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02 septembre 2020

Communion et liturgie

L'Esprit nous conduit et nous assemble. Cette communion est appelée à dépasser les frontières, elle s'étend à tous les hommes de bonne volonté. L'Église peut en être le phare, quand elle s'agenouille pour rejoindre l'homme et l'inviter à son ultime « danse ».
L'unité de l'Église reste cependant « toujours à faire[535] ». Si, comme l'affirme Lumen Gentium 8 : « L'Église est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain. », l'unité de l'Église complète Congar, « ne se termine pas à elle-même, elle vise l'unité du genre humain… (...) [À la suite du] Verbe, en sa kénose de serviteur souffrant (...) [ l'Église est] grâce au don de l'Esprit, le pauvre signe et l'humble médiatrice du salut acquis dans le Christ[536] ».
Si Lubac insistait à ce sujet sur l'importance de la communion eucharistique, plusieurs dizaines d'années plus tard, mon expérience pastorale me fait mettre un bémol sur cette cristallisation sur la liturgie. Non que le sens du sacrifice eucharistique doive être limité, mais parce qu'avant d'arriver à ce niveau de communion, il nous reste à privilégier autre chose. Dans un sens, l'eucharistie n'est souvent vue que selon le prisme des trois Synoptiques en oubliant que Jean a présenté une autre vision de l'eucharistie en substituant à ce récit celui du lavement des pieds. Mon insistance portera là-dessus. L'Église ne peut vivre sa liturgie pleinement que lorsqu'elle aura rétabli d'une manière au moins égalitaire les deux aspects de sa théologie de communion et laissé au lavement des pieds (je ne parle pas du rite mais de l'attitude) une place aussi importante qu'au culte. Cette ouverture du cœur, préliminaire et essentiel constituera alors le sens profond du « faites ceci en mémoire de moi ».
L'Église, comme le souligne Maurice Vidal, est née de la Passion et de la résurrection. Avant d'être la mise en pratique d'un culte et d'un repas communautaire, elle passe par un vide qui est celui de l'humilité et de la distance : « on ne passe pas de plain-pied du ministère public de Jésus à l'Église, bien « que ce soit, au départ, approximativement le même groupe. Entre les deux, il y a un vide, créé par la condamnation et la mort de Jésus, pendant lequel ni les disciples, ni même les Douze n'assurent la continuité[537] ». Ce n'est pas précise Vidal plus loin « une défection de l'amitié — ce qu'elle n'a pas été —, mais comme un fléchissement, un trébuchement[538] ». Ce temps est celui de tout homme, pécheur et loin de « ressembler au Christ ». Un temps de vide où l'humanité entière qui doute peut être néanmoins rejoint par un Christ à genou devant l'homme, qui espère en sa conversion et se donne pour sa guérison (cf Jn 13 – Lavement des Pieds) ou qui « marche à ses côtés et explique la parole avant de se retirer au moment de la fraction du Pain (Lc 21 – Pèlerins d'Emmaüs).
Ce temps est celui de l'invitation trinitaire des hommes à la danse, qui constitue et justifie l'existence de l'Église. Ignorer ce temps, qui se renouvelle pour tous dans notre adhésion libre et consciente à l'Église, conversion qui se cristallise ensuite dans notre baptême et dans les sacrements, font de la communauté rassemblée, le lieu d'une Église à construire. C'est pour moi le sens et l'insistance donnée par les deux premiers chapitres de Lumen Gentium, qui précèdent ses développements sur la « nécessaire réalité d'une Église apostolique instituée et nécessairement hiérarchisée. Ce moment et cet ordre doivent être conservés pour donner du sens à sa manifestation liturgique [539]. Car l'unité, la sainteté, la catholicité de l'Église se fondent sur cela. Elle n'est pas imposée, mais une dynamique en perpétuel renouvellement, celle d'un peuple en marche vers la « ressemblance » et en cela vers la véritable sainteté dont Dieu seul rayonne.
Au cœur de cet appel, la proximité de Dieu, dans sa triple kénose se manifeste dans une « présence à fleur de peau »… Une présence délicate qui peut comprendre un retrait. « Il y a dans la fondation de l'Église par Jésus quelque chose d'analogue à la création du monde, dont Claudel disait que Dieu la fait exister comme la mer fait apparaître le continent, en se retirant[540] ». Écoutons, là encore Vidal sur ce point : « Le Royaume est là, comme quelqu'un qui est déjà à la porte (pour l'image, cf. Mc 13, 29), de sorte qu'il n'y a plus de délai pour rester neutre, ni pour se croire digne ou indigne de cette venue. Il n'est pourtant pas encore là, puisqu'il est seulement « tout proche », et cet intervalle définit le temps de la mission, de la prédication, de la conversion. »

[535] Y. M. Congar, L'Église une sainte, catholique et apostolique, in Mysterium Salutis n° 15, Dogmatique de l'histoire du Salut, Tome IV – L'Église communauté de l'homme-Dieu, Cerf, 1970, p. 60-61 : « Principe personnel et vivant (...) qui unit les Églises en une seule (...) et est principe de la sainteté de toutes créatures »
[535] P. 62
[536] P. 63
[537] Maurice Vidal, L'Église, peuple de Dieu dans l'Histoire des hommes, Centurion 1975, p. 42
[538] Ibid. p. 53
[539] Cette « circumincession » des notes de l'Église dont parle Congar, Cf. plus haut
[540] Cité par Vidal, op. cit. p. 54 »

Je teste ici un extrait de ma conclusion de « À genoux devant l'homme ».

20 juillet 2020

Kénose de l’Eglise - dépouillement 23

La sainteté de l’Église est plus que jamais en question.
Comment y rester fidèle après les révélations récentes ?
Pourquoi et comment évoquer encore le mot de sainteté ?
Quelles sont les pistes d’une réforme ?
Peut on parler d’une nécessaire kénose de l’Église au sens d’un dépouillement salutaire...
Comment interpréter l’incendie de nos cathédrales, la désertion des fidèles...
Autant de sujets brûlants qui nécessitent une prise de hauteur.
Le livre suivant, écrit à partir de 2010, dans la foulée de celui du Père Vidal « Cette église que je cherche à comprendre » ne perd pas sa pertinence.
Reprenant les analyses de J. Moltmann, de H de Lubac ou Y. Congar, il trace aussi un chemin très personnel en tension entre contemplation et révolte.
Il est maintenant disponible gratuitement sous ce lien chez Fnac.com et kobo au format ePub :


La liste des 13 ouvrages déjà mis en ligne gratuitement est disponible plus bas ou sous ce lien...


« De même donc que le Seigneur n'a rien fait, ni par lui-même ni par ses Apôtres, sans son Père, avec qui il ne fait qu'un, ainsi vous-mêmes ne faites rien sans l'évêque et les presbytres. N'essayez pas de donner une apparence de raison à vos activités privées, mais faites tout en commun : une seule prière, une seule supplication, un seul esprit, une seule espérance dans la charité, dans la joie irréprochable ; un seul Jésus Christ, qui est au-dessus de tout. Concourez tous à former comme un seul temple de Dieu, autour d'un seul autel, en l'unique Jésus Christ, qui est sorti du Père unique, qui était auprès du Père unique, et qui est retourné à lui ». (1)

(1) saint Ignace d’Antioche, lettre aux Magnésiens, source : office des lectures de la 16 semaine 

23 mai 2020

Action et contemplation - les deux voies

Action et contemplation - les deux voies
Cela pourrait être une homélie sur Marthe et Marie, où la réponse à l'éternelle question de la préférence entre action et contemplation, régulier ou séculier, laïc ou clerc, mariage ou consécration.
Comme souvent le petit chercheur que je suis, bafouillant dans l'expression de l'invisible, s'efface devant la sagesse d'un Augustin que nous fait découvrir l'office des lectures du samedi qui suit l'ascension (1) : « L'Église connaît deux genres de vie qui lui ont été révélés et recommandés par Dieu. L'une de ces vies est dans la foi, l'autre dans la vision ; l'une pour le temps du voyage, l'autre pour la demeure d'éternité ; l'une dans le labeur, l'autre dans le repos ; l'une sur la route, l'autre dans la patrie ; l'une dans le travail de l'action, l'autre dans la récompense de la contemplation. ~

La première est symbolisée par l'Apôtre Pierre, la seconde par Jean. La première est en action jusqu'à la fin du monde, avec laquelle elle trouvera sa propre fin ; la seconde doit attendre son accomplissement après la fin de ce monde, mais dans le monde futur elle n'a pas de fin. C'est pourquoi il est dit à Pierre : Suis-moi, et au sujet de saint Jean : Si je veux qu'il reste jusqu'à ce que je vienne, est-ce ton affaire ? Mais toi, suis-moi. ~

Suis-moi en supportant les maux temporels, à mon imitation ; lui, qu'il reste jusqu'à ce que je vienne lui donner les biens éternels. Ce qui peut se dire plus clairement ainsi : Que l'action parfaite vienne à ma suite, modelée à l'exemple de ma passion ; que la contemplation, qui ne fait que commencer, reste jusqu'à ce que je vienne, pour obtenir son accomplissement lorsque je viendrai.

Suivre le Christ en allant jusqu'à la mort, c'est la plénitude de la patience ; rester jusqu'à ce que le Christ vienne, c'est la plénitude de science qui doit le faire connaître. Ici, on supporte les maux de ce monde sur la terre des mourants ; là on verra les biens du Seigneur sur la terre des vivants.

Lorsque le Seigneur dit : Je veux qu'il reste jusqu'à ce que je vienne, il ne faut pas l'entendre comme s'il avait dit « rester », au sens de rester en arrière ou de s'installer, mais au sens d'attendre. Car ce que saint Jean symbolise ne doit pas s'accomplir maintenant, mais quand le Christ reviendra. Au contraire ce que symbolise saint Pierre, à qui il est dit : Toi, suis-moi, ne parviendra à l'objet de son attente que s'il agit de maintenant. ~

Mais que personne ne sépare ces glorieux Apôtres. Tous deux se rejoignaient dans ce que Pierre symbolisait ; et en ce que Jean symbolisait, tous deux se rejoindraient plus tard. C'est symboliquement que l'un suivait et que l'autre restait. Par la foi, tous deux supportaient les maux présents de cette vie malheureuse, et tous deux attendaient les biens futurs de la béatitude.

Ce n'est pas eux seulement, c'est toute la sainte Église, l'épouse du Christ, qui agit ainsi : elle doit être délivrée de ces épreuves d'ici-bas, elle doit demeurer dans la félicité d'en haut. Pierre et Jean ont figuré ces deux vies, chacun pour l'une des deux. Mais en réalité, tous deux ont suivi la première, passagèrement, par la foi ; et tous deux jouiront de la seconde, éternellement, par la vision.

Puisque tous les saints appartiennent inséparablement au corps du Christ, afin de gouverner le vaisseau de la vie présente au milieu de tant d'orages, les clés du Royaume des cieux pour lier et délier les péchés ont été confiées à Pierre, le premier des Apôtres : et c'est encore à l'intention de tous les saints, pour qu'ils connaissent l'abri très paisible de la Vie la plus intime, que Jean l'Évangéliste a reposé sur la poitrine du Christ,

Ce n'est donc pas Pierre seul mais toute l'Église qui lie et délie les péchés ; et ce n'est pas Jean seul qui boit à la source qu'est la poitrine du Seigneur. Il a révélé par ses paroles que le Verbe, au commencement, était auprès de Dieu et était Dieu, et bien d'autres vérités sublimes sur la divinité du Christ, la Trinité et l'unité de toute la divinité. Ces vérités, qu'il doit contempler face à face dans le Royaume céleste, maintenant il doit les percevoir dans l'image confuse donnée par un miroir. Aussi est-ce le Seigneur lui-même qui répand sur toute la surface de la terre son Évangile pour que, chacun à la mesure de ses capacités, tous les croyants puissent y boire. »

Relisons bien ce que j'ai mis en italique. On trouve un thème repris par Congar dans sa théologie du laïcat. Il n'y pas de primauté au delà de ce que Jésus disait sur Marie de Béthanie (à contempler dans le contexte précis et daté d'une visite du Sauveur) : chacun à son chemin et sa voie, est part du polyèdre (2) de l'Église et pierres vivantes d'une cathédrale à construire. Le diacre n'est pas plus grand que le laïc ou l'évêque que la personne atteinte d'un handicap, chacun compte dans le mystère d'une église à construire.




(1) Augustin d'Hippone, commentaire sur l'Évangile de Jean, samedi de la sixième semaine de Pâques. Source AELF
(2) expression fréquente chez le pape François, cf. notamment QA §29

28 novembre 2017

Vie et sacrement - 2

Les options ouvertes par Christoph Théobald dans les pages décrites précédemment sont complétées par son évocation des tentatives(1) de sacrement à deux vitesses qui traduisent une recherche d'adéquation entre demande et sacrement, allant jusqu'à proposer pour les jeunes enfants une « présentation au temple » qui n'est pas sacramentelle mais ouvre un mouvement.
Christoph Théobald cite un texte d'Augustin qui résume bien la problématique : « est esclave d'un signe celui qui fait ou révère un acte signifiant, sans en connaître la signification »(2). Si Augustin se réjouit que les signes de l'Ancienne Alliance se soient simplifiés en des sacrements « faciles à faire et très augustes et à comprendre », on peut s'interroger sur la réalité de cette compréhension dans une société marquée par l'exculturation du catholicisme.
J'apprécie également la distinction soulevée par Congar entre sacrements signes et sacrements personnes(3). Elle rejoint ce que j'ai cherché à exprimer dans ma « dynamique sacramentelle ». L'enjeu de ces sacrements personnes est, par leur seule présence d'être « en relation significative avec d'autres ». Tout cela inaugure dit Christoph Théobald un « état de mutation continuelle et de conversion missionnaire » (...) un appel « à revêtir le Seigneur Jésus-Christ »(Ga 3, 27) et à cette imitation de Jésus-Christ qui nous fait passer de l'image à la ressemblance comme le soulignait Bonaventure.
Je rejoins là l'idée de gradualité et de morale vectorielle déjà commenté dans ces pages...
L'enjeu est probablement d'axer nos élans missionnaires dans la compréhension de ces « vecteurs » de progression ouverts à tous, en direction du sacrement source qu'est le Christ lui-même.


(1) cf. Christoph Théobald, Urgences Pastorales, Paris, Bayard, 2017, p. 349
(2) Saint Augustin, La doctrine chrétienne, livre III, 12 et 13 cité in op. Cit p. 352
(3) Y. Congar, Esquisse du mystère de l'Église, Paris, Cerf, 1966, p. 22

16 juin 2017

Juridisme, cléricalisme et triomphalisme - Mgr de Smedt

Après une allocation qui fit déjà du bruit le 19 novembre 1962 en marquant son opposition au projet de Fontibus(1), Monseigneur Émile-Joseph de Smedt, l'évêque de Bruges, alla plus loin le 1er décembre 1962 en disant que trois dangers pesaient sur l'Église : le cléricalisme, le juridisme et le triomphalisme(2). Comme le note Congar dans son journal, c'était un peu excessif. Mais le danger de ces trois tentations qui ne sont que des variantes de celle dénoncées par Jn (avoir, pouvoir, valoir) est le lot de toute humanité.

Qu'en est-il 55 ans plus tard ? Les propos du pape au cardinal Ouellet déjà cités ne soulignent pas autre chose. La réception de Vatican II n'est pas terminée.

(1) John W. O'Malley op. Cit. p. 206
(2) p. 215

06 juin 2017

Une tradition dynamique

"Cette Tradition qui vient des apôtres se poursuit dans l'Église sous l'assistance du Saint-Esprit : en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s'accroît" DV8.

"Selon cette définition, précise John W. O'Malley, la tradition n'est pas inerte, mais dynamique" (1).

Je m'amuse à retrouver chez l'Américain cette expression qui est l'une de mes préférés dans mon essai sur la dynamique sacramentelle. Elle est l'enjeu pour moi d'une remise en question pastorale des conditions d'inculturation de la foi, non pour sombrer dans un relativisme tiède, mais parce qu'un travail à la périphérie nécessite une souplesse qui permet de rejoindre au plus près ceux qui n'ont plus accès à la source, à l'image de Celui qui mangeait avec les prostituées et les pécheurs.

Mais l'enjeu n'est pas pour autant de changer pour changer, mais bien un retour aux sources évangéliques, à ce qui fait le coeur de notre agir chrétien, un mouvement qui est proche de ce ressourcement prôné par Congar et Lubac (2)

(1) John W. O'Malley, Vatican II, p. 61
(2) ibid. p. 66

24 novembre 2015

Pain brisé

A propos de mon étude en cours sur les chemins de l'humilité, ce petit extrait (1) de Madeleine est à ranger à côté de cette belle phrase de saint Ignace d'Antioche(2) qui voulait être la farine du Christ. Je vous laisse contempler ce qu'elle écrivait le 18/11/53 à un prêtre ouvrier, en plein milieu de la crise de leur dissolution. 
"Ce sont toujours les mêmes contractions qui ont toujours broyé les saints (...) appauvri et rapetissé à travers les secousses cruelles et sanglantes mais organiques de l'obéissance, le Christ-Église à continué de naître dans le monde".

On y retrouve cette expression de Christ-Église, déjà croisée dans Nous autres gens des rues et qui souligne‎ l'indissoluble unité à laquelle Madeleine restera attachée jusqu'au bout.

On y retrouve le drame de ces renoncements si caractéristiques de la période pré-conciliaire (voir des accents identiques dans le journal de Yves Congar de la même époque). Ces souffrances de l'obéissance sont les germes qui ont permis, à leur manière, le Concile. Il trace le chemin de l'Esprit au sein de l'Église.

(1) cité par Gilles François / Bernard Pitaud, ibid p. 235
(2) Lettre au Romains

22 novembre 2015

Mission ou apostolat ?

Bernard Pitaud (1) insiste plus que ne l'avait fait Jacques Loew (2) sur la distinction chez Madeleine entre apostolat et mission. A son retour de Rome, il semblerait que Madeleine ait cherché à comprendre pourquoi Pie XII lui avait répété 3 fois ce terme d'apostolat qu'elle semble interpréter comme une urgence à annoncer "la gloire de Dieu"(1)
On pourrait gloser sur cette différence et sur le risque que la mission peut être donnée par soi et non donnée de Dieu. A la suite des propos de Ratzinger (3) sur l'importance du lien apostolique on pourrait aussi souligner que l'apostolat est affaire de prêtre. Mais l'apostolat des laïcs en ligne avec la "théologie du Laïcat" chez Congar n'est pas à prendre à la légère. Se faire témoin de la gloire de Dieu n'est pas annoncer naïvement son existence alors que la mort de Dieu est proclamée. C'est peut-être retrouver le chemin d'une théologie de la Croix où cette dernière est la plus manifeste. C'est aussi le culot de ne pas nier son existence, sans l'imposer, mais en le laissant habiter et transpirer en nous.

(1) Gilles François / Bernard Pitaud, Madeleine Delbrêl Poète, assistante sociale et mystique, Paris, Nouvelle Cité, 2015, p. 228
(2) in Nous autres gens des rues 
(3) Les principes de la théologie catholique

29 octobre 2015

Qui est mon prochain ? - 2

Le déplacement qui s'opère à la lecture de Madeleine vient du fait que les vertus communistes du désintéressement, du don de soi, stimulées par la propagande interne du parti mettent en évidence que nous ne détenons pas le monopole de la charité. Je parlais plus haut d'Ahmed‎ pour souligner que l'accueil du prochain n'est pas non plus un monopole du christianisme. Lévinas, dans Difficile Liberté, soulignait avec humour que le royaume de Dieu viendrait sur place quand les chrétiens accepteraient de partager la lumière (je cite de mémoire).
A sa manière, Madeleine précise que le communisme la met dans l'obligation "de réaliser ce que c'est que de faire corps avec l'Église, de ‎substituer vis-à-vis d'elle une obéissance vitale à une discipline passive; d'apprendre que sa matière vivante, sa chair est l'amour mutuel entre chrétiens." (1)

Kénose intra-écclesiale‎ que ce cheminement qui nous conduit à percevoir l'importance d'être actifs (2) et les dégâts d'une passivité laïque entretenue par un clergé trop longtemps attaché à son pouvoir/savoir. 

Congar, dans sa "théologie du Laïcat" a fait sur ce point des avancées qu'il faudrait méditer à nouveau.

(1) Madeleine Delbrêl, Nous autres gens des rues, op Cit p. 262

07 octobre 2014

Les deux églises - suite IV

Pour compléter ma petite série sur les 2 églises, je tombe sur un texte de Gaudium et Spes qui va dans le même sens. Peut-on sentir la patte de Congar derrière ?

"elle se compose de membres de la cité terrestre qui sont appelés à former, déjà au sein de l'histoire humaine, la famille des enfants de Dieu, qui doit croître sans cesse jusqu'à la venue du Seigneur… À la fois « assemblée visible et communauté spirituelle » (LG 8), l'Église fait route avec toute l'humanité et partage le sort terrestre du monde ; elle est comme le ferment et pour ainsi dire l'âme de la société humaine destinée à être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu.

Cette compénétration de la cité terrestre et de la cité céleste ne peut être perçue que par la foi ; bien plus, elle demeure le mystère de l'histoire humaine, qui est troublée par le péché jusqu'à la pleine révélation de la gloire des enfants de Dieu (Rm 8,18s). L'Église, en poursuivant sa fin propre, le salut, ne fait pas seulement que l'homme communie à la vie divine. Elle répand aussi sa lumière en la faisant rejaillir d'une certaine façon sur le monde entier, surtout du fait qu'elle rétablit et ennoblit la dignité de la personne humaine, qu'elle fortifie la cohésion de la société humaine, et qu'elle donne à l'activité quotidienne des hommes une orientation et une signification plus profondes. Ainsi, par chacun de ses membres et par toute la communauté qu'elle forme, l'Église croit pouvoir contribuer largement à ce que la famille des hommes et son histoire deviennent plus humaines…"

Gaudium et Spes 40 et 45

12 septembre 2014

Diaconie et pouvoir, suite - Congar


Écoutons encore Congar sur ce point :

 "Évidemment, la tentation est grande d'oublier cette royauté spirituelle, située tout entière dans la sagesse de la croix de céder à la sagesse du siècle; de chercher et de mettre en œuvre une pure puissance de domination. Les hommes d'Église ont parfois cédé à cette tentation, en particulier au temps du moyen âge finissant, où l'on constate si souvent un retrait du pastoral devant la prélature et, chez les prélats, du prêtre devant le maître ou le seigneur."

Il poursuit :
"Sans cesse Dieu a suscité dans son Église des hommes qui agissent sur les autres par un engagement de service et d'amour allant jusqu'au sacrifice de soi. Ne les voit-on pas se multiplier, remplir un rôle plus décisif au moment, précisément, où les hommes d'Église sont davantage inspirés par un goût de puissance séculière : sainte Catherine de Sienne († 1380), sainte Jeanne d'Arc († 1431), saint Bernardin de Sienne († 1444), saint Nicolas de Flue († 1487) quatre saints dont trois furent des laïcs, et deux des femmes. Ils nous montrent, réalisée dans la sainteté et le génie, la royauté spirituelle du chrétien et comment on domine et conduit les hommes en prenant sur soi le fardeau de leurs péchés et de leurs peines, par un amour humble et servant qui va, le cas échéant, jusqu'au sacrifice de soi*."

Sans commentaires

* Source : Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, op. cit. p. 322 

19 août 2014

Diaconie VII - Philanthropie de Dieu et diaconie de l'Église


Le message à porter au monde nous dit Moingt* est la "révélation de la philanthropie de Dieu ". Un message, précise-t-il qu'il faut plutôt mettre en "oeuvre et en image, en paraboles comme le faisait Jésus". N'est ce pas la encore un appel à la diaconie et au service.

Je citais dans mon post précédent un extrait des notes de Congar au Concile. On trouve plus loin, dans le même livre une phrase qui m'a aussi marqué : "Dieu m’a amené à la servir et à servir les hommes à partir de lui et pour lui, surtout par la voie des idées. J’ai été amené à une vie solitaire, très vouée à la parole et au papier. C’est ma part dans le plan d’amour. Mais je veux m’y engager aussi de cœur et de vie et que ce service d’idées lui même soit un service des hommes."

Servir l'humain... Quel que soit soit sa forme, sa visibilité, l'essentiel est peut être l'essentiel en ce qu'il rayonne à sa manière de la philanthropie de Dieu.

N'est-ce pas d'ailleurs ce que le monde retient de plus beau à travers les gestes désintéressés des Soeurs Téresa, Emmanuelle ou d'un abbé Pierre ou Ceyras comme d'un Jean Vannier. Si ce service de l'humain est le seul message qui passe, n'est-ce pas en sa manière d'être "à genoux devant l'homme".

Poursuivons avec Congar : "Quand on regarde vivre l'Église, (...) ce qu'elle est et porte en elle (...) Il y a là, de sa part, dans les formes mineures au moins de son sacerdoce, de son prophétisme, l'exercice d'une forme de royauté, non d'autorité et de puissance — elle ne l'a pas — mais d'influence et de service, qui répond à sa véritable situation par rapport au monde. Car on peut dire qu'elle en a la responsabilité (...)". Le dominicain cite à ce sujet précise que "l'Eglise a [notamment] dans ce cadre véritablement le nom de semence ou cellule germinale du Royaume qu'aiment à lui donner en particulier les théologiens de langue allemande (Keimzelle)****".

Ce que saint Justin appellait les spermatikos logos ne sont-ils pas ces germes d'amour qui en scintillant de l'amour humain véritable deviennent signes de la philanthropie de Dieu.

* J. Moingt, L'Évangile sauvera l'Église, op. cit p. 121
** Yves Congar, Mon Journal du Concile I, 1960-63, Cerf, Paris, 2002, op. cit. p. 384
*** Yves Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, Cerf 1953, p. 133
**** ibid. p. 134 et sa note où il cite le livre de H. André, Die Kirche als Keimzelle der Weltgöttlichung (Leipzig, 1920)

18 août 2014

Diaconie VI - Congar - Un nouvel enjeu du laïcat


A la suite des réflexions issues de la CTI, que peut-on ajouter ? Il faut probablement chercher chez Congar les grandes intuitions du dominicain. On notera ainsi, dans ses notes prises pendant le concile, son rêve de "l'existence d’un plein laïcat" qu'il définit comme une "présence de l'Église, non par mode d’autorité cléricale mais par mode prophétique de l’humain*."

En quoi l'humain peut-il être prophétique, ci ce n'est justement dans sa manière d'être serviteur et comme le titre de mon livre le suggère : "A genoux devant l'homme" ? Le lavement des pieds pratiqué par exemple par l'Arche où chacun lave les pieds de son voisin est alors symbole efficace de cette attitude prophétique d'une diaconie qui envahit l'église. La présence de l'Arche à Dakionia était à ce titre tout à fait justifiée et je dirais "sacramentelle". 


* Source : Yves Congar, Mon Journal du Concile I, 1960-63, Cerf, Paris, 2002, p. 157

07 juillet 2014

Joseph Moingt - Initiation de lecture


Le hasard des rencontres me mène à nouveau sur les pas de Joseph Moingt avec son livre, plus grand public, intitulé L’Évangile sauvera le monde, paru chez Salvator en 2013.
Une première phrase pour vous donner envie de me suivre sur ce chemin.
"Le grand problème de l'église actuelle me semble être... la prise de responsabilité des laïcs... qu'ils prennent la responsabilité de leur vocation‎ missionnaire."*

On retourne ici au coeur de ce qui est pour moi l'un des élans de Vatican II dans la foulée de cette "Théologie du laïcat" que l'on trouve si bien décrite chez Congar.

L'enjeu qui est développé dans les pages suivantes est probablement celle d'une vision de la collégialité de l'Eglise qui ne s'arrête pas aux cardinaux mais descend jusque dans l'articulation entre pouvoir et autorité, entre enseignement et dialogue, passivité et engagement où chacun a sa part sans renier l'apport de la triple dimension de l'Église (écriture, tradition et sensus fidei). Comprendre et articuler cela est l'enjeu des années à venir pour notre Église.


* Op. cit p.14

07 mai 2011

Conversion sur l'Eglise


Après "Cette Église que je cherche à aimer", je continue ma méditation sur l'Eglise*, depuis l'oeuvre de Küng (l'Église), J. Moltmann (L'Église dans la force de l'Esprit) et Y. Congar (Mysterium Salutis, Tome 15, L'Église, Une, Sainte Catholique et Apostolique)...
Quelques notes en chemin :

Comment concevoir la sainteté de l'Église, comment accepter son rôle dans le monde, comment prendre conscience de l'importance de sa vocation apostolique ? Il y a peut-être dans la méditation des 4 notes** de l'Église, une clé d'accès qui n'apparaît pas si l'on s'attarde sur l'un des attributs séparés. Si l'Église est sainte, cela n'est pas dans le visible, ni dans l'invisible non plus, mais dans le mouvement perpétuel, dans une tension continue qui passe par sa kénose, par son humilité, par sa capacité à se mettre au service de l'unité, à trouver dans sa Tradition "apostolique" les ressources d'un renouveau, d'une perpétuelle remise en cause, d'une constante vigilance qui font que son rayonnement n'est pas "triomphaliste" mais voilé, discret et pourtant transcendant. L'Église rayonne de la kénose trinitaire. Elle n'est pas l'instrument de la gloire mais le signe discret et progressif d'une dynamique où le Christ et l'Esprit prépare par et au delà de l'Église le dévoilement final. Le royaume n'est qu'au bout du voyage...

* Ces réflexions sont intégrées dans la nouvelle édition
** J'ai découvert que l'on parlait de notes pour les 4 affirmations sur l'Église : Une, Sainte Catholique et Apostolique

09 mai 2007

Sacrement-personnes – Passeur III

"Ce ne sont pas seulement des moyens sensibles inanimés, des sacrements-choses que le Christ emploie pour réaliser son Corps mystique, mais ce sont aussi – et par la même logique – des moyens sensibles animés, des sacrement-personnes". (1)

Le sommes-nous véritablement ? C'est peut-être cela, être passeur…

(1) Y. Congar, Esquisse du mystère de l'Eglise, "Foi-vivante" 18, Paris, Le Cerf, 1966