celui ci était Fils de Dieu » (Marc 15, 39) se produit de la même manière, un alignement des planètes, une danse particulière où l’Esprit révèle à l’homme que le Fils est icône du Père.

Chez Marc cela constitue le sommet de son évangile.

Pourquoi chez le centurion et non ailleurs ?

Parce que Dieu est accessible à tous ?


N’est ce pas le but de toute pastorale que d’éveiller chez l’homme cette grâce de reconnaître le Fils comme face visible de l’invisible. ? 

C’est en tout cas ce que je comprends de Marion(2).

Cela rejoint mon essai sur la « pastorale du Seuil »(3). Cette révélation n’est pas le but de nos efforts mais le travail final d’une mise en place de l’essentiel, d’une invitation qui nous dépasse car elle est le fait de Dieu.

C’est ce que Hans Urs von Balthasar décrit comme les « semences de l’Esprit » (4) ce don de Dieu, cette soif de Dieu qui nous ramène toujours au Père, cette grâce particulière faite à tout homme, et qui, plus particulièrement, mais pas exclusivement (!), repose dans le don baptismal et nous conduit à Dieu. Est-ce cela ce qu’Irenée appelle notre divinisation ? Je n’aime pas ce terme parce qu’il nous fait croire trop vite que nous sommes capables du divin. Je préfère croire, à la suite de Paul (Ph3) ou du cappadocien, que cela reste une course infinie (5), mais je veux bien entendre qu’il est ce don fragile que Dieu nous fait, depuis qu’à l’origine, nous ayant transmis le souffle originel (Gn 2), il nous appelle, par notre nom, d’un « où es-tu ?) qui n’est autre pour moi qu’une invitation à danser dans cette musique trinitaire de l’amour.. 

Noël nous révèle le projet de Dieu : « Ce projet de la création de l'univers, non sous forme d'un plan d'organisation de toutes choses, mais d'une semence de liberté et d'amour jetée dans l'univers en formation pour que naisse en son sein une créature spirituelle avec qui Dieu pourrait entrer en communication intime, semence que Dieu confiait au monde (...) un appel, un souhait, une parole, un logos, l'invitation à naître adressée à un Premier-né destiné à ramener à Dieu toute sa famille humaine" (6) tout cela donne du sens à notre aujourd'hui. 


Le don de Dieu est appel... Il s'origine dans un don (Gn 1 et 2) et l'appel d'un "où es-tu ?" (Gn 3) qui est plus qu'un cri, une plainte d'un Dieu qui aime sa création et n'a pour but que de le ramener à lui... 


PS : En écho aux illustrations de François Cassingena-Trévedy sur Isaïe 25 et aux questions sur la théologie pratique de Thibaut Girard


(1) saint Pierre Chrysologue, sermon sur l’incarnation, office des lectures du 9/12 à lire en entier sur AELF.org 

2) Jean Luc Marion, d’Ailleurs la Révélation, op. cit p. 489

(3) cf. https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/pastorale-du-seuil (ebook gratuit).

(4) Théologique III, L’•Esprit de Vérité, p.15 voir aussi une discussion sur thème in https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4921219631285815/

(5) cf. La vie de Moïse et mon essai éponyme 

(6) Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, pages finales

03 décembre 2021

Danse trinitaire - 17.3

L’Esprit qui « fait et fraye le chemin (odêgei) » Jean 16,13

J’aime le commentaire de Marion qui souligne que « frayer ainsi le chemin consiste à guider la marche de celui qui ne sait pas à l’avance où aller et s’en remet au guide (odêgos) qui lui seul, sait où il faut aller. Un tel guidage ouvre un chemin qui mène bien quelque part (1), mais sans que le marcheur sache où il mène, ni même s’il y mène. Le guide qui ouvre la voie procède (avance et s’avance) exactement ainsi à l’inverse de la méthode (methodos) qui sait, elle, à l’avance où elle va (et avance sans jamais se risquer). Ouvrir une voie en montagne ou une piste en skiant ne consiste pas en effet à construire un chemin balisé (…) [à l’inverse] l’ego méthodique s’efforce de garder le même point de vue sur son voyage, s’avance d’un lieu connu vers un autre lieu, d’emblée prévu » (2)


Trois échos à ce texte au moins.

 1. Non pas ma volonté mais la tienne…

 2. Ce beau texte de Michel Rondet déjà souvent cité sur les chemins et non les ports fermés (cf note 3)

 3. Peut-être là encore cette danse trinitaire où Dieu nous fait entrer sous la pression délicate de l’Esprit dans une valse qui nous échappe, nous décentre et nous fait perdre pieds et certitudes

Est-ce que ce n’est pas cela le « bon berger ». Comment l’adapter en pastorale. Privilégier celui ou celle qui nous conduit sans bâton mais en tendresse vers des verts pâturages.

On est loin d’une posture autoritaire, plutôt sur des sentiers inconnus où le guide ne connaît pas la « voie » mais se doute qu’au sommet apparaît la joie…


(1) même si j’aime bien ces « Chemins qui ne mènent nulle part » d’Heidegger

(2) Jean Luc Marion ,D’Ailleurs la Révélation p. 475

(3) paru dans Études fév 97

« les nouveaux chercheurs de sens (...) frappent à toutes les portes, sauf à celles qui justement sont dépositaires d'une tradition spirituelle qui semblerait pouvoir répondre à leur attente. Pourquoi ?

Parce que, trop souvent, nous proposons des réponses là où l’on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes. Ceux qu'ils aimeraient rencontrer, ce sont les mages dans leur marche à l'étoile, pas les scribes de Jérusalem qui, eux, savent. Or, trop souvent, l'Église a pour eux le visage des scribes de Jérusalem.

Trop occupés des vérités à transmettre, nous sommes peu sensibles à l'attente de ceux qui ne nous demandent pas encore ce qu'il faut croire, mais ce que c'est que croire. Nous partons d'une tradition à transmettre, alors qu'il faudrait accompagner une naissance. Mais qui d'entre nous est assez libre dans sa foi pour oser la nouveauté, dans une fidélité créatrice au don qu'il a reçu ? »

La danse trinitaire - 17bis. [v3]

Tourné vers l’autre… comme dans une danse infinie. Les traductions ne rendent pas tout : « AU COMMENCEMENT était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » Jean 1, 1-4. (AELF)

La lecture ce matin de ce beau sermon de saint Bernard fait écho à mon billet précédent… :

« Nous savons qu'il y a une triple venue du Seigneur. ~ La troisième se situe entre les deux autres. ~ Celles-ci, en effet, sont manifestes, celle-là, non. Dans sa première venue, il a paru sur la terre et il a vécu avec les hommes, lorsque — comme lui-même en témoigne — ils l'ont vu et l'ont pris en haine. Mais lors de sa dernière venue, toute chair verra le salut de notre Dieu et ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé. La venue intermédiaire, elle, est cachée : les élus seuls la voient au fond d'eux-mêmes, et leur âme est sauvée. Ainsi il est venu d'abord dans la chair et la faiblesse ; puis, dans l'entre-deux, il vient en esprit et en puissance ; enfin il viendra dans la gloire et la majesté. ~ Cette venue intermédiaire est vraiment comme la voie par laquelle on passe de la première à la dernière : dans la première le Christ fut notre rédemption, dans la dernière il apparaîtra comme notre vie, et entre temps il est notre repos et notre consolation.


« Mais pour que personne ne risque de penser que ce que nous disons de cette venue intermédiaire est une invention de notre part, écoutez ce que dit le Seigneur lui-même : Si quelqu'un m'aime, il gardera mes paroles, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui. Ailleurs j'ai lu en effet : Qui craint Dieu fera le bien. Mais je perçois qu'ici Jésus exprime quelque chose de plus en disant de celui qui l'aime : il gardera mes paroles. Mais où les gardera-t-il ? — Dans son cœur, sans aucun doute. Comme le dit le prophète : Dans mon cœur je conserve tes ordres pour ne point faillir envers toi. ~ 


« Voici comment il te faut garder la parole de Dieu : Heureux, en effet, ceux qui la gardent. Qu'on la fasse donc entrer dans ce qu'on peut appeler les entrailles de l'âme ; qu'elle passe dans les mouvements de ton cœur et dans ta conduite. Consomme ce qui est bien, et ton âme y trouvera avec joie de quoi s'y nourrir largement. N'oublie pas de manger ton pain pour ne pas laisser ton cœur se dessécher ; de bonne et grasse nourriture rassasie ton âme.


« Si de la sorte tu t'es mis à garder en toi la parole de Dieu, nul doute qu'elle ne te garde aussi. Le Fils viendra à toi, avec le Père ; il viendra, le grand prophète, qui rétablira Jérusalem ; c'est lui qui fait toutes choses nouvelles. Voici en effet ce qu'accomplira sa venue : alors, de même que nous sommes à l'image de l'homme pétri de terre, de même nous serons à l'image de celui qui vient du ciel. Comme le vieil Adam s'est répandu à travers l'homme tout entier et y a pris toute la place, de la même manière il faut que le Christ occupe toute la place, lui qui a créé l'homme dans sa totalité, qui le rachète intégralement et le glorifie dans son entier. »


℟ Viens bientôt, Sauveur du monde,

Lève-toi, clarté d'en haut ;

Vrai soleil du jour nouveau,

Viens percer la nuit profonde.


Ta naissance dans l'histoire

transfigure nos tourments

En douleurs d'enfantement

Où, déjà, surgit ta gloire.


Source AELF, office des lectures d’aujourd’hui 


Pourquoi remettre à l’honneur ce prologue en parallèle de ce commentaire de Bernard qui n’aborde pas l’Esprit. J’ai beaucoup écris (1) sur ce thème mais mes tâtonnements ne valent pas grand chose par rapport à l’inaccessible qui se révèle à travers ce prologue ou même l’économie visée par Bernard.


En écho à d’autres tatotonements de Claire, Gilles et d’autres qui évoque la lumière à venir, surpassant le soleil de midi et proche de celle à laquelle nous font goûter Moïse en Ex 34 ou les textes de la transfiguration, le prologue est en lui épiphanie nouvelle…


Lorsque que Dieu commença ou « au commencement » ? Déjà l’ »en arche » grec  pose question. 

La version grecque est en effet bien parlante tant elle conjugue les mouvements et la danse des Personnes. 


« Le grec du premier verset (en arche en o logos, kai o logos en pros ton theon) sous-entend, par l’utilisation du « pros », un déplacement, un mouvement que j’ai osé traduire comme un « tourné vers Dieu ». Un mouvement qui amorce une danse, ce que les Pères de l’Église appelleront la « périchorèse* » ou « circum-incession*[2] ». Ce mouvement particulier qui unit les Trois Personnes est égrèné déjà dans les premiers mots de l’Évangile. »


Le texte de saint Bernard ci-dessus, repris aujourd’hui dans l’office des lectures relance le sujet… comment Dieu se révèle et que reste-t-il à découvrir. ? 

Comment agiter en nous cette musique de Dieu, le laisser vibrer en nous. Nous restons bien petits face à l’inaccessible, mais il nous faut contempler dans le silence ce Dieu qui s’abaisse à nous pour nous inviter à cette danse sublime et cette humilité du Fils est Chemin, vérité et Vie. 


La spirale divine n’a de sens que si ce « tourné vers » ne reste pas impassible mais bien jusqu’à nous proposer d’entrer dans cette virevoltante ouverture hors de nous-mêmes.


(1) cf. mes essais « Danse trinitaire » et « Sur les pas de Jean » A genoux devant l’homme » et mon dernier billet d’ hier

(2) cf. La thèse d’Emmanuel Durand, la Périchorèse des Personnes divines.

30 novembre 2021

Danse trinitaire - 17

Est-ce que nous déformons la Trinité par notre prisme trop humain ?

Difficile de dire cela en des mots simples… 

Telle est en tout cas la question posée par Jean Luc Marion alors que j’approche de la fin de son livre (1)

Après une éloge et une critique mêlée des sentiers tracés par Schelling, Barth et de l’adage Rahnérien(2) le philosophe interpelle notre manière de lire historiquement la Trinité dans une succession pour lui trop « chronologique » qui met le Fils puis l’Esprit après la Révélation du Père. 

Je m’explique : est-ce que l’Esprit n’existe qu’après la révélation de la relation Père Fils qui n’existe lui-même qu’en temps que Fils ? Où la Trinité est-elle entre 3 Personnes, circumincession * ou cercle parfait, unité virevoltante, spirale infinie préexistante dans leurs processions que j’ose qualifier de danse…


C’est peut-être aborder, d’une certaine manière cette fameuse et difficile notion de « consubstantialité » beaucoup critiquée avec le nouveau missel.


La réalité n’est pas forcément dans ce que montre l’histoire de la révélation nous dit Marion, qui tente de privilégier l’immanence à ce qu’on appelle l’économie…


Comment expliquer cela avec des mots accessibles ? Faut-il du coup, se laisser interpeller, y compris par l’Esprit qui ne peut être réduit à un don, daté, du Fils, mais fait bien partie de cette danse infinie (3) qui fait des trois Personnes une valse, à laquelle nous sommes conviés de toute éternité. 


L’amour divin n’est pas successif ou généalogique mais bien danse…


L’Esprit, trop souvent oublié, est là, de toute éternité. Est-ce Celui qui souffle déjà sur les eaux originaires ?. Il vient en tout cas jusqu’au cœur de l’homme dans des germes fragiles (4) ou dans la grâce du baptême. S’il nous embrase, n’oublions pas qu’il souffle où il veut, semble nous habiter, mais s’enfuit bien vite, parfois, loin des ors de nos églises, il vient d’Ailleurs et nul ne peut le saisir tout en ne cessant d’avoir à se laisser « saisir par Lui » (cf. Ph 3).


L’Esprit est sortie de soi, il pousse au désert(5), à quitter(6), il est invitation presque forcée à sortir de soi (anamorphose dit Marion).


Faut-il rapprocher cela d’une image de

Balthasar qui va loin dans une analogie avec le mariage :


« L'image de Dieu doit se trouver aussi dans [un] mouvement opposé (...) , qui le force à sortir de lui-même : du Je au Toi, et au fruit de la rencontre, que celle-ci soit la rencontre sexuelle de l'homme et de la Femme (le fruit peut alors être l'enfant, mais aussi, au delà, un fruit intéressant tout l'humain, qui dépasse la sexualité) ou une autre rencontre dans laquelle le Je se donnant au Toi, deviens pour la première fois lui-même, tout deux se réalisant dans un nous, dépassant la recherche du Je. Ce n'est que dans un tel dépassement que se produit la première image, immanente à l'esprit et puisque ces dépassements sont innombrables dans la société humaine, ils brisent toujours ainsi le modèle clos (par exemple d'un mariage) et forment de nombreux mouvements […] comme des vagues. » (7)


Je trouve cette image très belle, parce qu'elle élargit encore plus la notion d'image et en même temps elle la relativise. Nous sommes à l'image de Dieu quand nous parvenons à vivre une véritable relation ouverte et féconde, homme et femme, vis-à-vis constructif(8), dansant et fécond(9). Pourtant nos petites épiphanies, constituent, avec d'autres, une immense tapisserie, que l'on ne peut percevoir, comme le disait saint Augustin, qu'en prenant de la distance. 

Toutes ces lueurs d'amour sur terre, éclaire le monde de l'intérieur. C'est le fourmillement de Dieu qui s'incarne dans nos mains et nos coeurs. Nous sommes les fourmis de Dieu. 

Même si la métaphore a ses limites, car nous restons des êtres libres et ce n'est que scintillements, à l'image des étoiles qui reflètent à leur manière, la beauté d'une création vivante et agissante.


La Trinité est perte de pouvoir, déchaussement (cf. Retire tes sandales) qui dévoile la danse du feu divin, en des langues qui dépassent les récipiendaires et signifient l’amour.


Chant en langues ? Démaîtrise, renoncements ou consentements, la danse nous fait perdre pied, dans une spirale du don qui nous échappe car elle vient et ramène à Dieu…


(1) Jean Luc Marion, d’Ailleurs la Révélation, p. 463sq et chapitre 17, op. cit.

(2) cf. notamment la Dogmatique de Barth et Karl Rahner, Dieu Trinité « La Trinité qui se manifeste dans l'économie du Salut est la Trinité immanente, et réciproquement »

Voir aussi : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2006-3-page-453.htm#re58no58

(*) voir la thèse d’E. Durand sur la Périchorèse 

(3) cf. ma danse trinitaire reprise in A genoux devant l’homme 

https://www.fnac.com/livre-numerique/a14805155/Claude-J-Heriard-La-danse-trinitaire

(4) les semences de l’Esprit est un beau thème que l’on trouve dans la fin de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar 

(5) voir « Le chemin du désert »

(6) chemin d’Abraham

(7) Urs von Balthasar, Dramatique Divine 2,2 p. 416

(8) cf. Sylvaine Landrivon, la femme remodelée 

(9) je développe ce point dans « Aimer pour la vie »

14 septembre 2021

Surnaturel ou incarnation - 4

Le choix des textes que nous propose la liturgie d’aujourd’hui sur la Croix glorieuse est cornélien.

 

1. Soit nous optons pour le livre des Nombres qui nous conduit à une méditation sur le cycle mimétique de la violence qu’un serpent dressé vient guérir et suivons la piste de René Girard. Nous avançons alors sur le discernement tout intérieur de ce qui nous conduit à la violence et de ce qui peut nous en sauver.

 

2. Soit nous contemplons le don de Dieu dans la triple kénose : 

- d’un Père qui donne un Fils et s’efface, 

- d’un Fils qui se vide par amour 

- et de la musique ténue de l’Esprit en nous… Danse trinitaire (1) ?


Dilemme ?

Non, il faudrait au contraire faire danser les deux, mesurer la distance entre le don de Dieu et notre petite amphore bien faible au milieu du fleuve (2) comme l’évoquait Bonaventure.


Je te reçois et je me donne à toi. 

Ce n’est pas qu’un échange matrimonial mais la danse à laquelle Dieu nous invite.


Le don de Dieu précède toujours notre réponse.


Jn 3, proposé comme Évangile, récapitule les deux, mais la profondeur théologique qui se joue dans ces trois textes d’aujourd’hui est abyssale. 


Elle est prélude à la contemplation de cette danse divine qui ne cesse d’engendrer des tressaillements intérieurs et de multiples interpellations (3)


(1) cf. mon livre éponyme gratuit sur fnac.com

(2) voir L’amphore et le fleuve

(3) cf, le rideau déchiré ou À genoux devant l’homme 


Illustration : crypte de la cathédrale de Bayeux ?

05 septembre 2021

Effata ! Ouvre toi.

La danse de Dieu vers l’homme est folie à nos yeux comme celle de David devant l’arche qui déplaît tant à son épouse. Voici Jésus parti à la « périphérie » dans un terrain lointain de la Décapole, loin des juifs et de l’aveuglement de ceux qui croient être le « peuple unique »…

Et c’est là qu’avec des gestes tendres, des gestes très physiques qu’il fait renaître l’espérance d’Isaïe. Le boiteux bondira comme un cerf…

Alors que certains rêvent sur leur rétroviseur, il nous faut continuer de croire que Dieu vient visiter ceux qui sont perdus, sans oreilles et sans voix…

Jésus lève les yeux au ciel et soupire.

Lui le fils peut-il y arriver seul ?

Non c’est dans la danse trinitaire (1) que se joue la guérison.

Ce qui semble impossible à l’homme n’est possible que par la grâce divine. Les semences du Verbe et de l’Esprit (2) sont plus tenaces que nos rites et nos catéchismes, la vengeance de Dieu annoncée par Isaïe n’est pas violence humaine, elle est tendresse de Dieu, lumière dans la nuit.

« Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »(Isaïe 35)

Ouvre toi…

Je ferai de toi un « apôtre »

Hier, le petit Simon que j’ai baptisé et qui me demandait pourquoi on faisait une croix sur son front à l’entrée de l’Église a bien compris le signe de Jésus sur ses oreilles. Je lui ai dit qu’il pourrait mieux entendre ses parents lui dire je t’aime. Il fallait voir son regard vers son papa et son sourire.

Je n’ai pas entendu ce qu’il a dit à son père. Je deviens sourd, mais Simon a devant lui l’avenir… 

Prions pour lui et pour le petit Milo ce matin, premier enfant du premier mariage que j’ai célébré, baptisé tout à l’heure.

« Je serai qui je serai » Ex 3

Aujourd’hui est un jour d’espérance.

Telle est ma foi…


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir sur ce point la thèse d’Hans Urs von Balthasar dans la troisième partie de sa trilogie 

(3) beau commentaire de MN. Thabut ce matin à découvrir sur Maison d’Évangile - La Parole Partagée

26 mai 2021

La danse de l’Esprit 50.5.2


« Tenter de penser Dieu dans l’horizon de la liberté ne veut pas dire spéculer abstraitement sur Dieu, mais écouter concrètement dans le monde si et où se trouvent les traces de la révélation libre de Dieu et comprendre dans la lumière de ces traces la réalité de façon nouvelle comme espace de liberté, comme histoire » (1)


Je retombe sur cette citation de Kasper mise en exergue en première page de l’un de mes livres (2).


Alors que nous sombrons souvent dans le pessimisme et la peur de voir ce à quoi nous tenons s’effondrer, il faut garder en soi cette « petite espérance » (3) farouche qui sait discerner où travaille l’Esprit. 


« L’Église ne peut signifier à l’extérieur que ce qu’elle vit à l’intérieur. (...). L’Église sera plus modeste et humble (...)  On risque le prosélytisme quand l’annonce de l’Évangile se fait sans respect de l’autre, avec le seul souci de recruter comme cela s’est passé parfois avec certaines communautés nouvelles. C’est l’amitié qui évangélise. La rencontre a du sens en elle-même : ce n’est pas une tactique missionnaire. Je voudrais que les personnes en contact avec l’Église soient bien accueillies, respectées, écoutées, sans jugement. N’oublions pas qu’il y a ce que je peux faire et ce que Dieu fait : je peux témoigner, rencontrer, être ce que je suis, mais je ne peux pas donner la foi à un autre. C’est le Seigneur. L’Esprit Saint est à l’œuvre et Il ne dépend pas de l’expansion de l’Église. » (3)


Ce petit témoignage d’un grand homme paru récemment mérite un détour. Contemplation qui jaillit d’une phrase et nous fait aimer ce grand corps malade où l’Esprit continue d’agir à sa manière en suscitant parfois de beaux fruits.


Nous contemplons aujourd’hui le cœur de Notre Seigneur. Il n’en coule pas toujours l’eau vive et pure que nous attendions, ce fameux rêve d’Ézéchiel 47 que nous contemplons le soir de Pâques, mais un geyser de sang et d’eau mêlée, de souffrance et de joie, de peines et de bonheur. Sachons retrouver l’espérance.


« Tout discours sur Dieu ne peut être, à mon sens, qu’une contemplation. 

Une affirmation serait réduction. 

Une contemplation peut être comprise comme la mise en résonance de ces traces de l’indicible qui nous parviennent d’ailleurs et dont nous devenons passeurs par nos écrits, nos actes, et nos paroles… »(5)


(1) “Walter Kasper, in Le Dieu des chrétiens, p. 155

(2) L’amphore et le fleuve, une contemplation des dons de Dieu, sur une idée première de saint Bonaventure

(3) Charles Péguy, le porche de la troisième vertu

(4) Card. Joseph de Kesel, La Croix du 28/5, une belle affirmation qui rentre en écho avec ma Pastorale du Seuil et ce beau texte de Rondet souvent cité ici…

(5) L’amphore et le fleuve p.2

https://kobo.com/fr-FR/ebook/l-amphore-et-le-fleuve

24 mai 2021

Trinité et danse 50.4.2

 Trinité et danse 50.4.2

Comme annoncé voici une longue suite au billet précédent qui ne faisait qu’effleurer le sujet….

Danse tragique 

« Si l’on prend en compte l’humanité pleine et entière du Fils, il semble que l’on ne peut effacer la douleur, au risque de faire de l’expérience de la Croix un simulacre, loin de notre propre expérience de la souffrance. Dans le ballet tragique qui se joue ici, Jésus n’est pas, comme le souligne Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique divine, un acteur d’une scène de théâtre. Il vit, souffre et meurt, comme l’ont fait et le feront tant d’hommes. Ce qui se joue sur la Croix est donc au cœur de notre humanité, de notre économie(2). La danse tragique d’un Dieu qui vient habiter notre chair va jusqu’à éprouver à nos côtés le tourment, jusqu’au sentiment d’abandon qui lui est caractéristique(3). Dans la danse, le Fils n’a « pas oublié une passe », il a été flagellé sous les ordres de Pilate, crucifié. Il a souffert la Passion.

Et pourtant – c’est l’espérance de notre foi – nous croyons qu’au-delà de cette humanité blessée et compatissante du Fils qui meurt sur la Croix pour accompagner l’homme jusqu’au bout de ses souffrances, le Fils de l’homme n’était pas seul, même s’il a pu être privé, comme le seront tant d’hommes, de ce secours d’un Dieu compatissant.

La danse tragique du Père, son rôle pré-décidé pourrait être, comme le pensent certains, de ne rien dire tout en ressentant dans sa tendresse de Père le gouffre de cette souffrance de l’être aimé. D’une certaine manière, on peut affirmer, à leurs côtés, que si Dieu n’était pas atteint par la mort du Fils, alors il ne pourrait être ce Dieu d’amour, il ne pourrait être Père [et Mère]. Un Père peut-il voir son enfant mourir sans être pris aux entrailles ? Le terme n’est d’ailleurs pas nouveau. On trouve souvent cette compassion de Dieu dans des textes plus anciens. Jusqu’à y mêler la notion de paternité et de maternité.

Ils ont déjà conduit Dieu à entrer dans la danse, comme en Exode 3, où Dieu se révèle dans le buisson ardent pour exprimer la tendresse d’un Père qui souffre de voir ses fils réduits à l’esclavage (4)

Entre le Fils et le Père, apparaît aussi, plus que jamais, la force de l’Esprit. Elle se manifeste dans ce soutien du Fils, dans cette force qui lui permet d’avancer et de dire « Me voici ». Comment un homme aurait-il pu faire le pas, entrer dans la danse, sans cette force d’amour qui inondait le Fils et lui faisait prendre conscience de la musique du Père ? Comment qualifier l’Esprit ? Musique intérieure, force de vie quand la mort emplit l’homme de son ombre ? C’est le mystère de Dieu. Mais nous le sentons bien, là où Pierre, comme tout homme, aurait reculé, le Christ est habité d’autre chose, de ce lien qui fait de lui un homme et aussi plus qu’un homme, un homme de Dieu, un Fils.


Arrêtons-nous un peu. Prenons de la distance sur ce qui se joue dans cet instant sublime. Ne voit-on pas, ici, plus qu’ailleurs, les pas d’une danse tragique, dont la musique était conçue dans le sein du Père de toute éternité, mais qui attendait l’Heure, ce temps sublime, où les danseurs étaient prêts à exécuter leurs mouvements, en toute liberté, pour révéler au monde la danse d’un Dieu amour en trois personnes ?


Le danger, porté par une vision platonicienne d’un Dieu qui est loin des hommes est de croire que la Trinité des personnes divines est un vase clos, fermé sur lui-même. Ce n’est pas la révélation du Dieu biblique. Bien au contraire, ce qui nous est révélé est un Dieu qui intervient humblement dans l’histoire. Au-delà de la fidélité immuable de Dieu, le mouvement des personnes divines va ainsi jusqu’à être source d’un débordement, d’un jaillissement. Au sein même du ballet tragique qui se joue, au cœur même de la danse trinitaire, Dieu se donne et s’étend, ne se limite pas… Il tend vers plus… Alors du cœur transpercé jaillit ce qui reposait caché au sein même du Fils, un jet de sang et d’eau, de vie partagée et redonnée, un fleuve immense qui invite à la danse…


Croix et résurrection – une clé de lecture


Sur ce sujet, le théologien Joseph Moingt (5) nous invite à percevoir en quoi ce sommet de la révélation n’est que la phase visible d’un long processus complexe qui ne se réduit pas la seule préexistence de l’homme Jésus, mais s’étend dans ce que je qualifierais, à l’écoute de ses mots, comme une danse plus vaste, la danse préliminaire du Dieu trinitaire, c’est-à-dire un jeu sublime où Dieu n’a cessé de danser vers la Croix et la Résurrection. Il nous faut, pour cela, faire marche arrière, remonter dans le temps, pour percevoir ces traces multiples du Verbe, c’est-à-dire tous ces lieux où les mouvements de Dieu ne se réduisent pas à un Dieu lointain, un Dieu bien connu, mais plutôt aux pas de Dieu vers l’homme.

Comme les apôtres qui depuis le tombeau vide sont face au grand saut de la foi, nous sommes invités à creuser ce qui dans notre histoire est « trace » de la danse de Dieu. 

Cela passe, pour les premiers disciples de Jésus, à l’image des compagnons d’Emmaüs, par un long travail de compréhension des écritures, sous l’éclairage de ce prisme nouveau. La clé de la lecture de l’action de Dieu dans le monde, comme dans nos vies, est dévoilée dans la croix et la résurrection. C’est forts de cette découverte que nous devons revenir sur nos pas, comprendre le passé à la lumière de ce dévoilement fragile donné dans la Passion.

« Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? " Et commençant par Moïse et (continuant) par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. » Luc 24, 26-27

C’est ce travail de « retour arrière » que je vous invite à parcourir avec, comme clé, cette vision des mouvements de Dieu, cette danse où le Père s’efface pour laisser le Fils être lui-même mourant, afin que l’Esprit agisse…


La danse préliminaire

La première vision rétrospective est celle des mouvements du Fils vers l’homme. Il nous a fallu contempler dans un lent ralenti arrière ce que nous avons tendance à lire chronologiquement. La dernière image donnée sur la croix, nous l’avons noté(6), est le « j’ai soif », qui exprime, ces multiples facettes, cette danse inouïe de Dieu vers l’homme. On peut y voir le cri du supplicié, mais nous avons souligné aussi, entre-les-lignes, le « j’ai soif de toi » qui transparaît, quand nous reculons dans le temps et contemplons le Fils à genoux devant Pierre et Judas (Jn 13), alors même que l’un et l’autre vont renier leur amour. Ici s’éclaire la danse fragile de celui qui aime et qui invite, par le comble d’une faiblesse, et d’un agenouillement, l’homme à danser les pas de Dieu.

Cette danse n’est pas moins tragique que celle de la Croix. Elle est celle d’un fils qui sait combien ceux qu’il aime refuseront de danser, mais qui n’en effectue pas moins les pas, parce que si l’homme ne danse pas, Dieu ne cesse de danser. La musique de l’amour n’a de cesse de résonner aux oreilles du Fils. En cela, il danse avec le Père qui « ne veu[t] pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (cf. Ez 18, 21). Il rejette tout jugement pour n’être qu’amour et compassion.

Dans la tête de Pierre, qui ne sait pas où conduisent les pas de Jésus, le geste du lavement des pieds n’a pas de sens. C’est pourquoi il le refuse d’abord. Ce n’est qu’éclairé par la Croix que le lecteur pourra comprendre à la fois ce qui s’est joué et le refus du disciple. C’est pourquoi, sans le savoir, notre lecture est une lecture en « marche arrière »…

Continuons notre remontée dans le temps. Nous avons vu Marie de Béthanie qui a compris la danse et qui s’est agenouillée devant l’homme-Dieu. À ses côtés, Judas ne veut pas danser. Il juge et critique, évalue le poids du parfum et pense à une autre « économie »…

Plus en amont, nous avons vu le Fils qui s’est agenouillé par deux fois devant la femme adultère. Danse sublime de Jésus qui refuse le quadrille des pharisiens au profit d’une invitation à l’amour plus vaste, plus ouverte. Il s’abaisse et se relève avant d’inviter l’homme à danser la danse de Dieu en oubliant celle des hommes : « va et ne pêche plus ». Quelle musique sublime n’a éveillé chez nous un air plus symphonique que cette confiance renouvelée dans l’homme ? Elle résonne avec la danse du père qui court enlacer le fils prodigue, elle s’anime à l’image d’un Jésus que l’on pourrait imaginer, dans la même lancée, comme descendant en courant la colline jusqu’à Jéricho pour venir danser avec Zachée : Descendre à Jéricho, nous l’avons noté chez les Pères de l'Église, c’est, à l’inverse de la montée vers Jérusalem, une descente vers le monde.

Continuons notre mouvement inversé. Nous avons vu Jésus à l’heure la plus chaude. La Samaritaine qui n’ose plus danser avec les hommes, près du puits des amours d’antan, a reçu une invitation amoureuse. « J’ai envie de danser avec toi » peut-on entendre à travers les lignes dans ce « donne-moi à boire ». Et oubliant les convenances, la voici qui danse de joie, va chercher ceux mêmes qu’elle fuyait à l’heure la plus chaude, pour les inviter à la danse.

Reculons encore. Nicodème ne vient pas à l’heure du jour, mais à l’heure de la nuit. Il n’a pas encore entendu la musique de Dieu. Jésus l’invite pourtant à l’incroyable mouvement intérieur qui consiste à laisser les pas des hommes pour une musique nouvelle. Viens danser les pas de Dieu… Si tu ne meurs pas, tu ne pourras valser dans l’amour éternel…


Danse baptismale

Chez les synoptiques, le récit du baptême, met en lumière, là encore, les pas invisibles. Le fils s’enfonce dans l’eau de la mort, à la suite de l’humanité blessée. Alors le Père se manifeste comme présent, dans la danse de la colombe, symbole imagé, mais expressif de cette symphonie trinitaire. Ce signe pourrait paraître surfait en lecture avant. En lecture arrière, il se lit comme une répétition de la danse tragique. Éclairé par la Mort, il devient signe de vie et de renaissance. En plongeant dans l’eau du Jourdain, Jésus s’enfonce symboliquement dans la mort. L’eau profonde est symbole des ténèbres pour les juifs. Pourquoi le Fils de Dieu accepte-t-il d’y pénétrer ? Sans notre clé de lecture, le texte n’est qu’un récit imagé. À la lumière de la croix et de la résurrection, c’est la danse des trois Personnes qui apparaît ici révélée.

On rejoint d’ailleurs d’autres symboliques de l’Évangile. Ce sera ainsi les pas dansants de l’homme-Dieu sur le lac de la mort. Ce peut être aussi ce repas partagé, où le Corps est distribué, partagé au monde. Dieu nous invite à une danse nouvelle. Le baptême est l’apprentissage de ce premier pas de deux…


La danse de la naissance

Dans la poésie de Luc ou de Matthieu, la danse peut alors prendre forme dans la contemplation de ce fils nouveau-né, signe de l’amour du Père. À la différence de Marc ou de Jean, ils iront plus loin dans leur « parcours arrière ». Chez Luc, on notera le tressaillement de Jean-Baptiste au sein d’Élisabeth, à la venue de son cousin, comme l’illustration d’une valse particulière, celle du don de Dieu qui s’est fait chair et auquel l’Esprit répond par un tressaillement d’allégresse.

Et dans la joie de cette contemplation, on peut comprendre comment les deux évangélistes veulent inviter à danser les bergers ou les mages. Car rien n’est plus sublime, à la lumière glorieuse de la Croix, que ce mystère d’un enfant qui va naître. Pour eux, dès la naissance, se révèle la symphonie de Dieu.

La danse du verbe et de l'esprit

Le chemin arrière peut être poursuivi. Peut-être avec moins de clarté dans une lecture littérale. L’Ancien Testament est rempli de ces mouvements de Dieu vers l’homme. L’étude des théophanies dévoile les pas de danse, souvent présentés en variations symphoniques d’un style littéraire défini. Doit-on y voir les traces spécifiques du Verbe ou de l’Esprit ? Il me semble que le plus simple et, probablement, le moins « dangereux » théologiquement, est de saisir, un peu comme le sous-entend J. Moingt, qu’il s’agit d’une série de mouvements où l’unité de Dieu prime sur la différence. Ce qui se révèle dans le « Malak », cet ange qui apparaît avant chaque manifestation de Dieu dans l’Ancien Testament, ou même dans le récit imagé des trois visiteurs de Mambré, c’est qu’il n’y a pas ici un Dieu « bien connu » au sens d’un monstre impassible et froid, mais la perception par un peuple, de la danse de Dieu vers l’homme, une succession de rencontre et d’agenouillements croisés entre l’homme et Dieu.

Arrêtons-nous par exemple sur ces chefs d’œuvre littéraire de l’Exode. La lecture littérale du buisson ardent nous introduit déjà à une danse, celle de Moïse qui « retire ses sandales ». La relecture, en « marche arrière » depuis la Croix, comme a pu la faire déjà Grégoire de Nysse dans sa Vie de Moïse, nous fait apercevoir, dans la danse du feu sur le buisson-ardent, les traces d’un Christ qui meurt, sans consumer le buisson, c’est-à-dire qui demeure Fils. La mort n’aura pas de prise sur l’homme-Dieu.

On perçoit alors que la danse de l’homme vers Dieu se fait devant celle de Dieu vers l’homme et notre contemplation ne peut alors se contenter d’un mouvement arrière, elle doit faire des « allers et retours » entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, entre toutes les danses de l’homme et tout ce qui transparaît de la danse trinitaire.

Cette compréhension était cachée par le voile des hommes. Il nous fallait cette clé de lecture particulière du Fils et de l’Esprit. Comme l’affirmait déjà Origène : « Avant la venue du Christ, la loi et les prophètes ne contenaient pas l’annonce qui implique la définition du mot évangile. [Avec le Christ] (...) "un peu de levain fait lever la pâte" (Ga 5, 9). Car, enlevant le voile (2 Co 3, 15) qui recouvrait la loi et les prophètes, Il montra le caractère divin de toutes les Écritures ».

Cela n’empêche pas les apôtres et, à leur suite, les Pères de l'Église de chercher à saisir la présence et la danse des personnes divines dans l’Écriture. Ainsi pour Paul, la marche des Hébreux au désert était-elle accompagnée par le Christ : « Un rocher spirituel qui les accompagnait et ce rocher c’était le Christ » (1 Co 10, 1-4), alors que Grégoire de Nysse confirmera plus tard ce que Luc affirmait déjà en Lc 1 : la nuée, c’était « la grâce de l’Esprit-Saint »

Au bout du voyage peut-on voir la danse du vent sur les eaux ? Au-dessus du Tohu wâbohû, de ce chaos originel, l’Esprit plane et imprime déjà sur l’eau froide les rides d’une danse, un entre-les-lignes où Dieu se révèle.

On peut alors contempler soudain, comme si un voile s’était déchiré, que la création même de Dieu serait un agenouillement devant l’homme. Un don où, pour reprendre les termes de J.L. Marion, le donateur s’efface et disparaît.

C’était déjà l’affirmation de Fairbairn, en 1894, qui n’approuvait pas l’idée que la kénose divine ne devienne évidente que dans l’Incarnation. Cela pouvait trop facilement « suggérer [pour lui] deux types de Dieu différents. Au lieu de cela, [Faibairn] insiste sur le fait que la création elle-même montre un modèle similaire, Dieu faisant place à ce qu’il crée ».

Le sens de ce travail de relecture n’est donc pas anodin. Il rejoint aussi celui des Pères de l'Église qui n’ont eu de cesse de retraverser l’Écriture, à la recherche de ces traces. Nous devons écouter ces lectures spirituelles, ces méditations, qui prennent distance sur l’histoire et ne cessent de mêler le passé avec la révélation du Christ, comme des invitations à la contemplation de la danse de Dieu dans nos vies…


2ème Mouvement

1er pas – Étienne

Nous avons fait un long chemin vers le passé. Voyons maintenant comment la danse rythme le mouvement du monde après la révélation finale. On peut commencer par l’allégresse d’Étienne, qui au soir de son supplice apparaît comme le premier danseur à la suite du Christ. Il voit les cieux s’ouvrir et la symphonie de Dieu emplit déjà son cœur. À cette union mystique, une invitation est faite. Elle plane sur l’entourage, s’efface comme une parcelle infime jusqu’à pénétrer dans le jeune homme qui garde les vêtements des persécuteurs. Son nom est Saul.


2ème pas – Paul

Au départ, il ne dansera pas la danse de Dieu, mais celle des hommes. N’y a-t-il pas pour nous ici un chemin d’espérance ? Celui qui était persécuteur est devenu apôtre. Il a reçu en lui cet ineffable appel, comme le feront tant d’autres. « Je suis celui que tu persécutes… » Viens plutôt danser avec moi…

Alors, celui que l’on croyait voué à la mort devient le fou de Dieu. Ce qui était scandale pour l’homme, il en a fait sa joie.


Les pas de l'Église

Il serait présomptueux de continuer ainsi à décrypter ce qui reste de l’ordre du mystère. La danse à laquelle nous invite Dieu est celle de l’amour. Elle n’exclut personne et pourtant, nous restons souvent sur le bord.

L’une des plus belles images de cette invitation à la danse, peut-être le mystère de l’Eucharistie, où cette table de la Parole et de la chair partagée peut être comprise comme l’invitation symbolique faite aux fidèles d’entrer dans la communion trinitaire. À la suite de Maxime le Confesseur, on peut entrer dans cette vision d’une Église qui s’ordonne autour du Christ.

Réduire l’eucharistie à la seule présence du Fils serait en effet en réduire le sens. Ce qui se joue, dans ce « faire mémoire », c’est la participation de l’humanité aux noces de l’Agneau, c’est-à-dire une invitation à entrer dans la danse des noces éternelles.

On peut simuler la danse, comme nous l’avons vu plus haut, à propos du lavement des pieds, où « danser sur les places » en allant jusqu’à cirer les chaussures de ceux qui les cirent…

Par sa Croix, Jésus nous a livré le sang et l’eau mêlés, symboles naissants d’un Esprit qui vient habiter en nous comme le fait le Corps partagé. N’est-ce pas à la danse trinitaire que nous sommes finalement conviés ?

Reprenons à ce sujet une belle image de J. Moingt : « Le Verbe s'éloigne du Père : il lui devient étranger. La même parole qui engendre le Verbe le sépare du Père, le tient à distance de lui, et cette distanciation est l'acte même de faire advenir autre chose entre eux. Rien ne peut s'interposer entre eux que du rien, rien de plein, rien qui soit quelque chose, seulement du néant, du vide, mais ce vide est infini, qui s'insinue dans la déchirure de l'être infini ; produit par l'éloignement du Verbe il n’est pas absolument rien, mais capacité de recevoir, suscitée et creusée par l'invitation que le Père adresse au Verbe à faire advenir de l'autre, de telle sorte que ce vide est aussitôt rempli par l’Esprit-Saint, qui est l'indéchirable communion du Père et du Verbe. L'Esprit remplit ce vide de la même manière qu’il circule entre eux deux et par l'acte même de les faire communiquer, (...) qui est d'être l'unité dans l'altérité : il prend dans le Verbe le désir que le Père y a mis de communiquer son bien (Jn 16,15) à d'autres êtres possibles, à des êtres que la liberté du Verbe de devenir autre est en puissance de faire advenir, et sollicité par le vide qui gémit de n'être rien de ce qu'il pourrait être (Rm 8, 22), l'Esprit se répand en lui en semence de vie : il rend effectif le partage de vie que rend possible (...) l'acte de se vider de son égalité avec le Père (Ph 2, 6), pour enrichir d'autres êtres de sa pauvreté (2 Co 8, 9), pour laisser se répandre en eux l'amour du Père en devenant lui-même ce rien qu'il appelle à exister de surcroît par participation à sa propre vie ».

Plus loin, il nous parle de la pleine « liberté et gratuité de donner et de recevoir » qui caractérise cet amour de Dieu. N’est-ce pas, au-delà de toutes les théologies d’un Dieu distant, le cœur de notre foi, que de croire en cet amour donné et partagé, comme dans une danse ?

« C'est la circulation de l'amour, de la béatitude et de la gloire (…) entre les Personnes divines qui se fait par l'excès même de ce qui se communique de la Trinité dans l'homme ».

Dans l’idéal, cette danse pourrait être vivante dans l'Église. Dans les faits, elle ne reste qu’une direction à suivre, un chemin… Ce décalage entre l'Église réelle et l'Église idéale a son équivalent entre notre désir de danser et notre capacité à rejoindre les pas de Dieu.


(1) Extrait de ma « danse trinitaire »

(2) cf. notamment le traité rahnérien sur la Trinité 

(3) voir sur ce point la théologie d’Adrienne von Speier et son écho dans la Dramatique divine d’ Hans Urs von Balthasar 

(4) voir mes essais et notamment Pédagogie divine

(5) cf. notamment Joseph Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2 p.196 sq

(6) cf. mes développements in « A genoux devant l’homme » également disponible gratuitement sur Kobo.com

23 mai 2021

Trinité et danse 50.4.1

Certains semble découvrir cette notion de danse que j’évoque à propos de la Trinité alors que je ne fais que commenter cela depuis plus d’un an sur RT. Il me faut peut-être reprendre depuis le début cette invitation à la danse qui nourrit depuis 30 ans mes lectures pastorales et ses 17 tomes. Je crois que tout est né dans la contemplation par mon frère jésuite de Jean 8… qui n’a cessé de m’inspirer. 

En voici une nouvelle manducation (1) :  


« Jésus s'en alla sur la montagne des Oliviers. » Jn 8,1.


Que nous dit l’évangéliste ? Il y a là, d’abord, montée de Jésus. À l’inverse d’une descente à Jéricho – vers le monde – ici le Fils se tourne vers le Père. Il monte vers une certitude, non comme une affirmation mais comme vers une source et un appel. Sa montée est prière et interrogation. Vers quoi monte-t-il ?

Est-ce que le mont des Oliviers serait plus élevé que le temple ? Le fait est qu’il le domine et l’on peut se demander si cette comparaison implicite ne nous introduit pas à quelque chose, ne nous alerte pas à une différence de hauteur. Il y a le temple bâti de mains d’hommes, pis-aller que Dieu n’habite qu’à reculons, si l’on en croit le livre de Samuel [on pourrait dire cela de nos églises:-)] et cette montagne qui sera celle de l’élévation (sur la Croix), lors de la prière « finale », le lieu d’une communion avec le Père quand viendra cette « heure » à laquelle il ne cesse de se préparer. Le lecteur est prévenu. Un drame se joue déjà ici…


« Mais, dès le point du jour, il retourna dans le temple. Et s'étant assis, il les enseignait. Alors les Scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère, et l'ayant fait avancer, ils dirent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. » Jn 8, 2-5


On imagine ces hommes debout face à Jésus assis. Ils dominent le maître, qui pourtant cherchait à les enseigner. Ils semblent le dominer de leurs lois, de leurs savoirs, de leurs certitudes. Maîtres du temple, maître du savoir, ils sont en haut de leurs « tours » bien humaines et lui est assis. Il est monté à la montagne, mais il est maintenant assis. Le drame se précise…


« Comme ils continuaient à l'interroger, il se releva et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » Jn 8, 6-7


Il a consenti à se relever. Est-ce pour condamner la femme ? Est-ce pour se mettre à leur niveau ? Non ! Ce qu’il propose est d’une autre hauteur. Il ne juge pas, mais, en se relevant, en appelle à plus grand que lui. 


Celui qui est sans péché… Qui est-il ? 


Il se garde bien d’affirmer qu’Il peut être celui-là… Il interpelle et pour ne pas faire preuve d’orgueil, « s'étant baissé de nouveau, il [écrit] sur la terre ». La loi qu’il prône n’est pas celle que l’on grave sur les tables de pierre, comme le Moïse de la tradition juive. Ce n’est pas celle que prêchent ces pharisiens hypocrites [que nous sommes, nous aussi, parfois souvent tour à tour]. Sa loi est fragile, écrite sur du sable, au cœur de l’homme. 


Signe humble d’un Dieu humble qui vient interpeller l’homme au cœur de sa faiblesse. Fragile appel où résonne, encore une fois, « l’où es-tu ? » que Dieu adresse à l’homme, après la faute (Gn 3, 9). Qui peut répondre ? Cet appel de l’humble travaille la conscience.

« Ayant entendu cette parole, et se sentant repris par leur conscience, ils se retirèrent les uns après les autres, les plus âgés d'abord, puis tous les autres, de sorte que Jésus resta seul avec la femme qui était au milieu ».

N’a-t-on pas là plus que tous les discours ? N’y a-t-il pas ici, comme le suggère à sa manière Paul Beauchamp, une autre montagne ? La loi de Dieu trace ici un sillon fragile au cœur de l’homme et vient l’éveiller à autre chose. Ce chemin d’humilité que nous cherchions à débroussailler dans cette longue traversée de l’Écriture (2) est ici mis à nu…


« 10. Alors Jésus s'étant relevé, et ne voyant plus que la femme, lui dit : « Femme, où sont ceux qui t’accusent ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ? 11. Elle répondit : « Personne, Seigneur »; Jésus lui dit « Je ne te condamne pas non plus. Allez, va ne pèche plus. »


Il y a, dans les mouvements du Christ, une indication claire de cette danse de Dieu vers l’homme que nous commenterons plus loin. Si l’on relit le texte, en notant ces gestes, on sent, entre les lignes, ce double abaissement du Christ qui, assis, s’était relevé, puis s’est penché à nouveau au sol pour écrire. On le suppose alors tout près de la femme, pour se relever à nouveau. Les gestes de Jésus parlent ici la langue de l’humilité. 


D’agenouillements en agenouillements… dont Jn 13 est le point culminant avant la Croix. 


Qui peut édicter une loi qui touche le cœur ? Le pharisien, le modèle, dressé par la rigidité d’une règle qui condamne ou l’humble chercheur qui trace, aux côtés de l’homme, des traits que le vent vient effacer et qui, pourtant, s’inscrivent au plus profond du cœur et sont plus inflexibles qu’une loi humaine, car enracinés dans la seule loi de l’amour qui fait avancer l’homme. 

N’est-ce pas là ce que les théologiens tentent d’appeler « l’économie » de Dieu(4), ces gestes qui révèlent l’indicible ?

On peut objecter à cette vision un laxisme de Dieu. Ce à quoi répond Augustin : « Quoi, Seigneur ? Tu favorises le péché ? Certes non. Écoute ce qui suit : Va, et désormais ne pèche plus. Le Seigneur a porté condamnation, lui aussi, mais contre le péché, et non pas contre l'homme». (1) 

La danse du Fils n’est ici qu’une petite théophanie de la danse trinitaire. Je vais développer cela, mais je voulais commencer par ce texte, car c’est dans cet agenouillement que tout m’est venu à l’idée.


La Trinité n’est pas une invention romaine comme le suggère un commentateur de RT, mais bien une contemplation dont on trouve les traces à Mambré ou dans Gen 1 et qui sous-tend le discours de Jesus chez Jean. Je l’ai toujours vu comme une danse, traduction poétique du terme « périchorèse » des pères de l’Église (cf. mon essai gratuit sur Kobo « la danse trinitaire »). C’est ce mouvement particulier d’un Dieu qui se retire pour laisser place à un Christ qui s’efface à son tour humblement (en kénose) pour nous confier l’Esprit… sur la pointe des pieds….

La trinité est expression fragile, révélation et jeu subtil d’une pédagogie de Dieu…

Cette danse, on la contemple depuis la création jusqu’à l’incarnation, la mort et la résurrection, avant le vide et le silence qui précède la brise discrète de l’Esprit. Elle s’aperçoit déjà dans le prologue de Jean avec ce « tourné vers l’autre », mais devient aussi une danse « sur la place » où Dieu joue de la flûte et rêve de nous voir danser jusqu’à cette danse des anges si bien peinte par Fra Angelico…


Perichorèse ou circumincession rappelle E. Durand(3), trinité économique souligne Karl Rahner »(4), harmonie glissait Gregoire de Nysse(5),… unité… La trinité est mystère mais invitation, jusqu’à ce passage de l’une seule chair au Corps(6)… elle est inaccessible et en même temps éternelle invitation… d’un Dieu « à genoux »(1) devant cette femme et qui d’agenouillements en agenouillements jusqu’au lavement des pieds… nous prépare à la Croix…


À suivre : Trinité et danse chez J. Moingt 50.4.2


(1) Extrait de « Á genoux devant l’homme », voir aussi  « Dieu dépouillé » et « danse trinitaire »

(2) cf. mon « pédagogie divine »

(3) cf. sa thèse sur la périchorèse des personnes divines

(4) voir son traité sur la Trinité 

(5) cf. notamment sa vie de Moïse 

(6) voir mes développements dans « Aimer pour la vie »

27 avril 2021

Lectures pastorales - livres en téléchargement libre


Comme annoncé je bascule progressivement toutes mes « lectures pastorales » en téléchargement gratuit sur kobo (cf.lien) et  sur Fnac.com.

Sont déjà disponibles plus de 5000 pages en dix-huit volumes très différents :
  1. La réédition de « danse trinitaire », un petit essai d’une cinquantaine de pages publié il y a 10 ans et que je ne cesse de considérer comme central dans une réconciliation entre théologie et pastorale - dire avec des mots simples l'indicible des mouvements de Dieu...
  2. « Retire tes sandales", une petite contemplation (93 pages) rédigée à la suite de ma lecture des 18 tomes de la trilogie d’ Hans Urs von Balthasar
  3. Dieu dépouillé - la compilation de Pédagogie divine et Chemins d'Évangile (1886 pages selon le calcul de Kobo) qui reprend en un volume le coeur de ma contemplation de la dynamique de la révélation qui va jusqu’à « l'agenouillement » de Dieu devant l'homme.(Jn 13 et Ph 2) et intègre notamment les livres publiés sous les titres  « Le rideau déchiré », « Dieu de miséricorde » , « À genoux devant l’homme »
  4.  Serviteur de l’homme - kénose et diaconie, la suite directe de Dieu dépouillé qui poursuit la lectio divina du nouveau Testament et nous conduit au travers des actes des apôtres jusque dans une lecture chronologique des lettres de Paul (dans l’ordre présumé de leur parution) nous permettant de suivre la progression pastorale de l’auteur.
  5. Chemins de miséricorde - une lecture cursive et pastorale de l’évangile de Luc
  6. "KénoseHumilité et miséricorde", Une version en un seul volume (1093 pages) de ma trilogie parue il y a trois ans.
  7. La dynamique sacramentelle, un document présynodal sur l’ouverture de la notion de sacrement à la vie des baptisés 
  8. Le chemin du désert, lecture spirituelle qui accompagne le lecteur sur le chemin ardu d’un dépouillement intérieur à la suite de Luc et Matthieu 4 et des grands mystiques.
  9. Aimer pour la vie, un chemin de spiritualité conjugale, un des premiers écrits de l’auteur sur le thème où il est le plus qualifié (Ancien représentant permanent pour la France de la FICPM), mais aussi le plus démuni - avec 33 ans de vie conjugale au compteur)
  10. Quelle espérance pour l’homme souffrant ? Le mémoire revisité de sa licence de théologie - un travail qui reste fragile tant l’est la question...
  11. L’amphore et le fleuve, un recueil qui développe les thèmes de la liberté de l’homme devant l’amour divin, à la suite de Retire tes sandales et danse trinitaire.
  12. Où es-tu mon Dieu ? - une méditation sur la souffrance 
  13. Dieu n’est pas violent  - une relecture spirituelle des textes de violence dans la Bible
  14. Cette Église que je cherche à aimer - un texte publié il y a quelques années sur les grandeurs et faiblesses de l’Église 
  15. À genoux devant l’homme, la troisième édition de notre lecture de l’évangile selon saint Jean
  16. Pastorale du Seuil, le texte d’une série de conférences données de Beauvais à Gap. 
  17. Pédagogie divine - une relecture pastorale des pas de Dieu dans l’Ancien Testament 
  18. Silo le berger - un conte de Noël écrit pour mon neveu, sur la base de chemins de miséricorde 



Progressivement, l'ensemble de mes lectures pastorales seront mises en ligne gratuitement par ce biais.
A suivre.

Et bien sûr mes romans plus accessibles et notamment, également en téléchargement libre : 
  1. « D’une perle à l’autre (2 tomes) et « le mendiant et la brise » (80 pages au centre des 800)
  2. Le collier de Blanche - un pseudo roman historique à fort contenu théologique...
  3. La danse des anges
  4. Une dernière valse - mon best seller, petite nouvelle de 30 pages... 
  5. etc.







25 mars 2021

Le Verbe fait chair - Annonciation - la danse trinitaire 44



S’il y a un thème que je ne cesse de contempler et qui prend, à l’aube de la semaine sainte, et en cette fête de l’Annonciation mêlée, une coloration particulière, c’est bien cette danse intra divine (1) entre l’humanité et la divinité du Fils que l’ange révèle à sa manière à Marie, dans l’interprétation très spirituelle de Luc.

L’office des lectures d’aujourd’hui me pousse ci après à un crime de « saute verset » sur une texte de saint Léon le grand, qui supprime certaines expressions qui me semblent erronées ou « misleading » dans une dynamique théologique plus constructive. Les puristes pourront se référer au texte intégral (2) Mais je préfère cette version 🙂 de la lettre à Flavien, qui rend bien compte à mon avis de la tension à maintenir entre la révélation bi-face du Christ.


« La petitesse a été assumée par la majesté, la faiblesse par la force, l'asservissement à la mort par l'immortalité ; (...) la nature inaltérable s'est unie à la nature exposée à la souffrance. C'est ainsi que, pour mieux nous guérir, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus Christ devait, d'un côté, pouvoir mourir et, de l'autre, ne pas pouvoir mourir.


C'est donc dans la nature intégrale et complète d'un vrai homme que le vrai Dieu est né, tout entier dans ce qui lui appartient, tout entier dans ce qui nous appartient. Par là nous entendons ce que le Créateur nous a donné au commencement et qu'il a assumé pour le rénover.(...) 


Il a accepté de partager les faiblesses humaines, (...)  pris la condition de l'esclave sans la souillure du péché ; il a rehaussé l'humanité sans abaisser la divinité. Par son anéantissement, lui qui était invisible s'est rendu visible, le Créateur et Seigneur de toutes choses a voulu être un mortel parmi les autres. (...)  lui qui a fait l'homme en demeurant dans la condition de Dieu, c'est encore lui qui s'est fait homme en adoptant la condition d'esclave.


Le Fils de Dieu entre donc dans la basse région du monde qui est la nôtre, en descendant du séjour céleste sans quitter la gloire de son Père ; il est engendré selon un ordre nouveau et par une naissance nouvelle.


Selon un ordre nouveau : étant invisible par lui-même, il est devenu visible en se faisant l'un de nous ; dépassant toute limite, il a voulu être limité ; existant avant la création du temps, il a commencé à exister temporellement ; le Seigneur de l'univers a adopté la condition d'esclave en plongeant dans l'ombre la grandeur infinie de sa majesté ; le Dieu inaccessible à la souffrance n'a pas dédaigné d'être un homme capable de souffrir, et lui qui est immortel, de se soumettre aux lois de la mort.


En effet, le même qui est vrai Dieu est aussi vrai homme, et il n'y a aucun mensonge dans cette unité, puisque la bassesse de l'homme et la hauteur de la divinité se sont unies dans cet échange.


De même que Dieu n'est pas altéré par sa miséricorde, de même l'homme n'est pas anéanti par sa dignité. Chacune des deux natures agit en communion avec l'autre, mais selon ce qui lui est propre : le Verbe opère ce qui appartient au Verbe, et la chair exécute ce qui appartient à la chair.


L'un brille par ses miracles, l'autre succombe aux outrages. Et de même que le Verbe ne perd pas son égalité avec la gloire du Père, de même la chair ne déserte pas la nature de notre race humaine.


C'est un seul et même être, il faut le dire souvent, vraiment Fils de Dieu et vraiment fils d'homme. Dieu par le fait que au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Homme par le fait que le Verbe s'est fait chair et a établi sa demeure parmi nous. »(3)


Revenons à Luc. L’historicité de l’Annonciation peut être contestable, ce que je tente de démontrer dans « pédagogie divine » est qu’il utilise un schème littéraire très classique de théophanie (4) avec ses étapes répétées d’ange, d’humilité et de révélation pour nous introduire à un mystère qui est de fait au cœur de notre foi. Peu importe alors si l’événement a eu lieu. Ce qui nous reste à faire est de tomber à genoux devant le Dieu qui vient nous visiter dans une danse sublime avec la femme, nouvelle Ève qui réalise en elle le rêve de Dieu(5).


Il faudrait refaire idéalement en cette fête particulière un pèlerinage à Florence pour découvrir dans une cellule discrète cette ultime version de Fra Angelica qui fait un arrêt sur image (cf. Photo 1) sur la réalisation toute intérieure du mystère en Marie, elle même. 


(1) cf. sur Kobo ma « danse trinitaire »

(2) voir AELF . Org l’office des lectures de mercredi 

(3) saint Léon le Grand, lettre à Flavien, extrait.

(4) cf. mon « Pédagogie divine »

(5) sur le « rêve de Dieu », relire aussi François, un temps pour changer. p. 141


Photo 1 Fra Angelica, photo 2 : Lérins, l’Annonciation

10 janvier 2021

Baptême du Christ - danse 27

 On parle souvent de triple épiphanie. Qu’est ce à dire ? 

Petite distraction ce soir à la messe dominicale. 

Le baptême du Christ serait le troisième double agenouillement que nous offre la liturgie de Noël et est en même temps une porte d’entrée à la vie du Christ. 

Je m’explique. 

Il y a eu l’agenouillement de Dieu qui nous confie son Fils auquel répond quelques bergers.

Il y a l’agenouillement des mages devant un Dieu qui se révèle par sa faiblesse.

Il y a l’agenouillement du Fils pour recevoir le baptême de Jean, alors même que Jean affirme n’être pas digne de s’agenouiller pour délier ses sandales.


Qu’attendons-nous pour tomber à genoux ? Dieu vient nous visiter. Il plonge symboliquement dans les eaux de la mort pour éveiller en nous le sens de sa mort sur une croix et ce premier agenouillement est chemin pour qu’à notre tour nous prenions le temps de renoncer à nos certitudes et contempler la faiblesse d’un Dieu qui se penche devant l’homme pour l’inviter à la danse...


C’est dans ce mouvement que réside l’amour...


Don de l’Esprit, de l’eau et du sang nous dit Jean, puisque tout est lié. Tout prend chair dans cette kénose trinitaire.


On n’épuise pas pourtant ces textes en 2 paragraphes.. Il y a quatre beaux sermons chez les Pères de l’Église révélés cette semaine par le livres des heures que je vous laisse découvrir. Si Gregoire de Naziance nous donne par exemple à contempler un dialogue entre Jean et Jésus Fauste de Riez donne de son côté une belle correspondance entre Cana et le baptême. Ces jarres d’eaux usées transformées en vin peuvent y être comparées à ce Jourdain purifié par la plongée symbolique de l’Agneau. Tout cela révèle et prépare au sommet de l’incarnation, le mystère de cet amour porté jusqu’au bout, martyr finalement commun de Jean et du Christ au service d’une seule révélation : l’amour infini du Père. L’agenouillement du Fils n’a d’autre sens. On est loin d’une tour de puissance et d’orgueil. La kénose est ici à son paroxysme. 


C’est peut-être ce que nous révèle 1 Jn 5 : « C’est lui, Jésus Christ,

qui est venu par l’eau et par le sang :

non pas seulement avec l’eau,

mais avec l’eau et avec le sang.

Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit,

car l’Esprit est la vérité.

En effet, ils sont trois qui rendent témoignage,

l’Esprit, l’eau et le sang,

et les trois n’en font qu’un. »


Le baptême du Christ est la première réponse à cette soif de l’AT et finalement à notre soif, culminant dans ce geyser d’eau et de sang que décrit Jean 19





PS : on trouvera sur ce thème d’autres commentaires sous ce lien. https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/511470-commentaires-du-dimanche-10-janvier-2/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-10-janvier-2 


J’aime les découvrir le dimanche matin après une longue méditation personnelle ou partagée avec les amis de notre Maison d’Evangile dont je rappelle ici le lien. Un beau groupe qui compte maintenant une centaine de membres et surtout des interventions très respectueuses autour de la Parole cf. https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/?ref=share


C’est en s’éclairant et manduquant ensemble ces textes que nous déchirons le voile 😉