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29 décembre 2021

Pro-position comme danse - 2.24

Il y a un petit mot courant en grec (« pros ») qu’on a parfois du mal à bien traduire tant il évoque un mouvement vers l’autre. J’écrivais quelque chose à ce sujet il y a quelques jours dans ma méditation sur le prologue de Jean que la liturgie nous donne à manduquer à Noël. Par son « πρὸς τὸν Θεόν » Jean nous parle d’amour, de don, d’un Verbe tourné vers le Père, tendu vers Dieu, trace, là encore ténue, de ce qu’on nommera Trinité. Mais Jean n’en est qu’au prologue et ce qu’il évoque est juste un chemin d’espérance qui se précisera à la fin de son Évangile dans ce dialogue final du Fils qui remet tout au Père.

Noël est le début du chemin. Nous savons que du bois de la mangeoire se dessine déjà le bois de la Croix. Il nous faut peut-être du temps pour comprendre que ce non-événement est le lieu où le Père se retire pour laisser grandir un fils d’homme qui deviendra Christ, l’oint de Dieu, qui révèlera, au bout du voyage qu’il est lumière pour le monde. Jean le suggère mais ne dit pas tout, car il nous faut faire tout le chemin de la mangeoire à la Croix, pour que le sens même de cette incarnation devienne lumineux. »

Cette traduction poétique partait du petit « pros » que glisse Jean dans le grec de son prologue. Dynamique particulière que perçoit Jean entre les personnes divines tournées l’une vers l’autre.

Ce qui est intéressant est peut-être d’aller plus loin au delà d’un Dieu immanent ou immobile, vers ce Dieu qui nous invite à cette danse, dans une pro-position(1). 

Ce qui se joue, notamment dans les sacrements et en particulier dans l’eucharistie, est plus que la mémoire douloureuse qu’évoque JB Metz dans sa théologie, c’est un donateur qui s’efface, dans cette hostie fragile et que nous recevons ou pas dans sa pleine dimension de don.

Je te propose la vie…

Ce « pros » est celui du Dieu nu et à genoux devant Judas lui proposant une dernière bouchée (Jn 13), mais bien plus encore, sans espoir (?) que l’autre se laisse toucher par cette humble posture.


Dieu se propose à nous…

François Cassingena-Trévedy le dit très bien : « Jésus se fait pour nous, en cet instant crucial de son convivre (convivium [incarnation ?] avec nous, le poète de sa propre existence »(...) Jésus ne prend rien que le Père ne lui ait donné (…) « pro-position », pour nous. Jésus se pose dès le principe, comme destiné à nous, et c’est ce qu’il ressaisis en un geste exhaustif, tandis qu’il prend du pain (Mr 26,26) »(2)


Dans l’axe de la mangeoire à la croix le don du pain n’est autre que cette invitation fragile à entrer dans la danse, à se laisser habiter par le don… 

Proposition répétée souvent qui rime avec « l’où es-tu ? » de Gn 3, cette quête éternelle, cet agenouillement particulier de Dieu vers l’homme…


Prenez et mangez…

Peut-on consommer l’insaisissable sans se laisser habiter par une voix contagieuse (3) par l’immensité du don qui se révèle dans un petit enfant. 

Le cri du vieux Siméon se fait nôtre quand on perçoit l’ampleur de ce dévoilement.



« Maintenant, ô Maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur s’en aller

en paix, selon ta parole.

Car mes yeux ont vu le salut

que tu préparais à la face des peuples :

lumière qui se révèle aux nations

et donne gloire à ton peuple Israël. » Luc 2


Il a enfin, un autre stade, qui n’est pas un jeu de mots mais une conversion, celle de changer de position, comme une boussole qui cherche le Nord et se tourne vers l’autre (pros) au lieu de s’enfermer sur soi. Alors nous formons un Corps, nous dansons ensemble dans la musique de Dieu avant d’atteindre celle des anges…


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III p. 165

(2) ibid.

(3) cf. son livre éponyme

25 décembre 2021

Double agenouillement et ouverture - 2.23

Avant d’arriver au cœur du mystère de l’incarnation, peut-être fallait-il descendre jusqu’au point où l’on écoute, dans le silence, le bruit du monde, sa plainte, son désarroi, ses impasses et ses chemins stériles, ses fausses joies, son désespoir et plus fondamentalement la violence qui demeure. 

Ce chemin je viens de tenter de le parcourir. Ce n’est en effet qu’en descendant très bas, aussi bas que possible, dans le silence de la nuit, quand le cri de l’enfant martyrisé, abusé, violenté, ou plus sournoisement nié et tué que l’on peut comprendre l’agenouillement de Dieu devant la femme qui va porter en son sein un Sauveur.

Au delà de toutes polémiques, il est demandé à l’homme de s’interroger pour savoir comment il est possible que le Père s’agenouille aussi bas…

C’est quand on perçoit le double agenouillement de Dieu et de la femme qui,  dans leur « me voici / fiat » mêlés, que peut apparaître une lueur, un fragile rayon de lumière et que l’espérance jaillit.

La lecture très spirituelle de Luc et de Matthieu n’est-elle pas finalement au dessus de toute rationalité historique et charnelle ? 

Ne devient elle pas chemin d’espérance ? 

La kénose du Père et la réponse mariale mérite d’arrêter tout discours et de contempler à la fois dans le silence, l’innommable, l’impossible, l’imposture et l’insaisissable…

Comment l’infini s’approche-y-il de l’humain, au plus loin de toutes « périphéries » pour rejoindre sans violence ce monde pris dans le tumulte d’une suffisance.

Le double agenouillement de la femme et de Dieu, l’intercession, la rencontre, la danse, au sein même de la circumincession des Personnes divines, laisse finalement une seule voie fragile, celle de notre propre agenouillement…


À l’épaisseur du mystère et du voile qui recouvrent l’incarnation et cette question souvent discutée de celle qui s’ouvre à ce mystère, que cherche à percer les deux « évangiles de l’enfance », répond pour moi, comme en écho, deux voies / voix tout aussi fragiles, celles qui :

1. aboutit au cri / sommet sorti de la gorge du centurion infidèle (Mc 15, 39) que Marc fait suivre au déchirement du voile (*) 

2. ou l’agenouillement sponsal d’un Christ (*) qui se dépouille de son vêtement pour laver les pieds de l’homme en Jn 13, dans ce X. Leon Dufour appelle un mime d’une extrême densité symbolique.

C’est au creux de ces quatre voies, dans la polyphonie des Écritures que prend chair, pour moi, la symphonie fragile des Évangiles…(1) et que peut se concevoir ce que l’Église cherche à contempler, y compris sur la virginité. 


En ce jour du martyre des saints innocents peut on dire plus, espérer plus que de tracer un chemin fragile qui va d’un souffrant à l’autre jusqu’à la contemplation de la déréliction, ce silence de Dieu qui accompagne la mort du crucifié et nous appelle à croire que Dieu est vainqueur de la mort par ce mystère fragile qui va de l’incarnation à la résurrection ? Et qui, ce faisant, « a besoin de nos mains », comme le disait Etty Hillesum au camp de Westerbroch (2)


(*) cf. mes essais « Le voile déchiré » et « À genoux devant l’homme »

(1) un beau thème développé par Hans Urs von Balthasar dans la fin de sa trilogie 

(2) cf. Une vie bouleversée