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13 avril 2022

Ébauche fragile pour le vendredi saint…

 Ce soir nous arrivons au bout du voyage de Jésus. Isaïe et la lettre aux Hébreux nous présente un Christ conduit dans le tunnel de la mort, comme un agneau que l’on mène à l’abattoir…

D’une certaine manière, il n’y a pas ici, à ce stade, chez ces deux auteurs d’espérance, sauf peut-être entre les lignes d’Isaïe. Le mal est là, il nous entoure, il est à nos portes. Une noirceur qui rejoins notre aujourd’hui.

Le Christ, nous le disions dimanche, ne passe pas au-dessus du réel. Il est à nos côtés dans ce gouffre sordide.


Il faut peut-être commencer par entrer dans le silence, ce silence où résonne la douleur des hommes(1), pour s’ouvrir à autre chose. C’est peut-être finalement cela, cette obéissance du Christ qu’évoque maladroitement la lettre aux Hébreux, [avec les limites de l’auteur évoquées récemment par M. Pochon(2)] : une sorte de libre soumission au projet de Dieu, mais avec cette nuance importante que souligne Jean au chapitre 10. En effet même si la violence est là, Jésus reste en pleine maitrise de sa liberté car l’enjeu est ailleurs : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne… » Jn 10, 18.


Ce n’est qu’à ce stade, après être entré dans le silence, et contemplé ce signe élevé, qu’un mouvement peut être amorcé. Et quel mouvement !


Dans la passion de Jean on peut distinguer au moins trois points / déplacements :  


1. Une certaine assurance qui transparaît déjà dès le chapitre 13 et qui donne un ton différent à cette version de la passion. Le Christ reste maître de lui. Il sait que l’enjeu est crucial , que ce projet du Dieu trinitaire est de révéler le jusqu’au bout de l’amour par l’abaissement même de la Croix. La seule réponse au mal est d’avancer, d’entrer dans ce projet de Dieu, non pour satisfaire à un Dieu pervers, mais parce que Père et Fils ont tracé cette voie particulière qui met l’amour au centre (3)


C’est finalement l’enjeu de cette coexistence entre un Christ qui affirme par 3 fois « Je suis » [qu’on pourrait traduire par un « Me voici, c’est l’heure/mon heure] et qui semble maître de lui et à l’opposé la violence désordonnée du monde, le reniement et la fuite des hommes…


2. Entre le triple « je suis » de Jésus et le « je ne suis pas » de Pierre se trouve tout le drame de notre humanité, la différence entre le discours et les actes. 

Le Christ maintiendra jusqu’au bout son amour pour l’homme, jusqu’au « j’ai soif » final qui est bien plus qu’un cri, car il rejoint toutes les soifs et les agenouillements du Christ. Pour mère Teresa et d’autres mystiques, il s’agit plutôt d’un « j’ai soif de toi »(4) qui nous appelle au plus profond de nous mêmes.


« Si tu veux, va jusqu’au bout de l’amour, quoi qu’il en coûte. Le reste est superflu », semble nous suggérer Jean.

Entre l’agenouillement du lavement des pieds, jusqu’à la Croix, le Christ n’est qu’invitation à l’amour. Et c’est cela qu’il nous faut maintenant contempler dans le silence intérieur, jusqu’à ce que, au fond de nous, naisse la réponse, soufflée par la musique silencieuse des psaumes et d’Isaïe : « Tu ne voulais pas de sacrifices (…) alors j’ai dit, me voici ».


3. Le troisième point est peut-être à lire en filigrane dans l’échange entre l’archétype des disciples (celui que Jean appelle le bien-aimé), Marie et Jésus. Plus qu’un héritage, c’est à nous tous qu’est confié la tâche de faire famille : « Ta mère, ton fils ». 


Quelle mission fragile nous est confiée ici au pied de la Croix ! Non seulement écouter le cri des femmes et des hommes, mais construire une famille, un Corps.


Tâche impossible aux hommes que nous sommes, sans la grâce jaillissante qui surgit de cette « danse » tragique que le Père et le Fils viennent d’exécuter « pour nous ».

C’est dans l’eau vive torrentielle d’un cœur transpercé que jaillit et procède l’amour fragile et immense et se révèle à nous dans ce qui est, pour Jean, le don de l’Esprit ! 

Ici, point de rideau déchiré(5), seul le cœur de Dieu dénudé et transpercé par la violence devient source féconde. 


J’ai soif de toi / voici de l’eau…

Paradoxe (oxymore) de la Croix…


(1) comme le soulignait si bien Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, 1995, Ed° de 2002, Cogitatio Fidéi n° 176, p.546ss

(2) cf Martin Pochon,  « Lettre aux Hébreux au regard des Évangiles », lectio divina, Cerf 2020, qui avance la thèse que cette lettre provient d’Apollos, cet apôtre de Jean Baptiste à qui l’Evangile n’est pas encore connu et qui de ce fait interprétre maladroitement le sens du rachat.

(3) cf. sur Kobo/Fnac ma «  danse trinitaire « 

(4) cf. notamment sur le triple reniement mon analyse in « À genoux devant l’homme » 

(5) voir mon essai éponyme et « Dieu dépouillé »

28 février 2022

Le troisième pas - danse 2.38

Une fois pris dans le tourbillon de la danse, où s’arrêter ? La reprise, le jeudi saint du mime original du lavement des pieds n’a de sens que lorsqu’il prends chair dans un amour en « actes et en vérité ». C’est ce que Jean Zumstein (1) appelle sa deuxième interprétation du lavement des pieds, non plus seulement comme lieu de contemplation d’un Dieu à genoux, mais comme « exemple », exhortation à continuer à faire de même. 

Pour Pierre le premier sens du lavement des pieds est déjà difficile à accepter. Non pas toi Seigneur… Est-il capable de faire le troisième pas ?

Qu’est-ce que le troisième pas et pourquoi parler en effet d’un troisième pas de danse. Parce que pour moi, le premier agenouillement introduit la Croix, le vrai « agenouillement »mais si la Croix est signe élevé, lieu de salut et invitation, non à un sacrifice (unique) par essence, mais à la conversion/metanoia du cœur qui nous met au cœur du mouvement introduit cet axe même qui va du chapitre 13 de Jean (lavement des pieds) au chapitre 19 (croix). Tout dans cette « danse » est orienté pour nous préparer à agir.

Le lavement des pieds est, comme le souligne le Christ lui-même au verset 15, « un exemple [ὑπόδειγμα] pour que, comme moi j’ai fais à vous, vous aussi vous fassiez » (2) Jean 13, 15.

Tout est orienté vers notre agir, notre diaconie véritable.

Zumstein, à propos de ce verset et plus largement du geste de Jésus insiste sur le mot grec ὑπόδειγμα / exemple, là où Léon Dufour parlait de mime. De mon côté je maintiens le mot de danse, car depuis le geste du chapitre 13 au « tragique » de la Croix se révèle l’essence même du mouvement qui va de Dieu à l’homme, descente indicible, POUR que l’humain aille à l’humain… Non pas un agenouillement servil devant Dieu, mais un amour dans cette démesure que nous contemplions dimanche dernier.

Quel chemin que cette humilité de Dieu (kénose).

« Le don que le Christ fait de sa vie et qui porte l’amour à son achèvement est la condition de possibilité de l’amour des disciples. Parce que le Christ instaure l’amour comme une réalité dans le monde - plus précisément comme la réalité [ultime] (…) -, les disciples sont mis en condition d’aimer ».(3). Sont-ils pour autant capables de prendre ce  « toboggan » théologique qui part de la pédagogie divine à jusqu’à la révélation et n’a comme but unique que de nous projeter vers l’essentiel, le commandement unique d’aimer « d’agapè » [sans mesure] ? C’est en tout cas l’inaccessible projet de Dieu qui nécessite le torrent d’amour que décrit Jean au chapitre 19, ce jet d’eau et de sang jaillissant de la faille d’un cœur brisé et donné sans retour qui n’est autre pour lui que le don de l’Esprit.


Ce que les hommes n’avaient pas perçu, semble évidence pour les « amies de Béthanie », qui, dans leur complémentarité salutaire, font de Marthe et Marie les deux faces les plus visibles de la révélation en marche, nous glisse à sa manière Sylvaine dans ses « leçons de Béthanie  » (4) déjà évoquées… 


Pour nous, l’enjeu n’est pas de croire qu’il s’agit d’un acquis, d’une courbette éphémère. Cette danse vers l’homme est inaccessible pour nous sans la force de l’Esprit qui vient cueillir notre désir et nous fait franchir le ravin entre un « peut-être » et l’agir véritable.


Or, il n’est pas innocent de noter, que pour l’auteure, ce sont des femmes qui sont baignées les premières dans ce torrent d’amour et deviennent actrices du salut.


En paraphrasant l’hymne d’aujourd’hui ont peu s’agenouiller devant celles qui ont cru les premières :


Les voici rassemblées

Dans la maison du Père,

Les compagnons d'épreuve

Qui t'ont vu crucifié.

Tu ouvrais le passage,

Elles marchaient sur tes traces,

Ô Seigneur des Vivants.


Elles portaient dans leur cœur

Pour éclairer le monde

La mystérieuse image

De ta gloire humiliée.

Messagers d'espérance,

Elles semaient ta parole

Et c'est toi leur moisson.


Elles ont place au festin

Dans le Royaume en fête,

Pour avoir bu la coupe

De l'amour partagé.

Tu leur montres le Père

Et ta joie les habite,

Ô Jésus, Fils de Dieu !


Nous fêtons aujourd’hui la chaire de Pierre, mais sur quelle pierres vivantes est bâti ce trône ? N’oublions pas celles qui ont lavé leur tuniques dans le sang de l’agneau. Méprisées alors que leurs « voies royales » (5) [toutes leurs souffrances ou dévotion accumulées] les mettent devant ceux qui ont pris la première place en négligeant les toutes aimées de Dieu…

Hommage et humilité…


(1) Jean Zumstein, l’Evangile selon saint Jean (13-21), Labor et Fides, 2007

(2) Jean 13, 15, traduction littérale 

(3) Zumstein, ibid. p. 53

(4) Sylvaine Landrivon, les leçons de Béthanie, Cerf 2022. 

(5) cf. son livre éponyme

20 février 2022

Le premier pas - danse 2.37

Nous sommes venus et nous sommes repartis.

Qu’est ce qui a changé ?

Comment notre vie est-elle bouleversée par Christ ?

Cette question, nous ne pouvons la poser à la dérobade et je n’ai à peine le droit de la poser ici. Et pourtant elle devrait me travailler, nous travailler, au plus profond de notre cœur, car elle est essentielle. Elle est au cœur de notre engagement de chrétien.

Dans la première lecture de ce dimanche, David surprend ses interlocuteurs, alors qu’il s’inscrivait dans une logique de violence, le voici qui est transformé de l’intérieur, qu’il renonce à mettre la main sur son roi et interpelle sa raison.

Dans la deuxième lecture Jacques interpelle de la même façon notre humanité. Sommes-nous des fils d’Adam, des « terreux » ou des fils spirituels ?

Que sont d’ailleurs les fils de l’Esprit ? C’est peut-être ceux qui acceptent d’être changés en profondeur, qui sentent monter en eux la violence et qui la répriment, changent leur « cœurs de pierre en cœur de chair » et se laissent conduire par l’Amour, l’amour avec un grand A, celui qui « ne cherche pas son intérêt » mais entre dans la démesure du don, un don immense, dont le Christ est seul icône parfaite.

Jésus nous parle aujourd’hui dans ce texte particulier de Lc 6, 27-38 qui suit juste le message des béatitudes. Il va un pas plus loin. Et quel pas !

Si l’on te frappe, tends la joue gauche. Ne répond pas. Tends ton regard vers l’agresseur, ne lui tends pas la première joue, celle qui a souffert, ce qui serait du masochisme, mais interpelle-le par ton regard, et en même temps, change ton regard pour changer le sien. Laisse toi envahir par le par-don, par l’Amour. Ce à quoi nous conduit le Christ est plus grand que tout. Il est cet amour que décrit Luc, débordant, démesure, don qui ne compte pas, qui ne juge pas.

Il est agenouillement, devant tous les Judas que nous sommes, comme ceux que nous subissons.

Christ croit en toi, en moi, en nous.

Le voici, à genoux, pleurant, pour que se réveille enfin, l’amour, celui qu’Il porte sur nous, qu’Il nous partage à l’infini, à chaque fois que nous entrouvrons la porte de notre cœur et qu’en nous se glisse le don de l’indicible, et nous conduit au « me voici » qui nous fait danser la musique de Dieu. 

Aujourd’hui, comme tous les dimanches, il est là, à genoux, non pas pour nous mettre à genoux, mais parce qu’il croit en l’impossible, qu’il est Amour.

La veille de sa passion, quand il s’est mis à genoux devant celui qui le livrait, comme devant Pierre, il a fait le premier pas de danse (1). Sommes nous prêts à faire le second. Allons nous communier à cet Amour qui se donne et se redonne dans la démesure d’une eucharistie en actes.

C’est le rêve de Dieu, de toute éternité…






Notes pour l’homélie de ce jour….


(1) peut-être pas le premier comme je le montre dans ma trilogie (cf. Lien sous l’Image 4), mais d’une certaine manière le plus fou, l’unique, celui de cette mesure débordante que nous n’imiterons jamais assez…

17 février 2022

Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

 Reprise - Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

Peut-on véritablement comprendre le mystère de la Cène à laquelle nous sommes invités ? Probablement qu’à moitié. Ce qu’on perçoit à la fraction du pain, si l’on en croit Luc 24, ce n’est pas tant le prêtre qu’il soit blanc, noir, homme ou femme, mais la charité en actes de Celui qui disparaît alors, à Emmaüs en nous laissant trouver seul le chemin pour le suivre. L’essentiel est alors de se remettre en marche, car la fraction du pain n’est que le mime (1) d’un don qui va jusqu’au bout de l’amour et qu’il nous faut conjuguer à notre manière en fonction de nos dons, de nos « talents » à l’image de Celui qui disparaît tout en étant bien présent par les traces vives de la Parole et du Pain, manduqués à nouveau ensemble en souvenir douloureux et fécond de nos incapacités et de nos joies mêlées... et dans l’espérance de trouver un jour notre façon de rompre le pain dans une dynamique sacramentelle (2)  qui dépasse le rite, le mime (au sens donné par  X. Léon Dufour) pour devenir sacrement réel, signe efficace et fécond. L’essentiel est que notre façon d’agir reflète une pâle mais vraie image de Celui qui nous a invité à sa table. La fraction du pain est alors plus que le rite, elle devient Vie, Vérité, Amour partagé et donné, diaconie et communion. Tous les autres débats sur la présence ou non, la forme, l’orientation vers l’Est ou la tenue deviennent alors des frémissements futiles et ridicules... 


Il est temps qu’on retourne au centre au lieu de s’étriper sur la forme. Je n’ai jamais compris le sens des insistances sur la forme alors qu’on est invitée à une danse plus essentielle, à devenir ce que nous disons, à vivre ce que nous prêchons dans nos églises qui se vident non par la faute de l’un ou de l’autre, mais parce que nous oublions l’essentiel. Ce n’est pas nos débats sur la qualité du rite qui fera avancer ce à quoi nous invite le Christ, qui se moquait bien des lavements de mains rituelles, leur préférant une autre forme de diaconie à genoux devant l’homme (cf. Jn 13). 

Arrêtons de réguler ou d’exclure certains du partage de la Table par ce qu’ils seraient moins dignes, moins purs... que celui qui n’a pas péché jette la première pierre (cf. Jn 8 )...

Discours moralisateurs et stériles que celui qui veut fermer la porte de l’Église à certains. L’essentiel est ailleurs comme nous le rappelle François (3).

Je ne cesse de contempler cette hymne de la Fédération dont j’ai été longtemps le porte parole pour la France : «  je voudrais qu’en vous voyant vivre les gens puissent se dire : voyez comme ils s’aiment ».(4)

L’essentiel est là. C’est l’appel de Mat 25.(5).

—-

Ajout au texte original 

Je rêve en parcourant le livre de Sylvaine déjà évoqué en 2.33 à une refonte de nos liturgies, à une 5eme prière eucharistique qui ne soit plus cette fois prononcée par le prêtre seul mais donne véritablement écho à ce chœur des chercheurs de Dieu que nous sommes. Une sorte de symphonie polyédrique à plusieurs voix qui se tait soudain devant le pain et le vin, car qui peut véritablement prononcer les paroles du Christ si ce n’est le bruit d’un fin silence, le souffle ténu venu d’ailleurs ?

Alors notre communion sera pleine et entière. 

Le sera-t-elle d’ailleurs ? Probablement pas tant que le fruit reçu ne soit devenu agapè, don véritable, vécu et partagé, agenouillement non plus devant un Dieu distant mais devant les souffrants d’aujourd’hui en qui se révèle la Présence du Grand absent qui est bien là car il les porte dans ses bras…


(1) cf. Xavier Léon Dufour dans son commentaire de Jean tome 2

(2) C’est en tout cas ce que je cherche à décrire dans mon livre éponyme téléchargeable gratuitement sur Kobo

(3) cf. son entretien avec Spadaro : «  ne soyons pas ceux qui se tiennent à la porte pour empêcher d’entrer ».

(4) hymne de la fédération internationale des CPM - FICPM


(*) Je retombe sur ce texte écrit il y a 14 mois et qui n’a pas pris beaucoup de ride… dont le titre a inspiré le titre de mon dernier livre… et qu’on retrouve p. 112  voir ici https://www.amazon.fr/Danse-avec-ton-Dieu-campagne-ebook/dp/B09PQ9FJRR/

25 décembre 2021

Double agenouillement et ouverture - 2.23

Avant d’arriver au cœur du mystère de l’incarnation, peut-être fallait-il descendre jusqu’au point où l’on écoute, dans le silence, le bruit du monde, sa plainte, son désarroi, ses impasses et ses chemins stériles, ses fausses joies, son désespoir et plus fondamentalement la violence qui demeure. 

Ce chemin je viens de tenter de le parcourir. Ce n’est en effet qu’en descendant très bas, aussi bas que possible, dans le silence de la nuit, quand le cri de l’enfant martyrisé, abusé, violenté, ou plus sournoisement nié et tué que l’on peut comprendre l’agenouillement de Dieu devant la femme qui va porter en son sein un Sauveur.

Au delà de toutes polémiques, il est demandé à l’homme de s’interroger pour savoir comment il est possible que le Père s’agenouille aussi bas…

C’est quand on perçoit le double agenouillement de Dieu et de la femme qui,  dans leur « me voici / fiat » mêlés, que peut apparaître une lueur, un fragile rayon de lumière et que l’espérance jaillit.

La lecture très spirituelle de Luc et de Matthieu n’est-elle pas finalement au dessus de toute rationalité historique et charnelle ? 

Ne devient elle pas chemin d’espérance ? 

La kénose du Père et la réponse mariale mérite d’arrêter tout discours et de contempler à la fois dans le silence, l’innommable, l’impossible, l’imposture et l’insaisissable…

Comment l’infini s’approche-y-il de l’humain, au plus loin de toutes « périphéries » pour rejoindre sans violence ce monde pris dans le tumulte d’une suffisance.

Le double agenouillement de la femme et de Dieu, l’intercession, la rencontre, la danse, au sein même de la circumincession des Personnes divines, laisse finalement une seule voie fragile, celle de notre propre agenouillement…


À l’épaisseur du mystère et du voile qui recouvrent l’incarnation et cette question souvent discutée de celle qui s’ouvre à ce mystère, que cherche à percer les deux « évangiles de l’enfance », répond pour moi, comme en écho, deux voies / voix tout aussi fragiles, celles qui :

1. aboutit au cri / sommet sorti de la gorge du centurion infidèle (Mc 15, 39) que Marc fait suivre au déchirement du voile (*) 

2. ou l’agenouillement sponsal d’un Christ (*) qui se dépouille de son vêtement pour laver les pieds de l’homme en Jn 13, dans ce X. Leon Dufour appelle un mime d’une extrême densité symbolique.

C’est au creux de ces quatre voies, dans la polyphonie des Écritures que prend chair, pour moi, la symphonie fragile des Évangiles…(1) et que peut se concevoir ce que l’Église cherche à contempler, y compris sur la virginité. 


En ce jour du martyre des saints innocents peut on dire plus, espérer plus que de tracer un chemin fragile qui va d’un souffrant à l’autre jusqu’à la contemplation de la déréliction, ce silence de Dieu qui accompagne la mort du crucifié et nous appelle à croire que Dieu est vainqueur de la mort par ce mystère fragile qui va de l’incarnation à la résurrection ? Et qui, ce faisant, « a besoin de nos mains », comme le disait Etty Hillesum au camp de Westerbroch (2)


(*) cf. mes essais « Le voile déchiré » et « À genoux devant l’homme »

(1) un beau thème développé par Hans Urs von Balthasar dans la fin de sa trilogie 

(2) cf. Une vie bouleversée

02 avril 2021

Homélie du vendredi saint... - La Croix 12.0 - la danse finale (n.45)

Projet 2

Qu’est-ce que nous contemplons ce soir ?

Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

  1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :
    • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.
    • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)
    • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)
  2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 
  3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)
  4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...
  5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.
  6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)
  7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 
  8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).
  9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)
  10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 
  11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précède en Galilée 
  12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter ;-). On n’épuisa jamais la révélation de la Croix. 


Jean nous conduit aussi à une interrogation particulière. Nous l’avons vu, quand Jésus, au jardin, affirme par trois fois Je suis, c’est à la fois une révélation du mystère même de l’homme Dieu et un écho aux trois « je ne suis pas » de Pierre. 

Ego eimi / ouk eimi


Et nous qu’allons nous dire. Je suis ? Je te suis ? Ou je ne suis pas, je ne te suis pas.


Laissons la question résonner dans le silence. Est-ce que Jésus est mort en vain... est-ce que notre marche vers Pâques est stérile ou sommes-nous prêts à avancer, à répondre enfin à l’où es-tu de Dieu, aidé par la contemplation de la croix et sa miséricorde ? 



Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »


Lavement des pieds 47.2

 Lavement des pieds - 2 - danse 47.2

Un autre indice nous amène à reprendre la recherche que nous avions entamée plus hautC’est le verset 4 qui soulève le voile : « Jésus dépose ses vêtements ». Rappelons-le, c’était déjà, en Ex 33,5, la même exhortation de Dieu adressée au peupleAprès l’idolâtrie du veau d’or, le peuple était invité à tomber ses vêtements de parade avant de se tourner vers la tente de la rencontre, lieu du dialogue entre Moïse et Dieu (cf. plus haut Ex. 33). Ici, c’est Dieu lui-même qui tombe ses vêtements de parade, qui se dévêtit pour prendre la condition de serviteur (cf. Ph. 2). Et, ce faisant, il se met à genou devant l’humanité pour en vénérer son devenir. Démarche ultime, si chargée de sens, d’un Dieu, qui au sommet de tout ce qu’il a pu révéler, se met aux pieds de l’homme pour l’appeler à l’amour.

Il y a ici encore pour moi, une belle illustration de ce que j’appelle le « schéma des tours ». Le Christ accepte d’en descendre au plus bas de ce qu’il lui est humainement possible d’aller pour inviter l’homme à ce chemin intérieur. Et la résistance de Pierre est à l’image de nos propres résistances à entrer dans ce mouvement qui met en jeu toute notre intégrité, notre construction d’homme debout. Cela évoque pour moi la conversion de cette Etty Hillesum qui conçoit enfin de s’agenouiller devant Dieu alors que sa raison l’empêchait de consentir à cet abaissement. C’est alors qu’elle perçoit enfin l’immense amour qui n’attendait que de pouvoir se déverser enfin dans son cœur fermé à l’amour de Dieu.

Enlève tes vêtements, quitte ta toute-puissance... Le plus étonnant est que cette invitation à l’humilité précède un quiproquo identique entre Moïse et Dieu dans le reste d’Exode 33. Cette voix nouvelle a du mal à être comprise par l’homme. Chez Judas, le geste de Marie de Béthanie a provoqué chez ce dernier le désir du mal. Chez Pierre, elle engendre une incompréhension.

« Pierre lui dit: "Non, jamais vous ne me laverez les pieds." Jésus lui répondit: "Si je ne te lave, tu n'auras point de part avec moi." »

Et c’est pourtant le chemin auquel Jésus nous invite.

Chez Grégoire de Nysse (IV° siècle) notamment, la symbolique de la « tunique de peau » traduit les passions (pathé) qui peuvent enfermer l’homme dans une spirale et l’éloigner de Dieu. Retirer sa tunique pour revêtir un manteau de lumière rejoint la tension jour/nuit que nous avons notée plus haut. Chez Jésus, le geste est symbolique puisqu’il a déjà trouvé la voie de l’aphateia …- le grec exprime un privatif : sans pathos. Pour nous, le chemin est dans cette imitation…

Dans le cadre même d’un texte invitatoire à l’institution de l’eucharistie, il n’est pas anodin de retrouver cette évocation. Au sein même de l'ensemble de l'attitude de Jésus, nous entrons également en résonance avec le propre chemin de Dieu vers l'homme, cet abaissement de Dieu qui, depuis qu’il cherche l'homme dans le jardin, ne va cesser d'exprimer le "j'ai soif" crié par Dieu à l'humanité... Là où le nouvel Adam se met à nu, quand le premier Adam se cache derrière un vêtement, y a-t-il plus qu’une symbolique ? Il nous semble au contraire que le cri trinitaire ne cesse de se conjuguer dans l'Écriture. On le trouvera dans l'entre-deux de la visite à Mambré, entre-les-lignes de l'échange entre Moïse et Dieu, en Ex 33, dans la voix d'un fin silence où la tendresse de Dieu vient chercher l'homme juste et lui fait entendre le chant des autres chercheurs de Dieu, le cœur des 7000 (cf. 1 R 19).

Comme nous venons de le souligner le « donne-moi à boire » prononcé à la Samaritaine (Jn 4), et la danse du Fils, au pied de la femme adultère, vient donner une dimension nouvelle à cette succession d’agenouillements devant l’homme blessé. Le « va et ne pèche plus » comme tous les abaissements du Fils devant l’homme blessé résonnera jusque dans le cri final prononcé sur la Croix (cf. plus loin) par l’homme mis à nu pour l’homme. Au « j'ai soif » de ton humanité, viendra répondre, comme en écho, la symphonie du don trinitaire, jaillissement infini du fleuve d'amour, face à laquelle notre amphore reste bien petite...

Plus je médite ce texte, plus sa portée, ce sommet théologique, ressemble à cette échelle de médiation, présentée en Jn 1,51, où le Christ apparaît à la fois comme l'échelle et le nouveau Jacob. Il est le lien entre la terre et le Ciel... L'échelle est accrochée au sommet du ciel. Ce Dieu de faiblesse révélé dans la kénose/l’humilité du Fils, résonnera chez Paul dans l'affirmation « Dieu lui a donné le nom » (Ph 2)... « Jésus est le Christ... »

Le texte du lavement des pieds vient confirmer une tension qui traverse tout l’Évangile. Depuis l’annonce de « celui qui doit venir et qui était avant moi » du prologue narratif (Jn 1) jusqu’à la Croix, tout nous prépare au procès de Jésus. L’enjeu est de nous dévoiler le Fils d’une autre manière. Le lavement des pieds bouleverse la vision du Fils. Ce n’est pas anodin que ce récit introduise ce que la plupart considèrent comme la deuxième partie de l’Évangile, celle de l’Heure, où le Christ se révèle dans son humanité la plus entière.

Les spécialistes de Jean distinguent souvent le temps des signes du temps de l’Heure qui débute au chapitre 13. Le terme d’heure que l’on rencontre 26 fois chez Jean insiste sur le temps de la Passion/Résurrection comme l’heure de la révélation ultime.

Le mystère de l’incarnation, le sens même de toute l’incarnation, c’est de comprendre cet acharnement de Dieu à appeler et réveiller en l’homme toute son humanité. Et cet acharnement ira jusqu’à l’extrême. Un décentrement de tout ce qui retient l’homme-Dieu à sa divinité pour se faire don, pour s’offrir au service du réveil de l’humanité.

Jude n’est pas dupe de cette réserve du Christ, quand il demande quelques versets plus loin : « Comment se fait-il que tu aies à te manifester à nous et pas au monde ? » (Jn 14, 22). Jésus n’y répond pas directement. Il confie le travail au « Paraclet, que le Père enverra en mon nom, pour enseigner toute chose » (14,26).

Commentaires

Saint Augustin commente ainsi ce passage : « "Il savait que le Père lui a donné toutes choses entre les mains, et qu'il était sorti de Dieu et qu'il retournait à Dieu". Celui donc à qui le Père a remis toutes choses entre les mains, lave, non les mains, mais les pieds de ses disciples, et lui qui savait être sorti de Dieu et retourner à Dieu, il remplit l'office, non d'un Seigneur Dieu, mais d'un homme esclave. Et si l'évangéliste a parlé d'un traître qui était venu dans la pensée de le livrer, mais que le Sauveur connaissait bien pour tel, c'est pour nous montrer le comble de l'humilité où il est descendu, en ne dédaignant pas de laver les pieds de celui dont il prévoyait que les mains allaient se souiller d'un pareil crime. » Il ajoute plus loin « Il est vrai que, pour se ceindre d'un linge, il quitta les vêtements qu'il avait, tandis que pour prendre la forme d'esclave au moment où il s'anéantit lui-même, il ne quitta pas ce qu'il avait, mais il prit ce qu'il n'avait pas. Pour être crucifié, il fut dépouillé de ses vêtements, et quand il fut mort on l'enveloppa dans un linceul. Et toute sa passion a servi à nous purifier. Avant donc de souffrir les derniers tourments, il a voulu s'abaisser, non-seulement devant ceux pour qui il allait subir la mort, mais encore devant celui qui devait le livrer à la mort. L'humilité est d'une importance si grande pour l'homme, que Dieu dans sa grandeur a voulu lui en laisser un exemple complet; car l'homme aurait péri, à jamais victime de son orgueil, si Dieu ne l'avait sauvé par son humilité. Le Fils de l'Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (1). Or, l'homme s'était perdu en imitant l'orgueil de son séducteur; puisqu'il est retrouvé, qu'il imite l'humilité de son Rédempteur. »

Le Christ au pied de Judas, c’est la mise en actes de la parabole du Fils prodigue. Au pécheur qui fuit l’amour, Dieu n’avait d’autres armes que de se jeter au cou du fuyard et d’offrir son fils. La réponse de Dieu au veau d’or de l’idolâtrie et du refus de Dieu, c’est le don du « veau gras » évoqué par saint Augustin, le don du Fils qui va jusqu’à s’agenouiller devant Judas et lui offrir son corps, la première bouchée du repas du jeudi saint, signe de l’acceptation totale, par le Fils, de la mort, comme dernier signe offert, dernier message d’amour à l’homme aveuglé par le mal.

Combien sommes-nous loin de cet agenouillement ?


[•••]


Pilate prononcera au verset 5 du chapitre 19 de Jean l’affirmation centrale, déjà introduite par le lavement des pieds. Alors que les juifs attendaient un roi tout puissant, c’est l’homme servile et blessé qui se dévoile à nous.

 « Ecce homo ». La révolution est ici complète. Elle pouvait nous heurter lors du lavement des pieds, mais qu’est-ce à dire quand la déchéance de l’homme va jusqu’à l’humiliation totale ? C’est devant cette faiblesse de l’homme-Dieu que tout se révèle.





Excursus : Des ponts

Une autre lecture peut être faite en analysant la substitution réalisée par Jean. On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n’était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les quatre recensions n’ont pu déroger à une lecture semblable. Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n’est raconté que par Jean et remplace, nous l’avons dit, le récit de l’institution de l’eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées dans ce cadre.

Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d’une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité dans l’amour.

Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique. Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l’amour de Dieu et de l’amour des hommes au sein d’une communauté vivante.

Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l’attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s’identifie ici.

On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l’absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n’avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.

Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d’attacher de l’importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l’eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui…

Excursus : Transversalités

Pour compléter cette approche centrée sur l’Évangile selon saint Jean, il convient de chercher d’autres références dans les textes du Nouveau Testament.

Le « lavement des pieds » a, chez les Synoptiques, une autre dimension. Chez Luc, c’est une femme pécheresse qui vient laver les pieds de Jésus de ses larmes (Lc 7, 35). Cette mise en perspective confirme notre intuition. À partir de ce geste du pécheur pardonné, Jean nous conduit progressivement sur une autre voie. Il attribue ce geste à Marie de Béthanie puis à Jésus. Cette progression et l’inversion qu’elle sous-entend renforcent l’aspect révolutionnaire de ce geste.

Pour ce qui est de la tension maître-serviteur, elle n’est pas unique à l’Évangile selon Jean. On trouve déjà une allusion au maître qui se fait serviteur dans l’inversion surprenante de la parabole de Luc 12, 37 « Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera veillant ! Je vous le dis en vérité, il se ceindra, les fera mettre à table et passera pour les servir ». Nous sommes là dans une continuité avec l’esprit des Synoptiques, à la différence près que Jésus passe aux actes. Il ne s’agit plus d’un discours, mais de gestes.

Enfin, on ne peut ignorer que Luc a mis dans les paroles de Jésus, ce qu’il aurait accompli selon Jean :

« Vous, (ne faites) pas ainsi ; mais que le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Qui, en effet, est le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N'est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, au milieu de vous, je suis comme celui qui sert. » Lc 22, 26-27

De même, Paul, dans son hymne aux Philippiens insiste sur la kénose du Fils : « il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est vidé de lui-même, prenant la condition de serviteur, jusqu’à la mort sur une croix » (Ph 2). Ce que nous avons souligné chez Jean demeure au cœur même de la pédagogie de Dieu. Le lavement des pieds n’est pas un épisode anodin dans la révélation du Fils. L’agenouillement de Jésus devant les hommes s’inscrit sur le chemin où le Fils de Dieu va jusqu’au silence de la croix, au cri d’amour lancé à l’humanité tout entière.

Chez les Synoptiques, d’autres textes feront écho à cette faiblesse de Dieu devant l’homme. On en trouvera la trace dans l’attitude de Jésus devant Zachée (Lc 19). « Il est descendu à Jéricho », a souligné le texte. Pour les Pères de l'Église, cette seule introduction dit tout de l’attitude de Jésus. Jéricho, c’est le domaine des hommes à la différence de la cité de Dieu : Jérusalem. On descend vers l’humanité quand on va vers Jéricho, on monte vers Dieu quand on se dirige vers Jérusalem. Que Jésus veuille habiter dans la maison du collecteur d’impôts, au cœur même de Jéricho, n’est pas en contradiction avec le lavement des pieds. Bien au contraire, il semble important de souligner là cette pédagogie spéciale du Christ vers les « brebis perdues ».

Au terme de cette mise en perspective, une autre intuition se confirme. Si Dieu s’agenouille devant l’homme, s’il demande à boire à la Samaritaine, s’il s’invite chez Zachée, alors le « j’ai soif » de Jn 19 pourrait ne pas sonner uniquement comme une évocation du Psaume 22 (21), comme le cri d’un homme assoiffé sur une croix. Il prend une dimension plus vaste plus essentielle. C’est le cri de Dieu qui résonne encore, depuis l’« Où es-tu » du jardin (Gn 3). Le cri du Christ en Croix peut dépasser chez Jean la seule dimension charnelle de l’homme abandonné qu’il a surtout dans les autres Évangiles, pour résonner aussi de l’appel que Dieu fait à tout homme. Comme nous l’avons esquissé à propos de Judas, c’est un « J’ai soif de toi »… Pour cela, il nous faudra creuser plus loin notre recherche et procéder, comme nous venons de le faire pour Jn 13, à une analyse systématique de Jn 19.

Le geste de Jésus, qui va jusqu’à se faire esclave devant les hommes, peut être aussi rapproché d’autres références dans l’Ancien Testament. Il est ainsi intéressant de noter que la mention la plus explicite du texte se trouve dans l’échange entre David et Abigail. Celle qui va devenir l’épouse du roi se prosterne devant lui :

« 41 Elle se leva et, s'étant prosternée le visage contre terre, elle dit : « Voici que ta servante est comme une esclave pour laver les pieds des serviteurs de mon seigneur ! »

Cette marque de soumission qui suit la demande de mariage du roi David nous invite à méditer par opposition celle du Fils de David, à genoux devant son Église à venir. Le renversement est saisissant…

Comme le soulignera Léon-Dufour : « Le geste entrepris par Jésus traduit visuellement une attitude de service sans réserve. Il symbolise le don de lui-même qu’il va bientôt réaliser en se livrant à la mort. Son geste est une figure de l’événement imminent, sous son aspect de dépossession de soi. » La tradition de l'Église y a vu, avec justesse, un signe de la kénose décrite par Paul dans Ph 2. « Transposé dans l’épisode du lavement des pieds » elle devient le « mime symbolique de la mort volontaire de Jésus ».

Plus loin, l’exégète souligne également « le refus de Pierre » qui peut être « compris à un second niveau comme un refus de la souffrance comme il a pu être raconté dans les Synoptiques (Mt 16, 22) ».


Jean 19, 17 – Jésus porte sa croix

17. Et ils prirent Jésus et l'emmenèrent. Jésus, portant sa croix, arriva hors de la ville au lieu nommé Calvaire, en Hébreu Golgotha;

Commentaire :

À la différence des Synoptiques, Jésus porte seul sa croix. Les « Pères grecs et latins y ont discerné une allusion à la figure d’Isaac chargé du bois de l’holocauste (Gn 22, 6). Cette admirable typologie, retenue par certains commentateurs modernes, n’est toutefois pas certaine » nous dit X. Léon-Dufour, arguant que l’Évangile de Jean n’a pas « d’interprétation sacrificielle ».

Certes, le Christ va librement vers la mort. Il s’est avancé seul dans le jardin et il porte seul sa croix. Ce n’est pas un sacrifice dans le sens d’une soumission autoflagellante. Et l’analyse de Gn 22 nous a montré combien cette interprétation du sacrifice n’est pas la volonté du Père, mais une fausse interprétation tirée des religions sacrificielles locales. Il demeure cependant, dans cette humanité assumée jusqu’au bout, une idée de participation à la misère du monde, non au sens d’un sacrifice, mais d’un être-avec. Nous reviendrons dessus.

Le sacrifice d’Isaac (Genèse 22) est un texte dense où plusieurs fausses idées de Dieu sont corrigées. Abraham croit obéir à un appel - le sacrifice du premier né était fréquent dans sa culture. L’ange lui fait apercevoir une autre idée de Dieu.

C’est peut-être en Jn 5 que nous trouvons cette symbolique : « porte ton grabat et marche ». Au paralysé, Jésus a donné l’ordre de soulever ce qui marquait son adhérence au sol. À son tour, il soulève à lui seul le signe de son élévation. Cette correspondance nous ouvre à une dimension qui n’est pas sacrificielle, mais de l’ordre de l’espérance. S’il a soulevé sa croix, c’est qu’il est, dans la faiblesse, la force qui va sauver l’humanité.

Lavement des pieds 47.1

 Lavement des pieds - danse 47


Le début de Jean 13 s’inscrit dans un cadre très large qui prend racine dans la multiplication des pains et s’étend jusqu’à la Passion. On peut même affirmer qu’il s’agit d’un « pont » central entre la vie de Jésus avant Pâques, marqué par toutes ces premières humilités que avons relevées dans le texte et cette humilité finale que sera la croix. Le geste du lavement des pieds vient alors comme une invitation à imiter Jésus. « Comme je vous aimés les uns les autres » 13, 34 vise à la fois :

- le lavement des pieds : « les uns les autres (...) comme » de Jn 13, 14-15,

- le repas partagé

- et s’étend jusqu’à la Croix : « Ceci est mon commandement, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Jn 15, 12-13.

C’est donc l’ensemble de la Passion qui habite l’invitation à l’humilité donnée par le geste de Jésus, en dépit des ruptures de lieux, de temps et de styles. Le lien est d’ailleurs à nouveau souligné en Jn 15, 15 et au verset 20.

C’est en ce sens que la visée de Jean peut s’entendre, dans son acception la plus large.

La première partie du texte, au sein même du dialogue entre Jésus et Pierre (Jn 13, 6-10) nous invite à nous laisser purifier par le Christ et donc à recevoir le pardon de Dieu, avec un sommet donné dans le verset 8 : « Si je ne te lave pas les pieds, tu n'auras point part avec moi".

L’analyse textuelle sur la base des répétitions observées dans le texte grec fait apparaître une petite forme concentrique qui se résume comme suit :

A Le dessein de le livrer

B Prendre le linge et se ceindre

C Laver les pieds

B’ Prendre le linge et le ceindre

A’  allait le livrer

Rappelons que l’on appelle forme ou structure concentrique cette répétition de phrases qui encadrent l’affirmation centrale. Ainsi la forme ABCB’C’ est une manière d’insister sur le C, verset central, ici le « lavement des pieds ». Par le biais de ces répétitions, l’auteur prévient le lecteur familier à l’époque de ces formes. Il s’agit là d’un message central.

À cette structure, s’ajoute une structure en parallèle qui fait rebondir le quiproquo entre Pierre et Jésus, dans la répétition entre laver et non laver, propre à l’échange entre le Christ et l’apôtre. Elle reprend le style « ironique » propre à Jean qui, en soulignant l’incrédulité de l’apôtre, fait résonner chez le lecteur une compréhension plus large. Le lecteur n’est pas appelé à trouver dans le geste une invitation au rite de purification des juifs, mais à dépasser la symbolique pour trouver son sens spirituel plein. C’est à l’intérieur même de l’homme, dans sa purification spirituelle que se joue le nœud du problème. Car le lavement des pieds ne purifie pas le cœur. On aura beau laver le corps entier, cela ne suffira pas à nettoyer le cœur du projet de livrer Jésus(1)

Et pourtant, c’est là la réponse de Jésus au problème de Judas. Il aurait pu aller plus loin, lui faire savoir qu’il n’était pas dupe, essayer de le détourner de sa voie mauvaise. Non. La réponse du maître est dans l’agenouillement. Sa kénose ne heurte pas frontalement le mal en lui faisant violence. La réponse du Christ reste dans la faiblesse d’un « Si tu veux » donné à l’homme : Je suis à genoux devant toi, dans ma faiblesse. Si cette descente ne te convertit pas, rien ne pourra le faire !


[...]


« Les Pères de l'Église, précise Cantalamessa, (2) utilisaient, à ce sujet, le terme « condescendance » (synkatabasis) qui indique deux choses : le fait que Dieu s’abaisse, qu’il descend et, en même temps, le motif qui le pousse à le faire : son amour pour l’homme. (...) Si Dieu sort de lui-même et agit en dehors de la Trinité, ce ne peut être qu’en s’abaissant et en se faisant petit… »

Cantalamessa retrouve cela chez saint François : « Regardez, frères, l’humilité de Dieu ! », s’écriait dans l’étonnement saint François d’Assise. « Chaque jour, il s’humilie, exactement comme à l’heure où, (...) il s’est incarné dans le sein de la Vierge ». Dans les Louanges du Dieu Très-Haut (...) il ajoute « Tu es humilité ! » (...) Dieu est vraiment humilité. Dieu seul est vraiment humble ».

Dans la même lignée, F. Varillon (3) affirme qu’en voyant Jésus « laver avec humilité des pieds d’homme, je « vois » donc (...) Dieu même éternellement mystérieusement Serviteur avec humilité au plus profond de sa Gloire. » Il va jusqu’à ajouter que l’humiliation du Christ n’est pas un avatar exceptionnel de sa gloire. Elle manifeste dans le temps que l’humilité est au cœur de la gloire ». C’est dit-il, « un paradoxe si fort que la raison vacille, décontenancée, et comme découragée d’avance (...). Si pourtant, abandonnant les concepts à leur apparente opposition, on choisit de se référer, sans plus attendre, à l’expérience toute simple qu’on a de l’amour, même mêlée de péché, un rai de lumière filtre déjà (...) Si Dieu est Amour, Dieu est humble… »

La conclusion est simple : si l’on veut être aimant, seule l’humilité est chemin, sans être pourtant « devoir ».

« On t’a fait savoir, homme ce qui est bien, ce qui Yahvé réclame de toi : rien d’autre que l’accomplir la justice, d’aimer avec tendresse et de marcher humblement avec ton Dieu. » (Michée 6, 8).

Pourtant, cette humilité, « on ne peut même pas la recommander », dit Varillon, elle est « dépassement radical de l’ordre de la moralité » (...) « elle est divine ».

Doit-on comprendre, au-delà de l’exhortation du prophète qu’elle reste « inaccessible à l’homme » et donc « possible à/en Dieu » au sens de Mt 19,26 ?

Probablement, car, nous pouvons, en même temps, reconnaître que l’immensité de l’Amour passe par une humilité immense. « C’est alors, précise Varillon, que l’humilité de l’homme reconnaît son échec. Ce n’est qu’au terme de son itinéraire, (...) qu’il sera capable d’aimer comme Dieu aime, d’être humble comme Dieu est humble. Tant que nous sommes sur le chemin terrestre, l’humilité, toujours visée comme nécessaire, doit être tenue pour une limite inaccessible. » Pourquoi ? C’est J. L. Marion, dans Étant-Donné, qui nous donne une explication possible. Elle tient au fait que jamais nous n’atteindrons la gratuité ultime de celui qui s’efface dans le don au point de rester anonyme. Un exemple développé dans un autre ouvrage, m’a permis de découvrir cela. Quand j’offre une fleur à ma femme, mon geste ne peut être véritablement gratuit. Il attend toujours un retour. L’humilité véritable serait de lui transmettre la fleur sans qu’elle sache que cela vient de moi. Pourrais-je y arriver un jour ? Le vrai donateur, dit Marion est celui qui s’efface et disparaît.

C’est peut-être dans cet axe que l’on peut également comprendre l’étendue du paradoxe et de la tension qui affleurait dès le départ de notre analyse de l’Évangile selon saint Jean entre « humilité et gloire ». Varillon ira jusqu’à dire, quelques pages plus loin que « C’est la Toute-Impuissance du Calvaire qui révèle la vraie nature de la Toute-Puissance de l’Être infini (...) Dieu est Puissance illimitée d’effacement de soi ».

Avant de comprendre ce que cet attribut de Dieu peut signifier pour nous, il nous faut donc aller plus loin et méditer plus avant l’humilité de Jésus dans Jean 13.


Excursus : Livrer

Une autre récurrence mérite, en effet, d’être notée, c’est l’allusion au fait que le Fils va être livré. Le mot ‘livrer’ apparaît en Jn 13, 2 et sera repris au verset 11 puis au futur en Jn 13, 21. Le « lavement des pieds » apparaît donc au cœur même de l’intention de Judas de livrer Jésus. Tout porte à croire que le Christ en prend conscience en Jn 13, 21, le narrateur soulignant son bouleversement : « il fut bouleversé (...) l’un d’entre-vous me livrera ». Cela pourrait en effet indiquer qu’il ne le savait pas. Cela serait ignorer qu’il en faisait déjà mention au verset 11, comme un fait. De plus, cette prescience de Jésus semble être un point déjà souligné par le rédacteur du texte. C’est donc une thèse de l’auteur que l’on ne peut ignorer d’autant qu’on en trouve déjà mention en Jn 6, 62 :

« Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point. » Car Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui était celui qui le trahirait ».

On peut penser qu’on est au cœur même du combat avec le mal, dans cet épisode ultime où Jésus s’affronte à ceux qui veulent sa mort. Jusqu’au sein même des apôtres, des douze choisis et désignés, le mal s’est incrusté et lance sa pique ultime. C’est en cela que l’attitude d’agenouillement du Fils est poussée à l’extrême et demeure, en cela, indépassable par l’homme. Il pourrait sortir par le haut, identifier le coupable, le confondre et le faire changer de direction. Comme nous l’avons vu lors de l’épisode de la femme adultère, qu’il faudrait lire en parallèle avec ce texte, ce n’est pas la voie choisie par Jésus, comme le confirme le fait que Judas sera le « premier communiant » en Jn 13, 26.

L’attitude du Christ n’exclut pas Judas. Bien au contraire, il est l’un des personnages les plus présents. Même si le lavement des pieds de Judas n’est pas précisé, on peut affirmer que l’abaissement du Christ devant l’homme pécheur est au cœur du symbole. Elle a dû marquer le geste d’une manière toute particulière. Puisque le rédacteur insiste pour nous dire qu’il savait déjà, on peut contempler cette attitude particulière du Christ devant Judas, à genoux devant lui, et cherchant, une dernière fois, à lui transmettre le cœur du mystère : la faiblesse d’un Dieu à genoux devant l’homme. Nous avons noté que le nom de Judas est aussi celui de la tribu principale d’Israël. On peut donc contempler l’ampleur du geste qui rejoins ce que Luc dira dans son « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).

Alors résonne une phrase que nous n’avons cessé de noter depuis le début de nos recherches. « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » Ez 18, 21. Quel est le message du Christ devant Judas ? Est-il différent de celui qu’il a eu devant la femme aux six maris, la Samaritaine ? « Donne-moi à boire », lui avait-il dit (Jn 4, 8).

L’opposition est saisissante. Peut-être est-ce justement dans ce contraste que se trouve la clé de lecture. À celle à qui il a demandé à boire, il lui parlera d’eau vive. Plus loin, il insistera à nouveau : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Celui qui croit en moi, de son sein, comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive. (Jn 7, 38) »

Malgré l’affirmation prégnante de la gloire du Christ, subsiste donc une insistance toujours discrète, mais toujours présente chez le rédacteur qui y souligne l’humilité du Fils.

Rappelons-le, lorsque, devant la femme adultère, les pharisiens s’adressent à lui comme un Maître, son premier geste reste celui de l’abaissement : « Mais Jésus, s'étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt. » Jn 8, 6.

À cette affirmation des trois abaissements du Christ devant Judas (lavement des pieds, partage du pain, acceptation du baiser – chez les synoptiques – dont il n’a pas l’initiative), certains répondent que Judas est condamné. C’est en effet ce que l’on peut lire dans l’affirmation sèche du rédacteur : « Judas, ayant pris le morceau de pain, se hâta de sortir. Il était nuit. » Jn 13, 30

Chez Judas, on le voit non sans tristesse, l’abaissement de Jésus marque pour lui la fin d’un rêve. Il voulait un Dieu de puissance et il ne cesse de se heurter à l’humilité du Fils. Déjà, comme nous l’avons vu en Jn 12, il n’avait pu supporter le lavement des pieds de Marie de Béthanie. Quel a été l’impact sur lui de ce second geste ?

Pour Nicodème (cf. Jn 3, 2), la nuit marquait l’incompréhension totale du message de Jésus. Il est probable que Judas soit sorti dans cette nuit-là. Il nous semble cependant plausible de noter que ce n’est pas faute d’avoir tout tenté.

Et peut-être que justement, cet abaissement ultime, souligne plus qu’ailleurs, le jusqu’au bout de Dieu. Citons là encore Varillon et Nabert : « Il faut (...) appeler « divin » l’amour qui est assez fort pour ne pas exiger la réciprocité comme condition de sa constance. Parce qu’il est enveloppé d’humilité, il demeure égal à lui-même en dépit des « oscillations » de la réponse de l’aimé (...). Dieu, s’il existe, est cet être qui prononce un "je t’aime" inconditionnel ». Quelle meilleure illustration que cet agenouillement du Christ devant Judas… Geste qu’aucun homme ne sera probablement capable d’imiter. C’est en cela que Mt 19, 26, déjà cité, traduit l’impossibilité humaine : « Aux hommes c’est impossible, mais c’est possible à Dieu »


[1]  On peut aussi ajouter à la suite de B. Arminjon que « Pierre dans le lavement des pieds résistait à la "déstabilisation". [En Jn 21, ] l'heure [viendra où il lui faudra] passer derrière, suivre le Christ, d'accepter son appel.... » in Nous voudrions voir Jésus Avec saint Jean 12-21, ibid., p. 185ss.

[2]  Cantalamessa,     La vie dans la Seigneurie du Christ, Cerf, Paris - Médiaspaul, Montréal, 2010.

La vision de Cantalamessa peut cependant être tempérée, si l’on conçoit l’humilité opérative comme recherchée. Varillon est plus délicat quand il affirme, sur le même thème, que Dieu est humble, sans se forcer… « Il faut se méfier », dit ce dernier « d’un esthétisme de l’humilité. (...) Certains hommes se complaisent dans la faiblesse comme d’autres dans la force. Il en est qui cultivent l’échec. Il faut balayer, quand on pense à Dieu, ces pharisiens suspects ». op. cit. ci-dessous p. 67. Une nuance délicate.

[3]  François Varillon, L’humilité de Dieu, Centurion, Paris, 1974, p. 59.



Extrait de mon livre « À genoux devant l’homme » dont l’intégralité est téléchargeable gratuitement sur Kobo ou disponible en pdf sur demande par MP. 

25 décembre 2020

De la paille à la poutre ? - danse 22


Il est né sur la paille et mort sur une poutre...

Si l’histoire de la crèche est contestée, la puissance de la lecture spirituelle de la naissance, racontée par Luc ne déroge pas avec l’ensemble du message de l’évangéliste.




Premier et ultime clin d’œil d’une vie pour dénoncer l’erreur d’une loi hypocrite ou le jugement hâtif du frère du fils prodigue ? (Luc 15).

Il y a un lien à contempler entre cette paille qui accueille le tout petit et ce bois qui supporte le crucifié. Ce lien c’est la chair nue, exposée de celui qui refuse tout égard, toute première place, pour se dénuder dans le service de ses frères (Jn 13) et le don inouï d’une vie offerte. 

Quel chemin entre le Dieu rêvé des premières théophanies de l’Exode (cf. Ex 19) et celui de la crèche. Alors qu’on y voyait trompettes et métaux précieux et qu’on rêvait d’un Dieu du tonnerre voici un Dieu nu exposé et rejeté... fui et trahi... fragile et crucifié...

Depuis le premier jour jusqu’au dernier...il est un Dieu qui se fait petit... pour dénoncer nos rêves de grandeur.

Tout ça pour quoi ?

Pour nous conduire au delà de la paille du voisin, la poutre de notre oeil ?  Si nous cherchons un Dieu puissant nous faisons fausse route. La puissance de Dieu se révèle dans la faiblesse... (cf. 2 Co 12).

Quel est le sens de cette nuit ?

Pourquoi pouvons nous danser de joie ? 


La naissance de Dieu homme est nouvelle naissance...

Il vient habiter l’homme et transformer son cœur...

Ne sommes-nous pas parfois l’aubergiste qui rejette la jeune fille enceinte, le pharisien devant la femme adultère (Jn 8.) celui qui cherche la paille et oublie la poutre...(cf. Lc 6, Mt 5), repousse l’étranger ou le lépreux de notre entourage.

A chaque fois que notre cœur se durcit nous oublions que le chemin n’est pas écrit à coup de burin dans le marbre d’une loi immuable, mais avec le cœur et au cœur de l’homme grâce à une paille sur le sable par un Dieu à genoux devant l’homme, qui ne veut que l’amour...

Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre...(Jn 8.) 


C’est ce peut-être ce Dieu là ce que nous contemplons cette nuit. 

Dieu fragile...

La crèche n’est que la clé de sol d’une symphonie trinitaire. 

- Celle d’un Dieu qui renonce à toute manifestation de puissance pour nous dévoiler l’amour...

- Celle d’un Fils qui consent à tout pour tracer un autre chemin que la loi hautaine et méprisante des hypocrites.

- Celle d’un Esprit qui se fait fragile pour tracer en nos cœurs un chemin d’humanité.

Prenons conscience de nos poutres érigées à tort, de nos condamnations trop rapides pour percevoir que l’amour est miséricorde et pardon...

Vous voulez comme David des signes et des rois, des maisons et des institutions ?

Il ne vous sera donné que le signe de Jonas. Un prophète qui se fait petit...

Un petit d’homme couché sur un lit de paille et mort sur une poutre, pour que nos violences soient réduites à néant, nos jugements hâtifs et hypocrites balayés comme les feuilles au vent, nos quêtes de puissance réduites à un chemin d’humilité.

Le Dieu de la crèche et de la Croix est un Dieu à genoux...

Et la danse des trois personnes n’a qu’une direction, celle de nous inviter à la miséricorde et l’humilité...

Il est le chemin, la vérité et la vie...

Le Verbe s’est fait chair fragile parmi nous pour retourner nos cœurs de pierre en coeur de chair.

Le verbe est là - aujourd’hui - présence discrète, démunie, qui invite à l’amour.

Joie des cœurs simples. Danse des anges

Noël

22 août 2020

Le message de Jean - une actualité brûlante

Le message de Jean - une actualité brûlante

Une concordance osée entre l'injonction du psaume 40 et Jn 13 mais plus globalement ma lecture actuelle de Jean (*) me conduit à cette conclusion un peu disruptive que je voudrais tester avec vous.

Extrait...
Rappelons le psaume 40 :
«Tu n'as pas pris plaisir au sacrifice ni à l'offrande: tu m'as ouvert les oreilles; tu n'as demandé ni holocauste ni sacrifice pour le péché. Alors j'ai dit: Je viens / [Me voici ] avec le livre-rouleau écrit pour moi. (...)
Moi, je suis pauvre et déshérité; mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon secours et mon libérateur: mon Dieu, ne tarde pas! » Psaumes‬ ‭40:7-8, 18‬ ‭

On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n'était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les quatre recensions n'ont pu déroger à une lecture semblable[237]. Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n'est raconté que par Jean et remplace, nous l'avons dit, le récit de l'institution de « l'eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées dans ce cadre.
Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d'une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité dans l'amour.
Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique[238]. Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes au sein d'une communauté vivante.
Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l'attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s'identifie ici.
On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l'absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n'avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.
Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d'attacher de l'importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l'eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui… 
Jean nous conduit aux mêmes conclusions, mais donne une dimension différente. Le rite de l'eucharistie est presque depassé par une dynamique sacramentelle (cf. mon livre éponyme) qui n'est pas centré sur un mime du dernier repas, mais sur l'agenouillement kénotique, qui devient l'exhortation finale de Jean. Entre les lignes, on peut lire une injonction qui prend aujourd'hui une dimension plus urgente et fait écho avec ce que nous dit entre les lignes le pape François : Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir" ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"[239]
« allez à la périphérie », sous entendu (mais je force volontairement le trait) ne restez pas dans vos églises à mimer le dernier repas, mais agenouillez vous devant l'homme blessé (Jn 1), criez votre soif (Jn 4), agenouillez vous devant les souffrants (Jn 5), partagez et donnez (Jn 6), agenouillez vous devant les pêcheurs (Jn 8 et Jn 13), les étrangers (Mat 11), pleurez avec les souffrants (Jn 11). Vivez dans l'agapè.

Je rejoins là l'injonction récente de François Cassingena-Trévédy : « Ne faudrait-il pas envisager courageusement, pour l'avenir, et jusque dans nos communautés religieuses encore privilégiées, des messes plus espacées dans le temps, des messes qui viendraient consacrer, non pas un azyme insipide d'habitudes et de vies parallèles, mais le pain chaleureux, laborieux et complet de vies résolues à entrer pratiquement en communion profonde, à soutenir l'effort d'un pardon explicite et réciproque, et surtout ce partage fraternel de la Parole de Dieu » [240]


[237] cf. DODD, La tradition historique du IV° Évangile, Lectio Divina n° 128, Éditions du Cerf, 1987, trad° Maurice et Simone Montabrut, Éd. Originale : Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge Press, 1963, p. 38.
[238] On parle déjà de la fraction du pain en Act 20, 7. 
[239] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »
[240] François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

(*) cf. « À genoux devant l'homme » dont je prépare une troisième édition (disponible déjà en version bêta sur le site de la Fnac)

14 août 2020

Dépouillement final - Jn 13 sq

Dépouillement final - Jn 13 sq
Déposer son vêtement pour le lavement des pieds c'est aussi, pour le Christ, commencer le dépouillement final.
On pourrait faire une lecture spirituelle qui voit le dénuement du Christ suivi de son action de verser l'eau dans le bassin puis de s'agenouiller devant l'homme comme une symbolique de la soumission finale et du sang versé.
C'est comme on le verra plus loin sous la plume de Xavier Léon-Dufour (1), comme un premier « mime symbolique » de la croix qui se déroule ici.
Il y a alors dans cet axe de lecture une dimension que Pierre ne comprend pas encore, faute d'en avoir la clé ultime. Le lavement des pieds, c'est déjà la Passion, le don final, le sang versé, c'est le jusqu'au bout de l'amour...
Le refus de Pierre prend alors une autre ampleur : au delà du refus de la kénose c'est le refus de la souffrance et de la mort qui est en jeu.

La deuxième piste à méditer est peut-être celle du signe, du sacrement et de la distance qui peut se créer entre le rite et l'agir.
Le rite du jeudi saint n'est rien s'il demeure un mime, un discours en geste au lieu d'être un amour en actes...
On dit que le lavement des pieds n'est pas un sacrement parce que la vie et la mission de l'Église doit être un éternel lavement des pieds... cela reste à prouver dans l'aujourd'hui de nos vies, de nos agir...
À méditer


(1) Xavier Léon-Dufour, Évangile selon saint Jean, tome 3, p. 26 & 60.

11 août 2020

Le premier lavement des pieds - Gen 18, 4

Tradition culturelle d'hospitalité, le lavement des pieds proposé par Abraham, n'est pas à la hauteur du lavement des pieds proposé par Jésus en Jean 13.
Pourtant...
Pourtant il s'inscrit dans cette dynamique même de dépouillement en dépouillement, d'agenouillement en et agenouillement qui conduira Jésus à prendre la place, à la suite des femmes de Galilée à celle qui revient à l'esclave, pour nous montrer la voie de l'amour humble de Dieu.
C'est ce que nous avons peut-être à méditer dans le silence et dans l'attente d'Abram au chêne de Mambré.
Sur le sable fragile d'un homme et d'une femme stérile malgré leur union, Dieu veux construire un peuple, une descendance.
Leçon d'humilité s'il en est que cette stérilité de Sarah qui va jusqu'à rire du projet de Dieu et découvrir pourtant en sa chair que Dieu peut faire germer une graine sur un terrain aride.
Dieu a besoin de nous.
Si nous prêtons nos corps stériles et voués à la ruine à la construction d'un Corps, nous devenons participants, malgré notre indignité à l'édification du Temple.
Il ne s'agit pas d'une Babel éphémère si notre dépouillement reste entier. Il faut accepter de mourir à nos rêves humains pour que le grain prenne corps. C'est dans l'argile de nos échecs que le Seigneur dessine un chemin amoureux...
C'est dans le terreau de nos échecs que Dieu fait jaillir le grain du Verbe.
C'est sur le reniement d'Abram que jaillira la descendance.
C'est sur le reniement de Pierre que se construit l'Église.
Nous ne sommes que des pêcheurs pardonnés.
De nos échecs Dieu fera des victoires.
Sur l'argile du potier, Dieu modèle des amphores.
De la quête attentive de l'homme, de l'accueil humble d'autrui jaillit le signe ultime, l'agenouillement de Dieu devant l'homme qui crie que l'amour est possible.
Si tu veux...
Laisse Dieu agir.
Laisse le te dépouiller de tes désirs humains, de ta quête de pouvoir, pour qu'au fond d'un vase brisé, d'un rideau déchiré, d'un corps mutilé, d'un rêve cassé, d'un cœur transpercé, jaillisse une source nouvelle...

31 juillet 2020

Hommage à Joseph Moingt


Pour ne citer que deux ouvrages (et sans évoquer la puissance de réflexion de « l'esprit du christianisme », j'ai trouvé dans les trois tomes de « Dieu qui vient à l'homme » une réflexion riche sur un thème qui m'habitait depuis longtemps, mais qui cherchait des mots. Après avoir passé beaucoup de temps à lire la trilogie de Balthasar, Rahner, Congar et Lubac, j'ai découvert chez J. Moingt une façon bien particulière de rejoindre le monde, il s'agenouillait comme le Christ à genoux
devant Judas et Pierre.

Il n'arrachait pas l'ivraie (comme le rappelle le texte médité plus bas), mais contemplait le travail de Dieu, sa douce pédagogie et la triple kénose... Un dépouillement particulier que j'ai cherché de mon côté à contempler de bien des manières et qui m'a conduit, à sa suite, à oser écrire beaucoup plus maladroitement probablement sur ce thème (1).

Dans « l'Evangile sauvera l'Église » il y a aussi un retour aux sources de notre foi, une contemplation de l'essentiel qui dépasse nos querelles superficielles sur rite, cléricalisme et traditions pour reprendre l'élan originel, la Dynamis du Verbe. Cette liberté particulière de Moingt a construit ma vocation diaconale...

Voir aussi ce bel hommage de C. Theobald : https://www.jesuites.com/deces-du-p-joseph-moingt-sj/

Paru dans La Croix, extrait qui me touche le plus et que je « pratique » à sa suite depuis 20 ans : « Il avait mis en place « des groupes de laïcs fréquentant l’eucharistie mais ayant besoin de se retrouver pour des partages d’évangile ou des relectures de vie », annonçait une « Église en diaspora », fondée sur des chrétiens, certes bien moins nombreux, mais mieux formés et vivant une vie spirituelle et apostolique réelle.

Car, pour Joseph Moingt, ce n’est pas en se focalisant sur l’institution ecclésiale que l’on pourra mener une réforme radicale du catholicisme, mais en revenant à l’Évangile. « Il y a urgence à repenser toute la foi chrétienne pour dire ”Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme” dans le langage d’aujourd’hui et en continuité avec la Tradition », répétait-il en puisant dans son immense culture théologique et biblique pour confirmer que l’Église ne peut s’imaginer un avenir avec des réponses dogmatiques et qu’il faut qu’en son sein des théologiens « fassent du neuf sans être menacés d’excommunication ». En ce qui le concerne, sa plume n’a jamais été motivée par la peur d’une sanction ecclésiale, mais plutôt par le désir d’écrire en accord avec sa foi. Et puis, « à mon âge, on ne risque plus grand-chose ! ».(2)

(1) cf. notamment « À genoux devant l'homme » en téléchargement libre sur Kobo et Fnac.com qui s'inspire bcp de Dieu qui vient à l'homme
Voir aussi les 36 balises sur Moingt dans ce blog
(2) La Croix du 28/7

22 juillet 2020

Dépouillement 27 - Détachement et nudité (18eme Dimanche - Année C revisité)

Quel est notre attachement aux biens de ce monde ?

L'insistance de la Parole est presque abusive. Elle est comme un cri de Dieu lancé dans le désert et qui retentit depuis le premier cri de Dieu au jardin.

Où es-tu ? Que cherches -tu ? Où es-ta priorité ?

On peut passer à côté, refuser de l'entendre.

Mais c'est se détourner de l'essentiel. Se détourner de la croix qui crie encore ce « Que cherches -tu ? »

Le matin de Pâques les disciples entendront encore ce qui cherchez-vous qui nous ramène à notre quête.

L'essentiel n'est pas dans l'avoir, la vanité ou la puissance. Il est dans le dépouillement, la nudité, le don...

L'inversion à laquelle nous conduit ce texte c'est le don....

Chez Marc, au jeune homme riche, Jésus redit, comme il le fait à sa manière viens et suis moi.
Donne...
Donne sans compter
Donne sans attendre de retour
Donne jusqu'au bout

Donne jusqu'au bout de ta vie
Car donner c'est aimer.

Le mariage, dis-je souvent à ce que je marie est signe de ce don.
Je me donne à toi..... et je ne le reprendrai pas.
Il est signe seulement de l'indicible don qui jaillit du cœur du Christ et continue de se donner à chaque eucharistie...

L'amour est don
L'amour est dépouillement
L'amour ne cherche pas son intérêt
L'amour prend patience
L'amour c'est donner sans retour

Dieu est amour.

Paul nous fait aller, comme souvent, un pas de plus...
« vous vous êtes revêtus de l'homme nouveau
qui, pour se conformer à l'image de son Créateur,
se renouvelle sans cesse en vue de la pleine connaissance"
.
Tout est rien, pourrait il dire comme l'a fait la grande Thérèse tout est rien, tout est vanité
« mais il y a le Christ :  il est tout, et en tous. »

Quand nous communions avec lui, il ne s'agit pas de recevoir, mais d'entrer dans la dynamique de Dieu, dans le don...

Porter le Christ c'est être nu, à genoux devant l'homme et donner le meilleur de soi-même. Le dépouillement du Christ qui enlève ses vêtements en Jn 13 pour s'agenouiller devant l'homme et laver les pieds devient le signe du don ultime, du dépouillement d'un Dieu nu, exposé sur la Croix. C'est là où Dieu se révèle, c'est là où Dieu apparaît derrière le déchirement du voile...

19 juillet 2020

Dépouillement 22 - le bon grain, l’ivraie et La Croix


Il y a une lecture pascale et johannique du texte de Matthieu 13 en Jean 13. Elle illustre et complète la parabole du bon grain et de l'ivraie, dans l'agenouillement du Christ devant Pierre et Judas.
C'est « l'où es-tu ? » final de Dieu devant l'homme, lancé depuis Gn 3....Le Christ a vécu dans sa chair, ce dépouillement. Il s'est mis à genoux devant les deux « graines » qu'était Judas et Pierre, il a lavé les pieds des deux apôtres.
Judas a refusé l'amour et s'est pendu dans la géhenne, la vallée maudite qui jouxte Jérusalem
Pierre a renié le Christ jusqu'au bout, par trois fois, mais le Verbe semé en lui a étouffé l'ivraie de la discorde, le germe de violence qui cohabitait en lui. Pierre n'a pas pris pas l'épée, il accepte de se laisser laver tout entier par les larmes... Au lieu de choisir la mort, il a choisi douloureusement le repentir puis la vie.


Dans la mort du Christ Pierre a entamé son dépouillement ultime. Aux triple questions du Christ qui répondent à son triple reniement, s'amorce la naissance de la plante fragile et immense qui sera l'Eglise (Jn 21).
« Pierre m'aimes-tu ? »
De Jean 13 à  Jean 21 s'étend la clé qui ouvre et met à jour l'amour de Dieu pour l'homme.
Je l'ai compris dans la chair le jour où j'ai senti le Christ à genoux devant moi. Cette révélation, à Penboc'h un jour de retraite ignatienne il y a une dizaine d'années est le germe ultime de ma vocation de diacre.
Ne soyons pas source de discorde, laissons l'Église entamer le dépouillement final...poussé par l'Esprit qui travaille sans cesse en l'homme pour faire jaillir les semences du Verbe.

Nos cathédrales peuvent être réduites en cendres... le germe divin ne sera pas atteint. La moisson vient, le grain semé germe au fond de l'homme. l'Église est le creuset, le Corps de l'espérance de Dieu, le fruit ultime de son agenouillement et de son dépouillement 
Le dépouillement et l'agenouillement de Dieu est la clé cachée de la parabole. Écoutons le Christ à genoux nous demander « m'aimes-tu ? ». « Supportez-vous les uns les autres avec amour. Ayez à cœur de garder l'unité dans l'Esprit par le lien de la paix » (Ep 4,2-3). N'y a-t-il rien en toi qu'un autre n'ait à supporter ? (1)

(1) Saint Augustin Commentaire sur le psaume Ps 99, 8-9, PL 37, 1275-1276 (Saint Augustin, maître de vie spirituelle; trad. A. Tissot, S.J.; Éd. X. Mappus 1960, p. 115-116 rev.), source  : l'Évangile au Quotidien 




17 juillet 2020

Nudité ultime - Dépouillement 21

Il y a un verset du chapitre 33 d'Exode que je ne cesse te contempler et méditer. Il suit Ex 32, et l'épisode du veau d'or et prépare Ex 34 et la révélation lumineuse du Dieu de tendresse à Moïse, dernière marche des épiphanies avant la Transfiguration.
Ce verset invite à « enlever ses vêtements de fête » (Ex 33,5) (1).
Qu'est-ce à dire ? Si ce n'est entrer dans ce dépouillement qui permet d'aller jusqu'à la vision de Dieu. Quel est le point ultime de ce mouvement, si ce n'est contempler la nudité du Christ dans son premier dépouillement, celui de l'enfant donné, dans le vêtement retiré du laveur de pieds, jusqu'à son dernier dépouillement, un Christ défiguré de l'amour versé, un Christ transpercé par nos violences et nos abandons, un Christ révélé derrière le rideau déchiré du Temple, un Christ lumineux de la grâce jaillissante d'un cœur brisé ?

Le dépouillement de Dieu est le prélude musical de la kénose de l'Église qui ne fait que commencer.
Il s'inscrit dans la dynamique même de la « séparation » entre ciel et terre de Gn 1 ou du « quitter » de Gn 2 où l'homme quitte père et mère pour ne faire qu'une seule chair avec l'aimé(e), et parvenir à cette nudité sans honte de l'être dépouillé qui danse avec autrui et y découvre une autre danse plus essentielle, celle qui le fait parvenir à l'en Christo(2), l'en Christ où le don danse avec son Donateur et devient co-createur de l'amour, passeur, engendrement de l'autre (3) à qui il insuffle l'amour reçu d'ailleurs et qu'il ne peut conserver sans perdre. La manne ne dure pas. Le pain reçu ne persiste que partagé...
La dynamique sacramentelle part de l'aride liturgie pour nous propulser de dépouillement en dépouillement jusqu'au don de soi, l'ultime diaconie...

La danse nuptiale du Christ et de son Église va de dépouillement en dépouillement(4).



(1) cf. L'amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar développe abondamment ce thème dans la deuxième partie de sa trilogie.
(3) au sens charnel mais surtout au sens spirituel donné par P. Bacq et C. Théobald dans leur Pastorale de l'engendrement...
(4) « Dépouillement » est la web série qui complète la publication récente de « Dieu dépouillé », une exclusivité gratuite de 1200 pages sur fnac.com